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271. (1908) Dix années de roman français. Revue des deux mondes pp. 159-190

Le goût pour les évocations du passé a exigé non plus de secs et graves récits, mais des tableaux vivants, des narrations animées, des anecdotes, des souvenirs intimes. […] À côté des tableaux dont nous sommes frappés, nous pouvons suivre dans ces romans une analyse compréhensive et serrée de l’âme et de l’esprit militaires. […] Les études de caractère y sont pénétrantes, les tableaux de mœurs impressionnants et justes. […] Il a mis une passion et une vibration d’autant plus frémissantes dans ses tableaux, qu’il a été lui-même mêlé de fort près aux événements dont il parle, qu’il a été témoin et acteur dans ces batailles politiques et qu’il a pu les observer en annaliste journalier. […] Mais, au-dessus de ces digressions ou de ces discussions, planent des tableaux grandioses.

272. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Quelques documents inédits sur André Chénier »

De là souvent un peuple qui aime à rire ne voit que diable et qu’enfer. » Il se réservait pourtant de grands et sombres tableaux à retracer : « Lorsqu’il sera question des sacrifices humains, ne pas oublier ce que partout on a appelé les jugements de Dieu, les fers rouges, l’eau bouillante, les combats particuliers. […] André, dans ses notes, emploie, à diverses reprises, cette expression : j’en pourrai faire un QUADRO ; cela paraît vouloir dire un petit tableau peint ; car il était peintre aussi, comme il nous l’a appris dans une élégie : Tantôt de mon pinceau les timides essais Avec d’autres couleurs cherchent d’autres succès. Et quel plus charmant motif de tableau que cet enfant nu, sous l’ombrage, au bord d’une mer étincelante, et les dauphins arrivant aux sons de sa double flûte divine ! […] Ceci n’est qu’une conjecture, mais que semble confirmer et justifier le canevas suivant qui n’est autre que le sujet de Nina, transporté en Grèce, et où se retrouve jusqu’à l’écho des rimes de la romance : « La jeune fille qu’on appelait la Belle de Scio… Son amant mourut… elle devint folle… Elle courait les montagnes (la peindre d’une manière antique). — (J’en pourrai, un jour, faire un tableau, un quadro)… et, longtemps après elle, on chantait cette chanson faite par elle dans sa folie : Ne reviendra-t-il pas ? […] En tête donc se verrait, pour la première fois, le portrait d’André d’après le précieux tableau que possède M. de Cailleux, et qu’il vient, dit-on, de faire graver, pour en assurer l’image unique aux amis du poëte.

273. (1841) Matinées littéraires pp. 3-32

Ce fut en contemplant un tableau de Michel-Ange, que Raphaël sentit qu’il était peintre, et peut-être est-ce à Corneille que nous devons Racine. […] Il est des esprits chagrins qui ne regardent jamais un tableau qu’avec le désir d’y reconnaître des fautes de dessin, qui ne prennent jamais un livre qu’avec l’espoir d’y découvrir des incorrections de style. […] Aussi ne demandons point aux poètes du nord les molles et suaves harmonies du midi, ni au peintre qui vit au sein des tempêtes politiques le riant tableau d’une existence douce et paisible. […] Lorsqu’un tableau est mis tout à coup devant nos yeux, il nous est impossible d’en discerner immédiatement les défauts et les beautés ; nous en recevons une impression générale qui fait qu’au premier coup d’œil le tableau nous plaît ou nous déplaît. […] Supposons maintenant qu’il s’agisse d’un poème, et non d’un tableau.

274. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Histoire du roman dans l’Antiquité »

Il vient lui-même, d’ailleurs, d’ajouter tout un volume au précédent : il nous donne la Vie d’Apollonius de Tyane par Philostrate, cette histoire toute remplie de pérégrinations lointaines, de guérisons miraculeuses, de prodiges, prédictions, divinations de songes, apparitions, et qui nous représente comme en un tableau de choix tout le merveilleux de l’Antiquité68. […] Certes je prise et goûte fort le joli récit traduit par Courier : il est net, proportionné, piquant, épigrammatique ; mais les additions d’Apulée ne me déplaisent pas tant ; elles m’apprennent bien des choses sur les mœurs tant publiques que privées, sur la police des villes dans les provinces, sur les travers éternels et les maladies de l’esprit humain : « Ce sont des tableaux de pure imagination, où néanmoins chaque trait est d’après nature, des fables vraies dans les détails, qui non seulement divertissent par la grâce de l’invention et la naïveté du langage, mais instruisent en même temps par les remarques qu’on y fait et les réflexions qui en naissent. » Tout cet éloge (sauf le point de la naïveté du langage), que Courier donne à son Lucius, je l’accorde à plus forte raison et je l’étends à notre Lucius latin, à notre Apulée, pour ses additions nombreuses ; lu à côté, le premier Lucius me paraît, je l’avoue, un peu sec. […] C’est une suite de tableaux de genre que ce roman à tiroir. […] Plus tard, on a eu par le roman des tableaux complets de la vie humaine, à la manière de Gil Blas, ou des tableaux limités, tels que Manon Lescaut ou Paul et Virginie, qui surpassent en valeur Daphnis et Chloé, la perle antique elle-même.

275. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre III. Comédie et drame »

Un plaidoyer pour le commerce contre la morgue nobiliaire, un plaidoyer contre le duel se dérobent adroitement sous une action vraisemblable et intéressante : c’est une situation touchante que celle de ce père qui, maudissant le préjugé de l’honneur, envoie son fils unique se battre ; et c’est un joli tableau de mœurs du xviiie  siècle que cet intérieur d’un grand négociant, où éclatent les solides vertus et les douces affections de la famille bourgeoise. […] Il y a deux points où il insiste surtout : il veut des tableaux, non plus des coups de théâtre, et qu’on peigne les conditions, non plus les caractères. […] Disposer l’action pour amener une suite de tableaux, où tous les personnages se fixent en attitudes expressives, évidemment cela est dangereux : on sent dans ce procédé de composition la tendance d’une poétique sentimentale, qui fausse la destination naturelle du genre dramatique. Selon cette conception, le drame, ce sont des Greuze mis en tableaux vivants. […] Diderot a l’idée d’un jeu plus vrai que n’était le jeu des comédiens français en son temps ; et c’est ce qu’il a traduit par sa théorie des tableaux.

276. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « La Mare au diable, La Petite Fadette, François le Champi, par George Sand. (1846-1850.) » pp. 351-370

Mme Sand faisait mieux l’an dernier, en son Berry, que de lire les Géorgiques de Virgile ; elle nous rendait sous sa plume les géorgiques de cette France du centre, dans une série de tableaux d’une richesse et d’une délicatesse incomparables. […] Les scènes de « La fenaison » offrent un tableau plein de charme et de grâce assurément, mais on y voit tout à côté cet éternel plaidoyer entre la société et la nature, entre les gens de loisir et les gens du peuple ou de labeur, ceux-ci ayant invariablement l’avantage. […] Il s’en va bien assez vite de lui-même. » Cette fin de La Mare au diable, dans la description des noces, semble peut-être un peu longue ; mais on n’est pas fâché, malgré tout, de s’arrêter sur ces images d’abondance rurale et de copieux bonheur, qui rappellent, à leur manière, le tableau de Théocrite dans les Fêtes de Cérès, et celui de Virgile célébrant les vertus des vieux Sabins : « Casta pudicitiam servat domus ». […] Voilà donc, grâce à Mme Sand, notre littérature moderne en possession de quelques tableaux de pastorales et de géorgiques bien françaises. […] Au xviie  siècle, le sentiment du pittoresque naturel est né à peine, il n’est pas détaché ni développé, et, si l’on excepte le bon et grand La Fontaine17, nous n’avons alors à admirer aucun tableau vif et parlant.

277. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Confessions de J.-J. Rousseau. (Bibliothèque Charpentier.) » pp. 78-97

Lorsque, quittant sa patrie, à la fin du premier livre des Confessions, il se représente le tableau simple et touchant de l’obscur bonheur qu’il aurait pu y goûter ; quand il nous dit : J’aurais passé dans le sein de ma religion, de ma patrie, de ma famille et de mes amis, une vie paisible et douce, telle qu’il la fallait à mon caractère, dans l’uniformité d’un travail de mon goût et d’une société selon mon cœur ; j’aurais été bon chrétien, bon citoyen, bon père de famille, bon ami, bon ouvrier, bon homme en toute chose ; j’aurais aimé mon état, je l’aurais honoré peut-être, et, après avoir passé une vie obscure et simple., mais égale et douce, je serais mort paisiblement dans le sein des miens ; bientôt oublié sans doute, j’aurais été regretté du moins aussi longtemps qu’on se serait souvenu de moi. […] Un des reproches qu’il faisait au grand romancier Richardson, c’était de n’avoir pas rattaché le souvenir de ses personnages à une localité dont on aurait aimé à reconnaître les tableaux. […] Aussi n’oubliera-t-il jamais, même dans le tableau idéal qu’il donnera plus tard de son bonheur, de faire entrer ces choses de la vie réelle et de la commune humanité, ces choses des entrailles. […] Et il continue, avec ce sentiment de bonhomie, d’observation et de vérité naïve, à développer un tableau où tout est parfait, où tout enchante, et où il n’y a que le nom de Maman appliqué à Mme de Warens qui froisse moralement et qui fasse peine. […] Le vrai bonheur de Rousseau, celui que personne, pas même lui, ne sut lui ravir, ce fut de pouvoir évoquer ainsi et se retracer, avec la précision et l’éclat qu’il portait dans le souvenir, de tels tableaux de jeunesse jusqu’au sein de ses années les plus troublées et les plus envahies.

278. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — II. (Suite et fin.) » pp. 436-455

Il était temps que je finisse le mien ; ma vue se trouble le soir, je vois les objets doubles, surtout ceux qui sont élevés ou à l’horizon ; mais ma confiance est en Celui qui a fait la lumière et l’œil. » Il est dans le coup de feu de ses tableaux ; l’enthousiasme le prend lui-même en se relisant, et il jouit le premier des beautés qu’il va introduire : « Il y a eu des moments, s’écrie-t-il, où j’ai entrevu les cieux, éprouvant, à la vérité, dans ce monde, des maux inénarrables. » Il sent qu’il a le charme ; le vieux censeur théologien qu’on lui a donné est séduit lui-même, et n’a pu s’empêcher de dire que c’était divin, délicieux : « Je sais combien il faut rabattre de ces éloges, mais ils me font plaisir. […] Puis rejetant ou corrigeant cette première idée : Voulez-vous, dit-il, augmenter l’impression de ce tableau sans toutefois en dénaturer le sujet ? […] Le berger, indiquant le tombeau que la tradition désigne pour celui d’Ariane, ajoute : « Ce monument, ainsi que tous ceux de ce pays, a été mutilé par le temps et encore plus par les barbares ; mais le souvenir de la vertu malheureuse n’est pas sur la terre au pouvoir des tyrans. » Et Bernardin, après avoir achevé son tableau, ajoute à son tour : « Je doute qu’un athée même, qui ne connaît plus dans la nature que les lois de la matière et du mouvement, pût être insensible au sentiment de ces convenances présentes et de ces antiques ressouvenirs. » Qu’a de commun, je vous prie, un athée avec les idées naturelles que fait naître l’histoire d’Ariane d’après Catulle, dans la bouche du berger ? […] Il en fait un tableau enchanteur et moral, dans lequel il n’oublie pas les inscriptions bocagères des amants. […] Cet ouvrage des Harmonies offre encore de très beaux tableaux, aussi beaux que dans aucun des ouvrages précédents, mais aussi toutes les exagérations de système et de style naturelles à l’auteur, et où s’est complu sa vieillesse.

279. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre II. La critique »

Les deux volumes où il a consigné ses impressions du Sahara et du Sahel contiennent des tableaux étonnants, dont la couleur intense fait pâlir les finesses charmantes de sa peinture : ces descriptions sont en un sens de la critique, la critique des sujets, si je puis dire ; car on y voit la réflexion de l’artiste analyser à l’aide des mots des sensations pittoresques dont sa main ne saurait rendre la puissance. […] L’auteur dit ses surprises, ses découvertes, ses dépits, ses ravissements devant des tableaux : c’est un peintre qui saisit la facture, les procédés, et qui, dans la technique, atteint le génie des maîtres. […] Comme Sainte-Beuve dans un livre, Fromentin, dans un tableau, retrouve l’auteur, son développement personnel, ses hésitations, ses recherches, ses acquisitions, toutes les influences qui l’ont modifié, mais aussi et d’abord l’irréductible fond de l’individualité. […] Sainte-Beuve (1804-1869), né à Boulogne-sur-Mer, étudia la médecine, puis se lia avec les romantiques, et fit paraître, en 1828, son Tableau de la poésie au xvie s.

280. (1874) Premiers lundis. Tome II « Henri Heine. De la France. »

Le Globe et la Revue Française achevaient de nous faire comprendre cette Allemagne que madame de Staël avait ébauchée avec feu et génie ; le tableau se déroulait et s’éclaircissait, mais on n’en voyait pas commencer un autre derrière. […] Souvent, le soir, regardant quelque coin de ciel, des toits lointains, çà et là un rare feuillage, je me suis dit qu’un tableau qui retracerait exactement cette vue si simple serait divin ; puis j’ai compris que cette fidélité entière était impossible à saisir directement ; que mon émotion résultait du tableau en lui-même et de ma disposition sentimentale à le réfléchir ; que, de l’observation directe de l’objet, et aussi de la réflexion modifiée de cet objet au sein du miroir intérieur, l’art devait tirer une troisième image créée qui n’était tout à fait ni la copie de la nature, ni la traduction aux yeux de l’impression insaisissable, mais qui avait d’autant plus de prix et de vérité, qu’elle participait davantage de l’une et de l’autre19.

281. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre II. Harmonies physiques. — Suite des Monuments religieux ; Couvents maronites, coptes, etc. »

Le fleuve saint sort du pied de la montagne ; la forêt de cèdres noirs domine le tableau, et elle est elle-même surmontée par des croupes arrondies, que la neige drape de sa blancheur. […] Sur l’isthme de Panama en Amérique, le cénobite peut contempler du faîte de son couvent les deux mers qui baignent les deux rives du Nouveau-Monde : l’une souvent agitée quand l’autre repose, et présentant aux méditations le double tableau du calme et de l’orage. […] Ô tableaux éloquents !

282. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le marquis de Grignan »

Et c’était tellement cela, la coutume de la noblesse de France, que, dans le tableau par Delacroix de la fameuse apostrophe de Mirabeau au maître des cérémonies : Allez dire à votre maître ! […] Du moins, il a fait un tableau du mariage du marquis de Grignan et du supplice de la malheureuse qu’il a épousée, et qui, pour l’avoir sauvé de la ruine, passa sa vie dans l’abandon et dans le mépris ; et ce tableau, digne d’un romancier, semble en promettre un… Quoiqu’il en puisse être, ces facultés d’imagination et d’observation dont le livre que voici a révélé l’existence dans un auteur qui avait paru moins brillamment et moins richement doué, ces facultés, qui ont donné à ce livre nouveau un genre de piquant qu’on n’était pas accoutumé de trouver en un livre d’histoire, prendront-elles assez de développement et de place dans la tête du mâle auteur du Cardinal de Bernis, pour l’entraîner un jour hors d’une voie marquée par un livre si ferme et si exclusivement historique, ou continuera-t-il de les consacrer à l’histoire ?

283. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Le Conte de l’Isle. Poëmes antiques. »

Ce n’était, après tout, qu’un tableau, et il n’y a que cela dans ce volume qui ose bien s’appeler Poèmes ; il n’y a que des tableaux, et des vignettes quand il n’y a plus de tableaux.

284. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 303-308

L’illusion du récit est telle, qu’on ne s’apperçoit pas qu’on lit une Histoire : on ne voit qu’une suite non interrompue de tableaux, qui frappent, intéressent, & qu’on ne quitte qu’en conservant les impressions profondes qu’ils devoient produire. […] Le premier offre un tableau fidele de la vie, de la conduite, des usages, du gouvernement des Hébreux : le second, écrit avec une candeur & une onction peu communes, est en même temps une Introduction à l’Histoire Ecclésiastique, & une éloquente apologie de la Religion.

285. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 115-120

C’étoit peu d’avoir su imiter le plan & la marche de ce Poëte ingénieux, élégant & délicat, il falloit, comme lui, avoir le talent de donner de la vie & de l’intérêt aux tableaux qu’on vouloit présenter. […] Détracteur de la vie, Young, Anglois farouche, Noctambule pressé que le soleil se couche, Pour méditer en paix tes funebres tableaux, Apôtre de la mort, prêchant sur des tombeaux, A travers quel nuage ou quel verre infidele Vois-tu donc les devoirs de la race mortelle !

286. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

Les hommes complètent le tableau. […] Le tableau ne doit avoir que la valeur d’un symbole exprimant une pensée religieuse. […] Un tableau pictural, la « Mona Lisa » du Léonardo, transporte d’admiration tous ceux dont l’œil possède une éducation suffisante. […] Ses tableaux ne font plus seulement appel à la ferveur religieuse, mais aussi au sens de la beauté. […] Le spectateur s’approchait du tableau avec les mêmes convictions.

287. (1803) Littérature et critique pp. 133-288

Les vérités morales sortent en foule de leurs narrations et de leurs tableaux. […] Y eut-il jamais un tableau plus instructif et plus éloquent des fureurs de l’anarchie ? […] Ici les tableaux se succèdent en foule, et le choix serait difficile. […] Le tableau des persécutions éprouvées par Descartes offre, ce me semble, des traits admirables. […] Tel est ce tableau des Invalides que visite le Czar.

288. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1891 » pp. 197-291

Non, les tableaux défilent, et pas un oh ! […] Crosnier qui a joué médiocrement ce soir, me disait, avant le tableau du concierge : « Ah ! […] Eh bien, cette demi-journée perdue, je ne la regrette pas, car ce tableau est un des dix tableaux qui ont donné à mes yeux la grande joie, car ce Turner, c’est de l’or en fusion, avec dans cet or une dissolution de pourpre. Un tableau devant lequel est tombé en extase le peintre Moreau, qui ne connaissait pas même Turner de nom. […] Pour moi c’est un tableau qui a l’air peint par un Rembrandt, né dans l’Inde.

289. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre IV. Des Livres nécessaires pour l’étude de l’Histoire. » pp. 87-211

Quand l’aurore du bon goût commença à éclairer l’Europe, il y eut des auteurs plus dignes de tracer le tableau des révolutions du monde. […] Ces tableaux offrent les couleurs les plus brillantes ; mais il en résulte souvent des portraits d’imagination. […] Le Tableau de l’Histoire moderne, Paris 1766. trois vol. […] Il a des tableaux libertins, qui doivent dégoûter les honnêtes gens. […] Au commencement de chacune, les objets relatifs à cette branche sont présentés dans des colonnes, qui forment autant de tableaux séparés.

290. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Introduction » pp. 5-10

Considérable, car la liste est longue de ceux qui entre dix-huit et trente-six ans on écrit des pages intéressantes, ont participé au mouvement littéraire de ce temps, si fécond en cénacles, si fertile en personnalités curieuses ; dangereux enfin, parce que, malgré deux ans de recherches, nous avons commis des oublis inévitables et surtout parce qu’ayant combattu, nous aussi, dans les rangs de cette jeunesse, nous n’avons pourtant pas hésité à mettre de côté toute camaraderie, toute confraternité, pour présenter un tableau sincère et précis de cette « jeune littérature » dont on parle tant et qu’on connaît si peu. […] Nous avons voulu ce tableau aussi complet que possible — l’expérience nous ayant appris que ce ne sont pas toujours « les petits prodiges » qui réalisent les œuvres les plus caractéristiques.

291. (1885) L’Art romantique

Comparez ce vaste morceau aux quelques lignes suivantes, bien plus énergiques, selon moi, et bien plus aptes à faire tableau, en supposant même que le tableau qu’elles résument n’existe pas. […] Vous souvenez-vous d’un tableau (en vérité, c’est un tableau !) […] Le tableau de la vie extérieure le pénétrait déjà de respect et s’emparait de son cerveau. […] J’ai senti quelque chose d’analogue devant quelques tableaux de Lesueur et quelques toiles espagnoles. […] Le nombre des tableaux qu’on peut créer ainsi est infini.

292. (1879) À propos de « l’Assommoir »

Est-ce à dire qu’il trace d’une main qui ne tremble jamais ses terribles tableaux de dépravation et de vice   Non. […] Le plan primitif comprenait douze tableaux. […] Zola, la question se compliquait de considérations particulières : son œuvre est construite par tableaux ; or, le, théâtre peut bien admettre des tableaux, mais dans un nombre limité   l’action met vingt ans à se dérouler ; bien des morceaux ne peuvent être transportés sur la scène : car les naturalistes les plus intransigeants sont pourtant forcés de reconnaître qu’il y a au théâtre certaines impossibilités, que l’art ne peut pas tout vaincre. […] Voici quelques scènes du neuvième tableau que l’on peut comparer aux pages les plus saisissantes du livre11. […] tu l’as bien mérité. » Ce dernier tableau est désespérant et nous rejette dans les plus vieux mélodrames.

293. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome xviii » pp. 84-92

Le tableau même des intrigues et des boues du Directoire, suffisamment indiqué, n’en éteint pas, tout à côté, les parties honnêtes, recommandables et saines. […] Ce n’est pas un peintre qui se concentre dans des tableaux à part, en y sacrifiant les alentours ; il ne sacrifie rien, il arrive par des revues étendues à un effet d’ensemble, sans rien de bien accentué dans le détail. […] le temps de le satisfaire… Il fallait désormais d’autres tableaux à son patriotisme et à son esprit.

294. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers, Tome xix. (L’île d’Elbe, — L’acte additionnel. — Le champ de mai.) » pp. 275-284

Que de tableaux des Cent-Jours n’avons-nous pas vus paraître ! […] Mais pourquoi aller précisément choisir ce moment pour l’exposition de pareils tableaux ? […] Appelez cela un récit ou un tableau, peu m’importe !

295. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre III. L’analyse externe d’une œuvre littéraire » pp. 48-55

Comment rend-il l’impression que fait sur lui un paysage, un monument, un intérieur, un costume, un visage, un tableau, que sais-je encore ? […] Il reste, pour en finir avec cette longue dissection, à réunir et à mettre en regard dans une espèce de tableau les résultats acquis. […] Rassembler en un tableau d’ensemble ces synthèses partielles, de telle façon que le regard puisse les embrasser d’un coup d’œil est le travail qui achève et résume ces investigations minutieuses.

296. (1906) Propos de théâtre. Troisième série

Grand tableau tragique. […] Des tableaux, des tableaux, des tableaux ! […] Rivollet pouvait s’offrir du tableau scénique à souhait. […] C’est en effet le sujet d’un très beau tableau, parce que dans un tableau on ne peint qu’un instant [Eh ! […] C’est un petit tableau de genre !

297. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Malherbe et son école. Mémoire sur la vie de Malherbe et sur ses œuvres par M. de Gournay, de l’Académie de Caen (1852.) » pp. 67-87

Il eût fait un tableau court, pathétique et chaud de la barbarie où nous étions jusqu’au règne de François Ier. […] Il est des lecteurs simples et à l’âme droite qui, touchés à première vue de ces paysages et de ces tableaux innocents et les ayant pris au sérieux, ont regretté que l’impression en fût ainsi détruite vers la fin et comme tournée en raillerie : ils voudraient retrancher les quatre derniers vers. […] Roi de ses passions, il a ce qu’il désire : Son fertile domaine est son petit empire, Sa cabane est son Louvre et son Fontainebleau ; Ses champs et ses jardins sont autant de provinces Et, sans porter envie à la pompe des princes, Se contente chez lui de les voir en tableau. […] Ces ressouvenirs de la vie gastronomique, qui sont bien à leur place dans la bouche du citadin fraîchement converti et bientôt relaps, feraient tache dans un tableau simplement puisé au cœur de la vie rustique. […] [NdA] On peut voir ce que j’en ai dit déjà dans le Tableau de la poésie française au xvie  siècle (édit. de 1843), et aussi dans l’article Bertaut (même volume, p. 366) ; j’y discute un point essentiel qui avait été contesté. — Enfin j’ai depuis reparlé de Malherbe plus à fond encore, et j’ai repris tout ce sujet avec un entier développement dans un article de la Revue européenne du 16 mars 1859.

298. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Merlin de Thionville et la Chartreuse du Val-Saint-Pierre. »

M. de Lamartine, l’historien fascinateur des mêmes Girondins, annonce qu’il va se réfuter et se corriger à son tour, en revoyant après quinze ans d’épreuve ses éblouissants tableaux. […] Nous arrivons donc un jour avec lui sur l’heure de midi, à cette fameuse Chartreuse dont il nous fait un magnifique tableau pour la grandeur des bâtiments, pour y hospitalité opulente et toutes les choses du dehors, et sur laquelle il nous apporte un véridique et saisissant témoignage en ce qui est des mœurs et des sentiments cachés. […] L’église était resplendissante de dorures et divisée en quatre parties : le sanctuaire, surmonté d’une couronne soutenue par des colonnes de marbre de vingt-cinq à trente pieds de hauteur ; le chœur des chantres, garni de stalles en bois de chêne d’une rare beauté, avec des panneaux incrustés en bois de diverses couleurs, et des tableaux représentant la vie de saint Bruno ; le transept contenant d’un côté l’autel de la Vierge, de l’autre celui de saint Bruno, avec la statue en marbre blanc de ce bienheureux ; la nef, dans laquelle le public était admis une fois l’an, séparée du reste par une haute et magnifique grille, toute chargée de dorures. […] — Je songeais aux jours anciens, et j’avais dans l’esprit les années éternelles. » Au lieu de ce tableau à la Lesueur, Merlin nous fait assister au spectacle d’une communauté mangeante et buvante, qui appellerait le pinceau de quelque maître hollandais grotesque : « A diverses fêtes où les chartreux se réunissaient, on m’accordait la faveur insigne de manger avec eux au réfectoire. […] » Mais la vue de la récréation aux jours de fête, avec la division tranchée des trois groupes, est d’une belle observation morale et d’un effet lugubre, qui termine bien cette suite de tableaux : « Ces jours-là, après les grâces dites à l’église, les chartreux se promenaient dans le grand jardin, en formant trois groupes séparés : les vieillards excluaient leurs confrères au-dessous de quarante ans, et ceux-ci les confrères au-dessous de trente ; les jeunes erraient pour la plupart seuls, craignant de se communiquer leurs tristes et douloureuses pensées ; la tète baissée, ils regardaient la terre et me semblaient lui demander de se hâter de s’ouvrir pour eux.

299. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance »

Il publia en 1801 son Tableau de l’Agriculture toscane, dans lequel, à côté des détails précis, techniques et tels que les peut désirer tout lecteur propriétaire rural, se trouvent des peintures véritables inspirées par la beauté des lieux, et qui ne se rencontreront plus jamais ensuite sous sa plume. […] Voici le premier de ces morceaux, sur les Champs ou les plaines ; après avoir montré les avantages que présente le val de Nievole pour tout ce qui est des terres arrosables et des potagers, l’auteur ajoute : « Le reste de la plaine du val de Nievole mérite encore d’être compté parmi les sols les plus fertiles de la Toscane ; l’œil du cultivateur est cependant étonné, en la parcourant, de n’y voir ni prés ni pâturages, ni presque aucune récolte destinée à la nourriture du bétail. » « Mais il ne peut s’arrêter sur cette idée ; son attention est entraînée, son admiration est commandée par le tableau d’abondance que la campagne étale autour de lui, par l’étonnante variété de productions et de récoltes, qui frappe ses yeux de toutes parts. En quelque lieu qu’il s’arrête, sur quelque métairie qu’il porte ses regards, il voit tout ensemble devant lui, la vigne qui, élégamment suspendue en contre-espalier autour de chaque champ, l’environne de ses festons ; les peupliers, rapprochés les uns des autres, qui lui prêtent l’appui de leur tronc, et dont les cimes s’élèvent au-dessus d’elles ; l’herbe, qui croît au pied de ces élégants contre-espaliers et qui gazonne les bords des nombreux fossés, destinés à l’écoulement des eaux ; les mûriers qui, plantés sur deux lignes au milieu des champs, et à une distance assez grande pour ne pas les offusquer de leur ombre, dominent les moissons ; les arbres fruitiers qui, çà et là, sont entremêlés aux peupliers et à la vigne ; les blés de Turquie qui, s’élevant à six ou huit pieds au-dessus de terre, entourent leurs magnifiques épis de la plus riche verdure ; les trèfles annuels dont les fleurs incarnates se penchent sur leur épais feuillage ; les lupins dont le coup d’œil noirâtre et l’abondante végétation contraste avec la souplesse, l’élégance et la légèreté des seigles non moins vigoureux qu’eux et qui s’élèvent au-dessus de la tête des moissonneurs ; enfin, les blés dont les longs épis dorés sont agités par les vents et rappellent par leurs ondulations le doux mouvement des vagues d’un beau lac. » Le second morceau consacré aux Collines est comme un pendant au tableau des plaines ; celles-ci, dans aucun pays, ne peuvent plaire aux yeux que par l’abondance et la fertilité qui les caractérise. […] Partout le gazon est rapproché du blé, et mêle sa douce verdure à l’or des épis ; les oliviers qui ombragent la plupart des coteaux adoucissent le tableau par les formes arrondies qu’ils prêtent aux coupes les plus rapides et les plus hardies. […] Les femmes et les enfants s’occupent sans cesse à les cueillir ou à les relever, et leur travail présente une tout autre image que celle de l’hiver. » J’ai mis tout le tableau, moins quelques lignes.

300. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin (suite et fin.) »

Fromentin dans ses tableaux et dans ses deux premiers ouvrages, il ne l’est point en vertu d’un choix et d’une prédilection particulière : il a vu l’Afrique tout d’abord et par occasion ; il en a été saisi et en a rapporté de vives images ; il nous l’a rendue sous toutes les formes. […] Veut-on voir ce tableau d’une teinte adoucie et riche encore, agreste et fumeux, plein de vie, curieux à observer après les splendeurs et les stupeurs torrides du Sahara : « On dansait devant la grille de la ferme sur une esplanade en forme d’aire, entourée de grands arbres, et parmi des herbes mouillées par l’humidité du soir comme s’il avait plu. […] Fromentin un peintre heureux, naturel et comme natal ; à en juger par cette application toute nouvelle qui semble une métamorphose, cela ne m’étonnerait pas si bientôt, à l’un des prochains salons, on voyait de lui, sortant de son pinceau comme ici de sa plume, des paysages français de Normandie ou de Touraine, ou de cette même Sèvre niortaise, pour faire pendant et contraste aux précédents tableaux de l’Algérie. […] Fromentin applique, en effet, aux figures le même mode d’expression qu’il a porté dans ses tableaux naturels ; au lieu de s’en tenir à la description pure des traits, du teint, des cheveux et de chaque partie de la personne, à ces signalements minutieux et saillants, qui, à force de tout montrer, nous empêchent parfois de voir et de nous faire une juste idée de l’ensemble, M.  […] Je sentis, à la vive et fraternelle étreinte de ses deux petites mains cordialement posées dans les miennes, que la réalité de mon rêve était revenue ; puis, s’emparant avec une familiarité de sœur aînée du bras d’Olivier et du mien, s’appuyant également sur l’un et sur l’autre, et versant sur tous les deux, comme, un rayon de vrai soleil, la limpide lumière de son regard direct et franc, comme une personne un peu lasse, elle monta les escaliers du salon. » Est-il besoin de remarquer que Dominique, le narrateur qui est ici le peintre, n’a fait entrer dans son tableau que ce qu’il a eu réellement motif de voir, d’entendre, de retenir, ce qui est en rapport avec son sentiment, — le son des grelots qui lui annonçait l’approche désirée, — le voile bleu qui tout d’abord a frappé son regard ?

301. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome IV pp. 5-

Est-ce durant le règne de la Régence qu’il crut nécessaire de chercher en des temps reculés le tableau des mauvaises mœurs ? […] « J’avance, et j’aperçois, dans ce séjour nouveau, « De la fière Pergame un modeste tableau. […] Voilà ce qu’il importait de bien peindre ; et dans ce tableau nous retrouvons l’âme de notre poète, si passionné pour l’humanité. […] « Où sont les doux tableaux si chers à mes loisirs ? […] Il ne fallait pas moins que la vigueur du coloris et que l’énergie du dessin qui relève tant de tableaux du même genre, pour en faire admirer l’innombrable et étonnante galerie.

302. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Léonard »

Léonard161 Dans mon goût bien connu pour les poëtes lointains et plus qu’à demi oubliés, pour les étoiles qui ont pâli, j’avais toujours eu l’idée de revenir en quelques pages sur un auteur aimable dont les tableaux riants ont occupé quelques matinées de notre enfance, et dont les vers faciles et sensibles se sont gravés une fois dans nos mémoires encore tendres. […] Sa destinée incomplète et touchante, revenant se dessiner, comme sur un fond de tableau funèbre, dans le malheur commun des siens, rappellera l’intérêt qu’elle mérita d’inspirer tout d’abord, et nul ici ne s’avisera de reprocher l’indulgence. […] Si idéal, si divin que soit le tableau, il garde encore du réel de la vie. […] Il ne se tient pas du tout à Gessner ; les anciens, Tibulle, Properce, lui fournissent des motifs à demi élégiaques qu’il s’approprie et paraphrase avec une grâce affaiblie ; il en demande d’autres à Sapho, à Bion et à Moschus ; il en emprunte surtout aux Anglais, si riches alors en ce genre de tableaux.

303. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — I. La Thébaïde des grèves, Reflets de Bretagne, par Hyppolyte Morvonnais. »

Rarement il y a un tableau terminé dans ces poésies, le cantique revient toujours et recommence ; c’est comme une redite patriarcale, biblique, qui a son charme, qui a aussi sa satiété. […] Ton fracas me rappelle à de charmants tableaux, Aux jours où je faisais retentir mes sabots     Sur le parquet large et sonore.

304. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre VIII. La Fille. — Iphigénie. »

Le tableau des infortunes que nous éprouvons nous-mêmes nous afflige sans nous instruire. […] Aucune morale ne se rattache d’ailleurs à une pareille imitation : bien au contraire ; car en voyant le tableau de notre état, ou nous tombons dans le désespoir, ou nous envions un état qui n’est pas le nôtre.

305. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VI. Amour champêtre. — Le Cyclope et Galatée. »

Par le jeu d’une multitude d’A, et d’une prononciation large et ouverte, on croirait sentir le calme des tableaux de la nature, et entendre le parler naïf d’un pasteur46. […] Le son de l’A convient au calme d’un cœur champêtre et à la paix des tableaux rustiques.

306. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Lundberg » pp. 169-170

Les deux tableaux furent achevés en même temps, et exposés au même sallon, ils montrèrent la différence du maître et de l’écolier. […] C’est que celui-ci ne s’est jamais occupé de l’imitation rigoureuse de la nature ; c’est qu’il a l’habitude d’exagérer, d’affaiblir, de corriger son modèle ; c’est qu’il a la tête pleine de règles qui l’assujettissent et qui dirigent son pinceau, sans qu’il s’en apperçoive ; c’est qu’il a toujours altéré les formes d’après ces règles de goût et qu’il continue toujours de les altérer ; c’est qu’il fond, avec les traits qu’il a sous les yeux et qu’il s’efforce en vain de copier rigoureusement, des traits empruntés des antiques qu’il a étudiés, des tableaux qu’il a vus et admirés et de ceux qu’il a faits ; c’est qu’il est savant, c’est qu’il est libre, et qu’il ne peut se réduire à la condition de l’esclave et de l’ignorant ; c’est qu’il a son faire, son tic, sa couleur auxquels il revient sans cesse ; c’est qu’il exécute une caricature en beau, et que le barbouilleur, au contraire, exécute une caricature en laid.

307. (1772) Éloge de Racine pp. -

Ce serait à l’auteur de zaïre à louer l’auteur de Phèdre  : mais on pardonne à l’élève qui étudie les tableaux de Raphaël, de croire en sentir le mérite, et de céder à l’impression que font sur lui les chefs-d’oeuvre qu’il ne saurait égaler. […] Racine, plus profond dans la connaissance de l’art, s’ouvrit une route nouvelle, et la tragédie fut alors l’histoire des passions et le tableau du coeur humain. […] Les anciens avaient connu les grands tableaux, les situations, le naturel du dialogue. […] Le crime et la vertu, représentés, l’un par Narcisse, l’autre par Burrhus, et se disputant l’ame de Néron, formaient un tableau sublime, mais qui devait d’abord échapper aux regards de la foule. […] Il n’avait pu résister à l’impression que faisait sur lui l’injustice de ses détracteurs, et il condamna son génie au silence : il n’avait pu résister à la pitié que lui inspirait la misère des peuples, et quand il en eut tracé le tableau qui affligea Louis XIV, il ne résista pas non plus au chagrin de la disgrace.

308. (1909) Nos femmes de lettres pp. -238

Mme Lucie Delarue est bien elle-même, quand elle fixe ces petits tableaux de Nature, et son originalité n’a pas d’autre cause que sa sincérité. […] Si nous nous tenons à la prose, les cris déchirants d’une Lespinasse nous présentent un tableau, sous forme de confession, qui n’a pas d’analogue et ne saurait en avoir sous une signature virile. […] Tout à l’heure nous observions la grâce de tel tableau. […] Je sais peu de tableaux comparables à cette scène d’abandon dans la Maison du Péché, pour nous convaincre que cet abandon est un instant de brève folie. […] On chercherait à tort ici un tableau de la littérature féminine telle qu’elle se présente aux environs de l’année 1908.

309. (1773) Discours sur l’origine, les progrès et le genre des romans pp. -

On le met en pendant avec le Roman Comique ; mais c’est comme on y met certains tableaux, uniquement parcequ’ils sont de la même forme au défaut d’être de la même main. […] L’Albâne mettoit plus de petits détails dans ses tableaux que Michel-Ange dans les siens, & tous deux ont rempli leur objet. […] Le sombre de ses tableaux en fait presque l’intérêt. […] Ils ne cesseront point d’être le tableau des passions ; mais ils pourront en devenir le correctif. […] J’ai vu qu’il pouvoit résulter de cette position des tableaux intéressants, même pour ceux que le sort a placés dans une sphere plus élevée.

310. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — La synthèse »

Relisant le livre, évoquant le tableau, faisant résonnera son esprit le développement sonore de la symphonie, l’analyste, considérant ces ensembles comme tels, les restaurant entiers, les reprenant et les subissant, devra en exprimer la perception vivante qui résulte du heurt de ces centres de forces contre l’organisme humain charnel, touché, passionné et saisi. […] Barbey d’Aurevilly, les études des de Goncourt et de Théodore de Banville, les descriptions de tableaux du Voyage en Italie de Taine, certains récits d’auditions par Baudelaire seraient ce que nous réclamons, s’ils étaient basés, cependant, sur l’enquête analytique préalable sans laquelle ces pages de haute littérature demeurent la constatation insuffisante d’une émotion morale inexpliquée. […] Les contemporains, les auteurs de mémoires, les comiques et les moralistes du temps, les représentations graphiques, des tableaux aux caricatures, les mille faits épars de la vie de tous les jours, la reconstitution architecturale et géographique des lieux, des monuments et des villes, tous les départements de la vie publique, de la politique à la théologie, seront mis à contribution, fouillés en quête de détails typiques et significatifs ; ces notions sur le vêtement, la demeure, le séjour, sur les habitudes intimes et sociales, sur le type ethnique, sur les relations célestes et humaines, sur toute la vie en somme du groupe formé autour d’une œuvre ou autour d’une famille d’œuvres, groupe qui comprendra tantôt tout ce qui est notable d’une nation, tantôt toute une classe, tantôt enfin un nombre épars d’individus dont il faudra rechercher les points d’union, — seront dégagés, fondus ensemble, ordonnés, et plaqués enfin sur la sorte de squelette psychologique que l’on aura obtenu antérieurement par l’ordre de recherches que nous avons exposé au précèdent chapitré.

311. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXI. Des oraisons funèbres de Bourdaloue, de La Rue et de Massillon. »

Toutes les expressions de l’un sont des tableaux ; l’autre, sans coloris, donne trop peu d’éclat à ses idées. […] Tel est le fond du tableau que nous présente l’orateur ; il peint en même temps la jeune duchesse de Bourgogne, adorée de la cour, et dont les vertus aimables mêlaient quelque chose de plus tendre aux vertus austères et fortes de son époux ; il la peint frappée comme lui, expirante avec lui, sentant et le trône et la vie, et le monde qui lui échappaient, et répondant à ceux qui l’appelaient princesse : Oui, princesse aujourd’hui, demain rien, et dans deux jours oubliée. […] Tout l’ouvrage est une suite de tableaux qui, trop rapprochés, se nuisent pour l’effet.

312. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Conduite de l’action dramatique. » pp. 110-232

Racine l’a quelquefois négligée aussi dans ses cinquièmes actes : c’est qu’alors on les mettait rarement en tableaux. […] Depuis que la forme de notre théâtre permet que les cinquièmes actes soient en tableaux, les auteurs n’obtiennent plus l’indulgence qu’on avait pour ceux du siècle passé. […] Que de tableaux dans ce peu de vers ! […] Il n’y a presque pas une de ces variations qui ne forme un tableau, et qui ne soit digne du pinceau d’un Caravage. […] Là, profitant de l’étendue de son théâtre, elle agrandit et varie ses tableaux, se répand dans la fiction, et marie à son gré tous les ressorts du merveilleux.

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