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861. (1913) Les livres du Temps. Première série pp. -406

Loin de notre âme la douleur, vêtement de cendre ! […] Tu surgis alors dans le fond de mon âme, pure Image ! […] Il a voulu évoquer une âme de proie. […] Tout se passe dans l’âme de Jeannette. […] Litanies des eaux et des âmes.

862. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre III. Ben Jonson. » pp. 98-162

De là son talent, ses succès et ses fautes ; s’il a un meilleur style et de meilleurs plans que les autres, il n’est pas comme eux créateur d’âmes. […] Les personnages se meuvent en lui, presque sans son concours ; il attend qu’ils parlent, il demeure immobile, écoutant leurs voix, tout recueilli, de peur de déranger le drame intérieur qu’ils vont jouer dans son âme. […] Salut, âme du monde et la mienne ! […] Un instant après, le nain, l’eunuque et l’androgyne de la maison entonnent une sorte d’intermède païen et fantastique ; ils chantent en vers bizarres les métamorphoses de l’androgyne qui d’abord fut l’âme de Pythagore. […] Volpone se jette sur son lit, s’enveloppe de fourrures, entasse ses oreillers, et tousse à rendre l’âme. « Je vous remercie, seigneur Voltore.

863. (1899) Les industriels du roman populaire, suivi de : L’état actuel du roman populaire (enquête) [articles de la Revue des Revues] pp. 1-403

Il y a bien encore, dans ce domaine de la fiction simple, des horizons élargis vers lesquels le cœur pourrait s’ouvrir et l’âme se répandre. […] Le grand art simple a prise sur les âmes simples. […] Notez, pourtant, qu’il se trouve parmi eux des conteurs aussi soucieux que vous-même de l’âme des foules. […] et celle qui, dans tous les siècles, a profondément agi sur les âmes, est même presque tout entière hors de ces livres de cabinet. […] qui, grâce à la complicité criminelle de certains journaux, versent des flots de poison dans l’âme française.

864. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 avril 1885. »

Et l’âme de Tannhaeuser fléchit, et son corps succombe. […] La vie et la mort, l’importance et l’existence du monde extérieur, tout ici dépend uniquement des mouvements intérieurs de l’âme. L’action qui vient à s’accomplir dépend d’une seule cause, de l’âme qui la provoque, et cette action éclate au jour telle que l’âme s’en est formé l’image dans ses rêves. » Au propos de ce drame, réalisation complète de l’idéal projeté, Wagner se défend de vouloir supprimer la mélodie, la mélodie étant l’unique forme de la musique. […] Ernest de Weber, il s’élève contre l’abus de la vivisection qui endurcit les âmes et les ferme à la religion. […] La divine, miraculeuse épée, vue ou nommée, produit en l’âme de Wofan ou de Siegfried une impression spéciale, grande ; à cette impression, toute psychique, répond le motif musical.

865. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Shakespeare »

Ce qu’il veut, à sa manière, à lui, c’est précisément la même chose qu’a voulue Carlyle, à la sienne : faire je ne sais quelle chimérique équation entre le génie de Shakespeare et son âme. […] pas toutes ces âmes-là dans son âme. […] Ce n’est pas avec cette âme-là, qu’il pouvait avoir grande, — mais qu’il eût pu avoir petite aussi, car on a vu de grands esprits unis à des âmes vulgaires, — ce n’est pas avec cette âme, quelle qu’elle fût, que Shakespeare a fait ses chefs-d’œuvre. […] Mais reconstituer à coup sûr l’âme d’un poète et sa volonté, qui est une chose, avec les œuvres de son génie, qui en sont une autre, je cherche ici le même qui mène au même et le petit os de Cuvier. […] L’Angleterre grave assez profondément cet amour dans l’âme de ses enfants pour que jusqu’à leur génie, quand ils ont du génie, en garde l’empreinte !

866. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « Remarques finales. Mécanique et mystique »

Mais c’est là une psychologie purement intellectualiste, qui croit pouvoir calquer nos états d’âme sur leurs objets. […] Ajoutons que le corps agrandi attend un supplément d’âme, et que la mécanique exigerait une mystique. […] Mais ne comptons pas trop sur l’apparition d’une grande âme privilégiée. […] Se porte-t-elle alors sur l’âme ? […] S’agit-il de la relation de l’âme au corps ?

867. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Il avait été élevé par une mère et par des sœurs chrétiennes ; tout ce qu’il y avait de tendre dans son âme était chrétien. […] Quoi qu’on ait dit d’elle, la nature ne l’avait pas faite à moitié, elle avait l’esprit de son âme, et cette âme était digne d’habiter un si beau corps. […] Cette mort fut douce et silencieuse comme le moment où l’âme confiante dans la miséricorde se jette avec tremblement dans le jugement de Dieu. […] Je défie de prononcer le mot de grandeur sans que l’image de Chateaubriand s’élève à l’instant dans votre âme. […] L’ennui est le mal du génie ; c’est l’état des grandes âmes ; c’est la sensation du vide dans l’homme.

868. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 février 1886. »

Carvalho a ravivé les sottes rancunes ; en plus d’une âme. […] Sans cesser de planer, il descend vers l’âme qui se désole dans les profondeurs. […] C’est une chose généralement admise par les philosophes et les critiques que la musique doit exciter dans l’âme certaines émotions, et que chacun des signes musicaux se trouve lié à une émotion de l’âme qu’il excite en se produisant. Mais il est établi aussi, contrairement à une vieille croyance que si tel accord ou tel rythme est associé dans notre âme à telle émotion, ce n’est pas d’une manière universelle, naturelle et constante. […] Pendant que Beethoven, puis Wagner, traduisaient les émotions de leur âme et de leur race dans la langue musicale que leur avaient faite les musiciens classiques du XVIIIe siècle, nos compositeurs russes devaient traduire les émotions des âmes et des races slaves dans la langue musicale séculaire que les naïves chansons des paysans leur avaient créée.

869. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Alfred de Musset » pp. 364-375

Au bal, dans les réunions et les fêtes riantes, quand il rencontrait le plaisir, il ne s’y tenait pas, il cherchait par la réflexion à en tirer tristesse, amertume ; il se disait, tout en s’y livrant avec une apparence de fougue et d’abandon, et pour en rehausser même la saveur, que ce n’était qu’un instant fugitif, aussitôt irréparable, et qui ne reviendrait plus jamais sous ce même rayon ; et en tout il appelait une sensation plus forte, plus aiguë, d’accord avec le ton auquel il avait monté son âme. […] Pour Alfred de Musset, la poésie était le contraire ; sa poésie, c’était lui-même, il s’y était rivé tout entier ; il s’y précipitait à corps perdu ; c’était son âme juvénile, c’était sa chair et son sang qui s’écoulait ; et quand il avait jeté aux autres ces lambeaux, ces membres éblouissants du poète qui semblaient parfois des membres de Phaéton et d’un jeune dieu (se rappeler les magnifiques apostrophes et invocations de Rolla), il gardait encore son lambeau à lui, son cœur saignant, son cœur brûlant et ennuyé. […] Dans le présent épisode surtout, les Confessions ont retenti des deux parts, et ce serait le cas de dire avec Bossuet, si nous en avions le droit et si nous n’étions pas des leurs, qu’il y en a « qui passent leur vie à remplir l’univers des folies de leur jeunesse égarée. » L’univers, il faut en convenir aussi, c’est-à-dire la France, s’y est prêtée en toute bonne grâce ; elle a écouté et accueilli avec un intérêt prononcé, et d’une âme encore très littéraire en ce temps-là, tout ce qui du moins lui paraissait éloquent et sincère. […] Poète qui n’a été qu’un type éclatant de bien des âmes plus obscures de son âge, qui en a exprimé les essors et les chutes, les grandeurs et les misères, son nom ne mourra pas, Gardons-le particulièrement gravé, nous à qui il a laissé le soin de vieillir, et qui pouvions dire l’autre jour avec vérité en revenant de ses funérailles : « Notre jeunesse depuis des années était morte, mais nous venons de la mettre en terre avec lui. » Admirons, continuons d’aimer et d’honorer dans sa meilleure part l’âme profonde ou légère qu’il a exhalée dans ses chants ; mais tirons-en aussi cette conséquence de l’infirmité inhérente à notre être, et de ne nous enorgueillir jamais des dons que l’humaine nature a reçus.

870. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Paroles d'un croyant »

La belle âme, l’âme virginale de Pellico a pu tout pardonner, tout excuser, et bénir encore ; il s’en est revenu, après dix années de captivité féroce, comme un agneau tondu qui ne redemande pas sa laine. […] Nous parcourrons rapidement l’ouvrage où le nouvel essor de cette âme ardente et violemment aimante se trahit tout entier : « Prêtez l’oreille et dites-moi d’où vient ce bruit confus, vague, étrange, que l’on entend de tous cotés.  […] « Ô Père, donnez le conseil à notre esprit et la force à nos bras. » « Quand vous aurez ainsi prié du fond de votre âme, combattez et ne craignez rien. […] Lorsque l’esprit mauvais fascine des âmes droites, ce n’est que pour un temps.

871. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « JULES LEFÈVRE. Confidences, poésies, 1833. » pp. 249-261

Il me semblait si doux, pour une âme oppressée, De pouvoir dans une autre envoyer ma pensée, Que, d’une ingratitude eussé-je dû périr, J’aurais, pour tout donner, voulu tout conquérir. […] Lefèvre ne puise en son âme de poëte et d’amant qu’avec un talent incomplet d’artiste ; que son talent ne domine pas son âme de manière à la réfléchir selon la loi d’harmonie, et qu’au sein d’une réalité orageuse et profonde il lutte convulsivement et sans beauté. Dans la première moitié du volume, tant que la passion n’en est qu’aux tristesses, aux espérances, aux pressentiments qui envahissent toutes les âmes ainsi affectées, on regrette que de ce fonds un peu confus, étalé devant nous en longs épanchements, le poëte n’ait pas su tirer des scènes plus distinctes, plus détachées, plus parlantes aux yeux, de ces tableaux qu’on pourrait peindre sur la toile et qui vivent dans la mémoire. […] Je n’avais fait que l’entrevoir sous sa première forme, et je ne l’ai revu ensuite que tard, quand l’âme était calmée, adoucie, quand le volcan était éteint et que la lave s’était recouverte de terreau, de plates-bandes et d’allées sablées.

872. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Armand Silvestre »

cette beauté parfaite n’a point d’âme, et c’est l’âme aussi qu’il voudrait étreindre… En attendant, le Désir du poète adore à genoux la Beauté de la femme. […] Et c’est là précisément la secrète et pénétrante originalité de ces petits vers, de ces menues ritournelles, de ces rimes caressantes : elles font couler jusqu’à l’âme l’ivresse des couleurs, des formes et des parfums, et l’amour de la vie universelle, toujours un peu triste parce qu’il est toujours inassouvi. […] Ensuite le poète dit la Vie des morts, leur âme éparse dans les arbres, dans les broussailles, dans les sources qui sont leurs yeux, dans les nuages qui sont leur pensée inquiète, dans les astres où flambent leurs anciennes passions, dans la mer, « temple obscur des métamorphoses », dans les parfums, dans le chant nocturne des voix terrestres… Et cependant ce n’est pas tout ce qui reste des morts. « Ce que m’a pris le rêve, mes aspirations vers le juste et le beau, ce que j’ai dit tout bas à la nuit, ce que j’ai vu en fermant les yeux, Ma chair ne saurait plus l’entraîner au tombeau. […] De n’avoir pas d’âme.

873. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVIII. Souvenirs d’une Cosaque »

ce n’est pas elle qui jamais, comme certains sauvages, dans leur frénésie, aurait, avec ses dents, coupé sa langue pour la cracher à la face de son ennemi ; elle aime mieux la garder pour parler contre lui et faire des conférences, — car elle en fait, à ce qu’il paraît, ce qui n’est pas du tout équestre, du tout amazone, du tout Alfieri, du tout cosaque, — mais ce qui est parfaitement parisien, parfaitement bas-bleu, et parfaitement conforme au genre d’âme qu’elle a, — une âme d’actrice, qui préfère à tout, à tous les amours comme à toutes les vengeances, les yeux des galeries et les applaudissements des parterres ! Oui, une âme d’actrice ! Voilà selon moi la meilleure explication à donner de cette Cosaque par trop décosaquée… Une âme d’actrice plus que de femme, ce qui n’est pas monstrueux du tout, quoique j’en aimasse mieux une autre… Une pareille âme a obéi à sa nature et suivi son courant, en s’affolant (même avant de l’avoir vu) d’un acteur comme elle, — d’un très grand artiste, j’en conviens, — mais du plus éclatant des saltimbanques, du fameux pianiste, au sabre hongrois qu’il a remplacé par le bréviaire.

874. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Joubert » pp. 185-199

Comment le talent de Joubert ou plutôt son âme, cette opale humaine, s’est-elle formée dans le fond de ce bourgeois du xviiie  siècle ? […] Joubert — disait-elle — a l’air d’une âme qui a rencontré un corps par hasard, et qui s’en tire comme elle peut. » Ce corps, d’ailleurs, était à ce qu’il paraît un à peu près de corps. L’âme avait-elle eu pudeur d’en prendre davantage ? […] Fontanos, le racinien, qui, grand-maître alors de l’Université, trouva plaisant de faire de cette âme en peine dans un corps un inspecteur d’académie ; c’étaient Molé, Chênedollé, l’abbé de Vitry et trois femmes charmantes : Mme de Châtenay, Mme de Vintimille et Mme Pauline de Beaumont. […] Il y a dans cette notion d’ange quelque chose de beau, de jeune, de guerrier, de dominateur et de rapide qui n’allait point à l’idée de cet être né sénile et resté enfant, de cette âme qui se débattait dans un homme et qui avait la voix d’androgyne de la Sagesse, car la voix de la Sagesse n’a point de sexe, comme dit Joubert lui-même en parlant de Fénelon… Intellectuellement, Fénelon serait peut-être la figure à laquelle Joubert, après Platon, ressemblerait le plus.

875. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVII. Saint-Bonnet »

Saint-Bonnet au commencement de son livre, dans des lignes qui, pour être un tocsin, n’en sonnent pas moins aussi tristement qu’une agonie ; — c’est croire éteinte l’antique Envie que la Foi comprimait autrefois dans les âmes… envie amoncelée, en ce moment, comme la Mer, par un vent qui, depuis un siècle, souffle sur elle. » Laissons les Pangloss du progrès se vautrer dans la niaiserie de leur optimisme. […] Pour cela, la philosophie pesa sur l’esprit de l’homme de deux manières, par les sciences qui ne s’adressent qu’à l’esprit et qui finissent par lui donner le vertige de sa force, et par l’effet du paganisme sur l’âme, influence — il faut le reconnaître — que le dix-huitième siècle n’avait pas créée ; qui existait depuis la Renaissance, mais qui, grossie chaque jour, avait fait avalanche sur la pente escarpée de ce siècle, où toutes les erreurs entassées avaient fini par se précipiter. Tel est le chemin que l’auteur de l’Affaiblissement de la Raison, parcourt, après l’avoir creusé, pour arriver à cette question de l’influence du paganisme sur de jeunes âmes, qui ne semble être qu’une question de rhétorique aux esprits superficiels, mais qui est, pour les esprits profonds, une question de philosophie, de gouvernement, d’avenir du monde. […] La question qui a dernièrement scandalisé MM. les dandies littéraires, cette fine fleur d’humanistes à gants blancs de cette époque de Doctrinaires en toutes choses, lesquels prétendent savoir le latin et ne vouloir l’étudier que dans les sources les plus pures, cette question, qui n’est pas seulement une question de pédagogue, mais une question d’âme, sera plus que résolue : elle sera épuisée. […] Saint-Bonnet les a étudiées, les a poursuivies, dans les mille canaux de l’âme et de la vie, comme un grand médecin qui poursuivrait dans les réseaux des veines et au plus secret de nos organes le virus mystérieux de quelque horrible maladie.

876. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Raymond Brucker. Les Docteurs du jour devant la Famille » pp. 149-165

Écrit vers 1844, il fit brèche contre les philosophies et les politiques de perdition qui tenaient déjà le mondé et qui le lâchèrent un instant, épouvantées de ce qui restait encore d’âme à la France. […] Il masquait son nom et sa personne avec des chefs-d’œuvre qu’il ne signait pas, et l’Angleterre se mourait de curiosité, de cette curiosité plus piquante et plus enivrante pour l’âme choisie qui l’inspire, que la gloire elle-même et ses bruyantes admirations ! […] Sous ce pêle-mêle d’idées et d’images, de sentiments et d’abstractions, il y a une unité qui tient au fond du livre et de l’âme de l’auteur, et qui nous venge bien du manque d’unité de cette forme que j’ai signalée ; et cette unité du sujet, retrouvée, à toute place, dans cette dispersion de qualités qui rayonnent de toutes parts, en ce livre formidable, comme les balles écartées d’une espingole, c’est justement ce qui est en cause dans cette misérable heure : c’est la grandeur et le droit de la paternité ! […] le grand intérêt de ce livre, c’est la question de la Paternité et de la Famille, qui est une question aujourd’hui et qui n’en était pas une autrefois ; car c’était le principe, l’indiscutable principe de l’organisation de toute société, et quelque chose comme l’âme du monde. […] — tant que ce beau débris de l’histoire du genre humain tout entier ne sera pas rasé de l’âme humaine, de sa conscience et de sa mémoire, et que chez nous il y aura encore autre chose que des bâtards et des institutions qui veulent bâtardiser la France, la Société de tous les temps et de l’Histoire ne sera pas vaincue et l’aveugle et forcené génie de la Révolution n’aura pas dit son dernier mot !!

877. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Roger de Beauvoir. Colombes et Couleuvres. »

Ces Poètes, qui, du reste, se nomment eux-mêmes des artistes, et qui ont réellement plus d’art dans leur manière que de génie et d’inspiration, travaillent leur langue comme un sculpteur travaille son vase, comme un peintre lèche son tableau, et nous donnent au xixe  siècle une seconde édition affaiblie de la Renaissance qui, elle aussi, avec le large bec, ouvert et niais, d’un Matérialisme affamé, happait la forme et s’imaginait tenir le fond, l’âme et la vie ! […] Sous les mille arabesques du style, comme on dit maintenant et dont tant de gens sont capables avec de la bonne volonté, il y a dans le livre de M. de Beauvoir, comme au fond de la volute d’un coquillage, la perle, rayée ou malade, si l’on veut, mais la perle de la poésie, la goutte d’éther ou de lumière qui est peut-être une larme, teintée de rose par le sang de quelque souffrance, et qui est plus pour l’âme humaine que toute cette inerte poésie de camaïeu et de dessus de porte qu’on a déplacée et qu’on donne aujourd’hui pour des vers ! […] Lui, le byronien des anciens jours, n’a gardé de son byronisme que les nuances humaines qui appartiennent à toutes les âmes, car Byron, dont l’admiration a fait une manière, et à qui l’affectation en avait donné une, n’est plus qu’humain dans la partie vraiment supérieure de ses œuvres, dans la partie qui ne croulera pas. […] Chère âme je vous attends. […] Auguste Barbier, lesquels firent palpiter, dans le temps, tous les grossiers instincts de nos âmes que nous prenions pour de la force ?

878. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « André Chénier »

Endormis et latents jusque-là dans son âme, il ne fallut rien moins que les affreux coups portés à la France par les bandits de la Révolution pour les éveiller. André Chénier, qui, toute sa vie, s’était englouti dans le monde et les choses de l’Antiquité, André Chénier, ce patient et laborieux mosaïste, qui incrustait le détail antique avec un art si profond et si subtil dans l’expression des sentiments et des choses modernes, remonta par l’horreur vers le Dieu auquel il n’avait peut-être jamais pensé, et il jeta cette clameur des Iambes, le cri de la foi passionnée, la plus magnifique torsion d’âme et de main désespérées autour d’un autel invisible, la plus intense prière, enfin, que l’imagination d’un poète révoltée des abominations de la terre ait jamais élancée vers Dieu ! III Ce sont ces Iambes, d’ailleurs, — précisément parce que le plus grand sentiment de l’âme humaine (le sentiment religieux) y vibre d’une étrange puissance, — que je regarde comme la plus belle partie des œuvres poétiques de Chénier. […] Et cependant, pour toute Critique virile, et qui s’attache surtout dans l’appréciation des œuvres fortes à la profondeur de l’accent qui y retentit et qui semble venir de si avant dans l’âme humaine qu’on dirait qu’il en est littéralement arraché, rien de l’exécution la plus savante, la plus pondérée, la plus précise et tout à la fois la plus pittoresque et la plus musicale, ne vaut ce rugissement de l’âme élevée à sa plus haute puissance et qui rencontre un mouvement et une expression en équation avec sa foudroyante énergie !

879. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxviiie entretien. Littérature germanique. Les Nibelungen »

L’âme de maint héros grandit en cet instant. […] Mais l’âme du héros était ainsi faite qu’il n’en voulut rien garder. […] Car son corps était abattu et son âme était sombre. […] L’âme de chacun était profondément attristée. […] Leur âme était joyeuse en pensant à ceux qu’ils allaient voir.

880. (1905) Propos littéraires. Troisième série

Il me semble que ce qu’on doit demander à un vieillard, c’est la pensée et puis la sérénité d’âme. […] Le fond encore ici était politesse, bonne éducation et bonté d’âme. […] C’était une âme correcte. […] Ames d’artistes, âmes de modèles, âmes d’actrices, âmes d’acrobates, âmes de servantes nymphomanes, etc., tels étaient les objets ordinaires de l’observation de nos deux écrivains. […] La moitié à peu près d’entre nous a des âmes romanesques, ou, si vous le voulez, nous avons tous la moitié d’une âme romanesque, et, de compte fait, cela revient à peu près au même.

881. (1884) L’art de la mise en scène. Essai d’esthétique théâtrale

Il n’y avait en quelque sorte aucun lien sympathique entre son âme et l’âme des êtres et des choses. […] En un mot, rien ne doit avoir la prétention d’affecter trop profondément notre âme. […] Ce sont des mouvements de l’âme qui déterminent le mouvement scénique. […] Tout le public participe à la situation du chœur, et le triomphe du poète est de réussir à troubler l’âme du spectateur des mêmes émotions qui sont censées troubler l’âme des personnages qui composent la figuration. […] Cet acteur, c’est le poète lui même, dont l’âme anime la nature inanimée.

882. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIe entretien. Le Lépreux de la cité d’Aoste, par M. Xavier de Maistre » pp. 5-79

Accablé de fatigue, las de la vie, je me traîne de nouveau dans ma retraite, j’expose à Dieu mes tourments, et la prière ramène un peu de calme dans mon âme. […] Ainsi, pauvre malheureux, vous souffrez à la fois tous les maux de l’âme et du corps ? […] Son âme était digne du ciel qui la possède, et son exemple me soutenait contre le découragement qui m’accable souvent depuis sa mort. […] » Pendant trois heures je la soutins ainsi dans la dernière lutte de la nature ; elle s’éteignit enfin doucement, et son âme se détacha sans effort de la terre. […] Et comme aussi son âme plus isolée est prompte à se rattacher et à s’incorporer à la nature !

883. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre VI. Bossuet et Bourdaloue »

Avec sa forte intelligence, ce fut toujours une âme candide, presque naïve. […] Ce moraliste profond n’avait pas l’ombre de l’intuition psychologique qui fait les politiques, les diplomates ou même les directeurs d’âmes. […] Mais la logique est la charpente ou le squelette du discours : Bossuet parle à toute l’âme, de toute son âme ; il a la tendresse, l’onction, le pathétique. […] Bourdaloue n’a point de biographie : c’est une âme pure, modeste, soumise, qui se donna toute à son devoir. […] Il ne s’agit pour le prédicateur que de marquer des formes d’âmes et de tracer les effets mécaniques des forces morales.

884. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Appendice » pp. 453-463

Mais il est une forme d’encouragement à la fois bien noble et plus accueillante, et qui s’inspire de l’esprit de confraternité pour faire appel à tous, — bien réellement à tous, sans acception d’idées, de systèmes, de genres littéraires ; et ne demandant que cette moralité saine qui vient de l’âme, et la marque du talent. […] L’auteur est évidemment de ceux chez qui le goût s’inspire aux sources de l’âme. […] C’est dans ces limites, chères aux esprits d’élite et aux âmes modérées, qu’il circonscrit ses vues, et qu’il aime à tracer le cercle où il voudrait retenir le plus habituellement, ou faire rentrer le plus tôt possible, l’homme de lettres même de l’avenir. […] La littérature ainsi comprise et cultivée, se peut appeler la fleur et le parfum de l’âme. […] On a cru couronner dans l’auteur de cette pièce (et on ne s’est point non plus trompé) un homme de talent et de sentiment, doué de fierté de cœur, une âme qui a souffert et qui s’y est aguerrie.

885. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires de madame de Staal-Delaunay publiés par M. Barrière »

Qu’opposer à des femmes dont les unes ont porté jusque dans le cloître des âmes plus hautes que celles des héroïnes de Corneille, et dont les autres, après toutes les vicissitudes et les tempêtes humaines, ont eu l’heur insigne d’être célébrées et proclamées par Bossuet ? […] Une âme noble, élevée et stoïque jusqu’en ses faiblesses, un esprit ferme et délié s’y marquent en traits nets et fins. […] Cette absence de la pensée est le plus violent symptôme, en effet, pour une âme de philosophe, pour quiconque a commencé par dire : Je pense, donc je suis. […] Ce fut donc un printemps bien court dans la vie de Mlle Delaunay que ces premiers mois d’enchantement ; le parfum en fut pourtant assez profond pour remplir son âme durant ces jeunes années les plus exposées, et pour la préserver alors de toute autre atteinte. […] au moment où elle apprécie le mieux le dévouement et les mérites du pauvre Maisonrouge, c’est l’autre encore qu’elle regrette ; avec une âme si ferme, avec un esprit si supérieur, misérable jouet d’une indigne passion, elle fuit qui la cherche, et cherche qui la fuit, selon l’éternel imbroglio du cœur.

886. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VII. De l’esprit de parti. »

L’esprit de parti unit les hommes entre eux par l’intérêt d’une haine commune, mais non par l’estime ou l’attrait du cœur ; il anéantit les affections qui existent dans l’âme, pour y substituer des liens formés seulement par les rapports d’opinion : l’on sait moins de gré à un homme de ce qu’il fait pour vous que pour votre cause ; vous avoir sauvé la vie est un mérite beaucoup moins grand à vos yeux que de penser comme vous ; et, par un code singulier, l’on n’établit les relations d’attachement et de reconnaissance qu’entre les personnes du même avis : la limite de son opinion est aussi celle de ses devoirs ; et si l’on reçoit, dans quelques circonstances, des secours d’un homme qui suit un parti contraire au sien, il semble que la confraternité humaine n’existe plus avec lui, et que le service qu’il vous a rendu est un hasard qu’on doit totalement séparer de celui qui l’a fait naître. […] L’esprit de parti est une sorte de frénésie de l’âme qui ne tient point à la nature de son objet. […] Mais depuis que ces transactions ont existés entre le présent et l’avenir, entre le sacrifice de la génération actuelle et les dons à faire à la génération future, il n’y a point eu de bornes qu’un nouveau degré de passion ne se crut en droit de franchir ; et souvent des hommes, enclins au crime, croyant s’enivrer des exemples de Brutus, de Manlius, de Pison, ont proscrit la vertu, parce que de grands hommes avaient immolé le crime ; ont assassiné ceux qu’ils haïssaient, parce que les Romains savaient sacrifier ce qu’ils avaient de plus cher ; ont massacré de faibles ennemis, parce que des âmes généreuses avaient attaqué leurs adversaires dans la puissance, et ne prenant du patriotisme que les sentiments féroces qu’il a pu produire dans quelques époques, n’ont eu de grandeur que dans le mal, et ne se sont fiés qu’à l’énergie du crime. […] Je le répète, en examinant tous les effets du fanatisme, on acquiert la démonstration, que c’est le seul sentiment qui puisse réunir ensemble des actions coupables et une âme honnête ; de ce contraste doit naître le plus effroyable supplice dont l’imagination puisse se faire l’idée : les malheurs qui sont causés par le caractère, ont leur remède en lui-même ; il y a, jusques dans l’homme profondément criminel, une sorte d’accord qui seul peut faire qu’il existe, et reste lui-même ; les sentiments qui l’ont conduit au crime lui en dérobent l’horreur ; il supporte le mépris par le même mouvement qui l’a porté à le mériter. […] … C’est d’une telle supposition que les anciens ont tiré les plus terribles effets de leurs tragédies : ils attribuent à la fatalité les actions coupables d’une âme vertueuse ; cette invention poétique, qui fait du rôle d’Oreste le plus déchirant de tous les spectacles, l’esprit de parti peut la réaliser ; la main de fer du destin n’est pas plus puissante que cet asservissement à l’empire d’une seule idée, que le délire que toute pensée unique fait naître dans la tête de celui qui s’y abandonne ; c’est la fatalité, pour ces temps-ci, que l’esprit de parti, et peu d’hommes sont assez forts pour lui échapper.

887. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Pensées de Pascal. Édition nouvelle avec notes et commentaires, par M. E. Havet. » pp. 523-539

C’est que Pascal n’est pas seulement un raisonneur, un homme qui presse dans tous les sens son adversaire, qui lui porte mille défis sur tous les points qui sont d’ordinaire l’orgueil et la gloire de l’entendement ; Pascal est à la fois une âme qui souffre, qui a ressenti et qui exprime en lui la lutte et l’agonie. […] Sans être évêque ni prêtre, il est lui-même sûr de son fait, il sait à l’avance son but, et laisse assez voir sa certitude, ses dédains, son impatience ; il gourmande, il raille, il malmène celui qui résiste et qui n’entend pas : mais tout d’un coup la charité ou le franc naturel l’emportent ; ses airs despotiques ont cessé ; il parle en son nom et au nom de tous, et il s’associe à l’âme en peine qui n’est plus que sa vive image et la nôtre aussi. […] Il faut citer ce passage d’une souveraine beauté : Qui voit Pythagore ravi d’avoir trouvé les carrés des côtés d’un certain triangle, avec le carré de sa base, sacrifier une hécatombe en actions de grâces ; qui voit Archimède attentif à quelque nouvelle découverte, en oublier le boire et le manger ; qui voit Platon célébrer la félicité de ceux qui contemplent le beau et le bon, premièrement dans les arts, secondement dans la nature, et enfin dans leur source et dans leur principe, qui est Dieu ; qui voit Aristote louer ces heureux moments où l’âme n’est possédée que de l’intelligence de la vérité, et juger une telle vie seule digne d’être éternelle, et d’être la vie de Dieu ; mais (surtout) qui voit les saints tellement ravis de ce divin exercice de connaître, d’aimer et de louer Dieu, qu’ils ne le quittent jamais, et qu’ils éteignent, pour le continuer durant tout le cours de leur vie, tous les désirs sensuels : qui voit, dis-je, toutes ces choses, reconnaît dans les opérations intellectuelles un principe et un exercice de vie éternellement heureuse. […] Faugère, Pascal médite sur l’agonie de Jésus-Christ, sur les tourments que cette âme parfaitement héroïque, et si ferme quand elle veut l’être, s’est infligés à elle-même au nom et à l’intention de tous les hommes : et ici, dans quelques versets de méditation tour à tour et d’oraison, Pascal pénètre dans le mystère de cette douleur avec une passion, une tendresse, une piété, auxquelles nulle âme humaine ne peut demeurer insensible. […] Le livre de Pascal, dans l’état où il nous est venu, et dans la hardiesse ou le décousu des restitutions récentes, ne saurait être pour personne un livre d’apologétique exact et complet : ce ne peut être qu’une lecture ennoblissante, et qui reporte l’âme dans la sphère morale et religieuse d’où trop d’intérêts vulgaires la font déchoir aisément.

888. (1864) Études sur Shakespeare

Les âmes plus ardentes allaient au loin chercher les aventures qui, avec l’espoir de la fortune, leur offraient le plaisir plus vif des hasards. […] Il prend le fait comme le lui livrent les récits, et, guidé par ce fil, il descend dans les profondeurs de l’âme humaine. […] Ils oublient la situation du personnage en faveur des pensées qu’elle suscite dans l’âme du poëte. […] Mais Shakespeare, tel que son caractère se présente à notre pensée, avait pu trouver longtemps, dans les distractions du monde, de quoi tenir, dans son âme et sa vie, la place qu’il était capable de donner aux affections. […] Cette invention est rarement un mérite pour le poëte tragique, car son œuvre est de démêler et de faire éclater l’homme et son âme au milieu des événements qu’il subit.

889. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « LES FLEURS, APOLOGUE » pp. 534-537

LES FLEURS, APOLOGUE Un soir d’automne, dans un château où pourtant Voltaire avait autrefois passé251, deux ou trois jeunes femmes très-spirituelles et très-aimables s’étaient mises à causer métaphysique, spiritualisme, platonisme pur ; il avait été à peu près décidé par elles que l’âme, non-seulement était chose à part, mais qu’elle était tout. […] Sans parfum une fleur ne vit pas, ce n’est qu’une herbe plus ou moins brillante et colorée ; le parfum seul lui donne l’âme et fait qu’elle respire de la même vie que les essences célestes. […] » — C’était moi invisible et cachée, dont le parfum, dont l’âme produisait à distance de ces merveilles.

890. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bataille, Henry (1872-1922) »

; l’on abuse avec une candeur égale des abîmes insondables de Richebourg et du vague à l’âme de Bourget… À la répétition générale, on a hué, à la représentation, on a dormi… Impossible de lutter contre l’ennui, le mortel ennui. […] Henry Bataille montre une âme très proche de celle de M.  […] Marcel Schwob, « ce sont deux âmes sœurs, pareillement sensibles, et qui tressaillent aux mêmes attouchements ».

891. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre IV. De la morale poétique, et de l’origine des vertus vulgaires qui résultèrent de l’institution de la religion et des mariages » pp. 168-173

De la morale poétique, et de l’origine des vertus vulgaires qui résultèrent de l’institution de la religion et des mariages La métaphysique des philosophes commence par éclairer l’âme humaine, en y plaçant l’idée d’un Dieu, afin qu’ensuite la logique, la trouvant préparée à mieux distinguer ses idées, lui enseigne les méthodes de raisonnement, par le secours desquelles la morale purifie le cœur de l’homme. De même la métaphysique poétique des premiers humains les frappa d’abord par la crainte de Jupiter, dans lequel ils reconnurent le pouvoir de lancer la foudre, et terrassa leurs âmes aussi bien que leurs corps, par cette fiction effrayante. […] Par suite de ce premier effort, la vertu commença à poindre dans les âmes.

892. (1929) Amiel ou la part du rêve

Ceux qui ignorent tout de lui savent au moins qu’il a dit qu’un paysage est un état de l’âme. […] Notre âme est le temple saint dont nous sommes les lévites. […] Pour un Genevois qui pense et qui écrit, ce problème se pose : serai-je une âme adaptée à mon corps, ou une âme libérée de mon corps ? […] Je vous appartiens corps et âme, cœur et volonté. […] Je suis toujours émerveillé de lire dans cette âme profonde et pure.

893. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Charles-Quint après son abdication, au monastère de Saint-Just »

Mignet, « ce grand homme, qui savait commander à ses passions, ne savait pas contenir ses appétits ; il était maître de son âme dans les diverses extrémités de la fortune, il ne l’était pas de son estomac à table ». […] Elle a le front large, les yeux bleus et qui témoignent d’une grande vigueur d’âme, le nez aquilin, un peu de travers, la mâchoire inférieure longue et large, ce qui fait qu’elle ne peut joindre les dents et qu’on ne l’entend pas très bien à la fin des mots. […] En premier lieu, les écrivains du couvent, les moines hiéronymites, voyant le grand empereur honorer à jamais leur maison par une adoption sans exemple, assister à leurs exercices, s’agenouiller à leurs offices, vénérer les mêmes reliques, dîner une fois à leur réfectoire avec toute la communauté, obliger son confesseur, simple moine, de rester assis devant lui, faire dire messes sur messes pour le repos de l’âme des siens et pour le salut de la sienne, en ont fait un saint, un homme détaché du siècle, ne pensant qu’à Dieu, à l’autre vie, à la fin dernière. […] On voit donc que Charles-Quint, en entrant au cloître, et tout en prenant la retraite très au sérieux, ne put tenir exactement sa résolution et sa gageure : il n’eut pas même le temps de ressentir l’ennui, le vide que son brusque changement de vie n’eût pas manqué de produire en son âme ardente et active. […] Charles-Quint qui, vu du côté de la politique, nous paraît jusqu’à la fin si prudent, si ferme de conseil, si sain d’esprit, si occupé d’autres choses encore que d’horloges, si attentif aux affaires du dehors et voué aux intérêts de sa race et de sa maison, ce même homme, vu du, côté, des moines, paraissait à ceux-ci tout pénitent, tout mortifié, tout appliqué à la fin suprême, et il n’y avait pas hypocrisie à lui dans ce double rôle ; il unissait bien réellement dans son âme profonde et son imagination mélancolique ces deux manières d’être si contraires.

894. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite) »

Sa complexité morale, son unité, les contradictions qu’il assemble et qu’il coordonne en lui, sa stabilité d’âme et de génie, tout cela est peint, analysé, reproduit en plus de cent pages qui sont des plus belles par la pensée comme par le ton, et tout à fait à la hauteur de leur objet ; j’en détache quelques traits décisifs : « La science immense, la logique serrée et la passion grandiose, voilà son fond. […] Il ne crée pas des âmes, mais il construit des raisonnements et ressent des émotions. […] … de nouveaux ennemis s’élèvent, menaçant de lier nos âmes avec des chaînes séculaires ; aide-nous à sauver notre libre conscience des ongles des loups mercenaires qui pour tout Évangile ont leur panse. » C’est le même sentiment que chez Marwell, plus héroïque et plus martial chez celui-ci, plus purement chrétien chez Milton. […] Encore une fois, revenons au vrai, et à ce vrai littéraire qui n’oublie jamais l’humanité, et qui implique une sorte de sympathie pour tout ce qui en est digne ; si nous sommes justes pour l’ex-chaudronnier Bunyan qui, dans ses visions fanatiques, a fait preuve de force et d’imagination, n’écrasons point d’autre part cette gentille et spirituelle créature, cette quintessence d’âme, cette goutte de vif esprit dans du coton, Pope. […] Quoi qu’on ait pu dire de son irritabilité de critique et des excès regrettables où elle le porta, il avait une âme humaine et faite pour l’amitié.

895. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

Buzot nous parle à son tour de ses relations d’amitié avec Roland, et ce n’était pas un homme à jouer avec l’un et avec l’autre deux rôles aussi opposés, Je sais bien que lorsque Buzot apprit à Saint-Émilion la mort de Mme Roland, il en perdit l’esprit pendant quelques jours ; mais l’intimité dans laquelle il vécut avec elle, l’estime qu’il eut pour ses talents, peuvent facilement expliquer cette circonstance, de la part d’une âme ardente. » Honorable héritier du nom et des sentiments de l’un des hommes les plus purs de l’ancienne Gironde, ce même M.  […] J’ai connu personnellement cette femme dont la mort héroïque a expié l’égarement ; dont l’âme ardente et la tête ambitieuse eussent mérité un cloître ou une principauté ; dont l’esprit fin et turbulent était aussi propre à diriger des intrigues qu’incapable d’écrire avec fidélité les scènes d’horreur où elle n’avait pas craint de jouer un rôle. » Ce jugement est sévère, et je ne le donne qu’à raison de l’autorité que j’accorde aux paroles de Mallet du Pan. […] L’orgueil de ce monde aristocratique qui la voyait, sans la compter, pesait sur son âme. […] Elle lui prêtait de son rayon, et, en l’aimant, elle restait fidèle encore à son programme de jeune fille : « Dans les âmes honnêtes et délicates, l’amour ne se présente jamais que sous le voile de l’estime. » Je viens de relire les Mémoires de Buzot ou ce qu’on appelle ainsi, les pages d’apologie écrites par lui au milieu de sa proscription : elles sont assez véhémentes et animées d’une vertueuse indignation, mais ternes, sans intérêt pour nous aujourd’hui, sans un éclair. […] Faugère, qui a ses avantages particuliers et qui est rehaussée d’une Introduction écrite avec vigueur et précision, avec élévation d’âme.

896. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Mlle Eugénie de Guérin et madame de Gasparin, (Suite et fin.) »

Il y a eu dans les deux communions des réveils, des coups de baguette impérieux et puissants, des coups de trompette, de grands talents, de belles âmes éloquentes, ardentes, qui ont essayé de fondre les divisions artificielles, de dégager le vrai courant, de reporter les esprits aux hauteurs et aux sources, de ne s’attacher qu’à ce qui est la vie ; et je le dirai avec la conscience de ne faire injure à aucun, s’il y a eu d’un côté Lacordaire, ce regard flamboyant, cette parole de feu, on a eu de l’autre Adolphe Monod, cette âme d’orateur et d’athlète chrétien qui, à ceux qui l’ont vue de près dans son agonie suprême, a rappelé le martyre et l’héroïsme de Pascal. […] Au fond Mme de Gasparin a beau faire, elle n’est pas contrite, elle n’est pas triste ; elle est bonne et compatit aux tristesses ; elle a l’âme noblement ambitieuse, altérée de vie, ayant soif de bonheur, jalouse de le conquérir pour le communiquer, pour le répandre autour d’elle ; c’est une vaillante, une infatigable qui chante son Excelsior en montant toujours le plus haut qu’elle peut sur la montagne. […] Eugénie, avec ses scrupules, n’aurait-elle pas eu de certaines craintes pour le salut de la protestante inconvertible et convertisseuse, une recruteuse d’âmes ? […] tu as des âmes d’élite derrière ces murs ; tu fais rayonner ton amour, tu fais resplendir ton salut en dépit des tromperies de l’erreur. » Enfin, elles se sont mutuellement recommandées à Dieu : elles ne se sont pas maudites. […] Si mon âme aspire au soleil, mon pauvre individu se traîne dans l’ombre

897. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DISCOURS DE RÉCEPTION A L’ACADÉMIE FRANÇAISE, Prononcé le 27 février 1845, en venant prendre séance à la place de M. Casimir Delavigne. » pp. 169-192

Qu’il chante ouvertement ou sous voile d’allusion les douleurs et les oppressions de la patrie, qu’il se reporte aux calamités, aux espérances ou aux plaintes de l’Italie et de la Grèce, qu’il raille au théâtre certains préjugés, qu’il flétrisse certaines tyrannies, il est toujours aisément d’accord avec ce que sont tentées de penser et de sentir sur ces sujets la plupart des natures droites et saines, des jeunes âmes écloses du milieu de notre société et formées par notre éducation libérale. […] Toutes les âmes jeunes, vives, nationales, naturellement françaises, y trouvèrent l’expression éloquente et harmonieuse de leurs douleurs, de leurs regrets, de leurs vœux ; tout y est honnête, avouable, et respire la fleur des bons sentiments : Casimir Delavigne s’y montra tout d’abord l’organe de ces opinions mixtes, sensées, aisément communicables, et si bien baptisées par un grand écrivain, le mieux fait pour les comprendre et les décorer, par M. de Chateaubriand, de ce nom de libérales qui leur est resté. […] Il avait été très-touché de cette vue, aimant extrêmement les enfants, comme cela est ordinaire aux poëtes et aux âmes pures. […] On se rappelle l’Ame du Purgatoire ; les Limbes, le second chant de ce petit poème du Miracle, sont admirables de ton. […] Il est vrai que, de tous les trésors, c’est celui dont il coûte le plus de se dessaisir, même pour les âmes généreuses.

898. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre III. Comédie et drame »

Mais ces données serviront à mettre en lumière des sentiments de l’âme humaine, des effets de mécanique et de chimie morales, qu’on aurait beaucoup plus de peine à observer dans les conditions fortuites et communes de la vie. […] Il avait peur de faire rire : le rire est vulgaire ; il rêvait un comique décent, bon seulement à faire « sourire l’âme ». […] En même temps s’éveillaient dans les âmes des besoins nouveaux. […] Une âme sensible est celle qui comprend les occasions où elle doit sentir, et qui produit avec le plus de vivacité possible toutes les actions extérieures qui répondent à ces occasions de sentir. […] L’humanité, la nature, tous les rapports sociaux, toutes les actions sociales deviennent pour les âmes des occasions de vibrer avec intensité, ou de s’amollir délicieusement.

899. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre III. La poésie : V. Hugo et le Parnasse »

Et où trouvera-t-on, si ce n’est chez lui, l’expression littéraire de l’âme confuse et généreuse de la démocratie française dans la seconde moitié du xixe  siècle ? […] Ces épopées n’ont rien de commun avec l’Iliade ou l’Énéide : il faudrait les comparer plutôt à la Divine Comédie ; la forme épique enveloppe une âme lyrique. […] Ame égale, sans fièvre et sans orages, esprit moyen, sans idées ni besoin de penser, Théodore de Banville881 jongle sereinement avec les rythmes. […] Un petit volume peut contenir toute une âme, tout un esprit ; et loué soit qui se concentre, au lieu de se diluer. […] En certains endroits, un accent personnel se laisse sentir, et certain appel à la mort, certaine effusion de pitié sur les vivants, nous découvrent l’âme douloureuse du poète.

900. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le Livre des rois, par le poète persan Firdousi, publié et traduit par M. Jules Mohl. (3 vol. in-folio.) » pp. 332-350

Mais ce poète, nommé Dakiki, n’avait pas en lui tout ce qu’il faut de sagesse pour accomplir les pensées graves ; il se laissa aller aux mauvaises compagnies, il leur abandonna son âme faible et douce, et périt assassiné dans une débauche. […] Il avait dans sa ville natale un ami qui ne faisait qu’un avec lui, et ils étaient comme deux âmes dans un même corps. […] Il crut le trouver d’abord dans le gouverneur de sa province, Abou-Manzour, jeune prince rempli de générosité et de clémence, qui lui dit : « Que faut-il que je fasse pour que ton âme se tourne vers ce poème ?  […] Ce noble poète avait l’âme royale. […] Le temps fanera la joue de rose et obscurcira l’œil de l’âme brillante.

901. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

Je le dirai tout d’abord, il n’y a d’original et de tout à fait particulier en lui comme écrivain, que ce que les anciens appelaient les mœurs, ce je ne sais quoi non seulement de doux et de paisible (mite ac placidum), mais de prévenant et d’humain (blandum et humanum), de discrètement aimable et de lentement persuasif qui monte et s’exhale d’une âme pure, et qui, pénétrant l’ensemble du discours, gagne insensiblement jusqu’aux autres âmes. […] Le christianisme ajoute et confirme : mais, antérieurement au christianisme, selon eux, il y a une vraie et large base à la loi dans l’âme humaine. […] La piété, la modestie, la pudeur, la délicatesse morale la plus exquise, en font l’âme et les traits. […] On le voyait rougir et se taire dans le même moment, la partie supérieure de son âme laissant passer ce premier feu sans rien dire, pour rétablir aussitôt le calme et la tranquillité dans la partie sensible, qu’une longue habitude rendait toujours également docile aux lois de la raison et de la religion. […] Puisqu’il faut de loin des auréoles aux hommes, il est bon, il est louable qu’elles entourent quelquefois ces figures pacifiques où l’âme respire plus que le génie, et où le ton excellent de l’ensemble n’est que l’expression des mœurs elles-mêmes.

902. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — I. » pp. 186-205

Dans un des exercices publics qui avaient lieu dans la grande salle du collège, voyant entrer M. de La Visclède, secrétaire perpétuel de l’Académie de Marseille, et bien que l’auditoire fût en partie composé des plus jolies femmes de la ville : « Je ne voyais, dit-il, que M. de La Visclède, et mon cœur palpitait en le voyant. » Tel était Barthélemy à quinze ans : âme modérée, affectueuse et fine, esprit vif, curieux, délié, avide de savoir, ne mettant rien au-dessus des belles et nobles études qui se cultivent paisiblement à l’ombre des académies et des musées, on aurait dit que quelque chose de la pénétration et de la douceur des anciens Grecs, de ces premiers colons et civilisateurs de la contrée phocéenne, avait passé jusqu’à lui, et qu’il avait assez goûté de leur miel pour ne plus vouloir s’en sevrer jamais. […] Il est l’ouvrage d’une main habile, qui a su mettre dans sa physionomie ce mélange de douceur, de simplicité, de bonhomie et de grandeur qui rendait, pour ainsi dire, visible l’âme de cet homme rare. […] Dans un petit Traité de morale, rédigé à l’usage d’un neveu de M. de Malesherbes, et qu’il fit à la demande d’une mère, il a montré combien l’aménité était la forme de son caractère, et l’humanité le fond de son âme. […] L’amitié et les sollicitudes continuelles qu’elle entraîne, embarrassantes pour de certaines âmes, sont délicieuses pour lui. […] Il était de ces âmes modérées et sensibles, qui, à travers des études lentes et patientes, et un goût d’enjouement social et de plaisanterie familière très prononcé, ont en elles une veine de tendresse, et qui, aux heures de rêverie, se nourrissent volontiers d’un passage d’Euripide, de Racine et de saint Augustin.

903. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Brizeux. Œuvres Complètes »

La Sérénité, cette idéale qualité de la pensée forte, n’appartient ni aux âmes de ces temps troublés ni à leurs orageuses littératures. […]              L’âme humaine, aisément lassée, Fuit tes sommets de glace et l’ardent équateur ! […] « Heureux, ajoute-t-il, qui s’en tient aux seules émotions de l’âme, aux habitudes du foyer, aux simples soirs du pays natal… mais combien pourraient dans la vie et dans l’art négliger la science et impunément se passer d’elle ?  […] Les poésies qui ne sont que tendres, rêveuses, venues de l’âme bien plus que du génie qui a, lui, plusieurs âmes, s’évaporent vite comme certains parfums suaves. […] Brizeux lui-même disait de sa personne d’alors : Je n’avais que seize ans, léger de corps et d’âme ; Mes cheveux entouraient mon front d’un filet d’or.

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