Mais fabriquer un personnage comme Fier-en-Fat, ce n’est pas peindre les faiblesses du cœur humain, c’est tout simplement faire réciter, à la première personne, les phrases burlesques d’un pamphlet, et leur donner la vie. […] Le riche Voltaire se plaît à clouer nos regards sur la vue des malheurs inévitables de la pauvre nature humaine. […] Il faut qu’on me présente des images naïves et brillantes de toutes les passions du cœur humain, et non pas seulement et toujours les grâces du marquis de Moncade6.
Il découvre très vite qu’il est incapable de pratiquer pour de bon, et dans la rigueur réelle de ses obligations, la « religion de la souffrance humaine », et qu’il n’est, comme tant d’autres, qu’un brave homme assez pitoyable et pas méchant, mais non pas héroïque… Et il souffre de cette constatation. […] Car, d’abord, comme je l’ai dit, ce livre, où se déroule une vie humaine si douce, si unie, si exempte de catastrophes et même d’ennuis matériels, est plus triste que s’il y ruisselait des larmes et du sang. […] Bossuet nous parle de l’ennui qui est naturel à toute âme bien née. « Quelle solitude que ces corps humains !
Le rideau, jusque-là baissé, en se relevant doit nous permettre de plonger dans le coin le plus sombre, le plus noir et le plus tragique d’un siècle (le XVIIe) qui a tout couvert de sa pourpre, et aussi dans cet autre coin de l’âme humaine qui résiste à toute lumière, et au fond duquel le moraliste, moins heureux que l’historien, enfonce ses regards et sa torche, sans pouvoir jamais l’éclairer ! […] On a retrouvé les faits matériels de la chronique de Kœnigsmark, le Disparu de l’Histoire sans laisser derrière lui, quelque part, comme le dernier des Ravenswood, la plume noire de sa toque, pour dire : « C’est là qu’il a passé et qu’il fut englouti. » Mais les causes de ces faits, étudiées à leur sinistre clarté, dans ces âmes d’une énergie presque fabuleuse en ces temps où, pour le bien comme pour le mal, l’âme humaine se ramollissait, pouvons-nous dire que nous les ayons ? Et n’est-ce pas à ces causes humaines que l’historien philosophe devait s’attacher ?
Comme, en matière de vérité humaine, il n’y a point de dictature, il ne peut en avoir la clémence ; mais il en a l’impartialité ! […] Ce qu’on appelle de mots si grands, l’invention humaine, le génie, la faculté de créer, n’aboutissent jamais qu’à ce résultat : idéaliser un peu l’histoire ! […] Où l’idéal se brise pour moi et devient l’impossible, il continue, pour lui, d’être à la portée de la main humaine.
Dans ce temps du xviiie siècle, dans ce temps d’anarchie si universelle que le désordre semblait passer jusque dans la physiologie humaine, et où des Chevalières d’Éon intéressaient toute l’Europe, la monstruosité s’arrêtait à cette limite, chez Gustave III et Catherine II, que l’homme qui gagne les batailles, l’homme toujours l’épée au vent, quand le danger souffle, était perpétuellement debout en Gustave l’efféminé, dans le Sardanapale au miroir qui ne demandait pas mieux, ma foi ! […] Tous les deux, par ce côté, du moins, restent imposants devant l’Histoire, au-dessus ou à côté du ridicule et du mépris qui s’attachent aux prétentions ou aux faits contraires aux lois de la nature humaine ; mais elle plus imposante que lui, — et c’est justice ! […] Mais Léouzon-Leduc se soucie bien d’aller chercher les mystères de la nature humaine à travers les écorces, obscures ou transparentes, de l’Histoire !
C’est, en effet, une des erreurs les plus profondes du spiritualisme humain, que de croire à la puissance spirituelle réduite à sa seule force isolée ; c’est la plus vaine des abstractions que de la cantonner dans la sphère mystérieuse de la conscience sans qu’elle passe à l’instant même au dehors, dans la sphère visible et les faits apparents. […] — et le livre de M. de L’Épinois ne permettrait pas, d’ailleurs, de l’oublier, — c’était principalement cette action morale intervenant dans les choses humaines au nom de Dieu, que la Papauté défendait en défendant son gouvernement temporel, comme c’était encore son action morale qu’elle sauvegardait dans son gouvernement spirituel, quand, à force de décrets, de bulles et de conciles, elle sauvegardait la pureté et l’intégrité de la Foi. […] Je n’ai point à raconter ici les résistances héroïques, au point de vue divin tout autant qu’au point de vue humain, de la Papauté contre des hommes de l’acharnement des Frédéric II, des Philippe le Bel, des Henri VII et des Louis de Bavière, des Visconti, des antipapes, ni à dérouler les résultats de ces luttes glorieuses de la Papauté, qui profitèrent même à la liberté de l’Italie que la Papauté s’efforça toujours d’affranchir du joug étranger et des interventions impériales, et qui créa contre elles ce gouvernement des municipalités italiennes, sorti si généreusement du sien !
Il s’agit de nègres, de ceux qui furent longtemps le rebut du genre humain, et qui n’en sont pas l’honneur encore ! […] Eunuque spirituel, même quand il semble posséder le plus de qualités cérébrales, ayant les vaines rages de l’eunuque, le nègre appartient-il à une de ces races déchues comme il en est plusieurs dans la grande famille humaine, et que la Bible, ce livre de toute vérité, a désignées comme devant servir les autres et porter les fardeaux à leur place, ainsi qu’elle s’exprime dans son style imagé et réel ? […] Quand on ne croit pas au hasard, aussi bête que les couleuvres africaines adorées par Soulouque et dont d’Alaux se moque avec juste raison, lorsqu’on a le bon sens d’admettre la variété providentielle des fonctions pour tous les peuples, les nègres, qui probablement ont leurs origines comme les autres races, semblent avoir été mis particulièrement dans le monde pour montrer combien est pesant aux créatures humaines le fardeau de la liberté.
Mais c’est tout autre chose aujourd’hui qu’ils font un roman, lequel, — comme tout roman, — doit être d’abord une idée, — puis une action, — et enfin un développement de nature humaine sous ses trente-six faces, avec un dénoûment qui éclaire le tout d’une suprême clarté ! […] Janin qui descend, comme on sait, de Diderot, mais du côté gauche, toutes ces influences, toutes ces dominations ont repris et enlevé au plan de leur livre, à la vérité sobre, à la nature humaine, ces messieurs de Goncourt, ces deux jeunes gens dont les uns disent : « C’est un Janin double », et les autres, « C’est un Janin dédoublé. » Évidemment, ils ont glissé dans ce qu’ils aiment. […] Comparez cette variété d’intelligences qui représentent, sous les noms de Daniel Darthès, de Michel Chrétien, de Canalis, de Bianchon, de Nathan, de Bixiou, de Blondet, etc., chacun un degré de l’esprit humain et de la civilisation parisienne, et mettez-les à côté des cinq gringalets pervers de MM. de Goncourt, Mollandeux, Nachette, Couturat, Malgras et Bourniche, ces gamins grandis et pourris sur leur tige de voyou (un mot de messieurs de Goncourt !).
Le Diable boiteux de Lesage, les Mémoires du Diable de Frédéric Soulié, ce Shakespeare des portières, dans lesquels il y a tant de vie et de vérité pourtant, ne reposent, après tout, que sur les plus grossières inventions fantastiques ; mais les Mémoires d’une femme de chambre, qui sont aussi des Mémoires du Diable à leur façon, s’appuient sur une donnée humaine d’un tout autre intérêt et d’une toute autre réalité ! […] Mais le grand observeur, dont un pareil sujet chaussait admirablement les facultés incomparables, mais cette tête qui pensait à tout ne pensa point précisément à ces Mémoires d’une femme de chambre, qui auraient si bien trouvé la place d’un chef-d’œuvre de plus parmi les chefs-d’œuvre de La Comédie humaine, et il nous a laissé, à nous qui vivons après lui, l’occasion de bénéficier, si nous pouvons, de cette distraction de son génie. […] Quel plus excellent cadre de mœurs, de comédie humaine ou sociale !
La mort de Laforgue était, pour les lettres, irréparable ; il emportait la grâce de notre mouvement, une nuance d’esprit varié, humain et philosophique ; une place est demeurée vide parmi nous. […] Toute idée qui traverse son cerveau est à ses yeux une idée humaine et naturelle : autrement d’où la percevrait il ? […] Il existe, dans le cercle humain qui lui est contingent, une vieille usurière, fille desséchée, procureuse rapace, synthèse de toute difformité morale. […] Mais le fait et des tortures qui mènent l’assassin à l’aveu, et de l’aveu même dérive du remords purement humain. […] Un pédant incapable, Malthus, enseigne qu’il faut sacrifier la génération humaine à l’agrégat du capital : il plane sur son temps un demi-siècle.
Fi des doctrines, des lois de l’art ou de l’esprit humain ! […] Il devient une preuve vivante de l’incertitude universelle, du peu de sûreté de la raison humaine. […] La peinture des caractères est humaine : celle des conditions l’est fort peu. […] Il constate avec une joie malicieuse cette contradiction très humaine chez son illustre confrère. […] Quel enthousiasme pour cet observateur des infiniment petits du cœur humain, et surtout du cœur féminin !
Faire croire à quelqu’un qu’il vous a pleinement compris, lui présenter une phrase apparemment claire, des idées carrées de partout, peut-être au fond est-ce le tromper, l’induire faussement à supposer qu’une pensée humaine, un acte humain, se laisse, dans son entier, pénétrer. […] Mais leur poésie est devenue le cœur humain lui-même. […] Une logique abstraite, une continuité forment le sel conservateur de toute parole humaine. […] A plus forte raison existe-t-il autant de durées vivantes qu’Il y a de vies humaines. […] ou celles-là qui plus loin encore éveillent sur nos fibres profondes les basses les plus graves du sentiment humain ?
La précellence du classique n’exige pas de sacrifices humains. […] C’est un lieu commun, un développement sur les vicissitudes humaines. […] Élémir Bourges a décidément une triste opinion du genre humain. […] Il a été à la fois chrétien et humain. […] » La charité est bonne et n’exclut rien d’humain.
Mais ce rien ne laisse pas d’avoir quelque importance pour les atomes humains qui le forment et qui le déterminent ; il est le délicieux nouveau que nous respirons et dont nous vivons. […] En fixant ses yeux monstrueux, mon corps tremble… Il y a comme une auréole de lumière éblouissante autour de lui… Qu’il est beau… Tu dois être puissant, car tu as une figure plus qu’humaine, triste comme l’univers, belle comme le suicide… Comment ! […] Il y a là un malentendu, vieux sans doute des six mille ans d’âge que La Bruyère donnait à la pensée humaine ; et, ce malentendu, basé sur un raisonnement très logique et très solide, nargue du haut de son socle tous les essais de conciliation. […] Sans talent et sans conscience, nul ne représenta sans doute aussi divinement que Verlaine le génie pur et simple de l’animal humain sous ses deux formes humaines : le don du verbe et le don des larmes. […] La Femme vertueuse, Paris, 1835. — Ce titre a disparu dans la Comédie Humaine.
Sa déception va être le scandale du siècle ; son échec va être la défaite du droit et celle de la conscience humaine. […] C’est encore un moyen de découvrir la réalité humaine que de la chercher dans son cœur : « J’ai mon cœur humain, moi ! […] Il se peut d’ailleurs que, lorsqu’on parle de la plante humaine ou de l’animal humain, l’expression ait une autre valeur que celle d’une simple métaphore ; il n’en reste pas moins que l’homme ne devient lui-même qu’en se différenciant de la plante et de l’animal. […] Il n’a essayé de ruiner aucun des appuis dont l’âme humaine a de tout temps étayé sa faiblesse. […] J’ai fait comme un confesseur et un casuiste, j’ai jaugé les immondices du cœur humain.
Ces dernières paroles de Bernis doivent toujours nous être présentes comme un sommet dans le lointain, lorsque nous nous abandonnons avec lui aux distractions et aux grâces humaines du voyage. […] Voltaire, en cela moins humain qu’il ne convient, se met à rire par moments de voir le roi de Prusse, son ancien ingrat, sur les dents, et la lutte acharnée des chasseurs et du sanglier : « Riez et profitez de la folie et de l’imbécillité des hommes. […] Un jour Voltaire lui envoie le Jules César de Shakespeare et l’Héraclius de Calderon, à titre de farces ou de folies, pour le divertir et le mettre en belle humeur ; et Bernis répond par une lettre pleine de grâce et de sens : Notre secrétaire (celui de l’Académie) m’a envoyé l’Héraclius de Calderon, mon cher confrère, et je viens de lire le Jules César de Shakespeare : ces deux pièces m’ont fait grand plaisir comme servant à l’histoire de l’esprit humain et du goût particulier des nations. […] Quant aux moyens, il les désire et il les conseille lents, modérés, aussi humains et aussi conciliants qu’il est possible dans un acte de cette vigueur. […] Heureux pourtant et favorisé jusqu’à la fin, puisqu’il lui fut donné, par ses derniers sacrifices, de pouvoir racheter et expier en quelque sorte les mollesses de ses débuts, de confesser une religion de pauvreté par un coin d’adversité salutaire, et de prouver qu’il y avait en lui, sous ces formes tour à tour aimables et dignes, un fonds sincère de générosité humaine et chrétienne !
Il sent qu’il est près de lui accorder ce titre, et à l’instant, par une sorte de respect humain philosophique, il s’arrête ; mais, en le lui retirant, il le retira aussi à tout ce qu’il y a eu de grand dans le monde. […] Que l’observateur ne se laisse point éblouir, même par le génie ; qu’il cherche, tout en l’admirant, à en mesurer la hauteur et ne ferme pas les yeux sur ses défauts, il ne se peut rien de plus légitime et de plus digne d’un esprit indépendant et juste : mais qu’on ne voie entre les génies proprement dits et la médiocrité qui les entoure que du plus ou du moins sans démarcation aucune, sans un degré décisif à franchir, je ne saurais appeler cela que myopie et petite vue qui étudie le genre humain comme une mousse et qui n’entend rien aux esprits d’aigle. […] L’esprit humain, à un moment donné, est le produit de tout ce qui reste de l’esprit des âges antérieurs accumulé comme une sorte de terre végétale, et qui devient ainsi le point de départ et l’excitant à demi artificiel d’une façon légèrement nouvelle de penser et de sentir. […] Telles sont quelques-unes des idées vraiment originales et à la Fontenelle, que Marivaux énonce avec autant de netteté que de hardiesse : à quoi il faut ajouter cette remarque très fine qu’il n’omettait pas, et qu’il aurait pu s’appliquer à lui-même et à ses amis, à savoir que le goût d’une époque n’est pas toujours en raison du nombre des idées qui y circulent ou qui y fermentent, et qu’il y a des temps où la critique et le goût peuvent s’altérer ou disparaître, « pendant que le fonds de l’esprit humain va toujours croissant parmi les hommes ». […] Ainsi nous avons très rarement le portrait de l’esprit humain dans sa figure naturelle : on ne nous le peint que dans un état de contorsion ; il ne va point son pas, pour ainsi dire, il a toujours une marche d’emprunt… J’arrête la pensée au moment où lui-même il va en abuser, et tandis qu’il est juste encore et qu’il est clair.
La création de l’Institut qui assemblait dans un même lien toutes les branches de l’esprit humain, tous les ordres de savoir et de talents, consacra le fait en principe ; mais qu’il restait encore à faire en pratique et dans la réalité ! […] Il ne s’agit pas de déplacer les genres, d’échanger les procédés, de transporter un art dans un autre, ce serait aller trop loin ; mais il importait, en effet, de multiplier les points de vue, de comprendre, d’embrasser sans acception de métier, toutes les expressions de talent et de génie, toutes les originalités de nature, tous les modes de l’imagination ou de l’observation humaine. […] « Un soir que nous parlions à Gavarni de ses légendes, racontent MM. de Goncourt, et que nous lui demandions comment elles lui venaient : « Toutes seules, nous dit-il ; j’attaque ma pierre sans penser ‘a la légende, et ce sont mes personnages qui me la disent… Quelquefois ils me demandent du temps… En voilà qui ne m’ont pas encore parlé… » Et il nous montrait les retardataires, des pierres lithographiques adossées au mur, la tête en bas. » Ces mots décisifs, ces paroles stridentes qui ouvrent des jours soudains sur une action, sur un ordre habituel de sentiments, et qui sont comme des sillons de lumière à travers la nature humaine, font de Gavarni un littérateur, un observateur qui rentre, autrement encore que par le crayon, dans la famille des maîtres moralistes. […] On y voit, et je l’ai déjà dit, ce qu’il pense de la politique ; on n’y voit pas moins ce qu’il pense de cette philosophie essentiellement idéale et illusoire qui, sans tenir compte de la pratique humaine et de l’expérience, prétend que « le beau n’est que la forme du bon. » Et il a même, à ce sujet, une manière de parabole ou d’apologue assez remarquable. […] Dans une lettre à Forgues sur les Petites miser es de la vie humaine qui ne put être insérée qu’en partie au National 32 à cause du trop d’irrévérence en politique, il y a une page des plus vraies et des plus touchantes d’humanité et de sentiment d’égalité, que je citerai peut-être un autre jour.
Ce monde spirituel des vérités et des essences, dont Platon a figuré l’idée sublime aux sages de notre Occident, et dont le Christ a fait quelque chose de bon, de vivant et d’accessible à tous, ne s’est jamais depuis lors éclipsé sur notre terre : toujours, et jusque dans les tumultueux déchirements, dans la poussière des luttes humaines, quelques témoins fidèles en ont entendu l’harmonie, en ont glorifié la lumière et ont vécu en s’efforçant de le gagner. […] Il faut, en effet, pour arriver à elles, pour prétendre à les ravir et à être nommé d’elles leur bienfaiteur, joindre à un fonds aussi précieux, aussi excellent que celui de l’Homme de Désir, une expression peinte aux yeux sans énigme, la forme à la fois intelligente et enchanteresse, la beauté rayonnante, idéale, mais suffisamment humaine, l’image simple et parlante comme l’employaient Virgile et Fénelon, de ces images dont la nature est semée, et qui répondent à nos secrètes empreintes ; il faut être un homme du milieu de ce monde, avoir peut-être moins purement vécu que le théosophe, sans que pourtant le sentiment du Saint se soit jamais affaibli au cœur ; il faut enfin croire en soi et oser, ne pas être humble de l’humilité contrite des solitaires, et aimer un peu la gloire comme l’aimaient ces poëtes chrétiens qu’on couronnait au Capitole. […] Ces deux derniers qui, sous l’appareil de la philanthropie ou de l’orthodoxie, couvraient des portions de tristesse chagrine et de préoccupation assez amère, dont il n’y a pas trace chez leur rivale expansive, avaient le mérite de sentir, de peindre bien autrement qu’elle cette nature solitaire qui, tant de fois, les avait consolés des hommes ; ils étaient vraiment religieux par là, tandis qu’elle, elle était plutôt religieuse en vertu de ses sympathies humaines. […] Et en même temps, sa forme, la moins circonscrite, la moins matérielle, la plus diffusible des formes dont jamais langage humain ait revêtu une pensée de poëte, est d’un symbole constant, partout lucide et immédiatement perceptible. […] Et dans ton sein coulait cette harmonie humaine, Sans laisser d’autre ivresse à ta lèvre sereine Qu’un sourire suave, à peine s’imprimant ; Ton œil étincelait sans éblouissement, Et ta voix mâle, sobre et jamais débordée, Dans sa vibration marquait mieux chaque idée !
L’idéal est dans le choix, dans la délicatesse du trait et dans un certain ton humain et pieux qui s’y répand doucement. […] L’auteur du Lépreux, de la Jeune Sibérienne et des Prisonniers du Caucase a, sans doute, bien moins de couleur, de relief et de burin, bien moins d’art, en un mot, que l’auteur de la Prise d’une redoute ou de Matteo Falcone, mais il est également parfait en son genre, il a surtout du naïf et de l’humain. […] Il n’en fut pas aussi satisfait que moi : la douleur aride et quelquefois rebelle du Lépreux lui paraissait, me dit-il, comme une autre lèpre qui desséchait son âme ; cet infortuné (ajoutait-il), révolté contre le sort, n’offrait guère à l’esprit que l’idée de la souffrance physique, et ne pouvait exciter que l’espèce de pitié vulgaire qui s’attache aux infirmités humaines. […] La Jeune Sibérienne est surtout délicieuse par le pathétique vrai, suivi, profond de source, modéré de ton, entremêlé d’une observation fine et doucement malicieuse de la nature humaine, que le sobre auteur discerne encore même à travers une larme. […] En même temps que le comte Xavier de Maistre s’est offert à nous comme un de ces hommes dont la rencontre console de bien des mécomptes en littérature et réconcilie doucement avec la nature humaine, il y a, dans la publicité insensible et croissante de ses ouvrages, un mouvement remarquable qui peut encore, ce semble, rassurer le goût.
Son dessin précis et sec convenait mieux à l’expression des types humains, des ouvrages de l’industrie humaine, des choses enfin et des êtres qu’on peut isoler dans leur figure et leur individualité propres. […] Sans philosophie originale, sans expérience personnelle du cœur humain, incapable d’aller au-delà du décor et du masque, il ne pouvait faire, il ne fît dans ses Satires et ses Épîtres morales, que répéter des lieux communs. […] Nous avons peine aussi à convenir que les dissertations morales de Boileau, ses nobles démonstrations de la sottise humaine, ou ses languissantes diatribes contre le faux honneur et l’équivoque, soient de la poésie. […] Lisez la Satire IV sur les Folies humaines.
C’est tout un monde, organisé sur le modèle de la société humaine. […] Ce sont des motifs humains, non leurs instincts d’animaux, qui les rapprochent ou les brouillent. […] Et le charme de ces romans de Renart, comme celui des Fables de La Fontaine, consiste dans l’application aisée que l’esprit fait constamment à la vie humaine de ce qui se passe chez les bêtes. […] Dédier que les auteurs de fabliaux : n’ont point mis à contribution les recueils de contes d’origine certainement orientale, tels que la Discipline de Clergie ou le Directorium humanæ vitæ ; que dans les sujets communs à l’Occident et à l’Orient il n’est pas toujours certain que la rédaction orientale — la plus anciennement écrite — soit la source réelle et primitive des versions occidentales ; que la tradition orale où puisaient nos conteurs renfermait des contes de toute provenance, où l’Inde a pu apporter son contingent, mais autant et pas plus que n’importe quel autre pays77 ; enfin que la plupart des sujets de fabliaux ont pu naître n’importe où, étant formés d’éléments humains et généraux, et ne portant aucune marque d’origine. […] Ils n’ont même pas pour les trompeurs, les coupables, les vicieux, cette pitié attristée qui naît du sentiment de l’humaine fragilité.
Une éloquence grandiose et solennelle, qui est une vanité de plus, dit la vanité des choses humaines. […] La campagne représente aux yeux des hommes de ce temps quelque chose d’inélégant, qui sent le fumier, qui est semé de bêtes malpropres et d’êtres humains assez semblables à ces bêtes. […] L’action semble se passer n’importe où, n’importe quand, entre des âmes qui n’ont des corps que par une vieille habitude ; le décor est réduit au minimum ; la mise en scène est simplifiée à l’extrême ; l’extérieur des personnages n’est pas ce qui doit intéresser, leur vie interne a seule droit à l’attention ; et encore dans la peinture de leurs pensées et de leurs sentiments ne veut-on exprimer par des formules définitives que l’essence de la nature humaine. […] La Rochefoucauld tourne et retourne de mille façons cette idée que l’égoïsme est le mobile presque unique des actions humaines ; et c’est ainsi que cette psychologie, quoique partie de l’observation directe de la réalité, aboutit, elle aussi, à l’abstraction. […] Clovis, roi des Francs, leur apparaît comme un petit Louis XIV ; ils lui prêtent une cour, des palais splendides, un pouvoir presque absolu ; ils suppriment si bien l’élément pittoresque, ils se donnent si peu la peine de se figurer le costume et les usages des hommes d’autrefois, et surtout ils imaginent si naïvement la persistance à travers les âges d’un « cœur humain » identique à lui-même, que le tissu de l’histoire devient quelque chose de terne et de grisâtre où rien ne se détache en relief.
Le Noir, lieutenant général de police, homme bon et humain, touché dès l’abord de la situation de Mirabeau, lui permit de correspondre avec Sophie et avec quelques autres personnes, à la condition que les lettres passeraient par les mains de M. […] Boucher, homme non moins humain et aussi discret que délicat, âme véritablement d’élite et cœur d’or enseveli dans les antres de la police de ce temps-là, se prêta à cette correspondance avec toute l’indulgence et, on peut dire, la tendresse conciliable avec ses devoirs. […] Souffrez que je voie le soleil, que je respire plus au large, que j’envisage des humains, que j’aie des ressources littéraires, depuis si longtemps unique soulagement à mes maux, que je sache si mon fils respire et ce qu’il fait… Telle est cette admirable et douloureuse page qu’il est impossible de lire sans émotion et sans larmes. […] Le Noir, cet équitable et généreux lieutenant de police, peut-être, qu’il me soit permis de le dire, pourrait-on tirer de moi un parti plus utile et plus humain. […] Et ce même homme, vers ce même moment, après des mois de captivité, sentant la belle saison qui renaissait et qui le faisait, lui aussi, renaître en même temps que souffrir, jouissant enfin de quelque adoucissement qui consistait à se promener chaque jour depuis huit heures du matin jusqu’à neuf, écrivait à Sophie : « C’est bien court, mais je quitte sans regret le jardin, en pensant que je fais place à quelque malheureux compagnon de mon sort. » Ne sentez-vous pas dans cette parole simple l’homme humain et qui sait compatir, l’homme de Virgile et celui de Térence ?
Enfin, quelle que soit la place qu’on occupe soi-même dans la grande bagarre humaine dont nous faisons tous partie, on ne peut plus méconnaître en lui un philosophe politique du premier ordre, un de ceux qui, en nous éclairant sur l’esprit d’organisation des anciennes sociétés, donnent le plus à penser sur les destinées et la direction future des sociétés modernes. […] M. de Maistre, tout au contraire, pensait que, dans les choses humaines, la Providence y va et par quatre et par mille chemins ; et pour lui, il n’hésite pas à le dire, si la Coalition triomphait au complet, il verrait dans la destruction de la France « le germe de deux siècles de massacres, la sanction des maximes du plus odieux machiavélisme, l’abrutissement irrévocable de l’espèce humaine, et même, ce qui vous étonnerait beaucoup, une plaie mortelle à la religion : mais tout cela exigerait un livre ». […] Il ne compte point, pour renverser Bonaparte et son pouvoir, sur le choc armé de l’Europe, mais bien plutôt sur la France et sur l’opinion du dedans : « Tant que les Français supporteront Bonaparte, l’Europe sera forcée de le supporter. » Plus il examine ce qui se passe, plus il se persuade qu’il assiste à une des grandes époques du genre humain. […] Ce sont ces sentiments si vrais, si naturels et si pleins d’émotion, qu’on n’était pas accoutumé à rattacher au nom de M. de Maistre, et qui vont désormais donner à sa physionomie un caractère plus aimable et plus humain.
Toute cette correspondance est laide ; elle sent la secte et le complot, la confrérie et la société secrète ; de quelque point de vue qu’on l’envisage, elle ne fait point honneur à des hommes qui érigent le mensonge en principe, et qui partent du mépris de leurs semblables comme de la première condition pour les éclairer : « Éclairez et méprisez le genre humain ! […] On dit, je ne sais où, qu’on ne peut servir deux maîtres ; j’en veux avoir quatre pour n’en avoir point du tout, et pour jouir pleinement du plus bel apanage de la nature humaine, qu’on nomme liberté. […] À peine entré en possession, Voltaire commence, sous tous les prétextes, à recourir au Président et à le harceler : il est curieux de voir, dans cette suite de lettres, comme les intérêts de l’humanité et du genre humain interviennent et sont toujours invoqués à côté des intérêts particuliers les plus minces. […] Instruisez-moi, je vous en conjure. » Les idiots de Ferney, c’est-à-dire les paroissiens ; notez cette perpétuelle et cruelle méthode de mépriser ceux qu’on prétend servir, et de substituer l’insolente satisfaction de l’orgueil en lieu et place de l’humaine charité. […] Quant à Voltaire, il est impossible, lorsqu’on le connaît bien et qu’on l’a vu en ses divers accès, de le prendre pour autre chose que pour un démon de grâce, d’esprit, et bien souvent aussi (il faut le dire) de bon sens et de raison, pour un élément aveugle et brillant, souvent lumineux, un météore qui ne se conduit pas, plutôt que pour une personne humaine et morale.
tandis que vous parlez tout à votre aise, moi, je vais vous servir d’une manière précise, et je me charge de faire brèche par la chronologie. » Aujourd’hui un christianisme éclairé et élevé, véritablement conciliateur, n’a pas craint d’ouvrir le champ de la discussion sur tous ces points qui sont livrés à la controverse humaine ; la chronologie est libre, comme la physique, dans ses explications et ses conjectures : la foi appuie sur des arches désormais plus larges son canal sacré, Volney, ne se trouvant plus en face d’un adversaire armé, ne saurait trop que faire de son aigreur, et il serait tout étonné de n’avoir plus à s’en prendre qu’à des dates dans son acharnement en chronologie. […] Il ne laisse pas d’être misanthropique pourtant, et le besoin d’aller toujours au fond des ressorts humains l’empêche de voir ce qui les recouvre souvent dans l’habitude, et ce qui en rend le jeu plus tolérable et plus doux. […] Croirait-on qu’après s’être arrêté très au long sur les ruines de Balbek et de Palmyre, il continue en ces termes : « À deux journées au sud de Nâblous, en marchant par des montagnes qui, à chaque pas, deviennent plus rocailleuses et plus arides, l’on arrive à une ville qui, comme tant d’autres que nous avons parcourues, présente un grand exemple de la vicissitude des choses humaines. » Cette ville qui est, selon lui, comme tant d’autres, c’est Jérusalem. […] Jamais, avec lui, un grand mot de Job ne vient traverser l’âme humaine et faire parler ses douleurs ; jamais l’aigle du prophète ne s’élève à l’horizon et ne plane sur les ruines. […] Ce moraliste qui se piquait d’être sans illusion se trouva pris au dépourvu sur la nature humaine.
Un honnête homme peut fort bien s’élever contre la superstition et contre le fanatisme ; il peut détester la persécution ; il rend service au genre humain s’il répand les principes de la tolérance : mais quel service peut-il rendre s’il répand l’athéisme ? […] » Où en serait le genre humain, s’il fallait étudier la dynamique et l’astronomie pour connaître l’Être-Suprême ? […] V, chap. 2] On sera bien aise de trouver ici le beau morceau de Bossuet sur saint Paul… « Afin que vous compreniez quel est donc ce prédicateur, destiné par la Providence pour confondre la sagesse humaine, écoutez la description que j’en ai tirée de lui-même dans la première épître aux Corinthiens. […] À Dieu ne plaise, répond ce grand homme, que je mêle la sagesse humaine à la sagesse du Fils de Dieu ; c’est la volonté de mon maître, que mes paroles ne soient pas moins rudes, que ma doctrine paraît incroyable224 : Non in persuasibilibus humanæ sapientiæ verbis… Saint Paul rejette tous les artifices de la rhétorique. […] De là vient que nous admirons dans ses admirables épîtres une certaine vertu plus qu’humaine, qui persuade contre les règles, ou plutôt qui ne persuade pas tant qu’elle captive les entendements, qui ne flatte pas les oreilles, mais qui porte ses coups droit au cœur.
L’Amour céleste répond à l’appel désespéré de l’Amour humain. […] Partout nous trouverons le même sentiment, parlant en rythmes graves et amples, d’un ton pénétré, qui sait être solennel sans emphase, parce qu’il s’inspire du plus profond de la conviction humaine, à ce point où le cœur touche à la raison, où la foi du chrétien se confond avec la dialectique du philosophe.
Comment un homme dont l’esprit est insensible à la gloire militaire, et qui ne regarde ce qu’on appelle vulgairement un conquerant que comme un furieux à charge au genre humain, peut-il être vivement interessé par les mouvemens inquiets de l’impetueux Achile quand il imagine qu’on conspire pour l’empêcher de s’aller immortaliser en prenant Troye. […] Les transports forcenez d’un ambitieux, au desespoir qu’on lui ait préferé pour remplir un poste éminent et l’objet de ses desirs, celui de ses rivaux qu’il méprisoit davantage, peuvent donc bien interesser vivement ceux qui sçavent par leur propre experience que la passion que le poëte dépeint peut exciter dans le coeur humain ces mouvemens furieux : mais toutes ces agitations, que quelques écrivains nomment la fievre d’ambition, toucheront foiblement les hommes à qui leur tranquillité naturelle a permis de se nourrir l’esprit de reflexions philosophiques, et qui plusieurs fois se sont dit à eux-mêmes que les personnes qui distribuent les emplois se déterminent souvent dans tous les païs et dans tous les tems par des motifs injustes ou frivoles.
Ils sentent que ni l’épopée, ni la tragédie, ni la comédie, ni la satire n’épuisent, pour ainsi parler, ce que la vie humaine a de littérairement imitable. […] Rien que de profondément humain et de très naturel. […] Si Dieu n’existait pas, dit-il, il y aurait donc dans l’entendement humain quelque chose de plus que dans la nature, ce qui est de soi parfaitement absurde. […] Mais l’auteur de Candide a-t-il nulle part traité la « guenille » humaine plus outrageusement que celui du Malade imaginaire ? […] Le président de Montesquieu, qui faisait en gros trop d’estime de l’espèce humaine, la méprise trop en détail.
Il ne se pose pas majestueusement en restaurateur de la science ; il ne déclare pas, comme vos Allemands, que son livre va ouvrir une nouvelle ère au genre humain. […] Renouveler la notion de cause, c’est transformer la pensée humaine ; et vous allez voir comment Mill, avec Hume et M. […] « C’est à cette méthode, dit Mill, que l’esprit humain doit ses plus grands triomphes. […] Il a décrit l’esprit anglais en croyant décrire l’esprit humain. […] Reprenons votre idée primitive ; je tâcherai de dire en quoi je la trouve incomplète, et en quoi il me semble que vous mutilez l’esprit humain.
Ainsi, la vie humaine n’aurait pas d’autre objet que la recherche de la vérité ; et, cette vérité, l’esprit humain la trouverait dans l’ordre mathématique. […] L’esprit humain lui est plus favorable qu’à une autre. […] … Ce qu’on pourra nous dire de la valeur d’une réalité humaine ne nous consolera pas. […] En effet, la philosophie est l’effort que fait la pensée humaine pour ramener les choses à un principe commun, qui soit un principe de pensée humaine. […] … » Que deviendra alors l’âme humaine ?
Nous aimons mieux chercher ailleurs des preuves plus humaines de la thèse que nous avons adoptée. […] Pour trouver le fond de l’âme humaine, il faut donc non pas s’arrêter à la race, comme nous le conseille M. […] Voilà donc à quoi se réduit cette existence humaine, si tumultueuse, si fiévreuse dont depuis vingt-cinq ans je vous ai fait entendre le fracas ! […] Voici les traits sous lesquels je vous ai montré cette âme humaine si noble et si basse, si démoniaque et si angélique. […] Comme le genre humain est beau !
On le voit, dans la plupart des événements de la vie humaine, la parole intérieure joue un rôle de première importance. […] Jusqu’à ce qu’on en soit venu à ce point, on parle toujours en soi-même un langage humain et on revêtit ses pensées des paroles dont on se servirait pour les exprimer à un autre. […] Essai sur l’entendement humain (1690), livre IV, chap v, § 4 et chap. […] Nouveaux essais sur l’entendement humain (1703), livre III, chap. […] Bossuet exclut du langage humain le pur spirituel, tandis que, pour Bonald, le pur spirituel est l’objet propre du langage.
. — En quoi l’intelligence humaine se distingue de l’intelligence animale […] Ce groupe est fort abondant ; on s’en aperçoit à la multitude des détails qu’on est obligé de donner quand on essaye de décrire une figure et une âme humaines. […] Il n’est pas même besoin toujours que les mots soient transmis, de propos délibéré, et par une bouche humaine : parfois l’enfant les prend dans les sons involontaires qu’il profère ou dans les sons accidentels qu’il surprend81. […] Mais il est clair que les caractères propres au corps humain sont infiniment plus nombreux ; une telle notion en représente cinq ou six, et des plus extérieurs ; accroissons-la de tous ceux que l’observation prolongée et variée pourra découvrir. — L’anatomiste arrive avec l’envie de voir le détail et le dedans ; il dissèque, note, décrit et dessine. […] Nous isolons ce dernier motif, nous désirons qu’il ait l’ascendant dans chaque délibération humaine, nous le louons tout haut, nous le recommandons à autrui, nous faisons parfois effort pour lui donner l’empire chez nous-mêmes.
L’inattendu est le nom des choses humaines. […] Il fut froid et un peu guindé avec un jeune homme qui ne demandait qu’à l’adorer comme un être plus qu’humain. […] Le marquis de La Maisonfort avait le genre d’esprit de Rivarol ; c’était un émigré comme Rivarol : il avait autant d’esprit, et du meilleur, qu’il soit possible d’en concentrer dans une tête humaine, même au pays de Voltaire et du chevalier de Grammont. […] Des hommes, et non pas de la poussière humaine ! […] Des hommes, et non pas de la poussière humaine !
De plus, le peuple de France, par instinct peut-être ou grâce à l’éducation que lui ont donnée les événements, témoigne de nos jours une préférence visible pour l’idéal fraternel et humain qui fut dressé, comme un phare éblouissant, par nos penseurs et nos hommes d’action du siècle dernier. […] Il n’a certes pas manqué d’hommes qui, aimant mieux obtenir le succès que le mériter, se sont abaissés au niveau d’une foule ignorante au lieu de travailler à l’élever jusqu’aux purs sommets de l’idéal humain. […] Or, ainsi que l’a dit un écrivain moderne73, « les grands poètes naissent comme les bluets dans les blés ; mais dans les moissons humaines que faisait Napoléon, les bluets tombaient avec les épis » […] Il est hors du vraisemblable. » Le Genevois Mallet du Pan s’écriait : « Sa carrière est un poème. » Et en effet, Napoléon n’était pas mort qu’il était légendaire ; il prenait des proportions de géant ; il apparaissait au début du siècle comme un colosse dépassant la stature humaine, comme un volcan couronné de fumée, suivant la comparaison d’un poète. […] Voir Letourneau, L’évolution littéraire dans les diverses races humaines, p. 532.
Il tient à eux par la conception qu’il a de son art, le voulant à la fois moralisateur et amusant par sa notion superficielle de l’être humain qu’il ne sait ni étudier ni montrer tel qu’il est, mais qu’il simplifie et déforme tel qu’il le lui faut pour faire rire ou s’indigner, par l’invraisemblance et l’incohérence de ses fables, par l’outrance de sa verve, par son ignorance de la nature, de la beauté, du normal, des grandes passions et des grands intérêts humains. […] Les mobiles de la conduite des personnages sont encore purement fantastiques ; c’est tantôt une bonté stupide, tantôt la méchanceté pure, tantôt une rapacité ou un désintéressement également extrêmes, au contraire, les grands intérêts passionnels ou spirituels humains, l’amour, ce pivot de presque toutes nos œuvres d’imagination, l’ambition, la soif de science, de gloire, de pouvoir, de jouissance, ne jouent aucun rôle presque dans ces singuliers livres. […] Son œuvre n’est pas consacrée à susciter les profondes émotions induites de science et de sympathie que cause le spectacle de quelque grande âme humaine mise à nu. […] L’excellent, naïf et docte président du Pickwick-Club, ses honorables acolytes, sujets malheureusement à tant de faiblesses humaines, Tupman, Snowgrass Winkle, sont de merveilleuses créations comiques ; on ne cesse de sourire de leurs aventures, de celles qu’introduisent le postillon Weller et son célèbre fils, ou ce maigre et délié imposteur, M. […] Les préceptes religieux qui sont généralement de cet ordre ont pu prendre l’imagination, modifier nos spéculations, inspirer même des actes antinaturels ; ils n’ont jamais dicté de conduite ni réformé de peuple, et la permanence des grands traits de la nature humaine, dans tous les âges et dans toutes les contrées, est garante de cette impuissance des morales édictées.
Les guerres de religion, atroces mais saintes, dans les deux partis, avaient remué et exercé jusqu’au fond des âmes le plus fort, le plus noble, le plus divin des héroïsmes humains, l’héroïsme de la conscience, non pas celui qui fait les héros, mais celui qui fait les martyrs. […] Cette exagération de foi et de mœurs aurait fini par révolter la faiblesse humaine et par réduire le christianisme à un petit groupe de chrétiens forcenés qui auraient damné le monde en sauvant quelques sectaires. […] Sa mémoire, aussi heureuse que son imagination était émue, s’imprégnait de ces belles harmonies de la poésie grecque, de cette musique passionnée du cœur humain. […] C’est que le poète tragique est conduit à ne peindre que des péripéties ou des convulsions suprêmes de l’âme de ses personnages, et que tous les sentiments doux, habituels, modérés du cœur humain, sont retranchés forcément de sa poésie. Or, les sentiments doux, habituels, modérés, heureux, de l’âme humaine, sont cependant des notes délicieuses de la poésie, cette musique de l’âme.
ou encore une apparition indécise, chez qui le terrible ne serait plus que le vague, sans réalité humaine, sans cœur, sans entrailles, voilà donc à quoi, avec ses grisailles, M. […] Après avoir, dans les autres volumes de son livre, insulté cette grande sainte de la Fierté et de la Pureté humaines, Marie-Antoinette, et profané l’Ange de l’amitié, massacré pour n’avoir pas voulu la maudire (Madame de Lamballe), à qui pouvait s’en prendre M. […] Excité par la Providence, seul, ce terrible souffle mit à flot tous ces chétifs brûlots humains, porte-noms, porte-enseignes et porte-flammes d’une révolution signée : Dieu ! […] Il n’est point un Pascal de l’histoire, un rabaisseur de l’orgueil humain devant la grandeur de la Providence. […] Michelet, — avait la mélancolie d’un jeune cœur auquel quelque chose a manqué. — L’enfant, le seul enfant qu’elle eut, naquit neuf mois après la prise de la Bastille, — ce fut elle qui donna à Condorcet le sublime conseil de… terminer l’Esquisse des progrès de l’esprit humain. » Tels sont les seuls et singuliers mérites de Sophie Condorcet que M.
M. de Musset, — il nous l’a dit lui-même dans une ravissante boutade, — ne croit pas à l’observation, à l’étude du cœur humain, dans ce qu’elle a de collectif et de concluant. Il a son cœur humain, lui, et il s’inquiète peu de celui des autres. […] Tant il est vrai que tout se tient dans la longue chaine des erreurs humaines ! […] » fût le dernier mot, le plus bel effort, la suprême merveille de l’esprit humain. […] C’est là qu’il va être marqué de ce caractère distinctif, indélébile, unique, qui lui assure une place et une couronne à part dans le sombre royaume des afflictions humaines.