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1276. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paria Korigan » pp. 341-349

Mais si, au lieu d’être des souvenirs, ce sont des inventions que ces histoires qui se suivent, variées de sujet, mais, toutes, dans l’unité de la même inspiration, eh bien, j’ai dit en commençant le mot de génie, et je ne m’en dédirai pas ! […] Il n’y a qu’un mot enthousiaste qui puisse caractériser le genre d’impression qu’elles produisent, et ce mot-là, c’est le conseil de lire un volume qu’on est presque heureux de n’avoir pas lu encore, parce que le souvenir d’un bonheur vaut bien moins que son espérance !

1277. (1915) La philosophie française « II »

Quand ils ont eu besoin de moyens d’expression nouveaux, ils ne les ont pas cherchés, comme on l’a fait ailleurs, dans la création d’un vocabulaire spécial (opération qui aboutit souvent à enfermer, dans des termes artificiellement composés, des idées incomplètement digérées), mais plutôt dans un assemblage ingénieux des mots usuels, qui donne à ces mots de nouvelles nuances de sens et leur permet de traduire des idées plus subtiles ou plus profondes. […] En un mot, l’union étroite de la philosophie et de la science est un fait si constant, en France qu’il pourrait suffire à caractériser et à définir la philosophie française.

1278. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1888 » pp. 231-328

Il veut qu’on signe l’article d’un mot, comme inconnu. Sur ce désir, Périvier prononce le mot : Ignotus, qui est agréé par Villemessant. […] Il y a un dîneur que j’ai déjà rencontré, un Marseillais, à l’oreille appartenant toute au chant des oiseaux, et qui n’en donne pas seulement le son, mais qui en répète, mot à mot, la chanson. […] Un mot caractéristique de ce temps. […] Toutefois, son professeur était humilié de la petitesse de sa taille, de son air enfant, et pour s’en débarrasser, un jour, il lui donnait comme pensum, à copier six fois, mot à mot, le De viris illustribus.

1279. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

Il a souligné dans le texte le mot nouveau. […] Il eût signé sans doute avec entier acquiescement le mot célèbre de M.  […] Elle paraît bien pourtant dépasser le but, quand, comme ici, elle exige l’identité des deux consonnes « qui, dans les mots qui riment ensemble, se trouvent placées immédiatement devant la dernière voyelle ou diphtongue pour les mots à rime masculine, et immédiatement devant l’avant-dernière voyelle ou diphtongue, pour les mots à rime féminine323 ». […] Où sera la surprise de la rime si nous ne sentons ni n’apercevons l’ingénieux travail qu’il a fallu accomplir pour amener et joindre entre eux, par le sens de la phrase, plusieurs mots disparates ? […] En un mot, j’aurais voulu substituer la science, l’inspiration, la vie toujours renouvelée et variée à une loi mécanique et immobile329.

1280. (1914) Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne pp. 59-331

Comme tant d’autres il savait ce mot de meurtre et il ne savait pas que c’était un mot de meurtre. Il répétait ce mot de meurtre et il ne voyait pas que c’était un mot de meurtre. […] Mon premier mot sera de réponse à ce qu’ils disent et mon deuxième mot sera le mot de ma propre position. […] En un mot nous sommes serrés. […] Conducteurs, quel mot admirable.

1281. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre V. Comment finissent les comédiennes » pp. 216-393

— En un mot, disent-ils, est-ce que avant Molière il n’y avait pas de comédie ? […] En un mot toutes les exclamations furibondes. […] Il avait l’esprit, la grâce, et le sourire, et le bon mot. […] Il savait que ce mot-là : Un fou ! […] Quant à écrire un mot de remerciement à ces dames, Monsieur ne daigne.

1282. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Argument » pp. 355-356

(Il prend le mot meilleurs dans un sens très général. […] Remarques sur les mots hommage, baron, sur les précaires, sur la recommandation personnelle, et sur les alleux.

1283. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Je ne mettrai de sa réponse que deux ou trois strophes dans lesquelles elle réclamait avec confusion contre le mot de gloire que lui avait jeté magnifiquement le grand poète : Mais dans ces chants que ma mémoire Et mon cœur s’apprennent tout bas, Doux à lire, plus doux à croire, Oh ! n’as-tu pas dit le mot gloire ? Et ce mot, je ne l’entends pas : Car je suis une faible femme, Je n’ai su qu’aimer et souffrir ; Ma pauvre lyre, c’est mon âme, Et toi seul découvres la flamme D’une lampe qui va mourir… Je suis l’indigente glaneuse Qui d’un peu d’épis oubliés À paré sa gerbe épineuse, Quand ta charité lumineuse Verse du blé pur à mes pieds… Envoyant à M.  […] Alfred de Vigny disait d’elle qu’elle était « le plus grand esprit féminin de notre temps. » Je me contenterais de l’appeler « l’âme féminine la plus pleine de courage, de tendresse et de miséricorde. » — Béranger lui écrivait : « Une sensibilité exquise distingue vos productions et se révèle dans toutes vos paroles. » — Brizeux l’a appelée : « Belle âme au timbre d’or. » — Victor Hugo, enfin, lui a écrit, et cette fois sans que la parole sous sa plume dépasse en rien l’idée : « Vous êtes la femme même, vous êtes la poésie même. — Vous êtes un talent charmant, le talent de femme le plus pénétrant que je connaisse. » Et un seul mot en finissant pour ceux et celles qui trouveraient que j’ai parlé bien longuement des douleurs de Mme Valmore, et qui, se reportant à leurs propres peines, seraient tentés de dire : « Et moi donc, suis-je sur des roses ? 

1284. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « quelque temps après avoir parlé de casanova, et en abordant le livre des « pèlerins polonais » de mickiewicz. » pp. 512-524

Tout cela est bien long pour dire qu’ayant parlé l’autre fois de quelque ouvrage assez peu grave nous avons à donner aujourd’hui un mot sur une œuvre de patriotisme et de piété, et pour demander pardon d’être la même plume qui passe d’un Casanova au livre des Pèlerins polonais… « Moi, disait Diderot, mon métier est celui de critique, métier comme celui d’homme d’affaires, d’avoué, d’avocat consultant et plaidant, de médecin. […] Hugo, je disais, après quelques mots sur sa Comédie de la Mort (15 septembre 1838) : … Voilà pour l’éloge ; mais, à peine sorti de cette pièce, et en continuant la lecture du volume à travers les autres pièces de tous les tons qui le composent, on ne tarde pas à s’apercevoir que le procédé de l’auteur ne se conforme pas toujours au sujet, n’est pas, tant s’en faut, proportionné à l’idée ou au sentiment, qu’il y a parti pris dans le mode d’expression exclusivement tourné à la couleur et à l’image. […] Je ne parle pas, bien entendu, des vers de Voltaire ; mais, dans sa prose, combien de ces mots sans image apparente, et qui sont la pensée même en son plus vrai mouvement ! […] Que peuvent de vains mots sans dessin arrêté, Et l’épithète creuse, et la rime incolore ?

1285. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Renou » pp. 301-307

Ceux qui ignorent les sensations que l’harmonie porte à l’âme diront que j’ai plus d’oreille que de jugement ; ils seront plaisans, mais j’ouvrirai l’énéide, et pour réponse à leur mot je lirai : o ter quaterque beati, … etc. je porterai à leur organe le son de l’harmonie. […] Mais si l’effet tient au choix et à l’ordre des mots, il tient aussi au choix des syllabes. Indépendamment de tout module les sons pleins et vigoureux des mots brachia, … etc. […] Mon ami, j’ai bien des remords ; je vous en dirai un mot à la fin.

1286. (1757) Réflexions sur le goût

Il prétendra que le plaisir, qu’elle nous procure est un plaisir d’opinion, qu’il faut se contenter, dans quelque ouvrage que ce soit, de parler à l’esprit et à l’âme : il jettera même par des raisonnements captieux un ridicule apparent sur le soin d’arranger des mots pour le plaisir de l’oreille. […] Il ne s’apercevra pas qu’en rompant la mesure, et en renversant les mots, il a détruit l’harmonie qui résultait de leur arrangement et de leur liaison. […] il en est au contraire le plus ferme appui, puisque cet esprit consiste à remonter en tout aux vrais principes, à reconnaître que chaque art a sa nature propre, chaque situation de l’âme son caractère, chaque chose son coloris ; en un mot à ne point confondre les limites de chaque genre. […] On peut, ce me semble, d’après ces réflexions répondre en deux mots à la question souvent agitée, si le sentiment est préférable à la discussion pour juger un ouvrage de goût.

1287. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre IV. Mme Émile de Girardin »

Et triomphant est bien le mot, puisqu’elle y triomphe, même de son déguisement en garçon ! […] Disons le mot : malgré une émotion, quelquefois très éloquente et une émotion quelquefois très sincère, Mme de Girardin était affectée. […] Ne savait-on pas bien, — ceux qui personnellement la connaissaient, — qu’elle était une de Staël encore pour la causerie ; chercheuse d’idéal et trouveuse d’esprit, et qu’elle avait des mots à son service qui n’étaient ni lyriques, ni élégiaques, mais piquants. […] Que de mots de conversation on y trouve, tantôt laissés tomber, tantôt jaillissant de la plume, qu’on ne saurait citer, tant ils sont nombreux !

1288. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Tallemant des Réaux »

Si le mot est vrai qu’« il n’est pas de héros pour les valets de chambre », on dirait le livre de Tallemant écrit sur le rapport de laquais qui ont écouté aux portes et qui l’auraient renseigné. […] Seulement, il faut le reconnaître, ce manuscrit n’est rien de plus qu’un rapport, tracé par un espion de bas étage, qui ne s’occupe jamais que d’une chose : le mot recueilli, le fait exact et rien de plus ! […] Touché et séduit par l’idée qu’il eût pu, s’il avait vécu de son temps, étaler ses aiguillettes et ses canons à côté de la robe bouffante de madame de Fiesque ou de la marquise de Sablé, Paulin Paris n’a pas un mot profond, grave et vrai, sur ce xviie  siècle qui attend toujours son juge, et qui, pour des raisons diverses, impose à tant de gens, tous plus ou moins compromis dans cette conspiration contre l’Histoire qui dure depuis deux cents ans et que de Maistre a dénoncée, mais sans pouvoir la faire condamner. […] Saint-Bonnet a dit avec son beau style lapidaire : « Triste récit en trois mots : le roi a corrompu la noblesse, « la noblesse a corrompu la bourgeoisie, la « bourgeoisie a corrompu le peuple. » On n’en était pas là encore, mais on partait pour y arriver.

1289. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Si j’avais une fille à marier ! » pp. 215-228

Nous l’aimons pour cette raison et nous le lui avons dit, quoiqu’il l’ait oublié… C’est, de naturel, un très agréable conteur, naïf et attendri, une espèce de Greuze littéraire, qui aurait toute la pureté de son talent s’il se débarbouillait de cette fumée de pipe qu’on appelle « la philosophie allemande » et qui encrasse (je pourrais dire un mot plus laid si je parlais la langue des tabagies) les plus jolies parties de ses tableaux. […] Cela n’est pas, comme vous voyez, très saisissant ni très original, mais, en revanche, c’est un peu grossier, non pas dans les mots, mais dans le fond des choses ; car la science, encore plus que le latin, brave l’honnêteté et s’en croit le droit. […] ne pouvait ni se couler ni se figer dans ce dur moule a philosophe qu’on appelle l’hégélianisme ; mais s’il ne le pouvait pas, et précisément parce qu’il n’est point du métal qui doit y entrer et en ressortir pour faire trou partout comme les balles, il n’en a pas moins en lui de l’hégélianisme en gouttelettes, et son idéal, par exemple, ce mot inventé pour esquiver le mot de Dieu dans une foule de cas, est extrait de l’idée d’Hegel !

1290. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Charles d’Héricault » pp. 291-304

On sent l’un à certaines touches larges et rapides, qui font rehaut dans ce style nerveux et clair ; on sent l’autre à des mots qui sont des entailles, — des mots tacitiens. […] IV Il n’était que cela, — et je m’en doutais bien un peu, mais je ne l’avais pas vu avec cette évidence que je dois à M. d’Héricault… On a beau se rappeler le mot d’Oxenstiern sur la médiocrité de ceux qui gouvernent les hommes pour s’expliquer la toute-puissance et la popularité de Robespierre et l’écrasement de tous ses rivaux de pouvoir, qui avaient des facultés d’esprit dix fois plus éclatantes que les siennes et des âmes vingt-cinq fois plus hautes, on a peine à croire que le monde ait été — ne fût-ce qu’une heure !  […] C’était faux, dérisoire et petit comme la haine d’une femme, un pareil mot !

1291. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XX. M. de Montalembert »

Dans une très longue introduction qui finit humblement, mais dont l’humilité se prolonge un peu trop et a l’air trop fanfare (je m’arrête à ce mot, qu’on pourrait allonger), M. de Montalembert a conscience de son œuvre. […] Je n’ai pas oublié non plus beaucoup de pages judicieuses, mais judicieuses dans tout ce que la signification de ce mot a de plus pédestre. […] Si un mot étincelant ou pénétrant y caractérise avec éclat ou profondeur une institution ou un homme, c’est que ce mot est de Bossuet, de Bossuet, qui fait rentrer du coup dans l’ombre toute la page où il est cité !

1292. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Athanase Renard. Les Philosophes et la Philosophie » pp. 431-446

Il a certainement moins de hauteur, moins d’éclat, — disons le mot ! […] Je ne sache rien de moins philosophique dans le sens que les philosophes donnent à ce mot, et c’est bien quelque chose, mais cela est-il philosophique dans le sens de vérité que nous donnons à ce mot, nous qui nous vantons de n’être pas des philosophes ? […] Le mot de « révélation des lois de l’entendement » que le Dr Renard emploie, ne peut s’entendre que d’une révélation individuelle, qu’on est libre d’admettre ou de rejeter.

1293. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Guizot »

Guizot, qui ne dit pas son dernier mot dans ce livre, car il n’y a pas de dernier mot pour cette loquacité, tenace et vivace ; Guizot, qui ne tient pas moins, dans ce livre, à faire solennellement la cène protestante et à chanter, non pas son cantique de saint Siméon, mais de Marot, en l’honneur du protestantisme, devait laisser là saint Louis et saint Vincent de Paul, qui n’ont que faire et qui détonnent un peu dans des litanies protestantes, et, s’il n’y a pas quatre grands hommes pour lui dans les rangs du protestantisme, se contenter fièrement de deux ! […] Ainsi, Guizot, qui a écrit à la tête de son livre le mot Vie, — Vies de Quatre grands chrétiens français, — n’avait pas, en réalité, le droit de l’écrire, puisqu’il ne nous donne qu’une biographie dédoublée. […] Toujours est-il que, maniaque de sympathie nouvellement éclose, il en répète le mot à chaque page, à chaque ligne, avec une fréquence qui ressemble au tic d’un appauvrissement.

1294. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Marquis Eudes de M*** »

Àce mot de démons, tout fut perdu. […] Après Rabelais, après Callot, après Voltaire, après le xviiie  siècle, nul n’aurait osé, puisqu’il faut dire le mot, croire au diable, et Chateaubriand, on s’en souvient, eut besoin de toutes les magies de sa païenne rhétorique pour faire accepter le démon à l’imagination retiédie d’une époque cadavéreuse d’athéïsme, qui croyait que c’était bien assez de revenir vers Dieu ! […] voilà qu’il trouve, pour résultat d’une étude faite dans les écrits de nos plus forts manigraphes et de nos physiologistes les plus avancés, la conclusion déconcertante que les anciennes possessions, au sens théologique du mot, se retrouvent trait pour trait au xixe  siècle, et que le Moyen Age, dont on s’est tant moqué, a ici, comme en tant d’autres choses, victorieusement raison contre l’Institut. […] Voilà, en quelques mots bien courts et bien insuffisants, l’analyse d’un mémoire que tout le monde voudra lire, car il prend l’imagination au même degré que le désir et la faculté de connaître.

1295. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « José-Maria de Heredia »

Un mot, un geste, et tous les couteaux sont en l’air, cherchant des gaines neuves ! […] avec sa nature poétique et plastique, avec ses facultés de coloriste débordant, Heredia a dû souffrir de s’être passé cette gourmette du mot à mot, humble et résigné. […] … Alors, au lieu d’un grand artiste, nous compterions un grand historien, et, toujours conquistador, il aurait planté son pennon dans l’Histoire, comme Pizarre sur la terre des Incas, et, pour finir par un mot de sa connaissance : Et le vent des hauteurs, qui souffle par rafales, Tordrait superbement ses franges triomphales !

1296. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 novembre 1885. »

» c’est leur dernier mot et elles s’enfuient d’un rire ironique et perlé. […] Les mots expriment des notions et se trouvent par cela même sur le terrain exclusif de la raison. […] Et c’est ainsi que pour la conviction la plus positive, il ne reste que ce mot : Négation ; son sens n’en est pas moins positif […] Ces mots désignent donc un état positif de l’âme, état de satisfaction pleine et profonde. […] Pourquoi ce mot, Volonté ?

1297. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Théâtre » pp. 83-168

Dans le mois de juin ou de juillet, M. de Beaufort nous le rendait, en nous disant, de premier mot, très nettement, qu’il était impossible. […] Son embarras, quelques mots, nous laissaient voir son impression. […] Renversez les mots, Monsieur, et vous aurez la vérité ! […] … — Un mot à ce propos, Monsieur. […] Une langue, où il n’existera plus de morceaux de livres, plus de phraséologie où passera le mot d’auteur, et où cependant le public sentira que c’est un lettré qui a fabriqué les paroles sortant de la bouche des acteurs, voilà la révolution à tenter !

1298. (1896) Les origines du romantisme : étude critique sur la période révolutionnaire pp. 577-607

À côté de ces pièces d’actualité qui transformaient la scène en journal parlé, le public ne tolérait que des opéras-comiques assaisonnés de jeux de mots et de calembours et des tragédies bourrées de meurtre : en voici deux spécimens. […] L’égoïsme féroce avait été une qualité nécessaire à la conservation de l’individu : « intérêt et cœur humain sont deux mots semblables », formule brutalement le Chateaubriand de l’Essai. […] La prose et les vers s’emplirent de sentiments humanitaires, le mot philanthropie, qui s’insinuait timidement dans la langue avant la révolution, vola de lèvres en lèvres ; plus tard Auguste Comte, le pédantesque et étroit philosophe bourgeois, le jugeant défraîchi, lui donna une doublure : altruisme. […] « Derrière les mots mourir pour son pays, écrit Chateaubriand, on ne voit plus que du sang, des crimes et le langage de la Convention17. » Le Mercure du 3 vendémiaire an XI ayant employé le mot patriotisme, expliquait en note qu’il prenait ce mot dans sa « signification primitive » d’avant la révolution ; « car les hommes de 1792 n’avaient pas de patriotisme quoiqu’ils parlassent beaucoup de patrie ». […] Raison, folie, chacun son mot : petit conte moral à la portée des vieux enfants, par P. 

1299. (1897) Aspects pp. -215

JOURDAIN Tant de choses en deux mots ? […] Mallarmé a perdu le sens même des mots. […] Il a trop cru aux mots et les mots l’ont perdu. […] Et, tout d’un coup, il eut conscience que le mot attendu, le mot qui jaillissait enfin du grand muet séculaire, le peuple écrasé et bâillonné était le mot de : justice. […] Et les mots faussent en la précisant l’émotion qui nous suggéra ces tableaux.

1300. (1903) Hommes et idées du XIXe siècle

Certes il a été surtout un artisan de mots ; mais après des siècles de réflexion les mots nous arrivent tout chargés de pensée, et Victor Hugo en retrouve tout le contenu. […] Personne n’a été un plus grand trouveur de mots, et sur personne les mots n’ont exercé un pouvoir plus absolu. […] C’est chez lui que du mot naît l’idée. […] Mais d’ailleurs en quel sens prend-il ce mot ? […] Il a toujours le dernier mot.

1301. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Camille Jordan, et Madame de Staël »

En un mot, il y a du talent, un beau talent : il n’y a pas miracle de talent. […] Cela me rappelle un mot d’un de ses amis, le duc de Laval, et qu’il prononçait avec une certaine moue : « les dates ! […] que le mot de Brutus prêta se tuer est beau ! […] Je vous ai écrit un mot en partant de Bondy. […] Je supplée par les quelques mots placés entre parenthèses à des mots déchirées.

1302. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Jean-Jacques Ampère »

Ampère à ce mot n’y tint pas, et tout d’un coup éclatant avec trouble et avec sanglot : « Ah ! […] Ampère aimait à citer un mot du libraire Ladvocat, qui lui avait dit un jour de cet air impertinent qu’il affectait : « L’histoire littéraire, c’est à refaire tous les quinze ans. » Il citait ce mot d’un libraire jadis à la mode avec un certain rire amer et ironique, et comme pour s’excuser lui-même de n’avoir pas mené à fin son œuvre dans cette voie. […] Écrivez-moi donc, ou venez me dire deux mots aujourd’hui à la Chambre… » J’avoue avoir peine encore aujourd’hui à comprendre la question que M.  […] Il se ressouvint que Mme Brack, tante de la jeune personne, lui avait écrit au début de son voyage, et quand il n’était encore qu’à Strasbourg, ce simple mot : Revenez ! […] « Son moi sensible n’était pas moins insatiable et infatigable que son moi intellectuel. » Un doctrinaire aurait pu dire de lui ce mot-là.

1303. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Troisième partie. — L’école historique » pp. 253-354

Mais, dans ce mot que de choses ! […] Il fut en un mot le plus humoriste des humoristes. […] Un autre parlant à elle hésita longtemps sur le mot avoine. […] Mot de Goethe. […] Mot de Schiller.

1304. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre premier. La Formation de l’Idéal classique (1498-1610) » pp. 40-106

« La plante humaine, selon le mot célèbre de Stendhal, naît-elle plus forte en Italie qu’ailleurs ?  […] Ils conçurent l’idée d’une autre vie, plus libre, plus ornée, plus « humaine » en un mot, que celle qu’ils menaient depuis cinq ou six siècles. […] Je me rappelle encore un mot de Cicéron : Nihil in simplici genere ex omni parte perfectum natura expolivit . […] Car les mots sont quelque chose de plus que les signes des idées, et une langue n’est pas seulement une algèbre, ou un organisme : elle est aussi une œuvre d’art. […] — La Pléiade a encore enseigné à la poésie, et même à la prose française, le « pouvoir intrinsèque » des mots, c’est-à-dire, qu’en toute langue, et indépendamment de ce qu’ils signifient, il y a de « beaux » mots et de vilains mots. — De quelques exagérations des romantiques à ce sujet [Cf. 

1305. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Souvenirs et correspondance tirés des papiers de Mme Récamier » pp. 303-319

On m’arracherait plutôt le cœur que le souvenir de vous avoir tant et si longtemps aimée. » M. de Chateaubriand a jeté une fois à son adresse, en un jour de mauvaise humeur, le mot de médiocrité : les lettres de M. de Laval nous montrent un homme d’une politesse, d’une sociabilité parfaites, et dont le cœur n’était pas médiocre à sentir l’amitié. […] Le duc de Laval avait de la gaieté dans l’esprit ; c’est lui qui disait d’une grande femme qui avait un grand nez : « Il faut beaucoup la ménager, car si on la fâchait, elle vous passerait son nez au travers du corps. » Le mot a été relevé comme spirituel et original ; mais je ne saurais admettre, avec l’écrivain distingué qui en a fait la remarque, qu’il n’y ait que ce mot-là à retenir dans les deux volumes. […] Il se disait assez peu de ces mots d’un ton voyant et que l’on peut citer, dans le salon de l’Abbaye-au-Bois. […] Elle racontait encore très bien qu’en 1815, comme elle s’étonnait devant le duc de Wellington que les Bourbons rentrant s’appuyassent sans répugnance sur ce même personnage, et que Louis XVIII, cédant à une prétendue nécessité de circonstance, prît pour ministre l’homme si fameux par tant d’actes révolutionnaires, le duc de Wellington, après s’être fait expliquer ce que c’étaient que ces actes (les horreurs de Lyon), lui dit, en se méprenant sur la valeur du mot français : « Oh !

1306. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Lettres d’Eugénie de Guérin, publiées par M. Trébutien. »

Type est un assez vilain mot, bien sec et bien roide, mais c’est une belle chose. […] Je vous place avec ma famille… « Savez-vous que vous me faites tristement commencer l’année par votre silence ; pas un mot, pas un signe de vie. […] Ainsi, on vient de le voir, si elle parle de quelqu’un qui a de bons sentiments dormants, elle souligne le mot comme un peu singulier ; elle craindra ailleurs de dire des cordes vibrantes. […] Le paysagiste sent bien qu’il l’est, et il ne craint pas de se trahir et de s’accuser par des mots qui sont purement du métier : « Le ciel prend toute sa valeur » ; — sa valeur au sens pittoresque et technique. — Mlle de Guérin, tout au contraire, n’a que des tons doux, suaves encore jusque dans leur vivacité. […] Mlle Eugénie de Guérin, cette fleur discrète de l’enclos du Cayla, a eu, je le sais, deux moments dans sa triste et longue jeunesse, le premier plus renfermé, plus doux, plus faible, plus enfant (si l’on put jamais lui appliquer un tel mot), avant d’avoir lu Lamennais, avant d’avoir lu Pascal, avant d’avoir souffert ; puis le second moment où elle est tout à fait mûre, avertie, fortifiée, frappée et brisée ; mais même dans ce second et plus ferme moment elle conserve quelque chose de parfaitement doux, de résigné et d’un peu effacé ; elle se dérobe à dessein : elle vient la dernière dans la procession des vierges.

1307. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, par M. J. Zeller. Et, à ce propos, du discours sur l’histoire universelle. (suite.) »

Le génie social et civilisateur des Grecs l’a surtout gagné et lui inspire de belles paroles : « Le mot de Civilité, dit-il, ne signifiait pas seulement parmi les Grecs la douceur et la déférence mutuelle qui rend les hommes sociables ; l’homme civil n’était autre chose qu’un bon citoyen qui se regarde toujours comme membre de l’État, qui se laisse conduire par les lois et conspire avec elles au bien public sans rien entreprendre sur personne. » Le mot de Civilisation n’est pas dans Bossuet, mais il fait rendre à ce mot de Civilité tout ce qu’il peut contenir de meilleur et de plus étendu. […] Ainsi ce Mithridate qui fournit matière à un si beau chapitre chez Montesquieu, n’est pas même nommé chez Bossuet. — A propos du Droit romain, des lois romaines qui ont paru si sages et si saintes que leur majesté a survécu à la ruine même de l’Empire, Bossuet a ce beau mot, souvent cité : « C’est que le bon sens qui est le maître de la vie humaine « y règne partout. » La fin de cette troisième partie peut paraître brusquée. […] Un mot d’éloge, à la fois excessif et vague, sur Charlemagne qui était la fin indiquée d’avance, montre qu’il avait peu étudié de près ce dernier des grands conquérants dont il parle comme d’un saint Louis.

1308. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre V. La Fontaine »

Il avait, dans un degré particulier de puissance, les facultés techniques du poète : les mots étaient pour lui des formes vivantes, souples, colorées, et le vers était le développement harmonieux d’une ondulation rythmique. […] Au reste, il ne faut pas se laisser égarer par les mots légendaires qui ont cours à propos du bonhomme. […] Comme Molière, il a refusé de s’enfermer dans le langage académique et dans l’usage mondain : mettant en scène toute condition et tout caractère, il lui faut des mots de toute couleur et de toute dignité. Il en prend au peuple, aux provinces, mots de cru et de terroir, savoureux et mordants : il en va chercher chez ses conteurs du xvie  siècle, chez son favori Rabelais. […] Ce sont des vers élégants, souvent jolis, parfois exquis : ce n’est pas de la poésie, ou, du moins, ce que nous mettons dans ce mot est absent.

1309. (1894) Propos de littérature « Chapitre III » pp. 50-68

Si nous prenons au sens le plus large les mots « couleur » et « ligne », celui-ci me paraît désigner un phénomène plus subjectif que celui-là. […] Par ce mot attitude, et faute d’un autre, je veux désigner la pose stable et harmonieuse ; composée, certes, de traits subjectifs, elle nie chacun d’eux en leur opposant leur propre unité par la proportion. […] Mouvement et moment sont le même mot. […] Verhaeren, illuminer le mouvement nécessaire et décisif : Il marcha vers elle et lui prit la main, Viril et franc, Elle fléchit le front comme une enfant, Et soudain beau de toute sa jeunesse Et de sa volonté et de son bel amour, Sans un détour, Il la prit sans un cri et sans un geste Et sans un mot, Bondit debout dans ses étriers Et cabra son cheval vers un galop. […] Souvent, chez celui-ci, quelques mots au détour d’une strophe, quelques comparaisons ou même une simple allusion suffisent à en fixer les lignes générales et en apportent le sentiment comme un parfum : la mer, la forêt, la plaine, passent à l’horizon de la pensée. — M. 

1310. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXIV. Arrestation et procès de Jésus. »

Une circonstance fortuite, le chant du coq, lui rappela un mot que Jésus lui avait dit. […] Le mot fatal, que Jésus avait réellement prononcé : « Je détruirai le temple de Dieu, et je le rebâtirai en trois jours », fut cité par deux témoins. […] » Ces mots furent-ils réellement prononcés ? […] Le mot grec [Greek : bêma] était passé en syro-chaldaïque. […] Pilatus est, dans cette hypothèse, un mot de la même forme que Torquatus.

1311. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Saint Anselme, par M. de Rémusat. » pp. 362-377

Il était difficile de ne pas dire un mot tout d’abord de ce qu’on a sur le cœur : mais venons vite au savant et pacifique ouvrage auquel M. de Rémusat s’est consacré tout entier, sans sortir de son sujet un seul moment. […] Parlant, il y a quelque temps, d’Horace Walpole dans la Revue des deux mondes, et jugeant le roman et la tragédie que s’avisait de composer à un certain jour cet esprit distingué, M. de Rémusat y reconnaît bien quelques mérites d’idée et d’intention, mais il n’y trouve pas le vrai cachet original, et il ajoute avec je ne sais quel retour sur lui-même : « Le mot du prédicateur : Faites ce que je vous dis, ne faites pas ce que je fais, est l’éternelle devise des esprits critiques qui se sont mêlés d’inventer. » Si M. de Rémusat a, en effet, pensé à lui-même et à ses essais de drames en écrivant ce jugement, il a été trop sévère ; je suis persuadé que, pour être artiste, c’est-à-dire producteur d’ouvrages d’imagination, pleins d’intérêt, il ne lui a manqué que d’être un peu moins nourri dès son enfance dans le luxe fin de l’esprit, et d’être aiguillonné par la nécessité, cette mère des talents. […] Sa parole, remarquable dans le latin du temps, d’ailleurs toute nourrie et imitée de saint Augustin, au milieu des oppositions de mots et de sons qu’elle affecte, a une sorte de douce magnificence. […] Anselme, qui a de beaux mots et des paroles heureuses pour exprimer sa pensée, disait en écrivant à Baudouin, roi de Jérusalem : « Il n’est rien qui soit plus cher à Dieu en ce monde que la liberté de son Église. » Ç’a été comme la devise et la maxime des seize dernières années de sa vie, et l’opinion catholique universelle lui en a su gré avec une solennelle reconnaissance. […] Il y a un beau mot de l’abbé Sieyès qui dit que « nos langues sont plus savantes que nos idées », c’est-à-dire qu’elles font croire par quantité d’expressions à des idées qu’on n’a pas, et sur lesquelles s’épuisent ensuite de grands et profonds raisonneurs.

1312. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Despréaux, avec le plus grand nombre des écrivains de son temps. » pp. 307-333

Il plaisanta sur le dernier mot, & mit au bout, Tarare pon pon… Le ridicule qu’il vouloit jetter sur la belle épître de Despréaux, parvint bientôt à la connoissance de l’auteur. […] On fit assaut de bons mots & d’épigrammes. […] A la répétition d’un opera, on a vu notre plus grand poëte & notre plus grand musicien, préts de se brouiller pour le mot de stix qui se trouvoit dans le poëme. Le musicien soutenoit que ce mot rendroit ridicule l’air le plus beau ; & le poëte assuroit le contraire, disoit que tous les mots pouvoient se chanter aussi bien qu’entrer dans les vers.

1313. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre premier. Considérations préliminaires » pp. 17-40

Le siècle sourit dédaigneusement à ce mot mystère, à cette locution quelque chose de mystérieux. En France, le mot sentiment, appliqué aux instincts de la société, est bien près d’être décrédité. Un autre mot est venu au secours de la métaphysique politique : il n’est pas encore consacré ; il ne peut tarder à l’être, puisqu’il est devenu nécessaire : ce mot est assez mystérieux aussi ; mais, à mesure qu’on l’adoptera, il sera convenu qu’il ne l’est point, et qu’il présente un sens très clair : ce mot, ou plutôt cette locution, est une certaine raison publique.

1314. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre III. Contre-épreuve fournie par l’examen de la littérature italienne » pp. 155-182

En effet, c’est la sensualité qui frappe d’abord chez lui, son amour de la beauté plastique, sa saine compréhension de l’amour physique et son grand sens pratique ; c’est qu’il est naturaliste, dans le sens profond du mot ; ce qui explique alors le fonds de mysticisme qu’il y a aussi en lui, et l’intuition géniale qui en fait le peuple des inventeurs, des précurseurs, des martyrs. — L’étranger s’étonne de la « combinazione », la blâme sans la comprendre ; elle est à la fois un art de la politesse et le dernier refuge des consciences opprimées. […] Enfin la civilisation millénaire lui donne ce respect de la beauté, qui est une grande morale et qui s’exprime en un mot intraduisible : la gentilezza. […] En d’autres termes, si considérable qu’elle soit, la valeur relative, historique, de Dante, à laquelle les philologues s’attachent si fort, n’est plus qu’un détail, comparée à la valeur absolue ; chez lui la réponse est moins significative que la question ; les mots de la prière moins beaux que le geste des mains jointes. Exilé de Florence, ne trouvant des deux côtés de l’Apennin que les lambeaux de la patrie rêvée, voyant Rome déchue, le pape à Avignon, Henri VII tombé devant Sienne, Anjou à Naples, la tyrannie partout, Dante réalise ses mots de naguère : « Nos autem, cui mundus est patria, velut piscibus æquor » (De vulg. eloq. […] Cent ans plus tard, en France, Balzac écrit Le Prince, sous Richelieu, préparant Louis XIV ; tandis qu’en Italie le grand patriote Machiavel ne peut s’inspirer que d’hommes tels que Cesare Borgia, Giuliano di Medici ou Lorenzo di Piero di Medici ; aventuriers, tyranneaux de province… En 1494 déjà, une invasion française interrompait l’épopée de Boiardo ; au xvie  siècle Arioste se réfugie dans les domaines intangibles de la fantaisie, il écrit une œuvre de beauté durable, universelle, mais inefficace pour la patrie ; ses prophéties sur l’avenir de la maison d’Este sont pleines de rhétorique et… d’ironie involontaire aussi ; après lui, Torquato Tasso subit à la fois la réaction catholique et le joug des traditions académiques. — En France, le triomphe du catholicisme est aussi celui de l’unité nationale ; « Paris vaut bien une messe » n’est pas une boutade, c’est un mot qui résume une grande nécessité ; ce catholicisme-là n’asservit pas la pensée ; pour plusieurs écrivains, qui nous l’ont dit expressément, il est la liberté ; il ne soumet pas la France à la Papauté, il mène au gallicanisme de Bossuet ; de même, la tradition académique, malgré tous ses défauts, contribue à la discipline nationale.

1315. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mariéton, Paul (1862-1911) »

Ce qui domine en lui, c’est un goût parfait que blesse toute crudité de mots, toute contorsion de phrase, tout geste désordonné. […] C’est que le poète a conservé au mot que nous discutons ici un sens devenu déjà un peu ancien.

1316. (1913) Le bovarysme « Avertissement »

Il résulte de cette croyance que toute constatation de fait tend, en langage humain, à se formuler en règle morale ; car l’illusion engendrée par le reflet de l’activité dans la conscience est si forte qu’elle domine les formes du langage et qu’elle a laissé dans les mots son empreinte. On trouvera donc, au cours de cet ouvrage, composé avec des mots, quelque trace de cette humeur où une volonté humaine, c’est-à-dire malléable, et sujette à changer sous l’empire de causes qu’elle ignore, se prend pour la mesure, des choses.

1317. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — II. (Suite.) » pp. 346-370

Roederer analysant l’opinion de Sieyès, et pour mieux faire valoir quelques-unes des vues de l’auteur, avait parlé d’une manière un peu dégagée de son humeur, de ses préventions ; en un mot, il avait fait assez lestement les honneurs de sa personne. […] Voyez avec quel abandon je crois à votre amitié… Le jour même où elle écrivait cette lettre (22 novembre 1796), Roederer allait au-devant de son désir et donnait dans le Journal de Paris une analyse bienveillante qui se terminait en ces mots : Le talent d’écrire brille de toutes parts dans cet ouvrage ; mais partout aussi on y rencontre de l’incorrection. […] Mme de Staël que quelque trait de plume avait blessée, s’en plaignait à lui en femme, avec bonne grâce, et lui disait un de ces mots qui n’accusent d’ailleurs autre chose en Roederer que l’indépendance d’un esprit critique et judicieux : « Je ne suis pas le premier des êtres qui vous ont aimé qui se soient plaints de l’impossibilité de fixer dans votre cœur un jugement durable. » C’est qu’en effet ce qui mérite le nom de jugement durable ne se fixe point dans le cœur, mais dans l’esprit, et encore, pour peu qu’on cherche le vrai, la balance y recommence toujours. […] Si Bonaparte, comme je vous le disais hier, m’avait donné un beau livre de six francs, par exemple les campagnes de Bonaparte en Italie, avec ces mots de sa main : Donné par Bonaparte à Roederer, en témoignage d’estime ou d’amitié, il m’aurait fait un plaisir très sensible. — Mais d’où peut provenir celle idée de présent, et de présent précieux ? […] De même que, dans ce passage qu’on n’a pas oublié, il a énergiquement rendu cette puissance d’organisation fatale qui semblait faite pour engendrer les tyrannies multiples, pour perpétuer l’hydre aux mille têtes et éterniser le chaos, de même ici il rend avec une précision inaccoutumée un idéal d’ordre, d’unité, de lumière, dont il avait sous les yeux l’exemplaire vivant ; en un mot, c’est le tableau de 1802, le contraire de 1792 ; c’est le monde jeune, renaissant merveilleusement après la ruine : Une commission est formée, dit-il, pour la composition d’un Code criminel, une autre pour un Code de commerce.

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