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1953. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Paroles d'un croyant »

Il se serait cru coupable de se contenir dans un plus long silence, de laisser passer ces jours mauvais et insolents sans leur jeter à la face son accent de conscience, son mot de vérité. […] On voit que le but est resté le même : spiritualiser, guérir, moraliser chrétiennement une société passée du matérialisme à l’indifférence ; mais dans le second procédé, auquel M. de La Mennais a recours depuis cinq ans environ, c’est à la société elle-même, c’est à ses éléments vierges et profonds, c’est au peuple en un mot qu’il s’adresse pour le régénérer par la parole et l’épurer. […] La liberté n’y revient pas comme un mot sonore et creux ; il y a une intelligence précise des misères du pauvre et des iniquités qu’il subit.

1954. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Appendice sur La Fontaine »

Boileau lui-même, ce strict réformateur, qui, à force d’épurer et de châtier la langue, lui laissa trop peu de sa liberté première et de ses heureuses nonchalances, Boileau ne fait autre chose que continuer et accomplir l’œuvre de Malherbe ; et, pour se rendre compte des tentatives de Malherbe, on est forcé de remonter à Ronsard, à Des Portes, à Regnier, en un mot à toute cette école que le précurseur de Despréaux eut à combattre. […] Mais le mot de l’énigme est plus simple. […] N’oublions point, toutefois, que bien des rapports d’inclinations et même de talent le liaient à Chapelle et à Chaulieu ; que, jusqu’au temps de sa conversion, il venait fréquemment deviser et boire sous les marronniers du Temple, à la même table où s’assirent plus tard Jean-Baptiste Rousseau et le jeune Voltaire ; et que ce dernier surtout, vif, brillant, frivole, puisa au sein de cette société joyeuse, où circulait l’esprit des deux Régences, certaines habitudes gauloises de licence, de malice et de gaieté, qui firent de lui, selon le mot de Chaulieu, un successeur de Villon, quoiqu’à dire vrai Voltaire n’eût peut-être jamais lu Villon, et que, pour un convive du Temple, il parlât trop lestement de La Fontaine… 196.

1955. (1874) Premiers lundis. Tome I « Alexandre Duval de l’Académie Française : Charles II, ou le Labyrinthe de Woodstock »

Voilà en trois mots l’histoire du romantisme, selon M.  […] Cette œuvre du loisir et du recueillement, où viendront sans doute contraster et se confondre en mille effets charmants ou sublimes la vérité et l’idéal, la raison et la fantaisie, l’observation des hommes et le rêve du poète, arrivée dans le monde réel, exposée aux regards de tous, enchantera les âmes et ravira les suffrages ; les esprits les plus graves, philosophes, érudits, historiens, se délasseront à la contempler, car l’impression d’une belle œuvre n’est jamais une fatigue ; les politiques surtout, en n’y cherchant que du plaisir, y puiseront plus d’une émotion intime, plus d’une révélation lumineuse, qui, transportée ailleurs et transformée à leur insu, ne restera stérile ni pour l’intelligence de l’histoire, ni pour les mouvements de l’éloquence ; la tribune et la scène, en un mot, rivales et non pas ennemies, pourront retentir ensemble et quelquefois se répondre. […] Lorsqu’il arrive à l’un d’entre nous de faire un livre, l’opinion du Constitutionnel lui importe assez peu ; si le libraire s’en inquiète, il sait le tarif, et tout le problème consiste pour lui à renfermer le plus de choses dans le moins de mots, certain qu’il est que le Constitutionnel s’humanisera à raison de 1 fr. 60 cent, par ligne.

1956. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — III »

Nous, nous disons : Il n’y a qu’une cause que nous connaissons directement, c’est celle que nous sentons penser et agir, comprendre et pouvoir en nous, sentir, aimer, vivre en un mot ; vivre de la vie complète, profonde et intime, non-seulement de la vie nette et claire de la conscience réfléchie et de l’acte voulu, mais de la vie multiple et convergente qui nous afflue de tous les points de notre être ; que nous sentons parfois de la sensation la plus irrécusable, couler dans notre sang, frissonner dans notre moelle, frémir dans notre chair, se dresser dans nos cheveux, gémir en nos entrailles, sourdre et murmurer au sein des tissus ; de la vie une, insécable, qui dans sa réalité physiologique embrasse en nous depuis le mouvement le plus obscur jusqu’à la volonté la mieux déclarée, qui tient tout l’homme et l’étreint, fonctions et organes, dans le réseau d’une irradiation sympathique ; qui, dans les organes les plus élémentaires et les plus simples, ne peut se concevoir sans esprit, pas plus que, dans les fonctions les plus hautes et les plus perfectionnées, elle ne peut se concevoir sans matière ; de la vie qui ne conçoit et ne connaît qu’elle, mais qui ne se contient pas en elle et qui aspire sans cesse, et par la connaissance et par l’action, par l’amour en un mot ou le désir, à se lier à la vie du non-moi, à la vie de l’humanité et de la nature, et en définitive, à la vie universelle, à Dieu, dont elle se sent faire partie ; car à ce point de vue elle ne conçoit Dieu que comme elle-même élevée aux proportions de l’infini ; elle ne se sent elle-même que comme Dieu fini et localisé en l’homme, et elle tend perpétuellement sous le triple aspect de l’intelligence, de l’activité et de l’amour, à s’éclairer, à produire, à grandir en Dieu par un côté ou par un autre, et à monter du fini à l’infini dans un progrès infatigable et éternel. […] Les philosophes, moins humbles, ont insisté sur l’idée du château-fort ; ils ont affecté au moi, tel qu’ils croient le concevoir, une sorte de sérénité insouciante et la dédaigneuse immobilité d’une sentinelle qui se repose sur ses armes ; au haut de leur doctrine escarpée ils lui ont donné un air de confiance et de contemplation, mais en ne s’en tenant pas à l’apparence, en s’approchant de plus près, en mettant le doigt à travers le créneau, on reconnaît que ce mot imposant et vanté n’est rien qu’une froide pierre, une vaine statue.

1957. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XV. De l’imagination des Anglais dans leurs poésies et leurs romans » pp. 307-323

La langue anglaise, quoiqu’elle ne soit pas aussi harmonieuse à l’oreille que les langues du Midi, a, par l’énergie de sa prononciation, de très grands avantages pour la poésie : tous les mots fortement accentués ont de l’effet sur l’âme, parce qu’ils semblent partir d’une impression vive ; la langue française exclut en poésie une foule de termes simples, qu’on doit trouver nobles en anglais par la manière dont ils sont articulés. […] Si l’on disait en français précisément les mêmes mots, la table est remplie, le plus grand acteur du monde ne pourrait, en les déclamant, faire oublier leur acception commune ; la prononciation française ne permettrait pas cet accent qui rend nobles tous les mots en les animant, qui rend tragiques tous les sons, parce qu’ils imitent et font partager le trouble de l’âme.

1958. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre premier. Pour faire des Tragédies qui puissent intéresser le public en 1823, faut-il suivre les errements de Racine ou ceux de Shakspeare ? » pp. 9-27

En un mot, c’est l’expérience seule qui doit décider entre vous et moi. […] Entendons-nous sur ce mot illusion. […] Vous me répondrez : pardonnez-moi le mot, cela n’est pas vrai.

1959. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre I. Vue générale du seizième siècle »

En un mot, l’Italie du xve  siècle offrait un mélange infiniment séduisant de curiosité érudite, de beauté artistique et de délicatesse mondaine. […] Leur esprit plus ouvert veut qu’on l’amuse avec le jeu étincelant des idées, non plus avec le cliquetis baroque des mots ; et ils demandent aux lettres la même sensation de nette et lumineuse élégance, que leurs nouveaux palais, leurs tableaux, leurs habits même et leurs armes leur donnent. […] On pourrait dire en deux mots que, au contact de l’Italie, et sous l’influence de l’antiquité, le bon sens français a dégagé d’abord l’idée de vérité rationnelle, puis celle de beauté esthétique, et que, demandant à sa littérature une vérité belle et une beauté vraie, il en a circonscrit le domaine aux sujets dans lesquels la coïncidence ou bien l’identité de ces deux idées se trouve le plus naturellement réalisée.

1960. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Armand Silvestre »

est-ce un effet de la perspective trop courte   il me semble qu’il y a beaucoup d’esprits intéressants et singuliers, et cela justement parce qu’ils sont tard venus ; parce qu’ils ont derrière eux toute une littérature accumulée ; parce que, même ignorants, ils savent néanmoins ou devinent beaucoup de choses et se trouvent tout formés pour aller très loin dans la sensation violente et raffinée ; parce que, tout ayant été dit (et voilà deux cents ans que cela (mot illisible) a été dit), ils donnent naturellement dans l’osé, le bizarre et le fou, et que leur extravagance fleurit elle-même sur un passé trop riche, comme ces fleurs étranges qui poussent mieux dans un humus composé d’innombrables débris de végétaux morts. […] puissance du seul enlacement des mots et du sentiment qui les tressé et les enlace   elles sont adorables, ces romances où il n’y a rien que des rossignols, des lis, beaucoup de lis, des roses, des violettes, des raisins, des abeilles, l’aube, le crépuscule, l’automne et le printemps et, mêlée à toute la nature au point qu’elle ne s’en distingue presque plus, l’image de la femme aimée. […] Il rêve, il adore, il pétrarquise… Et puis… et puis c’est toujours la même chose : vague panthéisme, vague souffrance, vague désespoir, vague ivresse, vague rêverie, vague chasteté, désir quelquefois vague et plus souvent précis, vagues images, amples, indéfinies, forme harmonieuse, mots sonores — quelquefois jargon sublime.

1961. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens I) MM. Albert Wolff et Émile Blavet »

Vous mettez, je suppose, au commencement du premier : « Paris est la capitale de l’art. » Puis, vers le milieu du second : « Paris est véritablement la ville des artistes » Puis, quelque part dans le troisième : « Le centre de l’art est à Paris. » Et à la fin du quatrième : « Je ne crois pas trop m’avancer en affirmant que Paris est le foyer des arts. » Et dans l’intervalle de ces phrases, rien, des mots. […] vous entendez dans quel sens vague, mystérieux et saugrenu le mot est pris ici. […] S’il parle de Mgr l’archevêque de Paris, il sait qu’il convient que le digne prélat soit « un fin prélat », et il lui prête des mots, et il nous entretient avec émotion des bons rapports du cardinal avec l’acteur Berthelier.

1962. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Anatole France, le Lys rouge »

Et ainsi (car telle est la duperie des mots) ni dans son plus faible degré, ni dans son degré le plus fort, cet amour-là n’implique « l’amour ». […] C’est ce qu’exprime avec force le poète Choulette, donnant en peu de mots la morale de cette histoire. « Les fautes de l’amour seront pardonnées, dit-il. […] Et je sens que je vous aime avec une simplicité sauvage. » Plus tard, après que la première scène de jalousie qu’il lui a faite s’est terminée par une réconciliation furieuse, et qu’ils se sont repris, « les yeux assombris, les lèvres serrées, en proie à cette colère sacrée qui fait que l’amour ressemble à la haine », comme elle lui demande pourquoi il est triste, il a ce mot profond, affreux d’égoïsme et de clairvoyance : « Tu veux savoir ?

1963. (1888) Demain : questions d’esthétique pp. 5-30

l’annonce et l’expose par le comment et le pourquoi avant de l’accomplir, faut-il donc do toute nécessité que même les esprits les plus hauts et les plus fins du monde entrent en méfiance, laissent percer sous l’ambiguïté de leur jugement une vague accusation de pédantisme et se tiennent à peine de prononcer les mots sacramentels : absence d’inspiration ? […] Et ces jeunes poètes eux-mêmes que vous traitez de mystiques — j’en sais plus d’un que le mot ne fâcherait point  si contradictoires et nuageuses que soient leurs aspirations, je ne crois pas impossible d’y démêler une certaine et suffisante unité. […] Mallarmé, ce très pur poète, disent des mots si hautement simples que cette époque ne les saurait entendre, perdue qu’elle est de petites complications.

1964. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre III. L’antinomie dans la vie affective » pp. 71-87

Bergson, l’écrasement de la conscience individuelle (par le mot qui en est l’expression impersonnelle et sociale) n’est aussi frappant que dans les phénomènes du sentiment27. » Qu’une émotion profonde, une mélancolie indéfinissable, que le souvenir heureux ou triste d’une heure lointaine émergent du fond de notre passé et envahissent notre être tout entier ; le frisson de cette émotion ne pourra se propager dans l’atmosphère opaque qui nous sépare d’autrui de la même façon que se propage une onde lumineuse ou sonore. L’émotion, quand elle arrive, traduite par le mot, dans la conscience d’autrui, est déjà flétrie et décolorée. […] Mais dans la suite, l’individualiste aristocrate, l’ariste dans l’ordre du sentiment, acquiert la conviction que l’altruisme grégaire s’insinue fatalement, partout où les hommes sont rassemblés, dans l’autre altruisme pour le corrompre et l’abaisser ; que l’altruisme grégaire a toujours le dernier mot contre l’idéal de générosité des âmes d’élite.

1965. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « La Plume » pp. 129-149

On sentait, en un mot, le besoin d’autre chose, sans savoir encore de quoi cet autre chose serait fait. […] En vain, les décadents (c’est ainsi qu’on appelait, faute de mieux, les écrivains nouveaux), en vain les décadents les plus pressés de fixer l’attention traînaient-ils Louise Michel aux conférences de la salle Jussieu ; en vain se glissaient-ils dans les réunions anarchistes pour y déraisonner sur la politique, tandis que les politiciens y déraisonnaient sur la poésie, chacun ayant l’habitude, remarque Rachilde, de s’occuper de ce qui ne le concerne pas : le public continuait d’ignorer ; la Presse ne soufflait mot. […] Là, suivant le mot de Sully Prudhomme : Chaque vivant promène écrit sur sa mâchoire L’arrêt de mort d’un autre exigé par sa faim.

1966. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « II »

Les mots de patrie et de citoyen avaient repris leur sens. […] Les discussions sur les races sont interminables, parce que le mot race est pris par les historiens philologues et par les anthropologistes physiologistes dans deux sens tout à fait différents 2. […] Les mots de brachycéphales, de dolichocéphales n’ont pas de place en histoire ni en philologie.

1967. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre I. Place de Jésus dans l’histoire du monde. »

On disputait aussi chez les Juifs ; des écoles ardentes apportaient à presque toutes les questions qui s’agitaient des solutions opposées ; mais dans ces luttes, dont le Talmud nous a conservé les principaux détails, il n’y a pas un seul mot de théologie spéculative. […] Je rappelle que ce mot désigne simplement ici les peuples qui parlent ou ont parlé une des langues qu’on appelle sémitiques. Une telle désignation est tout à fait défectueuse ; mais c’est un de ces mots, comme « architecture gothique », « chiffres arabes », qu’il faut conserver pour s’entendre, même après qu’on a démontré l’erreur qu’ils impliquent.

1968. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VII. Développement des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

Ce mot de « royaume de Dieu » ou de « royaume du ciel », ainsi que nous l’avons déjà dit 342, était depuis longtemps familier aux Juifs. […] Par ce mot : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », il a créé quelque chose d’étranger à la politique, un refuge pour les âmes au milieu de l’empire de la force brutale. […] Cette nuance du mot « monde » est surtout caractérisée dans les écrits de Paul et de Jean.

1969. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre III : Théorie psychologique de la matière et de l’esprit. »

Ces postulats posés, « la théorie psychologique maintient qu’il y a des associations naturellement et même nécessairement produites par l’ordre de nos sensations et de nos réminiscences de sensations, lesquelles, en supposant qu’il n’existât dans la conscience aucune intuition d’un monde extérieur, en produiraient inévitablement la croyance et le feraient regarder comme une intuition. » Et d’abord, que voulons-nous dire par ces mots : un monde extérieur, une substance externe ? […] En un mot, des sensations possibles, des groupes de sensations, un ordre entre ces groupes et un accord entre notre croyance et celle de nos semblables : c’est là toute notre idée de la matière. […] Le scepticisme du philosophe écossais aboutissait à des conclusions si étranges, qu’avec lui on est en plein dans l’inexplicable, et qu’il ne s’en tire qu’avec les mots « habitude, croyance, instinct. » Dans un monde où il n’y a, par hypothèse, que des attributs et des états de conscience sans liens connus qui les unissent, rien n’est plus étonnant que leur harmonie.

1970. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXIII » pp. 378-393

. — Mot tendre du roi à madame de Maintenon. — Son départ pour l’armée. — Madame de Montespan reste près de la reine son voyage à Bourbon. — Coïncidence de son retour avec celui du roi. — On reprend les anciennes habitudes. — Humeur de madame de Maintenon. — Explication entre elle et Madame de Montespan. […] Dans le mois de janvier, le roi eut l’occasion de dire un mot plus que galant à madame de Maintenon. […] Mais elle ne veut pas être prise au mot.

1971. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — L’abbé d’Aubignac, avec Ménage, Pierre Corneille, Mademoiselle de Scudéri et Richelet. » pp. 217-236

L’équivoque de ce mot avec le mot latin Laverna, déesse des voleurs, occasionna l’épigramme* suivante, dont le sel tombe sur la réputation de frippier de vers que s’étoit faite Ménage. […] Soit oubli, soit affectation dans l’examen de ses pièces, il ne dit pas un mot de d’Aubignac.

1972. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — La déclamation. » pp. 421-441

La difficulté du texte, que chacun interprête différemment, tombe sur ce mot canticum. […] Ils leur apprenoient la bonne prononciation, la durée des mesures & l’intonation des accens : ils faisoient, en un mot, ce que nous serions encore obligés de faire, si nous avions à former pour le théâtre un acteur Normand ou Provençal, quelque intelligence qu’il eût d’ailleurs : mais un cas particulier, ajoute M. […] Les premiers mots qu’on entend font évidemment sentir que tout est fiction ; & les acteurs parlent avec des tons si extraordinaires, si éloignés de la vérité, qu’on ne peut pas s’y méprendre. » On réfuta Riccoboni.

1973. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre I : Une doctrine littéraire »

Il ne faut point oublier que la littérature est un art, que ce qui distingue l’art de la science, ce n’est pas seulement la nature des vérités qu’il exprime, c’est encore la manière dont il les exprime, que son principal objet est de rendre le vrai ou l’intelligible par des formes sensibles, en un mot de parler au cœur, aux sens, à l’imagination en même temps qu’à l’esprit. […] Représentez-vous le sens commun de l’antiquité dans quelqu’un de ses plus solides et de ses plus ingénieux représentants, et mettez entre les mains de cet excellent esprit l’un de ces écrits fugitifs, rapides, concis et obscurs, que l’apôtre enflammé d’une secte nouvelle envoyait alors à ses frères dispersés ; en un mot, donnez à lire à Quintilien ou à Pline le Jeune les épîtres de saint Paul : ou je me trompe fort, ou ces étranges écrits, si éloquents pour nous malgré le mystère dont ils sont voilés, paraîtront au philosophe et au rhéteur antiques des prodiges de folie. […] En un mot, des deux principes dont se compose la théorie de M. 

1974. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XV. Mme la Mise de Blocqueville »

Et en effet, qu’on me passe le mot : Eugénie de Guérin est le talent le plus pieds nus de simplicité et d’ignorance que je connaisse, quoique Mme de Blocqueville qui, si elle n’a pas de talent en paquet, a bien des paquets de lecture dans le talent, l’accuse de prétention quelque part. […] et Shakespeare, sur lequel chacun est enragé maintenant de dire son indispensable petit mot ! […] C’est enfin le catholicisme féminisé qui affirme « que l’humanité perdue par la femme se surlèvera par la femme », le dernier mot d’un catholicisme bas-bleu, qui sera peut-être une formelle hérésie demain ; car le bas-bleuisme, en définitive, n’est que la vanité de la femme en révolte contre l’homme et l’ordre religieux et hiérarchique du monde !

1975. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVIII. Souvenirs d’une Cosaque »

Souvenirs d’une Cosaque 19 I La seule originalité de ce livre est dans le mot Cosaque. […] Car voilà le grand mot ! […] — non, ce n’est point parce qu’on a fait tout cela, parce qu’on a vécu en plein ciel d’indiscrétions d’abord et en plein enfer d’indiscrétions ensuite, avec un homme moralement violé (drôle d’alliance de mots), qu’on aime nécessairement, sincèrement, ingénument cet homme.

1976. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XX. Mme Gustave Haller »

Bluet d’intelligence elle-même, qui s’effeuille et se perd dans je ne sais quelle métaphysiquette de sentiments, car il faut employer les diminutifs pour parler convenablement du Bluet, de ce livre où tout est petit et qui, sans jouer sur les mots, n’est rien, après tout, qu’une bluette ! […] Écartons ce grand mot ! […] Il ne s’y mêle jamais comme dans Mme de Staël, qui était femme et que je cite pour cette raison à Mme Haller, un aperçu, en dehors et à propos de ce qu’on raconte ; l’étoile d’une idée heureuse ou d’un mot brillant.

1977. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXI. Mme André Léo »

Gracieuse idée de mère qui a épuisé dans ce mot toute sa grâce ; car, d’elle-même, Mme André Léo est peu gracieuse. […] La bonhomie, comme le mot le dit, n’est pas une qualité de femme. […] Il ne faut pas s’épouvanter des mots, lorsqu’on n’a pas peur des choses.

1978. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXIV. Mme Claire de Chandeneux »

Il y a en lui, à travers toutes les rengaines du roman de son temps, je ne sais quelle invention… abracadabrante (on cherche un mot et on ne le trouve pas !) […] III Et maintenant, je ne dirai pas un mot de plus. […] Dans la démocratisation universelle, c’est le dernier mot de la démocratie.

1979. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « L’idolâtrie au théâtre »

Le mot « aux étoiles » n’est donc pas l’hyperbole d’un écrivain isolé ; il est dans le style ordinaire de la critique et l’expression exacte d’une situation. […] Le vieux mot qu’on a tant répété : « la littérature est l’expression de la société », n’est plus juste. […] Un mot suffit parfois.

1980. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Odysse Barot »

Il s’est rappelé le mot de Montesquieu, que « qui comprend tout peut tout abréger ». […] Les gens de génie devraient prendre garde aux mots qu’ils disent ; car c’est souvent une autorisation pour les sots de dire ou de faire une sottise. […] Quand il faudrait prouver ce qu’il avance, il dit des mots qu’on prierait encore le génie de se donner la peine de justifier… Il a certainement plus de raison, plus de sérieux et de variété que celui qui dit, à propos de tout : « tarte à la crème ! 

1981. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Joubert » pp. 185-199

J’ai dit tout ce qu’il est avec ces trois mots. Ce littérateur amateur, qui ne fit point de littérature comme nous autres les faiseurs de livres, ce paresseux occupé, ce penseur pour la volupté pure de penser, cet écrivain qui, comme il l’a dit, et même comme il en a fait un précepte, attendait, pour écrire un mot, que la goutte d’encre qui devait tomber de sa plume se changeât en goutte de lumière, ce sybarite de l’esprit qui passa sa vie à bien déplier ses feuilles de rose pour ne pas en trouver le repli qui l’aurait fait souffrir, fut une rareté dans la littérature française en ne voulant rien être du tout. […] cette chose nécessaire pour un peintre, que rien ne saurait remplacer), Joubert est moins dans cette notice douceâtre d’un neveu rangé et très flatté, et qui met son oncle sur sa poitrine comme une décoration, que sous la facette et l’angle du mot vif, irrévérent et moqueur de madame Victorine de Châtenay, cité dans les Mémoires de Chateaubriand : « M. 

1982. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes d’Amérique » pp. 95-110

Disons-le à l’honneur de tout le monde, de ce côté-ci de l’hémisphère personne, même parmi ceux que l’or qu’ils remuent dans leurs mains puissantes devrait fasciner, n’aurait voulu penser tout haut que l’amour de l’argent et sa production fussent le dernier mot de la moralité humaine, l’idéal enfin de la perfection absolue pour les individus et pour les peuples. […] Mais à cela près de cette boutade d’un poète, d’un hypocondriaque sublime, plus capricieux qu’une femme et qu’une nuée, on n’avait pas vu un esprit sérieux et honnête, ayant réfléchi seulement deux minutes sur ce qui constitue la beauté ou la grandeur de la vie, proclamer « le tout-puissant écu » comme la religion philosophique (deux mots qui s’étranglent !) […] D’autres diraient pour se corrompre ; mais ce dernier mot manque de sens moral en Amérique. » Or, dans ces maisons où l’on ne s’ennuie pas, et que Bellegarrigue appelle des maisons d’éducation précisément parce que l’éducation — l’instruction du cœur — y est nulle, on traite le cerveau des jeunes filles comme un cerveau d’homme.

1983. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « MM. Jules et Edmond de Goncourt » pp. 201-216

Louis XV, dégoûté de Marie Lecsinska, aimée (si on peut prostituer ce mot sacré) comme la femelle l’est, une minute, de son mâle, et laissée là, sans que cette vertueuse Maladroite de l’amour conjugal ait eu la puissance de le retenir et de le captiver, Louis XV, — il faut bien dire le mot, — l’empêtré Louis XV, malgré sa beauté et la royauté qui s’ajoutait à cette beauté pour la rendre irrésistible, fit attendre un moment le règne des maîtresses, et c’est alors qu’on vit la France tout entière lutter presque de proxénétisme empressé avec les grands seigneurs et les valets de cour qui le poussaient à l’adultère ! […] Quand son infernale sœur eut pris sa place dans ce lit de roi qui allait devenir une place publique, madame de Mailly mourut, ce cilice ensanglanté de la pénitente pour toute peau de tigre, embaumant et purifiant sa mémoire souillée dans le mot sublime d’humilité qu’elle dit, un jour, sous l’atroce injure qui la nommait : « Si vous la connaissez, priez Dieu pour elle ! 

1984. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Achille du Clésieux »

Du Clésieux, dans son poème, est resté jusqu’à la dernière page et jusqu’à son dernier vers dans la beauté du sentiment chrétien le plus pur, et cette beauté s’ajoute à celle de l’émotion humaine qui fait palpiter tout son poème, comme un cœur vivant… IV Rien de plus simple que ce roman en vers qui pourrait bien être une histoire, et cette simplicité est si grande que la donnée du poème peut se raconter en deux mots… Le héros du livre, qui n’est pas nommé dans le poème, l’amant d’Armelle, est un Childe Harold de ce temps où toute âme un peu haute est plus ou moins Childe Harold, et n’a pas besoin d’aller au fond de toutes les coupes que nous tend le monde pour s’en détourner et revenir à la solitude, — et pour s’essuyer, comme un enfant à la robe de sa mère, de ses souillures et de ses dégoûts, à la Nature. […] Je l’ai dit déjà ; c’est le premier mot et le dernier de ce chapitre : Achille du Clésieux est un poète d’âme. […] A-t-on assez cité le mot de Napoléon sur Corneille ?

1985. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Edmond About » pp. 91-105

Edmond About n’avaient que leur propre valeur intrinsèque, la Critique en dirait deux mots à peine : ce serait tout et ce serait assez. […] Deux mots suffiraient. Deux mots, incisifs et froids, peuvent classer ces livres légers et faciles, qui probablement n’ont guère coûté que le temps de les écrire à la plume qui les a écrits.

1986. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules De La Madenène » pp. 173-187

Lui, l’auteur du Marquis des Saffras, — mot patois qui dit, même avant que le livre soit ouvert, quelle est la variété de paysan à laquelle il a consacré ses facultés d’observation et de peinture, — lui donc, l’auteur du Marquis des Saffras, sait parfaitement qu’il n’y a pas plus de paysans en général que d’hommes en général, et que, quand on se sert de ce mot-là, fût-on Balzac lui-même, il faut ajouter une épithète au substantif et particulariser comme la nature. […] Deux mots déjà dits, et que nous répéterons, résument cette manière, — grande lumière dans la grande douceur, — la douceur des forts à qui rien ne résiste, et qui n’ont à faire nul effort pour tout emporter !

1987. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Prosper Mérimée. » pp. 323-336

Si j’avais à dire ma pensée dans un mot, je dirais que M.  […] , de quelques mots illyriens, pris au hasard dans le dictionnaire, n’est pas plus un mystificateur sérieux que Stendhal, quand il signait ses articles du plus fin acier : COTONNET… Du reste, cette ressemblance avec Stendhal, qui saute aux yeux quand on lit M.  […] IV Ainsi, esprit aride qui promène son aridité sur la planturosité des autres, voilà, en un mot, tout M. 

1988. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

Le mot en lui-même, surtout le mot choisi et transfiguré par la poésie, est le symbole le plus énergique et le plus universel. […] et cet autre mot, bref et immense : Dieu ! […] Ce mot de liberté est aussi vieux que l’homme même. […] Le mot est là pourtant avec la signification la plus déterminée. […] Quel est le mot qui retentit le plus dans les sociétés humaines ?

1989. (1929) Dialogues critiques

Paul Les grands mots sont inutiles, mais le fond de l’affaire est très sérieux. […] Paul Très peu, ni seulement de connaître le mot français de J. […] D’ailleurs, on ne peut ne voir dans ce mot de Valéry qu’une boutade. […] Raymond Poincaré, l’autre prince lorrain, suivant le mot d’Albert Thibaudet. […] Fernand de Rodays avait alors la manie de définir d’un mot ses collaborateurs.

1990. (1858) Cours familier de littérature. V « XXXe entretien. La musique de Mozart (2e partie) » pp. 361-440

Mais ce seul mot suffit à me faire reconnaître, au son de la voix, par celle de mes sœurs qui m’avait entendu et qui, jetant un grand cri de surprise et de joie, s’écria en parlant à mes autres sœurs : C’est lui ! […] Est-ce que la musique n’est pas une langue complète, une langue aussi expressive, une langue aussi génératrice d’idées, de passions, de sentiments, de fini et d’infini que la langue des mots ? Est-ce que cette langue des sons, par son vague même et par l’illimitation de ses accents, n’est pas plus illimitée dans ses expressions que les langues où le sens est borné par la valeur positive du mot et par la syntaxe, cette place obligée du mot dans la phrase ! […] Est-ce que la musique est autre chose que ce soupir, ce gémissement, ce cri mélodieux qui commence sur nos lèvres juste où l’inexprimable par les mots commence ? […] « Il prononça ces derniers mots en ouvrant déjà la porte de la loge, tant au seul nom de Don Juan, je m’étais empressé de me précipiter dans le corridor par la porte tapissée.

1991. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Troisième partie de Goethe. — Schiller » pp. 313-392

Disons donc un mot de Schiller. […] Ce mot du stoïcisme ou de l’indifférence resta le proverbe du superbe égoïsme du grand homme en Allemagne. […] voilà les mots qui retentissent. […] Un mot sur cet épisode très curieux de la vieillesse du grand homme. […] Elle ne marchait pas, elle glissait ; vous comprendrez ce que j’entends par ce mot.

1992. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1874 » pp. 106-168

Avec le sérieux implacable, le sérieux presque cruel de tous les comiques du dix-neuvième siècle, le dit Labiche lâche des mots drôles, des mots faisant rire les gens qui ont le rire facile. […] Mardi 3 mars Un joli mot de Paul de Saint-Victor, à propos de la mondanité de Renan : « Renan, c’est le gandin de l’exégèse !  […] À mon adieu, la princesse riposte, presque brutalement : « Pas ce mot, je ne l’aime pas, dites au revoir ?  […] Il ne dit pas un mot, mais m’indique, d’un bras théâtralement tendu, la porte… Je ramasse mon carton, tout en me disant à moi-même : puisqu’il la fait à la noblesse, il faut la continuer… Et le père me voit, une main devant les yeux, la colonne vertébrale, secouée de mouvements de désespoir, sortir de la pièce, avec la marche de Levassor, dans la parodie de Lucie de Lammermoor. […] Le duc d’Aumale, il n’y a qu’un mot pour le peindre : c’est le type du vieux colonel de cavalerie légère.

1993. (1857) Cours familier de littérature. IV « XIXe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset (suite) » pp. 1-80

Mais voyez comme la matérialité de la sensation se révèle jusque dans ces élans par la brutalité des mots. […] Entre ces deux mots il y a la distance qui existe entre l’âme et la chair, entre don Juan et Platon. […] Dalti la regardait, mais sans dire un seul mot. […] vous le murmurez dans vos sphères sacrées, Étoiles du matin, ce mot triste et charmant ! […] tout finit par ce mot peut-être, pour le héros comme pour le poète.

1994. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — I. » pp. 195-212

Mézeray est d’humeur libre et non servile, d’humeur même républicaine, à prendre le mot dans l’antique acception de nos pères ; il n’a qu’à se laisser aller pour être caustique et satirique. […] On aura remarqué que Mézeray affectionne ce mot de vaste dans le sens de l’étymologie, qui est celui d’un défaut. […] De ce même roi Henri III, rentrant en France et débutant par une faiblesse et une perfidie : « Voilà la première faute que fit le roi, chopant, comme dit le proverbe, à l’entrée de la porte. » Il a habituellement de ces mots, grabuges, empêtrer dans des filets, etc., qu’on voudrait effacer ; il fait, en tout, passer le naturel avant la noblesse. […] [NdA] Cette acception du mot développer est encore mieux définie dans la phrase suivante, qui se rapporte à Marguerite, sœur de François Ier : « Les nouveaux Évangélistes l’avaient autrefois pensé embrouiller dans leurs erreurs : mais ce puissant génie, ayant reconnu la vérité, en était heureusement développé. »

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