Sa cécité presque absolue le mettait dans l’impossibilité de lire et d’écrire : il n’en suivait pas moins tous les mouvements de l’assemblée, maintenait l’ordre avec fermeté, et, connaissant la place de chaque membre dont il distinguait merveilleusement le son de voix, il ne commettait jamais la moindre erreur en accordant ou refusant la parole. […] Oui, sans doute, on le sent bien à la lecture, il a manqué quelque chose à cette éloquence ; cet œil ne lançait point d’étincelles ni d’éclairs ; cette voix n’avait point d’éclats sonores, ni de ce qui vibre à distance ; mais du moins un sentiment juste, équitable, pénétré, animait cette gravité douce et abondante ; une imagination tempérée y jetait plutôt de la lumière que de la couleur ; parfois la finesse et une certaine grâce d’ironie n’y manquaient pas ; l’humanité surtout, avec la justice, en était l’âme, et cet orateur au ton sage avait en lui toutes les piétés.
Cela tient, je suppose, à ce qu’il a toujours vécu trop près de sa pensée, n’ayant jamais eu l’occasion de la développer en public : en effet, sa santé délicate, sa voix faible et qui a besoin de l’oreille d’un ami, n’a jamais permis à ce riche talent de se produire dans l’enseignement ou dans les chaires. […] Partout il est le même : figurez-vous une démarche longue et lente, un peu penchée, dans une paisible allée où l’on cause à deux du côté de l’ombre, et où il s’arrête souvent en causant ; voyez de près ce sourire affectueux et fin, cette physionomie bénigne où il se mêle quelque chose du Fléchier et du Fénelon ; écoutez cette parole ingénieuse, élevée, fertile en idées, un peu entrecoupée par la fatigue de la voix, et qui reprend haleine souvent ; remarquez, au milieu des vues de doctrine et des aperçus explicatifs qui s’essaient et naissent d’eux-mêmes sur ses lèvres, des mots heureux, des anecdotes agréables, un discours semé de souvenirs, orné proprement d’aménité : et ne demandez pas si c’est un autre, c’est lui.
Sainte-Beuve préparait longuement sa leçon, il l’élaborait, la mâchait, la remâchait, la mastiquait et la répétait à des chaises rangées en rond, autour de lui, dans son triste salon chocolat ; tandis que Chasles jouait avec la sienne comme un chat avec un oiseau, et la débitait pétillante, avec des grâces félines et une voix qui n’était, par exemple, ni celle d’un chat ni celle d’un tigre, mais bien la voix la plus spirituelle, la plus mélodieuse et la plus caressante qu’on pût entendre.
À ses gestes multipliés, à ses changements de physionomie, aux inflexions de sa voix, il semblait qu’il voulût sortir de lui-même. […] On était rempli de respect et de confiance, et quand un tremblement de la voix ou quelque image subite indiquait la découverte d’une vérité importante, on apercevait dans ce faible signe plus d’émotion et d’éloquence que dans les magnifiques dithyrambes de son rival.
. — Nous encouragerons de notre humble voix toutes les tentatives originales ; nous travaillerons à recruter un auditoire aux talents jeunes et vigoureux que la gloire n’a pas encore visités. […] De cette hauteur, il ne saurait saisir qu’un murmure de voix confuses ; aussi, la société a-t-elle en lui un écho puissant, mais incomplet. […] La plantureuse actrice cherche dans les éclats de voix les effets ratés par son jeu, et il faut bien avouer que, si elle parvient un moment à émouvoir son public, elle réussit presque toujours à l’assourdir. […] Sa voix émeut et caresse ; elle console en mettant des larmes dans les yeux. […] On pourrait, lui souhaiter un timbre de voix plus harmonieux : elle tire parfois de son gosier des intonations de gouttières qui n’ont rien de paradisiaque.
Cette voix ne s’éteindra jamais dans le monde ; car ce n’est pas l’homme qui l’a inventée. […] Ainsi, ce qui avait frappé M. de Lamartine dans la voix de Byron, c’était la sincérité de l’émotion, l’écho des grandes voix de la nature, l’étrangeté de l’accent, la puissance du timbre, mais le poète chrétien ne suivait pas plus loin le poète sceptique. […] C’est un morceau tiré des Voix intérieures : La vache. […] Mais il était alors presque seul, et sa voix se perdait dans le désert. — Vox clamabat in deserto. […] Enfin, à l’heure qu’il est, Frédéric Lemaître vieux, cassé et sans voix, est encore de beaucoup le plus grand comédien de Paris.
Ô jardins alignés où roucoulait Léandre, Que l’amour emplissait de sa voix douce et tendre, Je ne sais quoi de triste à vous voir me revient, Et ma mélancolie évoque sous vos arbres Où dort enseveli le peuple blanc des marbres Un menuet conduit sur un rythme ancien.
Gustave Rivet : Les Voix perdues.
C’est en écoutant les voix les plus diverses, venant des quatre coins de l’horizon en faveur du rationalisme, qu’on arrive à se convaincre que, si les religions divisent les hommes, la raison les rapproche, et qu’au fond, il n’y a qu’une seule raison.
Ils ont menti, Dorat, ceux qui le veulent dire, Que Ronsard, dont la plume a contenté les Rois, Soit moins que du Bartas ; & qu’il ait, par sa voix, Rendu ce témoignage ennemi de sa lyre, &c.
Cette voix haute et puissante du peuple qui ressemble à celle de Dieu, veut désormais que la poésie ait la même devise que la politique : tolérance et liberté.
L’attrait du plaisir a-t-il tant de peine à étouffer la voix de la raison.
D’abord elle semble ne point le reconnaître, mais par la douceur de sa voix, par l’éloquence de son langage, il la conquiert, et elle l’embrasse, en présence de l’armée et déclare qu’il est son fils. […] La voix que j’entendis au cours de cette nuit fut entendue aux temps passée par l’empereur, par le paysan. […] Dans notre empressement à trouver une voix musicale nouvelle et un mode musical plus jeune, nous avons oublié la beauté que peut posséder Echo. […] Peu d’aise, une froide couche, des nuits sans sommeil, les ordres d’une voix dure, aucune voix qui apaise, qui plaise. […] La voix du labeur de M.
Mais surtout gagnons la voix publique. » Remarquez en passant que Corneille, citant librement l’opinion de Térence, croit pouvoir ajouter au Peuple la Cour. — Molière n’exprimera pas d’autres sentiments, et prêchera aussi que la première de toutes les règles est de plaire au Peuple et à la Cour. […] Colletet le charma par les vers suivants, qu’il avait mis dans la pièce des Tuileries : A même temps, j’ai vu sur le bord d’un ruisseau La cane, s’humectant de la bourbe de l’eau, D’une voix enrouée et d’un battement d’aile Animer le canard qui languit auprès d’elle, Pour apaiser le feu qu’ils sentent nuit et jour Dans cette onde plus sale encor que leur amour. […] Le Cid n’a eu qu’une voix pour lui à sa naissance, qui a été celle de l’admiration ; il s’est vu plus fort que l’autorité et la politique, qui ont tenté vainement de le détruire ; il a réuni en sa faveur des esprits toujours partagés d’opinions et de sentiments, les Grands et le Peuple ; ils s’accordent tous à le savoir de mémoire et à prévenir au théâtre les acteurs qui le récitent. […] Pour vous encourager, ma voix manque de termes ; Mon cœur ne forme point de pensers assez fermes ; Moi-même, en cet adieu, j’ai les larmes aux yeux ; Faites votre devoir, et laissez faire aux dieux ! […] Au moment où cette transformation commence à s’opérer en lui, une voix du Ciel se fait entendre et lui prédit cette conversion.
me dit une voix que je respecte. — Hé ! […] Mais cette voix, qu’il respecte, — qu’il a toujours respectée en effet, — et qui lui reproche assidûment sa « critique personnelle », c’est la voix de Brunetière. […] … » Des voix qui s’éloignent continuent de crier : « Homme de lettres ! […] Sans lui, toute une part de la réalité serait sans voix, serait comme si elle n’était pas. […] Et ces voix d’autrefois font entendre à Justin-Charles les voix d’aujourd’hui, il les entend dans la bâtisse neuve comme dans l’édifice chargé d’années.
Et Cécile Cassot, ingénieuse philosophe, conclut de ses propres incohérences qu’« il y a une destinée » qui « à un moment donné », fait « entendre sa voix à celui qu’elle veut perdre ou protéger ». […] On s’amuse à l’écouter gazouiller les grondements de tonnerre et les fracas d’avalanche que sa voix croit pouvoir répéter parce qu’ils sont familiers à son oreille. […] Catulle vole ce procédé brutal, mais sa faible voix transforme les grondements en chuchotis, et le point de Hugo est devenu la virgule de Mendès. […] Elle répète ses leçons d’une voix sans éclat, ânonnante. […] La voix d’Arvède Barine n’a pas plus la grâce musicale d’une voix de femme que celle de Larroumet la sonorité ferme d’une voix virile.
Brifaut (qui, à cause de la faiblesse de sa voix, avait choisi M.
Goût de l’amour dès l’enfance, avant même de se douter de ce qu’est l’amour ; sentiment un peu sanglotant de la nature ; aspiration à se dévouer sans relâche, avec un secret contentement de souffrir pour son dévouement ; félicité de la meurtrissure sentimentale, optimisme extraordinairement vivace, abrité du scepticisme comme par une ouate de mélancolie douce… Ajoutez à ces dons naturels la vie la plus romanesque, romanesque jusqu’à l’invraisemblable, une gageure du destin tenue et gagnée contre les caprices de l’imagination : l’héritage sacrifié à la foi religieuse, les voyages tragiques, la guerre, la tempête, la séduction, l’abandon, le théâtre avec le succès d’abord, et bientôt la perte de la voix, la misère, la mort de l’enfant adoré, de quoi défrayer vingt romans conçus avec quelque économie.
François Fabié : Les Voix rustiques.
» — Et Prométhée leur répond : — « Les trois Parques et les Érynnies à la mémoire fidèle. » — Héraclite, cité par Plutarque, disait que « si le Soleil s’avisait de franchir les bornes qui lui sont proscrites, les Érynnies, agents de la Justice, sauraient bien lui faire rebrousser chemin. » — Dans l’Iliade, Xanthos, un des chevaux divins d’Achille, prend une voix humaine pour prédire sa mort au héros rentrant dans la guerre de Troie : mais les Érynnies, indignées de cette violation des lois naturelles, accourent aussitôt, et font taire impérieusement l’animal qui ose usurper la parole réservée aux hommes.
Une extrême difficulté de langue, & la foiblesse de sa voix, gâtoient totalement sa prononciation.
Il se croyait un grand talent d’acteur, il offrit ses services à la direction des théâtres ; on ne lui trouva pas assez de voix. […] Quand j’eus fini, il s’écria d’une voix accablée : « Dieu ! […] Il nous suffira de constater qu’à l’heure où un importun élevait ainsi la voix, la question religieuse n’existait pas. […] L’aveu est fondé : cette voix contenue et nuancée, si éloquente dans l’intimité du livre, n’était pas faite pour les sonorités du théâtre. […] dis-je en baissant involontairement la voix.
Et c’est pourquoi il est vivement frappé, tout de suite après, des grâces timides et de la jolie voix de la Circassienne Délia. […] Avec cela, une parole facile et brillante, un geste heureux, une voix d’un joli timbre, relevée d’un très léger accent méridional. […] Comme elle sait, par de légères inflexions de voix, traduire les nuances les plus délicates d’un sentiment ! […] Sa voix de cristal, sa diction et tout son jeu ont des finesses exquises et qui ne sentent jamais l’effort. […] … » gémit-elle d’une voix où se trahit, au fort même de l’épouvante, un invincible et inconscient amour pour un homme si énergique.
Et puis quelle jolie voix ! […] C’est de s’habituer à « écouter la voix de la nature. » — « Puisqu’elle est bonne ! […] » d’écouter sa « voix » en toute circonstance. […] De cet oracle on méconnaît la voix. […] Peut-être y a-t-il eu un peu trop tôt trop de larmes dans la voix que M.
Il s’agit, par une raison suprême, de faire le silence dans son entendement, pour écouter la voix qui viendra de Dieu. […] Ces phrases vous entrent dans les oreilles comme le fracas d’une rue, comme l’accent d’une voix. […] Ils veulent exprimer leur époque et devenir, comme Latouche le disait de Mme Sand, un écho qui « double la voix » de la foule. […] Vingt personnes ont successivement énoncé leur avis, sans que leur voix ait pu dominer le tumulte. […] Sully-Prudhomme, ce rêveur adorable dont les vers ont le charme d’un regard et d’une voix, — un regard où passent des larmes, une voix où flotte un soupir.
Exactement paisan, en appuyant sur paî, en écrasant paî d’une seule émission de voix très ouverte, large ouverte, nullement une diphtongue mouillée. […] Ces trompettes, hélas, à la voix prétendue articulée. […] Qui, joignant aux clairons ma voix entrecoupée, Eus pour premier hochet le nœud d’or d’une épée ! […] Sinon peut-être les canons de Fontenoy et de Denain et de Malplaquet du moins les canons et les mortiers de Vauban, des places et des camps, (au camp sous Maëstricht), (des obusiers peut-être), le parc d’une artillerie ancien régime, les canons du roi, l’artillerie du roi, le maître de l’artillerie, bellum enim regum ultima ratio ; les vieux canons de bronze, beaux comme des cloches, pansus et rebondis comme des cloches, dorés comme des cuivres et des airains qu’ils étaient ; dorés comme des vieux soleils un peu ombrés ; bronzes à la voix puissante, à la voix musicale ; à la voix retentissante, à la voix redondante ; à la voix grave ; et dont les flots de voix coulaient sur les plaines et sur les ravins, sur l’escarpe et dans le fossé comme des inondations ; monstres à la voix puissante ; qui dans les batailles sonniez comme des cloches ; comme d’énormes cloches ; monstres qui retentissiez comme le bourdon de Notre-Dame. Tous les matins dans l’aube naissante ou née ou à naître vous regardiez passer ces conscrits ; nos canons mathématiques, nos canons précis, nos canons à la voix grêle, nos canons à la voix aigrelette ; fins et maigres comme tous les adolescents ; élancés ; ces insectes gris bleu ; ces grandes sauterelles bleu gris ; ces durs aciers modernes ; ces jantes grêles ; ces aciers gris bleu ; ces grandes pattes d’araignées ; ces grandes pattes de faucheuses ; dans le fin brouillard bleu qui montait de la Seine vous regardiez passer ces tubes gris de fer.
Et pourtant Vaillant leur avait dit : « Il y a trop longtemps qu’on répond à notre voix par la prison, la corde et la fusillade. […] Soudain un petit maudit mendiant qui était parvenu à se glisser au premier rang de la foule, après avoir regardé longuement le grand-duc, s’écria d’une voix perçante : « Mais il est tout nu ! […] Puis la vérité s’imposant à tous, mille voix répétèrent : « Il est tout nu ! […] sur le luth et or et la flûte sonore Toute ta race chante avec de belles voix. […] Je le saluai poliment — mais lui, d’une voix creuse qu’il semblait s’arracher de l’estomac : « À savoir s’il y a lieu d’écrire ?
Même acte, scène xiv , l’on passe le récit que fait la vieille à Zanobio Ruberti, en le reconnaissant ; et, tout de suite, l’on a l’intrépidité de nous parler de ce récit, comme si nous venions de l’entendre : Au nom de Zanobio Ruberti, que sa voix, Pendant tout ce récit, répétait mille fois. […] La princesse, piquée, donnerait sa couronne pour voir Carlos mourir d’amour ; elle espère le toucher par la douceur enchanteresse de sa voix ; son cœur, le dépit et l’espoir lui dictent les chansons les plus tendres ; pas un son, pas un mot dont la mélodie, dont la délicatesse ne portent le trouble dans l’âme du prince ; il est prêt à convenir de sa défaite, mais il est retenu par son valet et la crainte de perdre le fruit de la plus cruelle des contraintes, et va se mêler à des musiciens qui affectent de chanter toutes les belles de la cour, sans prononcer le nom de Diane. […] Un jour que ce dernier, si redoutable par la force de ses poumons, voulut provoquer celui qu’ils n’appelaient plus que le contemplateur, le contemplateur se tourna vers Boileau, en lui disant : « Que ferait la raison, avec un filet de voix, contre une gueule comme celle-là ? […] Cher parterre, vous entendez souvent des Harpagon crier si fort, dès leur entrée, avec Laflèche, qu’ils s’épuisent, et qu’ils manquent de voix au moment où ils en ont le plus grand besoin. […] Molière reprit haleine, au jugement de sa majesté ; et aussitôt il fut accablé de louanges par les courtisans, qui tous, d’une voix, répétaient tant bien que mal ce que le roi venait de dire de l’ouvrage.
On a beau s’être bouché les oreilles, il faut bien finir par entendre la voix de la raison. […] Il se garde des éclats de voix, et de ceux du rire comme de ceux de la colère. […] Elle sera une femme aux yeux de songe, reflétant des songes très anciens, à la voix qui semble venir du lointain des âges. […] Nous n’entendons pas les cloches dans nos villes où leurs voix se perdent mêlées à tous les bruits que fait notre activité. […] Ils s’effraient parce qu’ils n’entendent plus la voix du prêtre qui les a conduits jusqu’à cet endroit.
qu’Élisabeth sent bien, aux jours de la tentation, que la voix de la conscience réduite à ses propres forces, est impuissante contre la voix du cœur ! […] Je ne dirai pas à l’Allemagne comme une voix célèbre : « Plus de rêves ! […] » cria une voix au fond de l’église. […] — Écoute-moi encore, ajouta Bernard d’une voix suppliante. […] Mais le visage continua de s’approcher, et une voix rauque murmura deux ou trois mots à son oreille.
Et en cette sorte ils vont à l’église comme des démons incarnés, avec un tel bruit confus, qu’il n’y a point d’homme qui puisse entendre sa propre voix. […] Par-dessus la procession des scolastiques encapuchonnés et des disputeurs crasseux, les deux âges adultes et pensants se rejoignent, et l’homme moderne, faisant taire les voix enfantines ou nasillardes du moyen âge, ne daigne plus s’entretenir qu’avec la noble antiquité. […] Surrey seul, inquiet, entend en lui-même la voix ferme d’un bon ami, d’un conseiller sincère, l’Espoir qui lui parle avec assurance, lui jurant qu’elle est273 « la plus digne et la plus loyale, la plus douce et la plus soumise de cœur qu’un homme puisse trouver sur la terre. » Si l’amour et la foi étaient partis, on pourrait les retrouver en elle. […] Les oiseaux joyeux abrités dans le riant ombrage, — accordaient leurs notes suaves avec le chœur des voix. — Les angéliques voix tremblantes et tendres — répondaient aux instruments avec une divine douceur. — Les instruments unissaient leur mélodie argentine — au sourd murmure des eaux tombantes. — Les eaux tombantes, variant leurs bruissements mesurés, — tantôt haut, tantôt bas, appelaient la brise ; — et la molle brise murmurante leur répondait à tous bien bas. […] C’est ici que la puissance des alentours se manifeste ; l’homme croit tout faire par la force de sa pensée personnelle, et il ne fait rien que par le concours des pensées environnantes ; il s’imagine suivre la petite voix qui parle au dedans de lui, et il ne l’écoute que parce qu’elle est grossie de mille voix bruissantes et impérieuses qui, parties de toutes les circonstances voisines ou lointaines, viennent se confondre avec elle en vibrant à l’unisson.
Et tandis que j’écoutais, dans le murmure qui s’élevait des pages feuilletées, le son de deux âmes, il m’a semblé qu’en dépit des vers de Paul Verlaine, la voix de l’Orgueil ne s’anéantissait pas avec les autres devant « la voix terrible de l’Amour ». […] L’écornifleur n’a pas plus d’existence personnelle que l’écho ; il répète indifféremment toutes les voix, lorsqu’elles ont assez de force pour venir jusqu’à lui. […] Ainsi, sourd à la voix des tentations intérieures, comme Ulysse au chant des sirènes, Monsieur Bois continue de penser. […] … Ou les fleurs de la haie, pour obéir à la voix de la fantaisie divine ! […] Ainsi ce petit livre, tout plein des voix du siècle, contribua à mon avancement spirituel, en me rappelant le devoir.
Triste vie et précaire, comme devant une bête de proie ; les Frisons, dans leurs lois antiques, parlent déjà de la ligue qu’ils ont fait ensemble contre « le féroce Océan. » Même pendant le calme, cette mer reste inclémente. « Devant les yeux s’étale le grand désert des eaux ; au-dessus voguent les nuées, ces grises et informes filles de l’air, qui de la mer avec leurs seaux de brouillards, puisent l’eau, la traînent à grand’peine, et la laissent retomber dans la mer, besogne triste, inutile et fastidieuse10. » « À plat ventre étendu, l’informe vent du nord, comme un vieillard grognon, babille d’une voix gémissante et mystérieuse, et raconte de folles histoires. » Pluie, vent et houle, il n’y a de place ici que pour les pensées sinistres ou mélancoliques. […] Un jour qu’Athelstan visitait avec les nobles sa parente Ethelflède, la provision d’hydromel fut épuisée du premier coup par la grandeur des rasades ; mais saint Dunstan, ayant deviné, l’immensité de l’estomac royal, avait muni la maison, en sorte « que les échansons, selon la coutume des fêtes royales, purent toute la journée servir à boire dans des cornes et autres vaisseaux. » Quand les convives étaient rassasiés, la harpe passait de mains en mains, et la rude harmonie de ces voix profondes montait haut sous les voûtes. […] Écoutez ces chants de guerre, véritables chants, heurtés, violents, tels qu’ils convenaient à ces voix terribles : encore aujourd’hui, à cette distance, séparés de nous par les mœurs, la langue, et dix siècles, on les entend : « L’armée sort53. — Les oiseaux chantent. — La cigale bruit. — La poutre de la guerre54 résonne, — la lance choque le bouclier. — Alors brille la lune — errante sous les nuages ; — alors se lèvent les œuvres de vengeance, — que la colère de ce peuple — doit accomplir… — Alors on entendit dans la cour — le tumulte de la mêlée meurtrière. — Ils saisissaient de leurs mains — le bois concave du bouclier. — Ils fendirent les os du crâne. — Les toits de la citadelle retentirent, — jusqu’à ce que dans la bataille — tomba Garulf, — le premier de tous les hommes — qui habitent la terre, — Garulf, le fils de Guthlaf. — Autour de lui beaucoup de braves — gisaient mourants. — Le corbeau tournoyait — noir et sombre comme la feuille de saule. — Il y avait un flamboiement de glaives, — comme si tout Finsburg — eût été en feu. — Jamais je n’ai entendu conter — bataille dans la guerre plus belle à voir. » « Ici le roi Athelstan55, — le seigneur des comtes, — qui donne des bracelets aux nobles, — et son frère aussi — Edmond l’Étheling, — noble d’ancienne race, — ont tué dans la bataille, — avec les tranchants des épées, — à Brunanburh. — Ils ont fendu le mur des boucliers, — ils ont haché les nobles bannières, — avec les coups de leurs marteaux, — les enfants d’Edward ! […] — devant la gloire de ton esprit. — D’une seule voix, elles appellent le Christ ! […] — jusqu’à la nue ténébreuse, — d’une voix défaillante. — Avec un frémissement affreux, — la fureur de l’Océan se déchaînait, — réveillée de son sommeil. — Les terreurs se levaient, — et les cadavres roulaient. » Le cantique de l’Exode est-il plus saccadé, plus véhément et plus sauvage ?
Quand les races ont vécu, lutté, souffert, vieilli ; quand elles ont usé leurs angles et leurs aspérités par un long frottement et courbé la tête sous le niveau pesant des civilisations, il arrive encore que de libres esprits, rebelles à l’aplatissement général, passionnément épris de la beauté naturelle des horizons, des montagnes et des vallées natales, des ruines célèbres endormies au bord des fleuves, écoutent et savent comprendre les voix mystérieuses qui montent du passé ou qui murmurent autour d’eux. […] Les seules voix qui chantent ne montent plus de la multitude ; elles tombent de hauteurs inaccessibles au vulgaire et viennent se perdre sans échos dans le bruit des locomotives et le hurlement de la Bourse. […] Entre le grand prêtre qui sacrifie au maître-autel et l’orateur sacré dont l’éloquence véhémente alterne avec les plaintes majestueuses de l’orgue, il y a place, au fond du chœur réservé, pour la voix solitaire qui chante l’hymne mystique. […] De leur côté, les Chants du Crépuscule, les Voix intérieures, les Rayons et les Ombres furent accueillis tour à tour avec un mélange d’éloges chaleureux décernés, comme d’habitude, aux parties sentimentales de ces beaux livres, et de reproches adressés à celles où l’émotion intellectuelle l’emportait sur l’impression cordiale. […] Le livre des Contemplations, d’autre part, grave, spirituel, philosophique, rêveur, d’une inspiration complexe, mêle les voix sans nombre de la nature aux douleurs et aux joies humaines ; car, si Victor Hugo sait faire vibrer toutes les cordes de l’âme, il sait, par surcroît, voir et entendre, ce qui est plus rare qu’on ne pense.
L’abbé en demeura quelque temps aveuglé ; tandis qu’il se frottait les paupières, j’ajoutais : ce tourbillon qui ne vous semble qu’un chaos de molécules dispersées au hazard, eh bien, cher abbé, ce tourbillon est tout aussi parfaitement ordonné que le monde… et j’allais lui en donner des preuves, qu’il n’était pas trop en état de goûter, lorsqu’à l’aspect d’un nouveau site, non moins admirable que le premier, ma voix coupée, mes idées confondues, je restai stupéfait et muet. […] Moi qui l’aime, j’ajoute : petit, vous avez raison ; c’est sa taille élégante, sa démarche légère, son vêtement simple et noble, le port de sa tête, le son de sa voix, de cette voix qui fait toujours tressaillir mon cœur… y aurait-il dans les choses quelque analogie nécessaire à notre bonheur ? […] On les aurait sans doute toutes lues sur mon visage, on les aurait distinguées aux accens de ma voix, tantôt faibles, tantôt véhémens, tantôt coupés, tantôt continus. […] Je crois que j’y serais encore sans un bruit confus de voix qui m’appellaient : c’étaient celles de nos petits élèves et de leur instituteur.
Et les poètes chez qui les rêves épars de la foule prennent leur expression consciente ou se réalisent en symboles grandioses comme des mythes primitifs, doivent-ils fermer leur âme aux voix qui viennent de la grande et tumultueuse agitation des hommes, mouvante comme la mer ? […] Citons-en au moins les lignes suivantes : « Ce soir, dans le silence de la nuit, j’entends une petite voix qui sort des rideaux blancs du berceau. […] Je sais bien qu’il ne faut pas se faire illusion, et qu’une voix qui s’élève aujourd’hui pour parler d’art, parmi la rumeur affairée des hommes, est une bien faible voix. […] Sans doute, nous ne pensons pas que le rôle du poète serait aujourd’hui identique à celui des voyants et des prophètes des premiers âges, mais déjà nous nous rendons compte que tous ceux qui, dans les temps modernes, ont fait entendre la grande voix de la Raison supérieure et de l’Âme éternelle, ont exercé une action féconde et utile sur leur milieu.
maintenant reviens et descends encore. » Volontiers aussi notre tendre élégiaque, les mains levées au ciel, se fût écriée en sa naïve démence, avec une autre âme aimante, une autre muse voilée, sœur de la sienne49, et dont l’écho seul m’a, par hasard, apporté la voix : Secrets du cœur, vaste et profond abîme, Qui n’a pitié ne connaît rien de vous ! […] N’êtes-vous qu’une voix parcourant l’univers ? […] Déjà même, du bord de ce doux nid, gloire et douceur maternelle, une jeune voix bien sonore lui répond.
Le peuple et moi nous les surveillons.” » IV La création du tribunal révolutionnaire, à la voix de Danton, était faite pour intimider les faibles et pour donner à tous l’héroïsme de la peur. […] Les voix, les yeux, les rires, les gestes du peuple, la submergèrent d’humiliation. […] “Pardonnez-moi”, dit-elle au bourreau du son de voix dont elle eût parlé à un de ses courtisans.
On n’entendait sortir des fenêtres démantelées de ces maisons que les voix criardes des Transtévérines qui s’appelaient d’un grenier à l’autre, les pleurs d’enfants qui demandaient le lait de leurs mères, et le bruit sourd et cadencé des berceaux de bois que ces pauvres mères remuaient du pied pour les endormir ; on n’apercevait çà et là sur le seuil des maisons ou sur les balcons que quelques figures pâles et amaigries de femmes élevant leurs bras grêles au-dessus de leurs têtes pour atteindre le linge que le soleil avait séché ; de temps en temps une jeune fille demi-nue, à la taille élancée, au profil antique, au geste de statue, à la chevelure noire et aussi lustrée que l’aile du corbeau, apparaissait sur un de ces balcons sous des nuages flottants de haillons parmi les pots de basilic et de laurier-rose, comme ces giroflées qui pendent aux murailles en ruine, trop haut pour être respirées ou cueillies par le passant. […] La petite cloche du campanile, comme une voix timide qui craignait d’éveiller l’étranger maître à Rome, tintait l’Angelus du soir aux solitaires et aux pauvres femmes du quartier : cette cloche avait dans son timbre argentin quelque chose du gazouillement de l’alouette qui s’élève d’un champ moissonné devant les pas du glaneur. […] La couleur de ses cheveux et de sa barbe tenait le milieu entre le noir et le blond, dans une telle proportion cependant, que le sombre l’emportait sur le clair, mais que ce mélange indécis des deux teintes donnait à sa chevelure quelque chose de doux, de chatoyant et de fin ; son front était élevé et proéminent, si ce n’est vers les tempes, où il paraissait déprimé par la réflexion ; la ligne de ce front, d’abord perpendiculaire au-dessus des yeux, déclinait ensuite vers la naissance de ses cheveux qui ne tardèrent pas à se reculer eux-mêmes vers le haut de la tête, et à le laisser de bonne heure presque chauve ; les orbites de l’œil étaient bien arqués, ombreux, profonds et séparés par un long intervalle l’un de l’autre ; ses yeux eux-mêmes étaient grands, bien ouverts, mais allongés et rétrécis dans les coins ; leur couleur était de ce bleu limpide qu’Homère attribue aux yeux de la déesse de la sagesse et des combats, Pallas ; leur regard était en général grave et fier, mais ils semblaient par moments retournés en dedans, comme pour y suivre les contemplations intérieures de son esprit souvent attaché aux choses célestes ; ses oreilles, bien articulées, étaient petites ; ses joues plus ovales qu’arrondies, maigres par nature et décolorées alors par la souffrance ; son nez était large et un peu incliné sur la bouche ; sa bouche large aussi et léonine ; ses lèvres étaient minces et pâles ; ses dents grandes, régulièrement enchâssées et éclatantes de blancheur ; sa voix claire et sonore tombait à la fin des phrases avec un accent plus grave encore et plus pénétrant ; bien que sa langue fût légère et souple, sa parole était plutôt lente que précipitée, et il avait l’habitude de répéter souvent les derniers mots ; il souriait rarement, et, quand il souriait par hasard, c’était d’un sourire gracieux, aimable, sans aucune malice et quelquefois avec une triste langueur ; sa barbe était clairsemée et, comme je l’ai déjà dépeinte, d’une couleur de châtaigne ; il portait noblement sa tête sur un cou flexible, élevé et bien conformé ; sa poitrine et ses épaules étaient larges, ses bras longs, libres dans leurs mouvements ; ses mains très allongées mais délicates et blanches, ses doigts souples, ses jambes et ses pieds allongés aussi, mais bien sculptés, avec plus de muscles toutefois que de chair ; en résumé, tout son corps admirablement adapté à sa figure ; tous ses membres étaient si adroits et si lestes que, dans les exercices de chevalerie, tels que la lance, l’épée, la joute, le maniement du cheval, personne ne le surpassait.
Il est sans doute de ceux qui se jouent de l’homme et le font résonner « de sa note la plus basse au sommet de sa voix ». […] Sur le fond ténébreux d’une demeure somptueuse et muette, se profilent les traits pâles de l’incestueux l’époux de Morella, croyant reconnaître en sa fille l’âme transfuse de celle qu’il n’avait su aimer vivante ; la lutte folle de Ligéia contre la mort, la douleur somnolente de son amant et sa fantastique rêverie dans la longue nuit, où il crut voir la forme immatérielle de la décédée se glisser dans le corps tiède de lady Rowena ; Roderick Usher, peureux d’avoir peur, les mains nues, la voix trémulante, dardant de tous côtés son regard trop aigu, égaré par la délicatesse de ses sens, l’esprit sursautant, vacillant et défaillant, au point de succomber dans un spasme d’effroi, en cette mystérieuse nuit, dont la description demeure inoubliable. […] Wilson, qu’à l’île de Tsalal, les matelots de la Jane Guy trouvent des femmes « obligeantes en toutes choses », que dans Marie Roget, il faille fouiller le dessous d’une femme galante, et dans le Crime de la rue Morgue, entrevoir le cadavre d’une jeune fille brutalement lacérée, pas un mot équivoque, pas une allusion aux réalités de la chair, un rauque éclat de voix ou un afflux de sang ne vient altérer le calme glacial de ces œuvres et de toutes.
Le cardinal Chigi manqua son élection de deux voix. […] Les plus intelligents parmi les hommes passent leur vie à les mépriser, à n’en pas écouter la voix ! L’Europe du xviiie siècle n’a écouté que cette voix funeste, n’a obéi qu’à elle, et l’a renforcée quand elle a pu.
Il y a un moment où, dans les dangers de la guerre de Sept Ans, il est redevenu Anglais à la voix de Pitt ; il s’est fait capitaine de milice et a paru animé d’un éclair d’enthousiasme patriotique. […] Sa voix, qui n’avait que des accents aigus, ne pouvait avoir d’autre moyen d’arriver au cœur que de percer les oreilles.