A travers son exagération pathétique, qu’elle prend pour de la modération, elle réussit, quoi qu’il en soit, à nous faire estimer et plaindre ce personnage, fort admiré et fort envié en son temps, tout simplement oublié depuis, et qui ne vivra désormais un peu que par elle. […] Son style est fort clair et fort net ; on entend tout ce qu’il dit. » Elle pensait, et avec raison, qu’il y a un ccin un peu meilleur, une marque de style encore supérieure à celle-là. […] Votre tête est forte et votre imagination quelquefois pleine de charme, témoin ce que vous dites d’Herminie déguisée en guerrier. […] Avant la résignation complète, le plus fort de sa crise fut durant la longue année qui précéda sa fuite. […] Et à plus forte raison quand au lieu de eamdem, on a eamdem.
Sa femme est une personne fort recommandable, et il y a là deux jeunes filles fort gracieuses, qui ont reçu une éducation du premier ordre et qui, en outre, ont de la fortune. […] Mais peu à peu il s’aperçut que, sans son ami, son intérieur était fort peu récréatif. […] Ses devoirs étaient fort restreints. […] D’abord, il fit beaucoup de fanfaronnades et parla d’un ton fort dégagé de son exil. […] Pendant quelque temps, cette chienne eut fort mauvaise mine.
Dès qu’il s’est retiré, l’armée des grecs, quoique toujours fort supérieure à celle des troyens, est cependant battuë, mise en déroute, et réduite à la derniere extrémité. […] Je juge aussi favorablement d’un ordre qu’un des chefs de l’iliade donne à ses soldats dans le fort d’une bataille. […] Un ordre donné à des soldats dans le fort d’une action, peut-il être trop clair ; et peut-on risquer de mettre la confusion entre eux, par une équivoque qui les feroit agir si diversement ? […] Qui s’appercevroit alors que ces deux vers sont fort bas pour l’expression, quoiqu’assez beaux pour le sens ? […] Tous ces éloges que les auteurs font des écrivains des siécles passés, sont ordinairement fort suspects.
Rarement il tirait un coup de fusil, car il avait fort peu de poudre et de plomb. […] demandai-je. — Non ; ç’a été un fort de brigands. […] Attachez-la plus fort pendant que je dormirai, et je serai à la maison avant mon escorte. » Et en effet, à peine parti, on le revoit au pays. […] Qu’il ne parle pas le français… le malheur n’est pas grand… Moi-même, je ne suis pas forte dans ce dialecte. […] Oui, tout cela est fort beau, dit-il pour clore ses réflexions, mais c’est qu’elle ne voudra pas suivre cette route avec moi.
Ils n’ont pas d’invention réelle, pas de forte composition, pas de relief, pas de couleur, pas de caractères, pas d’art enfin. […] Assézat est mort tout à coup pendant que les frères Garnier, les forts portefaix de l’édition, empilaient Diderot. […] Mais une telle besogne demandait une main plus forte que la sienne. […] Des esprits plus forts que le sien auraient dû l’avertir de la difficulté de ce pansage. […] Il y eut peut-être des jours où cette canaille ressembla à un peuple qui poussait quelques nobles cris ; mais ces jours-là même, ce peuple était plus fort que lui, le dominait et l’entraînait.
J’ajoute qu’il vient fort à propos. […] Et c’est un fort, en effet ; on ne saurait le contester. […] Les plus forts payent toujours leur tribut à la faiblesse humaine. […] Très bien fait même et fort habilement charpenté. […] Oui, un fort, trop fort même.
Sur Louis XIV, en ce même volume, il a pourtant fort mal deviné, à mon sens ; il s’est montré souverainement injuste. […] Les portraits de Villars et de Vendôme sont fort vivants et des plus gais, sans trop de charge.
Il produisit de l’émotion dans le cercle charmant et distingué de l’Abbaye-aux-Bois, et Mme Récamier, qui avait été fort rigoureuse à Benjamin Constant vivant, crut devoir à sa mémoire de le justifier contre des vérités sévères. […] Mais, non satisfaite encore de cette première apologie de Benjamin Constant qu’elle avait inspirée, Mme Récamier songea à faire publier les lettres qu’elle avait reçues de cet homme distingué, autrefois fort amoureux d’elle ; elle confia à cet effet un choix de ces lettres à Mme Louise Colet, qui devenait ainsi l’avocate officielle de l’ancien tribun.
La séduction est si forte, qu’on croit voir tout ce qu’on ne fait que lire ou qu’entendre. […] C’est sans doute cette imitation mal entendue qui a altéré si fort, parmi nous, le vrai goût de l’Eloquence de la Chaire.
Ainsi l’Être abstrait, dont Tertullien et saint Augustin ont fait de si belles peintures, n’est pas le Jehovah de David ou d’Isaïe ; l’un et l’autre sont fort supérieurs au Theos de Platon et au Jupiter d’Homère. […] Quant aux actions des intelligences chrétiennes, il ne nous sera pas difficile de prouver bientôt qu’elles sont plus vastes et plus fortes que celles des dieux mythologiques.
Trois espèces de natures Maîtrisée par les illusions de l’imagination, faculté d’autant plus forte que le raisonnement est plus faible, la première nature fut poétique ou créatrice. […] Le mot aristocrates répond en latin à optimates, pris pour les plus forts (ops, puissance) ; il répond en grec à Héraclides, c’est-à-dire, issus d’une race d’Hercule pour dire une race noble.
Ne nous amusons pas à dissiper des nuages dans un ciel serein ; c’est du temps perdu, ou plutôt fort mal employé. […] On y trouve de fortes études psychologiques et des sentences bonnes à noter dans un recueil de pensées choisies. […] Le plan de son Avare est tout différent, et c’est une machine fort compliquée. […] Il y a de fort belles sentences dans Le Misanthrope. […] Sa critique est fort juste, mais ses idées générales sur les rapports de la morale et de la comédie sont entièrement fausses.
Le rêve est si fort, qu’il n’est pas bien sûr de n’être pas là-bas à Londres. « Il devient ainsi son propre spectre et son propre fantôme. » Et cet être imaginaire, comme un miroir, ne fait que redoubler devant sa conscience l’image de l’assassinat et du châtiment. […] Miss Ruth est une fort gentille ménagère ; elle met son tablier : quel trésor que ce tablier ! […] C’est une ivresse, et sur une âme délicate l’effet serait trop fort ; mais il convient au public, et le public l’a justifié. […] Le ton et les idées font alors contraste ; tout contraste donne des impressions fortes. […] Il a, outre sa grimace, un caractère et un tempérament ; il est gros, fort, rouge, brutal, sensuel ; la vigueur de son sang le rend audacieux ; son audace le rend calme ; son audace, son calme, sa promptitude de décision, son mépris des hommes font de lui un grand politique.
Assurément la tentation avait été forte… Quel visage triste ! […] Une tête brune et forte se pencha en dehors, et regarda les deux fenêtres l’une après l’autre. […] En l’endormant, son père lui racontait des histoires : … Et il riait très fort. […] Le Tsar est là tout entier : doux et fort, souriant et inébranlable. […] Je luy recommande mon cher fils, et je la prie fort de ne pas se déplacer pour luy.
Mme de Staël avait uni à des dons puissants d’imagination et de sensibilité un coup d’œil politique et philosophique fort étendu ; mais elle faisait exception dans son sexe, et, depuis elle, la prétention de nos femmes, même les plus distinguées, s’était restreinte à des chants suaves, à de délicates peintures, à une psychologie fine et tendre sous l’aile du christianisme. […] S’il en est de plus fortes, de plus puissantes d’essor, de plus orgueilleusement douées, sentant ainsi cette vie d’amour éteinte, elles doivent frémir de colère, se frapper, souvent la poitrine, redemander la flamme perdue à tous les êtres, et, dans leurs moments égarés, en vouloir aux hommes et à Dieu, à la société, à la création elle-même. […] Ce Trenmor signifie simplement qu’on se guérit à la longue des vices et des douleurs, si toutefois on est assez fort et assez, heureux pour s’en guérir.
Fiévée commence par nous parler de lui, de ses articles au Temps, et pourquoi il a cessé d’en faire, et pourquoi il pourra bien reprendre, toutes particularités fort curieuses et fort agréablement assaisonnées sans doute, mais qui tiennent d’assez loin en apparence aux questions politiques tranchées ou soulevées par les événements de juillet, il y a des gens d’esprit qui ont une manière de causer à eux ; ils débutent à leur façon, ils parlent d’eux-mêmes, ils ont peine à se dégager de leur personnalité ; avant de vous exposer les résultats de leurs réflexions, ils ont besoin d’établir où et comment ces réflexions leur sont venues. […] Lorsque cette cause est découverte, alors il est permis d’en prévoir les résultats, et nécessaire de les annoncer pour faire la part des hommes, et des choses qui sont plus fortes que les hommes, et afin que ces résultats ne soient pas troublés par des idées qui leur sont étrangères.
Nos beaux-esprits, pour la plupart, sont fort opposés à cette prétention. […] Elle est si forte que, pour la déraciciner & pour prévenir les innovations en ce genre, une feuille périodique qu’on feroit paroître ne seroit pas la moins utile. […] Mais, lui répond-on, les Bavius & les Mævius, les Pradon & les Cotin, ont vécu dans le même temps & sous le même climat que ces grands hommes, dont les productions sublimes ont si fort honoré leur patrie, & font un étonnant contraste avec celles de leurs imbécilles rivaux.
Il a pris toute la mâle vigueur de ses modèles ; & ses expressions fortes & pittoresques donnent du corps aux pensées les plus légeres. […] Les bons livres de morale ont toujours beaucoup de succès ; c’est ce qui a si fort multiplié le nombre des mauvais ; c’est ce qui a fait tant d’imitateurs de la Bruyere, dont aucun n’a égalé ce célébre écrivain. […] Cet ouvrage est parsemé de réfléxions fort bonnes, qui dédommagent d’un grand nombre de moralités triviales, de pensées bassement exprimées.
Et si ces pensées qui ne sont pas tout à fait ridicules s’élèvent, je ne dis pas dans un bigot, mais dans un homme de bien, et dans un homme de bien je ne dis pas religieux, mais esprit fort, mais athée, âgé, sur le point de descendre au tombeau, que deviennent le beau tableau, la belle statue, ce groupe du satyre qui jouit d’une chèvre, ce petit Priape qu’on a tiré des ruines d’Herculanum ; ces deux morceaux les plus précieux que l’antiquité nous ait transmis, au jugement du baron de Gleichen et de l’abbé Galiani, qui s’y connaissent ? […] Point de nuit ; scène de nuit peinte de jour ; la nuit, les ombres sont fortes, et par conséquent les clairs éclatans ; et tout est gris. […] Il faut être juste, dans cette petite composition, où vous avez loué un certain cheval blanc, je conviens qu’il est d’une finesse de couleur étonnante ; mais convenez que la tête en est fort mauvaise.
Écœurant travail, qui dure souvent des années… Des hommes à idées et à convictions fortes, des hommes comme Donoso Cortès et Raczynski, ces nobles forçats du devoir monarchique, ont traîné pendant dix ans ce boulet creux de la diplomatie, plus cruel par son vide que par sa pesanteur, et qui fit saigner leur courage. […] Ils n’ont pas vu plus loin d’une vue ferme… Ils n’ont pas plus pénétré dans l’avenir que leurs devanciers, autrement forts qu’eux, les Bonald, les de Maistre, les Lamennais, ceux-là qu’on peut appeler les grands prophètes. […] Tous deux sentirent qu’ils n’avaient rien changé au train de ce monde plus fort qu’eux, et même furent-ils jamais bien sûrs de l’avoir compris ?
Pourquoi enfin son talent, qui a toujours poussé dans les mêmes directions, qui s’est acharné sur le même sujet pour en prendre et en vider toute la moelle, — car c’est du xvie et du xviie siècle qu’il s’agit encore dans la nouvelle histoire de Ranke, — pourquoi son talent est-il moins remarquable et moins fort que dans le temps de ses premières découvertes et de ses premiers aperçus ? […] Il en est des talents qui ne sont pas réellement très forts, comme des femmes qui ne furent jamais réellement belles : vieillir les maigrit, les flétrit et les glace. […] Ranke, dont le Protestantisme a subi l’action des doctrines philosophiques qui tendent à le remplacer, n’est pas même le fantôme d’Agrippa, cet homme qui vécut si fort, et qui s’étonnerait, s’il revenait au monde, que la question religieuse qui dominait les esprits des grands protestants du xvie siècle, ne fût plus la question première pour les historiens, leurs successeurs.
Quand on est d’un temps où une école sans idées, mais non pas sans talent, a voulu faire entrer toute la poésie dans l’expression et est arrivée à produire, dans le maniement de la langue, d’incontestables beautés de détail, il n’est pas permis, quand on est soi-même sans idées, d’écrire des vers aussi dénués d’organisme et de correction forte que l’auteur des Poésies complètes. […] Est-elle dans le sentiment qui circule à travers les différentes parties du poème et veut à toute force les animer ; dans cette fausse humour de parti pris, cette petite ironie juanesque qui jure si fort avec le sérieux terrible de cette société qui ne riait pas, elle ! […] Indépendamment du génie très particulier, très vigoureux et très profond, qu’il fallait pour cela, il fallait de plus une aire d’observation proportionnée à ce genre de génie, c’est-à-dire une de ces vies naïves, primitives et fortes, que dans les villes on ne connaît plus.
C’est un poëme d’haleine longue et de touche franche, — trop forte pour être un effort, — et qui a douze chants pleins, ni plus ni moins qu’une épopée ! […] C’est une œuvre tout à la fois simple et solennelle, élevée et familière, délicate et robuste, idéale et rustique, très-éloignée des manières de dire et de peindre des civilisations présentes, qui donnent des poètes comme Edgar Poe pour les plus forts de ses produits. […] Depuis André Chénier, on n’a rien vu, — si ce n’est les Chants grecs publiés par Fauriel, — d’une telle pureté de galbe antique, rien de plus gracieux et de plus fort dans le sens le plus juste de ces deux mots, qui expriment les deux grandes faces de tout art et de toute pensée.
Henri Mürger, si on le regrette aujourd’hui, ce n’est pas pour l’espoir qu’il donnait d’œuvres fortes. […] Henri Mürger comme poète, et si à quarante ans il n’est pas mort, en bas âge, dans leurs fortes mains ! […] … Tel est et tel ne cesse pas d’être, dans tout ce recueil d’ailleurs fort mince, l’amour poétique de M.
Ce problème a été fort discuté et résolu en sens contradictoire. […] Taine maltraite si fort et qui laisse pourtant un tel sentiment d’angoisse et de mystère. […] Est-ce qu’une nation qui se veut libre n’est pas toujours plus forte qu’un tyran ? […] Dans l’Italie actuelle, on serait fort embarrassé de trouver un lieu pareil entre les œuvres de MM. […] Hennequin s’exprime à ce sujet dans l’étude déjà citée : « Quand on dit, sans trop y songer : un héros, un vieillard, une jeune fille, une mère, nous apercevons vaguement quelque chose de fort net et de fort simple.
Il ne manque, à la débauche de ces vieillards de vingt ans, que de boire de l’eau forte. […] En revanche, s’il n’y a pas d’esprits forts, il y a les hommes forts, il y a les disciples de Danton, de Robespierre, de Marat, d’honnêtes sans-culottes, bien vêtus qui ne voudraient pas tuer une mouche, et qui désirent, tout haut, que le genre humain n’ait qu’une tête… Oui, Suzon soyez-en sûre, ils couperaient la tête du genre humain ! D’où il suit qu’il est fort nécessaire de tenir compte aux anciens de leur comédie, et des difficultés qu’elle a rencontrée, en songeant aux difficultés de la comédie aux siècles à venir ! […] À plus forte raison faut-il nécessairement que la nouvelle comédie aujourd’hui, soit demain une vieille comédie ! […] Elle a été si longtemps ce qu’on appelle une jeune femme, qu’elle se moquait bien fort du calendrier auquel on l’attachait.
Contre les superstitions et les erreurs, un petit fait, dûment constaté, est bien fort. […] Ici nous touchons à une question fort importante. […] La secousse a été trop forte. […] Elle est fort belle. […] On y respire un parfum de jardins et de chapelles, avec une forte odeur de balais rôtis.
Les plaisanteries fort libres, et d’assez mauvais goût, que M. […] Le romancier à plus forte raison. […] Échappe-t-on à qui sait remuer les ressorts de l’âme par ce qu’il y a de plus vif et de plus fort ? […] À plus forte raison les hommes. […] Et ceux-ci ne sont point de modestes in-douze, mais de gros, forts et imposants in-quarto.
J’insiste sur ces jours intérieurs qu’il nous ouvre, parce que l’histoire secrète de Roederer fut celle alors de beaucoup d’autres, parce qu’il ne fut pas le seul à avoir ce qu’on peut appeler sa période de Rousseau, et pour qu’on voie aussi à quel degré primitif de chaleur mûrirent tant de qualités solides et fortes que plus tard on apprécia en lui. […] Il s’était élevé en France une multitude d’hommes d’une éloquence forte et barbare, tels que notre fabuliste nous représente le Paysan du Danube, qui avaient bien mieux découvert que les orateurs des Assemblées nationales les voies de la persuasion et de l’entraînement, qui entraient bien plus avant dans les pensées, dans les passions, dans les préjugés, dans les intérêts imaginaires ou réels des dernières classes du peuple, qui sont les plus nombreuses. […] Puis récapitulant tous les pouvoirs affaiblis qui se flattaient alors de gouverner, et la Cour qui espérait toujours regagner par ruse et par achat des consciences ce qu’elle avait perdu, et les orateurs de l’Assemblée qui se croyaient forts de ce qu’ils avaient conquis en applaudissements, et la municipalité de Paris, le maire en tête, qui se croyait maître de la Commune, et les chefs même les plus populaires, Pétion, Marat, dont les noms retentissaient dans toutes les bouches : Pétion, Marat même, concluait-il, étaient gouvernés par la multitude. […] En général, il ne condense pas et ne grave pas de la sorte sa pensée : mais cette fois la vivacité de l’impression, l’effroi des souvenirs, et aussi cette forte idée de Hobbes, lue et méditée auparavant dans la retraite, et se résumant en un style concis, ont servi à l’inspirer. […] [NdA] J’ai peine à m’expliquer comment Étienne Dumont de Genève, en ses Souvenirs, parlant de Roederer qu’il rencontrait dans le groupe des Girondins, a pu dire de lui : « Roederer, homme d’esprit, mais fort ignorant, avait un fonds de légèreté dans le caractère qui lui donnait un rôle subalterne, quoique par sa capacité il l’emportât sur presque tous. » Quand on a eu sous les yeux les extraits en masse des lectures de Roederer dès sa première jeunesse, et quand on a vu l’ensemble de ses travaux sous la Constituante, on ne saurait admettre que cette ignorance dont parle Dumont, et dont les plus instruits eux-mêmes ne sont pas exempts sur les points étrangers à leurs études, ait porté le moins du monde sur la science politique et économique qui était l’essentiel ici.
On s’est fort occupé depuis quelque temps du spirituel auteur, M. […] Il en eût été fort étonné. […] Daru dont il était parent, il regardait à mille choses, à un opéra de Cimarosa ou de Mozart, à un tableau, à une statue, à toute production neuve et belle, au génie divers des nations ; et tout bas il réagissait contre la sienne, contre cette nation française dont il était bien fort en croyant la juger, contre le goût français qu’il prétendait raviver et régénérer, du moins en causant : c’était là être bien Français encore. […] Daru, occupé des grandes affaires et portant le dur poids de l’administration des provinces conquises ou de l’approvisionnement des armées, trouvait encore le temps d’entretenir avec ses amis littérateurs de Paris, les Picard et les Andrieux, une correspondance charmante d’attention, pleine d’aménité et de conseils, il y avait là tout à côté le plus lettré des commissaires des guerres, le moins classique des auditeurs du Conseil d’État, Beyle, qui faisait provision d’observations et de malices, qui amassait toute cette jolie érudition piquante, imprévue, sans méthode, mais assez forte et abondante, avec laquelle il devait attaquer bientôt et battre en brèche le système littéraire régnant. […] Au fond, quand il s’abandonne à les goûts et à ses instincts dans les arts, Beyle me paraît ressembler fort au président de Brosses : il aime le tendre, le léger, le gracieux, le facile dans le divin, le Cimarosa, le Rossini, ce par quoi Mozart est à ses yeux le La Fontaine de la musique.
Heureux dès sa jeunesse, ayant reçu du ciel la fortune, la bonne mine, le désir de plaire et l’art de jouir, il vécut de bonne heure dans le meilleur monde ; il respira, sur la fin du règne de Louis XIV, cet air civilisé le plus doux et le plus tempéré pour lequel il était fait ; il continua sa carrière fort avant dans le xviiie siècle sans en partager les licences ni les ardeurs, fut l’ami intime et le familier de tous les gens en place, le patron ou l’amphitryon des gens de lettres, parmi lesquels il prit un rang distingué que chacun s’empressa de lui offrir. […] Il n’est jamais ni fort, ni élevé ; ni fade, ni plat. […] Le roi entra au Parlement : M. d’Argenson et moi, dit le président Hénault, nous nous étions mis à côté l’un de l’autre, fort curieux de savoir si le cardinal aurait fait usage de mon travail, si le garde des sceaux (d’ArmenonvilIe) aurait consenti à adopter un discours qu’il n’avait pas composé ; enfin si M. le premier président (de Mesme) en aurait fait autant. […] Il fit un discours tout à la louange de ce dernier, comme on le pense bien ; mais il lui arriva un accident dans l’intervalle de l’élection à la réception : le Régent mourut subitement le 2 décembre ; il lui fallut donc faire une autre harangue (cela se voit quelquefois), « parce que, dit-il fort sensément, ce qu’il convenait de dire sous le Régent n’était plus de saison sous M. le duc, qui lui succéda. » Tout cela n’est rien, et une harangue aussi courte qu’on les faisait alors se refait aisément en huit jours. […] Un jour, âgé de quatre-vingts ans, il écrivit à Voltaire une lettre fort belle de sens et d’intention ; il venait de lire une des facéties irréligieuses que ce versatile génie avait publiées sous le nom d’un abbé Bazin, et où il sapait à plaisir toutes sortes de choses respectables.
Le roi avait été fort malade de la goutte ; il voyait sa santé très compromise ; il songeait au prince Henri pour être après lui le conseiller de son neveu et le tuteur de l’État. […] Pour moi, qui ai dévoué ma vie à l’État, je ferais une faute impardonnable, mon cher frère, si je ne tâchais pas autant qu’il est dans mon pouvoir, non pas de régner après ma mort, mais de faire participer au gouvernement une personne de votre sagesse… Je n’ai en cela, mon cher frère, que l’État en vue, car je sais très bien que, quand même le ciel tomberait, tout me pourrait être fort égal le moment après ma mort. […] Tels sont encore la plupart des axiomes de morale, lesquels reçoivent une caution plus forte aux yeux de ceux qui croient à une religion. […] Le roi surtout, à l’exemple de Bayle et de Montaigne, tient fort à rabattre, à humilier notre espèce : « Je suis persuadé que les fourmis de votre jardin de Rheinsberg se font souvent la guerre, mon cher frère, pour un grain de millet, et que vous n’avez aucune notion de leurs fameuses querelles. […] Il pouvait avoir à peu près cinquante-cinq ans à cette époque ; il était petit, mince, et sa taille, quoiqu’il se tînt fort droit, n’avait aucune noblesse.
Le nom de la marquise de Créqui a été fort remis en vogue depuis quelques années : il ne s’agit plus que de connaître la véritable. […] Voilà le fabricateur encore pris la main dans le sac, comme on dit, et nous l’y tenons si fort qu’il ne lui est pas possible, cette fois, de la retirer. […] J’aime vos lettres, votre conversation et vos écrits ; mais je crains si fort de prendre sur vos occupations, et je respecte tellement votre loisir, que je n’ai osé le troubler les autres années. […] Je m’ennuie si fort à Paris, que vous devriez y revenir, ne fut-ce que pour empêcher ma démence. » Mais il ne sera pas indifférent de bien définir, en présence de Mme de Créqui, le confident qu’elle s’est donné dans ses jugements des hommes et des choses. […] [NdA] Sur cet étrange et très énigmatique personnage qui s’intitulait et qu’on appelait le comte de Courchamps, on me donne les renseignements que voici et qui, j’ai lieu de le croire, doivent fort s’approcher de l’exacte vérité.
La Vie proprement dite est agréablement traitée, et l’on y prend de Maupertuis une idée fort distincte. […] Il lui semble que le stoïcisme tout pur, quand on ne le tempère point par de l’épicuréisme, est une substance trop forte qui agit comme un poison ; et il continue en ces termes : Malheureusement pour ces espèces d’animaux qui se disent raisonnables, il semble que l’erreur soit leur partage. […] N’oubliez point, si vous le pouvez, d’amener quelqu’un d’aimable avec vous ; si vous pouviez trouver quatre bons acteurs, deux hommes et deux femmes, ce serait une acquisition fort utile pour notre théâtre, qui est, en vérité, dans la misère de bons sujets. […] Si vous pouviez trouver quatre bons acteurs, deux hommes et deux femmes, ce serait une acquisition fort utile pour notre théâtre, qui est, en vérité, dans une grande indigence de bons sujets. […] Il y a même à la fin une pensée fort délicate : « Vous avez eu un bon père, c’est un bonheur que n’ont pas eu tous vos amis.
On doit des remerciements à tous ceux qui nous apportent sur quelque partie de l’histoire des informations et des lumières nouvelles : on en doit à ceux même qui nous les apportent à contrecœur et en grondant51 ; à plus forte raison, à ceux qui le font de bonne grâce, dans la seule vue du public et par zèle pour la vérité. […] Il existait, en effet, sous cet Ancien Régime réformé de main de maître, une organisation moderne déjà bien forte, remontant directement au roi, au Conseil du roi, en recevant les ordres et l’impulsion, et déployant son ressort, étendant son réseau dans tout le royaume par les intendants ; mais, ce qu’il faut aussitôt ajouter, c’est qu’avec et malgré cette organisation une et vigoureuse, qui fonctionnait régulièrement depuis Louis XIV, il y avait, à tout moment, des points d’arrêt et d’empêchement, des prétentions qui venaient à la traverse, des exemptions et des privilèges, — privilèges nobiliaires, ecclésiastiques, parlementaires, municipaux, de toutes sortes ; autant d’enclaves et d’îlots réservés soustraits au niveau commun, débris de pouvoirs et d’institutions appartenant la plupart au régime féodal antérieur, lequel, amoindri et réduit de plus en plus, n’avait jamais été formellement aboli. […] De nos jours, on s’en est fort écarté en tragédie : on s’y conforme plus que jamais en politique. […] Il compte fort en dernier lieu, pour réaliser ce beau rêve, sur le fidèle Bachelier, valet de chambre du roi, et introducteur de Mme de Mailly, la première maîtresse : ce parti d’alcôve et d’antichambre lui paraît pour le quart d’heure, et tant qu’il en espère son avancement, le plus patriotique et le plus honorable : « En effet, tout l’autre parti radote ou trompe, et celui-ci est seul ferme, solide, dans les vrais intérêts de la couronne et plein d’amour pour la personne du roi. » D’Argenson, qui se laisse appuyer par Bachelier, appelle cela être dans l’intrigue passivement. […] Rathery sur les bons côtés, sur les parties fortes et élevées de l’intelligence politique du personnage.
M. de Falloux cite quelque chose de ces extraits, entre autres un portrait fort curieux et caractéristique de Fontenelle, mais qui est textuellement copié des Nouveaux Mélanges de Mme Necker (tome I, pages 164-170). […] J’ai mauvaise grâce assurément de chicaner un éditeur aimable qui rachète de légères inexpériences du métier par des mots spirituels chemin faisant, surtout par la richesse du tissu étranger qu’il développe à nos yeux, par les lettres fort belles qu’il insère à tout moment dans son texte et qui en font le prix. […] Par je ne sais quel raffinement d’humilité, elle se mettait toutefois fort au-dessous de son incomparable amie. […] Une parfaite latitude nous est laissée à cet égard par la Religion ; et l’assentiment, ou plutôt le pressentiment universel (de toutes les preuves de sentiment la plus forte) semble le garantir comme fondé. […] Je ressemble fort à la théorie de Buffon sur la formation du globe : j’ai été détachée, comme lui, d’un soleil ardent ; depuis des années je suis occupée à me refroidir ; je ne suis pas au froid du pôle, mais, sans les consolations que je vous dois, j’y serais déjà arrivée.
« Mon amie, nous dit Alfieri, en donnant les raisons qu’il avait de faire ce voyage, désirait aussi voir l’Angleterre, pays qui diffère si fort de tous les autres. » Arrivée à Londres, elle poussa la curiosité jusqu’à désirer de plus être présentée à la Cour. […] Les dix années qu’elle passa avec son ami furent tout entières consacrées par elle à adoucir son amertume, à favoriser ses goûts, à y entrer autant qu’elle le pouvait, soit qu’il voulût jouer la tragédie, — ses propres tragédies, — à domicile (ce qu’il fit d’abord avec le feu et l’acharnement qu’il mettait à toute chose), soit qu’il lui plût de s’enfermer et de tirer le verrou pour travailler comme un forçat, versifier jour et nuit ou étudier le grec à mort : c’étaient les seules diversions assez fortes pour l’absorber et pour l’aider, tant bien que mal, à endurer les invasions intermittentes de la Toscane par les armées républicaines. […] Elle n’invitait à dîner que fort peu de personnes, jamais plus de deux à la fois. […] Je ne suis pas de ceux qui veulent à tout prix des mensonges, ni qu’on leur crée des existences fabuleuses et plus belles qu’elles ne l’ont été de leur temps ; mais quand je rencontre quelque part, dans un passé encore voisin de nous et si aisé à vérifier, de ces vies paisibles, ornées, décorées de grâce et de courtoisie, et jalouses d’en répandre le reflet autour d’elles ; quand, au milieu de cet envahissement comme forcené d’ambition, d’activité et d’industrie qui nous pousse et nous déborde en tout genre, je découvre, en me retournant, une île enviable et fortunée, une oasis d’art, de littérature, d’affection et de poésie, je demande qu’on n’en diminue pas le tableau à mes yeux sans de bonnes et fortes raisons, et que ceux qui sont dignes d’apprécier ce cercle heureux et de le peindre nous le rendent, ainsi que la noble figure qui y préside, avec tout le charme qui s’y attachait réellement, et dans un miroir non terni, dans une glace pure, unie et fidèle. […] Mme de Condorcet, veuve illustre, jeune encore et fort belle, nature passionnée, devait-elle abjurer son nom, le nom à jamais respecté d’un martyr philosophe ?
Si on ignore ainsi l’épanouissement varié auquel se livrent les natures heureuses ; si, sous ce vent aride, les couleurs sèchent plus vite dans les jeux de la séve, et bien avant que les combinaisons riantes soient épuisées ; si, par cette oppression qui nous arrête d’abord et nous refoule, quelque portion de nous-même se stérilise dans sa fleur, et si les plus riches ramures de l’arbre ne doivent rien donner ; — quand l’arbre est fort, quand les racines plongent au loin, quand la séve continue de se nourrir et monte ardemment ; — qu’importe ? […] Cousin se montrait fort sévère contre. […] Aux heures propices de liberté, il s’essayait dès lors à ce roman de son cœur. « Plusieurs fois j’étais dans les bois avant que le soleil parût ; je gravissais les sommets encore dans l’ombre, je me mouillais dans la bruyère pleine de rosée ; et, quand le soleil paraissait, je regrettais la clarté incertaine qui précède l’aurore ; j’aimais les fondrières, les vallons obscurs, les bois épais ; j’aimais les collines couvertes de bruyère ; j’aimais beaucoup les grès renversés, les rocs ruineux ; j’aimais bien plus ces sables vastes et mobiles dont nul pas d’homme ne marquait l’aride surface sillonnée çà et là par la trace inquiète de la biche ou du lièvre en fuite. » Si l’on a le droit de conclure d’Oberman à M. de Sénancour, genre de conjecture que je crois fort légitime pour les livres de cette sorte, en ne s’attachant qu’au fond du personnage et à certains détails caractéristiques, il paraît que, dans une de ses courses à travers la forêt, le jeune rêveur fut conduit, à la suite d’un chien, vers une carrière abandonnée, où un ouvrier, qui avait pendant plus de trente ans taillé des pavés près de là, n’ayant ni bien ni famille, s’était retiré, pour y vivre d’eau, de pain et de liberté, loin de l’aumône et des hôpitaux. […] Le genre humain en masse est perdu sans retour ; il se rue en délire selon une pente de plus en plus croulante ; il n’y a plus de possible que des protestations isolées, des fuites individuelles au vrai : « Hommes forts, hâtez-vous, le sort vous a servis en vous faisant vivre tandis qu’il en est temps encore dans plusieurs contrées ; hâtez-vous, les jours se préparent rapidement où cette nature robuste n’existera plus, où tout sol sera façonné, où tout homme sera énervé par l’industrie humaine. » L’athéisme, le naturisme de ce Spinosa moins géométrique que l’autre, et poétiquement rêveur, nous rappelle toutefois le raisonneur enthousiaste dans sa sobriété chauve et nue, de même que cela nous rappelle, par l’effet des peintures, par l’inexprimable mélancolie qui les couvre et l’effroi désolé qui y circule, Lucrèce, Boulanger, Pascal et l’Alastor du moderne Shelley. — Shelley ! […] C’est une sorte de vestibule hospitalier, un peu nu, fort vaste, où aboutissent les diverses entrées du temple, et dans lequel sont assis ou prosternés les antiques Orientaux, les anachorètes du Gange, Thamyris et Confucius, Pythagore et Salomon, Marc-Aurèle et Nathan le Sage, et même l’auteur voilé de l’Imitation ; leur parole rare se distingue lentement sous l’orgue lointain des sanctuaires.
Chaque corde de cet instrument monté par le Créateur éprouve une vibration et rend un son proportionné à l’émotion que la nature sensible de l’homme imprime à son cœur ou à son esprit par la commotion plus ou moins forte qu’il reçoit des choses extérieures ou intérieures. […] et quand la contemplation extatique de l’être des êtres lui fait oublier le monde des temps pour le monde de l’éternité, enfin quand, dans ses heures de loisir ici-bas, il se détache sur l’aile de son imagination du monde réel pour s’égarer dans le monde idéal, comme un vaisseau qui laisse jouer le vent dans sa voilure et qui dérive insensiblement du rivage sur la grande mer, quand il se donne l’ineffable et dangereuse volupté des songes aux yeux ouverts, ces berceurs de l’homme éveillé, alors les impressions de l’instrument humain sont si fortes, si inusitées, si profondes, si pieuses, si infinies dans leurs vibrations, si rêveuses, si extatiques, si supérieures à ses impressions ordinaires, que l’homme cherche naturellement pour les exprimer un langage plus pénétrant, plus harmonieux, plus sensible, plus imagé, plus crié, plus chanté que sa langue habituelle ; et qu’il invente le vers, ce chant de l’âme, comme la musique invente la mélodie, ce chant de l’oreille, comme la peinture invente la couleur, ce chant des yeux, comme la sculpture invente les contours, ce chant des formes ; car chaque art chante pour un de nos sens, quand l’enthousiasme, qui n’est que l’émotion de sa suprême puissance, saisit l’artiste. […] Nous trouverions partout que c’est l’émotion qui est la mesure de la poésie dans l’homme ; que l’amour est plus poétique que l’indifférence, que la douleur est plus poétique que le bonheur, que la piété est plus poétique que l’athéisme, que la vérité est plus poétique que le mensonge ; et qu’enfin la vertu, soit que vous la considériez dans l’homme public qui se dévoue à sa patrie, soit que vous la considériez dans l’homme privé qui se dévoue à sa famille, soit que vous la considériez dans l’humble femme qui se fait servante des hospices du pauvre et qui se dévoue à Dieu dans l’être souffrant, vous trouveriez partout, disons-nous, que la vertu est plus poétique que l’égoïsme ou le vice, parce que la vertu est au fond la plus forte, comme la plus divine des émotions. […] Or, soit que les fils fussent moins tendus, soit qu’ils fussent d’une nature plus élastique et plus plaintive, soit que le vent soufflât plus doux et plus fort dans l’une des petites harpes que dans l’autre, nous trouvâmes que les esprits de l’air chantaient plus tristement et plus harmonieusement dans les cheveux blancs que dans les cheveux blonds d’enfant ; et, depuis ce jour, nous importunions souvent notre tante pour qu’elle laissât dépouiller par nos mains son beau front. […] Je suis dans le tourbillon au plus fort du courant du fleuve, dans la poussière des vagues soulevées par le vent, à ce milieu de la traversée où l’on ne voit plus le bord de la vie d’où l’on est parti, où l’on ne voit pas encore le bord où l’on doit aborder, si on aborde ; tout est dans la main de celui qui dirige les atomes comme les globes dans leur rotation, et qui a compté d’avance les palpitations du cœur du moucheron et de l’homme comme les circonvolutions des soleils.
Vous avez dit ses commencements, ses viriles origines, cette nature pleine d’énergie, tenant, par son père, aux races sérieuses et obstinées de l’Ouest, par sa mère, à l’ardente et forte complexion des populations protestantes des Cévennes. […] Sa nature héroïque le porta toujours à ce qu’il y eut de plus âpre et de plus fort. […] Le soir des jours d’émeute, comme le soir des jours où il avait combattu de sa plume au National à côté de Carrel, il se reposait dans sa mansarde en préparant une édition d’Hippocrate, ou en traduisant les œuvres les plus importantes de la critique moderne, ou en rassemblant les matériaux de cet admirable Dictionnaire historique de la langue française qui sera, sans doute, un jour surpassé, si nous finissons le nôtre… Grandes et fortes natures de l’âge héroïque de notre race ! […] Sa modestie certainement fut exagérée, puisqu’elle lui fit croire qu’il était disciple quand, en réalité, il était maître, et qu’on le vit se subordonner à des personnes auxquelles il était fort supérieur. […] Vous n’aurez pas chez nous d’expériences à faire ; mais cette modeste observation que vous maltraitez si fort suffira pour vous procurer de bien douces heures.
Le 23 du mois dernier, est mort dans la force de l’âge un homme dont le nom et les œuvres n’étaient guère connus que de ceux qui s’occupent des productions de l’esprit, mais qui était fort apprécié par les meilleurs juges, d’une intelligence rare, élevée, étendue et sérieuse, d’un goût fin, curieux, quelquefois singulier, mais distingué toujours, d’un caractère à part, ironique et original ; écrivain des plus spirituels et des moins communs, et qu’il serait injuste de traiter comme il semblait par moments désirer qu’on le fît, c’est-à-dire par l’omission et le silence. […] Je reviens à lui, tel qu’il était aux pleines années de la Restauration, grand, bien fait de taille, d’une physionomie forte et fine, jouissant d’une position aisée et qui sentait l’indépendance, possédant, ce semble, toutes les conditions du bonheur, et pourtant ayant en lui un principe d’ironie et d’âcreté secrète que l’attrait piquant de son esprit ne recouvrait pas et ne faisait le plus souvent que mettre en saillie. […] Bazin plus que de personne : esprit sceptique, sans enthousiasme, fort léger de croyances, il était sincèrement royaliste, comme l’eût été un voltairien du xviiie siècle, comme le doit être en général celui qui estime la majorité des hommes peu en état de se conduire raisonnablement elle-même. […] Il a fait un fort grand usage, au début de son histoire, des lettres de Malherbe, en qui il prise un témoin clairvoyant et bien informé, un de ces esprits caustiques, mordants et secs, l’un des types du sien. […] Bazin qui rentrent dans les mêmes études du xviie siècle ; il s’était fort occupé de Saint-Simon et de Mme de Sévigné, laquelle il admirait comme écrivain par-dessus tout.
Sorti de cette forte souche bourgeoise, mais ayant reçu en propre de la nature une inclination des plus expansives, Diderot fut le mauvais sujet de la famille, et il en devint la gloire. […] On en ferait un excellent chapitre de la force de l’unité. » Diderot en tout ceci est grand critique, et dans cet ordre de critique générale auquel aucun art, sous prétexte de technique, ne saurait se dérober : Il me semble, dit-il, que quand on prend le pinceau, il faudrait avoir quelque idée forte, ingénieuse, délicate ou piquante, et se proposer quelque effet, quelque impression… Il y a bien peu d’artistes qui aient des idées, et il n’y en a presque pas un seul qui puisse s’en passer… Point de milieu, ou des idées intéressantes, un sujet original, ou un faire étonnant. […] Combien, avant d’avoir lu Diderot, auraient pu dire avec Mme Necker : « Je n’avais jamais vu dans les tableaux que des couleurs plates et inanimées ; son imagination leur a donné pour moi du relief et de la vie ; c’est presque un nouveau sens que je dois à son génie. » Ce sens nouveau et acquis s’est fort développé chez nous depuis lors ; espérons qu’il nous est devenu tout à fait naturel aujourd’hui29. […] On a fort vanté Le Neveu de Rameau. […] Le président de Brosses, dans des lettres écrites de Paris (1754), raconte comment il fit la connaissance de Diderot par l’entremise de Buffon : « Je veux connaître, disait-il, cette furieuse tête métaphysique » ; et quand il l’a vu, il ajoute : « C’est un gentil garçon, bien doux, bien aimable, grand philosophe, fort raisonneur, mais faiseur de digressions perpétuelles.