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1201. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La Grèce en 1863 par M. A. Grenier. »

Les nations, comme les hommes, n’ont que d’illustres moments ; aux jours de gloire et de grandeur morale qui méritent et obtiennent le triomphe, succèdent des journées monotones que le bon sens et une juste politique pratique doivent, sous peine de déchet, occuper tout entières et remplir.

1202. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, — Antiquité et Moyen Âge — Par M. J. Zeller. »

On craint toujours, par un titre présomptueux, de rappeler Bossuet pour ce célèbre Discours sur l’Histoire universelle, et l’on a raison si l’on songe à la grandeur du talent déployé et à l’élévation du monument.

1203. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [I] »

Il devient évident que si la guerre a été le premier état naturel de l’homme barbare et sauvage, que si elle a été le triomphe et le jeu de quelques génies prééminents, l’élément nécessaire et l’instrument de grandeur des nations souveraines et des peuples-rois, la paix, avec tous les développements qu’elle comporte, est la fin dernière des sociétés humaines civilisées.

1204. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. EDGAR QUINET.— Napoléon, poëme. — » pp. 307-326

Quinet tout d’abord au plus honorable rang parmi les poëtes en vers de nos jours, c’est, après la grandeur de l’entreprise et la longueur de la carrière dont il faut tenir compte, une poésie générale, mouvante, puissante, qui circule dans tout cela, comme l’air sur de vastes plateaux élevés, ou comme l’esprit sur les eaux ; c’est de plus un certain nombre de morceaux très-beaux qui semblent lui assurer une manière.

1205. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXe Entretien. Souvenirs de jeunesse. La marquise de Raigecourt »

Ces deux grandeurs m’éblouissaient ; j’admirais l’une, je respectais et je chérissais l’autre.

1206. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre 2. La littérature militante »

La grandeur des objets qui mettaient les hommes aux prises — c’était la religion avec la morale — faisait que l’actualité échauffait la poésie sans la rapetisser, la précisait sans la dessécher.

1207. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Alphonse Daudet  »

Car il s’en faut que le « pathétique » d’une histoire soit toujours en proportion de la grandeur des misères ou des souffrances étalées.

1208. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les deux Tartuffe. » pp. 338-363

Au-dessus des grandeurs elle doit l’élever, Puisqu’enfin de son bien il s’est laissé priver Par son trop peu de soin des choses temporelles, Et sa puissante attache aux choses éternelles.

1209. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « La Religieuse de Toulouse, par M. Jules Janin. (2 vol. in-8º.) » pp. 103-120

Je dirai, avant tout, qu’autant je trouverais inconvenant et irréfléchi qu’un romancier mît le pied dans Port-Royal, ce lieu de vérité et de sérieuse grandeur, autant il lui est permis peut-être de se glisser dans la maison de Toulouse qui s’intitulait la congrégation des Filles de l’Enfance, et qui n’offre pas les mêmes caractères de vertu et d’austérité.

1210. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie Stuart, par M. Mignet. (2 vol. in-8º. — Paulin, 1851.) » pp. 409-426

La beauté et la grandeur de ce rôle étaient faites pour saisir l’âme tendre et naturellement croyante de Marie Stuart.

1211. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Ducis. » pp. 456-473

Tout en s’accommodant avec bonheur de cette condition bourgeoise, il y faisait entrer sans trop d’effort de hautes pensées, et sa modestie domestique prenait un caractère de grandeur morale : Mon père, dit-il quelque part, à propos de je ne sais quel détail de conduite, mon père, qui était un homme rare et digne du temps des Patriarches, le pratiquait ainsi ; et c’est lui qui, par son sang et ses exemples, a transmis à mon âme ses principaux traits et ses maîtresses formes.

1212. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre III. Le Bovarysme des individus »

L’absence du sentiment de l’effort, qui n’est point toujours synonyme d’une moindre dépense, l’aveugle sur l’intérêt et la grandeur des œuvres qu’il réalise, au lieu que cette sensation d’effort, intervenant dans les tâches où il voudrait en vain exceller, contraint son attention, excite en lui un désir de possession et de victoire.

1213. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre II. Marche progressive de l’esprit humain » pp. 41-66

L’esprit humain forme comme un vaste firmament éclairé de toutes parts d’étoiles de différentes grandeurs.

1214. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Gustave Droz » pp. 189-211

L’auteur d’Autour d’une source, en peignant son abbé Roque et en le faisant si grandiose, ne nous a pas donné que l’idée d’un homme exceptionnel ; il nous a donné — ce qui est bien plus profond — l’idée qu’il a de la grandeur du sacerdoce.

1215. (1929) La société des grands esprits

Le scandale de l’histoire universelle est le triomphe périodique de la force brutale et l’écrasement sans cesse renouvelé des grandeurs spirituelles. […] etc… Le thème général est le contraste entre notre grandeur et notre misère. […] Dieu nous avait créés à son image, d’où notre grandeur. […] La limite est un peu vague et souvent imperceptible entre l’éloquence et la poésie, qui a droit aussi à la magnificence et à la grandeur. […] Il ne refuse pas à Louis XIV des qualités sérieuses, une certaine grandeur, une brillante période au début.

1216. (1895) Le mal d’écrire et le roman contemporain

Issu en droite ligne de George Sand, dont il n’a cependant ni la grandeur ni la fluidité, Octave Feuillet a peint la passion et le drame dans des milieux où il y a ordinairement aussi peu de véritable passion que de tragédie. […] Pour que la grâce soit complète, il y faut de la grandeur, ce qui n’est pas facile dans de si petits sujets. […] C’est une loi de ce monde que ceux qui incarnent les sublimités de notre nature en résument aussi les faiblesses, et qu’ils soient obligés de racheter leur grandeur par cette inévitable misère. […] L’amour romanesque pousse à la passion, qui a parfois sa grandeur ; l’amour réaliste ne peut vous pousser qu’au vice, qui n’a que sa bonté. […] On a décrit notre bassesse ; il reste à dire notre grandeur.

1217. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome II

De quel accent il parle des « vertus quiritaires » qui ont assuré la grandeur de la civilisation romaine ! […] Qu’il n’ait pas survécu à la chute de la Restauration c’est l’honneur de celle-ci autant que les désastres de l’Empire réparés, la paix maintenue, le crédit public fondé, l’Afrique ouverte à la France », et l’historien ajoute : « C’est la faute et la responsabilité de la Restauration de n’avoir pas su, avec sa propre durée, assurer la continuation de ses bienfaits. » II Le lecteur réfléchi est bien obligé de se demander devant ces deux phrases d’une évidence à la fois indiscutable et contradictoire : comment ce régime réparateur a-t-il pu réussir à ce degré une œuvre si difficile, celle de restituer sa grandeur à un pays qui venait de subir Waterloo et comment s’est-il trouvé incapable de durer ? […] Il représente une adoration des mages, avec des personnages de grandeur nature. […] On ne montre pas sa grandeur », ajoutait-il, « pour être à une extrémité mais bien en touchant les deux à la fois et en remplissant tout l’entre-deux. » A notre époque de pacifisme morbide, des hommes comme le maréchal Fayolle servent encore au sens civique et profond du mot, en illustrant par leur exemple cette grande vérité sociale que l’unique fonction de l’armée n’est pas de se battre. […] Le Bossuet dont nous venons de saluer la mémoire commenterait en termes bien émouvants ce témoignage du peu que représente la grandeur humaine.

1218. (1864) Le roman contemporain

Il nous serait facile de pousser plus loin cette histoire de la grandeur et de la décadence des romans qu’on pourrait appeler les éphémères de la littérature. […] Ce talent procède dans une certaine mesure du même sentiment qui avait inspiré, vingt ans auparavant, à M. de Vigny son plus beau livre, Servitude et Grandeur militaire. Paul de Molènes, cela tient à la différence des deux époques, est plus frappé de la grandeur que de la servitude du noble métier des armes. […] Partout où il y a des hommes, il y a un mélange de vertus et de vices, de grandeur et de misère. […] Je demeure, en outre, convaincu qu’il n’est pas nécessaire de tomber dans le chimérique et dans le romanesque, comme Marguerite et Sibylle, pour s’élever au sentiment de la poésie et à la notion de la véritable grandeur.

1219. (1908) Jean Racine pp. 1-325

Son humilité ne l’empêche pas d’opposer les résistances les plus obstinées aux entreprises injustes des pouvoirs publics, des « grandeurs de chair ». […] Les propos que le rhéteur prête à Alexandre ont de la grandeur et ne sont pas sans vraisemblance. […] La grandeur de la maison d’où elle était sortie n’était pour elle qu’un engagement plus étroit dans le schisme de ses ancêtres… Mais, si les lois de l’État s’opposent à son salut éternel, Dieu ébranlera tout l’État pour l’affranchir de ces lois. […] Mais au reste, ce dessein difficile, audacieux et cependant sans grandeur, le vizir en poursuit l’accomplissement avec sérénité. […] Et voyez quelle grandeur et quelle profondeur donne à l’œuvre la mythologie primitive dont elle est toute pénétrée.

1220. (1894) La bataille littéraire. Cinquième série (1889-1890) pp. 1-349

— Je viens me jeter aux pieds de Votre Grandeur…, bredouilla-t-il. […] — Si Votre Grandeur savait quels engluements délicieux j’ai faits, dès l’enfance, à travers mes campagnes natales de Ginestet ! […] J’ajouterai que, malgré le réalisme à outrance avec lequel la scène a été traitée, je trouve quelque grandeur au premier mouvement de ce père qui ne veut pas laisser épouser par un honnête homme sa fille plus que compromise. […] Dans ces deux pièces on retrouve et le poète et le prosateur dans toute leur grandeur. […] Auguste Vitu n’a rien exagéré de la beauté, de l’attraction, des gloires et de la grandeur de notre capitale.

1221. (1894) La vie et les livres. Première série pp. -348

Si les citoyens d’une décadence sont inférieurs comme ouvriers de la grandeur du pays, ne sont-ils pas très supérieurs comme artistes de l’intérieur de leur âme ? […] Cette personne distinguée dont Casal a fait l’éducation, et qui a pris l’amour des grandeurs dans ses relations successives avec plusieurs têtes couronnées, se demanda longtemps si elle ferait de son mari un secrétaire d’ambassade, un maître des requêtes au Conseil d’État, un consul ou un trésorier-payeur général. […] Il ne peut terminer son oraison qu’à grand-peine, et c’est dans un râle de douleur navrante qu’il affirme la grandeur d’Allah. […] Et, lorsqu’on présente l’étendard aux recrues, ils ne peuvent se défendre d’un frisson douloureux devant ce spectacle dont la grandeur émeut les plus sceptiques : « D’abord, l’éclair que font les sabres présentés, l’éclat de voix :“Trompettes, à l’étendard !” […] Il a transformé l’absence de crainte humaine et le mépris des grandeurs factices, cette disposition royale des âmes fortes, en l’absence de piété, cet état d’âme de la canaille.

1222. (1864) Études sur Shakespeare

Elle sut se résigner à ne pas recouvrer Calais, à ne pas conserver le Havre ; et tous ses désirs de grandeur, comme tous les soins de son gouvernement, se concentrèrent dans les intérêts directs du pays dont elle avait à rétablir le repos et la prospérité. […] Il pouvait tout mettre dans ses comédies, et il y a tout mis en effet, excepté ce que repoussait un pareil système, c’est-à-dire l’ensemble qui, faisant concourir chaque partie à un même but, révèle à chaque pas et la profondeur du dessein, et la grandeur de l’ouvrage. […] Il est représenté de grandeur naturelle, assis dans une niche, un coussin devant lui et une plume à la main. […] Dans la comédie, plus petits que la passion qu’ils excitent dans l’homme, les événements empruntent de cette passion une importance risible ; dans la tragédie, plus puissants que les moyens dont l’homme dispose, ils nous émeuvent du spectacle de sa grandeur et de sa faiblesse. […] Mais ils ne sont que dans les discours ; ce que nous voyons en action, c’est Joad qui conspire avec les moyens que lui laisse encore son ennemie ; c’est la grandeur imposante du caractère d’Athalie, et la ruse qui doit son triomphe sur la force à la pitié méprisante qu’elle a su inspirer par une apparence de faiblesse.

1223. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre premier. Ce que devient l’esprit mal dépensé » pp. 1-92

Depuis longues années il avait oublié cette innocente dissertation, il la retrouvait augmentée, arrangée, corrigée, dans un français qui l’a plus étonné que tout le reste : « Ne sachant écrire qu’en latin et honteux du méchant français dans lequel j’écris à Votre Grandeur. » Rien n’est amusant à lire comme la justification du digne théatin, et son embarras écrivant au plus illustre des évêques de la chrétienté ! […] » Il indique aussi, comme bien supérieures à la tragédie de Racine, les tragédies de Sophocle qui avaient laissé l’amour à la comédie, « comme une passion qui ne pouvait soutenir le sublimité et la grandeur du tragique !  […] que toute cette grandeur devait finir. […] Pour ma part, si je voulais donner à un étranger l’idée de la grandeur, de la toute-puissance, de la sereine et calme majesté du roi Louis XIV, je n’irais pas m’amuser à citer les pompes de Versailles, ni cette suite de guerres et de victoires, ni cette liste d’heureux capitaines, ni ces noms charmants de La Vallière, de Fontanges et de Montespan, ni les vers et les louanges des poètes, ni l’éclat adorable des beaux-arts ; je dirais, tout simplement, à l’étranger qui me demanderait une preuve sans réplique, de la magnificence sans égale de ce beau règne : — Figurez-vous, Mylord, que le roi et sa cour ont ri comme des fous, au Malade imaginaire ; que le roi n’a pas pu s’en lasser, et qu’il l’a fait représenter plus d’une fois, toujours avec de nouveaux rires, sans que jamais, à lui et aux siens, à cette représentation fidèle des tortures de l’espèce humaine, l’idée leur soit venue qu’après tout, les uns et les autres, ils étaient tous mortels. […] de toutes ces femmes de tant de grâce, de verve et d’esprit, élégants représentants de la plus belle société du monde, passions contenues, amours voilés, coquetterie savante et calme, de tout ce beau monde évanoui comme se sont évanouies toutes les grandeurs et toutes les élégances de ce beau siècle, il nous restait — aux premiers jours de la Révolution de 1830 — mademoiselle Mars !

1224. (1769) Les deux âges du goût et du génie français sous Louis XIV et sous Louis XV pp. -532

La grandeur est votre partage ; Mais les plaisirs sont faits pour nous. […] Montesquieu raisonnait en homme d’Etat sur la grandeur & la décadence des Romains. […] Pierre se montrait son Eleve par les graces de son pinceau, & plus que son émule par la grandeur de ses idées & l’énergie de son expression. […] Il prétendait, avec raison, avoir donné à cet art un ton de grandeur & de majesté jusqu’alors inconnu parmi nous. […] Quel mêlange héroïque de grandeur & de bonté, de courage & de douceur !

1225. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Littré. »

Venant à définir le style si caractéristique du père auguste de la médecine, cette langue ionienne, chez lui si ferme et si sévère, bien qu’élégante toujours, ce style aphoristique en particulier auquel Hippocrate a donné vogue et qu’il semble avoir communiqué depuis à des moralistes eux-mêmes pour graver leurs pensées, il y reconnaît la marque primitive du maître, qui est demeurée sans égale, bien des choses qui, répétées depuis, n’ont plus été exprimées avec le même sens et la même grandeur. […] Et le tout est relevé d’une grandeur d’âme qui n’accorde rien à l’ostentation, mais qui rapporte tout à la conscience ; qui cherche la récompense du bien, non pas dans le bruit public, mais dans le sentiment du bien même… » Bel éloge, en effet, qu’il faut lire surtout dans ce charmant latin de Pline, et qui s’applique si parfaitement à M. 

1226. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre VI. La poésie. Tennyson. »

Les autres, entrechoquant le crime et l’héroïsme, avaient promené parmi les ténèbres et sous les éclairs un cortége de figures contractées et terribles, désespérées par leurs remords, illuminées par leur grandeur. […] Sans doute la grandeur manque le plus souvent ; aujourd’hui les gens qui font l’opinion ne sont plus les grands seigneurs, mais les gentlemen riches, bien élevés et propriétaires ; c’est l’agrément qui les touche.

1227. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Troisième partie de Goethe. — Schiller » pp. 313-392

Il y a dans ces fragments une bonhomie de grands hommes qui caractérise l’Allemagne, cette terre de la naïveté dans la grandeur. […] Ce mépris même est une grandeur de l’intelligence.

1228. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIIe entretien. Littérature politique. Machiavel (2e partie) » pp. 321-414

Cette capitale grande et vide de l’Italie antique se fait peur à elle-même de sa grandeur et de sa viduité, quand elle cesse d’être remplie par l’ombre sacrée d’une république ou d’une monarchie universelle. […] L’Angleterre espère dans la maison de Savoie un allié que nous avons fait redoutable, une puissance de trois cent mille hommes sous les armes pour y appuyer son levier anglais et antifrançais au pied des Alpes ; la France pourrait regretter son sang versé en faveur d’un allié pour qui un service est le prélude d’une exigence… Jamais, en six mois, une puissance n’a autant grandi par l’imprudente connivence de l’Angleterre ; sa grandeur démesurée n’est plus un service rendu à l’Italie, elle est un danger.

1229. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (3e partie) et Adolphe Dumas » pp. 65-144

Peu de jours après avoir quitté Paris, j’appris, en ouvrant un journal, qu’il était mort au bord de cet Océan dont il avait la grandeur, les orages, l’infini dans le cœur ! […] J’ai toujours aimé ceux qui aiment, ceux qui souffrent, ceux qui gémissent et qui s’indignent en silence, ceux qui se sauvent d’un monde moqueur ; ceux qui s’enveloppent, quand ils sortent, de leur manteau troué par la misère, de peur d’être reconnus dans la rue par ces persifleurs spirituels ou bêtes qui vendent des ricanements aux passants pour insulter toute grandeur : ces pauvres honteux de la gloire, qui sentent en eux leur noblesse innée, qui se cachent de peur qu’on ne se moque, non d’eux-mêmes, mais du don divin qu’ils portent en eux.

1230. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxve entretien. Histoire d’un conscrit de 1813. Par Erckmann Chatrian »

J’avoue même que moi, qui vivais, qui pensais et qui sentais déjà en ce temps-là, moi qui partageais les angoisses du peuple pauvre et sacrifié à la noblesse des barons d’empire, je retrouve dans ce livre la mémoire minutieuse de cette époque de la grandeur d’un homme de guerre et de la servitude d’un peuple ébloui de ses chaînes : il n’y a pas de plus grande leçon de dédain pour l’opinion de l’humanité que celle que l’humanité donne elle-même en divinisant quarante ans après le maître qui faisait de l’héroïsme avec le sang inutilement versé de quelques millions de ses pareils. […] On ne voit que le pauvre apprenti de dix-huit ans, le bon horloger compatissant Goulden à son établi, la tante Grédel justement indignée, et la bonne nièce Catherine assise le dimanche sur la même chaise que son cousin Joseph, quatre cœurs où l’empire de 1813, ses victoires, sa gloire, et ses grandeurs retentissent dans un petit groupe de ce pauvre peuple et où tous les Te Deum se changent tout bas en larmes et en malédictions !

1231. (1922) Enquête : Le XIXe siècle est-il un grand siècle ? (Les Marges)

Il me semble qu’il n’est pas de l’intérêt de la grandeur et de la pensée françaises de tenir pour nul et non venu un siècle qui pourrait aussi bien s’appeler le siècle de Hugo, de Lamartine, de Stendhal, de Sainte-Beuve, de Renan. […] Le romantisme, et c’est là sa grandeur, c’est la collaboration de quelques génies avec la tristesse de l’âme française : donc ne diminuons pas notre pays en essayant de diminuer le romantisme.

1232. (1890) L’avenir de la science « XV » pp. 296-320

L’Orient n’a jamais compris la véritable grandeur philosophique, qui n’a pas besoin de miracles. […] Bossuet, dont la gloire est de représenter dans un merveilleux abrégé tout le XVIIe siècle, sa grandeur comme sa faiblesse, eût-il porté dans son exégèse une si détestable critique, si, au lieu de faire son éducation dans saint Augustin, il l’eût faite dans Eichhorn ou de Wette 149.

1233. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « IX »

Et heureux ceux qui s’en iront à Bayreuth ranimer leur foi en entendant Parsifal ; — l’œuvre, précisément, où s’affirme la grandeur de renoncer aux joies immédiates de l’égoïsme. […] Wotan sort d’un rêve et évoque la grandeur et la solidité du Walhall, demeure des dieux, construite à sa demande par les géants Fasolt et Fafner.

1234. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VII, seconde guerre médique. »

Que de grandeur témoigne cette fière insouciance ! […] Les Dieux qui commençaient à rompre les gaines grossièrement substituées au corps, à décoller leurs bras d’un torse immobile, à détacher leurs pieds soudés sur une base, à remplacer par les expressions de la grâce et de la grandeur, le morne sourire figé sur leurs lèvres, se seraient renfoncés et endurcis dans leurs anciens types.

1235. (1909) De la poésie scientifique

Georges Duhamel et Arcos, se réclamant scientifiquement, avons-nous dit, ce qu’avèrent avec grandeur souvent, leurs livres : Des Légendes, des Batailles (Duhamel), et la Tragédie des Espaces (Arcos). […] Il m’honorait trop de m’écrire, avec sa grande sincérité d’âme, en 1907 : « Plus j’étudie votre œuvre, plus j’admire sa grandeur et sa portée universelle.

1236. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1872 » pp. 3-70

Pauvre souverain, réduit à dire au chargé d’affaires de la France : « Je fais des vœux pour la restauration de la grandeur de la France, et je suis heureux de vous dire cela, sans que cela tombe dans des oreilles prussiennes. » Lundi 12 août Le second fils de Béhaine est un enfant, tout de caresse. […] Mardi 27 août Un squelette de grandeur naturelle qui chevauche un lion, et frappe les heures sur sa tête, avec l’os d’un fémur : c’est une vieille horloge qui arrête et retient votre regard, au milieu de l’immense bric-à-brac du Musée national de Munich.

1237. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — III. Le Poëme épique, ou l’Épopée. » pp. 275-353

Quelques sçavans, qui se donnent pour connoisseurs, prétendent que l’Énéide n’est point finie : Ils la comparent à ces chefs-d’œuvre de l’antiquité, à ces monumens superbes de la grandeur & de l’élévation du génie des Romains, mais qui ne sont arrivés jusqu’à nous que mutilés. […] Ce chevalier, blanchi dans la carrière pour laquelle il combat, soutient qu’un roman n’est pas plus dangereux que le bal, la comédie, la promenade & les jeux d’exercice ; que la voie la plus courte & la plus sûre pour instruire la jeunesse & lui donner le goût des choses solides, c’est de commencer par lui présenter les choses agréables ; que le roman a cet avantage de montrer la vertu récompensée & le vice puni, au lieu que l’histoire offre souvent le contraire, les gens vertueux dans le malheur & les scélérats au faîte des grandeurs & des prospérités ; que l’abus d’un bien, d’un plaisir innocent, n’est pas une raison pour le défendre, tout étant relatif au caractère & ne devenant poison que lorsqu’on est mal disposé.

1238. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIe entretien » pp. 5-85

Ce pays en est à son ère fabuleuse d’indépendance, de liberté, d’institutions, de créations ; les âmes y ont la vigueur du sol, la grandeur des fleuves, la profondeur des solitudes, la hauteur démesurée des montagnes, l’infini des horizons. […] garde-nous longtemps, veuve des nations, Garde au pieux respect des générations Ces titres mutilés de la grandeur de l’homme, Qu’on retrouve à tes pieds dans la cendre de Rome !

1239. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

La première est placée dans le temps, la seconde dans l’étendue ; par celle-là les grâces de l’univers sont unes, infinies, toujours les mêmes ; par celle-ci elles sont multiples, finies et renouvelées : sans l’une il n’y eût point eu de grandeur dans la création ; sans l’autre il y eût eu monotonie. […] Le divers langage des hôtes du désert nous paraît calculé sur la grandeur ou le charme du lieu où ils vivent et sur l’heure du jour à laquelle ils se montrent.

1240. (1884) Articles. Revue des deux mondes

Lewes, ordinairement sévère jusqu’à l’injustice pour les écrits scientifiques d’Aristote, s’avoue désarmée devant la magistrale ordonnance, les vues pleines de pénétration et de grandeur du Περί ζώων γενέσεως. […] Les critiques que l’on peut adresser à la classification zoologique d’Aristote ne diminuent en rien la grandeur de l’œuvre.

1241. (1926) L’esprit contre la raison

L’être qui déguisait les apparences et sa propre médiocrité sous les noms flatteurs de conscience, de réalité, espérant vivre parmi prétextes et mensonges aussi tranquille que le rat dans son classique fromage et, comme ce rat, décidé à en vivre, d’un cœur léger renonçait à toute justice suprême, à toute grandeur. […] Mais nos visions inquiètes, au seuil des matins et des songesae, voilà justement où nous retrouvons ce qui reste en nous de grandeur.

1242. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gabrielle d’Estrées. Portraits des personnages français les plus illustres du XVIe siècle, recueil publié avec notices par M. Niel. » pp. 394-412

Il lui fiait (à Gabrielle) les avis et rapports qu’on lui faisait de ses serviteurs, et, lui découvrant les blessures de son esprit, elle en apaisait incontinent la douleur, ne cessait que la cause n’en fût ôtée, l’offense adoucie et l’offensé content ; en sorte que la Cour confessait que cette grande faveur dangereuse à un sexe impérieux soutenait chacun et n’opprimait personne ; et plusieurs s’éjouissaient de la grandeur de sa fortune.

1243. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — II. (Fin.) » pp. 20-37

Ce merveilleux petit ouvrage, qu’il ne fut, dit-on, que six semaines à écrire, se compose de dix sermons dans lesquels, tout en se faisant petit par moments et en se mettant par quelques exhortations à la portée du roi enfant qu’il s’agissait d’instruire, Massillon s’adresse le plus souvent aux grands qui l’écoutent, et, tout en les enchantant, les morigène sur leurs vices, sur leurs excès et leurs endurcissements, sur leurs devoirs, sur les obligations chrétiennes qui sont imposées à la grandeur.

1244. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — II. (Fin.) » pp. 62-79

En examinant les traits de leurs images, elle se rappelait les traits de leurs actions, et elle se remplissait avec eux des nobles idées de la grandeur romaine.

1245. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — I. » pp. 162-179

Ce renoncement suprême en vue de Marianne ne lui paraissait pas même mériter le nom de sacrifice : « Je ne sens que de la joie, disait-il, en songeant que je vais, en attendant la mort, mener une vie plus triste qu’elle, et j’aime si fort ma douleur qu’il me semble que c’est encore un moindre malheur de la souffrir que de la perdre ; si ma chère Marianne la peut voir, elle lui fait plaisir. » Il haïssait les biens, les grandeurs, tout ce qu’il ne pouvait plus partager ; il n’aimait que cette douleur, la seule chose qui lui restât de son amie ; il en parlait, d’ailleurs, comme d’une peine poignante, qui le tenait cruellement éveillé durant les nuits et qui prolongeait ses insomnies jusqu’au matin, où il ne s’assoupissait qu’à la fin et par excès de fatigue : « Mais j’ai beau faire, je ne saurais perdre de vue l’objet de mon tourment.

1246. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — III. (Suite et fin.) » pp. 454-472

Cette république noble et marchande, dont l’origine se perd dans les plus anciens débris de l’Empire romain ; qui eut la première en Italie, en face et à côté de la nouvelle politique romaine, une politique à elle, profonde, suivie, consommée, indépendante ; qui eut ses épisodes de grandeur héroïque et de chevalerie maritime, bien qu’un intérêt de commerce fût toujours au fond ; qui, dans le cours de sa longue et séculaire décadence, sut trouver tant de degrés encore brillants et des temps d’arrêt si glorieux ; qui ne s’abaissa véritablement que depuis la fin du xviie  siècle ; ce gouvernement jaloux, mystérieux, si longtemps sage, de qui la continuelle terreur était tempérée par un carnaval non moins continuel, comme en France la monarchie absolue l’était par des chansons ; cette cité originale en tout, et qui le fut hier encore jusque dans l’insurrection dernière par laquelle, déjà si morte, elle essayait d’un réveil impossible ; cet ensemble d’institutions, d’intérêts, d’exploits et de prouesses, de conjurations, d’espionnages et de crimes ; tant de majesté, de splendeur et d’austère vigilance, se terminant en douceurs molles et en plaisirs, tout cela se suit et se comprend d’autant mieux dans le récit de M. 

1247. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Chateaubriand. Anniversaire du Génie du christianisme. » pp. 74-90

Et après cette première citation : Dans un autre endroit, continue Chateaubriand, je peins ainsi les tombeaux de Saint-Denis avant leur destruction : « On frissonne en voyant ces vastes ruines où sont mêlées également la grandeur et la petitesse, les mémoires fameuses et les mémoires ignorées, etc. » Je supprime encore ce second morceau, inséré à la suite du premier, et qui prêterait aux mêmes observations comparatives ; mais je vais donner toute la fin de la lettre avec son détail mélangé, afin que le lecteur en reçoive l’impression entière, telle qu’elle ressort dans son désordre et son abandon : Je n’ai pas besoin de vous dire qu’auprès de ces couleurs sombres on trouve de riantes sépultures, telles que nos cimetières de campagne, les tombeaux chez les sauvages de l’Amérique (où se trouve le tombeau dans l’arbre), etc.

1248. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — II. (Fin.) » pp. 198-216

De ces noms il en est deux du moins qui peuvent, en effet, se rappeler ici sans disparate : il y a quelque chose de la grandeur et de la majesté d’Eschyle aussi bien que de Corneille en Bossuet, de même qu’il peut paraître quelque chose d’Euripide comme de Racine en Massillon.

1249. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Maucroix, l’ami de La Fontaine. Ses Œuvres diverses publiées par M. Louis Paris. » pp. 217-234

Quand je pense aux grandeurs dont l’éclat l’environne, De sa témérité mon courage s’étonne, Je doute du beau feu dont je me sens épris, Et ne puis croire encor d’avoir tant entrepris.

1250. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — III. (Fin.) » pp. 479-496

Souvent c’est par elle seule que l’œil est averti de leur hauteur respectable ; car, trompé dans l’estimation des élévations et des distances, il confondrait ces monts avec tout ce qui, par sa forme et sa situation, copie la grandeur, si cette espèce de lueur céleste n’annonçait que leur cime habite la région de la sérénité.

1251. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — I » pp. 236-253

C’est ainsi que dans la démonstration de la première vérité, qui est l’existence de Dieu, avec les attributs principaux qui en achèvent l’idée, Charron, au lieu de s’appuyer sur le sens commun, sur le sentiment général humain si d’accord avec cette croyance, insiste bien plutôt d’abord sur les difficultés et les impossibilités de concevoir dans sa grandeur propre cette idée infinie ; il dit avant Pascal, et en termes encore plus formels, qu’il y a une sorte de négation absolue non seulement du Dieu-Providence, mais de la cause première, qui ne se peut loger « que dans une âme extrêmement forte et hardie » ; il est vrai qu’il ajoute aussitôt : en une âme « forcenée et maniaque ».

1252. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — II » pp. 435-454

L’amitié qui unit à l’instant ces deux hommes, l’un déjà si distingué et l’autre tout à l’heure illustre, cette alliance presque sacrée qu’ils se jurèrent et dont une correspondance publiée en allemand a immortalisé le souvenir, avait quelque chose de solennel et de théâtral qui est bien du temps ; mais elle garde, aux yeux même d’une postérité plus froide, de l’élévation, de la grandeur, une vraie beauté morale, je ne sais quoi d’antique, un cachet de Pline le Jeune et de Tacite avec une teinte de l’enthousiasme du Nord.

1253. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson, publié par M. Chéruel » pp. 35-52

Ce ne sont pas seulement les pages et laquais, ce n’est pas seulement le menu peuple, qui est ingrat envers le cardinal, c’est le roi qui, en mourant dévotement, lui paye cette dette de reconnaissance pour toute la grandeur qu’il avait donnée à son règne ; et en effet qu’aurait-il été, ce roi, sans le cardinal qui, pendant vingt ans, ne lui avait jamais fait faire les choses que par contrainte : « De sorte que pendant sa maladie il disait que les peines et contraintes que le cardinal avait faites sur son esprit l’avaient réduit en l’état où il était. » Louis XIII mort, la rage du bon peuple est au comble ; neveux et nièces du cardinal, les marquis de Brezé et de Pont-de-Courlay et la duchesse d’Aiguillon, sont obligés de se retirer d’appréhension et de se jeter dans le Havre.

1254. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mémoires de Mme Elliot sur la Révolution française, traduits de l’anglais par M. le comte de Baillon » pp. 190-206

Elle a été galante, elle a été légère, elle a ébloui les yeux des princes et de ceux qui sont devenus rois ; elle n’a pas cru qu’on dût résister à la magie de sa beauté ni qu’elle dût y résister elle-même ; elle a tout naturellement cédé et sans combat, elle a triomphé des cœurs à première vue et n’a pas songé à s’en repentir ; elle a obéi à cette destinée d’enchanteresse comme à une vocation de la nature et du sang ; il lui a semblé tout simple de jouer tantôt avec les armes royales de France, et tantôt avec celles d’Angleterre qu'elle écartelait à ses panneaux : mais tout cela lui a été et lui sera pardonné, à elle par exception ; tous ses péchés lui seront remis, parce qu’elle a si bien pensé, parce qu’elle a si loyalement épousé les infortunes royales, comme elle en avait naïvement usurpé les grandeurs ; parce qu’elle est entrée dans l’esprit des vieilles races à faire honte à ceux qui en étaient dégénérés ; parce qu’elle a eu du cœur et de l’honneur comme une Agnès Sorel en avait eu ; parce qu’elle a eu de l’humanité au péril de sa vie, parce qu’elle a confessé la bonne cause devant les bourreaux, et qu'elle a osé leur dire en face : Vous êtes des bourreaux !

1255. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Lammenais » pp. 22-43

Il a eu ses abîmes, il a ses grandeurs.

1256. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Caractères de La Bruyère. Par M. Adrien Destailleur. »

La Bruyère y parlait d’eux, et à eux en face, comme la postérité le devait faire : le portrait de Bossuet notamment était de toute grandeur.

1257. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres publiées par M. de Falloux. »

Amenée, moins encore par mon âge que par la reconnaissance qu’il laisse croître, à étudier la vieillesse, je me retrouve peu sur le chemin des autres, et je voudrais ici l’étudier dans ses rapports avec Dieu et l’autre vie ; montrer que la vieillesse est pleine de grandeur et de consolation ; que son activité, concentrée en un foyer, en est plus intense ; que la dignité, la beauté d’une situation dont l’âme fait toute la vie, élèvent au-dessus de tout cette situation même ; et qu’enfin, comme on l’a dit du prêtre, si le vieillard est le plus malheureux des hommes, il est le plus heureux des chrétiens, le plus averti, et, s’il le veut, le plus consolé.

1258. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Une monarchie en décadence, déboires de la cour d’Espagne sous le règne de Charles II, Par le marquis de Villars »

Jamais personne ne monta au premier poste avec tant d’avantage ; la grandeur de son rang, l’attente des peuples, la faveur des grands, la jeunesse du roi, tout semblait contribuer à l’élever et à l’affermir ; lui seul se manqua à lui-même, et on peut dire de lui comme autrefois d’un empereur, qu’il ne parut digne de gouverner que tant qu’il ne gouverna point.

1259. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Lettres inédites de Jean Racine et de Louis Racine, (précédées de Notices) » pp. 56-75

Par exemple, en terminant une Histoire de Port-Royal où le grand Racine aurait rempli toute la place qu’il doit tenir, et où l’on aurait montré l’esprit religieux de cette sainte maison s’exprimant par sa bouche avec un caractère unique de tendresse, de mélodie et de grandeur, dans l’œuvre d’Athalie et surtout dans celle d’Esther on ajouterait quelque chose comme ceci : « Il est un autre Racine que l’on aurait aimé à y joindre, ce Racine fils qui n’a pas été tout à fait sans doute le poète tendre, plaintif, l’élégiaque chrétien, le Cowper janséniste qu’on aurait souhaité à Port-Royal expiré, mais qui en a eu quelques accents ; ce Racine fils qui offre le modèle de la manière la plus honorable de porter un nom illustre quand on est engagé dans la même carrière ; car si le crime d’une mère est un pesant fardeau, la gloire d’un père n’en est pas un moins grand, et Racine fils n’a cessé de le sentir en même temps qu’il a suffi dignement encore à ce rôle difficile.

1260. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français »

Félix Clément, a également insisté sur la grandeur, sur l’effet et la convenance de ces hymnes, de ces proses en action, de ces petits drames tout religieux qui se rapportaient au temps de l’Avent et aux fêtes de Noël, et en a rétabli le caractère.

1261. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. Suite et fin. » pp. 73-95

Elles ont de l’exactitude, du relief, parfois de la grandeur africaine, en ce qui est du paysage, mais, en tout, bien de la monotonie.

1262. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. »

On avait donc une Chambre élue aristocratique, mais d’une aristocratie provinciale, sans élévation, sans grandeur, toute aux vues mesquines de répression, de représailles et de vengeance.

1263. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite) »

En vérité, il ne faut qu’une cabane dans un séjour d’apparition où nous ne sommes que des Ombres occupées à en voir passer d’autres, et où les mots d’établissement, de projets, de gloire, de grandeurs, ne peuvent exciter que la pitié. » Et tout à coup, une autre fois, à propos de la mort ou de la maladie de quelques membres de l’Académie, Condillac, Watelet, M. de Beauvau : « Mon ami, je regarde nos quarante fauteuils comme quarante tombes qui se pressent les unes contre les autres. » Mais ceci tourne à l’imagination funèbre et devient trop effrayant.

1264. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Legkzinska »

Je donnerai de ce Portrait peu connu les principaux endroits ; et le physique d’abord, — ayez soin seulement de le rajeunir un peu en idée pour voir Louis XV dans ce premier éclat de beauté dont chacun a été ébloui : « La figure de Louis XV était véritablement belle ; il avait les cheveux noirs et bien plantés, le front majestueux et serein ; ses yeux étaient grands, son nez bien formé ; sa bouche était petite et agréable ; il n’avait pas les dents belles, mais elles n’étaient pas assez mal pour défigurer son sourire, qui était charmant, Un air de grandeur très remarquable était empreint sur sa physionomie, qui était encore rehaussée par la manière dont il s’était fait l’habitude de porter sa tète.

1265. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée, par M. le chevalier Alfred d’Arneth et à ce propos de la guerre de 1778 »

On ne trouverait, au contraire, dans les lettres de Frédéric écrites dans le même temps, que des louanges pour la grandeur d’âme et l’humanité de l’impératrice.

1266. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Josèphe de Saxe, dauphine de France. (Suite) »

De fait, la princesse royale Josèphe était sa nièce ; la placer si près du trône de France où elle se verrait destinée à monter un jour, c’était, pour lui, rendre un service éclatant à sa maison ; c’était en même temps assurer, s’il en eût été besoin, la grandeur de son propre avenir.

1267. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Affaires de Rome »

Sur son passage à Avignon, par exemple, croirait-on qu’un pèlerin croyant eût dit : « Ce passé triste, mais non sans grandeur, remplit d’une émotion profonde l’âme de celui qui traverse ces silencieux débris, pour aller au loin chercher d’autres débris, encore palpitants, de la même puissance ? 

1268. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Recueillements poétiques (1839) »

L’histoire de M. de La Mennais est plus ou moins celle de chacun, de nos jours : ce qu’il résume avec fracas, et non sans grandeur, dans ses vicissitudes étonnantes, est assez bien le type auquel se rapportent nombre de destinées.

1269. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. PROSPER MÉRIMÉE (Essai sur la Guerre sociale. — Colomba.) » pp. 470-492

Énergie, grandeur, grossièreté, vices et bassesses, ces traits en eux de la nature romaine corrompue sont envisagés d’un coup-d’œil ferme et recueillis dans une parole en quelque sorte latine elle-même, sobre, positive, et qui n’ajoute rien de moderne aux choses.

1270. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre II. Du goût, de l’urbanité des mœurs, et de leur influence littéraire et politique » pp. 414-442

Je dirai plus, une suite de hasards peuvent conduire un homme à se faire remarquer par quelques faits illustres, sans qu’il soit doué cependant ou d’un génie supérieur, ou d’un caractère héroïque ; mais il est impossible que les paroles, les accents, les formes qu’on emploie envers ceux qui nous environnent, ne caractérisent pas la vraie grandeur de la seule manière inimitable.

1271. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre II. L’éloquence politique »

Déjà dans une de ses précédentes prisons il avait fait un Essai sur le despotisme : à Vincennes, il écrivit d’éloquentes réflexions sur les prisons d’État et les lettres de cachet ; il écrivit surtout ses fameuses lettres à Sophie, incroyable mélange de déclamations sincères et de renseignements exacts, où l’amour déborde parmi la philosophie, la politique, la morale, où tout Mirabeau se découvre, avec la grandeur et les bassesses de sa nature, avec sa violence de tempérament et son immoralité foncière, mais aussi avec ses généreuses aspirations, son information encyclopédique, et l’éclat de sa forme oratoire : c’est du Rousseau, si l’on veut, du Rousseau plus trouble, plus débraillé, plus tumultueux, et toutefois aussi plus raisonnable, plus avisé, plus pratique.

1272. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Pierre Loti »

Et cette idée de la grandeur de la terre s’agrandit encore de celle de sa durée.

1273. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre dixième »

Les hypothèses des Époques de la nature ont été corrigées ; leurs vérités subsistent, et telle en est la grandeur et la fécondité, que la science reconnaissante écrit ses réserves, à titre de simples notes, au bas du texte glorieux où la France et l’Europe les ont apprises pour la première fois.

1274. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre premier. La contradiction de l’homme » pp. 1-27

Notre intelligence, notre sensibilité, notre volonté, nos théories et nos doctrines morales, tout ce que l’on considère comme faisant « la grandeur de l’homme » vient de là.

1275. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre V. La littérature et le milieu terrestre et cosmique » pp. 139-154

Ces raisons sont diverses : Paris et ses environs, dont l’importance est toujours considérable, paraissent jouer un rôle plus éclatant dans les époques de troubles politiques ; telle contrée a dû, semble-t-il, son éclat éphémère à un séjour de la cour, à l’existence de quelque université prospère ; telle autre s’est trouvée sur la route d’un courant d’idées venant d’un pays étranger : ainsi la Gascogne, à la fin du xvie  siècle, bénéficia de la grandeur de l’Espagne, sa voisine.

1276. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre III : Les Émotions »

La grandeur des masses, l’immensité de l’espace, la longueur infinie du temps sont autant de formes du sublime ; mais c’est surtout l’idée du génie humain — de Newton et d’Aristote, de Shakespeare et d’Homère — qui nous suggère cette émotion.

1277. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Des lectures publiques du soir, de ce qu’elles sont et de ce qu’elles pourraient être. » pp. 275-293

Dans ces deux cours je voudrais que, tout en insistant sur les beautés et sur les grandeurs de la littérature française et de l’histoire nationale, on se gardât bien de dire ce qui se dit et se répète partout, dans les collèges et même dans les académies, aux jours de solennité, que le peuple français est le plus grand et le plus sensé de tous les peuples, et notre littérature la première de toutes les littératures.

1278. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Droz. » pp. 165-184

À toutes les qualités qui sont nécessaires à l’orateur, Droz demande que son caractère unisse encore la sensibilité : « Beaucoup de force d’âme au premier coup d’œil, dit-il, paraît l’exclure : mais l’élévation est le point qui les unit. » L’élévation d’âme n’est pas tout encore, si l’orateur n’y joint réellement la vertu ; Droz y insiste, et non point par des lieux communs de morale, mais par des observations pratiques incontestables : « Croyez qu’il n’est chez aucun peuple assez d’immoralité, dit-il, pour que la réputation de celui qui parle soit indifférente à ceux qui l’écoutent. » Lorsque plus tard, historien de la Révolution, il aura à parler de Mirabeau, dont il appréciait si bien la grandeur, combien il aura occasion de vérifier ce côté d’autorité morale si nécessaire, par où il a manqué !

1279. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. de Lamartine. (Les deux premiers volumes. — Pagnerre.) » pp. 389-408

Sous la plume de M. de Lamartine, un tableau des grandeurs et des beautés littéraires de la Restauration doit être nécessairement incomplet, puisque lui-même y manque, puisqu’il ne peut s’y assigner la place qu’il mérite, c’est-à-dire l’une des premières, et proclamer qu’entre les influences d’alors, il a exercé la plus pénétrante assurément, la plus vive et la plus chère, la plus sympathique de toutes.

1280. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — II. » pp. 494-514

Il apprécie aussitôt la grandeur du rôle de Bonaparte, et signale dans le fait du 18 Brumaire une métamorphose inconnue : « Attendons la moisson, disait-il, pour juger de la semence. » Il n’eut que le temps d’embrasser d’un coup d’œil son nouvel horizon de combat.

1281. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — I. » pp. 441-459

iv ; et aussi Grandeur et décadence des Romains, chap. 

1282. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — I. » pp. 201-219

Les qualités de ton excellent cœur, la force et la grandeur de ton âme me pénètrent du plus tendre amour.

1283. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « L’abbé Gerbet. » pp. 378-396

Dans ces volumes de l’abbé Gerbet, les introductions, les dissertations sur la symbolique chrétienne et sur l’histoire de l’Église, conduisent à des observations pleines de grâce ou de grandeur, à de beaux et touchants tableaux.

1284. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre III : La littérature du xviiie et du xixe  siècle »

Notre siècle n’a qu’une foi, la foi à la Révolution, c’est-à-dire au xviiie  siècle ; ne la lui enlevez pas, vous lui ôteriez sa force et sa grandeur.

1285. (1912) L’art de lire « Chapitre VIII. Les ennemis de la lecture »

S’il est un idéaliste, il vous présente des héros de vertu, de courage et de grandeur d’âme qu’il prétend être, du moins qu’il a l’air de prétendre être, puisqu’il était capable de les concevoir.

1286. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Fervaques et Bachaumont(1) » pp. 219-245

Il ne s’agit que de la valeur de vérité du roman d’Octave Feuillet, quand il nous copie une société qui n’est plus elle-même qu’une nullité sous les formes d’une élégance mesquine, et des habitudes sans originalité et sans grandeur.

1287. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XII : Pourquoi l’éclectisme a-t-il réussi ? »

Composé d’expressions élevées et grandioses, il contente le besoin d’élévation et de grandeur.

1288. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

On s’est plu à envisager le seizième siècle comme une époque exceptionnelle ; une illusion poétique lui a donné une grandeur presque unique ; on en a voulu faire une anomalie dans la suite des âges. […] Passant ensuite aux passions, il s’attaque en particulier à l’ambition qu’il déprime fort : « L’ambition, qui est une faim d’honneur et de gloire, un désir glouton et excessif de grandeur, est une bien douce passion, qui se coule aisément ès esprits plus genereux, et ne s’en tire qu’à peine. […] Dans cette période, l’histoire de France afflige l’esprit et le cœur ; il est triste et honteux de voir une grande nation livrée à une troupe d’histrions et de baladins, un peuple généreux et fort qui semble n’exister que pour le plaisir de trois ou quatre mauvais sujets, possédant tous les vices et point de grandeur. […] Il y a de légères et frivoles circonstances du temps qui ne sont point stables, qui passent, et que j’appelle des modes : la grandeur, la faveur, les richesses, la puissance, l’autorité, l’indépendance, le plaisir, les joies, la superfluité. […] Tantôt c’est par l’exagération qu’il relève ses idées ; d’autres fois il diminue, il affaiblit l’expression, afin de rendre plus frappant le contraste avec la grandeur de la pensée.

1289. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Jean-Jacques Ampère »

Il s’y vit initié chaque jour à la plus haute et la plus fine société, agréé sur le pied d’égalité par les plus beaux noms, et comme enveloppé dans les relations les plus flatteuses : en s’y pénétrant du ton aisé de la suprême courtoisie, il y prit sa première impression ineffaçable d’amour sérieux pour Rome, pour cette patrie des âmes blessées, éprises des seules grandeurs de l’art ou de l’histoire, et vouées à toutes les religions du passé. […] Un ou deux passages, une Nuit sur le Cattegat par exemple, cette traversée d’un bras de la mer du Nord près du Sund, se ressentait du contact habituel de Chateaubriand écrivain, et avait un air de grandeur qui devait appeler l’applaudissement du maître : c’était le morceau soigné, solennel, Varia di bravura. […] Je ne répondrais même pas qu’en cherchant bien on ne lui trouvât en fait d’amitiés féminines, durant le règne de Mlle Récamier et dans une moindre sphère, quelque étoile de très-petite grandeur, un diminutif ou une doublure de Béatrix, tant le pli était pris !

1290. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DAUNOU (Cours d’Études historiques.) » pp. 273-362

Quoique sa vertu se tienne plutôt d’ordinaire dans les ligues strictes de l’équité, de la probité, et que le mot de grandeur semble jurer avec lui, il offre, dans ces moments d’après Thermidor, une sorte de grandeur morale par cette tenue si ferme et si simple en des circonstances de toutes parts si émues. […] Qu’on retourne le fait comme on voudra, qu’on le discute au point de vue de la justice stricte, sinon de l’élévation et de la grandeur, cela n’est pas bien.

1291. (1892) La vie littéraire. Quatrième série pp. -362

Je lui avouai que, tout beaux qu’ils étaient, ils m’effrayaient un peu, dans leur grandeur aride. […] D’ailleurs, il est bon et consolant de se dire, avec un historien optimiste, que la puissance créatrice est toujours le partage de la grandeur morale. […] Les grandeurs de ce monde, les grandeurs de chair le pénétraient d’un respect profond. […] Il est impossible de mesurer sur ce qu’il laisse la grandeur de son esprit, mais on peut dire que lorsqu’il mourut un bel instrument de pensée et de rêve fut brisé. […] Entrevu dans l’ombre des traditions préhomériques, ce voyageur, qu’un bonnet en forme de cône protège contre le vent, la pluie, le soleil et l’embrun, apparaît d’une étonnante grandeur.

1292. (1880) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Première série pp. 1-336

On en pouvait vanter quelques épisodes, cinq ou six peut-être, d’une grandeur héroïque et d’une beauté farouche. […] Assurément, ce ne sont point là des recherches dont l’intérêt soit médiocre, ni encore des résultats dont nous voulions méconnaître ou rabaisser la grandeur. […] Il serait à souhaiter que depuis tantôt cent ans nous eussions porté toujours aussi haut que nos pères le sentiment de la patrie commune et l’orgueil, la vanité même de ses grandeurs et de ses gloires ! […] Peut-être aussi, dans la conversation de Frédéric, et voyant tous les jours à l’œuvre ce fondateur de la grandeur prussienne, avait-il complété, sous ce terrible maître, son éducation politique. […] Montesquieu, travaillant à son Esprit des lois, entraîné par le plaisir de la recherche, s’abandonne si complètement à la dérive de son sujet, et, dépensant à la perfection du détail tout son esprit avec tout son génie, s’oublie si complètement dans une seule partie de son œuvre, qu’un beau jour le livre de la Grandeur et décadence des Romains se détache de l’ensemble comme un épisode disproportionné, comme un fragment d’architecture admirable, mais dont la grandeur d’exécution écraserait le reste de l’édifice.

1293. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre IV. Shakspeare. » pp. 164-280

L’attirail des décors, la friperie et le pêle-mêle des costumes, la puanteur des graisses et des chandelles, qui font contraste avec les parades de délicatesse et de grandeurs, toutes les tromperies et toutes les saletés de la mise en scène, la poignante alternative des sifflets et des applaudissements, la fréquentation de la plus haute et de la plus basse compagnie, l’habitude de jouer avec les passions humaines, mettent aisément l’âme hors des gonds, la poussent sur la pente des excès, l’invitent aux manières débraillées, aux aventures de coulisses, aux amours de cabotines. […] Supposez le logicien, moraliste, orateur, tel qu’un de nos grands tragiques du dix-septième siècle : il ne représentera que les mœurs nobles, il évitera les personnages bas ; il aura horreur des valets et de la canaille ; il gardera au plus fort des passions déchaînées les plus exactes bienséances ; il fuira comme un scandale tout mot ignoble et cru ; il mettra partout la raison, la grandeur et le bon goût ; il supprimera la familiarité, les enfantillages, les naïvetés, le badinage gai de la vie domestique ; il effacera les détails précis, les traits particuliers, et transportera la tragédie dans une région sereine et sublime où ses personnages abstraits, dégagés du temps et de l’espace, après avoir échangé d’éloquentes harangues et d’habiles dissertations, se tueront convenablement et comme pour finir une cérémonie. […] Vices et vertus, gloire et misères, grandeurs et faiblesses, la passion sans frein qui fait son être lui a tout donné. […] Il a vécu heureux jusqu’ici, occupé de nobles études, habile dans les exercices du corps et de l’esprit, ayant le goût des arts, aimé du plus noble père, épris de la plus pure et de la plus charmante des filles, confiant, généreux, n’ayant aperçu encore, du haut du trône où il est né, que la beauté, le bonheur et les grandeurs de la nature et de l’humanité289.

1294. (1887) Essais sur l’école romantique

Dans un poète du caractère et du génie de lord Byron, la rouerie même a de la grandeur, parce qu’elle cache un mépris profond de l’humanité, et qu’elle est la réaction naturelle d’un homme irrité et fort, contre une société qui ne veut pas de ses vices au prix même de sa gloire. […] Il a vu le soleil se lever et se coucher aux horizons les plus divers ; il a pu mesurer la grandeur de Dieu à la grandeur du Monde, et quand il a eu la foi, il s’y est reposé, comme en un port, d’une vie ravagée par les passions. […] Dans des temps meilleurs, il eut proportionné son estime à la grandeur pratique et à l’action immédiate des vérités défendues par vous ; car son estime n’est jamais gratuite, et tant rapporte la vérité, tant vaut l’homme qui la défend. […] Son front, dont la hauteur est exagérée, comme sont tous les fronts de nos hommes éminents, depuis que le docteur Gall a imaginé de mesurer la grandeur du génie à la grosseur de la tête, — semble chargé de nuages ; son œil noir et enfoncé plonge au sein des mondes ; sa bouche, légèrement contractée et boudeuse, annonce apparemment un profond dédain pour le public qui passe sans le regarder. […] Il y en a d’objectifs, c’est-à-dire qui ne se voient pas dans leurs écrits, qui se tiennent en dehors, qui semblent être des spectateurs désintéressés de leurs propres ouvrages plutôt que des acteurs passionnés qui y ont mis en scène, sous des idées générales ou sous des personnages inventés, leurs passions, leurs préjugés, les petitesses ou les grandeurs de leur vie personnelle.

1295. (1905) Propos de théâtre. Deuxième série

Et remarquez que ce qui donne de la grandeur à cette histoire, c’est que tout cela, ces deux femmes le font pour un mort. […] Mais s’il y a de la grandeur dans le pardon et dans la réconciliation devant la mort, il y en a aussi dans la haine qui survit à celui qui en a été la source parce qu’il était aimé. […] J’ai toujours dit que ce n’est qu’une différence de degré, une différence dans la grandeur, une différence du petit au grand. […] Plus la haute naissance approche des couronnes, Plus cette grandeur même asservit nos personnes. […] Quelle grandeur d’âme !

1296. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — I. » pp. 431-451

Sans aller peut-être aussi loin que Montesquieu, qui voyait en Trajan « le prince le plus accompli dont l’histoire ait jamais parlé ; avec toutes les vertus, n’étant extrême sur aucune ; enfin l’homme le plus propre à honorer la nature humaine et représenter la divine » ; sans se prononcer si magnifiquement peut-être, et en faisant ses réserves d’homme pacifique au sujet des guerres et des ambitions conquérantes de Trajan, Gibbon plaçait volontiers à cette époque le comble idéal de la grandeur d’un empire et de la félicité du genre humain.

1297. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — I. » pp. 262-280

Aujourd’hui, le genre de talent de Bourdaloue nous semble bien loin de prêter à de telles vivacités de couleurs, et, pour mieux essayer d’y pénétrer, je dirai d’abord l’effet assez général que cette éloquence produit à la lecture, et par quel effort, par quelle application du cœur et de l’esprit il est besoin de passer pour revenir et s’élever à la juste idée qu’il convient d’avoir de sa grandeur, de sa sobre beauté et de sa moralité profonde.

1298. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — II. (Suite.) » pp. 434-453

Daru y parlait de lui-même avec modestie, de ses amis hommes de lettres avec un juste sentiment de réciprocité, et des grandeurs du règne présent sans exagération, avec vérité et force.

1299. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) «  Œuvres de Chapelle et de Bachaumont  » pp. 36-55

Ici nous sommes revenus à l’antique, à la primitive et unique manière d’observer la nature en elle-même, sans souci des livres, des beaux esprits de la capitale ni des coteries littéraires, avec vérité, application vive et présente, et, quand il y a lieu, avec grandeur.

1300. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Instruction générale sur l’exécution du plan d’études des lycées, adressée à MM. les recteurs, par M. Fortoul, ministre de l’Instruction publique » pp. 271-288

Jamais, je l’espère bien, une telle négation du passé n’eût pu prendre et réussir absolument en France, dans cette France où le génie littéraire a sa patrie, où la tradition du talent a ses autels, où le sentiment de la beauté latine et de la grandeur romaine a passé si profondément dans notre veine nationale et dans nos propres origines.

1301. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

» Il me semble que ceci, dans l’ordre de la religion naturelle, ne le cède à rien et s’élève jusqu’à la grandeur.

1302. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Maurice et Eugénie de Guérin. Frère et sœur »

Aussi n’ai-je jamais rêvé de grandeur ni de fortune ; mais que de fois, d’une petite maison hors des villes, bien proprette avec ses meubles de bois, ses vaisselleries luisantes, sa treille à l’entrée, des poules !

1303. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Les frères Le Nain, peintres sous Louis XIII, par M. Champfleury »

Louis XIV et son époque introduisirent avant tout, la pompe, l’éclat, la majesté, la gloire, et, dans tous les genres, une sorte d’aspiration à la grandeur.

1304. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire. »

I Je voyais l’autre jour, à l’Odéon, Macbeth si bien rendu, si bien exprimé et resserré au vif par notre ami Jules Lacroix, ce mouleur habile et consciencieux du groupe sophocléen, l’Œdipe roi : j’admirais, même dans les conditions inégales où elle nous est produite, cette pièce effrayante, effarée, sauvage, pleine d’hallucinations, de secondes vues ; où l’on voit naître, grandir et marcher le crime, le remords ; où l’horreur d’un bout à l’autre plane à faire dresser les cheveux ; où le cœur humain s’ouvre à tout instant devant nous par des autopsies sanglantes ; sillonnée de mots tragiques immortels ; où le poignard, l’éclair, le spectre, sont des moyens d’habitude et devenus vraisemblables ; où la faiblesse est forte, où le héros est faible et misérable ; où tout s’enchaîne et s’entraîne, où la destinée se précipite tantôt vers la grandeur, tantôt vers l’abîme ; où l’homme est montré comme le jouet de la fatalité, une paille dans le tourbillon ; où Shakespeare nous dit son dernier mot philosophique par la bouche de son Macbeth s’écriant : « Hors d’ici, éteins-toi, flambeau rapide !

1305. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet »

Je ne comprends pas ces générations qui se prévalent de quelque indifférence acquise pour faire les supérieures et se donner de grands airs superbes à l’égard de leurs aînées et devancières, pour les traiter du haut de leur grandeur et comme des enfants qui faisaient assez bien pour leur âge : générations hautaines et gourmées, je ne sais comment on vous traitera vous-mêmes un jour, mais vous êtes bien peu agréables en attendant, et bien peu équitables aussi.

1306. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame, secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. »

L’histoire ecclésiastique du règne de Louis XIV est à faire, et M. de Harlay en paraîtrait, pendant des années, le centre principal, le directeur le plus réel et le plus apparent : Bossuet n’était que pour la confirmation, pour le couronnement de la doctrine, et pour un complément d’autorité et de grandeur.

1307. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Œuvres complètes de Molière »

Aimer et préférer ouvertement Corneille, comme le font certains esprits que je connais, c’est sans doute une belle chose et, en un sens, bien légitime ; c’est vouloir habiter et marquer son rang dans le monde des grandes âmes : et pourtant n’est-ce pas risquer, avec la grandeur et le sublime, d’aimer un peu la fausse gloire, d’aller jusqu’à ne pas détester l’enflure et l’emphase, un air d’héroïsme à tout propos ?

1308. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Le maréchal de Villars. »

Parmi ces noms fameux, il en est un qui, pour nous Français, l’est moins encore par la grandeur de l’action que par l’à-propos et l’urgence, par l’imprévu de l’événement et les conséquences promptes qui en jaillirent ; c’est Denain, qui fit tourner la chance depuis si longtemps contraire et qui releva l’honneur de notre drapeau tout à la fin de Louis XIV.

1309. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vaugelas. Discours de M. Maurel, Premier avocat général, à l’Audience solennelle de la Cour impériale de Chambéry. »

Il était évident désormais, à voir ces deux colonnes debout, isolées, d’un orgueil et d’un aspect triompha], qu’on était entré dans une voie vraiment moderne, et qu’après un temps d’anarchie et de confusion, on visait à la règle et à l’unité dans la grandeur.

1310. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Histoire de Louvois par M. Camille Rousset. Victor-Amédée, duc de Savoie. (suite et fin.) »

Cet écran est d’une grandeur médiocre : du côté du tableau, c’est Madame Royale peinte en miniature, très ressemblante, environ grande comme la main, accompagnée des Vertus, avec ce qui la fait reconnaître : cela fait un groupe fort beau et fort charmant.

1311. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite.) »

Sa répugnance à sacrifier l’archevêque, qui avait fait ses tristes preuves depuis une année, pouvait témoigner de sa bonté ou même de sa « grandeur d’âme », comme le lui disait poliment M. de Mercy, mais non de sa justesse de vue.

1312. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat. »

c’est ce que chacun bientôt se répéta et qui retentit en tous lieux et tout d’un cri comme dans un écho ; c’est ce que Bonfflers et Catinat lui-même, dans leurs lettres à Louvois, ne purent s’empêcher de relever avec admiration comme pour un coup de théâtre où ils avaient joué leur rôle sans en sentir d’abord tout l’étonnant et toute la grandeur.

1313. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Mlle Eugénie de Guérin et madame de Gasparin, (Suite et fin.) »

Et si son frère (dans les pages magnifiques du Centaure) porte mieux au front le sceau du génie, la flamme, combien Eugénie lui est supérieure par la vraie grandeur : l’oubli de soi, constant, sans recherche, le don du cœur à un autre cœur !

1314. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre (suite et fin) »

Camille Rousset, ne laisse pas d’être relativement honorable pour les deux correspondants ; elle l’est, après tout, pour le bon sens de Louis XV, sinon pour sa grandeur d’âme ; elle l’est davantage pour le maréchal de Noailles, et devant la postérité elle balancera, sans les couvrir entièrement, bien des mauvais propos et des médisances dont il avait été l’objet.

1315. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Saint-Simon considéré comme historien de Louis XIV, par M. A. Chéruel »

On peut trouver qu’il conteste à Louis XIV quelques qualités que ce roi eut peut-être plus qu’il ne l’a dit : ce serait matière à examen et à discussion ; mais il est impossible, en lisant Saint-Simon, de ne pas être frappé d’une chose, c’est qu’il a infiniment plus donné au grand roi qu’il ne lui a ôté devant la postérité : il le fait vivre, marcher, parler, agir sous nos yeux en cent façons et toujours en roi, avec majesté, grandeur, avec séduction même.

1316. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée par le chevalier d’Arneth »

Les grandeurs véritables de Marie-Antoinette ne lui viendront que plus tard sous le coup de l’adversité.

1317. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « HISTOIRE de SAINTE ÉLISABETH DE HONGRIE par m. de montalembert  » pp. 423-443

Ce tableau a de la grandeur et de la solennité en ce qui regarde les figures d’Innocent III, de Grégoire IX et de l’empereur Frédéric II ; il a de la beauté et de la grâce en ce qui touche saint Louis, saint François d’Assise, le culte de la Vierge alors dans toute sa fleur, les épopées chevaleresques et religieuses dans leur premier et chaste épanouissement.

1318. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVe entretien. Littérature grecque. L’Iliade et l’Odyssée d’Homère » pp. 31-64

c’est renvoyer à Dieu ses plus souveraines facultés, de peur qu’elles n’offusquent les yeux jaloux et qu’elles ne fassent paraître le monde réel trop obscur et trop petit, comparé à la splendeur de l’imagination et à la grandeur de la nature !

1319. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre IV. Des figures : métaphores, métonymies, périphrases »

Précisément toute sa poésie, ce qui fait rêver, cette pointe de philosophie railleuse et désabusée, qui ouvre un jour soudain sur les grandeurs et les petitesses de la vie militaire.

1320. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre III. La poésie : V. Hugo et le Parnasse »

Cela donne à son œuvre un air de grandeur et de noblesse qu’il serait injuste de méconnaître.

1321. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Le père Monsabré »

» Écoutez la réponse du Père Monsabré : vous y sentirez, au commencement, de la bonne grâce et de la bonhomie, puis de la générosité et de la grandeur.

1322. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Henry Rabusson »

La morale des philosophes est une morale de cabinet qui ne les suit guère dehors ; tant qu’on raisonne doctoralement, inter libros ou inter pocula, c’est superbe, plein de simplicité, de grandeur et d’harmonie ; mais deux beaux yeux que l’amour fait arder ont bien vite raison de toutes les rigueurs théoriques de ces belles doctrines, lesquelles, en de certains, moments, sembleront toujours à quiconque ne les a pas inventées de simples jeux de savants.

1323. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Alphonse Daudet, l’Immortel. »

Ici, trois actions qui s’entrecoupent : l’histoire des grandeurs et de la chute d’Astier-Réhu ; l’histoire de la candidature académique d’Abel de Freydet et des progrès de la maladie verte chez ce brave garçon ; l’histoire des manœuvres de Paul Astier à la poursuite d’un grand mariage.

1324. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XI. L’antinomie sociologique » pp. 223-252

Le mot de Renan est très juste : « Il est devenu trop clair, dit-il, que le bonheur de l’individu n’est pas en proportion de la grandeur de la nation à laquelle il appartient101. » La loi de différenciation sociale croissante, contrepartie de la loi d’intégration, n’est pas non plus un sûr garant de la liberté ni du bonheur des individus.

1325. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Campagnes d’Égypte et de Syrie, mémoires dictés par Napoléon. (2 vol. in-8º avec Atlas. — 1847.) » pp. 179-198

Son génie en embrasse avec grandeur les horizons.

1326. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le père Lacordaire orateur. » pp. 221-240

Drouot était fils d’un boulanger de Nancy, le troisième de douze enfants : Issu du peuple par des parents chrétiens, il vit de bonne heure, dans la maison paternelle, un spectacle qui ne lui permit de connaître ni l’envie d’un autre sort, ni le regret d’une plus haute naissance ; il y vit l’ordre, la paix, le contentement, une bonté qui savait partager avec de plus pauvres, une foi qui, en rapportant tout à Dieu, élevait tout jusqu’à lui, la simplicité, la générosité, la noblesse de l’âme, et il apprit, de la joie qu’il goûta lui-même au sein d’une position estimée si vulgaire, que tout devient bon pour l’homme quand il demande sa vie au travail et sa grandeur à la religion.

1327. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. Le Chateaubriand romanesque et amoureux. » pp. 143-162

Son ennui, son indifférence ont de la grandeur ; son génie se montre encore tout entier dans cet ennui ; il m’a fait l’effet des aigles que je voyais le matin au Jardin des plantes, les yeux fixés sur le soleil, et battant de grandes ailes que leur cage ne peut contenir.

1328. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Florian. (Fables illustrées.) » pp. 229-248

Ajoutez chez La Fontaine à cette liberté et à cette fantaisie de composition une poésie perpétuelle de détail, et des aperçus d’élévation, de grandeur, toutes les fois qu’il y a lieu, et tout à côté des circonstances les plus simples.

1329. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Nouveaux documents sur Montaigne, recueillis et publiés par M. le docteur Payen. (1850.) » pp. 76-96

Et élevant de plus en plus sa pensée et son cœur, réduisant sa propre souffrance à ce qu’elle est dans l’immense sein de la nature, s’y voyant non plus seulement soi, mais des royaumes entiers, comme un simple point dans l’infini, il ajoute en des termes qui rappellent d’avance Pascal, et dont celui-ci n’a pas dédaigné d’emprunter le calque et le trait : Mais qui se représente comme dans un tableau cette grande image de notre mère nature en son entière majesté : qui lit en son visage une si générale et constante variété ; qui se remarque là-dedans, et non soi, mais tout un royaume, comme un trait d’une pointe très délicate, celui-là seul estime les choses selon leur juste grandeur.

1330. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Charles Perrault. (Les Contes des fées, édition illustrée.) » pp. 255-274

Il croit qu’on peut juger des poètes par les traductions ; il parle d’Homère et de Théocrite sans prendre la peine de pénétrer dans leur génie de grandeur ou de délicatesse.

1331. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « De la poésie et des poètes en 1852. » pp. 380-400

Qu’il nous permette d’ajouter que la grandeur et l’élévation dont il fait preuve si aisément, et qui lui sont familières, amènent bientôt quelque froideur ; il n’a pas assez d’émotion et de ces cris qui font songer qu’on est un homme d’ici-bas ; il n’a pas assez de ce dont M. de Musset a trop64.

1332. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le duc d’Antin ou le parfait courtisan. » pp. 479-498

Je me laissai donc aller à l’amour des grandeurs ; le penser m’en parut doux, j’y rêvais seul quelquefois, et faisais avec mes femmes mille châteaux en Espagne, qui commençaient, sans que je fusse en état de m’en apercevoir, l’esclavage de mon cœur et de mon esprit.

1333. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Madame Sophie Gay. » pp. 64-83

» Dans ses dernières années, elle passait régulièrement une partie de la belle saison à Versailles ; elle s’y était fait une société et était parvenue à animer un coin de cette ville de grandeur mélancolique et de solitude.

1334. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — II. (Fin.) » pp. 476-495

À l’histoire seule appartient le devoir de l’apprécier dans son ensemble, de marquer avec impartialité les mérites, les grandeurs et les défauts du souverain, et de prendre toute sa mesure : c’est assez pour la critique littéraire, si elle a pu rendre sur un point un hommage et une justice bien dus au plus littéraire des rois.

1335. (1889) Émile Augier (dossier nécrologique du Gaulois) pp. 1-2

S’il rencontre un honnête bourgeois, il l’exige sublime et lui prodiguera toutes les délicatesses, toutes les sensibilités, tous les dévouements, toutes les grandeurs.

1336. (1911) Jugements de valeur et jugements de réalité

Il y a des vertus qui sont des folies, et c’est leur folie qui fait leur grandeur.

1337. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une préface abandonnée » pp. 31-76

Relisez Grandeur et décadence d’une serinette ; évoquez du milieu des trivialités et des enfantillages réalistes de Monsieur de Boisdhyver ces apparitions si pures et si délicates : l’abbé Cyprien, Suzanne, madame Lepelletier, Mgr de Baveux… puis répondez-moi. — Et quel artiste, quel critique, quel écrivain que l’auteur des Sensations de Josquin !

1338. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre III. Personnages merveilleux des contes indigènes »

Lorsque cette divinité eut centralisé les attributions dans ses mains et monopolisé à son profit le culte, les anciennes divinités de second ordre passèrent au rang de grandeurs déchues, presque de démons.

1339. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Édelestand du Méril »

Attachés, ils secouent leurs attaches, et c’est leur manière de les secouer qui prouve leur grandeur et leur force.

1340. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Xavier Aubryet » pp. 117-145

Or, sans métaphysique, on manque éternellement du point fixe qu’il faut établir, en esthétique comme en morale, car le beau doit avoir la certitude du devoir, et on retombe aux petites misères de la sensation individuelle qui sont toujours de petites misères, quelle que soit la grandeur de l’homme qui donne sa sensation pour règle et qui la jette dans la balance, comme Brennus son épée, pour l’entraîner du côté de la vérité !

1341. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Prosper Mérimée »

Stendhal, cet épicurien, tout à la fois délicat et stoïque, qui avait la bravoure du héros et la tendresse de la femme, Stendhal, resté fidèle à Napoléon même après Sainte-Hélène, avait dans l’âme tout ce qu’il faut pour comprendre mieux que Mérimée le pathétique et la grandeur.

1342. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Macaulay »

Quant à Clive et Hastings, les faits y sont et y roulent, exagérés comme le théâtre indien sur lequel ils se produisent avec la grandeur qui leur est propre, mais nous ne voyons ni se bomber ni se creuser ces deux individualités énormes, Clive et Hastings, que l’on peut montrer de deux manières : par le relief ou par l’intaille, selon qu’on est un artiste ou un penseur !

1343. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Baudelaire  »

Il avait plus de variété, plus de grandeur et plus de spectacles que celui qu’on nomme aujourd’hui paradis, probablement par antiphrase.

1344. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Brizeux. Œuvres Complètes »

Le Génie en patois est encore du génie, et parce qu’il n’a pas le soutien d’un idiome riche, harmonieux, complet, comme la grandeur dans l’indigence, il n’en est, — à nos yeux du moins, — que plus beau !

1345. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Jean Richepin »

Richepin ne le sera probablement jamais, est très nécessaire au poète des Pauvres s’il veut creuser dans leurs abjections et leurs vices, dans leurs grandeurs et leurs vertus.

1346. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre III : M. Maine de Biran »

Or, la beauté, la grandeur, la force, toutes les qualités, toutes les propriétés périssent, dès que périt le fait ou l’être dont elles sont les qualités et les propriétés.

1347. (1907) Propos littéraires. Quatrième série

Ernest-Charles est l’homme de Pascal, toujours entre deux infinis et écrasé par la grandeur des uns, comme éperdu de stupeur devant l’infiniment petit des autres. […] et aussi pour la grandeur de l’art. […] Fogazzaro salue l’évolutionnisme comme promesse de successifs avatars et « d’ascensions humaines » vers un état merveilleux de pureté et de grandeur. […] Elle vit dans un rêve continu de beauté et de grandeur et d’immaculé. […] , j’eusse laissé un libre cours à la clameur de l’intérêt blessé, et lorsque la rumeur se serait enfin épuisée, alors, le cœur plein de la grandeur de mon ministère, fort du cri de ma conscience, gage de succès, je serais descendu dans l’arène pour y lutter seul contre tous.

1348. (1891) La bataille littéraire. Quatrième série (1887-1888) pp. 1-398

Et maintenant, elle se tenait immobile, raide, comme un modèle de cheval en bois, grandeur nature, dans la boutique d’un sellier. […] Ce n’est pas la vôtre, mais elle a sa grandeur. […] Ce qu’était Loisillon, ce qu’il avait fait dans ses soixante-dix ans de séjour parmi les hommes, la signification de cette majuscule brodée d’argent sur la haute tenture sombre, bien peu la savaient dans cette foule uniquement impressionnée par ce déploiement de police, tant d’espace laissé au mort ; — toujours les distances, et du large et du vide pour exprimer le respect et la grandeur ! […] La vanité des choses humaines, les grimaces de convention, tout y est peint avec la grandeur et le scrupule des maîtres. […] Le soleil est tombé derrière l’Océan, mais ses derniers rayons montrent assez quelle était sa grandeur et, pour la gloire des lettres françaises, luiront encore longtemps sur le monde.

1349. (1914) L’évolution des genres dans l’histoire de la littérature. Leçons professées à l’École normale supérieure

La tragédie produit en nous une impression de grandeur, de pompe et de majesté : c’est que les héros en sont des princes ou des rois — ex urbibus, arcibus, castris sumpti, — des Étéocle et des Polynice, des Agamemnon et des Clytemnestre, des Coriolan et des Caton. […] Dès à présent, nous pouvons mesurer la grandeur du service qu’allait rendre Boileau, rien qu’en se mettant en travers de ce double courant. […] C’est un poète emporté par son enthousiasme, qui, soutenu par la grandeur de ses pensées et de ses expressions, s’élève au-dessus de la raison ordinaire des hommes, et qui en cet état profère avec transport tout ce que la fureur lui inspire. […] Mais enfin, dans l’ensemble, il a heureusement caractérisé une œuvre dont les défaillances d’exécution ne sauraient nous empêcher de reconnaître la grandeur et la nouveauté. […] Par là, c’est un monde nouveau qu’il nous a ouvert ; et quoique n’ayant pas fait lui-même profession de critique — au sens du moins où nous sommes convenus de restreindre le mot, — par là aussi vous pouvez mesurer la grandeur du service rendu ; et par là enfin, quoique ses travaux spéciaux nous échappent, M. 

1350. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1871 » pp. 180-366

Deux cents tranches, à 6 francs, de la grandeur et de l’épaisseur d’une carte de visite, ça fait 1 200 francs. […] Ça, là… c’est bien la fin des grandeurs de la France. […] Le Roi-Empereur, arrivé à Reims, fut logé par l’archevêque dans la plus belle pièce de l’Archevêché, que le Roi ne trouva d’abord pas digne de sa grandeur. […] Moment d’expansion de cet homme fort et fermé, produit par la beauté et la grandeur de la nuit. […] Il est curieux d’entendre son rude mépris à l’endroit des misérables pratiques de la religion, et des vieilles filles qui deviennent bigotes : on sent que la grandeur de ses devoirs l’a élevé naturellement, au-dessus des petitesses de la religiosité.

1351. (1716) Réflexions sur la critique pp. 1-296

Ils sont pour les gens prévenus, comme ces geants dont parle Me D qui croissoient toutes les années d’une coudée en grosseur, et de deux en hauteur. à mesure qu’ils s’éloignent de nous, leur autorité s’augmente, nous ne nous accoûtumons pas assez à les entendre nommer, comme les écrivains de nôtre siécle : nous y attachons une idée de grandeur devant qui les noms modernes ne tiennent point. […] La pharsale, si Lucain étoit d’ailleurs aussi judicieux que Virgile, plairoit par l’importance des événemens, et par la grandeur des personnages. […] La bonne vûë consiste à appercevoir la grandeur réelle des objets, et les véritables raports qu’ils ont entr’eux. […] Nos expressions françoises par elles-mêmes ne jettent point de faux sur une pensée vraye, elles n’en avilissent pas une grande, elles n’en ternissent pas une gracieuse ; mais aussi elles ne sçauroient mettre ni vérité, ni grandeur, ni grace, où il n’y en a pas, qu’en substituant des circonstances qui changent absolument le fond des choses. […] Se récrie Me D et comme si elle sentoit qu’une exclamation ne prouve rien ; elle ajoûte : c’est ce qui a fait dire aux anciens qu’aucun poëte n’a mieux sçû qu’Homere égaler par la grandeur de ses idées la majesté des plus grands sujets .

1352. (1902) Le critique mort jeune

Et encore dans la « Montagne », ses exaltations, son délire et certaines apostrophes aux Alpes qui touchent à la bouffonnerie (le thème en est : votre grandeur nous écrase ; qu’est-elle auprès de la grandeur de l’esprit humain ?) […] Gustave Lanson (Histoire de la littérature française, lre édition, p. 1029), de qui la critique s’efforce cependant de ne pas attenter à la grandeur officielle du poète. « Ignorance et absurdité », c’est le titre d’un chapitre du livre de M.  […] Grandeur d’âme et haute clairvoyance sont-elles séparables d’ailleurs ? […] Nous y avons été, parce que nous avons conscience que la morale sociale gagnera à plus de loyauté, à plus de probité dans la question de l’amour, parce que nous sommes de fervents partisans d’un mariage sans mensonge, tirant sa grandeur de sa liberté, parce que nous préférons, pour l’enfant d’abord, le fer des opérations, même les plus douloureuses, à la gangrène des mauvais ménages, parce que nous croyons que le divorce élargi ne mettra pas au jour une plaie de plus qu’il n’en existe déjà, parce que nous voulons rendre à la société des forces vives que l’union clandestine stérilise, parce que nous ne sommes pas, enfin, de ceux qui préfèrent le masque au visage, l’hypocrisie à la vérité. » Faisons grâce des métaphores chirurgicales et des réminiscences de théologie protestante qui parent ce morceau et lui donnent son caractère vrai, sans le douer d’aucune vertu démonstrative.

1353. (1893) Alfred de Musset

L’orgueil, c’est la vertu, l’honneur et le génie ; C’est ce qui reste encor d’un peu beau dans la vie, La probité du pauvre et la grandeur des rois… LE CHŒUR. […] On peut juger de ce qu’elle vaut par les vers où Musset a rendu avec grandeur, au moyen de deux adjectifs, les splendeurs des nuits d’été et les émotions qu’elles éveillent au plus profond des âmes : Les tièdes voluptés des nuits mélancoliques Sortaient autour de nous du calice des fleurs. […] … « Ne serait-ce pas une grande nouveauté que de réveiller la muse grecque, d’oser la présenter aux Français dans sa féroce grandeur, dans son atrocité sublime ? […] Il croit à la vertu, au progrès, à la grandeur humaine, au pouvoir magique des mots. […] La scène où il explique à Philippe Strozzi qu’il faut, pour son honneur, qu’il commette un crime inutile, est d’une rare grandeur.

1354. (1932) Les idées politiques de la France

Une Grandeur et Décadence des familles politiques d’esprits en France au xixe et au xxe  siècle ferait un grand livre. […] Quelle étude curieuse on écrirait sur la grandeur et la décadence du terme créé en France par Barrès et son entourage boulangiste ! […] Or le capitalisme d’après 1815, qui a fait la grandeur du xixe  siècle, passe aujourd’hui par une crise telle que si elle ne marque pas sa fin, elle annonce au moins des transformations profondes. […] L’échec final de Clemenceau vient du même fonds que sa grandeur politique et poétique : c’est le radical sans les comités. […] Il ne diminue pas la grandeur de Marx.

1355. (1890) Le réalisme et le naturalisme dans la littérature et dans l’art pp. -399

Dans son œuvre, d’ailleurs géniale, Tolstoï admet auprès de la grandeur la bassesse et la médiocrité, auprès de l’extraordinaire le banal, auprès de la vertu la corruption et le vice, auprès de la beauté la laideur et l’insignifiance. […] À plus forte raison, les hommes supérieurs ont-ils droit auprès de lui à ce large examen dont l’indulgence est encore de la justice, et qui, faisant la balance de la grandeur qui leur est propre et des misères qu’ils partagent avec d’autres, accorde en fin de compte l’avantage à la grandeur. […] « Dans notre enquête moderne, après nos dissections de la journée, les féeries seraient, le soir, le rêve éveillé de toutes les grandeurs et de toutes les beautés humaines143. » Proudhon ne se montre pas d’aussi bonne composition : il n’est pas homme à donner ainsi un demi-congé aux artistes et aux poètes : il les veut à tout prix pour collaborateurs. […] Sa force immobile, cette force qui repose placidement en soi, sa simplicité sévère et majestueuse nous avait été dérobée par des interpositions plus modernes qui, comme l’idéalisme de Phidias, la revêtaient d’une beauté plus humaine et mieux équilibrée, ou comme les adaptations latines, l’effaçaient sous des imitations trop industrieuses qui corrompaient sa pureté, abaissaient sa grandeur fière et noyaient ses purs reliefs et ses couleurs vives dans le terne assombrissement des fictions romaines. […] De là cet acharnement, qui nous fait peine, à détruire par une critique sévère et constamment pessimiste le prestige de toute grandeur consacrée par l’histoire.

1356. (1881) Le naturalisme au théatre

Est-ce que sérieusement la vérité leur demande de faire le sacrifice de la grandeur, de la poésie, du souffle épique qu’ils ont l’ambition de mettre dans leurs pièces ? […] Il leur faudrait fouiller l’humanité trop profondément, apprendre la vie, aller droit à la grandeur réelle et la mettre en œuvre d’une main puissante. […] Vivre, la morale est là uniquement, dans sa nécessité, dans sa grandeur. […] Il verra que la véritable grandeur n’est pas dans un étalage de dissertations morales, mais dans l’action même de la vie. […] La principale situation dramatique sur laquelle l’œuvre repose avait une certaine grandeur.

1357. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre II. Lord Byron. » pp. 334-423

C’est parmi ces éclats et ces anxiétés qu’il passait sa vie ; l’angoisse endurée, le danger bravé, la résistance domptée, la douleur savourée, toutes les grandeurs et toutes les tristesses de la noire manie belliqueuse, voilà les images qu’il avait besoin de faire flotter devant lui. […] Chacun des deux modèles a sa beauté et ses taches, l’artiste épicurien comme le politique moraliste1307 ; chacun des deux montre par ses grandeurs les petitesses de l’autre, et, pour mettre en relief les travers du second, lord Byron n’avait qu’à mettre en relief les séductions du premier. […] Autour de lui, comme une hécatombe, gisent les autres, blessés aussi par la grandeur de leurs facultés et l’intempérance de leurs désirs, les uns éteints dans la stupeur ou l’ivresse, les autres usés par le plaisir ou le travail, ceux-ci précipités dans la folie ou le suicide, ceux-là rabattus dans l’impuissance ou couchés dans la maladie, tous secoués par leurs nerfs exaspérés ou endoloris, les plus forts portant leur plaie saignante jusqu’à la vieillesse, les plus heureux ayant souffert autant que les autres, et gardant leurs cicatrices, quoique guéris.

1358. (1895) Impressions de théâtre. Huitième série

Cet homme, qui passe pour avoir été le poète par excellence des grandeurs morales, subit de bonne heure la fascination des grandeurs matérielles. […] On pourrait presque dire que Corneille, poète tragique, ayant commencé par la manie de la grandeur, a fini par la manie des grandeurs. […] « Avec tout cela une certaine grandeur, je n’en disconviens pas, et du style. […] Ce style Empire avec sa raideur de lignes, et ce qu’il y a d’ingénument académique dans le détail de son ornementation, a vraiment, et tout compte fait, de la grandeur ; il me paraît même supérieur au style Louis XIV, qui a surtout de la « pompe ». […] Et la grandeur de la France est prédite non seulement par Procula et Kiomara, mais par Blandine la Romaine : « Ma patrie désormais, dit-elle à la druidesse, c’est la vôtre.

1359. (1894) La bataille littéraire. Sixième série (1891-1892) pp. 1-368

Le côté romanesque a dû être sacrifié, bien qu’intéressant, mais que sont les imaginations humaines à côté de la grandeur des effroyables réalités de la nature ! […] Le sentiment des grandeurs et des hauteurs vous échappe quand on vient de lire ces rêves de géants, et l’esprit reste troublé comme celui de ce peintre qui renonça à son art, ayant perdu le sens des proportions pour avoir exécuté des fresques colossales. […] Ce n’est pas seulement de Frédéric qu’il s’agit dans ce volume, c’est aussi de son étrange père, ce Frédéric-Guillaume Ier qui fut en même temps qu’uni préparateur de la grandeur de son pays, une sorte de fou, moitié ivre la plupart du temps, épris de militarisme, féroce, despote et jouant au Brutus dans sa royale famille. […] Les dix-huit années de grandeur et de prospérité qu’il a données a la France montrent qu’il a agi conformément aux véritables intérêts du pays, et si son cœur a dû saigner de voir ses parents partir pour un exil immérité, sa conscience a pu lui répondre qu’il n’avait rien négligé pour éviter cette déplorable révolution. […] Non seulement il apprenait à être peintre, sculpteur, architecte, il apprenait aussi à être homme, et qui sait si les événements qui apportèrent et remportèrent Savonarole et tant d’autres, n’ont pas laissé quelque chose de leur terrible grandeur dans l’âme de Michel-Ange ?

1360. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome I

C’est une suite de tableaux dont quelques-uns, le Boule-de-Suif de Maupassant, entre autres, sont enlevés de main de maître, mais tous respirent l’horreur des conditions de la guerre et une totale incompréhension de sa grandeur. […] Thureau-Dangin a fait de sa grandeur et de sa chute sans subir l’ascendant de cette intelligence si loyale. […] » s’écriait le Sainte-Beuve des Lundis, entraîné, non sans réserve, dans ce vaste et unanime mouvement des intelligences qui bâtit son plein entre 1850 et 1870, et qui eut bien sa grandeur. […] Parce qu’il voit, parce qu’il reconnaît le prix et la grandeur de la Raison, il s’étonne de voir, de reconnaître aussi ses insuffisances. […] Leur grandeur est là, dans cette ignorance de leur grandeur, leur splendeur dans cette obscurité où ils s’abîment, et cette extrémité de tristesse, au même moment qu’elle donne à leur destinée un pathétique inégalé, constitue la plus émouvante preuve qu’un univers spirituel existe, postulé, exigé par ces innombrables sacrifices cachés : — à moins de supposer que dans ce monde où nous ne rencontrons pas d’épiphénomène, un épiphénomène existe, sans conséquence et sans signification, et que cet épiphénomène unique soit l’homme lui-même.

1361. (1862) Notices des œuvres de Shakespeare

Les mœurs de Hotspur sont certainement beaucoup plus originales pour nous que celles de Brutus : elles le sont davantage en elles-mêmes ; la grandeur des caractères du moyen âge est fortement empreinte d’individualité ; la grandeur des anciens s’élève régulièrement sur la base de certains principes généraux qui ne laissent guère, entre les individus, d’autre différence très-sensible que celle de la hauteur à laquelle ils parviennent. […] On voit dans Antoine un mélange de grandeur et de faiblesse ; l’inconstance et la légèreté sont ses attributs ; généreux, sensible, passionné, mais volage, il prouve qu’à l’amour extrême du plaisir, un homme de son tempérament peut joindre, quand les circonstances l’exigent, une âme élevée, capable d’embrasser les plus nobles résolutions, mais qui cède toujours aux séductions d’une femme. […] De là naît sa grandeur tragique ; elle est dans sa destinée plus que dans son caractère. […] Mais, pour lever toute espèce de doute, il suffit de lire la tragédie de Shakspeare ; la doctrine du droit divin y est sans cesse présentée accompagnée de cet intérêt que font naître le malheur et le spectacle de la grandeur déchue. […] Dans un pareil entourage, où Shakspeare pouvait-il puiser ce pathétique qu’il aurait aimé à répandre sur le spectacle de la grandeur déchue ?

1362. (1890) Derniers essais de littérature et d’esthétique

« Le contact de Rome, dit-il, engourdit la Grèce et l’Égypte, la Syrie et l’Asie-Mineure, et s’il existe de grands édifices qui attestent la grandeur de l’Empire, où sont les indices de vigueur intellectuelle et morale, si nous en exceptons cette citadelle de la nationalité, le petit pays de Palestine ?  […] Plus tard, en examinant ces photographies, et lorsque fut dissipée l’impression qui résulte d’une réduction de grandeur, il fut frappé de la forte ressemblance qui existait entre leur type et celui de la statue de Milo. […] Il était trop féminin pour apprécier la grandeur de cette nature amplement féminine. […] Mais au-delà de tous ces accents, éclats d’âme, motifs, il y a le hautain courage qui fait accepter avec grandeur et franchise toutes les choses qui méritent d’exister. […] Il voit les hommes et les femmes comme des parties de la Nature, passionnées, émues, en un groupement étrange, en rapport avec la grandeur et la beauté du monde naturel, images, ce sont ses propres expressions, d’hommes souffrants parmi des formes et des puissances redoutables. » Certainement le véritable secret de Wordsworth n’a jamais été mieux exprimé.

1363. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

Il serait trop extraordinaire pourtant que celui dont on admirera tout à l’heure le génie mâle et la pureté sévère n’eût pris d’abord l’antiquité que par ce côté des rhéteurs, des sophistes ou même des écrivains ecclésiastiques et qu’il eût négligé précisément les chefs-d’œuvre de grandeur et de grâce qu’elle nous a légués. […] Je ne sais plus me plaindre, mes chers amis ; la conscience que j’ai de la grandeur de mon infortune ne comporte pas l’usage des paroles.

1364. (1858) Cours familier de littérature. V « XXIXe entretien. La musique de Mozart » pp. 281-360

Il chanta Darius le Grand, le Bon, poursuivi par un destin trop sévère, et tombé, tombé, tombé, tombé du haut de sa grandeur et nageant dans son sang. […] S’il avait été question d’un opéra séria, je serais parti sur-le-champ et je l’aurais offert à Sa Grandeur le prince-archevêque ; mais, comme c’est un opéra buffa, qui demande, en outre, des personnes bouffes spéciales, il a fallu sauver notre honneur, coûte que coûte, et celui du prince par-dessus le marché ; il a fallu démontrer que ce ne sont pas des imposteurs, des charlatans qu’il a à son service, qui vont, avec son autorisation, en pays étrangers pour jeter de la poudre aux yeux comme des bateleurs, mais bien de braves et honnêtes gens qui, à l’honneur de leur prince et de leur patrie, font connaître au monde un miracle que Dieu a produit à Salzbourg.

1365. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

Le dessin des caractères n’est pas moins savant ; la férocité d’Argant est opposée à la générosité de Tancrède, la grandeur de Soliman à l’éclat de Renaud, la sagesse de Godefroi à la ruse d’Aladin ; il n’y a pas jusqu’à l’ermite Pierre, comme l’a remarqué Voltaire, qui ne fasse un beau contraste avec l’enchanteur Ismen. […] Je pleurai les loisirs de cette vie simple et paisible ; je soupirai après le repos que j’avais perdu ; je dis enfin : Adieu, grandeur !

1366. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (2e partie) » pp. 409-488

Sa poésie par là est étroite, chétive, étouffée : on n’y voit pas un miroir large et pur de la nature dans sa grandeur, la force et la plénitude de sa vie : ses tableaux manquent d’air et de lointains fuyants. […] « Même lorsqu’il arrivera, plus tard, à toute la grandeur de sa manière, il excellera surtout à peindre de grands paysages reposés.

1367. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (3e partie) » pp. 5-96

Et cependant, quand on pense qu’une fin pareille a frappé un homme qui avait foulé aux pieds la vie et le bonheur de millions d’hommes, la destinée, en se redressant contre lui, paraît encore avoir été très indulgente ; c’est une Némésis qui, en considérant la grandeur du héros, n’a pas pu s’empêcher d’user encore d’un peu de galanterie. […] « C’est au mois d’août 1831 que Goethe reçut de Paris son buste en marbre, de grandeur colossale, par David d’Angers.

1368. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre I. Des poëtes anciens. » pp. 2-93

Elles ont de la grandeur, de la solidité & de la délicatesse. […] A l’esprit des Romains sa plume a retracé Les utiles leçons d’un esclave sensé ; De ses termes choisis l’élégante justesse Sert chez lui de grandeur, de tour & de finesses Sans tirer de l’esprit un éclat emprunté, Le vrai plaît en ses vers par sa simplicité.

1369. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre V : Lois de la variabilité »

Or, comme il est nuisible à tout animal d’être sujet à de fréquentes inflammations des yeux, et que cet organe n’est en aucune façon indispensable à des espèces qui ont des habitudes souterraines, une réduction quelconque dans sa grandeur, avec l’adhérence des paupières, et mieux encore une armure de poils pour le couvrir et le protéger, sont en pareil cas autant d’avantages. […] Tout organe qui atteint une grandeur extraordinaire ou un développement en quelque chose anormal, par rapport à sa taille ou à ses caractères réguliers chez des espèces alliées, doit avoir passé par une série considérable de modifications depuis que s’est formé le genre.

1370. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

L’espérance richement parée se présente à eux pour guide, ayant à ses côtés la tromperie et la servitude ; derrière elle le travail et la peine (j’y aurais ajouté l’ennui, fils de l’opulence et de la grandeur) tourmentent ces malheureux, et enfin les abandonnent à la vieillesse et au repentir. » Je suis fâché que ce même Lucien, après avoir dit que la servitude chez les grands prend le nom d’amitié ait fini par accepter une place au service de l’empereur, et ce qui est pis encore, par s’en justifier assez mal. […] Parmi les grands seigneurs les plus affables, il en est peu qui se dépouillent avec les gens de lettres de leur grandeur vraie ou prétendue jusqu’au point de l’oublier tout-à-fait.

1371. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « L’abbé de Bernis. » pp. 1-22

En même temps qu’on y sent chez Duverney la grandeur d’âme accompagnée de bonté et même de bonhomie, le caractère modéré, noble, humain et assez élevé de Bernis s’y dessine naturellement ; son esprit y laisse échapper des nuances et des aperçus qui ont de la finesse.

1372. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — I. » pp. 301-321

Quelle duperie ridicule de prendre les soucis de la grandeur, et seulement ses soucis !

1373. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

Cette pièce est empreinte de sa manière la plus vigoureuse, avec ses qualités et ses défauts ; elle a de l’inégalité de style, de la complication de pensée, mais de la grandeur, et elle décèle, dans ce poète qui ne passe que pour celui des régions moyennes, un disciple énergique de Milton.

1374. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Une petite guerre sur la tombe de Voitture, (pour faire suite à l’article précédent) » pp. 210-230

On n’y voit point la grandeur, la majesté, la magnificence et la pompe de votre style, cette rapidité impétueuse semblable aux torrents… M. de Voiture a fait judicieusement de vous laisser toute libre cette large et vaste carrière du genre sublime, ayant reconnu que vous en aviez remporté le prix, et qu’il ne restait plus d’honneur à y acquérir après vous.

1375. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — IV » pp. 103-122

Je lui fis proposer secrètement de nous joindre à Nuremberg, et s’il l’eût fait, jamais prince ne pouvait se flatter plus vraisemblablement d’une grandeur sans bornes.

1376. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — II — Vauvenargues et le marquis de Mirabeau » pp. 17-37

Dans la jeunesse, quand le brillant y était encore, et avant que ces humeurs impétueuses et ces fougues eussent acquis au caractère toutes ses aspérités, il pouvait y avoir sinon du charme, du moins bien de l’intérêt dans le commerce d’un tel homme : un air de grandeur revêtait les défauts.

1377. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Merlin de Thionville et la Chartreuse du Val-Saint-Pierre. »

Nous arrivons donc un jour avec lui sur l’heure de midi, à cette fameuse Chartreuse dont il nous fait un magnifique tableau pour la grandeur des bâtiments, pour y hospitalité opulente et toutes les choses du dehors, et sur laquelle il nous apporte un véridique et saisissant témoignage en ce qui est des mœurs et des sentiments cachés.

1378. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers. »

Par ce changement dans votre plan de vie, vous coupez court d’un coup à l’attente de ce rang auquel vous aspirez ; vous n’êtes pas agitée plus longtemps par des espérances et des craintes ; votre tempérament recouvre insensiblement son premier ton ; votre santé revient ; votre goût pour une vie simple et privée gagne du terrain chaque jour, et vous finissez par vous apercevoir que vous avez fait un bon marché en acquérant la tranquillité au prix de la grandeur.

1379. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance »

Son âme généreuse et fière appartenait à ces siècles de grandeur et de gloire que j’ai cherché à faire connaître.

1380. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Lettres inédites de Michel de Montaigne, et de quelques autres personnages du XVIe siècle »

La grandeur et la force de Montaigne (et il en a), il faut les chercher ailleurs et pu elles sont, dans les monuments de sa pensée et de son esprit.

1381. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin »

Dans cette suite de montagnes et de vallées qu’on traverse et qui ont leur grandeur, il rencontre dans la vallée du Chéliff un pays, un lieu extraordinairement aride et qui réalise bien l’idée d’une Afrique entièrement africaine (non pas Boghar plus connu, plus en vue, mais Boghari), qu’on découvre à main gauche en entrant dans la vallée, — un village perché sur un rocher, au fond d’un amphithéâtre désolé, mais flamboyant de lumière : « C’est bizarre, frappant ; je ne connaissais rien de pareil, et jusqu’à présent je n’avais rien imaginé d’aussi complètement fauve, — disons le mot qui me coûte à dire, — d’aussi jaune.

1382. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid(suite et fin.)  »

… » Il n’y a pas d’exagération possible dans un tel moment : c’est plein de grandeur.

1383. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée par. M. le Chevalier Alfred d’Arneth »

Allez au fond : dans ces règnes longs et glorieux que la reconnaissance ou l’admiration des contemporains ont consacrés, vous verrez que c’est le bon sens, « ce maître de la vie », qui y a présidé, au moins autant que la grandeur d’âme.

1384. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « QUELQUES VÉRITÉS SUR LA SITUATION EN LITTÉRATURE. » pp. 415-441

Rendons, rendons enfin admiration et justice à ces hommes qui ont imposé leur nom à leur siècle, Périclès, Auguste, Léon X et Louis XIV ; oui, ils ont été pour beaucoup dans la grandeur et la majesté de l’âge qu’on les a trop accusés d’accaparer ; leur absence totale et prolongée est bien capable aujourd’hui de faire apprécier leur rôle : ils ont empêché les génies et les talents de s’égarer, de se dissiper, les médiocres de passer sur le corps des plus grands ; ils ont maintenu les proportions, les rangs, les vocations, la balance des arts.

1385. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN DERNIER MOT sur BENJAMIN CONSTANT. » pp. 275-299

Aux hommes vraiment politiques, à ceux qui auraient gardé quelque chose du grand art de conduire et de gouverner les autres, il serait par trop simple et peut-être injuste de demander l’exacte moralité du particulier : ils ont la leur aussi, réglée sur la grandeur et l’utilité de l’ensemble ; mais à tous ceux qui prétendent encore à ce titre d’hommes politiques, ne fussent-ils toute leur vie que des hommes d’opposition, on a droit de demander du sérieux, et c’est là le côté faible, qui saute aux yeux d’abord, dans la considération du rôle de Benjamin Constant : une trop grande moitié y parodiait l’autre.

1386. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Aloïsius Bertrand »

Puis viennent ces hautes pensées sur la grandeur de la vieille Écosse qui s’appuie à de telles images du foyer : Sic fortis Etruria crevit.

1387. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre IV »

Les riches ont vraiment un noble privilège Que leur doit envier tout être intelligent, Et qui donne raison à l’orgueil de l’argent : C’est de pouvoir exclure et tenir à distance Les détails répugnants et bas de l’existence, Et de ne pas laisser leur contact amoindrir Les grandeurs que la vie à l’homme peut offrir.

1388. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Mlle de Lespinasse. » pp. 121-142

« Il ne prétend à rien moins, disait La Harpe, qu’à remplacer Turenne, Corneille et Bossuet. » Il serait trop aisé après coup et peu juste de venir faire une caricature de M. de Guibert, de cet homme que tout le monde, à commencer par Voltaire, considéra d’emblée comme voué à la grandeur et à la gloire, et qui a tenu si médiocrement la gageure.

1389. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon. » pp. 270-292

Notre prose s’y montre déjà avec des qualités simples, droites et naturelles qui lui resteront acquises, et avec des tons de grandeur épique qu’elle ne gardera pas toujours.

1390. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Saint-Évremond et Ninon. » pp. 170-191

Clarice est donc de fort belle taille et d’une grandeur agréable, capable de plaire à tout le monde par un certain air libre et naturel qui lui donne bonne grâce.

1391. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Le duc de Lauzun. » pp. 287-308

C’est cependant à cet homme-là qu’on ose attribuer les satires les plus odieuses contre des femmes françaises et étrangères, et les calomnies les plus grossières contre une personne auguste (Marie-Antoinette), qui, dans le rang suprême, avait montré autant de bonté qu’elle fit éclater de grandeur d’âme dans l’excès de l’infortune.

1392. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire des travaux et des idées de Buffon, par M. Flourens. (Hachette. — 1850.) » pp. 347-368

Mais, indépendamment du plaisir qu’il prenait en effet à la peindre avec la grandeur qu’il y voyait, ne sent-on pas que Buffon, par un tel morceau, visait à enlever tous les suffrages à la Cour ?

1393. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Monsieur de Bonald, (Article Bonald, dans Les Prophètes du passé, par M. Barbey d’Aurevilly, 1851.) » pp. 427-449

Homme privé, il avait de la bonhomie, de la finesse, mais sans brillant et sans grandeur.

1394. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — I. » pp. 471-493

 » Sachant les vraies fins de l’homme, et que, dans les orages de la société, c’est à agir et non à lire que les hommes sont destinés, il sentait bien que lui-même, qui ne parlait qu’à des lecteurs, n’offrait qu’un remède insuffisant : « Des têtes noyées dans l’océan des sottises imprimées ne sont plus propres à se conduire, disait-il ; n’en attendez ni grandeur ni énergie ; ces roseaux polis plieront sous les coups de vent sans jamais se relever. » — « On ne combat pas une tempête avec des feuilles de papier », répétait-il souvent.

1395. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Michaud, de l’Académie française. » pp. 20-40

Quatorze années de gloire, de grandeur et de reconstruction sociale, avec même tous les désastres de la fin, ne se suppriment pas dans la mémoire et dans la vie d’une nation, comme une parenthèse dans une phrase trop longue.

1396. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — II. (Fin.) » pp. 63-82

» — On rapporte du cardinal Alberoni une critique de Montesquieu qui est dans ce sens : Il y a de la témérité, disait cet ancien Premier ministre, à chercher les causes de la grandeur et de la décadence des Romains dans la Constitution de leur État.

1397. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

Catherine, informée par Grimm, voulut réparer ce malheur d’une femme d’esprit, et y mit elle-même une délicatesse de femme, jointe à une grandeur de souveraine.

1398. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse esthétique »

C’est ainsi que l’on sera forcé de parler d’émotions, de grandeur, de mystère, de vérité, d’horreur, de curiosité, d’effort, de compassion, de misanthropie, etc.

1399. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre II : Rapports de l’histoire de la philosophie avec la philosophie même »

Tantôt ils affirment et tantôt ils doutent, mais toujours avec innocence et candeur, n’obéissant qu’aux lumières de leur raison, et jamais à un parti pris : vrais et inimitables philosophes, que Voltaire et Montaigne rappellent quelquefois par la sincérité du doute et l’absence d’esprit de système, mais sans les égaler jamais par la forme, la richesse et la grandeur de la pensée.

1400. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Doyen » pp. 178-191

Je gage que son effet vous fatiguera ; qu’il n’y a point de plans, mais point ; rien de décidé ; qu’on ne sait toujours où posent les figures du parvis ; que cette grosse suivante à énorme derrière rouge, au lieu d’être large, continue d’être monstrueuse et mal assise ; qu’il n’y a point de repos, que vous y ressentez partout la furia francese ; qu’à juger de la figure qui tient le petit enfant, par le plan qu’on lui suppose, elle est d’une grandeur colossale, etc., etc.

1401. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Innocent III et ses contemporains »

Or, si cette vue a quelque justesse, on se trouvera forcé de rabattre de beaucoup de grandeur et de beaucoup d’habileté.

1402. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « X. Ernest Renan »

Ces applications, — il faut bien le dire, — n’ont point, malgré les efforts de l’érudit, plus de consistance, de grandeur et de solidité que la vue première qui les a déterminées.

1403. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre I. La demi-relativité »

Ainsi toutes choses et tous rapports entre choses conserveront leur grandeur, resteront dans les mêmes cadres, rentreront dans les mêmes lois.

1404. (1891) La vie littéraire. Troisième série pp. -396

J’admire la solidité des matériaux et la grandeur du plan. […] La plus misérable créature rencontrée la nuit dans l’ombre d’une ruelle suspecte revêt dans son esprit une grandeur tragique : sept démons sont en elles et tout le ciel mystique regarde cette pécheresse dont l’âme est en péril. […] Moi-même je me permis de défendre non telle ou telle théorie scientifique ou philosophique, mais les droits même de l’esprit humain, dont la grandeur est d’oser tout penser et tout dire. […] Ceux-là ont goûté par-dessus tout dans la religion les charmes du péché, la grandeur du sacrilège, et leur sensualisme a caressé les dogmes qui ajoutaient aux voluptés la suprême volupté de se perdre. […] Mais chaque fois que nous admirons l’immensité des cieux, il faut admirer en même temps notre propre petitesse : la grandeur de l’univers en dépend.

1405. (1898) Ceux qu’on lit : 1896 pp. 3-361

Chacun reconstruira à sa guise, comme il le ferait pour un roman auquel il manquerait la première partie, un fait capital de la vie intime de Victor Hugo, Pour moi, je n’y veux rien voir qu’une grandeur de sentiments, une générosité de cœur, bien au-dessus des forces ordinaires humaines. […] Maeterlinck, dont il résume le talent fait d’aspirations vers la grandeur et la simplicité. […] Accordons que ce parti pris ne manque pas d’une certaine grandeur. […] Néanmoins, j’avoue que, sans me préoccuper du bien où du mal fondé des opinions de M. de Persigny en cette circonstance, je ne puis me défendre de trouver une certaine grandeur à cette maladresse. […] « Rien n’égale, dit-il, la grandeur du spectacle qu’offrit l’attaque de notre centre.

1406. (1884) Les problèmes de l’esthétique contemporaine pp. -257

L’imitation du laid et de la douleur (au moins de la douleur physique, qui n’implique pas une grandeur morale) n’est point essentielle à l’art ; elle est, comme toute imitation et toute fiction, la conséquence même d’une certaine impuissance. […] D’autre part, l’intelligence est satisfaite, car nous pouvons calculer la proportion entre la grandeur du but à atteindre et l’effort dépensé. […] S’il a souvent moins de grâce, il peut avoir plus de beauté et de grandeur. […] Enfin les qualités de similitude que nous recherchons dans les formes, l’analogie des directions, l’égalité des grandeurs, la proportion, la variété réduite à l’unité, tout s’explique par les mêmes raisons : ce sont là autant de moyens d’épargner, tout en la dépensant, notre force musculaire et nerveuse. […] Ruskin, que les génies montrent leur grandeur jusque dans la manière dont ils traitent le détail : maximus in minimis  ; « et cette grandeur de manière consiste à saisir par la pensée, en même temps que le caractère spécifique de l’objet, tous les traits de beauté qu’il a en commun avec les ordres plus élevés de l’existence ».

1407. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre V. La Renaissance chrétienne. » pp. 282-410

Songez qu’ils n’ont point d’autres livres, que leur esprit est vierge, que toute impression y fera un sillon, que la monotonie de la vie machinale les livre tout entiers aux émotions neuves, qu’ils ouvrent ce livre non pour se distraire, mais pour y chercher leur sentence de vie et de mort ; enfin que l’imagination sombre et passionnée de la race les exhausse au niveau des grandeurs et des terreurs qui vont passer sous leurs yeux. […] La mort règne dans toutes les parties de notre année, et vous ne pouvez aller nulle part sans fouler les os d’un mort379. » Ainsi roulent ces puissantes paroles, sublimes comme le motet d’un orgue ; cet universel écrasement des vanités humaines a la grandeur funéraire d’une tragédie ; la piété ici sort de l’éloquence, et le génie conduit à la foi. […] La grandeur des émotions élève aux mêmes sommets le paysan et le poëte, et ici l’allégorie sert encore le paysan. […] Tu as ramassé ensemble toute la grandeur si fort tendue, tout l’orgueil, la cruauté, l’ambition de l’homme, et couvert tout ensemble de ces deux mots étroits : Hic jacet.

1408. (1890) Nouvelles questions de critique

et quand on fait à Buffon ce reproche, ne méconnaît-on point ce qui fait la grandeur et l’originalité de sa manière ? […] Elles en sont indépendantes, et la grandeur que nous leur attribuons n’est qu’une illusion de nos sens. […] L’un et l’autre, ils sont de ceux qui font honneur à l’esprit français, par la solidité de leur bon sens, l’étendue de leur esprit, et la grandeur du service qu’ils ont rendu à la langue. […] Il est temps de le montrer maintenant, et qu’après avoir été la raison de la grandeur du romantisme, le même et seul principe est devenu la cause de sa mort. […] Inversement, nous pouvons dire aussi pourquoi de certaines œuvres, naturalistes d’inspiration, ne sont dénuées cependant ni de charme, ni de poésie, ni de grandeur au besoin.

1409. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

Il n’a pas un très haut idéal ; il n’est pas chevaleresque, il n’est pas stoïque, il n’est pas très chrétien et ce n’est pas un temps de croisades ; il est raisonnable, de bon sens, d’esprit moyen assez juste, avec un sentiment assez haut de la dignité et de la grandeur nationales. […] Mais partout ailleurs, quoique présentant encore, quelques contradictions, au moins apparentes, difficiles à expliquer, il a une certaine grandeur satanique ou au moins néronienne qui impose singulièrement à l’imagination et qui trouble profondément la sensibilité, et il se trouve que les vers par lesquels le même Musset caractérise le Lovelace de Richardson, s’appliquent très précisément au Don Juan de Molière. […] Les vers suivants — éloge du Roi et de Colbert — sont généralement pénibles à considérer, et il est désagréable de rencontrer des lignes rimées, comme celles-ci : La grandeur y paraît, l’équité, la sagesse, La bonté, la puissance ; enfin ces traits font voir Ce que l’esprit de l’homme a peine à concevoir. […]  » Il dit à Philaminte : « Je fais le plus grand cas de vous ; en vous je reconnais une élévation d’esprit, une grandeur d’âme, une manière même de stoïcisme, dont je ferai certainement mention dans la pièce où je vous mettrai. […] Il a fait son Tartuffe très hardi pour lui donner plus de grandeur, plus de grandeur sinistre, mais plus de grandeur.

1410. (1907) Propos de théâtre. Quatrième série

D’abord il a de la grandeur. […] Paul Mounet, qui a joué le rôle autrefois, mais que je n’y avais pas vu, a été d’une grandeur simple où je ne m’attendais pas et qui m’a ravi. […] Le tableau, encore qu’à mon avis il pût être mieux réglé, ne manque pas de grandeur. […] Attitude héroïque dont nous sentons bien tout l’héroïsme ; mais que, cependant, il aurait fallu trouver le moyen d’accuser plus fortement, de faire éclater dans toute sa grandeur. […] Figurez-vous qu’il a eu une grandeur simple et sobre, une majesté naturelle qui se sentait toujours et qu’il semblait qu’il ne cherchât qu’à dissimuler.

1411. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre I. La Renaissance païenne. » pp. 239-403

» Si vous cherchez un penseur plus sérieux, écoutez le grand patriote, le Thucydide du siècle, Machiavel, qui, opposant le christianisme et le paganisme, dit que l’un place le « bonheur suprême dans l’humilité, l’abjection, le mépris des choses humaines, tandis que l’autre fait consister le souverain bien dans la grandeur d’âme, la force du corps et toutes les qualités qui rendent l’homme redoutable. » Sur cela il conclut hardiment que le christianisme enseigne à « supporter les maux, et non à faire de grandes actions  » ; il découvre dans ce vice intérieur la cause de toutes les oppressions ; il déclare que « les méchants ont vu qu’ils pouvaient tyranniser sans crainte des hommes, qui, pour aller en paradis, étaient plus disposés à supporter les injures qu’à les venger. » À ce ton, et en dépit des génuflexions obligées, on devine bien laquelle des deux religions il préfère. […] Il faut choisir dans cette foule de poëtes ; en voici un, l’un des premiers, qui montrera par ses écrits comme par sa vie les grandeurs et les folies des mœurs régnantes et du goût public ; sir Philip Sidney, neveu du comte de Leicester, un grand seigneur et un homme d’action, accompli en tout genre de culture, qui, après une éducation approfondie d’humaniste, a voyagé en France, en Allemagne et en Italie, a lu Aristote et Platon, étudié à Venise l’astronomie et la géométrie, médité les tragédies grecques, les sonnets italiens, les pastorales de Montemayor, les poëmes de Ronsard, s’intéressant aux sciences, entretenant un commerce de lettres avec le docte Hubert Languet ; avec cela, homme du monde, favori d’Élisabeth, ayant fait jouer en son honneur une pastorale flatteuse et comique, véritable « joyau de la cour », arbitre, comme d’Urfé, de la haute galanterie et du beau langage ; par-dessus tout chevaleresque de cœur et de conduite, ayant voulu courir avec Drake les aventures maritimes, et, pour tout combler, destiné à mourir jeune et en héros. […] Il est au niveau de tant de noblesse, de grandeurs et de rêves. […] Voilà la grandeur de cette œuvre : il a pu prendre toute la beauté, parce qu’il ne s’est soucié que de la beauté. […] de voir un herbier gravé, les herbes, les arbres, les fleurs, les plantes, tous les végétaux représentés, avec les couleurs naturelles de la vie, comme dans Matthiolus sur Dioscorides, Delacampius, Lobel, Bauhinus, et ce dernier herbier volumineux et énorme de Besler de Nuremberg, où presque toute plante est figurée avec sa vraie grandeur ?

1412. (1899) La parade littéraire (articles de La Plume, 1898-1899) pp. 300-117

C’est un art, enfin, qui trouve dans la réalité et dans la vie mille fois plus de beauté que dans la fiction, et dans le rêve, mille fois plus d’éclat, de variété, d’unité d’harmonie, de grandeur, de méthode, de fantaisie, de noblesse, et pour lequel il n’y a pas de sujets nobles ou ignobles, dignes ou indignes, mais seulement des artistes dignes ou indignes de les créer. » Et aux Watts, aux Burne Jones, aux Tadema, à tous ces artistes pâles et dépérissants, il oppose les Monet, les Cézanne, l’Allemand Böckline, le Norvégienf Thaulow, le Hollandais Van Gogh, ces peintres d’inspiration panthéistes qui ont fait chanter avec de nouvelles notes les riches poudroiements de la matière en fête. […] L’excessive acuité de sa douleur ne l’a pas conduit au chaos, sa mélancolie prend la grandeur de celle du monde, ainsi qu’on peut le constater dans cet admirable Soir d’Octobre. […] Or, il faut bien l’avouer, de tous les écrivains qui, depuis plusieurs années, se sont fait une spécialité d’écrire sur l’Amour, bien peu furent persuadés de la grandeur de leur tâche.

1413. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — II. Duclos historien » pp. 224-245

Et quant à ceux auxquels il est accordé de revêtir leur pensée d’une expression d’éclat et d’imprimer il leur œuvre un cachet d’imagination et de grandeur, ne croyez pas, en général, qu’ils y soient arrivés du premier coup et sans une longue et opiniâtre conquête au-dedans.

1414. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — II. (Fin.) » pp. 109-130

Le style en est simple et uni : La simplicité du style, pense avec raison l’auteur, convient seule lorsque l’expression ne peut atteindre à la grandeur des objets.

1415. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — II. (Fin.) » pp. 257-278

Selon lui, l’âme humaine, toute déchue et altérée qu’elle est, est le plus grand et le plus invincible témoin de Dieu ; elle est un témoin bien autrement parlant que la nature physique, tellement que le vrai athée (s’il y en a) est celui qui, portant ses regards sur l’âme humaine, en méconnaît la grandeur et en conteste l’immortelle spiritualité.

1416. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — III » pp. 81-102

Grondé pour avoir pris sur lui de repasser sur la rive gauche du Rhin, il tenait à faire sentir qu’il en avait été un peu découragé, et que cela nuisait à la grandeur des vues, au bien du service : « J’avoue, Sire, écrivait-il à Louis XIV, que je me suis cru obligé à plus de circonspection, bien que pénétré de toutes les bontés dont il a plu à Votre Majesté de m’honorer pour me relever le courage un peu abattu par la crainte de lui avoir déplu en repassant le Rhin. » Et avec Chamillart il s’ouvrait complaisamment dans le même sens, et il continuait d’insinuer cette leçon indirecte où nous l’avons déjà vu si habile, et où la naïveté sert de couvert à la finesse : La prudence, monsieur, est très à la mode dans les armées.

1417. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

Souffle, véhémence, torrent, abondance, grandeur, feu et richesse, voilà les caractères continus de L’Iliade, que Pons ni La Motte ne soupçonnaient pas : On ne saurait dire, prétendait l’abbé de Pons, qu’une langue soit moins propre qu’une autre à la vraie peinture des pensées et des sentiments.

1418. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire du règne de Henri IV, par M. Poirson » pp. 210-230

Ce grand xvie  siècle, si fécond en idées et en hommes, était menacé à son issue d’être comme étranglé, de perdre tout honneur et toute grandeur, et de passer sous les fourches caudines de Philippe II.

1419. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe, et d’Eckermann »

Il lui donne quelques conseils sur les projets de voyage qu’Eckermann formait à ce moment, et lui recommande ce qui lui reste à voir de curiosités à Weimar : « Je ne pouvais me rassasier de regarder les traits puissants de ce visage bruni, riche en replis dont chacun avait son expression, et dans tous se lisait la loyauté, la solidité, avec tant de calme et de grandeur !

1420. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Madame Roland, ses lettres à Buzot. Ses Mémoires. »

Dans son amour de la grandeur historique et de la gloire, elle se disait qu’une belle mort, un noble flot de son sang généreux allait laver tout cela.

1421. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [II] »

Les détails dans lesquels M. de Fezensac est entré dans ses Souvenirs militaires, sans rien ôter à la grandeur de l’ensemble, font assister toutefois aux misères de la réalité.

1422. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [V] »

La Bruyère même eût été embarrassé de le définir exactement… (Et plus loin, après les entretiens d’Erfurt) : Je crus avoir jeté de la poudre aux yeux de mon rival de gloire et de puissance ; la suite me prouva qu’il avait été aussi fin que moi. » Napoléon, obligé de juger lui-même sa campagne de 1812 et de se condamner, se souvient à propos d’un beau mot de Montesquieu : « Les grandes entreprises lointaines périssent par la grandeur même des préparatifs qu’on fait pour en assurer la réussite. » Un trait fort juste sur Napoléon et qu’ont trop oublié ses détracteurs aussi bien que ses panégyristes, c’est que cette volonté de fer était souvent bien mobile comme celle de tous les joueurs passionnés, et qu’elle remettait souvent ses résolutions ultérieures les plus graves aux chances les plus fortuites.

1423. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [I] »

Viollet-le-Duc, publié en 1843, donnait des indications bibliographiques précises accompagnées de courtes analyses ou d’aperçus, et le ciel poétique du xvie  siècle se peuplait ainsi d’une quantité d’étoiles de toute grandeur ; les plus petites même étaient désormais visibles.

1424. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo en 1831 »

Littérairement, d’ailleurs, nous nous sommes dit qu’écrire ces détails sur un homme bien jeune encore, sur un poëte de vingt-neuf ans, à peine au tiers de la carrière qu’il promet de fournir, ce n’était, pour cela, ni trop tôt ni trop de soins ; que ces détails précieux qui marquent l’aurore d’une belle vie se perdent souvent dans l’éclat et la grandeur qui succèdent ; que les contemporains les savent vaguement ou négligent de s’en enquérir, parce qu’ils ont sous les yeux l’homme vivant qui leur suffit ; que lui-même, avec l’âge et les distractions d’alentour, il revient moins volontiers sur un passé relativement obscur, sur des souvenirs trop émouvants qu’il craint de réveiller, sur des riens trop intimes dont il aime à garder le mystère ; et qu’ainsi, faute de s’y être pris à temps, cette réalité originelle du poëte, cette formation première et continue, dont la postérité est si curieuse, s’évanouit dans une sorte de vague conjecture, ou se brise au hasard en quelques anecdotes altérées.

1425. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SCRIBE (Le Verre d’eau.) » pp. 118-145

Depuis que Voltaire a été détrôné sans retour par la philosophie de l’histoire, et qu’il est convenu que la Fronde ne saurait se reproduire sous d’autres formes, nous succombons sous les grandes causes qu’on met en avant, et selon lesquelles on fait manœuvrer après coup l’humanité : le présent seul fait défaut jour par jour à cette grandeur.

1426. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « HISTOIRE DE LA ROYAUTÉ considérée DANS SES ORIGINES JUSQU’AU XIe SIÈCLE PAR M. LE COMTE A. DE SAINT-PRIEST. 1842. » pp. 1-30

Elle semblait pénétrer encore plus avant, plus au cœur de l’empire, avec les Goths et Théodoric ; mais les Goths, comme leur illustre chef, admirateurs, imitateurs du génie romain et de cette grandeur déchue, s’y fondirent et y absorbèrent leur originalité ; le Sicambre résista mieux.

1427. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DE BARANTE. » pp. 31-61

L’abus violent qu’on a fait de certains dons, la volonté ambitieuse et bruyante qu’ont marquée certains esprits de conquérir, d’afficher du moins ce qu’ils n’avaient pas naturellement, la perturbation qui s’en est suivie dans les genres les plus graves, bien des circonstances contribuent aujourd’hui à donner un prix tout nouveau et comme un attrait particulier à ces physionomies d’écrivains calmes, modérées, ingénieuses, à ceux qui ont uni l’élévation ou la distinction de l’idée à la discrétion du tour, qui, en innovant quelque peu à leur moment, n’ont détruit ni bouleversé les grandeurs et les vérités existantes, qui se sont mûris à leur tour dans des applications diverses, et ont su imprimer à l’ensemble de leur vie et de leur œuvre la règle souveraine de la bienséance et une noble unité.

1428. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Pierre Corneille »

Il y avait là-dedans, selon nous, plus de présage de grandeur sublime que dans Mélite, Clitandre, la Veuve, la Galerie du Palais, la Suivante, la Place Royale, l’Illusion, et pour le moins autant que dans Médée.

1429. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre II. Corneille »

Ensuite, parce que, de son temps du moins, la fortune des hommes illustres intéressait le public plus que celle des bourgeois, et fournissait des causes plus adéquates à la grandeur des passions ; et puis, aussi, parce qu’en somme les intérêts historiques donnent aux passions une base plus universellement intelligible que les intérêts professionnels ou financiers, d’où sortent les passions bourgeoises.

1430. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre IV. Le patriarche de Ferney »

Elle ne respectait pas les plus vraies gloires du siècle, elle les démolissait à coups d’ironies et d’épigrammes : Voltaire eut la petitesse d’être gêné par la grandeur de Montesquieu.

1431. (1890) L’avenir de la science « II »

Je comprends certes le scepticisme, c’est un système comme un autre ; il a sa grandeur et sa noblesse.

1432. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XI. La littérature et la vie mondaine » pp. 273-292

D’abord la condition des personnages : ce ne sont que princes et princesses, rois et empereurs, à moins que ce ne soient des héros légendaires à qui leur mystérieux éloignement prête je ne sais quelle vaporeuse grandeur.

1433. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XII. La littérature et la religion » pp. 294-312

. — Quand on regarde de haut l’histoire religieuse de la France, on s’aperçoit bien vite de deux grands faits qui s’en dégagent : l’un, c’est que du moyen âge à nos jours l’Église catholique perd peu à peu sa puissance, ses privilèges, son autorité sur les esprits ; l’autre, c’est qu’elle passe par des alternatives de grandeur et de décadence qui se succèdent avec une parfaite régularité.

1434. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVIII. Formule générale et tableau d’une époque » pp. 463-482

La plupart des Français de ce temps-là, avec un orgueil que justifie en partie la docile admiration des autres peuples, sont convaincus qu’avec eux commence une ère de grandeur et de perfection.

1435. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Mme de Caylus et de ce qu’on appelle Urbanité. » pp. 56-77

Dans sa petite maison du Luxembourg, qui est isolée et champêtre, et où l’on n’arrive que par un détour comme dans un village, elle se montre presque comme une fermière retirée au lendemain des grandeurs de Versailles : C’est un délice que de se lever matin ; je regarde par ma fenêtre tout mon empire, et je m’enorgueillis de voir sous mes lois douze poules, un coq, huit poussins, une cave que je traduis en laiterie, une vache qui paît à l’entrée du grand jardin, par une tolérance qui ne sera pas de longue durée.

1436. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame Émile de Girardin. (Poésies. — Élégies. — Napoline. — Cléopâtre. — Lettres parisiennes, etc., etc.) » pp. 384-406

Oui, me répète avec conviction un témoin aimable et des plus spirituels de ce moment, oui, elle était à la fois belle, simple, inspirée comme la Muse, rieuse et bonne enfant (c’est le mot unanime), et telle qu’elle a peint plus tard sa Napoline, c’est-à-dire encore elle-même,         Naïve en sa gaieté, rieuse et point méchante ; disant les vers avec élégance et un air de grandeur comme elle les faisait alors.

1437. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — II. (Lettres écrites du donjon de Vincennes.) » pp. 29-50

Reconnaissons qu’il y avait dans ces âmes extrêmes une grandeur qui nous étonne, qui nous surpasse et qui a péri : Grandiaque effossis mirabitur ossa sepulchris.

1438. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre. (1851, 2 vol. in-8º.) » pp. 192-216

Ils ont de plus cette espèce de considération qui naît de la grandeur antique, et, enfin, l’utile instruction que donne nécessairement le malheur ; mais, quoique je les croie très capables de jouir de la royauté, je ne les crois nullement capables de la rétablir.

1439. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame Necker. » pp. 240-263

Quoique la malignité mondaine ait pu trouver à redire à cette solennité d’un époux louant sa compagne, ici, je l’avoue, le sourire expire en présence de l’élévation du but et de la grandeur du bienfait.

1440. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

Le Brun n’a jamais mieux prouvé son élévation de talent que par ce court dizain, et l’on a pu dire qu’il a, porté de la grandeur jusque dans l’épigramme.

1441. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le comte-pacha de Bonneval. » pp. 499-522

Tant de rois et de princes m’ont honoré de leur estime, amitié, et même confiance, que je pourrais relever ma petitesse sur les échasses de leur grandeur.

1442. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — II. (Suite.) » pp. 23-46

De loin, aujourd’hui, il n’est pas jusqu’à cet instant de trouble et de confusion dans les idées qui ne nous touche chez le grand capitaine poussé à bout, et qui se retourne comme le lion blessé ; cet éclair égaré est d’une beauté dramatique et d’une grandeur épique suprême.

1443. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — II. (Suite.) Janvier 1830-mars 1831. » pp. 105-127

Carrel sentait si vivement l’esprit et la grandeur de cette époque et de l’homme qui la personnifiait, il en parlait sans cesse avec tant d’intérêt et d’éloquence, que ses amis Sautelet et Paulin l’avaient engagé à écrire une Histoire de l’Empire.

1444. (1888) La critique scientifique « La critique et l’histoire »

Aucun artiste ne peut ne pas se mettre dans son œuvre ; aucun n’a songé et n’aurait pu parvenir à falsifier cet aspect de sa nature intime qui gît au fond de toute œuvre ; tant qu’ils s’appliqueront à la tâche ardemment poursuivie d’exprimer quelque face nouvelle et poignante du beau, de frapper l’âme humaine en quelque place vierge d’émotion, ils seront empêchés, s’ils veulent atteindre le but, de dissimuler la grandeur, la beauté et l’aspect de leur propre âme, dont la communication même, impudique ou discrète, est la condition de la pénétration de leur œuvre dans l’âme d’autrui.

1445. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Henri Heine »

Quant à toi, je serais désolé que tu m’approuvasses de m’être fait baptiser. » Ailleurs, il se promet d’écrire un livre sur la grandeur de la nation juive ; il compose une nouvelle, détruite plus tard en partie, qui roule sur les persécutions des Juifs au Moyen-Âge.

1446. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre II. Shakespeare — Son œuvre. Les points culminants »

Ils ont compté, pour se faire un peu d’éclat, sur la grandeur de ceux qu’ils outrageaient.

1447. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre I. Après la mort — Shakespeare — L’Angleterre »

Ce qui manque peut-être à cette Albion toute à son affaire, et parfois regardée de travers par les autres peuples, c’est de la grandeur désintéressée ; Shakespeare lui en donne.

1448. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Introduction »

La Méthode de Descartes a égaré par son apparente innocence et sa spécieuse grandeur les plus fermes croyants du xviie  siècle ; nous ne pouvons plus nous y tromper aujourd’hui, et nous savons bien que le doute de Descartes aboutit infailliblement au doute de Voltaire.

1449. (1694) Des ouvrages de l’esprit

Quelle grandeur ne se remarque point en Mithridate, en Porus et en Burrhus ?

1450. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre I. La critique » pp. 45-80

Qu’il songe que Barrès et Victorien du Saussay n’ont pas la même clientèle, ne peuvent pas l’avoir et que l’un ne saurait faire tort à l’autre, et qu’il agisse pour le renom de notre pays dont la grandeur littéraire est la plus belle gloire.

1451. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Loutherbourg » pp. 258-274

De droite et de gauche, des mêlées séparées, des corps particuliers de troupes engagés, s’éteignant, s’étendant sur le fond, perdant insensiblement de la grandeur et de la lumière, s’isolant de la masse principale, et la chassant en devant.

1452. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Nisard » pp. 81-110

Cela est étonnant pour un homme d’action, grand à sa manière, — car l’intrépidité, quand elle est complète, constitue à elle seule une grandeur ; — mais c’est particulièrement incroyable de la part d’un Anglais, de ce pays du rang et de la hiérarchie, qui aurait dû être aussi fier de son intimité avec lord Byron que le boxeur Johnson lui-même aurait pu l’être de la sienne, s’il en avait écrit.

1453. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « X. M. Nettement » pp. 239-265

Au lieu de cette œuvre généreuse et fière de vérité et de justice qu’une plume monarchique et catholique pouvait seule nous donner, nous avons un ouvrage qui a moins de grandeur, moins de sévérité et moins de portée, mais qui mérite cependant que la Critique s’y arrête, car il a été écrit dans un but évidemment plus élevé que la plupart des livres de ce triste temps.

1454. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pommier. L’Enfer, — Colifichets. Jeux de rimes. »

Pour son génie, il est incontestable, mais ses inventions n’ont rien confisqué de l’idée chrétienne, qui reste à la disposition du premier venu et qui, malgré l’effort du talent très-énergique et très-fier auquel nous applaudissons aujourd’hui, attend encore, attend toujours un poète de proportion avec sa grandeur !

1455. (1868) Curiosités esthétiques « VII. Quelques caricaturistes français » pp. 389-419

Daumier s’est abattu brutalement sur l’antiquité, sur la fausse antiquité, — car nul ne sent mieux que lui les grandeurs anciennes, — il a craché dessus ; et le bouillant Achille, et le prudent Ulysse, et la sage Pénélope, et Télémaque, ce grand dadais, et la belle Hélène qui perdit Troie, et tous enfin nous apparaissent dans une laideur bouffonne qui rappelle ces vieilles carcasses d’acteurs tragiques prenant une prise de tabac dans les coulisses.

1456. (1930) Les livres du Temps. Troisième série pp. 1-288

Benda, toujours dominé par ses visées polémiques, exalter Hugo contre les censeurs traditionalistes, pour le rabaisser ensuite comme un clerc infidèle, et le traiter alternativement, selon les besoins de la cause, en poète de première ou de seconde grandeur. […] Cet épicurien de Stendhal avait le sentiment de la grandeur et l’âme chevaleresque. […] Clemenceau, en d’autres termes que, sans en nier les aspects pénibles, ils en ont dégagé la grandeur essentielle. […] Il supporte d’abord la liaison d’Anna et de Wronsky, nullement par amour, ni par grandeur d’âme et respect de la liberté des êtres, ni même par indifférence, mais simplement par lâcheté et crainte du scandale, qui pourrait nuire à sa fortune politique. […] Même si c’était exact, cela n’en diminuerait pas la grandeur, mais la rendrait héroïque.

1457. (1901) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Deuxième série

La seule vraie critique, dans sa liberté et sa force initiale, dans sa valeur utile et sa responsabilité grave, dans toute sa grandeur et dans toute sa beauté, est donc celle qui s’exerce sur les auteurs nouveaux. […] Il est la vacuité de l’homme, non sa grandeur. […] En bonne vérité, je crois qu’aucun grand homme, pour peu du moins qu’il fût un homme ingénu, ayant santé et substance réelle en lui de n’importe quelle grandeur ne fut jamais bien tourmenté de cette façon. […] Le contraste de la grandeur d’âme, qu’on suppose en principe et par définition chez les hommes supérieurs au vulgaire, avec cette misérable soif des « louanges de ceux qui ne furent jamais loués », comme disait le peintre Poussin, a quelque chose de comique et de dégradant. […] Cet ardent souci du souvenir des hommes, au moment de périr par une mort violente, a déjà son ordre de grandeur.

1458. (1910) Propos littéraires. Cinquième série

De voir là un beau geste et de préférer un beau geste au salut et à une vie digne encore, utile encore, et non sans grandeur simple, aux États-Unis, c’est, précisément, ce que je trouve assez mesquin. […] Ou ce qu’il y a de plus grand dans les grands hommes m’échappe, ce qui est possible ; ou il y a, dans les grands hommes, des petitesses, peut-être en raison même de leurs grandeurs, que je vois très bien. […] Il arrive aussi que, des deux éléments de grandeur dont nous avons parlé, l’un contribue très fortement à dissoudre l’autre : à savoir, l’intelligence le caractère. […] — Le malheur, c’est qu’il vous est impossible de savoir vous-même, et vous surtout, si c’est par grandeur ou faiblesse de cœur que vous êtes un menteur éternel. […] Il a été de l’un à l’autre, dominant le premier, et pour cause ; écrasé de la grandeur du second, pour cause encore.

1459. (1916) Les idées et les hommes. Troisième série pp. 1-315

Dans le ton, que de naturel ; souvent, que de grandeur ; et toujours, que de sensibilité, mais pudique, si l’on peut dire, et qui laisse deviner ses alarmes plutôt que d’y insister ; que de raison ! […] Je veux bien qu’un Armand Carrel soit insupportable, quand il jette le discrédit sur l’« égoïsme » auquel la France a dû sa grandeur et l’Europe sa tranquillité. […] — Généralement, elles n’ont pas été inutiles : leurs grandes ambitions, ne fussent-elles pas toutes comblées, ont laissé dans l’œuvre ou lui ont communiqué un peu de leur grandeur. […] Plus tard, à la tribune de la Chambre, il admonestera vivement ceux qui, négligeant l’affranchissement de tous les peuples, ne craignent pas de placer l’intérêt de la France dans « une grandeur égoïste » : il préconise « la grandeur de tous et la justice éternelle ». — « Soyons Français !  […] Ollivier se réclame de la Révolution, des idées largement humaines qu’elle a répandues par le monde, et affirme sa poétique passion « d’identifier les droits et la grandeur de la France avec les droits et la grandeur du genre humain ».

1460. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Discours prononcé à la société des visiteurs des pauvres. » pp. 230-304

La scène, en soi, a quelque grandeur. […] Et tous deux (mais peut-être n’eût-il pas été mauvais de nous convaincre davantage de la grandeur de leur amour mutuel) pouvaient avoir de beaux déchirements — et de beaux cris.

1461. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XIII : Affinités mutuelles des êtres organisés »

C’est au point que souvent il est impossible de les distinguer les uns des autres autrement que par leur grandeur. […] J’ai mesuré avec soin les proportions de leur bec et de son ouverture, la longueur des narines et des paupières, la grandeur des pieds et la longueur des pattes ; et j’ai comparé toutes ces mesures chez des individus de souche sauvage, chez des Grosses-Gorges, des Paons, des Romains, des Barbes, des Dragons, des Messagers et des Culbutants.

1462. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Joseph de Maistre »

Toujours ce peuple aimable aura de nouveaux droits sur nos cœurs ; chez lui, les grâces s’allient à la grandeur ; la raison n’est jamais triste ; la valeur n’est jamais féroce, et les roses d’Anacréon se mêlent aux panaches guerriers des Du Guesclin… » M. de Maistre pensera toujours, plus qu’il n’en voudrait convenir, à la France et à Paris, à cette Athènes absente qu’il saluait si gracieusement au début ; mais il la peindra tout à l’heure moins anacréontique et un peu moins couleur de rose. […] Celui qui domine, cette idée de gouvernement providentiel dont nous parlons, qui s’y Jessine en deux ou trois grands chapitres, et que l’auteur reprendra plus tard avec prédilection et raffinement, ne se produit ici que justifié par la grandeur même de la catastrophe : la voix de Dieu s’élance toute majestueuse du milieu des orages du Sinaï. […] Et pour que l’on comprenne mieux dans quel sens analogue à celui de M. de Maistre, voici ce qu’après un préambule sur ses principes spiritualistes et sur la liberté morale, Saint-Martin disait à son ami : « Supposant donc… toutes ces bases établies et toutes ces vérités reconnues entre nous deux, je reviens, après cette légère excursion, me réunir à toi, te parler comme à un croyant, te faire, dans ton langage, ma profession de foi sur la Révolution française, et t’exposer pourquoi je pense que la Providence s’en mêle, soit directement, soit indirectement, et par conséquent pourquoi je ne doute pas que cette Révolution n’atteigne à son terme, puisqu’il ne convient pas que la Providence soit déçue et qu’elle recule. » « En considérant la Révolution française dès son origine, et au moment où a commencé son explosion, je ne trouve rien à quoi je puisse mieux la comparer qu’à une image abrégée du Jugement dernier, où les trompettes expriment les sons imposants qu’une voix supérieure leur fait prononcer, où toutes les puissances de la terre et des cieux sont ébranlées, et où les justes et les méchants reçoivent dans un instant leur récompense ; car, indépendamment des crises par lesquelles la nature physique sembla prophétiser d’avance cette Révolution, n’avons-nous pas vu, lorsqu’elle a éclaté, toutes les grandeurs et tous les ordres de l’État fuir rapidement, pressés par la seule terreur, et sans qu’il y eût d’autre force qu’une main invisible qui les poursuivît ?

1463. (1923) L’art du théâtre pp. 5-212

Ce n’est pas moi qui contesterai à ce point de vue sa légitimité et sa grandeur. […] On sacrifie le mouvement à la stature, le « dynamisme » à la fausse grandeur. […] Capable de grandeur aux moments où le pathétique l’emporte, il submerge le drame sous un torrent étincelant de paradoxes, de jeux de mots, de jeux d’esprit.

1464. (1923) Paul Valéry

Teste, si les plus grands génies n’ont pas dû nécessairement rester inconnus, puisque le génie le plus grand serait par sa grandeur même purifié de l’erreur et de l’ambition qui le portent à se faire connaître par des œuvres et à rechercher la gloire. […] Pour concevoir les grands hommes purs de leur erreur, il faudrait les concevoir purs de leur œuvre, et eux-mêmes ne peuvent appeler leur grandeur que le reflet de leur œuvre sur eux : de leur œuvre réelle et non de leur œuvre possible, puisqu’il nous est loisible à tous de nous croire riches intérieurement d’une œuvre possible infinie que nous n’avons pas daigné réaliser ou que les circonstances ont étouffée. […] Ô pour moi seul, à moi seul, en moi-même, Auprès d’un cœur, aux sources du poème, Entre le vide et l’événement pur, J’attends l’écho de ma grandeur interne, Amère, sombre et sonore citerne, Sonnant dans l’âme un creux toujours futur !

1465. (1896) Le IIe livre des masques. Portraits symbolistes, gloses et documents sur les écrivains d’hier et d’aujourd’hui, les masques…

Charbonnel a expliqué cela, en analysant une doctrine à laquelle il reconnaît « la grandeur et aussi le caractère absolu de l’héroïsme ». […] Il est obscur, volontairement ; il est brutal, quelquefois avec grandeur. […] Cela finit par de durs reproches, qui ne manquent pas de grandeur : Ah ! […] Je suis grand, je suis fort, je suis beau, je suis pur, je suis vrai parce que je suis un atome imprégné de la grandeur, de la force, de la beauté, de la pureté et de la vérité de Dieu.

1466. (1889) La bataille littéraire. Première série (1875-1878) pp. -312

… Saint-Simon, racontant la débâcle d’une de ces existences souveraines, le désarroi des cérémonies, des dignités, des grandeurs causé par la mort et surtout la mort subite, Saint-Simon seul aurait pu vous le dire… De ses mains délicates et soignées, le marquis de Monpavon pompait. […] Sa taille, de grandeur moyenne, bien serrée dans l’uniforme, paraissait belle, quoique les épaules fussent un peu hautes et le cou court. […] Paul de Musset eût eu mauvaise grâce à chercher un renom de poète à côté de l’immortelle gloire d’Alfred de Musset, mais il a compris le rôle que lui assignait la grandeur de son frère ; il s’est contenté de suivre un sentier qu’il avait découvert, et il a prouvé que l’esprit sans prétention et le charme de la forme étaient aussi des titres pour prendre une bonne place dans la littérature française. […] On avait appris à ces enfants, dans le temps de leur grandeur, à distribuer à la foule des saluts et des sourires gracieux toutes les fois qu’ils paraissaient en public ; on ne les avait pas déshabitués de cet usage depuis leur triste déchéance, et lorsque le peuple vit ces deux charmantes petites têtes blondes paraître aux portières et envoyer à droite et à gauche des baisers, l’attendrissement fut général ; les hommes murmuraient tous bas dans leur langage naïf : « Ils sont cependant bien gentils, ces pauvres innocents », et les femmes pleuraient. […] C’est la chevalerie dans son héroïque grandeur, dans sa sublime simplicité.

1467. (1890) La bataille littéraire. Deuxième série (1879-1882) (3e éd.) pp. 1-303

Ô détresse des grandeurs ! […] Ivres de naissance, ivres sans boire, car la race est sobre, c’est le soleil qui échauffe et féconde sans cesse leurs cerveaux et y fait germer toutes ces exagérations, ces rêves de grandeur qui se refroidissent peu à peu à l’heure où ses rayons disparaissent derrière les grandes plaines et les hautes montagnes. […] Il eut aussi un rêve de grandeur française qui ne fut pas d’un esprit sain, mais qui ne fut pas non plus d’un esprit médiocre. […] Entraînes par le mouvement de la vie, assourdis par le brouhaha du jour, peu à peu nous nous sommes éloignés des grandeurs et des simplicités de l’antiquité ; que le regard tombe sur un des morceaux immortels qu’elle nous a légués, statue, poème ou tragédie et tout de suite l’esprit revivifié, reposé, reprend des forces et des rassérènements. […] Paul de Saint-Victor remonte à Bacchus, à la grandeur et à la décadence de son culte.

1468. (1895) Les mercredis d’un critique, 1894 pp. 3-382

L’éclat de la pompe impériale, la grandeur même de ses crimes ont fait de lui, à ses yeux, une sorte de créature hors l’humanité ; involontairement elle est prise pour Néron d’une immense pitié et, comme elle est chrétienne, elle voudrait sauver son âme. […] Sans rien atténuer de la grandeur de la parole sacrée, monseigneur Rozier a le talent de la moderniser, pour ainsi dire, et de la rendre accessible à tous. […] C’est une idylle doublée d’une thèse philosophique et religieuse que le sujet de l’Apôtre ; la fable est touchante et la leçon qu’elle renferme a sa grandeur. […] C’est cette vulgaire grandeur qui fait les héros. […] Voici par exemple une fête de mort, d’un caractère étrange, parfois comique et qui pourtant ne manque pas de grandeur : « M’Barrick Dialo avait, le matin même, rendu son âme au Créateur et, suivant la coutume indigène, depuis plusieurs heures, on adressait au trépassé une série interminable de questions plus ou moins saugrenues.

1469. (1893) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Cinquième série

Je sais que, parmi les multiples occupations de sa vigoureuse vieillesse — et pour ainsi parler jusqu’à son dernier jour, dans les relâches que lui donnait la maladie qui devait l’emporter, — il revoyait et il retouchait sa Tradition, sa Politique, ses Élévations, avec des scrupules, et une inquiétude, et une impatience, qui témoignent assez de la grandeur du service qu’il eût cru rendre en les publiant. […] Mais si les principes étaient depuis longtemps posés et consentis, il y avait bien des conséquences que l’on n’en avait pas encore aperçues ou tirées ; et, sans parler de cette magnificence ou de cette force de style grâce auxquelles Bossuet devait presque égaler la grandeur de son sujet, personne avant lui n’avait donné plus ou autant d’extension à cette idée de la Providence : n’y avait fait des applications plus diverses ; n’y avait enfin, et en un certain sens plus savamment ramène hi religion tout entière. […] Pendant plus de vingt ans, en plein règne de Louis XIV, tandis que les Pascal et les Bossuet, les Malebranche et les Arnauld, les Leibniz, les Fénelon occupaient le devant de la scène, et, chacun à sa manière, avec des succès différents, mais tous avec la même sincérité, s’efforçaient de fonder l’accord de la raison et de la foi, Bayle, dans son cabinet de Rotterdam, retranché derrière ses livres — à mesure qu’il semblait que ce superbe édifice, dont les ruines éparses donnent encore au xviie  siècle son air d’incomparable grandeur, approchât de son comble, — le sapait, le minait, le démolissait par pans entiers de murailles. […] Car, d’abord, au point de vue moral, elles s’y ajoutaient, le jansénisme aussi lui, représentant, comme l’on sait, quelque chose de cette sévérité qui avait fait la grandeur du protestantisme français. […] Je ne le crois pas, quand je l’entends lui-même nous dire, en s’étonnant de la grandeur et de la rapidité du progrès des sciences de son temps, qu’il ne craint qu’une chose, qui est de « laisser peut-être aller trop loin ses espérances pour l’avenir ».

1470. (1896) La vie et les livres. Troisième série pp. 1-336

De simples élans piaculaires, il s’est haussé, ce prophète, à des grandeurs théologales. […] Bien que j’en sache un ou deux dignes d’être adorés après Verlaine, par nous, faut-il encore qu’ils nous présentent, avec autant de lumière et de grandeur, l’assurance solennelle du génie7 Ne soyons pas trop grincheux pour ces excès de louanges. […] Ses victimes subissaient l’ascendant de sa grandeur farouche. […] La profusion des trésors étalés n’accable point l’esprit par un excès de grandeur ni de force. […] Vous nous racontiez parfois quelqu’une de leurs merveilleuses aventures, et l’impression de grandeur héroïque qu’en recevait notre imagination ne s’est point effacée.

1471. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gui Patin. — II. (Fin.) » pp. 110-133

Tout sujet de lettres lui était bon comme matière à esprit et presque à éloquence : « un bouquet, une paire de gants, une affaire d’un écu ; prier le maire d’une ville de faire raccommoder un mauvais chemin, recommander un procès à un président », tout cela, sous sa plume, devenait un texte à belles pensées et à beau langage, et ne lui fournissait pas moins de quoi plaire « que toute la gloire et toute la grandeur des Romains ».

1472. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — II. (Suite.) » pp. 346-370

— Il n’est pas un homme de quelque mérite qui ne préférât, près de Bonaparte, l’emploi qui occupe sous ses yeux à la grandeur qui en éloigne, et qui, pour prix d’un long et pénible travail, ne se sentît mieux récompensé par un travail nouveau que par le plus honorable loisir. 

1473. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Froissart. — II. (Fin.) » pp. 98-121

Mais la scène du souper surpasse tout et achève d’imprimer à cette journée son entier caractère de noblesse chevaleresque, et au tableau qui nous est retracé toute sa grandeur, j’ai presque dit sa sublimité.

1474. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — II. (Fin.) » pp. 180-203

Toutes les charges de sa maison sont vacantes ; il n’y a plus ni grandeur ni dignité ; son avarice et son incertitude en sont cause ; il n’est magnifique qu’en secrétaires dont il a dix-huit ou vingt : il est tout le jour enfermé, sous je ne sais combien de verrous, avec quelqu’un de ses secrétaires ; et ceux qui ont affaire à lui, après avoir cherché longtemps, trouvent à peine dans une garde-robe quelque malheureux valet de chambre, qui souvent n’oserait les annoncer ; si bien qu’ils sont des deux et trois mois sans lui pouvoir parler ; sa femme et ses enfants n’oseraient pas même entrer dans sa chambre qu’il ne leur mande… Tout est mystère à l’hôtel de Condé, et rien n’y est secret… Il a des biens immenses et Chantilly, c’est-à-dire la plus belle demeure du monde ; il trouve le moyen de ne jouir de rien de tout cela et d’empêcher que personne n’en jouisse… Il aime mieux y vivre sans aucune considération que d’assembler le monde et les plaisirs dans des lieux enchantés où il serait avec dignité.

1475. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure »

En voici un qui « depuis des années fait son capital, comme disait d’Olivet, des petites nouvelles courantes » et en parlant de Montesquieu, en concevant l’idée de se porter un moment contre lui, il paraît tout à fait ignorer de quelle grandeur vraiment nouvelle et imminente il s’agit, à quelle originalité il a affaire, à quel esprit du premier ordre.

1476. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Appendice. Discours sur les prix de vertu »

Noble historien de la Grande Armée, témoin véridique de nos grandeurs et de nos héroïques désastres, vous avez mérité aussi que l’on dise de vous que vous êtes le juge d’instruction modèle dans cet ordre pacifique des vertus.

1477. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres de Virgile »

Paul Grimblot ; je mets ici le résultat de ces diverses consultations auxquelles Virgile trouve toujours son compte par quelque à-propos heureux et plein de grandeur : « En 1723, Swift publia à Dublin un de ses plus célèbres pamphlets, les Lettres d’un Drapier, contre le privilège donné à un certain Wood de frapper de la petite monnaie de cuivre pour la circulation exclusive de l’Irlande.

1478. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [IV] »

Jomini, écrivain militaire, n’a pas la grandeur et la simplicité concise de Napoléon ; mais il a, plus que lui, l’étendue, le développement, la méthode, la clarté, la démonstration convaincante et lumineuse.

1479. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres mêlées de Saint-Évremond »

L’esquisse rapide qu’il fait d’une tragédie d’Alexandre telle qu’il l’aurait souhaitée, d’un Porus doué d’une grandeur d’âme « qui nous fût plus étrangère » ; ce tableau qu’il conçoit d’un appareil de guerre tout extraordinaire, monstrueux et merveilleux, et qui, dans ces contrées nouvelles, au passage de ces fleuves inconnus, l’Hydaspe et l’Indus, épouvantait les Macédoniens eux-mêmes ; ces idées qu’il laisse entrevoir, si propres à élever l’imagination et à tirer le poëte des habitudes doucereuses, nous prouvent combien Saint-Évremond aurait eu peu à faire pour être un critique éclairé et avancé.

1480. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — L'abbé de Lamennais en 1832 »

« Pendant qu’ils passaient, mille ombres vaines se présentèrent à leurs regards : le monde que le Christ a maudit leur montra ses grandeurs, ses richesses, ses voluptés ; ils les virent, et soudain ils ne virent plus que l’éternité.

1481. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SUE (Jean Cavalier). » pp. 87-117

Mais est-ce une raison de méconnaître ses qualités et sa grandeur, un sens naturel et droit, un haut sentiment d’honneur et de majesté souveraine, l’ordonnance de son règne si bien comprise, le discernement des hommes, de ceux qui ornent et de ceux qui servent, la part faite à chacun des principaux et assez librement laissée, l’art du maître, le caractère royal enfin, indélébile chez lui, et l’immuabilité dans l’infortune60 ?

1482. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « M. MIGNET. » pp. 225-256

Honneur et respect du moins, quand l’esprit supérieur et le grand caractère qui ne recule devant rien fait entrer dans ses inspirations un sentiment élevé, un dévouement profond à la puissance publique dont il est investi, quand il se propose un but d’accord avec l’utilité ou la grandeur de l’ensemble.

1483. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Introduction »

Montesquieu, dans son sublime ouvrage sur les causes de la grandeur et de la décadence des Romains, a traité, tout ensemble, les causes diverses qui ont influé sur le sort de cet Empire ; il faudrait apprendre dans son livre, et démêler dans l’histoire de tous les autres peuples, les événements qui sont la suite immédiate des constitutions, et peut-être trouverait-on que tous les événements dérivent de cette cause : les nations sont élevées par leur gouvernement, comme les enfants par l’autorité paternelle.

1484. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

Chez Hume, Gibbon, Robertson qui sont de l’école française et tout de suite adoptés en France, dans les recherches de Dubos et de Mably sur notre moyen âge, dans le Louis XI de Duclos, dans l’Anacharsis de Barthélemy, même dans l’Essai sur les mœurs et dans le Siècle de Louis XIV de Voltaire, même dans la Grandeur des Romains, et l’Esprit des Lois de Montesquieu, quelle étrange lacune !

1485. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre IV. Construction de la société future »

Neuvième époque), on se vit obligé de renoncer à cette politique astucieuse et fausse qui, oubliant que les hommes tiennent des droits égaux de leur nature même, voulait tantôt mesurer l’étendue de ceux qu’il fallait leur laisser sur la grandeur du territoire, sur la température du climat, sur le caractère national, sur la richesse du peuple, sur le degré de perfection du commerce et de l’industrie, et tantôt partager avec inégalité les mêmes droits entre diverses classes d’hommes, en accorder à la naissance, à la richesse, à la profession, et créer ainsi des intérêts contraires, des pouvoirs opposés, pour établir ensuite entre eux un équilibre que ces institutions seules ont rendu nécessaire et qui n’en corrige même pas les influences dangereuses. » 430.

1486. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre premier. De l’illusion » pp. 3-31

Ce fauteuil qui est à trois pas de moi ne donne à mes yeux que la sensation d’une tache verte diversement ombrée selon ses diverses parties ; et cependant, sur cette simple indication visuelle, je juge qu’il est solide, moelleux, qu’il a telle grandeur et telle forme, qu’on peut s’asseoir dessus ; en d’autres termes, j’imagine comme certaine une série de sensations musculaires et tactiles que mes mains et mon corps auront, si j’en fais l’expérience à son endroit. — Enfin, dans la conscience de nos sensations présentes, il y a des images : car, lorsque nous avons conscience d’une douleur, d’une saveur, d’un effort musculaire, d’une sensation de froid ou de chaud, nous la situons en tel ou tel endroit de nos organes ou de nos membres ; en d’autres termes, ma sensation éveille l’image des sensations tactiles, visuelles et musculaires que j’emploierais pour reconnaître l’endroit où se produit l’ébranlement nerveux.

1487. (1892) Boileau « Chapitre IV. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » » pp. 89-120

Et ces grands écrivains que Boileau groupait autour de lui après 1660, ces hommes de génie si dissemblable ont tous ceci de commun, qu’ils respectent la nature, l’expriment comme ils la sentent et la voient, en eux et hors d’eux, que jamais ils ne la refont ni ne la contrefont : sincères et simples comme Pascal, et grands d’une semblable grandeur.

1488. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre II. Les romans bretons »

Il fait asseoir ses chevaliers à la Table ronde, où il n’y a ni premier ni dernier : et retenu comme un autre grand et galant roi, par sa grandeur, il les laisse remplir tous les poèmes de leur vaillance et de leurs faits merveilleux.

1489. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre III. Littérature didactique et morale »

La grossièreté cynique de ses images ne doit pas nous arrêter : il y a de la grandeur dans la façon dont il a traduit par le lourd martèlement et l’insistance rude de son style l’effort de la nature réparant incessamment la mort par la naissance.

1490. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre II. Le théâtre du quinzième siècle (1450-1550) »

Ainsi s’avilit la grandeur essentielle des sujets par la complaisance des poètes pour les bas instincts du peuple.

1491. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. Le théâtre romantique »

Hugo nous a donné avec puissance la vision poétique du passé : en dépit des extravagances de l’action, Ruy Blas évoque devant nos yeux l’effondrement de la monarchie espagnole, l’épuisement de la dynastie autrichienne à la fin du xviie  siècle ; et les Burgraves ressuscitent dans notre imagination l’effrayante, la confuse grandeur de l’Allemagne féodale.

1492. (1895) La musique et les lettres pp. 1-84

Théâtralement, pour la foule qui assiste, sans conscience, à l’audition de sa grandeur : ou, l’individu requiert la lucidité, du livre explicatif et familier.

1493. (1868) Alexandre Pouchkine pp. 1-34

Elles vont porter la destruction à ses voisins, sur la frontière. » Le cadre est étroit, mais le tableau est achevé et, si je ne me trompe, la composition a sa grandeur.

1494. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre douzième »

La seule chose qu’il y aurait injustice à ne pas reconnaître, c’est une certaine grandeur dans la pensée première, et ce qu’il y a eu de généreux dans les illusions qui s’y mêlèrent et dans la passion qui la mit à fin.

1495. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

Quant aux autres femmes que le roi a aimées, elles rachètent leur grandeur Ces surprises des sens que la raison surmonte… Et sur mes passions ma raison souveraine… Ma raison, il est vrai, dompte mes sentiments… éphémère et leurs éclatants péchés par une pieuse expiation.

1496. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Discours préliminaire, au lecteur citoyen. » pp. 55-106

Mais les sarcasmes, les invectives, les déclamations de la Philosophie moderne contre la puissance & la grandeur, n’empêchent pas que les Philosophes ne trouvent des Grands & des Gens en place qui les protegent, qui les honorent, qui les caressent, & qui emploient quelquefois leur crédit pour imposer silence à leurs Adversaires.

1497. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre VIII »

C’est un noble et touchant tableau ; il ranime l’Age d’or de la vieille France ; aucune emphase n’altère sa simple grandeur.

1498. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de Pompadour. Mémoires de Mme Du Hausset, sa femme de chambre. (Collection Didot.) » pp. 486-511

Mme de Pompadour n’était pas une grisette précisément, comme affectaient de le dire ses ennemis, et comme Voltaire l’a répété en un jour de malice : elle était une bourgeoise, la fleur de la finance, la plus jolie femme de Paris, spirituelle, élégante, ornée de mille dons et de mille talents, mais avec une manière de sentir qui n’avait pas la grandeur et la sécheresse d’une ambition aristocratique.

1499. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Bussy-Rabutin. » pp. 360-383

Le poète Racan était ami de son père et avait fait pour lui une de ses plus belles odes, dans laquelle il l’exhortait à la retraite : Bussy, notre printemps s’en va presque expiré ; Il est temps de jouir du repos assuré           Où l’âge nous convie : Fuyons donc ces grandeurs qu’insensés nous suivons, Et, sans penser plus loin, jouissons de la vie           Tandis que nous l’avons.

1500. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1859 » pp. 265-300

Allons, nous voilà dans les mains un outil d’immortalisation pour ce que nous aimons, pour le xviiie  siècle, et nous roulons projets sur projets de livres à figures, popularisant par l’estampe les hommes et les choses de ce temps : d’abord une série sur les artistes par fascicules et dont la première livraison, Les Saint-Aubin, s’imprime dans ce moment chez Perrin de Lyon ; puis un Paris au xviiie  siècle, donnant les tableaux et les dessins inédits ; enfin les personnages célèbres peints au pastel par La Tour, les masques et les têtes reproduites dans leur grandeur nature.

1501. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre II. Des poëtes étrangers. » pp. 94-141

Tantôt ce sont des figures outrées qui font un galimatias des termes pompeux de ciel, de soleil & d’aurore ; tantôt ce sont des saillies du Capitan Matamore, des mouvemens rodomonts qui ne laissent pas véritablement d’avoir de la grandeur & de la force, mais qui sont trop opposés aux usages, pour qu’ils puissent être goûtés des François.

1502. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre V. La parole intérieure et la pensée. — Premier problème : leurs positions respectives dans la durée. »

Si les plus grands philosophes des temps modernes, comme Kant et Maine de Biran, sont de si maladroits écrivains, s’ils sont morts avant d’avoir trouvé l’expression limpide où chacun aurait pu lire sans équivoque leur vraie pensée, c’est que la grandeur même de l’œuvre entreprise imposait à leurs facultés d’expression une tâche qu’ils n’ont pas eu le loisir ou le courage ou la générosité d’entreprendre ; la plupart ont laissé à leurs disciples le soin de les vulgariser, moins par dédain de la postérité que par suite de cette loi de la nature humaine qui veut que l’on perde en souplesse ce que l’on gagne en profondeur et que la spécialité soit la rançon du génie.

1503. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre x »

Il n’en est rien, et ça a été une grande surprise pour moi de constater que soldats et chefs ne sont pas toujours unis dans une seule et même pensée, celle de la victoire ; de constater que notre action doit s’exercer sur la mentalité de nos hommes pour les convaincre tout d’abord de la grandeur de la tâche à accomplir.

1504. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre III. La complication des sociétés »

Il a pu sembler, qu’elle n’avait affaire qu’à ces êtres complexes, peuples, nations, États, qui ont une histoire proprement dite, et dont la grandeur ou la décadence sont les épisodes frappants de l’évolution de l’humanité.

1505. (1929) Les livres du Temps. Deuxième série pp. 2-509

C’est une beauté grave et nue, qui ne se pare point d’ornements romantiques et ne doit rien qu’à la force de l’expression et à la grandeur du sujet. […] Suarès, probablement Voici l’homme, ou peut-être les Images de la grandeur, ou encore le Bouclier du Zodiaque ? […] Suarès écrit-il : « La grandeur de Pascal n’est pas dans l’intelligence, si grande soit la sienne ; mais d’avoir l’âme si intense et si nue » ? […] Et ces deux grandeurs sont-elles réellement séparables ? […] André Gide s’approprie élégamment la grandeur imagée.

1506. (1910) Propos de théâtre. Cinquième série

Le rire va du sourire au rire à éclats en proportion, non pas tant de la grandeur ou profondeur de la joie qu’en proportion de la vivacité de la surprise, qu’en proportion de l’intensité de l’inattendu. […] Les grandeurs terrassées par le destin ou par les effets de leurs fautes, c’est un des thèmes constants de Shakespeare. […] — Quand Rome vous appelle à la grandeur suprême… — Jamais un tendre amour n’expose ce qu’il aime. […] Elle a de l’allure et je dirai presque de la grandeur. […] Claudie, est une conception pleine à la fois de grâce et de grandeur.

1507. (1949) La vie littéraire. Cinquième série

Et l’on ne saurait méconnaître la grandeur de l’effort. […] Il a une sorte d’optimisme morne et stupide qui n’est ni sans grandeur, ni sans beauté, l’optimisme animal. […] Son respect de la vérité a toute la grandeur et toute la délicatesse d’un sentiment religieux. […] Inspiré par l’enthousiasme révolutionnaire, David savait imprimer à ces solennités une grandeur austère. […] Cet homme était dès lors un insensé en proie au délire des grandeurs et à la manie de la persécution.

1508. (1906) Propos de théâtre. Troisième série

C’est un mystère religieux et un secret national. » Oui, il y a plus de grandeur tragique dans cette obscurité sacrée. — Cette raison est meilleure. […] — On ne partage pas la grandeur souveraine, Et ce n’est pas un bien qu’on quitte et qu’on reprenne. […] Le public sent confusément que le rôle d’Ulysse c’est le rôle de Calchas, moins la grandeur qu’il pourrait avoir et condamné à être un peu étriqué et un peu pâle. […] J’ai dit ceci : « Cette action déborde, dépasse sensiblement en grandeur et en importance la querelle d’Alceste et de Célimène. » Cela ne pouvait évidemment signifier qu’elle l’exclut. […] Dubosc a de la dignité sans assez de grandeur dans le rôle du ministre de la guerre.

1509. (1936) Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours pp. -564

Reste qu’une des grandeurs du romantisme, c’est précisément cette référence à la destinée de Napoléon qu’on voit chez un Lamartine, un Balzac, un Hugo, cette ambition que met le poète à trouver sa Sainte-Hélène, au Grand Bey ou à Guernesey, cette inscription sous le Napoléon de Balzac : « Ce qu’il a tenté par l’épée, je le ferai par la plume » et les lettres romantiques faisant, comme atelier de destinées, concurrence à l’état civil d’Ajaccio. […] La grandeur du duel de Napoléon et de Mme de Staël tient à ceci : qu’à cette Europe était opposée, dans l’ordre de l’idée, une Europe de Mme de Staël, qui a réussi, en gros, de 1814 à 1914, et peut-être même de 1914 à 1930. Aujourd’hui la vie et la grandeur de la cause méritent qu’on fasse l’effort nécessaire pour en retrouver les précédents, les titres, dans une œuvre dont on ne peut dissimuler qu’elle est devenue pesante. […] Il faut admirer la grandeur du mythe, la force et le poids des idées. […] Grandeur et limite.

1510. (1903) La vie et les livres. Sixième série pp. 1-297

La vicomtesse de Beauharnais, promue au grade d’impératrice, — familièrement surnommée « Notre-Dame des Victoires » par un peuple qu’étonna sa prodigieuse fortune, — la vicomtesse de Beauharnais restera toujours, et même au faîte des grandeurs, ce qu’elle a été dans la médiocrité ou dans la gêne : une grisette incroyablement étourdie, évaporée, légère et ardente, une grisette des Tropiques, — toujours l’oiseau des Îles, la créole amusante et amusée que les négresses berçaient sous les palmes… C’est du moins la thèse que soutient M.  […] Mais, dans ce nouvel ouvrage, ils ne recherchèrent point la grandeur ni la magnificence. […] À travers ces feuillets, doucement coloriés, circule un parfum de discrète poésie, qui embaume de suavité la grandeur du sujet. […] Ô saintes résignées, quelle immolation et quelle grandeur ! […] Gérard, ministre de France, accompagné par le capitaine de Fleurac, attaché militaire, et par les interprètes Vissière et Leduc, descendit de sa chaise mandarine à l’entrée du Palais, traversa les cours intérieures à pied, fut gratifié d’une tasse de thé sous une tente pavoisée, et se présenta devant l’empereur, qui était assis sur un trône, « dans une salle de moyenne grandeur ».

1511. (1898) Émile Zola devant les jeunes (articles de La Plume) pp. 106-203

Leur farouche grandeur s’exagère encore dans le sec, exact et véridique décor réel où le romancier les a placés. […] Et les premières pages de ce livre nous apparaissent, en vérité, d’une grandeur sacrée.

1512. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1895 » pp. 297-383

Enfin ce lit sur lequel il est mort, ce lit qui a la grandeur d’un lit de garçonnet, ce lit en fer, monté sur des roulettes, avec son petit dais en forme de tente militaire, sa soie verte passée, son mince matelas, son traversin, son gros oreiller : — ce lit, entre les rideaux duquel, il y a eu peut-être, dans l’insomnie, la plus grande souffrance morale de notre siècle. […] C’est vraiment très intéressant cet agrandissement, qui, de ces images d’un pouce de hauteur, fait des décors, qui vous donnent l’illusion de la grandeur des hommes, des animaux, des arbres, des constructions.

1513. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vernet » pp. 130-167

Une seule chose peut nous rapprocher du méchant, c’est la grandeur de ses vues, l’étendue de son génie, le péril de son entreprise ; alors, si nous oublions sa méchanceté pour courir son sort, si nous conjurons contre Venise avec le comte de Bedmar, c’est la vertu qui nous subjugue encore sous une autre face… " — Cher abbé, observez en passant combien l’historien éloquent peut être dangereux. […] Ce qu’il y a d’étonnant, c’est que l’artiste se rappelle ces effets à deux cents lieues de la nature, et qu’il n’a de modèle présent que dans son imagination ; c’est qu’il peint avec une vitesse incroyable ; c’est qu’il dit : que la lumière se fasse, et la lumière est faite ; que la nuit succède au jour et le jour aux ténèbres, et il fait nuit et il fait jour ; c’est que son imagination aussi juste que féconde lui fournit toutes ces vérités ; c’est qu’elles sont telles que celui qui en fut spectateur tranquille et froid au bord de la mer en est émerveillé sur la toile, c’est qu’en effet ses compositions prêchent plus fortement la grandeur, la puissance, la majesté de nature, que la nature même : il est écrit : coeli enarrant gloriam dei, mais ce sont les cieux de Vernet, c’est la gloire de Vernet.

1514. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre I. De la sélection des images, pour la représentation. Le rôle du corps »

Si vous vous donnez le système d’images qui n’a pas de centre, et où chaque élément possède sa grandeur et sa valeur absolues, je ne vois pas pourquoi ce système s’en adjoint un second, où chaque image prend une valeur indéterminée, soumise à toutes les vicissitudes d’une image centrale. […] Dans un espace amorphe on découpera des figures qui se meuvent ; ou bien encore (ce qui revient à peu près au même), on imaginera des rapports de grandeur qui se composeraient entre eux, des fonctions qui évolueraient en développant leur contenu : dès lors la représentation, chargée des dépouilles de la matière, se déploiera librement dans une conscience inextensive.

1515. (1903) Articles de la Revue bleue (1903) pp. 175-627

Il brille comme un soleil fulgurant, comme une étoile de première grandeur, étrange et lointaine, dans la nuit somptueuse et infinie où dorment les poètes. […] Dans l’eurythmie universelle, dégageons le rythme inhérent au verbe humain, et par des hymnes enseignons aux hommes leur grandeur d’homme.

1516. (1853) Portraits littéraires. Tome I (3e éd.) pp. 1-363

Le seul but que se propose le poète est de montrer la débauche sur le trône et la grandeur d’âme sous la livrée d’un fou. […] Le caractère de M. de Belnave ne perdrait rien de sa grandeur devant l’aveu spontané de Marianna. […] Maurice, en voyant le bonheur de Marceau et de sa femme, comprend toute la grandeur, toute la sainteté du travail. […] Par le ton familier, il voudrait se rapprocher de Corneille, et quelquefois, je le reconnais avec plaisir, il a rencontré la grandeur.

1517. (1929) Critique et conférences (Œuvres posthumes III)

De l’immensité, sauvant de la laideur suprême, une laideur sans pareille ; avec un élan réel vers la hauteur et une sorte, en somme, de grandeur sévère qui fait de ce monument quelque chose vraiment. […] C’est d’une suprême grandeur dans la plus neuve des mises en œuvre, et comme en scène, depuis le début imprévu, sans phrase, sans « il y avait une fois », et si calme, mais saisissant, en quelque sorte extranaturel et si large et simple et clair, Comme je descendais des fleuves impassibles Je ne me sentis plus guidé par les haleurs. […] Quelles comédies, quelles tragédies pour faire suite à la véritable grandeur de nos tragédies, à nos comédies, à nos comédies formidables ! […] « Chétif trouvère de Paris », intimidé par la grandeur de l’endroit et le rude et majestueux mobilier, encouragé d’autre part par l’auditoire nombreux et très choisi, je m’installai de mon mieux dans la chaise immense, derrière l’immense table, et, déroulant mes notes, m’exprimai ainsi : « Mesdames, Messieurs, je serais indigne du nom glorieux et misérable, et d’autant plus glorieux alors, de poète, si j’oubliais que je parle ici dans le pays par excellence de la poésie.

1518. (1895) Hommes et livres

Il demande les choses même en leur apparence et grandeur naturelles. […] On y voit à merveille comment cet héroïsme de la volonté, qui devient la plus haute vertu quand il s’appuie sur une connaissance vraie, garde pourtant une admirable grandeur pour le déploiement d’énergie où il nous fait assister, même quand la connaissance est fausse, et qu’il s’attache au mal. […] Voici la mensuration des crânes : « Les parties ne remplissent bien les fonctions auxquelles elles sont destinées que lorsque leur grandeur est dans la proportion qu’exige la mécanique du corps. […] L’Espagne nous envahira de nouveau, timidement avec Florian, joyeusement avec Beaumarchais ; avec Hugo, Musset, Gautier, elle étalera devant nous la folie de ses passions, la grandeur sauvage de sa Castille et l’éblouissante fantaisie de son Andalousie. […] Un mari à bonnes fortunes, écrasé par la grandeur morale de sa femme, et qui se met à l’aimer furieusement quand il s’est rendu indigne de pardon : voilà Le Préjugé.

1519. (1881) Études sur la littérature française moderne et contemporaine

Il ne faut pas que le xviie  siècle nous fasse illusion ; ce qui fait sa grandeur poétique, c’est l’adresse merveilleuse avec laquelle il a triomphé des conditions les plus ingrates qui furent jamais imposées à l’art. […] Quand Montesquieu prit la plume pour écrire ses Considérations sur les causes de la grandeur et de la décadence des Romains, comprenant la gravité du sujet, il s’interdit les grâces et les saillies des Lettres persanes, et ce qu’il s’est efforcé d’atteindre, c’est une forme simple et austère, digne de la majesté du peuple-roi ; il avait du regret de voir Tite-Live « jeter ses fleurs sur ces énormes colosses de l’antiquité. » Certains écrivains, ayant pour idéal une clarté, une netteté, une transparence mathématique, évitent avec soin les images comme une fantasmagorie vaine qui offusque et distrait la raison : ils ne sont pas plus dans le faux que les chasseurs de métaphores. […] Guizot, au contraire, s’est déraidi, adouci, humanisé, abaissé presque ; suivant le précepte évangélique, il s’est fait petit pour atteindre la vraie grandeur, et il l’a atteinte en effet dans cette histoire de France, d’une simplicité presque sublime, dans ces familières et paternelles leçons d’un aïeul à ses petits-enfants. […] Guizot, pour se complaire à l’humiliation de la grandeur. » Voilà l’histoire impartiale et vraie, qui seule est instructive. […] Ils ont cité avec beaucoup d’éloquence des traits de grandeur d’âme, de désintéressement, de sacrifice.

1520. (1895) Nouveaux essais sur la littérature contemporaine

mon ami, s’il y avait un Dieu, nous ne pourrions qu’aimer sa grandeur, mais sans l’admirer ni la craindre, ni lui plaire, ni l’offenser, enchaînés par les lois éternelles qui gouvernent l’univers. […] Inversement, si Charlotte d’Erra, l’héroïne du Journal d’une femme, tenant boutique au Palais-Royal, était détournée de l’amour qu’elle nourrit dans son cœur pour M. d’Éblis, par les préoccupations de la vie quotidienne, — comme de ne savoir de quels fonds elle fera face à ses échéances, ou comme d’être obligée de faire elle-même sa cuisine, — est-ce que la nécessité de vivre ne triompherait pas en elle de son amour ; et surtout est-ce que son sacrifice, n’ayant plus le même caractère de liberté, aurait encore pour nous le même caractère de grandeur ? […] Par exemple, aucun Cassagnac ne traitera désormais de « polisson » le divin auteur d’Andromaque et de Phèdre ; aucun Goncourt ne soupçonnera les anciens de s’être eux-mêmes inventés pour devenir après deux mille ans « le pain des professeurs » ; et personne enfin ne niera qu’une poésie « naturaliste et athée » puisse en égaler une autre en grandeur. […] Que si cependant quelques délicats, trouvant que ce mérite est d’un archéologue ou d’un érudit autant que d’un poète, le reconnaissaient, mais ne l’admiraient que du bout des lèvres, on n’insisterait pas — et par exemple, on ne leur ferait pas observer qu’ils n’en louent pas eux-mêmes de plus éminent dans Théocrite ou dans Virgile — mais on leur rappellerait que personne n’a peint avec plus de grandeur et de vérité que Leconte de Lisle ces tableaux de la nature, dont la Panthère noire et le Sommeil du Condor, les Éléphants et les Hurleurs, les Jungles et la Forêt vierge sont peut-être les chefs-d’œuvre. […] Si quelque chose de ce qui s’est vu dans Jérusalem ou dans Samarie s’est également vu dans Kapilavastou, quelques parties de la prédication des prophètes, et les plus générales, — sans rien perdre assurément de leur grandeur ou de leur originalité, — ne perdent-elles pas un peu de leur singularité ?

1521. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre premier. » pp. 15-203

Dans la suite, ce fut la ressource d’un goût national qui, au défaut d’objets importants, s’exerçait sur des frivolités ; un besoin de pérorer, qu’on satisfaisait sans se compromettre ; le premier pas vers la corruption de l’éloquence, qui commençait à perdre de sa simplicité, de sa grandeur, et à prendre le ton emphatique de l’école et du théâtre. […] LXI, cap. iii), certes il montra bien qu’il était vraiment homme d’État, et qu’il n’ignorait pas en quoi consiste la grandeur d’un prince, la splendeur d’un règne, et la félicité d’un peuple. […] ces malheureux souverains mourraient de douleur, sans les momeries dont on use pour leur en imposer par le fantôme de leur grandeur passée. […] Vous êtes dans la vigueur de l’âge ; une assez longue expérience vous a rendu familier l’art de gouverner : souffrez que vos amis se reposent dans l’âge avancé ; il vous sera même glorieux d’avoir élevé à la grandeur celui qui pouvait supporter la médiocrité. » (TACIT. […] Il y avait des épithètes d’usage qui précédaient les noms des empereurs, comme les faisceaux précédaient leurs personnes, et c’était alors au Pio, Clementi, Augusto, Divo Tiberio, Caligulæ, Neroni, qu’on les adressait, comme on dirait aujourd’hui d’un pape ambitieux et dissolu, Sa Sainteté ; d’un vil et bas cardinal, Son Eminence ; d’un très-méprisable prélat, Sa Grandeur, et d’un troupeau d’indignes personnages, Messeigneurs.

1522. (1906) L’anticléricalisme pp. 2-381

Tous ont été frappés des « beautés » de la religion, et non de sa grandeur, et non du besoin, en quelque sorte, constitutionnel, que l’homme en a. […] Il a confondu sa personnalité dans l’ensemble de la communauté française ; et, dans les succès et dans la grandeur de cette communauté, il s’est enorgueilli de telle sorte qu’il a presque oublié les sollicitations de sa vanité individuelle. — Mais ceci n’est, pour ainsi parler, que de l’orgueil intermittent. […] Que quelque chose, institution, loi, maxime publique, mœurs, idée généralement répandue, ait régné jusqu’au jour où il naît, et semble avoir fait la grandeur de sa nation ou y avoir contribué, ce lui est une raison pour n’y pas tenir et pour la repousser instinctivement plus ou moins fort. […] Et, précisément, remarquez aussi que le 18 Brumaire, agréable à la nation française parce qu’il satisfaisait ses désirs de 1789 et répondait à son état d’âme de 1789, a inauguré un régime tout inspiré encore d’idées générales : grandeur et gloire de la France, diffusion par les armes, à travers le monde, des principes révolutionnaires, égalité, souveraineté du peuple, antiaristocratisme, anticléricalisme, etc. […] Les hommes politiques exploiteront-ils les idées de grandeur et gloire de la France, de diffusion des principes révolutionnaires à travers le monde, ou la théorie des nationalités ?

1523. (1895) La comédie littéraire. Notes et impressions de littérature pp. 3-379

J’ai cru remarquer qu’elles manquaient de souffle et de réelle grandeur. […] C’est un procédé bien connu des artistes : la sensation de grandeur obtenue par l’extrême simplification des figures. […] Et elle suit dans la tombe celui dont elle a causé la perte… Je goûte infiniment ces autres personnages qui sont construits d’une main ferme : le prince Otto, brute féroce, héritier perverti des premiers rois de sa race, n’ayant pas leur grandeur, ayant tous leurs vices accumulés ; Christian XVI, beau masque de souverain, élevé dans les idées d’autrefois, contemporain de Louis XI transplanté au xxe  siècle, sacrifiant l’humanité, la vérité, la justice, à la gloire de sa maison, et n’éprouvant aucun remords et croyant accomplir un devoir sacré ; la régente Wilhelmine, créature complexe en son apparente simplicité, tourmentée par des passions contraires, sentimentale et orgueilleuse, bourgeoise par inclination, princesse par éducation, docilement soumise aux respects nobiliaires, au milieu desquels elle a vécu ; le chancelier Mœllnitz, incarnation de l’étiquette mesquine, incapable de penser par lui-même, fermé à toute idée nouvelle. […] Fantoches, mais fantoches d’une tradition qui peut avoir, elle, sa grandeur et sa raison d’être ; et c’est pourquoi il arrive à ces hommes d’offrir des apparences de politiques, d’orateurs et d’honnêtes gens. […] C’est la guerre dans son horreur, et dans sa grandeur aussi, la guerre féconde en actes de sauvagerie et d’abnégation, où l’homme montre ce qu’il a de pire et ce qu’il a de meilleur… Suivons la compagnie de Maurice, escaladons avec elle le plateau de l’Algérie, situé près de Sedan.

1524. (1898) La poésie lyrique en France au XIXe siècle

Car, sans doute, ce qui fait la grandeur de l’homme, c’est qu’il souffre et c’est qu’il mérite par la souffrance. […] comment est-ce qu’il a pu, dans un cadre si étroit, nous donner une telle impression de grandeur ? […] Ce que fait Heredia, c’est justement le contraire, et le dernier vers de son sonnet, — c’est là ce qui en fait la beauté et la grandeur, — élargit l’horizon et le prolonge à une distance infinie.

1525. (1869) Philosophie de l’art en Grèce par H. Taine, leçons professées à l’école des beaux-arts

Si le sérieux et la grandeur manquent à leurs conceptions religieuses, si l’assiette et la durée manquent à leur établissement politique, ils sont exempts des déformations morales que la grandeur de la religion ou de l’État impose à la nature humaine. […] Pour mesurer la puissance d’une pareille idée et la grandeur de la transformation qu’elle impose aux facultés et aux habitudes humaines, lisez tour à tour le grand poëme chrétien et le grand poëme païen, d’un côté la Divine comédie, de l’autre l’Odyssée et l’Iliade.

1526. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Werther. Correspondance de Goethe et de Kestner, traduite par M. L. Poley » pp. 289-315

C’est le second point de vue ; et, tel qu’il nous est exprimé par Goethe, on conviendra qu’il ne se présente ni sans beauté, ni sans grandeur.

1527. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Appendice. »

On ne risque de corrompre personne quand on aspire à la grandeur.

1528. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance. »

Dès qu’on ne l’a plus sous les yeux avec les maux qu’elle engendre et les abus qu’elle éternise, on revient volontiers à une appréciation plus favorable d’une institution qui a eu sa grandeur historique et qui a produit tant de personnages éminents.

1529. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — I. » pp. 166-193

On a pourtant acquis des résultats incontestables de bien-être sinon de gloire, l’égalité dans les mœurs sinon la grandeur dans les actions, les jouissances civiles sinon le caractère politique, la facilité à l’emploi des industries et des talents, sinon la consécration de ces talents à l’intérêt général d’une patrie.

1530. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Bruyère »

Vieille en 1720, date de la note manuscrite, était-elle une de ces personnes dont La Bruyère, au chapitre du Cœur, devait avoir l’idée présente quand il disait : « Il y a quelquefois dans le cours de la vie de si chers plaisirs et de si tendres engagements que l’on nous défend, qu’il est naturel de désirer du moins qu’ils fussent permis : de si grands charmes ne peuvent être surpassés que par celui de savoir y renoncer par vertu. » Était-elle celle-là même qui lui faisait penser ce mot d’une délicatesse qui va à la grandeur ?

1531. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « François Ier, poëte. Poésies et correspondance recueillies et publiées par M. Aimé Champollion-Figeac, 1 vol. in-4°, Paris, 1847. »

A de tels personnages, chefs et gardiens des États, il est aussi beau d’aimer, de favoriser les arts et la poésie, que périlleux de s’y essayer directement ; et, plus ils sont capables de grandeur, plus il y a raison de répéter pour eux la magnifique parole que le poète adressait au peuple romain lui-même : Tu regere imperio populos, Romane, memento.

1532. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre II. De la rectification » pp. 33-65

Les deux ensemble forment alors une représentation complexe, à deux temps : dans ce composé, la seconde nie la première, sur un point ou sur un autre ; et l’altération ainsi produite varie en grandeur et diffère en nature, suivant l’espèce des deux représentations qui sont unies et en conflit.

1533. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXIXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (2e partie) » pp. 5-63

Alger, l’Espagne, les deux grands actes extérieurs de la Restauration, prouvent que, malgré la difficulté de sa situation, l’honneur et la grandeur de la France n’ont jamais été en péril sous les ministres de la Restauration.

1534. (1824) Observations sur la tragédie romantique pp. 5-40

La question est de savoir s’il peut rester quelque beauté, quelque grandeur à ce qui est ignoble ; si ce qui n’est pas vraisemblable est assez vrai, et si la nature veut être imitée sous tous les aspects qu’elle peut offrir, si elle est bonne à prendre sur tous les faits qui lui adviennent ; en un mot, si l’art qui la sait imiter n’est pas distinct du métier qui la copie.

1535. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mendès, Catulle (1841-1909) »

La grandeur des dons, le nombre des notions, la finesse du rythme, la variété des sujets, la surabondance de l’esprit, la grâce alerte et piquante, la joie, la frénésie, l’éloquence, la gaîté, la bouffonnerie loquace, les profusions d’un style imagé ou sonore, et par-dessus tout la sûreté technique, font de M. 

1536. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre deuxième »

Pantagruel et Panurge ne représentent pas seulement le caractère général de l’homme, mais celui qu’il reçoit des deux conditions sociales les plus universelles, la grandeur et la petitesse, la richesse et la pauvreté.

1537. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre cinquième »

Et c’est le sentiment de la nécessité comme de la grandeur de ce rôle qui fait dire à Boileau, avec un accent si vrai : Enfin Malherbe vint !

1538. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre dixième. »

La Fontaine a senti aussi vivement qu’aucun de ses contemporains les grandeurs de son époque, mais il n’a été dupe ni du grandiose ni de l’étiquette.

1539. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « II »

Ne pouvant en faire ici l’analyse musicale, je me borne à signaler la grandeur du premier morceau, les puissants contrastes du vivace, l’expressivité si émouvante de de l’adagio, et enfin l’extraordinaire finale où les thèmes déjà entendus reparaissent.

1540. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 457-512

Pourquoi encenser la grandeur, outrager la médiocrité ou les cendres des Morts ?

1541. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1877 » pp. 308-348

Gambetta va redonner à la France, sous trois mois, la grandeur qu’elle a perdue, et moi, je suis en train d’apprendre aux femmes de ce temps, la grâce de la femme du dix-huitième siècle.

1542. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre II : Examen critique des méditations chrétiennes de M. Guizot »

Socrate disait : « Sachez quelle est la nature et la grandeur de la divinité, qui peut à la fois tout voir, tout entendre, être présente partout et prendre soin de tout ce qui existe ! 

1543. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre IV. Comparaison des variétés vives et de la forme calme de la parole intérieure. — place de la parole intérieure dans la classification des faits psychiques. »

Un arbre vigoureux est sorti d’une petite graine ; si l’arbre a grandi, c’est que la graine avait été semée dans le sol fertile qui convenait à sa nature ; c’est aussi que la première pousse s’était trouvée baignée d’une atmosphère vivifiante ; pour expliquer aujourd’hui la grandeur et la santé de l’arbre, la graine ne suffit pas ; il faut, de plus, le terrain et l’atmosphère.

1544. (1897) Un peintre écrivain : Fromentin pp. 1-37

Nous sommes, nous serons toujours des primitifs, et trois ou quatre notes simples, dans tous les arts, résumeront cette perception, et suffiront à rendre toute la grandeur, toute la valeur poétique de cette apparition de la beauté.

1545. (1902) Propos littéraires. Première série

Tant qu’on put le voir, on le regarda, la tête découverte… Il y a des choses faibles, il y a des choses exquises, il y a des choses sinistres, il y a des choses d’une magnifique grandeur simple dans ce dernier livre de notre grand poète en prose. […] Mais il reste qu’elle n’a pas l’ampleur, l’envergure, la grandeur d’un grand premier rôle. […] Il en a très bien rendu la majesté mélancolique, le charme imposant, la grandeur sobre et grave. […] Il a bien compris la grandeur du catholicisme, ferme et intransigeant dans sa foi et dans ses formules, patient dans sa résistance parce qu’il est confiant dans son éternité ; mais il a éprouvé une véritable irritation et gardé une véritable rancune à l’égard du monde ecclésiastique romain. […] Devant ces panoramas merveilleux de la Suisse, de l’Italie, de l’Orient, et même au fond de ces nids parfumés qu’on découvre dans les plis de leurs vallons et dans les échancrures de leurs rivages, ce charme mystérieux qu’on respire avec l’air sous un ciel qui n’est pas le nôtre, puis la grandeur même ou la grâce infinie du spectacle que nous avons sous les yeux transposent en nous, pour ainsi dire, le ton du sentiment de la nature et en changent le caractère.

1546. (1925) Les écrivains. Première série (1884-1894)

À beaucoup de causes particulières qui amènent chaque jour, plus graves et plus irrémédiables, les abdications morales de cette vieille société française ; cela tient surtout au cosmopolitisme financier dont elle s’est laissé envahir et dont elle s’est assimilé les goûts malsains, les passions âpres, les plaisirs sans idéal, les corruptions sans grandeur. […] Ce qui restait d’idéal et de grandeur épars, dans ces écroulements commencés, a disparu ; ce que l’on pouvait attendre d’espérances et de redressements héroïques, aux jours difficiles, tout cela s’est enfoui. […] Quelles paroles retrouver qui soient dignes de sa grandeur sereine ? […] Savoir admirer, c’est l’excuse des humbles comme nous, qui peinons, dans les journaux, à d’obscures et inutiles besognes, et c’est ce qui nous distingue des misérables gamins destructeurs inconscients du beau, à qui toute grandeur, toute éloquence, toute vérité échappent. […] Pour prouver que je n’ai rien exagéré dans mon admiration, il faudrait citer, citer encore, n’importe quelle scène, au hasard, car toutes offrent des surprises et d’incomparables grandeurs.

1547. (1908) Promenades philosophiques. Deuxième série

C’est une hypothèse commode pour, renouer une fin à un recommencement. « Une grandeur réelle, dit précisément Boscovich (§ 67), passant à une autre grandeur, ne peut y passer que par un saut (per saltum) ; à ce moment, au moment du saut, l’une et l’autre grandeur seraient nulles... […] Revault, « de crises d’excitation, avec actes délirants, refus d’aliments, auto-mutilation, hallucinations, idées de grandeur ; il entendit une voix le proclamer le Christ. » Cela dura quatre ans. […] Il faut rejeter toutes les superstitions, mais il est bon de garder certains respects, celui de la grandeur et celui de la beauté.

1548. (1899) Musiciens et philosophes pp. 3-371

Aussi la grandeur artistique de Wagner consiste-t-elle dans cette surnaturelle force d’expansion de sa nature qui parvient à s’exprimer à la fois dans tous les langages et qui se révèle dans ses plus intimes éléments avec une clarté parfaite. […] Le délire des persécutions, la folie des grandeurs l’avaient terrassé irrémédiablement ! […] Ses œuvres constituent un trésor d’inventions non encore employées ; d’autres auront leur grandeur dans le remploi. […] Tels le poète qui fait appel à la philosophie, le musicien qui fait appel au drame, le penseur qui fait appel à la rhétorique. » Puis il échafaude de vastes synthèses qui ne sont pas sans grandeur, mais qui restent des rêves isolés et tout subjectifs, sans analogie pratique, sans correspondance tangible. […] Laissons à Tolstoï ses impressions plus que discutables sur des chefs-d’œuvre justement admirés et sur des maîtres dont il est seul à ne pas comprendre la grandeur ; passons condamnation sur son rêve d’un art de l’avenir, socialiste, prêcheur de la fraternité entre les hommes et esclave de la science du bien et du mal, autrement dit des religions ou de la religion ; ne touchons pas au surhomme de Nietzsche, rêve follement orgueilleux d’un esprit dévoyé et terrassé par la plus cruelle des maladies ; et pardonnons lui ses injustes violences à l’égard de Richard Wagner, en raison des pages admirables qu’il consacra à l’œuvre de ce maître lorsqu’il jouissait encore de la plénitude de ses remarquables facultés.

1549. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome II

Ce n’est pas la folie des grandeurs, propre aux paralytiques généraux, et qui implique une déchéance cellulaire. […] Il ne craint pas de célébrer, lui aussi, « l’horreur de certaines interventions sanglantes, qui leur imprime une sorte de grandeur tragique ». […] Le soldat est celui qui sert, pour tout dire d’un mot, et dont toute la grandeur est dans le service. […] C’est l’épreuve de la vie, et sa grandeur, qu’il en soit ainsi. […] Toujours ses cris de révolte et d’admiration devant tant de misère et tant de grandeur !

1550. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre premier. Les fonctions des centres nerveux » pp. 239-315

. — Pourquoi la grandeur des hémisphères et le développement de leur couche corticale accroissent l’étendue de l’intelligence. — Mécanisme de la formation, de la survivance et de la répétition indéfinie des images. — Causes physiologiques du conflit, de la prépondérance et de la succession des images. — Images affaiblies et latentes. — Coexistence de plusieurs groupes d’images mentales et d’actions corticales. — En quoi consiste la prépondérance d’une image. — Le premier plan dans la conscience et dans l’écorce cérébrale. — La contraction musculaire, pensée confine à la contraction musculaire effectuée. — Abouchement du courant intellectuel et du courant moteur. — Découverte du point d’abouchement. — La troisième circonvolution de Broca. — Les centres psychomoteurs de Ferrier. — Une image atteint son maximum d’énergie et d’éclat quand elle arrive au point de l’écorce où elle se transforme en impulsion motrice. […] « J’ai remarqué dit-il, qu’après avoir longtemps regardé au microscope, surtout à l’aide d’une lumière vive, les figures des objets observés persistaient lorsque je fermais les yeux. — Elles persistaient encore lorsque je dirigeais mes yeux sur la table d’acajou qui porte mes instruments, sur mon carton à dessins, qui est de teinte bleu-grisâtre, ou sur mon papier à dessins. — Elles persistaient pendant deux ou trois minutes environ, en oscillant dans un cercle assez étroit ; après avoir diminué de grandeur, puis disparu, elles reparaissaient plus pâles ; après deux ou trois apparitions de plus en plus faibles, elles ne reparaissaient plus. — Elles disparaissaient plus vite lorsque je portais les yeux sur un papier blanc que lorsque je les tournais ou les portais sur ma table d’acajou foncé. — Je les voyais grisâtres comme sont les images des objets vus au microscope.

1551. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1888 » pp. 231-328

Dimanche 26 février Rodin m’avoue que les choses qu’il exécute, pour qu’elles le satisfassent complètement, quand elles sont terminées, il a besoin qu’elles soient exécutées tout d’abord, dans leur grandeur dernière, parce que les détails qu’il y met à la fin, enlèvent du mouvement, et que ce n’est qu’en considérant ces ébauches dans leur grandeur nature, et pendant de longs mois, qu’il se rend compte de ce qu’elles ont perdu de mouvement, et que ce mouvement, il le leur rend, en leur détachant les bras, etc., etc., en y remettant enfin toute l’action, toute l’envolée, tout le détachement de terre, atténués, dissimulés par les derniers détails du travail.

1552. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1891 » pp. 197-291

Je trouve la dénomination un peu petite, pour un esprit de la grandeur du vôtre. » À quoi, il répond, en parlant de l’action de Voltaire à Ferney, de l’action de Goethe à Weimar, et de l’indépendance littéraire, qui fait en dehors des centres de population, dans les petits coins. […] Mercredi 9 décembre Maupassant serait attaqué de la folie des grandeurs, il croirait qu’il a été nommé comte, et exigerait qu’on l’appelât : « Monsieur le comte. » Popelin, prévenu qu’il y avait un commencement de bégayement chez Maupassant, ne remarquait pas, cet été, ce bégayement chez le romancier, à Saint-Gratien, mais était frappé du grossissement invraisemblable de ses récits.

1553. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1892 » pp. 3-94

C’était un symptôme du commencement de la folie des grandeurs ! […] » Et elle me parle du mépris de Porel pour la presse, qui a éreinté tout ce qu’il a joué d’artistique. « Du reste, pour prouver l’inintelligence des journalistes, ajoute-t-elle, figurez-vous que lorsque j’ai joué Germinie Lacerteux, j’ai reçu haut comme cela de lettres — et ses deux mains dessinent la grandeur d’une cassette — pour me détourner de la jouer… et c’étaient des amis… des gens qui m’étaient attachés… et qui le faisaient, dans l’intérêt de mon avenir… Eh bien, si je les avais écoutés, je serais restée une moule ! 

1554. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Deuxième série

Ajoutez, ce qui se sous-entend, qu’elle reçoit de cet office une augmentation de force, de majesté et de grandeur. […] Peut-être même faut-il mesurer la grandeur du progrès à la quantité de sang versé, à sa pureté aussi. Louis XVI, comme Évandre, comme Remus, doit être « tenu pour la victime mystique d’une transformation sociale » et quant aux autres meurtres de la période révolutionnaire, ils s’expliquent par la grandeur de l’œuvre, ou doivent induire à la supposer : « L’horreur et l’immensité de la crise révolutionnaire prouveraient plutôt la grandeur et l’importance de l’ouvrage que devait accomplir la Révolution. […] La seconde tendance était plus dangereuse ; mais un critique littéraire ne peut en vouloir à Ballanche d’avoir eu une certaine influence sur des hommes, qui, poètes autant qu’historiens, ont donné à l’histoire la grâce captivante, l’intérêt passionné et la grandeur mystérieuse des plus beaux poèmes. […] Le jeune Quinet est sérieux, réservé, un peu timide et ambitieux de grandeurs morales, « Ses sentiments sont ; sérieux et pénétrants. » Il déteste la petite vie de salon des villes de province, c’est-à-dire jeux niais, riens de conversations et commérages.

1555. (1922) Gustave Flaubert

La grandeur du sacrifice se mesure à celle de la chose sacrifiée. […] « Ce n’est qu’en étudiant Vitruve, dit-il dans un de ses ouvrages, que j’ai compris la grandeur de mon art. » Théophile Gautier, ayant lu cela, s’en ébaubit trois mois en disant à chacun : « Étudie Vitruve, si tu veux comprendre la grandeur de ton art !  […] Mais en même temps qu’il écrivait, il étudiait les maîtres et il comprenait la grandeur de son art. […] Il a saisi avec exactitude les causes de sa grandeur et de sa faiblesse. […] Le premier est une série d’analyses et de potins médiocres, sans grandeur ni beauté.

1556. (1881) Le roman expérimental

Je ne parle pas du patriotisme de parade qui s’enveloppe dans un drapeau, qui rime des odes et des cantates je parle du patriotisme des hommes d’étude et de science qui veulent la grandeur de la nation par des moyens pratiques. […] L’homme et la nature restent à l’état abstrait, les écrivains ne se donnent pas la mission de faire la vérité sur les êtres et les choses, mais celle de les peindre selon le mécanisme convenu, en poussant toujours au type, de façon à obtenir le plus de grandeur possible. […] L’argent a ici sa grandeur. […] Sans doute, les siècles passés ont eu leur grandeur littéraire, mais c’est une mauvaise besogne que de vouloir nous immobiliser dans cette grandeur, sous le prétexte qu’il ne saurait en exister une autre. […] L’élan est universel et superbe, et c’est cet élan qui fait la grandeur des lettres.

1557. (1913) Poètes et critiques

Martin Hartmann, et j’en détache encore cette image, qui prête aux sentiments de gratitude du pays étranger comme une sorte de grandeur : « Il a rayonné vraiment sur l’Allemagne entière. » Ces aspects si divers, si dignes de retenir notre attention, n’expriment pas toute cette physionomie morale. […] Et il ajoute à l’émouvant récit cette ligne de conclusion : « Toute la grandeur du pays sort de l’endurance des Per et des Kersti ». […] Tout ce qu’il y a d’émotion et de grandeur parmi le livre de Sagesse est déjà contenu dans ces deux poèmes : Via dolorosa, Final, qui couronnent le lent effort de Cellulairement. […] Ce serait un travail ingrat que d’expliquer la décadence du talent de Verlaine après s’être efforcé d’en mesurer la grandeur.

1558. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

Est-il même seulement un des agents indispensables de la grandeur d’une race ? […] Avant de tenir dans l’échelle de la grandeur humaine un rang comparable à ces villes-là, New-York et Boston ont bien à faire, et je doute que ce soit par les sociétés légumistes et la propagation de la pure doctrine unitaire qu’elles arrivent à s’en approcher. » Si l’on se range à l’opinion professée par l’historien des Origines du Christianisme, l’exégèse artistique, appliquée à un groupe d’écrivains qui se piquaient d’être uniquement artistes, ne constitue donc pas seulement la recherche des côtés charmants et brillants d’une époque, mais aussi, mais plutôt l’examen d’une de ses fonctions nécessaires et vitales. […] Est-ce que les grandes écoles philosophiques, les plus grandes dont l’histoire fasse mention, n’ont pas évolué dans les limites d’un cénacle plus ou moins fermé, et leur ésotérisme, inconscient ou voulu, a-t-il en rien diminué leur grandeur ? […] Malgré tout, dédaigneux d’un succès facile, à peu près assuré s’il se fût maintenu sur le terrain de son récent triomphe, l’écrivain abandonnait notre société, notre époque et nos coutumes, pour se transporter, par-delà l’antiquité gréco-latine qui nous est familière, jusqu’à cette mystérieuse Afrique du iiie  siècle avant Jésus-Christ, un moment fécondée par les colonies phéniciennes, retombée depuis dans le néant sans même laisser sur le sol une ruine des monuments de sa grandeur. […] De même au xviie  siècle, quand, après avoir usé d’un instrument prosodique au moins médiocre, après s’être pliés à la déplorable obligation des trois unités, nos grands tragiques eurent composé leur théâtre, on ne s’imagina point qu’ils eussent réussi en dépit des entraves qu’ils acceptaient, et chacun au contraire voulut voir dans des réglementations étroites une des causes de leur grandeur.

1559. (1912) Pages de critique et de doctrine. Vol I, « I. Notes de rhétorique contemporaine », « II. Notes de critique psychologique »

Il resterait à expliquer comment cette grandeur a été méconnue par les critiques dont j’ai cité les noms. […] « Il a cru supprimer le Christ », conclut-il, avec une perspicacité singulière. « Il n’a pas pu supprimer le sentiment de l’Infini qu’il nous a légué. » Par cette mélancolie, résignée dans l’attitude, révoltée au fond devant l’énigme de la mort, la poésie de Gautier prend une grandeur qui l’apparente à l’art de ces peintres espagnols qu’il a tant aimés : un Valdès Léal, un Zurbaran. […] Le fond de l’âme humaine y est mis à nu, avec ses beautés et ses hideurs, ses grandeurs et ses misères. […] Une cérémonie funèbre, célébrée dans la cathédrale « en mémoire des soldats français tués sous Metz », achève de donner à ce douloureux scrupule une grandeur tragique et religieuse. « Ces trente-cinq années ne sont que le long délai durant lequel les héros attendent une réparation. […] Il lui apparaît que nos grandeurs et nos misères sont des grandeurs et des misères seulement si nous les causons librement.

1560. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « LOUISE LABÉ. » pp. 1-38

Prenez garde, dit-il en commençant, « si vous ordonnez quelque cas contre Folie, Amour en aura le premier regret. » Il entre insensiblement dans un éloge de Folie qui rappelle celui d’Érasme, et il se tire avec agrément de ce paradoxe, Sans Folie, point de grandeur : « Qui fut plus fol qu’Alexandre…, et quel nom est plus célèbre entre les rois ?

1561. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE KRÜDNER » pp. 382-410

Mais le grand monde, cette classe que l’ambition, les grandeurs et la richesse, séparent tant du reste de l’humanité, le grand monde me paraît une arène hérissée de lances, où, à chaque pas, on craint d’être blessé ; la défiance, l’égoïsme et l’amour-propre, ces ennemis-nés de tout ce qui est grand et beau, veillent sans cesse à l’entrée de cette arène et y donnent des lois qui étouffent ces mouvements généreux et aimables par lesquels l’âme s’élève, devient meilleure, et par conséquent plus heureuse.

1562. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre IV. Services généraux que doivent les privilégiés. »

. — En effet, par sa complication, son irrégularité et sa grandeur, la machine échappe à ses prises.

1563. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIIe entretien » pp. 223-287

XV À l’aide de toutes ces suppositions, et avec ces conditions de grandeur, de vertu, d’ostracisme et d’infortune réunies, on aura un motif de poésie conforme à ce poème.

1564. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (2e partie) » pp. 305-367

Un magnifique portrait au pastel, de grandeur naturelle, de Saint-Just, ce Barbaroux des terroristes, cet Antinoüs des Jacobins, s’étalait dans un cadre d’or poudreux contre la muraille entre les rideaux du lit et la porte, objet d’un culte de souvenir de jeune fille pour le plus séduisant des disciples du tribun de la mort.

1565. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (3e partie) » pp. 369-430

La nature semblait avoir créé exprès, et les différents ordres de la société avoir mis en réserve pour cette œuvre, les génies, les caractères et même les vices les plus propres à donner à ce foyer des lumières du temps la grandeur, l’éclat et le mouvement d’un incendie destiné à consumer les débris d’une vieille société, et à en éclairer une nouvelle.

1566. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIe entretien. La passion désintéressée du beau dans la littérature et dans l’art. Phidias, par Louis de Ronchaud (1re partie) » pp. 177-240

Fauvel, un creux habitable dans une ruine d’Athènes, une chambre basse sous un oranger et un figuier dans un jardin de Smyrne, ou, comme M. de Ronchaud, un vieux donjon de leurs pères sur un plateau pierreux au bord d’un torrent, en face de l’horizon præceps et dentelé du sauvage Jura, sont-ils au fond les plus heureux des hommes : leur caractère se ressent du calme des tombeaux qu’ils visitent, de la sérénité du désert qu’ils parcourent, de la splendeur limpide des cieux ; car l’antiquité grecque, romaine, asiatique, a laissé dans les pyramides, dans les Thèbes, dans les Panthéons, dans les Palmyres, dans les Balbeck, dans les Colisées, les vestiges de ses grandeurs, les cadavres de ses monuments mutilés.

1567. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXIXe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (2e partie) » pp. 321-384

Je ne sais si l’on doit croire à cette fatalité des jours. » XIV Un passage de Bossuet, qui atteignait à la mélancolie par la grandeur, surtout dans ses vieux jours, la frappe et se grave dans sa mémoire : « En effet, ne paraît-il pas un certain rapport entre les langes et les draps de la sépulture ?

1568. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série «  Leconte de Lisle  »

L’enfant s’insurgea contre l’égoïsme nécessaire, mais hideux, contre la bourgeoisisme impitoyable et rapace, contre la vie plate et malfaisante, contre les violences hypocrites et sans grandeur.

1569. (1920) Enquête : Pourquoi aucun des grands poètes de langue française n’est-il du Midi ? (Les Marges)

Le poète français ne peut pas chanter comme l’oiseau sous la feuille ; c’est là sa misère et sa grandeur, qui est incomparable.

1570. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre sixième. »

La grandeur des écrivains doit être proportionnée au bien qu’ils font, soit qu’ils enseignent directement la vérité dans des écrits dogmatiques qui vont droit à la raison, soit qu’ils l’insinuent par le charme de fictions vraisemblables, soit qu’ils dirigent la vie ou qu’ils la rendent plus légère.

1571. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Conclusion »

Chose remarquable, cette histoire, qui semble une apologie du dictateur César, est peut-être le livre qui indique avec le plus de sincérité et de précision ce qu’il eût fallu faire pour échapper à sa dictature, pour renfermer sa grandeur menaçante dans le cercle légal de la constitution de son pays.

1572. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

On nous bandait les yeux, et alors il était beau de voir toutes les pièces du carillon, par ordre de grandeur, de la plus grosse à la plus petite, revêtues de la belle robe de dentelle brodée qu’elles portèrent le jour de leur baptême, traverser l’air pour aller, en bourdonnant gravement, se faire bénir par le pape.

1573. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juillet 1886. »

L’intérêt croît avec l’ardeur des deux amants, depuis le réveil de Brünnhilde jusqu’à ce duo passionné où le génie du poète a su rendre toute la grandeur, toute la sublimité et jusqu’à la fatalité de l’amour.

1574. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 septembre 1886. »

Dans toute cette partie, qui fait penser à Michel-Ange par la conception, à Delacroix par le coloris, ce motif joue un rôle important, surtout au moment où, confié au corea sons bouchés, il interrompt et termine brusquement, mystérieusement le délicieux et suave Andante amoroso de l’épisode de Francesca et Paolo ; voir encore les dernières mesures du morceau où il se relève dans toute sa grandeur diabolique, en tutti et en FFF, éclatant comme un coup de foudre, comme un cri strident d’anéantissement universel, abolissant l’espoir à tout jamais.

1575. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VII. Repos »

Le vers libre chez Boissier n’est pas le vers auquel Franc-Nohain donnerait ce nom s’il était atteint de la manie des grandeurs et que Viélé-Griffin doit en ses heures de découragement avouer amorphe.

1576. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VI »

La Contagion Ce qui me frappe tout d’abord dans la Contagion, c’est la disproportion de ses caractères et de son intrigue comparés à la grandeur de son titre.

1577. (1913) La Fontaine « V. Le conteur — le touriste. »

Je serais encore au fond de l’allée où je commençai ces vers, si M. de Chateauneuf ne fût venu m’avertir qu’il était tard… » Après les jardins, ce que l’on trouvera en fait de pittoresque, dans les lettres de La Fontaine à sa femme, c’est la Loire, la Loire qui l’a infiniment frappé et qui lui a donné, pour la première fois, la sensation de la grandeur, de quelque chose qui fût véritablement grand.

1578. (1913) La Fontaine « VI. Ses petits poèmes  son théâtre. »

Par exemple ceci qui est un petit intermède, le petit couplet d’Iris ou d’une de ses sœurs, d’une des filles de Minée, sur l’amour considéré comme producteur de belles actions, sur l’amour considéré comme ferment ou levain de générosité, de grandeur d’âme, de magnanimité, de courage.

1579. (1903) La pensée et le mouvant

Sans doute il entre dans toute mesure un élément de convention, et il est rare que deux grandeurs, dites égales, soient directement superposables entre elles. […] Que deviendrait la table sur laquelle j’écris en ce moment si ma perception, et par conséquent mon action, était faite pour l’ordre de grandeur auquel correspondent les éléments, ou plutôt les événements, constitutifs de sa matérialité ? […] Il en serait de même pour toutes choses et pour tous événements : le monde où nous vivons, avec les actions et réactions de ses parties les unes sur les autres, est ce qu’il est en vertu d’un certain choix dans l’échelle des grandeurs, choix déterminé lui-même par notre puissance d’agir. […] Il est vrai qu’elle s’en tient au dessin, n’étant que la science des grandeurs. […] Si la mathématique n’est que la science des grandeurs, si les procédés mathématiques ne s’appliquent qu’à des quantités, il ne faut pas oublier que la quantité est toujours de la qualité à l’état naissant : c’en est, pourrait-on dire, le cas limite.

1580. (1876) Romanciers contemporains

C’est l’isolement de Rome sur son ciel sans bornes qui fait que la grandeur réelle de ses monuments est difficilement appréciable à celui qui en approche. […] Œdipe et Lear, que Sophocle et Shakespeare ont en la plus liante, la plus sublime idée de l’amour paternel profané par l’ingratitude des fils, mais bien parce que leurs personnages ne cessent de parler et d’agir en pères, et qu’ils en ont la grandeur. […] L’autel de droite, où se disaient les messes de mort, était surmonté d’un Christ en carton peint, faisant pendant à la Vierge ; le Christ, de la grandeur d’un enfant de dix ans, agonisait d’une effroyable façon, la tête rejetée en arrière, les côtes saillantes, le ventre creusé, les membres tordus, éclaboussés de sang. […] La grandeur d’âme de Fleurange, le renoncement de Juliette et de Madeleine nous font verser de douces larmes ; car, si elles sont humaines par leur amour et par leur chute, elles nous arrachent aux choses terrestres par leur héroïque immolation. […] Il n’est de véritable grandeur que dans les passions domptées.

1581. (1856) À travers la critique. Figaro pp. 4-2

Non, non ne prêtons pas au noble cœur des artistes les petites rancunes de notre monde bourgeois Si madame Lauters a involontairement blessé le critique, croyez bien que le critique lui a pardonné avec cette grandeur d’âme de madame Stoltz, heureuse d’oublier la coalition de 1847, et de chanter, à la dernière audition de l’Enfance du Christ, la Captive d’Hector Berlioz. […] Elle a la poésie, l’imagination, la puissance et parfois la profondeur elle parle un magnifique langage, tour à tour dramatique ou coloré, éloquent ou familier, substantiel ou plein de délicatesses ; le contour de la phrase a tant de netteté qu’elle rend transparents jusqu’aux nuages de la pensée et du sentiment. — Pourquoi faut-il, qu’avec de si rares, de si précieuses qualités, ce talent, — ce n’est pas assez dire, — ce génie soit faux avec une grandeur qui n’est qu’à lui et dans des proportions colossales ? […] De la grandeur des hommes qui l’ont illustré, à toutes les époques, on conclut à l’excellence, à la supériorité du genre.

1582. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Mémoires du général La Fayette (1838.) »

Au lieu de viser, comme les simples et fidèles gentilshommes, à la bonne opinion de ses pairs, il visa à la bonne opinion de tout le monde, de ce qu’on appelait le peuple, c’est-à-dire de ses pairs aussi ; il y avait, certes, de la nouveauté et de la grandeur d’âme dans cette ambition, dût-il y entrer quelque méprise. […] Une lecture attentive de ces Mémoires, si on la peut obtenir d’un public passablement indifférent, est faite pour rétablir et rehausser l’idée du personnage historique dans la grandeur et la continuité de sa ligne principale, avec tous les accompagnements non moins certains, et beaucoup plus variés qu’on ne croirait, d’esprit, de jugement ouvert et circonspect, de finesse sérieuse, de bonne grâce et de bon goût.

1583. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre V. La philosophie. Stuart Mill. »

Selon Mill, si nous savons que des grandeurs égales ajoutées à des grandeurs égales font des sommes égales, ou que deux droites ne peuvent enclore un espace, c’est par une expérience extérieure faite avec nos yeux, ou par une expérience intérieure faite avec notre imagination.

1584. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1863 » pp. 77-169

Voilà la grandeur des folies de Paris. […] Un fiacre nous emporte à Croisset : une jolie habitation à la façade Empire, placée à mi-côte, aux bords de la Seine, qui a là, une grandeur de lac, et aujourd’hui, un peu des vagues de la mer.

1585. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre premier. La Formation de l’Idéal classique (1498-1610) » pp. 40-106

« Rien, a-t-on dit, n’égale la dignité de la langue latine… Elle fut parlée par le peuple-roi, qui lui imprima ce caractère de grandeur unique dans l’histoire du langage humain C’est la langue de la civilisation. […] Parmi les maux de la guerre civile, compliqués de ceux de la guerre étrangère, on a compris ce que nous appellerions aujourd’hui la grandeur de l’institution sociale, et que le pire des malheurs était d’en voir les liens se briser ou seulement se détendre.

1586. (1864) Le positivisme anglais. Étude sur Stuart Mill

Selon Mill, si nous savons que des grandeurs égales ajoutées à des grandeurs égales font des sommes égales, ou que deux droites ne peuvent enclore un espace, c’est par une expérience extérieure faite avec nos yeux, ou par une expérience intérieure faite avec notre imagination.

1587. (1912) Réflexions sur quelques poètes pp. 6-302

L’école de Ronsard plaçait Maurice Scève à côté de Jean le Maire de Belges, c’est-à-dire parmi les précurseurs dignes d’être honorés, et Joachim du Bellay ne manquait pas de lui adresser le sonnet flatteur que voici : Gentil esprit, ornement de la France, Qui d’Apollon sainctement inspiré, T’es le premier du peuple retiré Loin du chemin tracé par l’ignorance, Scève divin, dont l’heureuse naissance N’a moins encor son Rosne décoré Que du Thouscan le fleuve est honoré Du tronc qui prend à son bord accroissance : Reçoy le vœu qu’un dévot Angevin, Enamouré de ton esprit divin, Laissant la France1, à ta grandeur dédie : Ainsi toujours le Rosne impétueux, Ainsi la Saône au sein non fluctueux Sonne toujours et Scève et sa Délie. […] Voici un sonnet très amusant, tout à fait dans la manière de ces doctes jeux qui furent comme la monnaie courante de la nouvelle poésie au xvie  siècle : Celle qui de son chef les estoiles passoit, Et d’un pied sur Thetis, l’autre dessous l’Aurore, D’une main sur le Scythe et l’autre sur le More, De la terre et du ciel la rondeur compassoit ; Jupiter ayant peur, si plus elle croissoit, Que l’orgueil des Géans se relevast encore, L’accabla sous ces monts, ces sept monts qui sont ore Tombeaux de la grandeur que le ciel menaçoit. […] Il a vécu un peu en philosophe ou en nonchalant, sans souci des grandeurs du monde et des avantages de la fortune. […] J’estime la grandeur une céleste grâce ; Ce don n’est rien, s’il n’est d’autres dons décoré : C’est beaucoup d’estre ainsi de sa race honoré, Mais c’est encore plus d’estre honneur de sa race.

1588. (1925) Proses datées

Sur le visage à la fois rude et bon était répandu un air de grandeur et de politesse et, comme je le regardais, mon battement de cœur redoublait. […] Comparez la vie lyrique, tumultueuse, superbe et tragique d’un Lamartine, ses gloires et ses détresses, ses triomphes et ses chutes, avec la vie d’un Corneille, unie et casanière, humble en sa grandeur, sans autre éclat que le rayonnement du génie et sans autres événements que ceux de la famille et du travail et vous verrez que l’esprit qui les dirige ne fut pas le même, pas plus que n’est identique l’esprit qui anime l’œuvre cornélienne et l’œuvre lamartinienne bien que vous trouviez chez Corneille des traces disciplinées de romantisme et chez Lamartine des vestiges vivifiés de classicisme. […] Si le château de Passy avait de la grandeur, ses jardins avaient de la beauté. […] Lettre au président de Brosses Je viens de relire, Monsieur, les cinq lettres que vous avez adressées, de Venise, à vos amis MM. de Blancey, de Neuilly et de Quintin, entre le 14 et le 29 août de cette année 1739 où le goût du voyage, le désir de vous instruire des arts et les mœurs d’une contrée aussi fameuse par la beauté de ses monuments et la grandeur de ses souvenirs que par l’agrément qu’il y a à y vivre, vous firent quitter votre Bourgogne pour vous, rendre en Italie.

1589. (1898) La cité antique

Son regard était charmé par ces beautés ou ébloui par ces grandeurs. […] Ce n’était pas qu’il eût aucune preuve contre eux, mais il faisait ce raisonnement : « Un incendie a menacé notre foyer ; cet incendie qui devait briser notre grandeur et arrêter nos destinées n’a pu être allumé que par la main de nos plus cruels ennemis. […] Ce sont donc ces hommes-là qui ont voulu détruire notre temple de Vesta, notre foyer éternel, ce gage et ce garant de notre grandeur future386. » Ainsi un consul, sous l’empire de ses idées religieuses, croyait que les ennemis de Rome n’avaient pas pu trouver de moyen plus sûr de la vaincre que de détruire son foyer. […] Chacun de ces dieux, comme la Junon de Virgile, avait à cœur la grandeur de sa cité. […] Ce mépris mêlé de rancune, qui s’attache d’ordinaire aux grandeurs abattues, ne la frappa jamais.

1590. (1892) Les idées morales du temps présent (3e éd.)

Au contraire, la vue des hommes excite presque toujours en moi une aversion prononcée, car ils m’offrent, à peu d’exceptions près, le spectacle des difformités les plus affreuses et les plus variées : laideur physique, expression morale de passions basses et d’ambition méprisable, symptômes de folie et des perversités de toute sorte et de toutes grandeurs, enfin une corruption sordide, fruit et résultat d’habitudes dégradantes ; aussi je me détourne d’eux et je fuis vers la nature, heureux d’y rencontrer les bêtes. » Chaque nation est traitée isolément aussi mal que l’espèce dans son ensemble : les Italiens sont impudents, les Américains sont vulgaires, les Français sont les singes de l’Europe, les Allemands imitent tout le monde et font bien, parce que par eux-mêmes ils ne peuvent rien produire de bon ; ils sont, d’ailleurs, depuis les temps les plus reculés, fameux pour leur ivrognerie ; il y aurait bien les Anglais, mais leur « infâme bigoterie » les a dégradés. […] Et ce qui fait surtout sa grandeur et sa beauté, c’est l’ensemble des qualités dont la pratique constitue ce qu’en des langues diverses on appelle le bien, c’est cet esprit de sacrifice qui, comme un instinct mystérieux, porte des êtres naturellement égoïstes à se dévouer à d’autres êtres, naturellement sensuels à renoncer sans profit à quelques-uns de leurs plaisirs, naturellement cruels à ouvrir leurs cœurs à la pitié. […] Il regarde le siècle comme s’il en était éloigné, ou comme s’il le dominait ; et, à l’inverse des contemporains, il en sent la grandeur : « Les oisifs qui promènent leur ennui devant ces tombes, écrivait-il à propos de Loris Mélikof et de Gambetta, accusent volontiers la vie d’être sotte et plate. […] Or, la plupart de nos contemporains paraissent avoir oublié ces deux lois élémentaires : entraînés par le courant individualiste qui a emporté le siècle et auquel le siècle, dans certains domaines, doit sa grandeur, ils ont introduit l’individualisme là même où il ne peut être qu’un ferment de corruption. […] Tout l’intérêt que les premiers attachent aux questions esthétiques ou littéraires, les seconds le reportent sur les questions morales, ils se plaisent à les mettre au premier plan, à en montrer la grandeur, l’importance et l’utilité, soit que, comme M. 

1591. (1896) Les Jeunes, études et portraits

On nous fait assister dans une monographie aux débuts, aux études, aux épreuves, aux alternatives de grandeur et de décadence de l’orateur du parti praticabiliste. […] Il a sa grandeur et je ne sais quelle poésie dans l’austérité. […] Napoléon n’a songé qu’à sa propre grandeur, il a subordonné à sa propre cause la cause de l’humanité : c’est pourquoi il n’a laissé après lui que trouble et que ruines. […] Qu’est-ce qui lui donne sa grandeur ? […] Là on songe à Vigny et à telle réflexion de Servitude et Grandeur militaire : « Comprenant enfin le sens de cette discipline militaire qui fait de la profession des armes une vie de rachat perpétuel et de pardon, il osait penser et dire que l’armée est, quant aux actes de l’homme, la plus haute application de l’exemple et du précepte divins. » Vigny est, si je ne me trompe, un de ceux qui ont le plus agi sur l’esprit de M. 

1592. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. » pp. 124-157

L’avenir du monde, la souffrance de ses semblables, les grandeurs de la nature, l’ont préoccupée.

1593. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LEBRUN (Reprise de Marie Stuart.) » pp. 146-189

Alors du moins on croyait à la grandeur ; des types élevés, bien qu’un peu stériles, dominaient sincèrement les âmes.

1594. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « M. DE LA ROCHEFOUCAULD » pp. 288-321

Mais ni son esprit ni sa grandeur n’ont pu empêcher qu’on n’en ait fait des jugements bien différents.

1595. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Charles Labitte »

Lui, dont plus tard les convictions politiques ou philosophiques n’eurent guère d’occasion bien directe de se produire et semblaient plutôt ondoyer parfois d’un air de scepticisme sous le couvert de l’érudition, il croyait vivement à l’amour, surtout à l’amitié, à l’immortalité volontiers, à la liberté toujours, à la patrie, à la grandeur de la France, à toutes ces choses idéales qu’il est trop ordinaire de voir par degrés pâlir autour de soi et dans son cœur, mais qu’il est impossible de sauver, même en débris, après trente ans, lorsqu’on ne les a pas aimées passionnément à vingt.

1596. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

Ceux pourtant à qui la grâce est surtout chère et paraît plus belle encore que la beauté, ne sauraient se plaindre du trop de grandeur et de pompe de ce règne auguste, quand ils ont La Fontaine pour faire toute la semaine, s’ils le veulent, l’école buissonnière, et Racine pour maître de chant, aux jours solennels, avec les chœurs d’Esther et d’Athalie.

1597. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note I. De l’acquisition du langage chez les enfants et dans l’espèce humaine » pp. 357-395

Le meilleur exemple de cet état du langage est donné par l’ancien chinois ; là, une même racine, selon sa position dans la phrase, peut signifier grand, grandeur, grandement, être grand ; dans y-cang (avec un bâton, en latin baculo), y n’est pas une simple préposition comme en français, c’est une racine, qui, comme verbe, signifie employer ; ainsi en chinois y-cang signifie littéralement employer bâton.

1598. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIIe entretien. Poésie lyrique. David (2e partie) » pp. 157-220

» Mais un juste orgueil, dérivant de la grandeur de sa destinée, arrête tout à coup le poète et le fait passer de l’humilité de sa condition de fils de la mort à l’orgueil de sa destinée morale.

1599. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre II. Le quinzième siècle (1420-1515) »

Il ne serait pas téméraire d’affirmer que c’est à Venise, voyant en quelle vénération la république conserve à Padoue un os de Tite-Live, qu’il a lu quelque traduction française ou italienne de l’historien romain : car on ne saurait trouver dans la Chronique de Louis XI une trace de la lecture de Tite-Live, au lieu que dans la Chronique de Charles VIII, beaucoup plus courte, la pensée de l’historien se reporte complaisamment vers les Romains et vers le peintre de leur grandeur.

1600. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « De l’influence récente des littératures du nord »

Et je doute même que, en dépit de leur grandeur extérieure, les événements publics  mêlés aux comédies et aux drames privés  que nous raconte Tolstoï, dépassent en intérêt et en importance ceux dont Flaubert nous offre le vaste et minutieux tableau.

1601. (1894) Propos de littérature « Chapitre IV » pp. 69-110

», mais il lui est permis de protéger les lettres, les arts et l’industrie, d’envoyer des ambassadeurs, de s’entourer d’une noblesse encore jalouse de pur renom, de dissoudre au besoin une chambre des députés turbulente ; et dans l’apparat glacé des cérémonies officielles, lorsque musiques et discours célèbrent les fastes de la nation, la séculaire mémoire de sa race et sa hautaine stature imposent encore par leur grandeur.

1602. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XVII, l’Orestie. — les Euménides. »

L’obscurité même de ses poèmes ajoute à leur grandeur l’étonnement de l’inconnu et le prestige du mystère.

1603. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Additions et appendice. — Treize lettres inédites de Bernardin de Saint-Pierre. (Article Bernardin de Saint-Pierre, p. 420.) » pp. 515-539

Nos Académies gardent à ce sujet un profond silence, d’autant que j’ai mis au jour leur erreur si étrange au sujet de l’aplatissement de la terre aux pôles qu’ils ont conclu de ce qui prouve son allongement, je veux dire de la grandeur même des degrés polaires.

1604. (1913) La Fontaine « I. sa vie. »

Tu peux… (il s’adresse au roi) Tu peux, d’un éclat de ta foudre, Achever de le mettre en poudre ; Mais si les dieux à ton pouvoir Aucunes bornes n’ont prescrites, Moins ta grandeur a de limites, Plus ton courroux en doit avoir.

1605. (1913) La Fontaine « VIII. Ses fables — conclusions. »

Sa distance me fait juger de sa grandeur ; Sur l’angle et les côtés ma main la détermine ; L’ignorant le croit plat ; j’épaissis sa rondeur.

1606. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre II. Axiomes » pp. 24-74

Chez eux l’héroïsme était jeune, lorsqu’il avait commencé à vieillir chez les autres peuples du Latium, dont la soumission devait préparer toute la grandeur de Rome.

1607. (1920) Impressions de théâtre. Onzième série

Il supporte cette épreuve avec grandeur d’âme. […] C’est le renversement de tous ses rêves d’ambition et de grandeur. […] J’aimerais qu’il le rappelât, qu’il plaidât mieux sa cause, qu’il suppliât sa mère, au nom de l’Espagne, qu’il en appelât, — vainement d’ailleurs, — au sentiment même qu’elle a sans doute du devoir royal, et qui est le naturel corollaire du sentiment qu’elle a de son droit… Telle qu’elle est, la scène reste grande de toute la grandeur du cas de conscience qui s’y trouve, — trop secrètement — débattu… Il se passe, durant l’entr’acte qui suit, des choses assez considérables. […] Alors, éperdu (il n’a du reste plus rien à attendre de la vie, ayant joui de la puissance jusqu’à l’assouvissement ; puis le voisinage de la mort achève de le détacher ; et enfin, vieilli lui-même, il se sent près de ce Dieu qui ne reconnaît pas la morale des rois), ses genoux fléchissent, et il tombe aux pieds de la vieille reine, qui l’absout et l’attire dans ses bras, et lui tend, elle-même, la couronne qu’il a juré de déposer… Et ce dernier acte est d’une étrange grandeur. […] La scène est d’une surprenante grandeur.

1608. (1890) La bataille littéraire. Troisième série (1883-1886) pp. 1-343

Le mari, le vicomte Julien de Lamare, est le type de l’égoïsme banal ; il a des défauts, mais les défauts d’une âme vulgaire ; il a des vices, mais ces vices bourgeois qui n’ont pas la grandeur de la franchise ; il trompe sa femme bestialement, pour la tromper, et noue finalement une intrigue avec une amie de sa femme, la comtesse Gilberte de Fourville. […] En marchant, le ménage chantait : J’aime entendre la rame Le soir battre les flots ; J’aime le cerf qui brame… Le répertoire d’Olympe était inépuisable de ces sentimentalités de la rue ; et quand on se figurait où elle les avait ramassées, dans quelle demi-ombre honteuse de persiennes closes, à combien d’hommes elle les avait chantées, la sérénité du mari accompagnant à la tierce prenait une extraordinaire grandeur. […] Le roman tient dans cette donnée, ou du moins sa seconde partie ; mais j’ai hâte de citer quelques pages de ce livre plein de charme, d’émotion et de grandeur. […] Certes, l’antiquité n’a pas reculé devant le spectacle de ces unions monstrueuses, mais dans la grandeur de l’ensemble de la composition disparaissaient les honteux détails de la dégradation humaine.

1609. (1902) La politique comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire

Quelle main, favorable à vos grandeurs suprêmes, A du triple bandeau vengé cent diadèmes ? […] Pour qu’ils ne voient pas leur ambition, ils ne lui parlent que de sa grandeur ; pour qu’il n’aperçoive pas son avarice, ils flattent sans cesse la sienne… Il se forme de petits tyrans qui ont tous les vices d’un seul. […] Il concilie toutes choses et combine en lui toutes les supériorités. «  Il a tous les avantages intérieurs du gouvernement républicain et la force extérieure du monarchique. » Cette sorte de république, capable de résister à la force extérieure, peut se maintenir dans sa grandeur sans que l’intérieur se corrompe. « La forme de cette société prévient tous les inconvénients.  » — Aussi bien, sans compter que « ce furent ces associations qui firent fleurir si longtemps le corps de la Grèce », ce fut par elles aussi « que les Romains attaquèrent l’Univers » et ce fut par elles aussi « que l’Univers se défendit contre eux ; car lorsque Rome fut arrivée au comble de la puissance, ce fut par des associations derrière le Danube et le Rhin que les Barbares purent lui résister. » Montesquieu a expliqué très bien et les avantages du fédéralisme et comment plusieurs nations passent de l’état dispersé à l’état fédéraliste et forment une confédération ; mais il n’a pas envisagé le cas où une nation centralisée passe ou veut passer à l’état fédéraliste et comment ce passage peut se faire. […] C’était fait de la grandeur persane si dans cette occasion l’aveugle dévotion avait été écoutée… En proscrivant les Arméniens on pensa [on fut sur le point de] détruire en un seul jour tous les négociants et presque tous les artisans du royaume… Les persécutions que les mahométans zélés ont fait aux Guèbres les ont obligés à passer en foule dans les Indes et ont privé la Perse de cette industrieuse nation… Il ne restait à la dévotion qu’un second coup à faire, c’était de ruiner l’industrie, moyennant quoi l’Empire tombait de lui-même et avec lui, par une suite nécessaire, cette même religion qu’on voulait rendre si florissante.  » Et enfin, dans ces mêmes Lettres Persanes, Montesquieu a défendu la tolérance et même la liberté de conscience, non seulement en droit, mais comme chose éminemment utile à l’Etat. […] Je ne sais sur quelle idée ou pour quel intérêt ils voulurent avoir existé depuis le commencement du monde et que le premier chrétien fût le premier homme et que toute l’histoire d’un petit peuple peu intéressant fût l’annonce, la promesse, la prédiction et l’image tracée à l’avance du peuple roi spirituel de l’Univers par la grandeur de sa conception religieuse et la beauté de sa philosophie morale. — Ils cédèrent sans doute à ce besoin, commun à tous les hommes, et auquel il est à remarquer que la Réforme a cédé aussi, qui est le besoin d’avoir des ancêtres et de n’être pas des hommes nouveaux.

1610. (1890) Dramaturges et romanciers

Une mauvaise tragédie est au moins une platitude emphatique, visant à la grandeur et à l’éclat ; elle a ce mérite relatif de forcer ceux qui la composent à se guinder, à se tourmenter, à faire effort pour s’élever : aussi peut-on dire que la tragédie est une bonne école de tenue morale. […] Il est entré avec une admiration respectueuse dans l’intelligence de la religion, de la poésie, de l’art, et il a trouvé pour rendre ses découvertes des accents pleins de grandeur. […] Que l’on sente vibrer un peu plus en lui la fibre de l’homme universel sympathique à toute grandeur, à toute cause noble, accessible à toutes les préoccupations légitimes de ses contemporains. […] Notre étonnement est extrême lorsque nous découvrons que sous l’enveloppe grotesque du père Alexis se cache une âme de confesseur et de martyr, et que ce fantoche comique, rival en gourmandise du singe Solon, se révèle à nous avec une grandeur épique. De la grandeur, il y en a aussi une véritable dans le pauvre serf Ivan.

1611. (1884) Cours de philosophie fait au Lycée de Sens en 1883-1884

Toutes ont pour but d’ajouter à ce que nous avons déjà : ces inclinations sont l’ambition sous toutes ses formes, l’amour, des grandeurs, des richesses, etc. […] Nous verrons que deux choses sont contradictoires, l’infini en grandeur, et l’infini en petitesse, qu’on appelle encore la continuité. […] L’infini — en grandeur — ne l’est pas moins. […] Comment admettre que « La géométrie est la science des grandeurs » est une définition de choses, bien différente de ce qu’elle deviendrait si à géométrie je substituais un autre mot ? […] Ainsi, si dans une assemblée on discute s’il faut faire la guerre, un orateur pourra commettre une ignoratio elenchi s’il prouve que la guerre est injuste, en général, car il prouve trop ; on ne parle pas de guerre en général ; s’il prouve qu’elle est avantageuse, car il ne prouve pas assez ; cela ne suffit pas ; s’il parle de la grandeur et de la gloire du pays, car il prouverait à côté ; il n’est pas sûr que la guerre ait ce résultat.

1612. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

L’humanité a droit à la grandeur humaine. […] C’était son goût de la grandeur humaine ; c’était son imagination hardie dans le maniement des idées ; c’était son désir d’élever les points de vue et d’élargir les horizons ; c’était son cœur aussi, son besoin de foi forte et de croyances généreuses, et comme une permission à elle donnée par des philosophes de faire passer ses sentiments dans ses idées. […] Il aurait fallu nous dire, je suppose, que la Révolution Française est une convulsion d’optimisme ; que,, le xviiie  siècle ayant peu à peu remplacé la doctrine de résignation soutenue d’une espérance par la doctrine de la grandeur humaine, de la perfection réalisable ici-bas avec un peu d’effort, et moyennant quelques sacrifices, notamment par le sacrifice de ceux qui nous déplaisent, l’atmosphère morale de la nation s’était trouvée changée ; que, si croire tout progrès impossible mène à une sorte de torpeur, croire le progrès aisé et l’homme fort mène à une sorte de naïveté féroce et de fureur candide, optimisme des foules, qui croient que, seule, la mauvaise volonté de quelques geôliers sépare leur prison d’un eldorado. […] Et, en effet, c’est un Chateaubriand sans puissante imagination et sans la grandeur des allures, un Chateaubriand qui n’est pas assez poète pour faire de son ennui une grande mélancolie lyrique, qui n’a pas assez d’orgueil pour arrêter dans une attitude majestueuse sa lassitude même. […] Et il demande, avec la force d’esprit, la finesse et la sûreté infaillibles du style, la loyauté, la droiture, la probité intellectuelle, la lucidité sévère de l’intelligence invincible aux piperies du cœur, une certaine pudeur aussi, qui est ici la mesure du goût ; en un mot, sinon une grandeur morale, du moins une distinction morale qui n’est pas commune. — Et tant de difficultés se tournent en autant de beautés quand elles sont vaincues, ou plutôt évitées avec aisance ; et, de tous ces mérites atteints sans effort, de tous ces obstacles surmontés sans qu’on les sente, de cette beauté singulière et rare, c’est encore Adolphe, dans toute notre littérature, qui nous donne l’idée la moins imparfaite.

1613. (1938) Réflexions sur le roman pp. 9-257

Boule-de-Suif dépasse l’anecdote par la même démarche, et de la même grandeur, que Madame Bovary et Salammbô. […] Je fus humilié d’avoir été surpris, en flagrant délit de folie des grandeurs, ne me doutant pas que j’utiliserais beaucoup plus tard la leçon de sémantique de l’académie en jupons. […] Si ce roman n’a pas été écrit, et si le roman contraire, celui de la destinée (Servitude et grandeur militaires sort de la même âme que les tercets des Destinées) s’est imposé seul, il me semble que cela tient à de simples raisons d’histoire littéraire. […] Il a atteint avec Polyeucte le sommet de sa propre grandeur, et, cherchant comment il pourra grandir encore, il songe à ajouter à la grandeur de sa tragédie idéale la grandeur de la tragédie réelle, il aborde pour la première fois l’homme de génie, dans La Mort de Pompée, avec César. […] * * * De même que, par un certain côté, toute la durée de la tragédie française, entre 1636 et 1830, tient déjà en raccourci, avec son relief général, ses pentes de grandeur et de décadence, dans l’œuvre de Corneille, de même on pourrait voir préfigurés en Walter Scott les directions du roman anglais, et, comme tout se tient, les problèmes généraux qui se posent au roman et que pose le roman.

1614. (1908) Après le naturalisme

Mais précisément ces conditions résultent d’une collaboration antérieure et présente de millions d’individus au service d’un seul et le mépris à l’égard de ceux-là, loin de passer pour une qualité de noblesse d’âme, de grandeur d’esprit, ne peut être tenu que pour la plus infamante des ingratitudes. […] Son utilitarisme en fait précisément la grandeur.

1615. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre II. Dryden. »

» Qu’est-ce qu’une Cléopatre comme la sienne, copiée d’après la Castlemaine726, habile aux manéges et aux pleurnicheries, voluptueuse et coquette, n’ayant ni la noblesse de la vertu ni la grandeur du crime ? […] Si Dryden est un politique expérimenté, un controversiste instruit, bien muni d’arguments, sachant tous les tournants de la discussion, versé dans l’histoire des hommes et des partis, cette habileté de pamphlétaire, toute pratique et anglaise, le retient dans la basse région des combats journaliers et personnels, bien loin de la haute philosophie et de la liberté spéculative, qui impriment au style classique des contemporains français la durée et la grandeur.

1616. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXIIe entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff (suite) » pp. 317-378

Auprès du perron se tenait une telega remplie de caisses et de boîtes de différentes grandeurs. […] Quoiqu’écrivain supérieur à Balzac dans la perfection des détails et dans le portrait des personnages, hommes ou femmes, il n’atteignit pas du premier coup la grandeur de son cadre, il ne sut pas ramener comme nos romanciers la diversité des caractères à l’unité dramatique.

1617. (1883) La Réforme intellectuelle et morale de la France

C’est certainement un des signes de grandeur de la France que cela ne lui ait pas été permis. […] Cet état de choses se fait amnistier au xviie  siècle par la grandeur incomparable qu’il donne à la France ; mais bientôt après le contraste devient criant.

1618. (1848) Études critiques (1844-1848) pp. 8-146

On sent, en lisant ces pages, que la grandeur pourrait exister dans le monde qu’elles créent : mais malheureusement les personnages sont si faiblement inventés, qu’elle passe rapidement après avoir empreint au hasard la trace de ses pas sur quelques vers. […] Le sujet disparaît sous les accessoires, et au lieu d’un drame politique émouvant par les faits importants qu’il représente et par la grandeur des personnages qu’il met en scène, Lorenzaccio n’est plus qu’une pièce fort amusante et très spirituellement écrite.

1619. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1889 » pp. 3-111

Lundi 6 mai Je pensais, pendant que tonnait le canon célébrant l’anniversaire de 1789, je pensais au bel article à faire sur la grandeur qu’aurait la France actuelle, — une France aux frontières du Rhin — s’il n’y avait eu ni la révolution de 89, ni les victoires de Napoléon Ier, ni la politique révolutionnaire de Napoléon III. […] Là-haut, la perception bien au-delà de sa pensée au ras de terre, de la grandeur, de l’étendue, de l’immensité babylonienne de Paris, et sous le soleil couchant, la ville ayant des coins de bâtisses de la couleur de Rome, et parmi les grandes lignes planes de l’horizon, le sursaut de l’échancrure pittoresque dans le ciel, de la colline de Montmartre, prenant au crépuscule, l’aspect d’une grande ruine qu’on aurait illuminée.

/ 1830