Il semblait regarder toutes ses impressions comme des inspirations, et les recueillait à la hâte comme des hallucinations de la sibylle ou les pensées sacrées des prophètes. […] La pensée, l’unité, la politique, la résolution, tout leur manquait. […] Sa pensée était ailleurs. […] Les hommes légers au commencement de l’action deviennent peu à peu sérieux, dévoués, tragiques comme la pensée qui les enveloppe et les élève dans son tourbillon. […] ” s’écriait-il en s’arrêtant quelquefois comme devant une pensée soudaine et comme devant une apparition, “les scélérats !
L’invention des symbolistes consiste peut-être à ne pas dire quels sentiments, quelles pensées ou quels états d’esprit ils expriment par des images. […] Chose inattendue, ce poète, que ses disciples regardent comme un artiste si consommé, écrit par moments (osons dire notre pensée) comme un élève des écoles professionnelles, un officier de santé ou un pharmacien de deuxième classe qui aurait des heures de lyrisme. […] C’est ma pensée De toute éternité, pauvre âme délaissée, Que tu dusses m’aimer, moi seul qui suis resté. […] Voix des bonnes pensées Innocence ! […] Et c’est pourquoi, Sagesse à part, il est à peu près impossible de résumer ses recueils, d’en donner la pensée abrégée.
M. de Régnier surtout se tient à l’écart des nouvelles recherches sur l’expression sonore de la pensée poétique ; M. […] Et pourtant ce poète se révèle un subtil écouteur de sa pensée lorsqu’il écrit Eurythmie. […] Griffin, le rythme est le lieu même de sa pensée. […] Que le je de ses vers désigne le Porcher, l’amant d’Yeldis ou l’évocateur d’Hélène, l’auteur met en scène — sans le vouloir, je le crois bien, — un narrateur qui paraît se confondre avec lui, et l’on aperçoit ses gestes derrière la pensée qu’il déploie. […] Mais que feront des poètes moindres, que fera l’adolescent littérateur qui jette sa pensée vierge dans le tumulte des images et des rythmes ?
Tout pour les yeux, rien pour la pensée. […] Les gymnosophistes étaient le point d’intersection de la lubricité et de la pensée. […] Toutes les merveilles de la pensée sont là, l’ironie vient les compliquer et les compléter. […] Elle est encore à cette heure une des capitales de la pensée humaine. […] Rien ni personne ne saurait appréhender la pensée au corps.
Il ne serait pas juste de juger la pensée, de l’auteur sur une première partie qui attendait son développement ; il est permis pourtant de dire que cette vue des deux sociétés et des deux régimes fut conçue trop exclusivement sous une inspiration de circonstance. […] La correspondance est très riche, pleine de cœur et de pensée. […] L’orateur le plus spirituel et le plus facile de nos grandes assemblées15 disait un jour de lui par une ironie légère : « Quand je considère intuitivement, comme dirait M. de Tocqueville… » Voilà pour le dehors ; mais de près, dans un cercle moindre, devant un comité, dans une Académie, il reprenait tous ses avantages, toutes ses distinctions, netteté, finesse, nuance, une expression ferme et décisive, une pensée continue, un accent ému et vibrant donnant la note de l’âme. […] Et toutefois, en vieillissant, nous avons acquis notre sérieux aussi, nous avons notre expérience des choses et notre résultat moral ; pourquoi hésiterions-nous à en user pour, dire notre pensée, pour témoigner avec respect nos dissidences et toucher les points qui nous séparent ?
Je ne parlerai donc pas de vous cette fois, Armand Renaud, auteur des Poëmes de l’amour 25, des Caprices de boudoir 26, et en dernier lieu des Pensées tristes 27, vous qui avez déjà eu trois manières ; qui, après avoir commencé par vous inspirer aux hautes sources étrangères et par moissonner la passion en toute littérature et en tout pays ; — qui, après vous être terriblement risqué ensuite aux ardentes peintures d’une imagination aiguë et raffinée, en êtes venu à vous interroger vous-même plus à fond, à vous sentir, à fouiller en vous, à chanter vos propres chants, à pleurer vos propres larmes. […] Je dirai toute ma pensée : avec les talents nouveaux, le critique des poëtes est à tout moment entre deux écueils : il peut se tromper par confiance ou par dédain. […] Il a corrigé la monotonie qui s’ensuivrait bientôt, par de jolis sonnets où se mêle la pensée ou la fantaisie ; celui qui a pour titre Sous bois est un bijou, un petit cadre hollandais, ou tout simplement un cadre français moderne. […] Plus je tarde et plus il me vient à la pensée de noms qui se pressent et qui auraient droit de se plaindre de l’oubli.
Ce jeune homme à l’œil ardent, à la parole inspirée, au geste quasi prophétique, qui parlait de la spiritualité de l’âme avec enthousiasme et qui semblait recéler prématurément en lui un germe mortel, frappait les imaginations et reportait la pensée aux leçons de l’école de Platon dans l’Antiquité. […] Une circonstance particulière l’ayant amené à examiner le texte des Pensées de Pascal, il s’aperçut qu’il y avait de notables différences entre l’imprimé et le manuscrit original. […] « Dans sa jeunesse, il a fait longtemps une illusion complète à ses premiers amis et disciples ; il régnait sur eux, il les poussait aux grandes choses, aux grands travaux, aux nobles pensées, voire même aux conspirations généreuses. […] Croyez-bien, — ou plutôt laissez-moi être persuadé que vous le saviez déjà, — que votre pensée n’a cessé un moment de m’être présente pendant que je m’occupais de l’illustre ami que nous avons tous perdu.
La pensée sérieuse et élevée de cet ouvrage le distingue de tant d’autres productions romanesques du moment, et mérite une attention que soutient le talent de l’auteur. […] D’abord ce duc, qui a eu deux ancêtres ministres sous Louis XV, qui a puisé dans sa famille une pensée politique suivie et des traditions ambitieuses ; ce duc, aujourd’hui démocrate et socialiste avec arrière-pensée, quel est-il ? […] Aussi, le soir, quand il prit congé de ses hôtes, il leur laissa l’idée qu’il était né pour être heureux, et qu’il mourrait ignoré et content au bord du lac, seul témoin destiné à recevoir l’entière confidence de ses pensées. » Rousseau ne donne plus de ses nouvelles, et ses amis croient qu’il les a oubliés. […] Le jeune Steven de Travendahl, fils d’un général de Charles XII, qui a péri à Pultawa, s’est retiré dans ce pays de Hartz avec sa mère, avec sa sœur ; devenu le chef respecté des intrépides mineurs, il n’a, d’ailleurs, qu’une pensée : servir sa mère, lui obéir, consoler sa triste sœur Mina, qu’une langueur secrète dévore.
Il appartient, par sa pensée, au même groupe que Condorcet et Volney : il a le culte et l’ivresse de la raison, et son rêve a été de donner une expression poétique aux conquêtes de la raison. […] Cette poésie-là, avec plus de force de pensée, plus de génie et d’art dans l’expression, n’est encore que la poésie des Delille et des Esménard : elle est essentiellement didactique, analytique, intellectuelle ; elle ne dépasse pas le ton oratoire. […] Sa Camille « aux yeux noirs », sa « Julie au rire étincelant », sa Rose « dont la danse molle aiguillonne aux plaisirs », sont de faciles créatures ; et ce qu’il espère, ce qu’il se promet de ses vers, c’est qu’ils soient un code d’amour et de volupté ; c’est qu’ils échauffent les désirs dans les jeunes âmes, et qu’ils éloignent « du cloître austère » la pensée des vierges619 . […] Dans André Chénier, le rythme est libre et délié : la pensée se déroule à travers les alexandrins et les octosyllabes, sans autre loi ni mesure que leur régulière alternance.
Théodore de Banville, par exemple, le développement large et calme d’une pensée maîtresse d’elle-même. […] Théodore de Banville, je rappellerai ce que je disais il y a un an, à propos de ses Odelettes : « Des deux grands principes posés au commencement de ce siècle, la recherche du sentiment moderne et le rajeunissement de la langue poétique, M. de Banville a retenu le second… » Dans ma pensée, je retenais le premier pour M. […] Comme un grand chien noyé dans les ombres d’Hécate, Et puis tu fus noyer ta pensée délicate Dans la nuit, de la parole et du geste, complètement. […] Dirai-je ton séjour sous les cieux exotiques, Ton amour pour l’étrange, le rare et le beau, Tes maîtresses plus parées que des idoles antiques, Ta pensée plus choisie que le chant des oiseaux, Plus profonde que la mer et que les tombeaux, Plus haute que les colonnades et les portiques… Dirai-je tes amours, tes cris et tes blasphèmes, Tes appels au dieu noir, ta recherche des poisons, La sauge et la ciguë tressées pour tes diadèmes.
D’abord qu’on me montre l’orateur ou l’écrivain qui ait rempli sa mesure, qui ait conscience d’avoir dit tout ce qu’il aurait voulu et pu dire, qui n’ait jamais senti trembler au bout de sa plume ou au bord de ses lèvres une pensée restée inexprimée. […] Ce ne sont plus maintenant des documents toujours destinés au public qu’il s’agit d’interpréter : ce sont des paroles échappées dans la causerie, des lettres intimes où la pensée se montre sous forme familière et parfois dans toute sa nudité ; ce sont des actes où se trahit la vraie nature de celui qui les commet. […] On cherche à savoir, au moyen de procédés ingénieux, de tests, comme on dit en langage technique, quelle est chez lui l’association habituelle des idées, quelle mémoire il a des couleurs, des sons, des mots, des phrases, des pensées ; comment il apprécie la distance, la durée, les dimensions des objets, à quel degré il possède l’adresse des mouvements, la facilité de la parole, etc. […] Sans doute la biographie ne permet pas toujours de saisir d’une atteinte aussi sûre et aussi directe les motifs qui ont dirigé la plume d’un auteur, les influences qui ont agi sur sa pensée.
Je mentirais à ma pensée si je ne disais que ce fut quelquefois le cas pour M. de Montalembert. […] Depuis lors, son beau talent, avec la fermeté, la souplesse et la vigueur qui le distinguent, avec cet art de présenter la pensée sous des aspects toujours larges et nets, avec l’éclat et la magnificence du langage qui ne se séparent point chez lui de la chaleur du cœur, s’est mis tout entier au service non seulement des belles causes, des causes généreuses, mais aussi des choses praticables et possibles. […] Le tout est enveloppé dans une sorte de circulation vive qui ne laisse apercevoir aucun intervalle, et qui fait que les jets du moment, les pensées méditées ou notées, les morceaux tout faits, se rejoignent, s’enchaînent avec souplesse, et se meuvent comme les membres d’un même corps. […] M. de Montalembert a donc encore à gagner dans l’avenir, surtout s’il est vrai, comme l’a remarqué l’antique Solon dans de beaux vers qu’on a de lui, que l’accord parfait de la pensée et de l’éloquence ne se rencontre avec plénitude que de quarante-deux à cinquante-six ans.
Le poète a le droit de n’en pas tenir compte, — en tout cas c’est pour lui une secondaire pensée. […] Car tous les instincts et tous les vouloirs, tous les sentiments, toutes les pensées dont sont formés les hommes, ils auront à les découvrir, à les manier, et les joindre. […] Chacun y versa les pensées qu’il se crut forcé d’y avoir et qu’il n’eut jamais eues sans elle. […] La forme et la pensée.
Ces nobles cœurs font plaisir à voir, et on aime leurs écrits malgré la singularité de leurs pensées. […] Telles étaient les pensées de l’école doctrinaire. […] Un autre homme éminent, plus grand écrivain et plus puissant penseur que Carrel, apportait alors à la démocratie sa parole enflammée, son imagination amère, ardente, quelquefois si tendre et si douce, ses sombres colères, tout l’éclat de son style ; mais il ne lui apportait pas une pensée. […] Le vide de cette pensée, revêtue d’un si grand style, a quelque chose d’affligeant.
Et dites-moi, je vous prie, quel est l’homme supérieur qui se résignerait aujourd’hui à rentrer dans ce huis-clos étouffant de la décentralisation, et qui s’habituerait à cette pensée : « Tout ce que j’ai dans la tête, toutes ces idées que je sens vivre, marcher, s’agiter dans mon cerveau, je vais les produire au dehors, les formuler dans une magnifique expression, pour qu’elles meurent entre Angoulême et Barbezieux ? […] Cette vie, cette activité de la pensée, c’est la centralisation qui la donne et qui peut seule la donner. […] Que je comprends bien cette parole d’un jeune écrivain plein de sève et de fougue, qui était venu passer six mois dans un département du Midi, six mois de commerce journalier avec des gens qui ne hasardent jamais une idée sans s’être assurés qu’elle a pour elle la prescription : « Si je devais rester ici trois mois de plus, je n’aurais plus la force de produire une pensée. » C’est grâce à la centralisation — maudite et honnie — que sont possibles ces hardies innovations où se retrempent les littératures fatiguées. […] C’est l’éloignement de Paris, direz-vous, c’est sa séquestration volontaire en province, qui ont conservé au poète de Psyché cette pureté de pensées qu’on tache si vite à Paris.
Roselly de Lorgues ne s’est pas contenté de tirer de pareilles données tout ce qu’elles contenaient, mais, prenant de plus les faits d’une vie dont voilà l’effort et la pensée, il a montré qu’ils étaient providentiellement en harmonie avec la sainteté de Colomb, et nous avons eu une histoire dans laquelle le merveilleux et le romanesque, diront nos ennemis, mais la vérité catholique, dirons-nous, dominent les chétives clairvoyances et les clignotantes explications ! […] Pour avoir fait rayonner un point de vue supérieur sur son ouvrage et pour l’en avoir illuminé, l’auteur n’en a pas pour cela asphyxié sa pensée. […] C’est la première grande œuvre qu’on ait érigée à la mémoire d’un des plus grands hommes qu’ait eus l’humanité, car il n’y a pas une seule pensée dans la vie de Colomb qui ne soit grande, depuis la pensée de sa découverte jusqu’à celle de ses fers, mis dans son tombeau.
Dans l’état de la pensée et des connaissances contemporaines, il faudrait élever contre les anciennes préventions un de ces livres péremptoires, éclairés également par la réflexion et par la science, et qui gardent, en littérature, la solidité d’un édifice, après avoir fait le bruit d’un renversement En d’autres termes, un chef-d’œuvre ne serait pas de trop pour purifier d’une seule fois tous les courants où l’Opinion, cette brebis qui n’est pas sans tache, se désaltère avec moins d’innocence que l’agneau de la Fable, et pour rasseoir dans une limpidité profonde ce cristal de l’Histoire que tous les genres de passion ont remué par la plume de tant d’écrivains et en particulier par celle de Voltaire. […] Mais pour les hommes chez qui la conscience religieuse n’est pas très développée, pour les hommes que le catholicisme trouve hostiles ou seulement indifférents, il aurait été bon de sortir de ces termes devenus trop amples et trop flottants de conscience religieuse et de catholicisme, et, puisqu’on différait de principes, de pensée ou de sensation, de montrer à l’intelligence politique des faiseurs d’histoires, ce que c’était, conscience à part et vérité divine à part, que le catholicisme en France, quand la Ligue se leva pour le défendre. […] M. de Chalambert en convient comme nous, malgré la modération de sa pensée. […] Nous ne savons rien de la vie de cet écrivain ; mais nous ne serions point étonné qu’il eût écrit son livre dans la simplicité de son cœur, sous les clématites de sa province, loin des hommes auxquels il faut arracher les préjugés d’une main plus ferme quand ils en ont dans la pensée, quitte à les faire saigner un peu, comme les Chirurgiens, pour les guérir.
Dire comment il n’est que le troisième, expliquer sa place hiérarchique dans l’ordre de composition qu’il avait choisi pour les ambitions et les bonheurs de sa pensée, nous donnera l’occasion de poser quelques-unes de ces idées générales préliminaires sur lesquelles la Critique doit s’élever pour mieux juger les hommes qui seraient plus haut qu’elle de plain-pied. IV Trois sortes d’esprits règnent sur le monde, — aussi bien sur le monde de l’Action que sur le monde de la Pensée : l’esprit religieux, l’esprit social, l’esprit individuel, et jamais l’Histoire, qui les reconnaît tous les trois, n’a songé même à discuter leur hiérarchie. […] Eh bien, dans l’ordre de la pensée pure appliquée, la Critique, comme l’Histoire, doit étager les grandes aptitudes intellectuelles avec la même rigueur et suivant la même loi ! […] Gozlan avait longtemps vécu dans l’intimité de Balzac, comme il était allé je ne sais où en Afrique sur un vaisseau négrier, et il avait gardé ces deux coups de soleil : l’impression de Balzac sur sa pensée, la lumière d’Afrique dans ses yeux ; il s’était doré à ces deux choses.
Ce qui peut adoucir — si cela semble nécessaire — l’amertume de pareils reproches, c’est la pensée qu’ils n’ont qu’un temps, et que l’esthétique doit fatalement réédifier la base étroite qui lui sert encore de soutien. […] En effet l’œuvre, dans sa pensée, est toujours adaptée à sa destination, et on comprend quelle richesse d’imagination suppose cette scrupuleuse adaptation de l’édifice à son but. […] Les motifs de ses vitraux, de ses étoffes, de ses objets d’art, de ses meubles, de tel lustre électrique, de tel départ de lampe, de telle décoration murale, sont entièrement conçus par lui, sortent exclusivement de sa pensée, en dehors de toute interprétation de la nature. […] Si je ne craignais d’employer ici un langage purement philosophique et de m’autoriser d’une simple analogie, je dirais que son art est à la fois moniste et panthéiste, et qu’il se rattache par là au principe même de la pensée moderne.
La pensée ne se formule plus ; la forme seule se contourne et se tourmente pour voiler le squelette qu’elle habille. […] De pensée commune, il n’y en a pas. […] On ne leur demande ni beauté, ni dessin, ni pensée, ni contours. […] De but, il n’y en a pas ; de pensée, il n’y en a pas ; de foi, de croyance, de mission, d’amour, il n’y en a pas. […] Toute pensée sérieuse paraît lui faire peur.
On annonce la publication d’une édition définitive des Pensées. […] L'abbé Flottes veut justifier Pascal, non-seulement de toute accusation de fanatisme (et il a bien raison en cela), mais encore de toute pensée et presque de toute émotion sceptique (ce qui est plus contestable).
Au milieu de ces œuvres pratiques et dans les intervalles solitaires, sa pensée a quelquefois cherché, par instinct, la mélodie. […] Dans la Vocation du poète, le voile de la pensée ne se lève nulle part nettement.
. — Les Pensées d’une solitaire [précédées d’une autobiographie] (1883). […] Sully Prudhomme Ses qualités sont précisément celles qu’on rencontre le plus rarement chez les écrivains de son sexe : la vigueur de la pensée et l’éloquence de l’expression.
Si l’on veut cependant les apprécier à leur juste valeur, on adoptera la définition du célebre Huet, qui les appeloit Montaniana, c’est-à-dire, un Recueil de Pensées, de bons Mots, & de Remarques de Montagne. […] Des traits d’Histoire semés adroitement, des réflexions judicieuses, des pensées agréables & souvent énergiques, l’art d’exprimer de grandes choses d’une maniere naïve, l’abondance des métaphores, la multitude & la variété des images, sont des titres suffisans pour contenter les Esprits superficiels, parce qu’ils se laissent facilement entraîner à ce qui leur plaît, & qu’ils sont incapables de rien approfondir.
Cette image du cygne, volontiers employée par lui dans ses vers, était son propre emblème et revenait involontairement à la pensée en le lisant. […] C’était, dans sa pensée, un simple prélude pour des œuvres originales ; mais de plus hardis, de plus puissants le devancèrent et livrèrent les premiers le grand combat. […] Mais ce qui est certain, c’est que dans le tête-à-tête il dévidait devant vous de fort jolies choses, des choses pensées et perlées, lorsqu’on lui laissait le temps de les dire et qu’on avait la patience de les entendre. […] … Ce poème est des plus beaux par la pensée. […] Une pensée de la jeunesse réalisée par l’âge mûr. » J’ai épuisé non pas tout ce que j’avais à dire, mais ce qu’il y a d’essentiel dans ma manière propre déconsidérer l’homme et le poète et de les juger.
Ici il y avait eu transformation directe de la pensée en sensation. » — Plusieurs exemples de transformations semblables sont cités par les aliénistes23. […] Assez souvent, j’ai réussi à expliquer, par les lois connues de l’association des idées, comment le pressentiment avait pu s’insérer dans la série des pensées que j’avais alors. […] — Quelques secondes s’étant écoulées, je ressaisis le fil de mes pensées, qui avait été rompu par ma recherche du Waldbruder, et, avec la plus grande facilité, je trouvai que l’idée de mon ami, par une nécessité très simple, avait dû s’introduire dans la chaîne de mes pensées. […] Je restai préoccupé de cette conversation, et il me vint à la pensée que mon maréchal des logis pourrait bien faire un rapport contre moi au ministre de la guerre. […] Sandras parle d’hallucinations qu’il a eues lui-même dans une maladie, pendant laquelle il prenait ses propres pensées et ses désirs pour des voix.
Loin de moi donc cette pensée d’une cession de biens et d’une évasion de ma patrie. […] Les vainqueurs ont été forcés de prendre les mœurs des vaincus ; la pensée a triomphé de la force ; le palais des souverains tartares a continué à être le sanctuaire de la philosophie et de la littérature. […] Le souverain connaît ainsi, sur tous ses actes, la pensée des peuples. […] Plein de mépris pour de tels souverains, pourrait-il me tomber en pensée de marcher sur leurs traces ? […] Dans les derniers chapitres, quelquefois ce sont des pièces de vers entières des plus célèbres poètes, quelquefois des vers de toutes les mesures et de tous les styles, mais remarquables ou par les choses, ou par les pensées, ou par le choix et le brillant des expressions.
Mais, outre qu’il y a dans la surprise un élément intellectuel, — à savoir la claire conscience d’un changement et la pensée d’une cause de ce changement, — le coup pur et simple de la surprise est lui-même un effet dérivé. […] Plus tard seulement, quand le sentiment de la « résistance » mécanique aura perdu par l’habitude tout caractère douloureux pour devenir presque indifférent à la sensibilité, la pensée se développera, la pensée en apparence indifférente elle-même, qui est pourtant inséparable de la sensibilité et de la motilité. […] Il en est de même pour les fonctions de la pensée, fût-ce la simple attention et « aperception » : ce que nous pouvons difficilement apercevoir, ce qui est trop grand ou trop petit, trop confus ou trop indistinct, ce qui arrête le regard de la pensée et tend à supprimer la pensée même, produit un commencement de déplaisir. […] C’est que, devant l’immensité du ciel, de la mer ou de la montagne, la possibilité d’apercevoir l’ensemble, d’embrasser tout du regard ou même de l’imagination nous est enlevée ; mais, par un effort supérieur de la pensée, nous concevons l’infini et anéantissons l’obstacle matériel devant l’idée intellectuelle. […] La grâce est produite par une surabondance qui a pour résultat l’affranchissement du rude « combat pour l’existence », la liberté et l’aisance des mouvements, le jeu facile de la pensée, l’expansion du cœur et la générosité du vouloir : le vrai plaisir est la grâce de la vie.
Et Gautier dans ce logis inhospitalier de tous les côtés, près de cette femme s’en reculant bourgeoisement, de crainte que son cigare ne brûle sa robe, Gautier sème intarissablement les paradoxes, les propos élevés, les pensées originales, les fantaisies rares. […] — Le sommeil dans le travail et la prise de la pensée par la création, une suspension taquine, un arrêt bête du cerveau. […] Elle ne périra pas par les grandes et nobles attaques de la pensée, mais tout bonnement par le bas poison, le sublimé corrosif de l’esprit français : la blague. […] Je lui écris aussitôt de n’en rien faire, en lui disant ce qui a été toujours notre pensée : qu’un homme de lettres a le droit de l’accepter, mais non celui de la demander. […] * * * — On ne saura jamais combien les marchands de la pensée et de l’écriture des autres, sont bêtes.
La bourgeoisie de France, mieux renseignée, voyait dans Victor Hugo une des plus parfaites et des plus brillantes personnifications de ses instincts, de ses passions et de ses pensées. […] Enfin arrive le grand jour : Hugo reconquérant la liberté de sa pensée, ne sera plus obligé de flatter les rois en public et de chérir la république dans son for intérieur. […] Victor Hugo est mort sans prêtres, ni prières ; sans confession ni communion, les catholiques en sont scandalisés ; mais les gens à bon Dieu, ne peuvent lui reprocher d’avoir jamais eu une pensée impie. […] Mais la critique historique qui n’admire ni ne blâme, mais essaye de tout expliquer, adopte l’axiome populaire, il n’y a pas de fumée sans feu ; elle pense que l’écrivain acclamé par ses contemporains, n’a conquis leurs applaudissements que parce qu’il a su flatter leurs goûts et leurs passions, et exprimer leurs pensées et leurs sentiments dans la langue qu’ils pouvaient comprendre. […] Ils reconnurent dans Hugo, couronné de l’auréole du martyre et flamboyant des rayons de la gloire, un homme de leur espèce et plus on exaltait son dévouement au Devoir, son amour de l’idée et la profondeur de sa pensée, et plus ils s’enorgueillissaient de constater qu’il était pétri des mêmes qualités qu’eux.
j’ai beaucoup examiné et comparé, et je puis vous assurer qu’à partir d’une certaine date de notre histoire (car je ne parle pas des premiers siècles et des premières races), Mézeray est encore notre meilleur historien. » Ce jugement m’était resté dans la pensée, lorsque peu après je rencontrai une réimpression d’une partie de l’Histoire de France de Mézeray, Le Règne de Henri III, que venait de publier en province M. le pasteur Scipion Combet25, en y joignant une notice sur Mézeray qui confirmait de tout point les idées du premier juge. […] Primitivement et dans la pensée de l’auteur, il avait dû l’être au cardinal de Richelieu. […] En quelque endroit qu’il porte ses armes, il trouve à son arrivée toutes choses prêtes à le couronner de gloire, et vous faites beaucoup plus pour lui que jamais le bonheur ne fit pour César, puisqu’il a vaincu souvent avant même que d’avoir vu… Résumant dans un tableau qui n’est pas trop emphatique cette politique armée qui se montre partout à la fois en divers pays, qui soutient des luttes et des alliances sans nombre, et où la supériorité de la pensée se fait toujours sentir dans l’exécution : J’en prendrais à témoin, s’écriait-il, et La Rochelle et Nancy…, si Perpignan n’en était un témoignage plus nouveau et pour le moins aussi glorieux. […] Il aura, en se perfectionnant, de ces rapidités de récit qui sont même d’un grand écrivain ; parlant, dans l’Abrégé chronologique, des premiers succès de Conradin en Toscane : « Ces beaux commencements, dit-il, trahirent le jeune Conradin et le flattèrent pour le mener à la mort. » Il ne faut point faire, toutefois, comme Perrault, et aller jusqu’à comparer Mézeray à Thucydide ; les discours qu’il place dans la bouche de certains de ses personnages ont de la pensée sans doute, mais on a très bien remarqué que Mézeray écrit d’abondance et n’a point de phrase, c’est-à-dire de forme à lui ; il suffit que sa diction soit naturelle, sincère, expressive, sa narration pleine et bien démêlée. […] Frantin, auteur des Annales du Moyen Âge et d’une édition des Pensées de Pascal, la meilleure qu’on eût faite avant la restitution du texte.
Daru fut de ceux, qui, à la force de corps et à la force de tête, montrèrent qu’ils savaient unir celle de l’âme ; mais lui-même, si de son dernier séjour il y met encore sa pensée, il ne voudrait point qu’en passant devant ces grands désastres et ces luttes dernières, on n’y entrât que pour se donner occasion de le louer. […] Et il cite à quelques pages de la lettre du général Bonaparte à Villetard, dans laquelle il est dit des bavards et des fous, à qui il n’en coûte rien de rêver la république universelle : « Je voudrais que ces messieurs vinssent faire une campagne d’hiver. » Traversant avec Bonpland les forêts de l’Amérique centrale et rencontrant dans une mission écartée un curé théologien qui se mit à les entretenir avec enthousiasme du libre arbitre, de la prédestination, et de ces questions abstruses chères à certains philosophes, Alexandre de Humboldt, en sa relation, ajoute : « Lorsqu’on a traversé les forêts dans la saison des pluies, on se sent peu de goût pour ce genre de spéculations. » Faire une campagne d’hiver, ou traverser les forêts vierges dans la saison des pluies, double recette pour se guérir ou de la fausse politique ou de la vaine métaphysique ; c’est la même pensée de bon sens rendue sous une image différente, et je me suis plu souvent à rapprocher les deux mots. […] Daru ne soit point devenu le serviteur actif d’un nouveau régime, et que dans l’avenir son nom demeure attaché à un seul et incomparable règne par le clou de diamant de l’histoire. — En parlant ainsi, il ne saurait me venir à la pensée de faire injure à la Restauration, dont j’apprécie les mérites et les hommes : je ne songe qu’à l’unité dominante qu’on aime à voir dans l’étude d’une vie, à cette lumière principale qui tombe sur un front, et si en ceci je parais sentir un peu trop l’histoire en artiste, qu’on me le pardonne. […] Dans l’épilogue qui termine le chant VIe et que je veux citer pour exemple du ton, l’auteur se représente comme ayant passé la nuit à méditer sur ces astres sans nombre et sur tout ce qu’ils soulèvent de mystères, jusqu’au moment où l’aube naissante les fait déjà pâlir et quand, à côté de lui, l’insecte s’éveille au premier rayon du soleil : Ainsi m’abandonnant à ces graves pensées, J’oubliais les clartés dans les Cieux effacées : Vénus avait pâli devant l’astre du jour Dont la terre en silence attendait le retour ; Avide explorateur durant la nuit obscure, J’assistais au réveil de toute la nature : L’horizon s’enflammait, le calice des fleurs Exhalait ses parfums, revêtait ses couleurs ; Deux insectes posés sur la coupe charmante S’enivraient de plaisir, et leur aile brillante Par ses doux battements renvoyait tous les feux De ce soleil nouveau qui se levait pour eux ; Et je disais : « Devant le Créateur des mondes « Rien n’est grand, n’est petit sous ces voûtes profondes, « Et dans cet univers, dans cette immensité « Où s’abîme l’esprit et l’œil épouvanté, « Des astres éternels à l’insecte éphémère « Tout n’est qu’attraction, feu, merveille, mystère. » Ce sont là des vers français qui me font l’effet de ce qu’étaient les bons vers latins du chancelier de L’Hôpital et de ces doctes hommes politiques du xvie siècle s’occupant, se délassant avec gravité encore, dans leur maison des champs, comme faisait M. […] Lorsque les affaires sont venues, j’ai eu beaucoup à apprendre ; mais, cette seconde éducation une fois faite, j’ai pu sans effort rendre ma pensée.
Ses pensées seules lui servent de cortège. […] L’on a dit que, dans une telle pensée de représailles, il imposa le nom de Bufonia à une plante peu aimable : l’exactitude du fait, l’intention réelle de l’allusion a été contestée. […] La secrète pensée, au moment de la mort, n’est pas de celles qui se jugent, et il n’est pas bien de trop scruter sur ce point au-delà de l’apparence. […] Elle est dans ces soudaines inspirations qui si souvent l’entraînent hors de son siècle et parfois le portent en avant du nôtre, dans les éclairs de sa pensée, dont la lumière, au lieu de s’affaiblir avec la distance, semble se projeter plus éclatante à mesure qu’elle atteint un plus lointain horizon. […] quelle noble pensée morale !
Il y a réussi en plus d’une ; et pour ne parler que de l’Agonie d’un Saint, qui est à la fin du recueil, c’est une pensée hardie et humaine qui a inspiré ce petit drame, et l’exécution en est parfaite. […] Lacaussade aime à s’inspirer des poètes étrangers (Burns, Cowper, Shelley) ; il ne les traduit pas, il les imite ; il greffe son propre sentiment sur une de leurs pensées. […] André Lefèvre, avec cette pensée philosophique qu’il met en avant, est un artiste, un savant artiste de forme. […] Dans sa vie de montagnes, le poëte a dû plus d’une fois vérifier la pensée exprimée dans deux autres sonnets de Wordsworth, lorsque le soir, du haut d’un mont, on voit le couchant figurer, avec ses nuées fantastiques, mille visions lointaines, et que cependant on se dit, en redescendant par le sentier déjà sombre, que ces jeux du ciel ne sont rien en eux-mêmes auprès des nobles et durables pensées qu’on possède en soi et qui nous ouvrent le ciel invisible.
Il ne pétille pas seulement d’esprit, mais de pensées, et de pensées qui nous regardent. […] Ses Poésies sacrées sont pleines de pensées, de sentiment et d’onction. […] Mais enfin, il est honorable à ce chantre de la Religion, purement raisonneur et sans invention, à ce traducteur en vers des Pensées de Pascal, de s’être enquis des autres poèmes religieux construits par de vraiment grands architectes et poètes dans les littératures étrangères, et d’avoir essayé d’y mordre. […] Aussi ne marche-t-on qu’avec eux, en s’appuyant sur eux, sur ce qu’ils ont dit ; on a dans la mémoire toutes sortes de belles ou jolies sentences, recueillies à loisir et qu’on tient à placer ; on dirige tout son discours, on incline tout son raisonnement pour amener une phrase de Quintilien, pour insinuer une pensée de Cicéron, et l’on est tout content d’avoir échappé ainsi à penser par soi-même et en son propre nom.
Cet usage met toute la maison à l’aise : il dispense les parents d’autorité, et les enfants de respect. » Toutes ces pensées dont on voit l’originalité morose et dans lesquelles il entrait une part de vérité, avaient l’inconvénient toutefois de ne comprendre qu’un seul côté de la question, le côté qui regarde le passé, de ne tenir aucun compte des changements survenus, de l’émancipation des intelligences, du libre développement de l’individu, des progrès des villes, de ceux de l’industrie, des rapports multipliés avec l’étranger. […] Le Play est d’une génération toute nouvelle ; il est l’homme de la société moderne par excellence, nourri de sa vie, élevé dans son progrès, dans ses sciences et dans leurs applications, de la lignée des fils de Monge et de Berthollet ; et, s’il a conçu la pensée d’une réforme, ce n’est qu’à la suite de l’expérience et en combinant les voies et moyens qu’il propose avec toutes les forces vives de la civilisation actuelle, sans prétendre en étouffer ni en refouler le développement. […] Le Play pour avoir eu le courage de fronder une opinion si généralement reçue et pour avoir arboré toute sa pensée ! […] Je rappellerai encore une pensée de M. de Bonald : « Il y a des hommes qui par leurs sentiments appartiennent au temps passé, et par leurs pensées à l’avenir : ceux-là trouvent difficilement leur place dans le présent. » Lui, il a voulu faire mentir le mot et montrer qu’il appartient au présent36.
J’ai désormais des devoirs plus simples et plus clairs ; le reste de ma vie sera, je l’espère, consacré à les remplir, selon la mesure de mes forces… Qu’on ne s’y trompe pas, le monde a changé : il est las des querelles dogmatiques. » Telle est la déclaration formelle que M. de La Mennais exprime aux dernières pages de ce livre ; les termes seuls dans lesquels elle est conçue montrent assez que, si le nouvel écrit est destiné à clore la série de ceux que l’auteur a publiés à partir des Réflexions sur l’État de l’Église, datant de 1808, il ne leur ressemble ni par les principes ni par le ton, et que, sinon pour le sujet et la matière, du moins dans les pensées et les conclusions, il se rattache déjà à cette série d’écrits futurs que nous promet l’illustre auteur. […] Cette pensée ardente ne mesure pas le temps à la manière des autres hommes ; elle a son rhythmepresque fébrile : l’horloge intérieure, qui dans cette tête n’obéit qu’à la mécanique rationnelle, n’est pas d’accord avec l’horloge extérieure du monde, qui, bien qu’il aille vite, a pourtant ses frottements et ses retards. […] Rien de plus trompeur que cette pensée… » Esprit élevé et candide, mais ainsi prévenu par ce qu’il appelle une longue erreur, il se doit, il doit à tous, en ses assertions d’aujourd’hui, de ne pas recommencer la même simplicité de cœur, la même crédulité aux hommes, la même enfance. […] Il y a de plus, envers le Saint-Simonisme, qui, à un certain moment, s’est appelé le nouveau christianisme, une sorte d’ingratitude à lui reprocher sa tentative qu’on imite : car c’est bien à lui qu’appartient cette pensée, mise en œuvre depuis, que le salaire n’est que l’esclavage prolongé. […] En tout cas, on a droit de réclamer là-dessus d’autre parole que celle-ci (page 179) : « Des sentiments nouveaux, de nouvelles pensées annoncent une ère nouvelle. » Ces derniers temps ont un peu trop usé le vague du symbole.
Il résultait de cette séparation presque absolue, entre les études philosophiques et les occupations de l’homme d’état, que les écrivains grecs cédaient davantage à leur imagination, et que les écrivains latins prenaient pour règle de leurs pensées la réalité des choses humaines. […] L’écrivain qui compose a toujours ses juges présents à la pensée ; et tous les ouvrages sont un résultat combiné du génie de l’auteur, et des lumières du public qu’il s’est choisi pour tribunal. […] Les Athéniens croyaient aux mêmes dogmes, défendaient aussi leur patrie, aimaient aussi la liberté ; mais ce respect qui agit sur la pensée, qui écarte de l’imagination jusqu’à la possibilité des actions interdites, ce respect qui tient à quelques égards de la superstition de l’amour, les Romains seuls l’éprouvaient pour les objets de leur culte. […] Les Romains sont supérieurs aux Grecs dans la carrière de la pensée : mais combien toutefois dans cette même carrière ne sont-ils pas au-dessous des modernes ! […] L’histoire de Salluste, les lettres de Brutus28, les ouvrages de Cicéron, rappellent des souvenirs tout-puissants sur la pensée ; vous sentez la force de l’âme à travers la beauté du style ; vous voyez l’homme dans l’écrivain, la nation dans cet homme, et l’univers aux pieds de cette nation.
Et la forme de sa pensée est dépouillée aussi de tout élément sensitif ou imaginatif : jamais forme ne fut plus abstraite, plus immatérielle, plus affranchie du nombre et de la mesure, qui sont les lois de la substance étendue : pure notation algébrique où l’intelligence seule trouve son compte. […] La pensée jouit d’une liberté illimitée dans l’abstrait et dans le général, toutes les intempérances, toutes les aventures lui sont permises : dès qu’elle touche au réel, au concret, à la vie, elle reçoit forme et couleur des préjugés impérieux du siècle. […] On les honore de bouche : on n’en fait pas les maîtres de la pensée et du cœur. […] Rhétoriciens excellents — mais purs rhétoriciens, — ils font apparaître les anciens, et même Homère, Comme d’incomparables maîtres de rhétorique : en dix ans de commerce assidu avec les chefs-d’œuvre latins ou grecs, un jeune homme acquiert un trésor de pensées belles à citer dans leur forme parfaite, et l’art d’étendre lui-même des lieux communs ou de les condenser en sentences ; jamais il n’aura senti vivre dans un texte grec l’âme de la Grèce, ou de tel Grec ; il ne se doutera pas qu’on peut tirer d’une phrase d’orateur ou d’une période poétique des émotions aussi profondes et de même ordre que celles qu’excite un temple ou une statue. […] Nous ne regardons pas bien haut ni bien loin : nous sommes plus positivistes que mystiques et métaphysiciens ; nos pensées ne quittent pas la terre, et vont à l’action, aux effets réels, sensibles, et que l’analyse atteint.
Mais, vers cette époque de 1820-1822, un seul nom entre ceux du clergé s’offrait avec éclat et retentissement aux gens du monde : M. de Lamennais, dans sa première forme catholique, forçait l’attention de tous par son Essai sur l’indifférence, et remuait mille pensées au sein même du clergé qu’il étonnait. […] Cela tient, je suppose, à ce qu’il a toujours vécu trop près de sa pensée, n’ayant jamais eu l’occasion de la développer en public : en effet, sa santé délicate, sa voix faible et qui a besoin de l’oreille d’un ami, n’a jamais permis à ce riche talent de se produire dans l’enseignement ou dans les chaires. […] C’est là que, dans les loisirs d’une vie toute pieuse, toute studieuse, et où les plus nobles amitiés avaient leur part, il composa les deux premiers volumes de l’ouvrage intitulé Esquisse de Rome chrétienne, destiné à faire comprendre à toutes les âmes élevées le sens et l’idée de la Ville éternelle : « La pensée fondamentale de ce livre, dit-il, est de recueillir dans les réalités visibles de Rome chrétienne l’empreinte et, pour ainsi dire, le portrait de son essence spirituelle. » Interprète excellent dans cette voie qu’il s’est choisie, il se met à considérer les monuments, non avec la science sèche de l’antiquaire moderne, non avec l’enthousiasme naïf d’un fidèle du Moyen Âge, mais avec une admiration réfléchie, qui unit la philosophie et la piété : L’étude de Rome dans Rome, dit-il encore, fait pénétrer jusqu’aux sources vives du christianisme. […] Les Catacombes, qui ont été le berceau et l’asile du christianisme pendant les trois premiers siècles, l’occupent particulièrement, et lui ont inspiré des pensées d’une rare élévation. […] Dans cette vie déjà longue où pas une mauvaise pensée ne s’est glissée, et qui a échappé à toute passion troublante, il a gardé la joie première d’une belle âme pure.
Mise en regard de la correspondance de Voltaire, celle de Franklin fait naître bien des pensées ; tout y est sain, honnête, et comme animé d’une vive et constante sérénité. […] Cette lettre, dans ma pensée, est elle-même une preuve de mon amitié ; je n’y ajouterai donc aucune autre protestation, et je me dirai simplement, À vous. […] Son retour dans sa patrie, les honneurs qu’il y reçut, les légers dégoûts (car il en est dans toute vie) qu’il y essuya sans le faire paraître, son bonheur domestique dans son jardin, à l’ombre de son mûrier, à côté de sa fille et avec ses six petits-enfants jouant à ses genoux, ses pensées de plus en plus religieuses en avançant, lui font une fin et une couronne de vieillesse des plus belles et des plus complètes que l’on puisse imaginer. […] Laissant aller sa pensée sur les espérances et les craintes, sur les perspectives de chance diverse, de bonheur ou de malheur, qui animent ou tempèrent les joies de la famille, il disait encore, en citant le mot d’un poète religieux (le docteur Watts) : Celui qui élève une nombreuse famille, tant qu’il est là vivant à la considérer, s’offre, il est vrai, comme un point de mire plus large au chagrin ; mais il a aussi plus d’étendue pour le plaisir. […] La dernière pensée de Franklin en eût été couverte d’un voile funèbre, et son âme sereine, avant de renaître selon son espérance, eût connu dans un jour toute l’amertume.
Il a exprimé lui-même sa doctrine en ces termes : « Les dispositions d’esprit qui font qu’un homme se distingue des autres hommes par l’originalité de ses pensées et de ses conceptions, par son excentricité ou l’énergie de ses facultés affectives, par la transcendance de ses facultés intellectuelles, prennent leur source dans les mêmes conditions organiques que les divers troubles moraux, dont la folie et l’idiotie sont l’expression la plus complète. » Telle est la doctrine développée par M. […] Et enfin, pour qu’aucun nuage ne reste sur sa pensée, l’auteur ajoute quelques pages plus loin : « La constitution de beaucoup d’hommes de génie est bien réellement la même que celle des idiots. […] C’est avant tout l’inspiration, c’est-à-dire « certaines combinaisons mentales, que le sens intime, le moi ne saurait avouer comme nôtres, c’est-à-dire qui se sont faites à notre insu, sans que notre volonté y fût pour rien » ; c’est l’enthousiasme, le délire, suivant la doctrine de Platon ; c’est « plus de rapidité dans les conceptions, plus d’élan, de spontanéité dans l’imagination, plus d’originalité dans le tour de la pensée, dans les combinaisons de l’esprit, plus d’imprévu et de variété dans les associations d’idées, plus de vivacité dans les souvenirs, d’audace dans les élucubrations de l’imagination, et aussi plus d’énergie, d’entraînement dans les instincts, les affections, etc. » Empruntant à un poêle illustre sa définition du génie, on nous apprend que c’est « la vigueur de la fibre humaine aussi forte que le cœur de l’homme peut la supporter sans se rompre », Ajoutez à cela que, parmi les hommes de génie, dont l’auteur invoque l’exemple, ceux qu’il cite de préférence sont les illuminés, les enthousiastes, les révélateurs de toute espèce. […] Que l’on nous cite la moindre œuvre remarquable sortie de l’imagination et de la pensée d’un fou. […] Je ne dis pas que le cas soit si grave ; mais, à coup sûr, celui qui a fait cela n’est pas un esprit du commun : il a le droit de se ranger lui-même au nombre des esprits distingués qu’ont eu des pensées bizarres ; et son ouvrage ne serait pas un faible argument en faveur de son opinion.