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65. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre XI. Quelques philosophes »

À aucun moment il n’échappe à l’hégélianisme, qui lui paraît une inévitable nécessité de toute pensée allemande. […] Sa pensée centrale est noble, belle et puissante : il me paraît juste de la délivrer de ce qui lui est contraire ou étranger. […] La justice appartient tout entière au domaine humain ; mais elle est, plus encore qu’une pensée, un instinct. […] L’imbécile qui a suivi sans peine est fier d’avoir compris de la « pensée » et de la « psychologie », et sa digestion n’a pas été troublée. […] Le style tient le milieu entre la pensée et l’écriture.

66. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Pensées de Pascal. Édition nouvelle avec notes et commentaires, par M. E. Havet. » pp. 523-539

Pensées de Pascal. […] Qu’était cette première édition des Pensées, et que pouvait-elle être ? […] Grâce à lui, on a maintenant les Pensées de Pascal conformément aux manuscrits mêmes. […] Le savant et modéré d’Aguesseau, dans un plan qu’il propose d’un ouvrage à faire d’après les Pensées, a pu dire : Si l’on entreprenait de mettre en œuvre les Pensées de M.  […] De tous les corps ensemble, on ne saurait en faire réussir une petite pensée ; cela est impossible et d’un autre ordre.

67. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre troisième. L’idée-force du moi et son influence »

L’enfant s’affirme ainsi dès qu’il se conçoit, et il s’affirme en pensée comme en acte. […] Ce qui a encore accusé le contraste de la pensée impersonnelle avec la personne individuelle, c’est la vie en société, parce que la pensée impersonnelle est au fond une pensée sociale : c’est ce qu’on nommait chez les anciens la raison commune, ϰοινὸς λόγος, et ce qu’on nomme encore le sens commun. La pensée sociale ou logique sociale a son expression dans le langage, et l’intime union des deux vient de ce que la pensée, comme le langage, est au fond un moyen de communication et de communion entre l’individu et le groupe. […] Comme la vie, la pensée suppose évidemment une certaine union, puisqu’elle est d’abord une harmonie de sensations, puis une harmonie de rapports entre ces sensations, rapports qui eux-mêmes ont toujours un côté sensitif et appétitif. […] D’où il suit que la pensée arrivera à se concevoir elle-même sous une idée d’unité, de simplicité, d’indivisibilité.

68. (1914) Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne pp. 59-331

Il y a un monde, un univers de la pensée et dedans il y a des races de la pensée. […] Mais une grande pensée qui affronte une autre grande pensée, quelle magnifique offrande. […] Et une pensée laïque et une pensée profane. […] Quelle pensée, pour la première fois dans l’histoire de la pensée, sinon la pensée bergsonienne. […] Et leur pensée n’est pas une pensée chrétienne, mais une pensée moderne.

69. (1836) Portraits littéraires. Tome II pp. 1-523

Edgar Quinet expriment une pensée unique, et cette pensée n’est autre que le panthéisme. […] comme les pensées se déduisent ! […] Le poète tragique a-t-il deviné la pensée du publiciste ? […] Leurs cerveaux indolents ne comprennent rien à mes divines pensées. […] Le caractère saillant de la pensée de M. 

70. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — III »

De quelle manière la vie à ses différents degrés se trouve-t-elle coordonnée et transformée dans l’homme, depuis la végétation obscure des ongles et des cheveux, jusqu’à la pensée la plus rationnelle ? […] Ils lui accordent bien d’entrer en rapport avec le non-moi par la pensée et l’intelligence ; d’en connaître et d’en réfléchir les lois, d’en posséder la science, quoique encore cela soit impossible, sans que l’activité matérielle s’en môle à un certain degré ; mais dès que le moi désire modifier activement, transformer, embellir ce monde extérieur, ils l’arrêtent, ils l’avertissent comme s’ils n’en avaient que fort précairement le droit et le pouvoir ; de même en effet qu’ils nient la continuité entre le moi et la vie dite de nutrition, de même aussi ils nient la continuité essentielle du moi avec la vie dite de relation ; entre la pensée et l’acte, entre la volonté et l’acte, il y a pour eux un abîme, de même qu’il y en avait un entre la sensation et la pensée. […] Les lois orageuses, et toutes pleines de perturbation, du monde extérieur, ne se réfléchissaient qu’obscurément dans la pensée terne et stagnante de l’homme. […] En proie à des appétits dévorants, sa pensée et sa force étaient tout occupées à les assouvir. […] La pensée avait du chemin à faire pour rejoindre la force qui l’avait devancée dans le progrès ; aussi elle prit une éclatante revanche.

71. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XII. L’antinomie morale » pp. 253-269

Les moralistes ne peuvent nier ces conflits ; mais ils n’aiment pas à y attacher leur pensée. […] Une triple influence a contribué ou contribue au discrédit qui frappe aujourd’hui la casuistique : l’influence de la pensée universitaire ; celle de la pensée politicienne et celle de la pensée ouvrière qui représente actuellement le dernier terme de la pensée démocratique. La pensée universitaire, imbue de rigorisme kantien, est naturellement ennemie de la casuistique. […] L’art social reconnaîtra-t-il à des pensées nettement antisociales ou jugées telles le droit de s’exprimer (par exemple au pessimisme asocial ou antisocial, à l’immoralisme) ? […] Le créateur de pensées s’aperçoit que ses pensées tombent sur un sol ingrat et qu’elles perdent, en y tombant, le meilleur d’elles-mêmes.

72. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Gratry »

Le temps qui s’est écoulé depuis cette époque n’a pas diminué la joie d’avoir signalé l’un des premiers un ouvrage qui frappe et tient presque en échec (on le dirait, du moins, à leur silence,) les esprits le plus connus pour s’occuper des hautes spéculations de la pensée. […] Pour nous, vu le temps où nous sommes et les singulières dominations de la pensée contemporaine, nous dirons que jamais peut-être meilleur service ne fut rendu à la cause de la vérité. […] Mais l’élan dialectique est libre comme la pensée, et ne s’élève que sur les nobles ailes que lui avait données Platon. Quant au parti que l’abbé Gratry a tiré de sa découverte, il faudrait, pour en bien juger, le suivre dans chaque partie de ce large traité où la pensée fait, à tout bout de champ, nappe de lumière. […] Nous en avons déterminé l’inspiration, la tendance, la pensée ; il faut ajouter que le style fait la plus brillante équation avec elles.

73. (1829) De la poésie de style pp. 324-338

Pensées de Jean Paul2. […] Ainsi font les éditeurs et collecteurs de Pensées, Pensées choisies, Esprit d’un auteur ou d’un ouvrage, qui vous massacrent bravement vingt, cinquante ou cent volumes pour en extraire un. […] Ce contraste ou plutôt cette heureuse harmonie se fait sentir dans les Pensées. […] Cette variété se révèle aussi dans les Pensées. […] Nous voudrions citer quelques-unes de ces pensées.

74. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre deuxième »

Le corps se manifeste par l’étendue ; l’âme par la pensée. Or, quoi de plus absolument incompatible que la pensée et l’étendue ? […] Sa diversité excite la pensée, et l’empêche de se fixer. […] Tout ce qui est sorti de la plume de Descartes est marqué de cette exactitude qui, selon son jugement, a manqué à Sénèque, et qui consiste dans le rapport parfait des paroles aux pensées et dans le choix, parmi les pensées, de celles qui peuvent servir de preuves à un raisonnement. […] Outre qu’il soutient l’âme, et qu’il la met en garde contre toute pensée qui ne lui arrive pas par la bonne voie, il rend l’imitation impossible.

75. (1914) Note sur M. Bergson et la philosophie bergsonienne pp. 13-101

Sa méthode est une morale instauratoire pour la conduite de la pensée. […] Sur la face de l’océan de la pensée. […] Ni une invention, ni une découverte, ni un mouvement de la pensée. […] Si l’on veut, ce n’est rien, parce qu’il s’était toujours agi d’éviter l’inconduite en matière de pensée. […] Ce sont ces vingt lignes qui ont révolutionné le monde et la pensée.

76. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIII. Mme Swetchine »

… Les livres ne ressemblent-ils pas aux chemins, dont la longueur ne se mesure point au nombre de pas qu’ils nous obligent à faire, mais à l’intérêt ou à l’ennui de la pensée, pendant qu’on les fait ? […] Elle resta toujours dans cet entre-deux de la vie ascétique et du monde, du monde encore et de la vie de la pensée. […] bien, dans ces pages que le pédantisme peut appeler des œuvres, mais qui n’en sont pas, il n’y a que pensées de femme, sensations de femme, expérience de femme, mélancolie de femme à travers ses gaietés… de femme ! […] En effet, la pensée parfois s’évapore à force de se raréfier dans tout cela, mais c’est toujours dans une pureté de ciel, c’est dans un genre de bleu que je n’ai vu que là, et ce n’est pas le bas-bleuisme ! […] Tout ce qu’elle a écrit sur la plupart des sujets même mondains qui ont occupé sa pensée, sue cette sueur d’un sang apaisé qui coule doucement sans se révolter contre les blessures d’où elle tomber.

77. (1828) Introduction à l’histoire de la philosophie

Mais la pensée peut-elle s’arrêter à des symboles ? […] La philosophie est le complet développement de la pensée. […] Dans la pensée, elle conçoit des pensées relatives à ceci, relatives à cela, qui peuvent être ou n’être pas, et elle conçoit le principe de la pensée, principe qui passe sans doute dans toutes les pensées relatives, mais qui ne s’y épuise point. […] L’erreur est un des éléments de la pensée pris pour la pensée tout entière, une vérité incomplète convertie en une vérité complète. […] Le grand penseur est parti de la pensée ; le grand géomètre a jeté sur la pensée la forme de la géométrie.

78. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre septième. Les sentiments attachés aux idées. Leurs rapports avec l’appétition et la motion »

Les sentiments intellectuels qui accompagnent l’exercice de la pensée, idéation et intellection, se subdivisent eux-mêmes en deux groupes principaux : les sentiments d’ordre logique et les sentiments d’ordre dynamique. […] Une contradiction, une multiplicité sans lien, en supprimant la condition même de la représentation et de la pensée, cause un déplaisir, un choc intellectuel. […] La facilité ou la difficulté du cours même des pensées et des associations cause un plaisir ou une peine, analogues à ceux du mouvement libre ou du mouvement entravé, du déploiement ou de l’arrêt de la vie. […] De là cette soif de certitude, cette difficulté, cette impossibilité même de consentir au doute, suspension partielle de la vie intellective, mort partielle de la pensée et, par cela même, de la volonté. […] Aussi ne pouvons-nous trouver notre repos que dans l’universel, dont la possession répond à l’acte le plus intense et le plus ordonné de notre pensée même.

79. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Première partie. De la parole et de la société » pp. 194-242

Ainsi l’homme ne peut être ce que Dieu a voulu qu’il fût sans la parole ; il ne peut avoir de pensée sans elle : la parole lui sert donc non seulement à la manifestation de sa pensée, mais encore à la production même de cette pensée. […] Oui, la pensée même de Dieu, la pensée éternelle et contemporaine de tous les temps, cette pensée est dans le verbe. […] Mais cette énergie d’assimilation pour les pensées et pour les sentiments ne prouve que la puissance de la parole. […] C’est sans doute ce qui faisait dire à un philosophe de ces derniers temps : « Nous sommes les mères de nos pensées. » M. de Bonald, à la suite de sa Législation primitive, avait donné une Dissertation sur la pensée de l’homme et sur son expression. […] Quoi qu’il en soit, tel qu’il est, il me paraît la pensée même du grand ouvrage de Pascal, réalisée quant à la partie philosophique.

80. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Les ouvrages anciens et modernes qui traitent des sujets de morale, de politique ou de science, prouvent évidemment les progrès successifs de la pensée, depuis que son histoire nous est connue. […] Les bizarreries, inventées ou naturelles, étonnent un moment l’imagination ; mais la pensée ne se repose que dans l’ordre. […] L’éloquence, la poésie, les situations dramatiques, les pensées mélancoliques agissent aussi sur les organes, quoiqu’elles s’adressent à la réflexion. […] Si vous tournez vos regards vers le ciel, vos pensées s’ennoblissent : c’est en s’élevant que l’on trouve l’air plus pur, la lumière plus éclatante. […] Mais, parce que des hommes cruels ont prostitué dans leur langage des expressions généreuses, s’ensuivrait-il qu’il n’est plus permis de se rallier à de sublimes pensées ?

81. (1889) Méthode évolutive-instrumentiste d’une poésie rationnelle

Et paraissent Gautier, plus pur et mesuré formiste encore — sans pensée du reste ; et Baudelaire, maître puissant et sobre, dont le mot correct par la place voulue qu’il occupe s’entoure dès maintenant d’atmosphère musicale et lumineuse — et dont la pensée est comme un ferment invincible de doute détruisant la splendeur sans souci d’antan ; mais qui égoïstement disant ses angoisses, ne dit aucun vocable salutaire qui les épargnera à ceux qui viennent. […] Stéphane Mallarmé montre enfin à quelles tendances s’arrête sa pensée : On ne peut se passer d’Eden. […] Il n’est doute, en effet, qu’à l’époque seulement de la pensée naquit le langage : et ainsi la parole est liée fatalement et essentiellement, et quant à ses sonorités ! […] L’idée en son évolution règle seule la venue et la durée des intervalles entre telles suites de vers — de même qu’elle amène selon la nécessité de pensée et de son les rimes dont n’est plus asservie aucunement l’occurrence. […] ou n’a plus satisfait ma pensée plus positive qui ne voulut vivre de paradoxe et d’orgueil petit : les insultes (pas trop hautes), et les vains et secrets sarcasmes, raisons de l’impuissance et de la sottise, ne m’ont pas été épargnés.

82. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre II. Utilité de l’ordre. — Rapport de l’ordre et de l’originalité »

Le sentiment des proportions fait défaut : à peine sait-on si la pensée que l’on tient est essentielle ou incidente, s’il faut glisser ou appuyer. […] Comme les pensées absolument et essentiellement neuves sont rares, on peut dire que, dans la plupart des cas, la disposition est la vraie mesure de l’invention : la richesse et la fécondité de l’esprit créateur se manifestent par l’ordonnance de l’œuvre. […] Invention, création, originalité, nouveauté, tout cela, en dernière analyse, se réduira à la conception d’une forme, c’est-à-dire d’un enchaînement, d’une subordination, d’une proportion, qui mettent en lumière des rapports nouveaux entre des pensées anciennes, et leur attribuent des valeurs nouvelles. […] « J’aimerais autant qu’on me dît que je me suis servi de mots anciens ; et comme si les mêmes pensées ne formaient pas un autre corps de discours par une disposition différente, aussi bien que les mêmes mots forment d’autres pensées par leur différente disposition. » Ainsi pensait Pascal, et tout son siècle avec lui. […] Ainsi Descartes n’invente rien que sa méthode, c’est-à-dire une certaine manière d’ordonner ses pensées ; par elle, il établit entre des vérités anciennement connues une liaison inconnue, il féconde une parole stérile dans saint Augustin, et il en fait sortir Dieu, l’homme et le monde.

83. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Victor Hugo » pp. 106-155

La pensée comme la langue du poète se désagrègent par endroits. […] Hugo a trop souvent recours pour ses fantaisies de style, à cet amas de pensées vulgaires, simples et fausses, que l’on appelle les lieux communs ; il se prête à développer les thèmes empruntés, qui ne sont issus ni de sa pensée, ni de son émotion. […] Hugo porte dans sa conscience non plus des pensées, mais de purs mots ; tout deviendra clair. […] Dans tous les précédents paragraphes, nous avons tenu tacitement pour acquis que la pensée pure de M.  […] Si ce poète simplifie la réalité, il la grossit, en vertu de cette même habitude de pensée verbale, qui a façonné son style et ses conceptions.

84. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « I. Historiographes et historiens » pp. 1-8

Elle commettait bien à cette charge, selon nous, immense, d’écrire l’histoire, des hommes éprouvés et capables, qui semblaient avoir conquis une telle position, de haute lice, par l’élévation du talent et du caractère et cette conséquence de l’esprit qu’on ne connaît plus et qui est autant l’honneur de la vie que de la pensée. […] Mais les gouvernements anciens n’eurent que la moitié d’une grande pensée. […] Aussi, nous ne craignons pas de l’affirmer, les corrupteurs les plus profonds de la pensée publique, en ces derniers temps, n’ont pas été les Philosophes, mais les Historiens. […] Oui, que la Libre Pensée ait ses historiens, mais que la France ait ses Historiographes ! Que la Libre Pensée ait ses historiens, qui font leur histoire comme leurs romans et leurs romans comme leur histoire, mais que nous ayons, nous, un domaine public de vérité inaliénable ; que l’on puisse retrouver toujours une tradition visible et vivante, au milieu de nous, et qui puisse résister au travail dépravant et effréné de la Libre Pensée !

85. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XX. Du dix-huitième siècle, jusqu’en 1789 » pp. 389-405

Des ouvrages d’une plus haute conception ont marqué sa place : des milliers de pensées sont nées de sa pensée. […] Voltaire, Montesquieu, Rousseau, ont parcouru ces diverses périodes des progrès de la pensée ; et, comme les dieux de l’Olympe, ils ont franchi l’espace en trois pas. […] Mais combien Montesquieu, par l’expression énergique de la pensée ; Rousseau, par la peinture éloquente de la passion, n’ont-ils pas enrichi l’art d’écrire en français ! […] Lorsque la pensée ne peut jamais conduire à l’amélioration du sort des hommes, elle devient, pour ainsi dire, une occupation efféminée ou pédantesque. […] L’exercice de la pensée, plus que toute autre occupation de la vie, détache des passions personnelles.

86. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IX et dernier. Conclusion » pp. 586-601

Lorsqu’on accuse la philosophie des forfaits de la révolution, l’on rattache d’indignes actions à de grandes pensées, dont le procès est encore pendant devant les siècles. […] Or, ces progrès tiennent nécessairement à toutes les pensées qui doivent mener la réflexion beaucoup au-delà des sujets qui l’ont fait naître. […] et les bornes qu’il voudra poser aux recherches de la pensée ne seront-elles pas précisément celles que les esprits ardents voudront franchir ? […] Si vous inspirez à tous l’amour de la guerre, peut-être ferez-vous renaître le mépris de la pensée ; mais tous les maux de la féodalité pèseront sur vous. […] Qu’est-ce que l’homme s’il se soumet à suivre les passions des hommes ; s’il ne recherche pas la vérité pour elle-même, s’il ne marche pas toujours vers les hauteurs des pensées et des sentiments ?

87. (1884) Les problèmes de l’esthétique contemporaine pp. -257

On pourrait donc, en continuant la pensée de M.  […] En systématisant la pensée de MM.  […] Plus nous allons, plus le sentiment, qui n’était d’abord qu’une sorte d’extension de l’action réflexe, devient le prolongement nécessaire de toute pensée forte ; il tend à se fondre avec la pensée, il est la pensée même, vue sous un autre aspect. […] La puissance et la variété de la pensée font l’harmonie du vers. […] Les plus grands poètes échouent bien souvent lorsqu’ils veulent mettre en vers ou la pensée d’autrui ou même leur propre pensée déjà fixée dans la prose.

88. (1903) La pensée et le mouvant

La pensée sociale ne peut pas ne pas conserver sa structure originelle. […] Entre elles cependant, entre ces deux formes de la pensée solitaire subsiste la pensée en commun, qui fut d’abord toute la pensée humaine. […] D’où vient que notre pensée se retrouve dans les choses ? […] Quelle est cette pensée latente ? […] Combien c’était se méprendre sur la pensée de l’auteur !

89. (1912) L’art de lire « Chapitre V. Les poètes »

D’abord tout bas, pour que l’on comprenne leur pensée ; car la plupart d’entre nous, par l’effet de l’habitude, ne comprennent guère qu’à moitié ce qu’ils lisent tout haut ; ensuite à haute voix, pour que l’oreille se rende compte du nombre et de l’harmonie, sans que, cette fois, l’esprit laisse échapper le sens, puisqu’il s’en sera préalablement rempli. […] Le typographe avait imprimé, bien naturellement : De lui montrer ma craintive pensée, Dont je me sens à tel point oppressée. […] J’appelle harmonieuse une phrase qui, de plus, par les sonorités ou les assourdissements des mots, par la langueur ou la vigueur des rythmes, par toutes sortes d’artifices, naturels, du reste, dans la disposition des mots et des membres de phrases, représente un sentiment, peint la pensée par les sons, et la mêle ainsi plus profondément à notre sensibilité. […] Une phrase harmonieuse sera celle qui peindra quelque chose par les sons : paysage, musique de la nature, faits, sentiment, pensée. […] Il est aussi dans les membres de phrase courts en même temps qu’ils sont sourds, des membres de phrase déprimés du commencement, auxquels s’oppose le membre de phrase final, non pas allègre, mais libre, mais libéré, s’espaçant discrètement, mais s’espaçant et prenant du champ et qui semble comme l’expression du soulagement et de la reprise de la vie dans un sourire : « les yeux des jeunes filles y sont (verts et bleus à la fois) comme ces vertes fontaines où sur un fond d’herbes ondulées se mire le ciel. » Ainsi, en lisant à haute voix, vous vous pénétrez des rythmes qui complètent le sens chez les écrivains qui savent écrire musicalement ; du rythme qui est le sens lui-même en sa profondeur ; du rythme qui, en quelque façon, a précédé la pensée (car il y a trois phases : la pensée en son ensemble, en sa généralité : « Je suis né en Bretagne » — le rythme qui chante dans l’esprit de l’auteur, qui est son émotion elle-même et dans lequel il sent qu’il faut que sa pensée soit coulée — le détail de la pensée qui se coule en effet dans le rythme, s’y adapte, le respecte, ne le froisse pas et le remplit) ; du rythme enfin qui, parce qu’il est le mouvement même de l’âme de l’auteur, est ce qui, plus que tout le reste, vous met comme directement et sans intermédiaire en communication avec son âme.

90. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « Introduction »

L’œuvre de la pensée du moyen âge fut en somme une confiscation de la réalité au profit d’une formule. […] En quatre siècles, l’esprit nouveau s’incarna sous trois formes principales : la Renaissance, une aube de vie païenne ; la Réforme, une aube de libre pensée ; la Révolution, une aube de vie sociale. […] Et même, — tellement sont vivaces les forces de réaction, — après cinq siècles de pensée libre, l’esprit nouveau n’en est encore qu’aux syllabes premières ! […] L’univers est tel aujourd’hui qu’il était il y a cinq ou dix siècles : c’est l’homme qui a changé, au moins dans sa pensée, sinon, pour le présent, dans sa vie.‌ […] Ce ne sont plus des points de dogme qu’on attaque, c’est la métaphysique chrétienne toute entière qui s’écroule sous les assauts de la pensée libre.

91. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIe entretien. Phidias, par Louis de Ronchaud (2e partie) » pp. 241-331

J’ai dit que tous les arts étaient littéraires, parce que l’objet de tous les arts était d’exprimer des pensées ou de communiquer des sensations. […] Müller, qu’une sorte d’écriture destinée à raconter des faits et à exprimer des idées, sans aucune pensée esthétique. […] L’action est fille de la pensée, mais les hommes, jaloux de toute prééminence, n’accordent jamais deux puissances à une même tête ; la nature est plus libérale ! […] C’était une seule pensée de pierre, une et intelligible d’un regard, comme la pensée antique. […] Cette pensée n’a pas besoin de temples bâtis de main d’homme : la nature entière est le temple où elle adore.

92. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Préface de la seconde édition » pp. 3-24

Ces écrivains nuisent à l’art, sans rien ajouter à l’éloquence ni à la pensée. […] Mais il ne faut pas tracer autour de la pensée de l’homme un cercle dont il lui soit défendu de sortir ; car il n’y a pas de talent là où il n’existe pas de création, soit dans les pensées, soit dans le style. […] J’ai distingué avec soin, dans mon ouvrage, ce qui appartient aux arts d’imagination, de ce qui a rapport à la philosophie ; j’ai dit que ces arts n’étaient point susceptibles d’une perfection indéfinie, tandis qu’on ne pouvait prévoir le terme où s’arrêterait la pensée. […] Enfin, comment peut-on imaginer que l’on mettra les sciences tellement en dehors de la pensée, que la raison humaine ne se ressentira point des immenses progrès que l’on fait chaque jour dans l’art d’observer et de diriger la nature physique ? […] Que restera-t-il donc à ceux qui mettent encore de l’intérêt aux progrès de la pensée, ou qui, se bornant même aux arts d’imagination, veulent exclure tout le reste ?

93. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre III. Pascal »

Les Pensées. […] Le style des Pensées : abstraction et réalité, raisonnement et poésie. […] Il le désespère, l’écrase, l’oblige de renoncer à tout ce qui fait la vie aimable et douce, à la science même et à l’exercice de l’esprit : une seule œuvre est nécessaire et permise, celle du salut, dont la pensée doit être la seule pensée de l’homme, et toute sa vie. […] Pensées : éd. de Port-Royal, 1670 ; éd. de Condorcet. 1776 ; éd. […] À consulter : Voltaire, Remarques sur les Pensées de Pascal ; A.

94. (1932) Les idées politiques de la France

» Telle fut la pensée ordinaire de Robespierre. […] La franc-maçonnerie est le type des sociétés de pensée. Comme, dans l’ancienne France, l’Église tenait le rôle de société de pensée à monopole, officielle et unique, les sociétés de pensée durent se former contre elle et ne correspondirent guère qu’à des pensées ou à des volontés antireligieuses. […] Car, pour faire une société de pensée, il faut une pensée, il faut même des penseurs. […] Pratiquement, par sociétés de pensée, il faut entendre sociétés de libre pensée.

95. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’art et la sexualité »

Et d’abord, exposons brièvement notre pensée. […] Encore faut-il, cette distinction admise, ne pas confondre la pensée du garçon encore vierge avec celle de l’adolescent qui a pénétré le mystère du sexe. […] Après le repas quotidien, lorsque la faim est apaisée, il est d’expérience vulgaire que la pensée subit un léger obscurcissement. […] Les ovules de la pensée risquent fort d’aboutir au fœtus, si l’action fécondante du sexe ne vient participer à leur développement. […] Tel est le résumé succinct des objections, auxquelles je suis heureux de répondre, parce qu’elles me fournissent l’occasion de préciser ma pensée.

96. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Brispot »

Immuable destin de la pensée de l’homme ! […] Une Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ comme celle dont il est question ici, est moins un livre qu’une œuvre impersonnelle où la gloire de l’auteur n’est que le bien qu’il peut faire et le mérite des bonnes pensées dont il deviendra l’occasion. […] Comme un de ces grands artistes lapidaires du Moyen Âge, il a incrusté de pierres précieuses le tabernacle… Mais c’est moins un but d’adoration et de rayonnement splendide qu’il a eu en vue, que la pensée plus mâle de la propagation des idées et des faits qui sont pour nous la vérité. […] Le fond des choses y est si grand qu’on y sent réellement moins qu’ailleurs les différences de génie, et que la pensée y trouve presque, comme le cœur, son égalité devant Dieu. […] Et véritablement, dans un temps où l’archéologie religieuse est en honneur et refleurit de toutes parts, elles offriront plus d’intérêt peut-être aux esprits curieux des choses du passé que si elles avaient appartenu à une pensée contemporaine.

97. (1836) Portraits littéraires. Tome I pp. 1-388

Mais ce n’est pas moi qui devinerai quelle pensée a présidé au voyage de M. de Lamartine. […] Les impressions et les pensées du narrateur ont besoin d’être discutées séparément. […] On voit poindre le bourgeon de la pensée. […] Par malheur, le chrétien, le philosophe et le poète se disputent à chaque page la pensée du voyageur. […] L’impression éprouvée, sincère et profonde, se grave lentement dans la pensée du lecteur.

98. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Seconde partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère de la littérature et des arts » pp. 326-349

Les mots ne doivent plus nous inquiéter ; c’est la pensée elle-même qu’il faut atteindre. […] Il n’y a de pensée élevée que la pensée religieuse, la pensée poétique. […] Les temps où régna la parole furent les temps de l’imagination ; ceux où régna la pensée indépendante doivent être ceux de la raison. […] Le sérieux de la pensée exclut de semblables jeux de l’esprit. […] Lorsque Charlemagne, dans son immense pensée, imposait à l’Europe l’ordre social qui vient de finir, il donnait pour base à l’instruction publique l’enseignement du grec et du latin.

99. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre II. De l’expression »

On voit dans Voiture et dans les lettres du temps, que toute pensée, même gaie et folâtre, prenait alors la grande phrase pour parure. […] Il est si doux de le prouver qu’un écrivain se met sans le vouloir en quête de phrases ingénieuses, et défigure sa pensée pour la parer. […] Il a voulu rendre fidèlement sa pensée, voilà tout le secret de son audace. […] La pensée court sans pouvoir s’arrêter sur les idées principales. […] Qu’on garde les petits vers pour la poésie légère : la pensée vole alors aussi légèrement qu’eux.

100. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre VI. De l’emploi des figures et de la condition qui les rend légitimes : la nécessité »

Celles qui resteront se seront imposées à vous, non comme figures, mais comme propres expressions de votre pensée et de votre sentiment : elles auront ce caractère de nécessité, qui seul les justifie. […] Il faut que les figures soient spontanées, qu’elles naissent dans l’esprit avec la pensée qu’elles revêtent, comme s’il n’y avait pas d’autres termes qui la pussent rendre. […] Cette partie de la pensée qui ne s’isole pas, qui n’a point d’expression indépendante, ce sont les figures qui la rendent et la mettent en lumière. […] Même en fournissant à la pensée une expression telle quelle, elle s’opposera à la précision et à la clarté : on sera dupe soi-même de ses métaphores, et l’on ne se rendra point compte qu’on n’a exprimé que des impressions insaisissables à l’intelligence, intraduisibles dans le langage des idées pures, qu’on n’a rien dit en un mot de raisonnable, de scientifique, ou de pratique. […] Enfin il y a des pensées et des pages de Pascal, où l’éloquence éclate, où la passion vibre dans des phrases construites avec la précision nue et l’inflexible régularité du langage géométrique.

101. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Rayons et les Ombres » (1840) »

Le roman n’est autre chose que le drame développé en dehors des proportions du théâtre, tantôt par la pensée, tantôt par le cœur. […] À chaque ouvrage nouveau qu’il met au jour, il soulève un coin du voile qui cache sa pensée et déjà peut-être les esprits attentifs aperçoivent-ils quelque unité dans cette collection d’œuvres au premier aspect isolées et divergentes. L’auteur pense que tout poëte véritable, indépendamment des pensées qui lui viennent de son organisation propre et des pensées qui lui viennent de la vérité éternelle, doit contenir la somme des idées de son temps. […] On trouvera dans ce volume, à quelques nuances près, la même manière de voir les faits et les hommes que dans les trois volumes de poésie qui le précèdent immédiatement et qui appartiennent à la seconde période de la pensée de l’auteur, publiés, l’un en 1831, l’autre en 1835 et le dernier en 1837. […] Les personnes qui veulent bien lire ce qu’il écrit savent depuis longtemps que, s’il admet quelquefois, en de certains cas, le vague et le demi-jour dans la pensée, il les admet plus rarement dans l’expression.

102. (1878) La poésie scientifique au XIXe siècle. Revue des deux mondes pp. 511-537

Aujourd’hui le monde des infiniment grands et des infiniment petits est également ouvert à la pensée : le double infini pressenti par Pascal est scientifiquement découvert, exploré, partiellement conquis. […] La pensée scientifique est mûre pour faire éclore une poésie spéciale, l’instrument est admirablement préparé ; le public attend, quand viendra le poète ? […] L’importance du sujet et l’étendue des développements donnés à la pensée philosophique méritent que la critique s’y arrête pour le signaler. […] Ne lui est-il pas arrivé souvent de laisser la précision ou la clarté de l’idée en gage dans ce jeu périlleux, et de faire de sa pensée l’otage du vers, qui devrait être l’esclave et qui devient le maître ? […] La pensée a de la raideur ; dans cette tension uniforme, le charme fait défaut.

103. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre sixième. »

que d’excitations pour la pensée ! […] S’il a rarement l’espèce de beautés supérieures qui naissent d’un plan fortement conçu et d’un sujet traité en rigueur, ni cette perfection intérieure et secrète de l’ensemble qui se fait sentir par la réflexion, il a une diversité infinie de pensées justes, délicates profondes, qui sont comme des lumières répandues sur tout le domaine de la pensée. […] Pour Amyot, il s’était borné au rôle de traducteur, montrant, il est vrai, ce que l’esprit français pouvait oser avec l’aide et, pour ainsi dire, sous le couvert de l’antiquité païenne ; du reste, ne donnant rien du sien, et ne mêlant aux pensées antiques aucune pensée qui lui fût propre. […] Pensée inédite recueillie par M.  […] Voir le remarquable travail qu’il a publié sur les Pensées de Pascal, sous la forme d’un rapport adressé à l’Académie française.

104. (1707) Discours sur la poésie pp. 13-60

J’entens enfin par grande idée, les pensées qui étonnent l’esprit, ou qui flatent l’orgueil humain. […] Qu’on ne dise pas qu’il n’y a plus de pensées nouvelles, et que depuis que l’on pense, l’esprit humain a imaginé tout ce qui se peut dire. […] L’obscurité de ses pensées s’est accrüe à mesure que les circonstances qui y avoient rapport, se sont effacées, ou que sa langue est devenuë moins familiére. […] Son sens se présente de lui-même ; et le tour heureux de ses phrases met pour l’ordinaire sa pensée dans tout son jour. […] Au lieu de sentimens naturels, ils n’employoient que des pensées subtiles et tirées qui n’éffleuroient pas seulement le coeur.

105. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre huitième »

De la pensée de l’Esprit des lois. […] Montesquieu était de force à concevoir tout seul la pensée de son livre. […] De la pensée de l’Esprit des lois. — Fortune de ce livre au dix-huitième siècle. — Montaigne et Montesquieu. […] Pensées diverses. […] Pensées diverses.

106. (1927) Approximations. Deuxième série

La pensée dans l’absolu — une pensée qui se dévide sans égard ni au lieu ni au temps, ni à la qualité de l’auditoire — est l’ennemie née du Dialogue où la règle consiste, non pas à partir d’une pensée, mais bien au contraire à y arriver, et comme à y arriver malgré soi. […] D’où chez Valéry ce tact indéfectible de la pensée. […] … Quelle vive et gracieuse introduction des plus parfaites pensées ! […] Dans les Pensées « l’imagination passe outre » [Pensées, fragment 185, dans Œuvres complètes II, éd. […] Et cette pensée même, [Ibid.

107. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre IV. Des figures : métaphores, métonymies, périphrases »

Il faut considérer en eux maintenant d’autres propriétés, qui achèvent de les rendre capables de servir à tous les besoins de la plus agile et plus curieuse pensée. […] C’est ce qu’on appelle les figures de pensées, figures de passion, d’imagination ou de raisonnement. […] Quand nous parlons d’exprimer une pensée, nous ne pensons point nous comparer au sculpteur qui tire une figure d’un bloc de marbre. […] Ainsi, dans ce couplet de Corneille, tout aboutit à l’image hardie du dernier vers et en fait le couronnement logique et nécessaire de la pensée. […] S’il eût dit sans périphrase, cinquante mille soldats, qui ne sent ce que la pensée eût perdu ?

108. (1889) La littérature de Tout à l’heure pp. -383

Et voyez les procédés du Poëte : ils en disent long sur sa pensée. […] L’éclair de la pensée ! […] C’est que pour Gautier peu importe le sujet, peu importe la pensée. […] Pour eux, la forme irréprochable et la pensée froide furent des mots d’ordre. […] Au fond de leur pensée il y a le désir de : TOUT.

109. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre V. Moralistes. — La Bruyère. »

Ces derniers sont remarquables par une sorte de brusquerie de pensée et de style, qui leur est particulière. […] quelque part sur cet atome, etc. », il reste bien loin de ce morceau de l’auteur des Pensées : « Qu’est-ce qu’un homme dans l’infini ? […] Aucun homme n’a su donner plus de variété à son style, plus de formes diverses à sa langue, plus de mouvement à sa pensée. […] Cette pensée est supprimée dans la petite édition de Pascal avec les notes ; les éditeurs n’ont pas apparemment trouvé que cela fût d’un beau style. […] Ne serait-ce point que nous exprimons des pensées communes en style recherché, tandis que les écrivains du siècle de Louis XIV disaient tout simplement de grandes choses ?

110. (1923) Les dates et les œuvres. Symbolisme et poésie scientifique

René Ghil sentait se développer, exploser soudain la pensée poétique latente en lui, tandis que, pour la pensée directrice, la théorie transformiste l’avait profondément remué, et vivifié. […] Déjà elle a pénétré la pensée à l’étranger. […] Je les aime, qu’ils viennent me dire leurs pensées, leurs desseins. […] Ma pensée première est de leur apporter à nouveau le tribut de ma gratitude. […] Nous ne le pensons pas, trouvant preuve du contraire dans les chefs d’œuvre de la pensée.

111. (1891) Esquisses contemporaines

Son vocabulaire manque des nuances qui font la pensée moderne. […] Toute pensée est représentative et se dissout sans reste lorsqu’on veut la saisir. […] Il n’en peut détourner sa pensée. […] Ma première pensée au réveil, ma dernière en me couchant était pour toi. Et point d’effort dans ces pensées, car tu étais là.

112. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Soulary. Sonnets humouristiques. »

Cristal de dimension étroite, le Sonnet humouristique, composé d’un petit nombre de facettes d’une géométrie régulière, doit donc allier à ce qu’il y a de plus rigoureux dans le langage ce qu’il y a de plus ondoyant dans la pensée ! […] … Dans la lutte en question, ce nouveau poète, qui a choisi le Sonnet pour expression unique de sa pensée et qui en dehors du Sonnet n’existerait peut-être plus, a-t-il déployé une véritable force de poète ? […] Ils coulèrent leur pensée dans ce moule parce que ce moule était à la mode de leurs temps, mais ils l’y ont étriquée, étranglée ; c’étaient des aigles pris à la sauterolle ! […] Faire grand dans la pensée et faire grand dans l’espace du même coup — car la langue, c’est l’espace, — voilà la condition absolue du génie. […] Singulier poète, ou, pour mieux parler, singulière spécialité poétique, qui s’est liée volontairement dans de pareils esclavages, qui a renfermé sa pensée dans la forme étroite au lieu de dilater cette forme autour de sa pensée, je ne le confondrai pas pourtant avec les Vides de ce temps, les poètes de la forme pure, avec les écorces sculptées, qui ne renferment rien, comme les sarcophages des Anciens, qui ne contenaient pas même de cendres, car lui, lui, il a la pensée, il a cette perle malade, mais cette perle de la pensée, dont les feux du diamant de l’art, de la langue et du rythme, ne valent pas le plus pâle rayon !

113. (1831) Discours aux artistes. De la poésie de notre époque pp. 60-88

Les poètes sont des hommes de désir, et c’est leur pensée qui engendre. […] Est-ce à dire que le poète soit trompeur pour voiler ainsi sa pensée ? […] L’un s’éleva de plus en plus vers les pensées infinies, à une hauteur qui ne lui permettait plus d’apercevoir la terre. […] C’est ainsi que l’Humanité de notre temps ayant dépouillé définitivement la pensée sociale et religieuse du Moyen-Âge, eux, qui ont voulu vivre de cette pensée et en faire l’âme de leur poésie, n’ont pu y réussir, malgré l’illusion de la Restauration, qui les a séduits comme un mirage trompe les matelots à la mer. […] Racine analyse des sentiments, comme Condillac des pensées.

114. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Un symbole »

Il y eut peu d’orateurs pour défendre la cause, en ce jour chancelante, de la libre pensée, de la dignité humaine, avant tout, de l’indépendance absolue de l’État vis-à-vis de l’Église. […] N’est-il pas vrai que c’est là votre pensée ? […] N’est-il pas profondément humiliant de voir la pensée de la nation s’associer à un symbole de caractère aussi anti-social ? […] Encore une fois, c’est définitivement qu’il faut choisir entre le papisme et la pensée libre. […] C’est la voix des ancêtres qui vient chaque jour rappeler aux vivants de quelle chair ils sont pétris, quel sang coule en eux, de quelles pensées ils sont les fils.

115. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVe entretien. Vie de Michel-Ange (Buonarroti) »

L’art toscan était né de la pensée et de la main de cet enfant. […] Elle est évidemment dans la pensée de Michel-Ange une allusion à l’ordre dans l’infini. […] On sent le premier jet, mais le premier jet d’une pensée forte. […] ne troublez point la sérénité de vos saintes pensées ! […] La terre a recueilli ton beau corps et le ciel tes saintes pensées !

116. (1890) L’avenir de la science « Préface »

Un mémoire sur l’Étude du grec au Moyen Âge, que j’avais commencé pour répondre à une question de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, absorbait toutes mes pensées. […] Ma pensée, dans son premier état, était comme un fardeau branchu, qui s’accrochait de tous les côtés. […] L’insinuation de la pensée manque de toute habileté. […] L’art de la composition impliquant de nombreuses coupes sombres dans la forêt de la pensée, m’était inconnu. […] Outre le fragment inséré dans la Liberté de penser, qui a été reproduit dans mes Études contemporaines, beaucoup d’autres passages ont coulé, soit pour la pensée seulement, soit pour la pensée et l’expression, dans mes ouvrages imprimés, surtout dans ceux de ma première époque.

117. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame Necker. » pp. 240-263

Le sentiment, en elle, était parfait ; mais, dans sa tête, la pensée était souvent confuse et vague. […] Ailleurs, l’impression naturelle de la comparaison qu’elle emploie va en sens inverse de sa pensée. […] De telles pensées sorties du cœur sont bien faites pour racheter l’exagération de quelques éloges et pour les faire pardonner. […] Sans la suivre dans son argumentation, je ne relèverai que quelques pensées d’une morale pénétrante. […] Ce sont là de ravissantes pensées et rendues d’après nature.

118. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Sainte-Beuve. Les Poésies de Joseph Delorme, Les Consolations, les Pensées d’août. »

Sainte-Beuve Les Poésies de Joseph Delorme, Les Consolations, les Pensées d’août. […] Sainte-Beuve, en ces Pensées d’août qu’aucun soleil d’août n’avait besoin de brûler pour les rendre arides. […] La langue, en effet, est ce qui a subi, dans les Pensées d’août, le plus de déchets effroyables. […] Tel est, sauf de très rares exceptions, le style ordinaire des Pensées d’août, qui déshonorerait de la prose. […] Sainte-Beuve puisse publier, sans retouche, cette œuvre, fausse à force de recherche, des Pensées d’août !

119. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Études sur Blaise Pascal par M. A. Vinet. »

Le docteur Reuchlin dans son ouvrage sur Port-Royal, l’Académie française en proposant l’Éloge de l’auteur des Pensées, M.  […] Pour ceux qui lisent les Pensées, le génie de l’écrivain a quelquefois donné le change sur la méthode et sur le fond. […] La théologie de l’auteur des Pensées, à la bien voir et en la dégageant des accessoires qui n’y tiennent pas essentiellement, porte en plein sur la nature morale de l’homme ; c’est là sa force et son honneur. […] Bourdaloue était vif, il était prompt, impatient peut-être ; quelques mots de son biographe, qui paraît l’avoir bien connu, laissent entrevoir qu’il y avait de la fougue dans son tempérament, et que, dans l’art de maîtriser son cœur, il déploya plus de force encore que dans l’art de maîtriser sa pensée. […] Jamais je n’ai goûté autant la sobre et pure jouissance de l’esprit, et je n’ai eu plus vif le sentiment moral de la pensée.

120. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VIII. La mécanique cérébrale »

Chapitre VIII La mécanique cérébrale Jusqu’ici, nous ne nous sommes occupé que des rapports extrinsèques de la pensée et du cerveau, En effet, que la masse, le poids absolu ou relatif, les lésions matérielles, les développements anormaux, puissent correspondre à un certain degré d’intelligence, ce sont là des relations tout empiriques qui ne disent rien à l’esprit, de simples rapports de coïncidence et de juxtaposition qui laissent parfaitement obscure la question des vrais rapports, des rapports intrinsèques et essentiels du cerveau et de la pensée. […] La vraie science du cerveau devrait donc comprendre, outre la description anatomique de cet organe, une analyse de ses opérations, et nous faire voir comment ces opérations sont liées au résultat final, qui est la pensée. […] Que l’on explique l’invention scientifique, les créations du poète et de l’artiste, la spontanéité du génie, dans l’hypothèse où la pensée se réduirait à la mémoire. Le mécanisme de la mémoire n’expliquerait donc pas la pensée proprement dite. […] « Il est bien vrai, dit-il, que les changements organiques du cerveau font quelquefois disparaître la mémoire des faits qui se rapportent à certaines périodes ou à certaines classes de mots, tels que les substantifs, les adjectifs ; mais cette perte ne pourrait être expliquée au point de vue matériel qu’en admettant que les impressions se fixent d’une manière successive dans des portions stratifiées du cerveau, ce à quoi il n’est pas permis de s’arrêter un seul instant… La faculté de conserver ou de reproduire les images ou les idées des objets qui ont frappé les sens ne permet pas d’admettre que les séries d’idées soient fixées dans telles ou telles parties du cerveau, par exemple, dans les corpuscules ganglionnaires de la substance grise, car les idées accumulées dans l’âme s’unissent entre elles de manières très-variées, telles que les relations de succession, de simultanéité, d’analogie, de dissemblance, et ces relations varient à chaque instant. » Müller ajoute : « D’ailleurs, si l’on voulait attribuer la perception et la pensée aux corpuscules ganglionnaires et considérer le travail de l’esprit, — quand il s’élève des notions particulières aux notions générales, ou redescend de celles-ci à celle-là, — comme l’effet d’une exaltation de la partie périphérique des corpuscules ganglionnaires relativement à celle de leurs parties centrales ou de leur noyau relativement à leur périphérie, si l’on prétendait que la réunion des conceptions en une pensée ou en un jugement qui exige à la fois l’idée de l’objet, celle des attributs et celle de la copule, dépend du conflit de ces corpuscules et d’une action des prolongements qui les unissent ensemble ; si l’on prétendait que l’association des idées dépend de l’action soit simultanée, soit successive, de ces corpuscules, — on ne ferait que se perdre au milieu d’hypothèses vagues et dépourvues de tout fondement72. » De tout ce qui précède, je ne crois pas qu’il soit bien téméraire de conclure que nous ne savons rien, absolument rien, des opérations du cerveau, rien des phénomènes dont il est le théâtre lorsque la pensée se produit dans l’esprit.

121. (1879) Balzac, sa méthode de travail

C’étaient des luttes acharnées pour Balzac que l’élucidation de sa pensée, presque aussi rudes pour ceux qui avaient à y prendre part. […] C’est dire qu’il restait à peine quelques mots de la pensée primitive de l’écrivain. […] L’imprimerie était un laminoir sous lequel sans cesse Balzac faisait passer sa pensée. […] Sur les épreuves l’écriture s’accentue : plus accusée que dans le manuscrit, elle suit le bouillonnement de la pensée. […] La pensée éclate en paraboles qui se projetant en tous sens, font penser à des batteries vomissant des obus et des grenades.

122. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

C’est comme l’anatomie de sa pensée qu’il voulait présenter. […] Ne soyons pas trop sévère pour cette forme indécise de la pensée. […] À la place d’une abstraite nomenclature et du chiffre mort de la pensée, elle nous offre cette pensée unie à un corps, animée de la vie. […] La pensée humaine s’exprime à travers la poésie, comme la pensée divine à travers la nature, par des symboles. […] C’est avec des images vivantes que Dieu nous a parlé sa pensée.

123. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre huitième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Victor Hugo »

Il y a de la volonté dans la pensée, et il n’y en a pas dans le rêve. […] « Quelle terreur pour la pensée, le recommencement perpétuel… toute cette peine pour rien ! […] Pour nous, toute la question est dans la quantité de pensée qui se mêle à la prière. […] Mais la pensée a des ailes, des ailes « au vol profond », et elle s’élancera à la conquête du ciel. […] La pensée du Lac est la pensée épicurienne d’Horace sur la fuite des jours : « Hâtons-nous, jouissons », qui est assez mal fondue avec l’idée de l’océan des âges, et avec le sentiment moderne de l’amour.

124. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

Newton n’eût pas osé tracer les bornes de la pensée, et le pédant que je rencontre veut circonscrire l’empire des mouvements de l’âme ; il voit qu’on en meurt, et croit encore qu’on se serait sauvé en l’écoutant : ce n’est point en assurant aux hommes que tous peuvent triompher de leurs passions, qu’on rend cette victoire plus facile ; fixer leur pensée sur la cause de leur malheur, analyser les ressources que la raison et la sensibilité peuvent leur présenter ; est un moyen plus sûr, parce qu’il est bien plus vrai. […] Dans quels égarements ne s’est pas souvent perdue la pensée qui précède les actions, la pensée, ou quelque chose encore de plus fugitif qu’elle ? […] Je ne sais pas une délibération plus importante que celle qui conduirait à se faire un devoir de causer une peine, ou de refuser un service en sa puissance ; il faut avoir si présent à la pensée la chaîne des idées morales, l’ensemble de la nature humaine ; il faut être si sûr de voir un bien dans un mal, un mal dans un bien. […] des guerriers pendant la paix, des génies dans l’art de la guerre, alors que toutes les pensées se tourneront vers la prospérité de l’intérieur, et que les dangers passés laisseront à peine des traces. […] C’est bien là certainement l’une des causes de la pitié ; mais l’inconvénient de cette définition, comme de toutes, est de resserrer la pensée que faisait naître le mot qu’on a défini : il était revêtu des idées accessoires et des impressions particulières à chaque homme qui l’entendait, et vous restreignez sa signification par une analyse toujours incomplète quand un sentiment en est l’objet ; car un sentiment est un composé de sensations et de pensées que vous ne faites jamais comprendre qu’à l’aide de l’émotion et du jugement réunis.

125. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre VII. De la propriété des termes. — Répétition des mots. — Synonymes. — Du langage noble »

Quand on a dit tout ce qu’on pensait, comme on le pensait, on a bien dit : le défaut, s’il y en a, est de la pensée. […] Vous qui commencez à écrire, ne déguisez pas la platitude de la pensée sous la prétention du style : parlez platement, tant que vous ne penserez pas mieux. […] La condition de tout progrès, c’est de toujours mesurer son langage à sa pensée, et de ne viser qu’à parler avec propriété. […] Cette propriété, cette équivalence exacte de la pensée et de l’expression, font qu’on ne conçoit point que l’écrivain, pensant ainsi, eût pu s’exprimer différemment, et qu’il semble à tous que, le fond étant tel, la forme devait être telle aussi par une inévitable conséquence. […] Un des bienfaits les moins contestés du romantisme fut de rompre ces entraves de la pensée, et de mettre à la disposition de l’écrivain tout ce que contenait la langue : on comprit que proscrire des mots, c’était proscrire des idées.

126. (1894) Propos de littérature « Chapitre II » pp. 23-49

Il n’est pas facile en effet d’analyser la pensée de deux hommes qui n’ont pas encore achevé leur œuvre. […] La pensée philosophique doit être le naturel fondement mais non le but du poème dont la fonction est avant toute chose de créer de la beauté. […] Les Formes sont le verbe de l’être qui écrivit avec des mondes sa pensée ou lui-même. […] Alors l’artiste oublie que la pensée pour la pensée est, selon le grand Art, un pire mensonge que la forme pour la forme ; que, si celle-ci est un idéal borné pour qui peut regarder au-dessus de son front, celle-là se développe plus naturellement dans la science et n’a que faire avec la Beauté pure dont il est prêtre. […] Ces vers ne sont point d’expression directe, car la pensée est constamment présentée par une image.

127. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Joubert » pp. 185-199

 » L’idée, pour lui comme pour Platon, « c’est le résultat, l’esprit, l’essence des pensées. […] Il ne cherchait que le plaisir d’achever sa pensée pour le plaisir d’achever sa pensée. « Achever sa pensée ! […] Les pensées achevées n’ont pas besoin d’être belles pour plaire. […] L’un de ces deux volumes est fait avec les petites feuilles de Joubert, avec toutes ces pensées détachées… détachées de quoi ?

128. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVII. Saint-Bonnet »

Habitué à la méditation philosophique, à ce reploiement de la pensée qui s’aiguise en se pénétrant, il a entrepris de dégager cette loi de déduction qui, chez les autres écrivains, n’avait encore été qu’indiquée, et de la faire toucher par tant de côtés et à tant de reprises à ses lecteurs, qu’il fût impossible de la nier. […] Saint-Bonnet, pour être frappé comme il convient de toutes les qualités d’exécution de sa pensée. […] Devenue panthéiste sur les sommets de la pensée et socialiste dans le terre-à-terre de la pratique et de la réalité, cette révolution intellectuelle qui fait l’intérim de la révolution politique en attendant son retour, est pour M.  […] Mais, comme tous les grands esprits philosophiques qui savent que les mots représentent la pensée, qui poinçonnent la langue et donnent le vocabulaire de leurs conceptions, M.  […] Saint-Bonnet paraît seul avoir saisi la question là où elle est réellement, c’est-à-dire dans l’état effrayant de la pensée européenne et dans la nature de l’esprit humain.

129. (1892) Boileau « Chapitre IV. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » » pp. 89-120

Il faut une transposition continuelle d’idées et de termes pour obtenir la pensée de Boileau en son vrai sens, dans son vrai jour. […] Mais qu’est-ce qu’une pensée vraie, en poésie ? […] Il avait mis la sincérité absolue dans sa pensée, la simplicité absolue dans son style. […] « Qu’est-ce qu’une pensée neuve, brillante, extraordinaire ?  […] Et il répond par un des mots vraiment profonds qu’il ait jamais écrits : « Ce n’est point, comme se le persuadent les ignorants, une pensée que personne n’a jamais eue ni dû avoir : c’est au contraire une pensée qui a dû venir à tout le monde et que quelqu’un s’avise le premier d’exprimer. » Les grandes découvertes de la science sont des pensées qui devaient venir à tout le monde, et qui ne viennent qu’à quelques-uns.

130. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Introduction. Le problème des idées-forces comme fondamental en psychologie. »

De même, la question de savoir si ma pensée représente les phénomènes extérieurs présuppose l’action combinée des mouvements externes et de mes sensations ou appétitions internes ; la pensée représentative n’est donc qu’un dérivé. […] On aurait beau combiner de mille manières des atomes psychiques, on n’en ferait pas sortir un plaisir ou une douleur, une pensée, une volition. […] La douleur, la pensée, la volition sont toujours la douleur de quelque être, la pensée de quelqu’un, quoiqu’il n’importe pas que ce soit Pierre ou Paul. […] Ils pourraient même découvrir et démontrer que, quand Aristote avait la pensée de sa pensée, il sentait un mouvement jusque dans la plante des pieds, d’une part, et, de l’autre, jusque dans la plus petite pointe de ses cheveux. Comment un être vivant ne vibrerait-il pas tout entier à tout instant dans chacune de ses pensées ?

131. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « M. DE LA ROCHEFOUCAULD » pp. 288-321

Courant ainsi d’avance, ces pensées excitaient des contradictions, des critiques. […] Dans la jeunesse, les pensées me venaient en sonnets ; maintenant c’est en maximes. […] Vauvenargues répète cette pensée en deux endroits, presque dans les mêmes termes. […] Cette pensée fait songer à Villemain, comme la précédente à Cousin. Plus loin, en marge de la pensée XLVII, je lis écrit au crayon sur un ancien exemplaire le nom de Nisard.

132. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre III. La poésie : V. Hugo et le Parnasse »

Impuissant à penser, il a le respect, la religion de la pensée : il a l’ambition d’être un penseur. […] Impropre à la pensée pure et à la logique idéale, il a philosophé avec sa faculté dominante, à grands coups d’imagination. […] Ainsi la pensée devient hallucination, le raisonnement description : au lieu d’un philosophe nous avons un visionnaire. […] Seulement la métaphore chez lui n’est pas un procédé d’écrivain laborieux, c’est, comme je l’ai dit, l’allure spontanée de la pensée. […] N’était la valeur de la pensée philosophique, on croirait par endroits lire un discours de Voltaire.

133. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VI. Daniel Stern »

Le mot de madame, dès qu’on l’écrit ou qu’on le prononce, désarme et attendrit la pensée. […] La maigreur de sa pensée l’a préservée de ce malheur de la forme ! […] Au milieu de toute votre allemanderie, vous vous ressouvenez du tour de La Bruyère et vous en ornez votre pensée. […] « Les devoirs de la maternité, dit-elle, sont compatibles avec les grandes pensées. […] Ce mot-là (Dieu) recouvre, dit-elle, pour la plupart de ceux qui l’emploient, par son ampleur, le vide de la pensée.

134. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIIe entretien » pp. 87-159

Si les pensées font les langues, comme nous l’avons dit au commencement, les langues aussi font les pensées. Là où il n’y a pas de mot, la pensée meurt, ou naît embarrassée et confuse dans ses langes. […] Ce ne sont pas des vers, ce n’est pas de la prose, ce sont des limbes de la pensée. […] Le français, depuis la Bruyère, devint propre à être au besoin l’algèbre des pensées. […] Nous dirions donc : Le style est la physionomie de la pensée.

135. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vigny, Alfred de (1797-1863) »

L’épée et la plume étaient dignes de sa main loyale ; s’il souffrit toujours, c’est parce qu’il ne voulut jamais rester étranger à la misère des siens, et nulle mauvaise pensée ne troubla l’ineffable sincérité de son beau sourire ! […] J’habite encore les sommets neigeux où m’a conduit sa pensée et d’où le monde apparaît comme étouffé dans une brume sanglante. […] celui-là est bien un poète qui porte en soi le grand fardeau des souffrances communes, dont les indignations naissent d’une pensée invinciblement paternelle, en qui se résume l’angoisse d’un siècle ou l’inquiétude d’une race ! […] On relira éternellement cette page du Mont des Oliviers, et, à travers ces beaux vers et ces magnifiques pensées, on peut entendre comme le sanglot viril du poète. […] Ni les images, ni les mots ne s’empressent d’eux-mêmes à son service, ou n’obéissent à l’appel de sa pensée, mais il lui faut les attendre ou les chercher ; et il ne les trouve pas toujours.

136. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’avenir du naturalisme »

Nous savons donc, sans nulle erreur possible, d’où procède le naturalisme et nous pourrons, cette base une fois reconnue, en découvrir tout-à-l’heure la pensée profonde. […] Voilà ce qu’il importait de fixer au début ; car toute son œuvre, toute sa pensée reposent sur cette base. […] A une littérature de mort succède une pensée de vie. […] Une pensée vivante en perpétuelle action contre la tradition mensongère, tel est le spectacle qu’il nous présente.‌ […] Nous avons dû résumer en quelques lignes très imparfaites la transformation la plus profonde peut-être de la pensée moderne.

137. (1904) Zangwill pp. 7-90

J’ai donc bien le droit, j’ai le devoir de chercher dans Renan et dans Taine la première pensée du monde moderne, la pensée de derrière la tête, comme on dit, qui est toujours la pensée profonde, la pensée intéressante, la pensée intérieure et mouvante, la pensée agissante, la pensée cause, la source et la ressource de la pensée, la pensée vraie ; et pour trouver l’arrière-pensée de Renan, passant à l’autre bout de sa pleine carrière, on sait que c’est dans les dialogues et les fragments philosophiques, dans les drames qu’il faut la chercher ; je me reporte aux Dialogues et fragments philosophiques, par Ernest Renan, de l’Académie française, quatrième édition ; je sais bien que la citation que je vais faire est empruntée à la troisième partie, qui est celle des rêves ; certitudes, probabilités, rêves ; je sais que mon personnage est celui de Théoctiste, celui qui fonde Dieu, si j’ai bonne mémoire ; je sais que les objections lui sont présentées par Eudoxe, qui doit avoir bonne opinion ; je n’oublie point toutes les précautions que Renan prend dans sa préface ; mais enfin mon personnage dit, et je copie tout au long ; je passe les passages où ce Théocrite rêve de la Terreur intellectuelle ; nous y reviendrons quelque jour ; car ils sont extrêmement importants, et graves ; et je m’en tiens à ceux où il rêve de la Déification intellectuelle : « Je vous ai dit que l’ordre d’idées où je me tiens en ce moment ne se rapporte qu’imparfaitement à la planète Terre, et qu’il faut entendre de pareilles spéculations comme visant au-delà de l’humanité. […] « L’homme ne s’arrête guère à cette pensée qu’un pas, un mouvement de lui écrase des myriades d’animalcules. […] Je défie avec cela le malheur de m’atteindre ; je porte avec moi le parterre charmant de la variété de mes pensées. […] Marc-Aurèle n’a la réputation qu’il mérite que parce qu’il a été empereur et qu’il a écrit ses pensées. […] Imprimons-les même, puisque celui qui s’est livré au public lui doit tous les côtés de sa pensée.

138. (1928) Les droits de l’écrivain dans la société contemporaine

Comment aurait-on songé à protéger la pensée ? […] La liberté de pensée n’a jamais été autre chose que le droit de libre discussion. […] Et puisque l’héritage est perpétuel, celui des hommes de pensée doit l’être également. […] Je vois même, sous l’influence du développement industriel, la pensée s’étioler. […] C’est là une pensée de résigné, d’impuissant, d’esclave, une pensée de traître qui ne croit pas à cette terre, à cette civilisation, à cette vie.

139. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre V. De la lecture. — Son importance pour le développement général des facultés intellectuelles. — Comment il faut lire »

Parfois, quand on est jeune, on se pique d’originalité et l’on prétend penser des choses qu’aucune intelligence humaine n’ait encore pensées. […] Je ne sais si la prétention à l’originalité ne couvre pas souvent un bon fond de paresse, et si l’on ne veut pas penser par soi-même pour se dispenser d’apprendre les pensées des autres. […] Ils s’efforceraient de dégager la pensée, le sentiment de toutes les circonstances personnelles et locales. […] « En traversant le milieu d’une pensée sincère, dit M.  […] Et puis il n’est pas question de reformer les pensées d’autrui : il est question de former les vôtres, et dans l’étoffe commune il faut tailler à votre mesure.

140. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre II. Diderot »

Son esprit avait gardé la promptitude à virer : mais il avait égalé l’impétuosité de son élocution à la rapidité de sa pensée. […] Tout ce qu’il n’avait pas pu dire dans ses articles, il le jetait dans d’autres ouvrages ; ce n’était pas pour la gloire, ni pour le gain qu’il écrivait : c’était pour lui, pour évacuer sa pensée. […] Il a besoin qu’un choc du dehors mette en mouvement les tourbillons de sa pensée, il ne peut donner lui-même la chiquenaude. […] Non : car d’abord, chez Diderot, le choc n’est pas une émotion quelconque, un fait de son expérience, c’est le choc d’une pensée qui a essayé de se traduire par la parole ou l’art ; puis le détachement de la cause extérieure et de sa pensée interne ne se fait pas ; son œuvre, si vaste qu’elle soit, reste, si je puis dire, épinglée en marge du livre d’autrui ; Diderot est un étourdissant commentateur, plus intéressant souvent que son texte. […] Là, comme ailleurs, la méthode de Diderot consiste à suspendre sa pensée à la pensée d’autrui, en digressions à perte d’haleine ; les tableaux, les statues offrent un débouché de plus au bouillonnement interne de sentimentalité, de réflexion, d’imagination qui fermente en lui.

141. (1730) Des Tropes ou des Diférens sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue. Traité des tropes pp. 1-286

C’est aux rhéteurs à parler de ces sortes de figures, aussi bien que des figures de pensées. […] Je vais faire entendre ma pensée par cet exemple. […] stile signifie aussi par figure la manière d’exprimer les pensées. […] En ce sens la comunication est une figure de pensée, et par conséquent elle n’est pas de mon sujet. […] Les interprètes d’acord entre eux pour le fonds de la pensée, ne le sont pas etc.

142. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 459-462

PASCAL, [Blaise] né à Clermont en Auvergne, en 1623, mort à Paris en 1662, Génie qui a su allier l’énergie des pensées avec l’élégance & la pureté du langage, ce qui le place, sans contredit, parmi les meilleurs Ecrivains du Siecle de Louis XIV. […] Le même Ecrivain n’a pas été aussi judicieux à l’egard des Pensées de Pascal sur la Religion. Pouvoit-il oublier que ces Pensées ne sont que des éruptions intermittentes d’un esprit accoutumé à réfléchir profondément, & auxquelles les infirmités continuelles de l’Auteur n’ont pas permis de donner de la liaison & de la suite, comme il en avoit l’intention ? […] Tout au plus on peut reprocher aux Pensées de Pascal, de trop se ressentir du caractere caustique & de la mélancolie habituelle de leur Auteur. […] Ses Pensées, nous le répétons, étonnent l’imagination & remuent le cœur.

143. (1887) Essais sur l’école romantique

Mais, en retour, que de vagues pensées ! […] C’est d’abord, pour le fond, un abus de pensées bibliques. […] Le poète est un ; s’il a de hautes pensées, il a une belle langue, car ce sont les pensées qui font les écrits. […] Voulez-vous que je vous dise toute ma pensée ? […] Dans l’un comme dans l’autre, la mémoire a remplacé la pensée.

144. (1902) L’œuvre de M. Paul Bourget et la manière de M. Anatole France

Bourget, c’est à quel point sa pensée s’est révélée mûre, dès le principe. […] Et il aura observé en même temps qu’une pensée se cache derrière l’œuvre de notre écrivain, — inflexible et cruelle comme le sens de la vie aux yeux d’un déshérité, inquiétante comme l’hypocrisie d’un jour désespérément égal, — la pensée de ce que nous signifions dans l’absolu. […] Au contraire, la pensée réellement autonome ne se laisse pas facilement vêtir ; elle est d’essence impondérable et conçoit l’auguste et l’inexprimé. […] Et l’on pourra se demander, en s’en convainquant, si, de ce qui convient à une pensée vraiment forte à ce que M.  […] Les choses, à même lesquelles la pensée du philosophe se forme, n’offrent pas d’harmonie tangible ; elles en offrent d’intelligible.

145. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIV. »

Il a songé dans sa pensée aux tentes mobiles, aux retranchements forcés, à la lance flamboyante des escadrons, au torrent des coursiers qui s’élancent, au commandement rapide et à la prompte obéissance. […] Toutes les mémoires nous préviennent, à la pensée des vers sur d’Enghien et sur Napoléon. […] ce qui était imposé de souffrance et d’énergie à la vie active rendit une force nouvelle à la pensée. […] « Ténébreux torrent, combien ta vue élève ma pensée ! […] Mais dona Gomez, avec la maturité de l’âge et de la douleur, trouva mieux encore dans son âme, et l’indépendance même de la pensée vint donner à ses vers un accent original.

146. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre premier. Que personne à l’avance ne redoute assez le malheur. »

Ce mot terrible, le malheur, s’entend dans les premiers jours de la jeunesse, sans que la pensée le comprenne. […] On se sent saisi par une seule idée, comme sous la griffe d’un monstre tout puissant, on contraint sa pensée, sans pouvoir la distraire ; il y a un travail dans l’action de vivre qui ne laisse pas un moment de repos ; le soir est la seule attente de tout le jour, le réveil est un coup douloureux qui vous représente chaque matin votre malheur avec l’effet de la surprise. Les consolations de l’amitié agissent à la surface, mais la personne qui vous aime le plus, n’a pas, sur ce qui vous intéresse, la millième partie des pensées qui vous agitent ; de ces pensées qui n’ont point assez de réalité pour être exprimées, et dont l’action est assez vive cependant pour vous dévorer, excepté dans l’amour, où en parlant de vous, celui qui vous aime s’occupe de lui ; je ne sais comment on peut se résoudre à entretenir un autre de sa peine autant qu’on y pense ; et quel bien, d’ailleurs, en pourrait-on retirer ? […] L’horizon recule devant soi à mesure que l’on avance ; on essaye de penser pour vaincre les sensations, et les pensées les multiplient ; enfin, l’on se persuade bientôt que ses facultés sont baissées, la dégradation de soi flétrit l’âme, sans rien ôter à l’énergie de la douleur ; il n’est point de situation dans laquelle on puisse se reposer, on veut fuir ce qu’on éprouve, et cet effort agite encore plus ; celui qui peut être mélancolique, qui peut se résigner à la peine, qui peut s’intéresser encore à lui-même, n’est pas malheureux. […] La souffrance est alors le centre de toutes les pensées, elle devient le principe unique de la vie, on ne se reconnaît que par sa douleur.

147. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

Cependant la pensée et le talent ont aussi leur droit, nullement contradictoire à l’intérêt de la société, qui doit ses progrès au talent et à la pensée. […] Nos pensées ne lui ajoutent rien : il ajoute sans cesse à nos pensées. […] Sainte-Beuve a été fidèle à sa méthode, et si la pensée (car qu’est-ce que l’observation sans la pensée ?) […] Ce n’était que la pensée de Port-Royal. […] Or, telle est la pensée du livre de M. 

148. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Appendice »

Je continue cependant avec courage l’avancement de ma pensée. […] C’est, en effet, vers un avenir ultérieur que se dirigent mes pensées, depuis que ma position actuelle est fixée. […] Songez-y, jurer de l’avenir de sa pensée ! […] Excusez donc le désordre de mes pensées. […] Moi, j’aime mieux caresser ma petite pensée et ne pas mentir.

149. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. (Les Pleurs, poésies nouvelles. — Une Raillerie de l’Amour, roman.) » pp. 91-114

La pensée lyrique, et surtout la portion la plus molle, la plus délicate de celle-ci, la pensée élégiaque, intime, craignait un peu le moment de la victoire à cause du bruit et de l’invasion des profanes ; elle insistait avec une sorte de timidité superstitieuse sur cette interdiction quasi pythagoricienne : Odi profanum vulgus et arceo. […] Surtout elle ne prenait pas, comme la pensée élégiaque, les langueurs de la traversée pour le but de ses espérances. […] La pensée dramatique à laquelle nous faisions allusion plus haut, et qui est la sienne, préexistait déjà à sa pensée lyrique ; elle a traversé elle-ci sans s’y attiédir, et en est sortie impétueuse, inflexible, comme d’un lac où, à sa source, elle était tombée. Mais la pensée intime, élégiaque, mélancolique, que fera-t-elle ? […] En lisant Mme Valmore, ces pensées nous revenaient.

150. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Lettres de Rancé abbé et réformateur de la Trappe recueillies et publiées par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont-Ferrand. »

Une pensée historique ressort avec évidence de la lecture de ces lettres de Rancé et jusque du sein de la réforme qu’il tente avec une énergie si héroïque : c’est que le temps des moines est fini, que le monde n’en veut plus, ne les comprend ni ne les comporte plus. […] Voilà, Monsieur, la pensée la plus naturelle et la plus utile que puisse nous donner la vue du plus superbe de tous les tombeaux. » Sur quoi l’abbé Nicaise, en vrai littérateur qu’il est, s’empare des paroles mêmes de Rancé pour en faire un nouvel enrichissement à son tombeau et à sa dissertation ; il n’a garde de laisser tomber de si magnifiques pensées sans en profiter comme auteur, sinon comme homme. […] C’est une pensée qui a été suivie de beaucoup de réflexions ; voilà comme quoi on profite de tout. » Les lettres à l’abbé Nicaise, à part ces éclairs passagers, sont d’ailleurs remplies de pensées graves, élevées, fondamentales, de fréquents rappels à ce moment qui doit décider pour jamais de nos aventures . […] Quelle plus haute pensée, par exemple, que celle-ci, qui pourrait servir comme d’épigraphe et de devise à la vie du grand réformateur : « Il faut faire de ces œuvres et de ces actions qui subsistent indépendamment des passions différentes des hommes !  […] Ce passage, lu dans le Journal des Débats par Mme Swetchine, a passé depuis dans ses Pensées et a été imprimé sous son nom.

151. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre I. Influence de la Révolution sur la littérature »

A parler en général, elle n’a jamais été plus insignifiante, de forme plus vulgaire ou plus factice, plus médiocre ou plus fausse de pensée. […] En suspendant pendant dix ou douze ans la vie mondaine, elle a soustrait la littérature aux conventions de pensée et aux élégances de diction que celle-ci imposait. […] Lorsqu’un nouvel ordre s’établit, la littérature n’est plus tout à fait au point où elle était en 1789 : plus affranchie du goût mondain, de l’esprit, de l’analyse, de la finesse piquante, moins intelligente, elle s’est vidée de pensée en harmonisant ses formes. […] Au reste, c’était bien là la littérature que pouvait encourager une autorité despotique, défiante de toute pensée indépendante, et de la pensée elle-même en son essence. […] Il tire constamment l’âme et l’esprit au dehors ; il ne laisse pas l’homme rentrer en lui-même, élaborer une lente et solide pensée.

152. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 196-203

Nous ne parlerons pas de ses Poésies : on convient généralement qu’elles sont mauvaises, quoiqu’elles fourmillent de pensées ingénieuses, galantes, philosophiques ; ce qui prouve combien M. d’Alembert s’est abusé, en avançant d’un ton dogmatique, que les pensées font le premier mérite des Vers. […] Ses expressions sont vives, justes, pittoresques, pleines d’imagination, de délicatesse ; ses pensées, fines, ingénieuses, profondes ; ses réflexions, lumineuses, & le plus souvent vraies. […] Il ne s’est attaché qu’à ce qu’il y a de plus délicat dans leurs Ouvrages, & il a eu l’art de s’approprier leurs pensées, en leur donnant une tournure qui n’appartient qu’à lui. […] Qu’on en cite les morceaux les mieux pensés, le plus exactement écrits, & qu’on les compare avec ceux que nous allons prendre au hasard dans les Œuvres de Saint-Evremont : on verra, d’un côté, des pensées communes, énoncées avec une prétention froide & géométrique ; de l’autre, des idées fines & profondes, développées avec délicatesse & vivacité.

153. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre IV. Le mécanisme cinématographique de la pensée  et l’illusion mécanistique. »

Et pourtant elle est souvent le ressort caché, l’invisible moteur de la pensée philosophique. […] Posons donc le Dieu d’Aristote, pensée de la pensée, c’est-à-dire pensée faisant cercle, se transformant de sujet en objet et d’objet en sujet par un processus circulaire instantané, ou mieux éternel. […] C’est le progrès d’une pensée qui change au fur et à mesure qu’elle prend corps. […] La structure intime de notre pensée correspond, pièce à pièce, à l’ossature même des choses. […] Nous y comparions le mécanisme de la pensée conceptuelle à celui du cinématographe.

154. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre septième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie. »

. — Un des traits caractéristiques de la pensée et de la littérature à notre époque, c’est d’être peu à peu envahies par les idées philosophiques. […] Et toutes ces pensées, jusque-là silencieuses, forment un chœur innombrable dont la voix retentit en vous. […] Dieu, selon Jocelyn, est supérieur à la pensée humaine comme il est supérieur à la nature. […] Malgré cela, le problème du mal a inquiété sa pensée autant que quelque chose pouvait l’inquiéter. […] Mais, si vous cherchez une pensée vigoureuse et soutenue, ce n’est pas à Musset qu’il faut la demander.

155. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre II : Examen critique des méditations chrétiennes de M. Guizot »

Je suis entré dans la vie de la pensée par l’histoire et la philosophie de l’histoire. […] Cette difficulté portait sur le singulier accord que nous avions cru remarquer entre la pensée de M.  […] Le positivisme, dans son esprit, dans sa vraie idée, dans la pensée d’Aug. […] Or, quelque effort que je fasse, il m’est impossible ici de ne pas voir une seule et même pensée chez M.  […] Ici, il n’a pas osé dire toute sa pensée ; c’est que la philosophie spiritualiste est aussi impuissante que les autres.

156. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre X. Les sociales »

Dans le cadavre lui répète, la pensée devient une morte et on n’enseigne point le rythme libre de la vie. […] Tout en secouant à vos paroles enthousiastes une tête sceptique, j’aime votre pensée et le sentiment d’où elle jaillit. […] Quand l’individu est mort qui combattit le mal social, les puissants s’emparent de son nom, et ils faussent et tordent sa pensée jusqu’à s’en faire une couronne. […] Tu ne jouis pas de la pensée : tu jouis un peu de l’espoir et du désir de la pensée ; tu es heureux surtout de voir que nous croyons à tes bonnes fortunes. […] C’est toi qui inclines France à tant de pastiches de style et de pensée.

157. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

Revenons avec Vauvenargues à la pureté de la langue, à la sérénité des pensées et à l’intégrité morale. […] En lui on sent au contraire que l’esprit ne s’est fixé à l’état de pensée et de maxime, que faute d’avoir pu se déployer et sortir en action. […] Parmi les personnes qui ont le plus feuilleté Vauvenargues et qui aiment à citer de lui des Pensées, il en est peu, on ose l’affirmer, qui aient étudié exactement cette première partie de ses écrits, et qui aient bien cherché à se rendre compte de sa théorie véritable. […] Il l’a pourtant, cette conception de l’ordre universel, et, jusque dans ses fragments de pensées, il le prouve par d’assez belles marques. […] Mais ce qu’il est surtout et dès l’abord, c’est un excellent écrivain, ne participant en rien aux défauts du jour, et puisant dans la sincérité de sa pensée une expression nette et lumineuse.

158. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Saint-Bonnet » pp. 1-28

Les grands livres dont la pensée fait surtout la grandeur n’ont point de grands succès immédiats. […] Puisque, comme Dieu, la pensée est éternelle, elle doit être patiente comme lui. […] Seulement, poussant plus avant, en raison des habitudes et de la puissance métaphysique de sa pensée, il a fait trouée, lui, jusque dans l’argumentation philosophique. […] Voilà cet homme, qui avait le génie de l’âme, plus rare que le génie de la pensée, quoique le génie de la pensée, il l’eût aussi. […] Où les Schopenhauer et les Hartmann, ces grimaçantes et risibles caricatures de la Pensée, sont quelque chose, lui, l’auguste esprit ne doit être rien.

159. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « J. de Maistre » pp. 81-108

Et non seulement en lui, l’homme de génie, comme dans tout homme de génie, il n’y eut qu’une pensée, mais c’est que cette pensée fut la pensée même de l’unité ! […] Que si son dernier mot fut un mot de désespoir, c’est que cette unité tardait trop, au gré de son ardente pensée ! […] Dans la pensée comme dans la vie, il eut le calme des grandes convictions, qui font le fond des plus grands génies. […] Donner ta pensée aux hommes qui n’existent pas encore ? […] » Tel est l’accent de Joseph de Maistre, en ses œuvres, quand il y parle pour le propre compte de sa pensée.

160. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Deuxième série

Il avait une grande pensée, puisqu’il voulait relever le pouvoir spirituel ; il n’y a pas de plus grande pensée dans le monde ; mais il avait une grande pensée dans un petit esprit. […] Il y a ramené toutes ses préoccupations et toutes ses pensées. […] Quand il n’a pas une pensée religieuse, il ne pense pas. […] Sa pensée y devint pins calme, plus sereine et plus élevée. […] Exerce à cela constamment ta pensée.

161. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre V. Des orateurs anciens et Modernes. » pp. 223-293

Il pensoit fortement, mais ses pensées étoient affoiblies par ses expressions où il mettoit trop de recherche. […] La grandeur des pensées releve chez lui la vivacité des peintures. […] Enfin cette profondeur pénible qui affecte d’enfermer dans une pensée le germe de vingt pensées, est le poison de l’éloquence déclamée ; & c’est celle pour laquelle les Orateurs du jour montrent le plus de goût. […] C’est la pensée de Pope, & c’est celle qu’on peut appliquer à beaucoup de discours académiques. […] Il a eu, comme tous les bons Ecrivains, le style de sa pensée.

162. (1870) La science et la conscience « Chapitre I : La physiologie »

Jusqu’ici pourtant la lutte n’était qu’entre des doctrines spéculatives, et l’esprit s’agitait dans les hautes régions de la pensée. […] Descartes fait résider le principe même de la pensée dans la glande pinéale. […] C’est dans les développements et les explications qu’il faut chercher la vraie pensée des physiologistes de l’école dont nous parlons. […] Sans doute, quand Cabanis définit la pensée une sécrétion du cerveau, quand M.  […] C’est la pensée d’Aristote, lequel fait de l’âme la cause finale du corps ; c’est la doctrine de Stahl, qui enseigne que toute âme crée son corps.

163. (1902) Le culte des idoles pp. 9-94

Ce qu’il se proposait, c’était moins de convaincre que d’exprimer nettement, avec force, sa pensée. […] Je ne crois pas qu’il y ait trace dans la pensée moderne française d’une influence pareille. […] Le radotage de la même pensée seul est à éviter, mais souvent la même idée doit revenir dans l’expression de deux ou trois pensées différentes, et par suite le même mot. […] La pensée de Nietzsche n’est donc pas originale, et sa forme n’est pas toujours du meilleur goût. […] C’est le caractère d’un écrivain, sa nature, qu’il faut considérer, et non pas sa pensée.

164. (1904) En méthode à l’œuvre

Or, l’entière suggestion dont nous parlons, et qui pour les persuasions ou les saillies en vertige de l’Idée, tient au sens idéographique des mots mais en même temps à leur phonétisme, ne peut naître que si la langue est traitée en son origine phonétique retrouvée et arrivant à une Musique des mots : matière, d’identique qualité, de la pensée qui agit et possède. […] Mais le devoir est : De savoir et de penser, selon en premier lieu le savoir et la pensée du savant qui expérimenta. […] L’expression de la voix humaine se ramène essentiellement à trois éléments : d’émotivité instinctive, d’imitation (phonétique, graphique, colorée) des phénomènes extérieurs, — et de sentiment et de pensée. […] Incohérence étrange, vraiment : la pensée déroule ses phases et le mode en lequel elle agit demeurerait constant ! […] (Plastiquement, pour que se sentent davantage des directions de pensée et de musique ascendantes ou déclinantes, nous irons à marquer l’intervalle en cassure du vers, soudainement.)

165. (1856) Cours familier de littérature. II « IXe entretien. Suite de l’aperçu préliminaire sur la prétendue décadence de la littérature française » pp. 161-216

Mais plus la pensée est pensée, moins elle pèse ! […] Sa cause ne fut point dans des hasards ; elle fut dans une pensée : cette pensée, rapide et universelle comme tous les mouvements intellectuels de ce pays où la main est si près de la tête, s’était développée d’abord dans sa littérature. […] Il y a une république dans cette monarchie ; c’est la république de la pensée. […] Or, la révolution était une pensée. Quelle était cette pensée ?

166. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vii »

Pensée nette, pensée dure, où la sagesse a le ton tranchant de la jeune inexpérience. […] Parfois il revenait sur ses luttes épiques d’avant guerre et, si jeune, il revisait ses actes et ses pensées. […] C’est Patriotes, le nom de famille. » Je ne fais rien dans ce livre que me conformer à la pensée, à la volonté de la Ligue. […] On trouvera un écho de leur pensée dans le chapitre que je dédie aux socialistes, aux libres-penseurs, aux pacifistes, aux internationalistes. […] Une sorte de poussière recouvre leur pensée ; mais ils existent très nombreux et pour les voir en beauté on peut songer à Renouvier.‌

167. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre VI. L’espace-temps à quatre dimensions »

Mais supposons que notre observateur se mette par la pensée dans le système S, par rapport auquel S′ est censé en mouvement. […] La métaphysique de la plupart des métaphysiciens n’est donc que la loi même du fonctionnement de l’entendement, lequel est une des facultés de la pensée, mais non pas la pensée même. […] Mille opérations diverses, accomplies par la pensée, le recomposeraient aussi bien idéalement, quoiqu’il ait été composé effectivement d’une certaine et unique manière. […] La pensée ne saurait y loger un événement, si court fût-il, pas plus qu’on ne pousserait un meuble dans le salon aperçu au fond d’une glace. […] Et l’amalgame n’existe que dans sa pensée.

168. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VII. Développement des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

Rappelons-nous que la première pensée de Jésus, pensée tellement profonde chez lui qu’elle n’eut probablement pas d’origine et tenait aux racines mêmes de son être, fut qu’il était le fils de Dieu, l’intime de son Père, l’exécuteur de ses volontés. […] Une révolution radicale 352, embrassant jusqu’à la nature elle-même, telle fut donc la pensée fondamentale de Jésus. […] Déjà la Grèce avait eu sur ce sujet de belles pensées 355. […] La pensée de Jésus en ceci n’hésita jamais. […] Le sentiment qui a fait de « mondain » l’antithèse de « chrétien » a, dans les pensées du maître, sa pleine justification 366.

169. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface des « Burgraves » (1843) »

L’auteur des pages qu’on va lire était déjà préoccupé de ce grand sujet qui dès longtemps, nous venons de le dire, sollicitait intérieurement sa pensée, lorsqu’un hasard, il y a quelques années, le conduisit sur les bords du Rhin. […] La voici : Reconstruire par la pensée, dans toute son ampleur et dans toute sa puissance, un de ces châteaux où les burgraves, égaux aux princes, vivaient d’une vie presque royale. […] Après avoir, comme il vient de l’indiquer et sans dissimuler d’ailleurs son infériorité, ébauché ce poëme dans sa pensée, l’auteur se demanda quelle forme il lui donnerait. […] Le théâtre doit faire de la pensée le pain de la foule. […] Quand il l’aura fait, on saisira mieux l’ensemble des ouvrages qu’il a produits jusqu’ici ; on en pénétrera la pensée ; on en comprendra la cohésion.

170. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Raymond Brucker » pp. 27-41

Ils croulaient par la conscience, la meilleure assise de nos œuvres et de nos pensées. […] Mais, aujourd’hui, précisément celui des deux auteurs que nous venons de charger davantage revient sur sa propre pensée, Puisqu’il l’a corrigée, c’est lui qui l’a flétrie. […] Tant d’acharnement dans un homme de pensée comme M.  […] Parmi les livres que la pensée de M.  […] Raymond Brucker a eu la pensée d’aborder le théâtre.

171. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Edgar Poe »

Êtres inouïs dont on aime jusqu’aux ténèbres, et dont la pensée, obscure toujours, s’étoile par moments comme le noir de la nuit ! […] Ivre de civilisation matérielle, l’auteur de l’Aéronaute hollandais perd le meilleur de sa pensée dans cette lourde ivresse. […] Edgar Poe s’y dégagera-t-il davantage des influences opprimantes qui ont brisé sa vie et qui asservissent sa pensée ? […] les deux plus monstrueux caractères de sa pensée. […] Revanche de la pensée, cette force spirituelle contre l’immoralité fangeuse de la vie, ce fut sa grande anxiété, à cet Hamlet américain !

172. (1902) La poésie nouvelle

Quoi qu’il en soit, la régularité du vers et de la strophe aboutit à constituer une forme poétique antérieure à la pensée, et qui s’impose à la pensée, à laquelle enfin la pensée doit s’astreindre. Au lieu d’adapter la forme à la pensée, c’est la pensée qu’on adapte à la forme, et cela ne peut se faire sans qu’on meurtrisse un peu la pensée. […] Elle a, dans sa pensée, des origines très anciennes. […] Le symbole sera la forme même de sa pensée.‌ […] Car elle fut sa pensée.

173. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « X. M. Nettement » pp. 239-265

Ce livre n’était pas, il est vrai, l’histoire complète de la Restauration, ce n’en ôtait que l’histoire littéraire : mais l’histoire littéraire d’une époque, c’est sa pensée, et qui tient la pensée tient tout, quand il s’agit de l’homme et de l’humanité ! […] Belle revanche de l’âme sur l’esprit, de la conscience sur la pensée ! […] Mais ce qui suffit pour la conscience d’un homme ne suffit pas pour la pensée d’un écrivain. […] Nettement la pensée du sien, elle avait le facile avantage de raconter une littérature étrangère ; et n’aurait-elle pas eu ce style inouï, ce mirage d’idées, comme disait Byron, qui lui aurait permis de se passer de pensées fortes et d’aperçus vrais, si elle n’en avait pas eu, elle apprenait du moins à la France ce que la France ne savait pas. […] Nettement vit dans cet affreux mot « ménagerie » une irrévérence et des horizons de cynisme, non pas à ravir, mais à souiller inexprimablement la pensée !

174. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (4e partie) » pp. 429-500

Je m’écriai : Voilà un homme qui pense comme moi, et qui, à travers la matière, a deviné la pensée. […] l’étendue : l’unité indivisible de la pensée ? […] La pensée seule est Dieu. La pensée est créatrice. […] Elle ne pense pas ; elle obéit à la pensée divine.

175. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — I »

La religion est la pensée dominante des Harmonies. […] Moins jeune et mûri par l’expérience, le poète sait qu’il n’en a pas fini avec les funestes pensées ; que, pour les avoir repoussées aujourd’hui, il n’en sera peut-être pas délivré demain, et que le meilleur port ici-bas nous laisse encore sentir le contre-coup des orages. […] On compte les pensées du poète comme les battements de l’artère à sa tempe, comme les gouttes de sueur froide qui lui tombent du front. […] Rassuré par cet exemple sublime, l’agonisant se relève ; il triomphe, et sa pensée redevient calme, sereine, et telle qu’au matin de l’aimante jeunesse. […] Douloureuse parole, qui ouvre à l’âme des abîmes de pensées, et nous reporte malgré nous vers ces époques fatales des Symmaque et des Synésius !

176. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IX. De l’esprit général de la littérature chez les modernes » pp. 215-227

De l’esprit général de la littérature chez les modernes Ce ne fut pas l’imagination, ce fut la pensée qui dut acquérir de nouveaux trésors pendant le moyen âge. […] Les modernes ont dû réunir à cette éloquence, qui n’a pour but que d’entraîner, l’éloquence de la pensée, dont l’antiquité ne nous offre que Tacite pour modèle. […] L’impression de ce genre de style pourrait se comparer à l’effet que produit la révélation d’un grand secret ; il vous semble aussi que beaucoup de pensées ont précédé la pensée qu’on vous exprime, que chaque idée se rapporte à des méditations profondes, et qu’un mot vous permet tout à coup de porter vos regards dans les régions immenses que le génie a parcourues. […] Et c’est la plus grande, la plus noble, la plus fière des pensées humaines, la république, qui a prêté son ombre à ces forfaits exécrables ! […] La pensée n’a plus alors la force de nous soutenir ; il faut retomber sur la vie.

177. (1902) La formation du style par l’assimilation des auteurs

Ils n’ont qu’une pensée : les reprendre. […] Ici, tout est en relief, tout est créé : pensée, mot, image. […] Chaque seconde pensée était contenue dans la première. […] On altère des pensées vraies, on fait passer des pensées fausses ; tout ce qu’on écrit est artificiel ou puéril. […] L’antithèse fait la vigueur de ses Pensées.

178. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Victor Hugo, Toute la Lyre. »

Pour avoir dit que, si nul poète ne parlait plus haut à mon imagination, deux ou trois autres disaient peut-être des choses plus rares à ma pensée et à mon cœur. […] Y a-t-il plus de pensée, puisqu’il vous en tant, chez Lamartine ou Musset ? […] — Oui, je sais que la poésie n’est que sentiment, couleur et musique, et qu’elle n’a presque pas besoin de pensée. […] C’est l’ouvrier des mots, l’homme de style qui commande chez lui à l’homme de pensée et de sentiment. […] S’il ne l’est pas par la pensée, il y a cependant en lui plus de substance que je n’ai affecté d’en voir ; seulement c’est, si je puis dire, son imagination et sa rhétorique qui lui ont créé sa pensée.

179. (1856) Les lettres et l’homme de lettres au XIXe siècle pp. -30

Il faudrait moins écrire et réfléchir davantage ; il faudrait fortifier en nous, par la vie intérieure, la pensée, source de tout vrai talent. […] Presque tous ne lèguent à la postérité qu’un petit livre ; mais derrière ce livre est une vie tout entière de pensée et de passion. […] Le monde tend à s’unir par la vie de la pensée. […] Le ministère de la pensée me semblerait à la fois plus noble et plus indépendant, si celui qui l’exerce n’en attendait pas le salaire. […] Il attendrait, pour produire, ce que Buffon appelle « le point de maturité de la pensée ».

180. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

C’est une de ses pensées maîtresses. […] » Pensée absurde, dira-t-on. […] Au fond, ils pensent éternellement la pensée de Dieu, ils pensent éternellement une pensée unique. […] Nous ne pouvons commencer à penser que dans la pensée de nos ancêtres, laquelle remonte à la pensée divine. […] C’était sa pensée qui avait de l’imagination.

181. (1890) L’avenir de la science « XXI »

Certes, s’il ne fallait voir dans la vie que repos et plaisir, on devrait maudire l’agitation de la pensée et traiter de pervers ceux qui viennent, pour satisfaire leur inquiétude, troubler ce doux sommeil. […] Qu’un homme répande des larmes sans objet, qu’il pleure sur l’universelle douleur, qu’il rie d’un rire long et mystérieux, on l’enferme à Bicêtre, parce qu’il ne cadre pas sa pensée dans nos moules habituels. […] L’état le plus dangereux pour l’humanité serait celui où la majorité, se trouvant à l’aise et ne voulant pas être dérangée, maintiendrait son repos aux dépens de la pensée et d’une minorité opprimée. […] Un livre n’a de succès que quand il répond à la pensée secrète de tous ; un auteur ne détruit pas de croyances ; si elles tombent en apparence sous ses coups, c’est qu’elles étaient déjà bien ébranlées. […] Mais rien de ce qui contribue à donner l’éveil à l’humanité n’est perdu pour le progrès véritable de l’esprit ; jamais la pensée philosophique n’est plus libre qu’aux grands jours de l’histoire.

182. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre V. Les figures de lumière »

Le système n’est en mouvement que si le physicien en sort par la pensée. […] Habituons notre pensée à faire sortir, de la primitive figure de lumière OAB, une série de figures où s’accentue de plus en plus l’écart entre lignes de lumière qui d’abord coïncidaient. […] Or, que l’observateur intérieur au système S suppose son système en repos ou en mouvement, sa supposition, simple acte de sa pensée, n’influe en rien sur les horloges du système. […] Ces lignes de lumière étant seules données, nous devrons reconstituer par la pensée les lignes d’espace, qui ne s’apercevront généralement plus dans la figure même. Elles ne pourront plus être qu’induites, je veux dire reconstruites par la pensée.

183. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — I. » pp. 329-349

Necker, qu’il est plus aisé de célébrer que de bien louer ; qui, n’ayant parlé au monde que par leurs actions, semblent avoir dédaigné de lui confier la chaîne de leurs pensées. […] Il faut qu’il soit poursuivi par cette pensée, que la bienfaisance d’un homme d’État est une justice inébranlable. » Pourquoi poursuivi ? pourquoi ne pas dire simplement pénétré de cette pensée ? […] Je pourrais relever bien d’autres singularités de pensée et d’expression dans ce discours ; je me hâte d’ajouter que, malgré tout, il réussit fort tant à l’Académie que devant le public ; les juges les plus difficiles, en s’accordant à reconnaître « que la langue semblait manquer à tout moment à l’auteur », le lui passèrent en faveur de ce qu’on appelait l’énergie ou la nouveauté de ses pensées. […] Les Pensées de M. 

184. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — II. (Fin.) » pp. 350-370

Il définissait l’idée chrétienne « la plus heureuse des persuasions et la plus sublime des pensées ». […] Je trouve, dans les dernières pensées de M.  […] Joubert, platonicien de pensée, et placé au meilleur point de comparaison entre les deux écoles, a dit : Les Necker et leur école : — Jusqu’à eux on avait dit quelquefois la vérité en riant ; ils la disent toujours en pleurant, ou du moins avec des soupirs et des gémissements. […] Necker est une langue qu’il ne faut pas parler, mais qu’il faut s’appliquer à entendre, si l’on ne veut pas être privé de l’intelligence d’une multitude de pensées utiles, importantes, grandes et neuves. […] Son illustre fille, Mme de Staël, s’est chargée depuis d’imprimer aux pensées politiques de son père un cachet de précision et d’à-propos, et de leur prêter une expression d’éclat, en composant ses Considérations sur la Révolution française, qui eurent un si grand succès dans la haute société en 1818, et qui présentèrent une théorie spécieuse à la politique de la Restauration.

185. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre quatrième. L’expression de la vie individuelle et sociale dans l’art. »

Créer, c’est savoir être à la fois subtil comme la pensée et réel comme la vie. […] Nous ne devons plus avoir d’autre pensée et, par conséquent, pas d’autre distraction que le travail. […] C’est en agissant de lui-même, en créant, que l’homme sent véritablement ses forces, et c’est surtout dans le domaine de la pensée qu’il peut créer quelque chose. […] Il y a souvent plus d’actions et de pensées décisives dans un drame qui dure vingtquatre heures et se déroule en une chambre de dix mètres carrés que, dans toute une vie humaine. […] Recommencer toujours à vivre, tel serait l’idéal de l’artiste : il s’agit de retrouver, par la force de la pensée réfléchie, l’inconsciente naïveté de l’enfant.

186. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre VI. Des Livres qui traitent de la Rhétorique. » pp. 294-329

On commençoit à préférer le clinquant à l’or pur ; on rejettoit les pensées que la nature dicte pour courir après celles que l’art suggére. […] Bouhours, confrere du Pere Rapin, offre aussi beaucoup de pensées plus brillantes que solides. […] Beaucoup de pensées qu’il approuve, qu’il loue, ne paroissent à d’autres que des trivialités brillantes. […] Cette définition peut être appliquée à une pensée obscure, comme à une pensée fine. […] Le Prélat condamne les pensées fines, les sons harmonieux, les antithèses étudiées, les périodes arrondies, &c.

187. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre cinquième. De l’influence de certaines institutions sur le perfectionnement de l’esprit français et sur la langue. »

Mais la pensée qui lui a donné naissance et l’esprit de ses premiers travaux la rendent digne d’avoir une place parmi les choses qui durent ; cette pensée et cet esprit ont compté parmi les forces de l’esprit français à cette époque, et même en cessant de le servir, ils n’ont pas cessé de lui être conformes. […] L’imagination n’y est le plus souvent qu’une mémoire heureuse, qui lui fournit à point pour chaque pensée le mot le plus juste. […] Nos pensées ne nous étant révélées que par les signes mêmes qui nous servent à les exprimer, combien ne nous importe-t-il pas, pour être assurés de nos pensées, de connaître à la fois la mécanique et la métaphysique du langage ? […] Mais c’est peu de nous apprendre à diriger nos pensées par la raison, afin d’en former de bons jugements et de bien raisonner par le bien juger ; il faut savoir appliquer nos pensées, nos jugements et nos raisonnements à la conduite de la vie. […] Pensées diverses.

188. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre IX. L’antinomie politique » pp. 193-207

Tout effort de domination spirituelle est dirigé contre la liberté des individus, contre la diversité des pensées et des sentiments. […] Ils sont astreints à une banalité de pensée indispensable pour se faire comprendre de la masse grégaire dont ils désirent obtenir les suffrages. La médiocrité de pensée et d’aspirations des dirigés réagit sur la médiocrité de pensée et d’aspirations des dirigeante et inversement89. […] Parlant d’un récent « Congrès de la libre pensée », un publiciste écrivait récemment : « Ces mots hurlent de se trouver ensemble. […] Le propre des Congrès, c’est de voter des motions, des résolutions, d’imposer des solutions, toutes choses contraires à la liberté de la pensée. » (De M. 

189. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre viii »

Aujourd’hui, nous distribuons la même pensée sous une dizaine de vocables. Nos soldats se disent qu’en se dévouant à la France ils sauvent, celui-ci l’Église catholique, celui-là les Églises protestantes, cet autre la République sociale, cet autre enfin la libre pensée. […] La République sociale ne serait même plus pensée, car il n’y a de socialisme qu’en France et en Angleterre. […] Notre pensée socialiste propre eût été submergée par notre défaite dans la guerre présente. […] Ce n’est jamais un but pour nous seuls, mais un but pour tous que notre haute pensée poursuit.

190. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

La pensée poétique doit s’incarner dans le mot-image, qui est son verbe. […] Mais le vrai verbe n’est pas une forme adaptée à la pensée, il est la pensée même se communiquant à autrui par un prolongement sympathique. […] Le vers ne peut donner sa forme et son rythme à la pensée que lorsque celle-ci vibre et chante. […] La pensée grecque vient se rattacher à la pensée hindoue. […] Dans Une mauvaise soirée, la pensée s’élève à des considérations morales et sociales.

191. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « III. M. Michelet » pp. 47-96

Michelet comme la chaux vive de sa pensée. […] Égalitaire battu par les lois même de sa pensée, il ne peut pas les trouver égales devant la loi de son esprit. […] Cet homme peut-il foncer d’une nuance de plus cette pensée extrême ? […] Michelet, un livre d’histoire ; et, dans notre pensée, nous l’opposions au livre de M.  […] … Rien de plus orageux, de plus étranglé, rien qui se débatte plus que la pensée de M. 

192. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre premier. De l’amour de la gloire »

Plus on laisse aller sa pensée dans la carrière future de la perfectibilité possible, plus on y voit les avantages de l’esprit dépassés par les connaissances positives, et le mobile de la vertu plus efficace que la passion de la gloire. […] Les événements du hasard, ceux qu’aucune des puissances de la pensée ne peuvent soumettre, sont cependant placés, par la voix publique, sur la responsabilité du génie. […] N’importe, s’écrieront quelques âmes ardentes, n’exista-t-il qu’une chance de succès contre mille probabilités de revers ; il faudrait tenter une carrière dont le but se perd dans les cieux, et donne à l’homme après lui, ce que la mémoire des hommes peut conquérir sur le passé : un jour de gloire est si multiplié par notre propre pensée qu’il peut suffire à toute la vie. […] L’un des caractères de ce long malheur est de finir par s’accuser soi-même : tant qu’on en est encore aux reproches que méritent les autres, l’âme peut sortir d’elle-même, mais le repentir concentre toutes les pensées, et dans ce genre de douleur, le volcan se referme pour consumer en dedans. […] En m’attachant avec une sorte d’austérité, à l’examen de tout ce qui doit détourner de l’amour de la gloire, j’ai eu besoin d’un grand effort de réflexion, l’enthousiasme me distrayait, tant de noms célèbres s’offraient à ma pensée ; tant d’ombres glorieuses, qui semblaient s’offenser de voir braver leur éclat, pour pénétrer jusques à la source de leur bonheur.

193. (1904) Essai sur le symbolisme pp. -

L’impulsif, comme tout autre, broie des pensées. […] Vous vous apitoyez enfin, car vous m’avez compris totalement, par la pensée et par le cœur. […] Au travail de condensation intérieure qu’il fait subir au résidu de sa pensée nous demeurons étrangers. […] Il s’identifie à la pensée. […] Voici sa phrase : « Elle est (la nature) l’incarnation d’une pensée et redevient pensée, de même que la glace devient eau et vapeur.

194. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (3e partie) » pp. 365-427

— Les éléments de mes pensées sont mes sens, entrouverts au spectacle de moi-même et du monde. […] L’objet de cette pensée est infini ; aussi occupe-t-il infiniment cette pensée, infinie elle-même dans son objet. […] Ces adorateurs de la matière ont oublié qu’à côté et au-dessus de la matière il existe une puissance éternelle, la pensée, la pensée qu’ils reconnaissent en eux et qu’ils se refusent à reconnaître dans son divin principe, Dieu ! La pensée qui a tout conçu avant d’avoir rien créé ; La pensée éternelle du Cosmos, qui est Dieu ! […] » La pensée, cet élément du monde intellectuel, n’existe pas.

195. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — I. » pp. 262-280

Nous nous trompions dans la pensée qu’il ne jouerait bien que dans son tripot ; il passe infiniment tout ce que nous avons ouï. » Son tripot, c’est-à-dire la maison professe. […] Je faisais ces jours-ci une expérience : je lisais, et avec le plus de fruit que je pouvais, l’admirable sermon de Bourdaloue Sur la pensée de la mort, mais je le lisais haut et devant de jeunes amis. […] Peu de morceaux, peu de couplets chez Bourdaloue qui se puissent détacher ; il en a pourtant, et, dans son premier point Sur la pensée de la mort, quel beau passage que celui où, par contraste avec l’effet de cette pensée présente, il montre que, si l’homme était sûr de ne point mourir et de jouir dès ici-bas d’une destinée immortelle, il n’y aurait plus de remède ni de raison à opposer au libre débordement de sa passion ! […] Dans quatre lignes de saint Bernard ou de Bossuet, il y en a bien autrement, me disait l’un d’eux, et l’on m’en citait ; et ce seul désavantage amortissait le grand effet moral du saint orateur dans leur pensée. […] On a des exemples de mourants chez qui la pensée se ranime vers les derniers moments, comme un flambeau avant de s’éteindre.

196. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. (suite) »

Voici quelques-unes de ses pensées ; le roman est en partie par lettres : « Soyez confiante. […] La pensée d’une jolie femme n’a jamais rien de mieux à faire que de s’humilier devant son instinct. […] « Tiens, Marie, avant de quitter cette pensée, laisse-moi te dire qu’un de mes plus doux souhaits aurait été de te donner cette noble indépendance de la raison, cette fierté dans ce que l’homme a de plus fier, la pensée. […] Il est prodigieux que nous nous trouvions si éloignés par les choses de la pensée, quand elles ont en nous tant de rapports cependant ! […] On a pu remarquer dans tout ce qui précède quantité de pensées qui feraient des légendes tendres et en sens inverse de celles que l’on connaît.

197. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « IX »

Albalat croit tout le temps que Pascal joue avec les mots, que sa pensée dépend des mots et qu’un nouveau degré de condensation en augmenterait beaucoup la valeur. L’illusion est naturelle à un esprit nourri de rhétorique classique. » Je ne crois pas seulement que Pascal joue avec les mots ; je crois qu’il joue aussi (dans le meilleur sens) avec sa pensée ; je crois qu’il la change, qu’il la pousse, qu’il la renforce ; et, comme il lui faut des mots pour exprimer ce qu’il sent, je crois, en effet, que sa pensée dépend souvent des mots, mais je crois aussi que ses mots dépendent également de sa pensée et qu’il trouve d’admirables mots par la seule force de sa pensée. […] L’antithèse fait la vigueur de ses Pensées. […] Il reconnaît que certaines de ses pensées, « aussi belles » que celles « qui sont sorties brusquement de son cerveau », ont été « sans doute d’un accouchement plus ou moins laborieux » ; mais il voudrait cacher à tout le monde que Pascal a raturé ; ce scandale nuit à sa thèse, « Nous ne devrions pas le savoir », dit-il. […] « La rature, la surcharge, la refonte, dit M. de Gourmont, autant de nécessités physiques, que la pensée soit trop prompte ou qu’au contraire elle coule avec paresse, et que la liaison logique de ses parties se fasse difficilement.

198. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 295-296

Il s’est exercé dans un genre plus propre à lui faire un nom, & qui n’est pas moins agréable aux yeux de ceux qui connoissent le prix & le charme de la variété : ses Pensées & Réflexions philosophiques le placent à côté de nos Penseurs les plus fins & les plus délicats. […] Cette maniere d’écrire par phrases, en prétendant donner une pensée, ne plaît qu’autant que ceux qui l’adoptent savent fixer quelque temps l’attention du Lecteur sur un même objet, c’est-à-dire, qu’il faut que, de pensée en pensée, ils développent un sujet, afin que les traits de lumiere suppléent au défaut de liaison dans le style.

199. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Léon Feugère ; Ambroise-Firmin Didot »

En vain s’y trouve-t-elle recouverte par une impartialité apparente et le calme de la pensée ; en vain s’y dissimule-t-elle assez naturellement sous un grand nombre de détails purement bibliographiques et personnels, il ne faut pas des yeux de lynx pour bien l’y voir. […] Il est évident, en effet, pour tous ceux qui savent mesurer la portée d’un livre à travers les précautions qui l’enveloppent ou le scepticisme qui l’énerve, qu’on peut déduire de la vie d’Henri Estienne des conclusions qui ne sont peut-être pas dans la pensée de son biographe, mais qui, pour n’en avoir pas été nettement et explicitement rejetées, doivent se retourner contre lui. […] Quand la question est ainsi posée, et elle l’est par la nature des choses, il n’est pas permis de rester froid, de tenir en suspens la décision de sa pensée et de jouer à une impartialité supérieure qui ne serait que l’impartialité de l’embarras. […] Il y a de plus l’intérêt de la pensée qu’on met en lumière ou des connaissances qu’on possède et qu’on a pour devoir de propager ; or, c’est là précisément ce que Didot a perdu de vue. […] Il s’est contenté de la reproduction matérielle de sa pensée, ce qui est par trop typographique, et il a cru (l’aura-t-il cru ?)

200. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le voltairianisme contemporain »

Sans le voltairianisme et la libre pensée, peut-être même les plus badauds parmi les admirateurs à fond de train du Roi Voltaire ne s’abuseraient pas complètement sur le compte de ce caméléon moral, âme desséchée, jalouse de gloire, qui cracha sur la figure de quiconque le suivit ou le précéda, et qui se serait pris en exécration s’il se fût rencontré sur son propre chemin lui-même ; lâche pour tout braver, brave au milieu des lâches, grand dans les petites questions, petit dans les grandes ; qui réduisit tout à rien pour être quelque chose, et qui grimpa, comme un écureuil, jusqu’à la gloire, en passant par tous les degrés du mépris ! […] il a créé la libre pensée, et voilà encore un troupeau. Ce joujou bruyant et dont on ne fait rien qu’un indécent usage, la libre pensée, qu’on nous donne pour une philosophie et qui n’est le plus souvent qu’une lassitude anticipée d’une réflexion éteinte, la libre pensée, cette ennemie de la pensée vraie, qu’elle repousse parce que la pensée vraie oblige, comme la noblesse, et dont elle se débarrasse dans le sérail des sept péchés capitaux, voilà surtout l’œuvre de Voltaire : Hæc facit otia Voltarius !

201. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

L’art d’écrire ne peut être notre seul objet ; si les formes de la pensée ont droit à notre attention, c’est la pensée elle-même qui surtout la réclame. […] C’était la pensée morale qui s’efforçait de reconquérir ses droits. La pensée ne pouvait plus adhérer à la religion séparée de sa substance, la morale. […] Lorsque la pensée d’un autre a enfanté chez nous une pensée, il est vrai que cette idée ne nous appartient pas d’emblée. […] Les plus belles de ses pensées n’appartiennent peut-être pas à cette sphère.

202. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Chamfort »

La honte de la mémoire vient demander à la pensée de l’effacer. […] La Bible (voir la page 11 de ses Pensées) ne fut pour lui qu’une allégorie mesquine. […] C’est là que Chamfort a péri, suicidé deux fois, dans son corps et dans sa pensée. […] comme un affreux soupçon, sur son cœur ou dans sa pensée. […] Maximes et Pensées.

203. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — I. » pp. 235-256

Taschereau, à qui j’en dois communication, se compose d’une suite de pensées et de souvenirs tracés par Saint-Martin dans les dernières années, et ne s’arrête que peu avant sa mort. […] En le lisant de suite, on peut se faire une idée très juste de l’homme, de ses sentiments, de ses délicatesses, de ses scrupules ou de ses ravissements de pensées, de ses petitesses aussi. […] L’amitié plus terrestre et plus positive de son père et de sa sœur arrêtait les élans naïfs de Saint-Martin ; il se sentait comprimé en leur présence et n’osait s’ouvrir à eux de sa vocation et de ses pensées. […] S’il se sépare de son siècle par la pureté morale et par une vive pensée de spiritualité divine, il en participe sur d’autres points essentiels de sa doctrine, et il en porte le cachet. […] Je ne veux pas abuser avec Saint-Martin des pensées détachées, sachant qu’il a dit, de celles mêmes qu’il écrivait : « Les pensées détachées ne conviennent qu’aux esprits très faibles ou qu’aux esprits très forts ; mais, pour ceux qui sont entre ces extrêmes, il leur faut des ouvrages suivis qui les nourrissent, les échauffent et les éclairent tout à la fois. » Saint-Martin n’ayant écrit aucun ouvrage qu’un lecteur ordinaire puisse lire de suite, il faut bien en venir aux pensées et aux extraits avec lui pour en donner quelque idée au monde.

204. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre III. La poésie romantique »

Partant plus de périphrases, plus défigurés, qui cachent ou fardent la pensée. […] De là, la pénétration singulière de cette pensée presque immatérielle. […] Sur la fin, il arriva à se dire que tout cet effort, toute cette bonté, toute cette pensée ne seraient pas en vain. […] Mais que la pensée soit haute, le sentiment puissant, l’expression s’enlève, acquiert une plénitude, une beauté incomparables. […] Il se sépara presque aussitôt du Cénacle (Secrètes Pensées de Rafaël, juillet 1830).

205. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion dynamique »

Elle porta la pensée humaine à son plus haut degré d’abstraction et de généralité. […] C’est ce qui est arrivé, croyons-nous, à la pensée hindoue. […] Plus de distance, sans doute, entre la pensée et l’objet de la pensée, puisque les problèmes sont tombés qui mesuraient et même constituaient l’écart. […] Pour franchir l’intervalle entre la pensée et l’action il fallait un élan, qui manqua. […] Tel est précisément, d’après Aristote, le mode d’action de la Pensée de la Pensée, laquelle n’est pas sans rapport avec l’Idée des Idées.

206. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VII. De l’esprit de parti. »

L’homme éclairé, qui d’abord adopta la cause des principes, parce que sa pensée n’avait pu s’astreindre à respecter des préjugés absurdes, alors qu’il embrasse une vérité avec l’esprit de parti, perd la faculté de raisonner, ainsi que le partisan de l’erreur, et bientôt emploie des moyens semblables. […] Il n’en est point qui puisse à cet excès borner la pensée et dépraver la moralité. […] Or, quand la pensée est une fois saisie de l’esprit de parti, ce n’est pas des objets à soi, mais de soi vers les objets que partent les impressions, on ne les attend pas, on les devance, et l’œil donne la forme au lieu de recevoir l’image. […] Enfin, l’esprit de parti, doit être de toutes les passions celle qui s’oppose le plus au développement de la pensée, puisque, comme nous l’avons déjà dit, ce fanatisme ne laisse pas même le choix des moyens pour assurer sa victoire, et que son propre intérêt ne l’éclaire point, quand il est entièrement de bonne foi. […] Mais si cette passion borne la pensée, quelle influence n’a-t-elle pas sur le cœur !

207. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIIe entretien. Poésie sacrée. David, berger et roi » pp. 225-279

C’est par elle que la pensée a du cœur, et c’est par ce cœur immatériel de la pensée que l’émotion de l’âme devient plus vivante en nous et plus communicative hors de nous. […] L’âme, pour bien résumer ici notre pensée, est le génie du cœur. […] C’était de l’arabe concentré, une langue forte et brève, qui n’exposait pas la pensée, mais qui la lançait au ciel ou aux hommes. […] On voit que sa seule pensée est de fléchir son maître à force de preuves de fidélité. […] Ils répandent leur âme l’une en larmes, l’autre en cantiques ; on les croit dans l’ivresse, et ils ne sont ivres que de leurs pensées, de leurs pleurs, de leur Dieu.

208. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Guimberteau, Léonce »

Ainsi que le titre l’indique, les poèmes de ce recueil sont une suite de cantiques à la gloire de l’homme, de l’Homme dernier-né des dieux, qui a vénéré autrefois, dans les religions sublimes, les beautés de sa propre pensée, et rend aujourd’hui à cette pensée même l’hommage qui lui est seul dû. […] Cancalon Connaissez-vous un poète contemporain en possession, je ne dis pas d’une doctrine, mais simplement d’une pensée directrice qui donne à son œuvre, avec l’impulsion vers un but élevé, l’unité et la cohérence ? […] Pour lui, le monde est fils de notre pensée et de notre volonté.

209. (1903) Articles de la Revue bleue (1903) pp. 175-627

Il sentit s’allumer en lui un enthousiasme de pensée qui ne s’éteignit plus. […] Et ces onze héros de la pensée, du rêve et de la vie intérieure, M.  […] Elle semble grosse d’une pensée encore inconnue : de quoi accouchera-t-elle ? […] La poésie est là qui doit rayonner au Zénith de la pensée humaine. […] La pensée et l’imagination comprimées demandaient à briser les entraves qu’on leur opposait.

210. (1875) Premiers lundis. Tome III « Profession de foi »

Une telle pensée tendait évidemment à l’association générale des peuples dans le domaine de la science, de la philosophie et de l’art. Mais cette pensée, toute de curiosité, de patience et d’impartialité, se trouva bientôt ne pas suffire à l’application. […] Ce n’était plus dans une fermentation lente et obscure qu’on pouvait couver au fond de sa pensée un rêve d’organisation à venir ; on en était déjà à sentir le besoin de préciser les doctrines, et à prévoir le moment de les appliquer. […] Un tel dogme achevait de nous révéler à nous-mêmes notre pensée, et répondait à la prédisposition de notre intelligence, à tous les désirs de notre cœur. […] Nous crûmes en cela être logique non moins que sincère, aboutir aux conséquences rigoureuses de nos idées, et consommer la réalisation de la pensée première qui présida au journal.

211. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 8, des plagiaires. En quoi ils different de ceux qui mettent leurs études à profit » pp. 78-92

Ce vers devient nôtre en quelque façon, à cause que l’expression nouvelle que nous avons prêtée à la pensée d’autrui nous appartient. […] Ces pensées transplantées d’une langue dans une autre ne peuvent réussir qu’entre les mains de ceux qui du moins ont le don de l’invention des termes. […] Le tour original qu’il donne à ses traductions, la hardiesse de ses expressions, aussi peu contraintes que si elles étoient nées avec sa pensée, montrent presque autant d’invention, qu’en montre la production d’une pensée toute nouvelle. Voilà ce qui fit dire à La Bruyere que Despreaux paroissoit créer les pensées d’autrui. […] Les lecteurs retrouvent avec plaisir, sous une nouvelle forme, la pensée qui leur plût autrefois en latin.

212. (1856) Cours familier de littérature. II « XIIe entretien » pp. 429-507

Devant la pensée, les ténèbres de la mort palpitent, la mer frémit avec tous les habitants de ses abîmes. […] C’est une page déchirée de quelque poème surhumain, écrite par quelque géant de la pensée à l’époque où tout était gigantesque dans le monde. […] « Mais s’il revient, en pensées, aux jours de son adolescence, il dira : J’ai péché ! […] Mais à quoi sert la parole écrite, si ce n’est à révéler sa pensée ? […] Il y a si loin des pensées de Dieu à nos pensées !

213. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

Mes pensées l’habitaient avec mes regards. […] Quand la lune se répandait comme une silencieuse inondation de la lueur du ciel sur les prairies, je me soulevais sur le coude pour m’égarer en idée d’arbre en arbre et de ruisseau en ruisseau dans ces vallées ; des flots de pensées, ou plutôt d’ombres de pensées, montaient de ces horizons à mon âme. […] Ces sensations de la nature se mêlaient de jour en jour davantage dans mon âme avec les pensées et les visions du ciel. […] On pourrait dire que l’homme est la pensée manifestée de Dieu, et que l’univers est son imagination rendue sensible. […] De même que chaque peuple, chaque civilisation et chaque siècle portent leurs pensées, ils portent aussi leur style.

214. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Stéphane Mallarmé » pp. 146-168

systématique, ne signifiaient pas leur sens propre, qu’avait abouti un si long effort continu de pensée ? […] Il se sent raillé, bafoué, au point qu’il n’ose plus même confier sa pensée à ceux qui l’entourent, ni à sa femme qui l’adore ni à la fille de son sang. […] Ce fut, d’ailleurs, comme on l’a déjà remarqué, une évolution de pensée sans profit pour la poésie, car Mallarmé n’était plus à l’âge où l’on recommence sa vie. […] Stéphane Mallarmé montre enfin à quelles tendances s’arrête sa pensée : On ne peut se passer d’Eden. […] Il eut le culte de la pensée au point de lui sacrifier tout bonheur. » M. 

215. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Sieyès. Étude sur Sieyès, par M. Edmond de Beauverger. 1851. » pp. 189-216

Faut-il dorer sa pensée afin d’employer une couleur de style digne de gens qui auraient honte d’avoir rien de commun avec le peuple ? […] Ces orateurs de Rome et de la Grèce, qu’invoque de loin Sieyès à l’appui de sa pensée, n’étaient souvent eux-mêmes que de brillants ou de généreux séducteurs. […] Si la pensée était perdue, adieu le genre humain ! » Il s’est trompé en posant si absolument le problème, en condamnant, comme il l’a fait, tout le passé, et en se promettant tout de la pensée pour les âges futurs. […] (quelque autre sans-culotte, Hérault de Séchelles peut-être), dans sa distraction, il avait l’air d’un drôle bien heureux qui sourit au coquinisme de ses pensées.

216. (1923) Paul Valéry

Ce sont des arts, c’est la poésie, c’est l’architecture, c’est la danse, c’est la musique, qui lui permettent de réaliser sa pensée et de conférer à cette pensée une figure apparentée aux figures irréalisées de groupe infini. […] « Certains peuples se perdent dans leurs pensées ; mais, pour nous autres Grecs, toutes choses sont formes. […] Pour Valéry la parole est presque un ennemi de la pensée. […] La prose de Valéry figure bien sa pensée immédiate, bonne pour parler, non pour écrire. […] Cette méditation sur son existence, cette pensée qui se prend elle-même pour objet poétique, elle suffit à Valéry.

217. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre II : La psychologie »

C’est dans le monde matériel qu’il faut chercher la raison dernière de la nature de nos pensées, de leur ordre, de leur liaison. […] Il faut qu’il y ait un parallélisme entre l’être pensant et les coexistences ou séquences externes que reflète sa pensée. […] Pour qu’il puisse y avoir des matériaux pour la pensée, il faut qu’à chaque moment la conscience soit différenciée dans son état. […] Et ce n’est pas seulement dans tout acte particulier de la pensée, que cette loi se manifeste ; elle se retrouve aussi dans le progrès général de la pensée. […] L’idée de la cause ne pourrait être abolie que par l’abolition de la pensée elle-même.

218. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

Il y joignait un tour d’imagination prompte qui revêtait aisément la pensée et la maxime d’une forme poétique, comme faisait son compatriote Montaigne ; mars il était moins aisé que Montaigne, et n’avait pas la fleur comme lui. […] Un trait d’Homère, un vers de Virgile, fondus rapidement dans sa pensée, lui paraissaient la mieux achever et la consacrer sous forme divine. […] D’où Montesquieu a-t-il pris l’idée de faire ainsi parler des Persans, et de mettre sous ce léger déguisement ses propres pensées ? […] Nous touchons ici au fond de la pensée de Montesquieu et à tout son procédé habituel intérieur ; ne soyons pas faible ni indécis, et n’hésitons pas à l’exposer avec nudité. […] Dans la pensée de Montesquieu, au moment où l’on s’y attend le moins, tout d’un coup la cime se dore.

219. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « X. Ernest Renan »

et vous vous croyez un grand Lama qui fait des bijoux avec les déjections… de sa pensée ! […] Renan n’en manque pas, la pensée d’un homme incline fatalement ou de choix vers les thèses les plus niaises et maintenant les plus compromises. […] Ses essais de jeunesse trouvent maintenant les éditeurs qu’ils cherchèrent, et, grâce à eux, il nous étale les premiers costumes de sa pensée avec la tendresse que M.  […] Rien de plus stérile que la Pensée philosophique au xixe  siècle. […] La pensée de Diderot, l’Élargissement de Dieu jusqu’à ce qu’il en crève, est l’idée que nous retrouvons dans la plupart des écrits de ce pauvre temps.

220. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XX. Le Dante, poëte lyrique. »

À elle appartenait ce premier âge des troubadours, qui sécularisa l’esprit en Europe, suscita devant l’Église une autre puissance d’opinion, commença le débat de la pensée libre contre le plus fort, et forma dans le midi de la France une race de chanteurs hardis et de poëtes populaires. […] Sa première étude de poésie, ses premières pensées, étaient celles de ses contemporains. […] Jamais la pensée humaine n’osa si prodigieuse invention, et ce qui en est le défaut en est aussi la merveille : je veux dire la longueur de cette invention et l’inépuisable emploi de la même pensée, l’idéal de la grandeur divine et l’idéal de l’amour humain. […] Quels que soient les spectacles dont son imagination nous éblouit, c’est à la pensée pure qu’il emprunte son dernier coup de pinceau. […] De ce contraste même entre le poëme et l’homme, entre les contemplations de la pensée religieuse et les épreuves de la vie soufferte, de ce contraste sort le pathétique humain qui se mêle à cet idéal.

221. (1880) Goethe et Diderot « Note : entretiens de Goethe et d’Eckermann Traduits par M. J.-N. Charles »

Charles dans le titre même de sa publication, ce livre, autour duquel on veut émoustiller la pensée publique dans un sens favorable à Gœthe, était à peu près inconnu, mais avait paru en français. […] Mais j’admettais très largement qu’il avait de hautes facultés critiques et qu’il savait pénétrer profondément dans la pensée, la vie et les hommes. […] Ce sont les pensées que voici. […] Dans les Entretiens, Gœthe n’est, d’ailleurs, à l’exception des choses que j’ai citées et qui me l’ont fait paraître nouveau, que le rabâcheur de sa pensée. […] un faux air de Talleyrand jusque dans la pensée, voilà le trait caractéristique de cette physionomie de Gœthe, lequel a eu plus de bonheur par ses défauts que par ses qualités, comme il arrive toujours, du reste.

222. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Stendhal et Balzac » pp. 1-16

Écouler des livres mauvais parce que le goût dépravé du public les demande, travailler, par-là, en sous-œuvre, à la corruption de la pensée, sans autre souci que de tirer monnaie de son commerce, voilà tout pour ces marchands d’opium en ballots, qui ont — à peu d’exceptions près — remplacé les grands libraires d’autrefois. […] La pensée contemporaine, qui n’est point une reine pour qu’on la flatte, se soucie médiocrement des livres didactiques où la réflexion a remplacé l’action, et dans lesquels l’originalité de la forme heurte ce besoin d’égalité qui est aussi bien dans nos mœurs intellectuelles que dans nos autres mœurs. […] Elle le laissa dans ce manteau couleur de muraille qu’on prend la nuit et qu’il avait pris de jour pour être remarqué, et il eût passé dans un incognito de prince… qu’il était (un vrai prince de la pensée !) […] Il ne donnait jamais à la pensée cet étonnement dont parle Rivarol, qui le donnait, lui, toujours. […] Du reste, pour qu’on ait bien toute notre pensée sur cette notice critique et biographique de Paulin Limayrac, à laquelle nous ne retrancherions rien, mais à laquelle nous aurions voulu qu’il eût ajouté quelque chose, nous ferons pourtant une seule réserve.

223. (1890) L’avenir de la science « XX »

XX Ce serait bien mal comprendre ma pensée que de croire que, dans ce qui précède, j’aie eu l’intention d’engager la science à descendre de ses hauteurs pour se mettre au niveau du peuple. […] Cela est surtout méritoire si l’on considère que l’instrument que nous leur mettons entre les mains est tout ce qu’il y a au monde de plus aristocratique, de plus inflexible, de moins analogue à la pensée populaire. […] On aimait en lui l’expression vraie de la façon de sentir d’une classe de la société et le naïf effort du demi-lettré pour créer un instrument à sa pensée. […] L’art grec produisait pour la patrie, pour la pensée nationale, l’art au XVIIe siècle produisait pour le roi, ce qui était aussi, en un sens, produire pour la nation. […] Ceux-ci, en effet, voyant qu’ils ne sont rien parce qu’ils ne possèdent pas, tournent toute leur activité vers ce but unique ; et, comme pour plusieurs cela est lent, difficile ou impossible, alors naissent les abominables pensées : jalousie, haine du riche, idée de le spolier.

224. (1907) L’évolution créatrice « Introduction »

Mais de là devrait résulter aussi que notre pensée, sous sa forme purement logique, est incapable de se représenter la vraie nature de la vie, la signification profonde du mouvement évolutif. […] De fait, nous sentons bien qu’aucune des catégories de notre pensée, unité, multiplicité, causalité mécanique, finalité intelligente, etc., ne s’applique exactement aux choses de la vie : qui dira où commence et on finit l’individualité, si l’être vivant est un ou plusieurs, si ce sont les cellules qui s’associent en organisme ou si c’est l’organisme qui se dissocie en cellules ? […] Hardiment, elle procède avec les seules forces de la pensée conceptuelle à la reconstruction idéale de toutes choses, même de la vie. […] Mais ces difficultés, ces contradictions naissent de ce que nous appliquons les formes habituelles de notre pensée à des objets sur lesquels notre industrie n’a pas à s’exercer et pour lesquels, par conséquent, nos cadres ne sont pas faits. […] Et l’on aurait raison de le dire, si nous étions de pures intelligences, s’il n’était pas resté, autour de notre pensée conceptuelle et logique, une nébulosité vague, faite de la substance même aux dépens de laquelle s’est formé le noyau lumineux que nous appelons intelligence.

225. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre III. Du meilleur plan. — Du plan idéal et du plan nécessaire. »

« Avant, dit-il, de chercher l’ordre dans lequel on présentera ses pensées, il faut s’en être fait un plus général et plus fixe, où ne doivent entrer que les premières vues et les principales idées. […] Mais lorsqu’il se sera fait un plan, lorsqu’une fois il aura rassemblé et mis en ordre toutes les pensées essentielles à son sujet, il s’apercevra aisément de l’instant auquel il doit prendre la plume, il sentira le point de maturité de la production de l’esprit, il sera pressé de le faire éclore, il n’aura même que du plaisir à écrire….. « Pour bien écrire, il faut donc posséder pleinement son sujet ; il faut y réfléchir assez pour voir clairement l’ordre de ses pensées, et en former une suite, une chaîne continue, dont chaque point représente une idée ; et lorsqu’on aura pris la plume, il faudra la conduire successivement sur ce premier trait, sans lui permettre de s’en écarter, sans l’appuyer trop inégalement, sans lui donner d’autre mouvement que celui qui sera déterminé par l’espace qu’elle doit parcourir5. » Voilà bien comme il faut procéder. […] Ainsi Bossuet, prêchant sur la Providence à Dijon et à Paris, compose deux discours tout à fait dissemblables par l’ordre et le tour particulier des pensées. […] Souvent il arrive que le plan le meilleur dans la circonstance n’est pas le meilleur absolument : un plan idéal, d’une régularité, d’une exactitude, d’une proportion parfaites, ne servirait souvent qu’à accuser les lacunes de notre pensée et les faiblesses de notre science.

226. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre premier. Du rapport des idées et des mots »

D’abord l’esprit, parcourant en tous sens le sujet qu’il s’est proposé, interrogeant l’expérience d’autrui et la sienne propre, s’est fait une provision de pensées, encore vagues et informes, flottantes ou troubles. Puis, mesurant exactement l’espace à remplir, il y a distribué ces pensées, dont la forme s’est déjà précisée par cette seule attribution d’emploi : en leur marquant leur place, il les dégrossit et les taille. […] Rien de complet, ni d’achevé : il nous suffit, sans dérouler les pensées dans toute leur étendue, d’en prendre un échantillon et de le fixer à l’endroit convenable. […] Il s’agit de substituer, par des approximations successives des expressions de plus en plus explicites à ces signes qui étaient plutôt l’étiquette que le miroir de la pensée : on ne peut plus se contenter de marquer la place des choses, c’est le temps de les y mettre effectivement. […] Écrire donc, c’est achever de penser ; la forme, c’est l’organisation de la matière, et la pensée n’est véritablement née que lorsqu’elle est exprimée.

227. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre II. Du sens et de la valeur des mots »

Les plus légères nuances de la pensée, les plus fugitifs mouvements de la sensibilité peuvent être rendus par le langage : tout ce qui peut être senti, peut être nommé. […] Quand Pascal s’abîme dans la méditation de l’immensité des espaces, quand son imagination est lasse et sa pensée impuissante, la langue lui fournit encore des signes capables de représenter l’inconcevable : « C’est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. » Formule vide de sens littéral, mais évidente et substantielle pourtant : sorte d’expression algébrique qui soumet l’infini à la même notation que le fini, et qui, par une combinaison de termes positifs et négatifs, arrive à donner la mesure de l’incommensurable. […] La plupart du temps, la pensée s’exprime par des combinaisons passagères de termes qui se limitent réciproquement et projettent les uns sur les autres le reflet de leur couleur. […] Mais aussi, quand on s’en sert pour la pensée, quand l’imagination ou le sentiment les assemblent, ils s’allument, et leur contact mutuel fait jaillir la lumière et sortir de fines nuances. Au lieu que les mots plus beaux des langues étrangères font obstacle à la pensée en lui imposant, quelle qu’elle soit, leur musique et leur teinte, le mot français, incolore, atone, ne garde qu’un sens net, où l’esprit aperçoit tous les effets, tous les usages dont il est capable ; il prend le relief, l’harmonie, la lumière, la chaleur, que l’idée réclame ; il s’amortit ou éclate, il prête ou emprunte sa flamme, infiniment souple et mobile, élastique et subtil comme le plus léger des gaz, malgré la précision rigoureuse de sa définition, qui, dans aucun emploi, ne s’altère ni ne s’obscurcit.

228. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Balzac » pp. 17-61

ce n’était pas la pensée pourtant qui manquait à George IV, à Brummell et à Sheridan ; car Sheridan fut un dandy. […] Nous sommes tous rabelaisiens, en plus ou en moins, dans la substance même de notre pensée, même les plus sévères d’entre nous, même ceux qui méprisent Rabelais ou qui le maudissent. […] de bien interpréter son texte et d’ajouter à la pensée de Balzac un sentiment très individuel. […] De ses portraits, quelques-uns sont de véritables chefs-d’œuvre, et Balzac, s’il vivait, les reconnaîtrait comme il les voyait dans sa pensée. […] Et, de fait, Balzac n’a pas dû écrire beaucoup en dehors de ce que j’appelle les productions publiques de sa pensée : livres, articles, mémoires.

229. (1888) Poètes et romanciers

Aucun écrivain ne porte et ne soutient plus haut sa pensée et son cœur. […] L’étrange pensée, pour un poète, d’attacher tant d’importance à un titre ! […] La flamme, esprit, brûle avec angoisse l’huile, une pensée. […] Bientôt ce souvenir passionné s’anime ; il prend un corps dans sa pensée. […] La pensée a de la raideur ; dans cette tension uniforme, le charme fait défaut.

230. (1882) Types littéraires et fantaisies esthétiques pp. 3-340

Aucun autre ne possède cet équivoque privilège que possède la musique de pouvoir faire naître en même temps des pensées nobles et des pensées malsaines. […] Et puis vous dirai-je ma pensée tout entière ? […] Laissez, dit-il, laissez aux rois les pensées royales et aux grands les grandes pensées. […] Il est trop honnête pour s’être jamais complu dans des pensées incestueuses, trop bourgeois pour avoir jamais en la pensée d’attenter à la vie d’autrui. […] « Il a été vraiment très bien dit que l’expression est toujours inférieure à la pensée, la pensée déterminée à la pensée vague et latente, et que nous n’exprimons que la plus mauvaise partie de nous-mêmes.

231. (1894) Les maîtres de l’histoire : Renan, Taine, Michelet pp. -312

Mais le fond de sa pensée n’a point varié. […] Sa pensée s’étant précisée, son style était devenu plus personnel, plus original, plus dégagé de toute convention, de toute influence extérieure, plus conforme à sa pensée. […] Ces distractions eussent dérangé l’unité de sa vie et de ses pensées. […] Michelet avait besoin de calme et de tranquillité pour noter ainsi ses pensées. […] Nulle part la pensée n’est plus libre, la vue plus limpide.

232. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre II. Le cerveau chez les animaux »

« Dans l’enfance, dit-il, le corps est faible et délicat ; il est habité par une pensée également faible. […] Il n’entre pas dans notre pensée d’embrasser ce problème dans son inextricable complexité. […] Que le cerveau soit l’organe de la pensée et de l’intelligence, c’est ce qui paraît suffisamment attesté par le fait que nous sentons notre pensée dans la tête, que la contention du travail intellectuel nous y cause de la douleur, que toute affection cérébrale empêche ou altère les fonctions intellectuelles. […] Lélut, Physiologie de la pensée, t.  […] II, Mémoire sur les rapports de la pensée et du cerveau.

233. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre II : Partie critique du spiritualisme »

L’hypothèse qui ferait de l’intelligence de tous les hommes sans exception une sorte de réfraction ou de diffraction de la mienne propre, cette hypothèse suivant laquelle les pensées d’un Newton ou d’un Laplace seraient encore mes propres pensées, même lorsque je suis absolument incapable de les comprendre, une telle hypothèse, si contraire au sens commun, n’a jamais été explicitement, que je sache, soutenue par aucun philosophe. […] Le moi l’occupait tout entier, et la pensée de l’absolu et du divin semblait dormir dans les profondeurs de sa conscience : une note mystérieuse ajoutée aux Rapports du physique et du moral était la seule indication d’une tendance religieuse et déjà mystique qui devait se développer plus tard dans sa dernière phase philosophique. […] Oserai-je dire toute ma pensée ? […] Il est surprenant que la négation de la personnalité divine soit venue de l’école de Hegel ; cette école, qui n’admet que le sujet, que la pensée, que l’idée, devait définir Dieu le sujet absolu, ce qui est la plus haute idée que l’on puisse se faire de la personnalité. […] Pour être vrai, il faut reconnaître que ce n’est point par la métaphysique, c’est par la philosophie sociale et politique que le principe de la personnalité est entré dans la pensée moderne.

234. (1856) Cours familier de littérature. I « Ier entretien » pp. 5-78

la pensée. […] On n’escalade pas la pensée de Dieu ! […] Quels vivants vaudraient pour moi ces morts ressuscités dans ce qu’ils ont eu de mieux sur la terre, leur pensée ? […] N’ai-je pas vu mourir avant moi toutes mes pensées ? […] À quoi bon vivre pour ne contempler autour de soi que les ruines de ce qu’on a construit dans ses pensées ?

235. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE STAEL » pp. 81-164

En un mot, s’il fallait dès lors assigner une ligne politique à une pensée si traversée et si balancée par les affections, ce serait moins encore dans le groupe de MM. […] Chez Mme de Staël aussi bien que chez Benjamin Constant, les essais en ce genre furent médiocres : leur pensée si libre, si distinguée, dans la prose, n’emportait jamais, à l’origine, cette forme ailée du vers, qui, pour être véritablement sacrée, doit naître et partir avec la pensée même. […] Le sophisme des idées repousse, l’érudition ne satisfait pas, et le cœur est trop sacrifié à la pensée… Votre talent n’est qu’à demi développé, la philosophie l’étouffe. […] des marbres, des horizons, des cadres plus grands, pour prêter appui à des pensées moins éphémères ! […] (Voir aussi dans la Correspondance de Steele et de Pope une lettre du 15 juillet 1712 où cette pensée est exprimée avec bien de la philosophie.)

236. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Pensées »

Pensées On me permettra de terminer ce volume comme j’ai fait déjà pour quelques-uns des volumes précédents, je veux dire par quelques Pensées familières qui s’adressent moins au public des lecteurs qu’à des habitués et à des amis. […] qu’une pensée d’elle venait droit au poëte, et je répétai encore, en effleurant cette fois son doux œil bleu : « Non ! […] XI La pensée est la superfluité de la vie : dans la jeunesse, on peut la mener de front avec les autres dépenses du dedans ; mais plus tard elle devient incompatible avec l’excès ou même avec l’usage des plaisirs. […] Ceux qui ont la parole si prompte et si sûre sont tentés de rester un peu superficiels et de ne pas creuser les pensées. […] XXXV J’avais une manière ; je m’étais fait à écrire dans un certain tour, à caresser et à raffiner ma pensée ; je m’y complaisais.

237. (1894) Propos de littérature « Chapitre Ier » pp. 11-22

L’important, c’est qu’il le crée pour lui-même, lorsque, par les notions peu à peu acquises, son idée prend corps et se développe, lorsque le monde lui apparaît en sa nouveauté comme un enfant merveilleux de sa pensée. […] Vielé-Griffin, après quelques tâtonnements, écouta des cantilènes victorieuses dire les paroles de sa pensée, laissa toutes ses idées s’épanouir sans contrainte à la pleine joie du soleil. […] La suite de pensées et d’impressions qui a conduit M.  […] Mais on y voit nettement les idées considérées comme indépendantes du vouloir, la force du Destin et la conclusion : se résigner ; enfin, et surtout, la ligne d’une pensée esthétiquement grande et belle, très propice à une grave poésie lyrique. […] Au point de vue même de leurs idées philosophiques, ils représentent bien les deux courants principaux où la pensée des poètes récents aime à se laisser dériver.

238. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Léopold Ranke » pp. 1-14

Les retracer fidèlement, mais sous l’impression de ce coup porté à l’esprit, qui doit toujours le féconder, semble une chose aisée ; et cela l’est si peu, néanmoins, que, depuis Hérodote jusqu’à nos jours, on trouve bien sur son chemin quelques bons romans historiques et quelques essais (good historical romances and good historical essays), mais, dans toute la rigueur du mot, pas une irréprochable histoire. » Et, pour mieux creuser sa pensée, le critique anglais ajoutait : « Dans les sciences, il est des œuvres qu’on peut appeler parfaites. […] Or, jamais cette impersonnalité exigée par les rhétoriques, rêvée par les niais et jouée par les sournois, ne nous a paru briller plus clairement de sa fausse lumière que dans l’Histoire de France publiée par Léopold Ranke, — le meilleur ouvrage peut-être qui ait jamais été écrit pour prouver que l’indifférence olympienne est la qualité des dieux de marbre qu’on n’invoque plus, mais qu’elle n’est jamais qu’une hypocrisie de la pensée, qui, pour sa peine, — comme on va le voir, — en reste blessée et mutilée presque toujours. […] Tous les fronts, il est vrai, ne sont pas également faits pour s’embellir des glorieux chevrons de la pensée, de ces rides qui vont bien aux talents éprouvés comme aux mâles visages. […] Il est de ces esprits, impuissants et nerveux tout ensemble, pour qui le perfectionnement littéraire consiste à s’effacer jusqu’au néant, à éteindre la chaleur, à diminuer le relief, à soutirer la passion, et pour qui toute page vivement écrite ou âprement pensée produit l’effet de l’écarlate sur le taureau. […] qu’on a transi son talent, qu’on n’a pas eu la bravoure de sa pensée ; qu’au lieu d’être un grand ausculteur de faits on est devenu un empailleur d’idées générales qui ressemblent à des momies, et qu’on peut s’appeler désormais en froideur la fée Concombre de l’Histoire.

239. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice Bouchor »

Faust et Don Juan sont comme deux jougs, deux inévitables jougs, qui tombent sur le cou de la pensée moderne quand elle y touche. […] Il a, tout en le niant, le Christianisme dans la pensée. […] Maurice Bouchor combat, partout, l’ange qu’il a dans la pensée, mais l’ange est partout son vainqueur. […] Rien ne pouvant répondre à cette âme lassée Dont les ennuis par nulle autre ne sont soufferts, Je fléchis sous le poids de ma propre pensée. […] … Il devait y croire, en se regardant… Du reste, je l’ai dit aux premières lignes de ce chapitre, Maurice Bouchor est trop près des premières impressions de son éducation poétique pour avoir pu s’en abstraire et les effacer entièrement de sa pensée.

240. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Auguste de Chatillon. À la Grand’Pinte ! »

Il est parent de celui-là qui disait, mélancolique avec lui-même : « Quand une pensée ne vient pas, un coup de bon vin la fait venir, et quand elle est venue, un coup de bon vin la récompense ! » Évidemment, chez ce M. de Châtillon, beaucoup de pensées, — celles-là que le cœur garderait, — sont venues sous l’action de ce vin, quoique, hélas ! […] Je veux fortifier et réchauffer cette pensée d’un poète, qui, s’il a bu, je le crains bien, a bu surtout des larmes… de ces larmes qui restent longtemps aux yeux sans en tomber, qui coulent enfin et qu’on dévore. […] Et il l’a été en effet, pour penser, ce fils d’hommes armés, avec ce désarmement de pensées : Je ne demande rien en somme, Ne flattant pas, on le sait bien… Ma route est solitaire comme La route où l’on ne gagne rien ! […] Quand le monde est à l’Idéal, aux profondes convictions, aux grandes choses, l’influence du monde sur le poète ne détruit pas le don de Dieu, cette originalité délicate qui est à la pensée ce que la pureté est au cœur.

241. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Lahor, Jean = Cazalis, Henri (1840-1909) »

Après l’avoir relu, je le mets décidément à l’un des meilleurs endroits de ma bibliothèque, non loin de l’Imitation, des Pensées de Marc-Aurèle, de la Vie intérieure et des Épreuves de Sully Prudhomme, — dans le coin des sages et des consolateurs. […] On voit assez que l’œuvre de Jean Lahor, de l’épicurisme nous ramenant au stoïcisme par le grand et beau détour de la contemplation désintéressée, est, quoi qu’on en puisse penser au point de vue de la dialectique rigoureuse, un très grand et très séduisant voyage, fécond en fortes pensées, et du reste d’une majestueuse pensée… Je quitte à regret le recueil de Jean Lahor. C’est une œuvre forte, brillante et variée, vigoureusement pensée et le plus souvent d’un très grand style.

242. (1901) Figures et caractères

La pensée se libère. […] Il est alors au plus haut de sa pensée. […] On est quelquefois à la source des pensées. […] Chaque jour apporte sa pensée, sa trouvaille. […] L’antiquité revit en ses pensées mélodieuses.

243. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — I. » pp. 180-197

Un Dieu, un Christ, un évêque, un roi, — voilà bien dans son entier la sphère lumineuse où la pensée de Bossuet se déploie et règne : voilà son idéal du monde. […] Poujoulat, dans une suite de Lettres adressées à un homme politique étranger, s’attache à montrer que Bossuet n’est pas seulement grand dans les ouvrages célèbres qu’on lit ordinairement de lui, mais qu’il est le même homme et le même génie dans toute l’habitude de sa pensée et dans l’ensemble de ses productions. […] Poujoulat a la plume grave comme la pensée. […] Cousin envers les premiers éditeurs des Pensées de Pascal, l’abbé Vaillant s’appliqua ensuite à quelque chose de plus utile, c’est-à-dire à retrouver l’ordre chronologique des sermons et des panégyriques de Bossuet ; en y regardant de près, il est parvenu à déterminer les dates, au moins approximatives, pour un bon nombre. […] On croirait lire un passage du livre des Pensées.

244. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Eugénie de Guérin, Reliquiae, publié par Jules Barbey d’Aurevilly et G.-S. Trébutien, Caen, imprimerie de Hardel, 1855, 1 vol. in-18, imprimé à petit nombre ; ne se vend pas. » pp. 331-247

Je voudrais faire partager à d’autres l’impression que j’ai reçue de la lecture de ce petit volume, rempli d’une suave et haute pensée. […] terrible et unique pensée de ta sœur. […] un tout petit ouvrage où j’encadrerais mes pensées, mes points de vue, mes sentiments sur un objet… J’y jetterais ma vie, le trop plein de mon âme qui s’en irait de ce côté. […] Tout me devient d’une même couleur triste ; toutes mes pensées tournent à la mort. […] La pensée, chez lui, naît tout armée, les images éclatent d’elles-mêmes : il n’a qu’à choisir et à en sacrifier quelques-unes pour faire aux autres une belle place, la place qui paraisse la plus naturelle.

245. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre II. Rapports des fonctions des centres nerveux et des événements moraux » pp. 317-336

Tyndall155, que tous les grands penseurs qui ont étudié ce sujet, sont prêts à admettre l’hypothèse suivante : que tout acte de conscience, que ce soit dans le domaine des sens, de la pensée ou de l’émotion, correspond à un certain état moléculaire défini du cerveau ; que ce rapport du physique à la conscience existe invariablement, de telle sorte que, étant donné l’état du cerveau, on pourrait en déduire la pensée ou le sentiment correspondant, ou que, étant donnée la pensée ou le sentiment, on pourrait en déduire l’état du cerveau. […] Mais les deux cas diffèrent en ceci, que, si l’on ne peut démontrer l’influence du courant sur l’aiguille, on peut au moins se la figurer, et que nous n’avons aucun doute qu’on finira par résoudre mécaniquement le problème ; tandis qu’on ne peut même se figurer le passage de l’état physique du cerveau aux faits correspondants du sentiment. — Admettons qu’une pensée définie corresponde simultanément à une action moléculaire définie dans le cerveau. […] D’une part, nous avons vu que nos idées les plus abstraites, étant des signes, se réduisent à des images, que nos images elles-mêmes sont des sensations renaissantes, que partant notre pensée tout entière se réduit à des sensations. […] Pour les sens et l’imagination, la sensation, la perception, bref la pensée n’est qu’une vibration des cellules cérébrales, une danse de molécules ; mais la pensée n’est telle que pour les sens et l’imagination ; en elle-même, elle est autre chose, elle ne se définit que par ses éléments propres, et, si elle revêt l’apparence physiologique, c’est qu’on la traduit dans une langue étrangère, où forcément elle revêt un caractère qui n’est pas le sien. […] Extrait d’une leçon sur les forces physiques et la pensée faite à l’Association britannique pour l’avancement des sciences (session de Norwich).

246. (1895) De l’idée de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines pp. 5-143

D’ailleurs, fût-il certain, il ne garantirait pas l’objectivité de la logique syllogistique, si celle-ci, comme nous avons essayé de le montrer, n’est pas la pensée même, mais une altération des principes de la pensée résultant précisément de l’opposition de la pensée et des choses. […] Or, elles impliquent des éléments impénétrables à la pensée. […] Un paquet de sensations est-il une pensée ? […] La pensée, ainsi, n’est pas indissolublement liée à l’organisme. […] Elle représente la pensée même du Créateur.

247. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE PONTIVY » pp. 492-514

L’amour, comme tout ce qui tient à la pensée, ne saurait être à la merci d’un jeu du dehors, d’un tort sans intention ; il ne se brise pas comme le verre dont le cadre neuf a tout d’un coup joué sous un rayon ardent, ou sous une pluie humide. […] Sa pensée se reportait en arrière, et ce temps, dont il n’aurait pas voulu la continuation, il le regrettait par une sorte de contradiction singulière, et qui n’est pas si rare. […] Il en avait ri autrefois, il s’en irritait désormais, car il lui fallait adorer Mme de Pontivy dans ce cadre, et l’en séparer sans cesse par la pensée. […] Cette pensée ne laissait pourtant pas d’être une épine cachée. […] Tout pour lui donnait cours et sujet à l’unique pensée.

248. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IX. La littérature et le droit » pp. 231-249

§ 3. — Il est dans nos codes une partie qui se lie plus intimement encore à la littérature : c’est celle qui porte sur la publication de la pensée et sur les profits que l’auteur peut en tirer. […] Si l’on voulait faire avec soin cette étude (dont nous pouvons tout au plus esquisser ici les grandes lignes), il faudrait suivre dans chaque période le régime imposé à la pensée écrite et à la pensée parlée. […] L’invention de l’imprimerie, en permettant la multiplication rapide et indéfinie de la pensée, est le fait capital qui en a rendu possible l’émancipation. […] S’il importe ainsi, pour s’expliquer le ton, l’abondance et le succès de certaines œuvres, de connaître le régime légal où a dû évoluer la pensée écrite, il ne faut pas non plus négliger les conditions faites à la parole. […] Je crois inutile d’insister davantage pour montrer à quel point les lois réglementant la publication de la pensée peuvent et doivent en modifier l’expression.

249. (1889) L’art au point de vue sociologique « Introduction »

Qu’est-ce à son tour que la métaphysique, qui paraît d’abord un exercice solitaire de la pensée, la réalisation de l’idéal érigé en Dieu par Aristote, — la pensée suspendant tout à ses propres lois et se repliant sur soi dans la pensée de la pensée ? […] Les génies de contemplation et d’art font de même, car la contemplation prétendue n’est qu’une action réduite à son premier stade, maintenue dans le domaine de la pensée et de l’imagination. […] Avec Hugo, la poésie devient vraiment sociale en ce qu’elle résume et reflète les pensées et sentiments d’une société tout entière, et sur toutes choses. « On pourrait extraire de V.  […] Hugo apparaîtra plutôt comme un grand songeur, mais « ce genre de songe profond est la caractéristique de la plupart des génies, qui sont emportés par leur pensée plutôt qu’ils ne la maîtrisent ». […] Il insiste surtout sur l’évolution par laquelle la prose devient de plus en plus « poétique », non au vieux sens de ce mot, qui désignait la recherche des ornements et les fleurs du style, mais au sens vrai, qui désigne « l’effet significatif et surtout suggestif » produit, par l’entière adoption de la forme au fond, du rythme et des images à la pensée émue.

250. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Introduction »

Un tel droit suppose au contraire implicitement que ma pensée bien conduite est capable d’atteindre à la vérité, et qu’il n’y a qu’à la laisser faire pour qu’elle la rencontre naturellement. […] Si l’on n’est pas de leur avis, ils vous dénoncent comme des ennemis de la libre pensée : la vraie liberté consiste à penser comme eux. […] La libre pensée n’y est pour rien et servirait plutôt à les disperser, car en habituant l’homme à voir clair en toutes choses, elle l’habitue à voir clair en lui-même. […] Il est, dit-on, une limite où la pensée doit nécessairement s’arrêter : c’est lorsqu’elle rencontre la parole divine, l’autorité de la révélation. […] Le surnaturel est le domaine sacré où la parole humaine doit se taire et la pensée s’humilier.

251. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome I

Les abus de la pensée d’une époque définissent le mieux cette, pensée. […] Que disait d’autre Fénelon : « Ne se servir de la parole que pour la pensée et de la pensée que pour la vérité ?  […] Ce terme, la Science, qui nous donne l’illusion d’une unité dans les objets de la pensée et dans cette pensée même, ne correspond à rien. […] » Des disciples ainsi conquis, ainsi possédés par la pensée d’un maître, sont les propagateurs les plus efficaces de cette pensée. […] C’est la Pensée qui fait de l’Homme un roi, hélas !

252. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la bienfaisance. »

La triste connaissance du cœur humain fait, dans le monde, de l’exercice de la bonté un plaisir plus vif ; on se sent plus nécessaire, en se voyant si peu de rivaux ; et cette pensée anime à l’accomplissement d’une vertu à laquelle le malheur et le crime offrent tant de maux à réparer. […] Si cependant l’on se livre à des retours sur soi, ils sont tous remplis d’espérance ; le bien qu’on a fait est une égide qu’on croit voir entre le malheur et soi ; et lors même que l’infortune nous poursuit, on sait où se réfugier, on se transporte par la pensée dans la situation heureuse que nos bienfaits ont procuré. […] Voyez Almont, sa fortune est restreinte, mais jamais un être malheureux ne s’est adressé à lui sans que, dans cet instant, il ne se soit trouvé les moyens de venir à son aide, sans que, du moins, un secours momentané n’ait épargné à celui qui prie, le regret d’avoir imploré en vain ; il n’a point de crédit, mais on l’estime, mais son courage est connu ; il ne parle jamais que pour l’intérêt d’un autre ; il a toujours une ressource à présenter à l’infortune, et il fait plus pour elle que le ministre le plus puissant, parce qu’il y consacre sa pensée tout entière. Jamais il ne voit un homme dans le malheur qu’il ne lui dise ce qu’il a besoin d’entendre, que son esprit, son âme ne découvrent la consolation directe, ou détournée, que cette situation rend nécessaire, la pensée qu’il faut faire naître en lui, celle qu’il faut écarter, sans avoir l’air d’y tâcher. […] Almont ne s’écarte jamais, en faisant beaucoup de bien, du principe inflexible qui lui défend de se permettre ce qui pourrait nuire à un autre ; en réfléchissant sur la vie, on voit la plupart des êtres se renverser, se déchirer, s’abattre, ou pour leurs intérêts, ou seulement par indifférence pour l’image, pour la pensée de la douleur qu’ils n’éprouvent pas.

253. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Comte de Gramont »

Comte de Gramont5 De toutes les choses de la pensée, la poésie, qui est la plus difficile, la plus puissante et la plus rare, tente beaucoup d’esprits et les trompe. […] En vain nous chante-t-il Endymion et Phœbé, comme un Grec réveillé tout à coup du sommeil d’Épiménide, et nous traduit-il Sannazar une parenté en génie ; puis, las de tordre et d’assouplir cette ferme langue française qui reste toujours de l’acier, même quand on en fait de la dentelle, se met-il à écrire le sonnet dans sa langue maternelle, la langue italienne, qu’il manie avec une morbidesse fleurie qui eût charmé Pétrarque et qui convient si bien à la nature ingénieuse et raffinée de sa pensée, Gramont est plus qu’un écrivain qui se joue dans les difficultés de deux langues, un archaïste d’une exécution supérieure. […] Il n’a pas — cela est vrai — l’âme infinie, le grand souffle, la palpitation dilatée, l’abondance, la facilité magnifique des plus puissants parmi les poètes ; mais comment le saurait-il, comment pourrait-il les avoir avec la forme qu’il préfère, sous ce strict compas du sonnet, entre les deux branches duquel il ploie et reploie sa pensée ? […] De tous les deuils de la pensée du poète, c’est celui dont l’expression revient le plus dans ses poésies, et il est si beau, et il y jette un éclat d’idéal si sévère, qu’on n’en voudrait pas d’autre à côté. […] Seulement, autant, quand il reste le poète d’une cause et des traditions de son berceau, il est au-dessus de l’imitation et des reflets de la Renaissance et trouve sans la chercher cette forme qui n’est ni un vêtement, ni un ornement, mais la splendeur de la pensée à travers les mots qui la voilent et qui la révèlent, autant, quand le souvenir qu’il évoque tient à ces sentiments plus vulgaires que nous avons tous éprouvés, il retombe dans cette forme d’une époque trop admirée et que le progrès serait d’oublier.

254. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Belmontet »

Entraîné, comme notre siècle, vers la prose, qui est l’action dans la pensée écrite, comme la poésie en est la contemplation ou le rêve, nous n’avions pas eu, du reste, depuis que nous écrivons ce bulletin56, beaucoup de chefs-d’œuvre à sacrifier à cet amour sévère de la prose, qui est la préférence réfléchie des longues civilisations. […] Prenez Byron, prenez Manzoni, prenez Lamartine, Victor Hugo, Béranger, et voyez s’il en est un qui ait su se défendre de la grande obsession de la pensée contemporaine : l’Empereur et l’Empire ! […] Et, cependant, comme Lamartine et comme Victor Hugo, il doit les meilleurs de ses chants à cette poésie toute faite de l’Empire, qui s’est imposée à sa pensée pour la féconder et pour la grandir, et qui dominera longtemps encore les plus fortes imaginations ! […] Il a donc cette fortune de la pensée que ses opinions politiques et les inspirations de sa muse s’accordent et mutuellement s’exaltent. […] Belmontet a plusieurs des grandes qualités qui font le poète : il a le souflle, le mouvement, la passion vraie, l’amertume, la griffe irritée, la familiarité saisissante, qui semble s’élever en descendant… Son rhythme même (cette chose sans laquelle maintenant il n’est plus possible d’être poète), son rhythme a de puissantes articulations qui jouent avec souplesse sous sa pensée.

255. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Introduction »

À cette affreuse image tous les mouvements de l’âme se renouvellent, on frissonne, on s’enflamme, on veut combattre, on souhaite de mourir, mais la pensée ne peut se saisir encore d’aucun de ces souvenirs ; les sensations qu’ils font naître absorbent toute autre faculté. […] Dans les deux parties de cet ouvrage, j’ai également cherché à ne me servir que de ma pensée, à la dégager de toutes les impressions du moment, on verra si j’ai réussi. […] Les hommes, privés d’occupations fortes, se resserrent tous les jours plus dans le cercle des idées domestiques, et la pensée, le talent, le génie, tout ce qui semble des dons de la nature, ne se développe cependant que par la combinaison des sociétés ; le même nombre d’hommes divisé, séparé, sans mobile et sans but, n’offre pas un génie supérieur, une âme ardente, un caractère énergique ; tandis que dans d’autres pays, parmi les mêmes êtres, plusieurs se seraient élevés au-dessus de la classe commune, si le but avait fait naître l’intérêt, et l’intérêt l’étude, et la recherche des grands moyens et des grandes pensées. […] Une comparaison fera mieux sentir ma pensée : à la renaissance des lettres, les premiers écrits qu’on a composé, ont été pleins de recherche et d’affectation. […] Votre système de vie est attaqué, chaque coup ébranle l’ensemble : celui-là aussi s’éloigne de moi, est une pensée douloureuse, qui donne au dernier lien qui se brise un prix qu’il n’avait pas auparavant.

256. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre deuxième. Troubles et désagrégations de la conscience. L’hypnotisme et les idées-forces »

La mère s’endort dans la pensée-fixe de son enfant ; l’hypnotisé, dans la pensée fixe de l’hypnotiseur. […] Gibert convient d’endormir de chez lui Mme B… par la pensée, puis de la forcer à se lever et à venir le rejoindre. […] La pensée claire dit alors le mot non, mais la sensation obscure, à l’aide du doigt, répond oui. C’est qu’un groupe d’impressions confuses s’est, développé en son propre sens sous la masse des pensées distinctes. […] Janet lui avait suggéré par la pensée de prendre une lampe, à onze heures du matin, et de la porter au salon.

257. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « PENSÉES ET FRAGMENTS. » pp. 495-496

PENSÉES ET FRAGMENTS145. […] Un des inconvénients de ces collaborations dans des feuilles d’opinions tranchées et de parti est d’assujettir insensiblement la pensée à une manière de voir qui s’impose même en littérature et qui exclut l’entière impartialité. Un inconvénient matériel, mais qui a des désagréments littéraires, est que, dans ces publications hâtives, qu’on ne dirige pas, votre pensée arrive souvent au public tout altérée et méconnaissable par des fautes. […] J’ai réuni, dans les pages qui suivent, quelques fragments de jugements et quelques pensées qui pourront servir à éclaircir, à modifier d’autres points de vue antérieurs.

258. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Henri Cantel »

C’est le manque de poétique, d’une poétique qui serait une méthode, et qui ne peut pas être cette chose emphatiquement vague, tout au plus bonne comme tendance, mais, comme portée, nulle : l’aspiration vers le beau dans l’indépendance de la pensée ! […] Cantel a-t-il reçu pour l’y durcir, en l’y noyant, la frissonnante jeunesse de sa pensée ? […] Mais on ne vit pas longtemps hors des habitudes de sa pensée, et où qu’on fuie, elles savent nous reprendre de leurs traîtresses mains de velours ! […] n’a pas que les détails d’une œuvre à juger ; elle en a à juger l’inspiration même, la pensée fondamentale et première, — car c’est là qu’est le poète, — l’originalité, la vitalité, l’éternité du poète (s’il est éternel !). […] Organisé pour être un poète, qu’il ne revête pas sa poésie de formes épuisées ; qu’il n’enferme pas sa pensée dans ce symbolisme païen, le cercueil de tout un monde fini !

259. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (2e partie) » pp. 305-367

Voilà toute la pensée de mon livre ! […] Une grande pensée, un code de la raison, saisit un peuple intelligent, enthousiaste, aventureux, la France. […] Sa pensée se brouille dans sa tête et la plus grande pensée des siècles aboutit à la guerre et à la servitude. […] Car, au fond, c’était là leur pensée. […] Il avait été un des confidents les plus initiés dans les pensées et dans les actes politiques du chef du comité de salut public.

260. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre premier. La sélection et la conservation des idées dans leur relation à l’appétit et au mouvement. »

Refaire dans notre pensée un nouvel univers semblable au grand, tel est le but de la représentation. […] Or, que de choses simultanées au dehors de nous qui ne peuvent l’être dans notre pensée ! […] Notre pensée, au contraire, est un point qui se meut sur la ligne du temps et n’y occupe jamais qu’un moment à la fois. […] Raccourcissez par la pensée les dimensions du ciel visible en gardant toutes les distances respectives des astres, vous pourrez, dans votre tête, faire tenir le firmament. […] Je fais l’expérience : je fixe fortement ma pensée sur une des molaires de droite, je localise d’avance la douleur que je vais essayer d’évoquer ; puis j’attends.

261. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIe entretien. Madame de Staël »

Une renaissance de la pensée libre éclatait sur l’Europe. […] Le jeune et beau comte Louis de Narbonne, ministre de la guerre avant Dumouriez, puisait ses inspirations dans les pensées de madame de Staël et sa récompense dans son amitié. […] Elle avait la magnanimité du caractère autant que la magnanimité de la pensée. […] La pensée dans ces deux écrits est d’un républicain sincère, le style est d’un grand publiciste. […] Dans cette pensée, elle chercha avec anxiété les occasions de rencontrer le général Bonaparte et de l’éblouir par sa conversation.

262. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces diverses — Préface du « Rhin » (1842) »

Fût-on en apparence plus assidûment livré à d’autres études, non moins hautes, non moins fécondes, mais plus libres dans le temps et l’espace, il faut accepter, lorsqu’elles se présentent, certaines tâches austères de la pensée. […] L’écrivain qui parle ici se donna donc en toute conscience et en tout dévouement au grave travail qui surgissait devant lui ; et, après trois mois d’études, à la vérité fort mêlées, il lui sembla que de ce voyage d’archéologue et de curieux, au milieu de sa moisson de poésie et de souvenirs, il rapportait peut-être une pensée immédiatement utile à son pays. […] Le caprice de la pensée franchit les mers sans navire, les fleuves sans pont et les montagnes sans route. […] Dans ces excursions silencieuses, il emporte deux vieux livres, ou, si on lui permet de citer sa propre expression, il emmène deux vieux amis, Virgile et Tacite ; Virgile, c’est-à-dire toute la poésie qui sort de la nature ; Tacite, c’est-à-dire toute la pensée qui sort de l’histoire. […] Dans cette situation, l’observateur, quel qu’il soit, pour peu qu’il se soit livré quelquefois à la publicité, doit, s’il veut conserver entière son indépendance de pensée et d’action, garder l’incognito comme s’il était quelque chose et l’anonyme comme s’il était quelqu’un.

263. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IV. Des changements survenus dans notre manière d’apprécier et de juger notre littérature nationale » pp. 86-105

N’entendez-vous pas déjà répéter de tous les côtés, et jusque dans nos chaires publiques, que nos grands écrivains du siècle de Louis XIV ne furent pas à leur aise dans les institutions de leur temps, que leur génie a manqué d’indépendance et de liberté, qu’ils ont imposé à la langue et à la littérature nationale des entraves dont elles gémissent, qu’ils nous ont mis à l’étroit dans leurs pensées trop circonscrites ? […] Un petit nombre d’écrivains dominés par l’ascendant de la pensée se sont réellement trouvés à l’étroit dans une langue où les limites de l’expression ne sont point assez incertaines ; ils ont voulu franchir cette borne immobile : il en est résulté quelques succès et bien des revers. […] Pour avoir sur cet objet des idées justes et vraies, ne faudrait-il pas rétablir, par la pensée, les idées qui dominaient à l’époque où Eschyle, Euripide et Sophocle régnaient sur la scène tragique ? […] Sans doute, dans tous les ouvrages de Bossuet, l’esprit resterait étonné par un style vif, énergique et pittoresque ; par la grandeur des images et la hardiesse des figures ; par ce quelque chose de rude et de heurté d’un fier génie pour qui la faible langue des hommes est une condescendance de la pensée, car le feu de sa pensée, à lui, s’allume dans une sphère plus élevée. […] Oui, continuant de m’associer aux idées du temps, aux pensées des hommes qui vivent en ce moment, aux nouveaux errements de la société ; oui, je trouve dans Bossuet je ne sais quoi de plus vieux que l’antiquité, je ne sais quoi de trop imposant pour nos imaginations qui ne veulent plus de joug.

264. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME GUIZOT (NEE PAULINE DE MEULAN) » pp. 214-248

On lit un livre, dès la préface on en tire la connaissance de l’auteur, on entre dans sa pensée ou on la contredit ; à la vingtième page, que de réflexions le livre a déjà fait naître ! […] Elle lut davantage ; elle lisait lentement ; son esprit fécond et réfléchi, dès les premières pages d’un livre, allait volontiers à ses propres pensées suscitées en foule par celles de l’auteur. […] Suard, y rencontrait donc une nuance suffisamment conforme à celle de sa pensée et un cadre commode à des essais de plus d’un genre. […] Elle n’aimait pas l’art avant tout, et voyait le fond plutôt que la forme, préférant la pensée moderne à la beauté antique. […] Personne de vérité jusqu’au bout, elle ne voulut mêler, même aux devoirs qui suivent la mort, rien de factice et de convenu, rien que de conforme à l’intime pensée.

265. (1888) Portraits de maîtres

Voilà pour la pensée. […] Ne forçons pas cette pensée. […] On dirait même qu’il s’attribue le privilège de la poésie pensée. […] » a fort bien dit Alfred de Vigny, « une grande pensée de la jeunesse réalisée par l’âge mûr. » Les pensées de ce genre ne manquèrent pas à Edgar Quinet. […] À tout moment la pensée déborde l’expression.

266. (1856) Cours familier de littérature. II « XIe entretien. Job lu dans le désert » pp. 329-408

Vos sens s’émoussent un à un comme de mauvais outils incapables de creuser même vos propres pensées. […] Pauvre pensée humaine ! […] Milton est le poète de l’air ; il y plonge avec sa pensée d’aveugle comme l’oiseau qui ne craint pas de briser son aile aux parois de l’éther. […] J’avais déjà depuis longtemps cette idée dans l’esprit, avant de traverser la mer, pour aller tremper ma pensée dans d’autres vagues d’air que celles où nous respirons dans notre petite Europe. […] Sans cet espace, d’où notre pensée du moins peut fuir, la terre ne serait pas habitable.

267. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — I — Vauvenargues et Fauris de Saint-Vincens » pp. 1-16

Cet homme, ce caractère, on l’avait déduit avec netteté et certitude de quelques pensées simples et grandes exprimées avec un accent qui ne trompe pas. […] L’auteur s’était particulièrement attaché à ressaisir et à démontrer sous la ligne idéale du premier Vauvenargues assez vaguement défini l’homme réel, ambitieux d’une carrière, soit militaire, soit politique, avide d’éloquence, d’action, d’une grande gloire supérieure encore dans sa pensée à celle des lettres. […] J’insisterai peu sur les mérites de détail de l’édition, le choix des meilleurs textes, des meilleures leçons (car, chez Vauvenargues, les mêmes pensées souvent sont reproduites plus d’une fois et dans des termes presque identiques) ; j’en viendrai d’abord à ce qui fait l’intérêt réel de la publication de M.  […] On trouve, en effet, chez lui de belles pensées qui semblent n’avoir pu être conçues que par un chrétien, à côté d’autres pensées qui semblent ne pouvoir être que d’un philosophe. […] Dans ces lettres à Saint-Vincens où il s’abandonne tout à fait au courant de la pensée et au mouvement de la plume, il divague quelquefois et tombe même dans quelque confusion.

268. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — II » pp. 107-121

Les amis de M. de Tocqueville eurent besoin eux-mêmes de quelques explications pour être assurés de sa pensée fondamentale et de son but, lorsque les deux premiers volumes de La Démocratie en Amérique parurent. […] Quels produits différents de l’intelligence que la pensée qui fait écrire et celle qui fait agir ; la pensée qui se resserre dans les limites d’un acte à accomplir, et celle qui s’étend dans un grand espace et veut juger en général les résultats et les causes ! […] Que ferais-je si j’apercevais que j’ai pris des inspirations vagues pour des idées précises, des notions vraies mais communes pour des pensées originales et neuves ? […] M. de Tocqueville, favorable à l’auteur et au livre, en prit occasion d’exposer ses idées sur les beaux-arts et sur leur fonction dans la société : l’idée de moralité dominait sa pensée, le nom de Poussin y prêtait. […] Aujourd’hui, que l’enveloppe délicate et frêle qu’usait et dévorait une pensée si fervente s’est brisée, je me rends mieux compte que jamais de ce qui me frappa alors ; et certes mon respect pour l’homme ne diminue pas.

269. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre IV. De l’amour. »

On échappe au monde par des intérêts plus vifs que tous ceux qu’il peut donner ; on jouit du calme de la pensée et du mouvement du cœur ; et dans la plus profonde solitude la vie de l’âme est plus active que sur le trône des Césars. Enfin, à quelque époque de l’âge qu’on transportât un sentiment qui vous aurait dominé depuis votre jeunesse, il n’est pas un moment où d’avoir vécu pour un autre, ne fut plus doux que d’avoir existé pour soi, où cette pensée ne dégageât tout-à-la-fois des remords et des incertitudes. […] Quel est l’esprit supérieur qui ne trouve pas dans un véritable sentiment le développement d’un plus grand nombre de pensées, que dans aucun écrit, dans aucun ouvrage qu’il puisse ou composer ou lire ? […] Des têtes fortes regardent les travaux de la pensée, les services rendus au genre humain, comme seuls dignes de l’estime des hommes. […] Il est un dernier malheur dont la pensée n’ose approcher, c’est la perte sanglante de ce qu’on aime, c’est cette séparation terrible qui menace chaque jour tout ce qui respire, tout ce qui vit sous l’empire de la mort.

270. (1900) L’état actuel de la critique littéraire française (article de La Nouvelle Revue) pp. 349-362

Cependant elle est si bien ancrée dans leur pensée, qu’ils ont un syndicat et un cercle, et sont formés en société professionnelle comme d’autres corps de métier. […] Il n’y aura bientôt plus qu’elles pour figurer la presse française en France, et garder dignement une place aux questions de pensée, même dans le quotidien déversement des informations. […] Vous, clarifiez votre pensée, et vous, ne vous rebutez pas, ne cédez pas au préjugé. » Voilà le rôle vrai du critique. […] Faguet est, de nos critiques, le plus digne de devenir un essayiste de haute pensée, de conseil fort, de vision généreuse et large. […] Ce serait le rôle de l’Académie des sciences, ce rôle international si beau, appliqué aux œuvres françaises par un tribunal d’hommes sans préjugés étroits, véritables directeurs des évolutions de pensée.

271. (1876) Du patriotisme littéraire pp. 1-25

Or, le devoir de ceux qui possèdent la tradition nationale est de s’opposer à la décadence d’un sentiment vital entre tous, car l’amour de la patrie ne se borne pas à la tutelle du sol : il doit encore comprendre le zèle intelligent, l’orgueil raisonné de ces chefs-d’œuvre qui, de siècle en siècle, ont fait resplendir la pensée française comme une flamme sur les hauteurs. […] Notre langue n’a rien à perdre pour se sentir plus arrêtée dans ses contours, plus dégagée dans ses allures, plus ferme dans sa marche, en allant droit devant elle, comme vers un but, à l’expression définitive de la pensée, sans s’attarder en mille détours comme la langue allemande, embarrassée d’incises, d’inversions et de toute sorte d’ambages. […] C’est dans tous les genres que, du règne d’Henri IV à la Révolution, notre Prose multiplie ses chefs-d’œuvre ; pamphlets vengeurs tels que la Ménippée et les Provinciales, pensées, maximes, portraits, mémoires, traités de morale, correspondance, éloquence sacrée, histoire, comédie, roman, conte, rien ne lui est étranger. […] C’est surtout par les triomphes de l’art, la suprématie de la Poésie et de la Prose, l’impérieux ascendant de la Pensée et du Génie, qui ne sont pas au hasard d’une bataille et à la merci de la conquête. […] Aimons ce siècle de tout notre patriotisme littéraire, car il nous a fait de nouveau les maîtres de la forme et de la pensée devant les peuples éblouis, car il a une fois de plus imposé notre génie à l’émulation de l’Europe, et, j’oserai le dire, en imprimant à ce génie un caractère plus sympathique et plus humain encore et par là peut-être plus durable.

272. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre II. Du goût, de l’urbanité des mœurs, et de leur influence littéraire et politique » pp. 414-442

En France surtout, il semble que le pouvoir, non seulement influe sur les actions, sur les discours, mais presque sur la pensée intime des flatteurs qui entourent les hommes puissants. […] Ce qui est plus fin que la pensée ne peut être appris que par l’habitude. […] La pensée est plus démocratique ; elle croit au hasard parmi tous les hommes assez indépendants pour avoir quelque loisir. […] Comment espérer que des pensées, qu’un ouvrage, puissent captiver tellement l’intérêt, que l’inconvenance du style ne détourne pas l’attention du lecteur ? […] Les femmes et les grands hommes, l’amour et la gloire, sont les seules pensées, les seuls sentiments qui retentissent vivement à l’âme.

273. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre VI. Science, histoire, mémoires »

La valeur littéraire des œuvres d’érudition se mesure à deux caractères : la quantité de pensée philosophique impliquée ou suggérée ; l’intensité de vie concrète exprimée ou dégagée. […] Cela montre seulement avec quelle douce inflexibilité cet homme savait pratiquer le respect de sa pensée. […] Faire de la vérité le but de la pensée, du bien la fin de l’action, le vrai étant l’exclusion du miracle, et le bien l’exclusion de l’égoïsme : on peut juger comme on voudra cette philosophie, on n’a pas le droit d’y voir un jeu de dilettante indifférent. […] Mais il a agi sur quelques intelligences, quelques âmes d’élite, et par elles passe, par elles surtout passera dans le domaine commun de la pensée le meilleur de l’œuvre du maître. […] Ximenès Doudan (1800-1872), précepteur du feu duc de Broglie : Mélanges et lettres, 4 vol. in-8, Calmann Lévy, 1876-77, Pensées, in-8, 1880.

274. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre II : Philosophie politique de Tocqueville »

C’était l’homme qui oubliait le plus les pensées des autres pour se concentrer dans les siennes. […] La majorité trace un cercle formidable autour de la pensée. […] La conséquence de cette tyrannie obscure exercée sur la pensée est une sorte de servilisme nouveau et de courtisanerie démocratique digne d’être étudiée. » Cette servitude d’un nouveau genre peut se comprendre aisément. […] C’était là, comme il le dit lui-même dans une lettre à M. de Kergorlay, « la plus vitale de ses pensées… Indiquer, s’il se peut, aux hommes ce qu’il faut faire pour échapper à la tyrannie et à l’abâtardissement en devenant démocratiques, telle est l’idée générale dans laquelle peut se résumer mon livre… Travailler en ce sens, c’est à mes yeux une occupation sainte. » Ce n’est pas seulement la liberté de l’individu, la liberté de la pensée, la liberté de la commune, que Tocqueville croyait menacées dans les sociétés démocratiques, c’est encore la liberté politique. […] Tocqueville rétablit sa pensée dans la lettre suivante, qui est l’une des plus belles, des plus nobles et des plus instructives de sa correspondance : « Vous me faites voir trop en noir, lui dit-il, l’avenir de ma démocratie.

275. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Vigny »

Malheureusement, dans la vie de la pensée, c’est aussi triste que dans celle du cœur : on ne retrouve pas ce qu’on a laissé, même quand on y revient. […] — dans l’ordre le plus aristocratique de la pensée ; car il s’agit dans ce livre de poètes, d’artistes, d’êtres exceptionnels, dont la cause est plaidée dans un langage exquis contre la société que Vigny accuse. […] C’est que, fait pour prouver le vice radical des armées permanentes, pour étaler le mal de cette institution arriérée, comme disent les progressifs, le livre de Vigny n’en a plus fait voir que la vertu, et cela avec une telle magie que tout ce qui a du cœur et de la pensée ne voudrait pas qu’on pût fermer un jour cette grande école de l’âme ; mais, au contraire, souhaitera qu’on la maintienne éternellement ouverte, pour l’honneur de l’humanité ! […] C’est une autobiographie, — prise à la source même de de toute autobiographie, — qui est la pensée exprimée, la sensation notée, le cri jeté, à mesure qu’on vit ! […] Alfred de Vigny restera donc à présent, dans la pensée de tous, ce qu’il n’était que dans la sienne : un désespéré qui avait apprivoisé le désespoir, qui l’avait rendu doux et aimable, qui, comme Androclès, se faisait suivre par ce lion… Il apparaîtra plus grand que les poètes de ce temps, qui ne sont que des poètes ; car il fera l’effet d’une poésie, — la poésie de ce désespoir silencieux qui ne se mettait pas de cendres sur la tête, mais qui en avait dans le cœur !

276. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Granier de Cassagnac » pp. 277-345

Les contrastes de ses manières d’agir avec l’opinion contemporaine révèlent la profondeur de sa pensée. […] Le fait qu’il raconte est si beau que sa pensée se rassied trop vite. […] est souvent l’art de faire illusion sur les faiblesses de la pensée. […] C’est par là qu’il saisit la pensée et qu’il restera dans le souvenir. […] Le Génie de l’action l’avait pris au Génie de la pensée, et quoique la pensée ait tenté de le reprendre à l’action, toute sa vie le Génie de l’action l’emportai Granier de Cassagnac est donc, avant tout, pendant tout, après tout, un grand journaliste.

277. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Maine de Biran. Sa vie et ses pensées, publiées par M. Ernest Naville. » pp. 304-323

Sa vie et ses pensées, publiées par M.  […] De même que bien des lecteurs qui ne sont ni théologiens ni convertis s’intéressent aux Confessions de saint Augustin, ou au drame intérieur qui se noue et se dénoue dans les Pensées de Pascal, de même, sans avoir pris de parti pour ou contre la doctrine psychologique de Maine de Biran, on s’intéressera aux aveux et au travail individuel de sa pensée. […] Cette vie de la pensée, à laquelle il était presque exclusivement appelé, fut pourtant interrompue, coupée de temps en temps et longuement entamée par les fonctions publiques. […] Par exemple : dans un ouvrage qu’il vient de publier sur La Connaissance de l’âme (1857), le Père Gratry s’est vivement et habilement emparé de ces pensées de Maine de Biran pour dire aux philosophes de l’école de M.  […] Je constate seulement ces filiations tardives et assez inattendues, ces vicissitudes et ces retours de fortune et de destinée, et j’y vois surtout, j’ose l’avouer, une image de la fluctuation et du caprice des pensées humaines.

278. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre II : La littérature du xviie  siècle »

Son ambition, il le dit lui-même, était de réformer ses propres pensées, « et de bâtir dans un fonds qui fût tout à lui ». […] Personne n’a jamais été moins dans la règle commune que Descartes : ni sa personne, ni sa pensée, ne sont les expressions du sens commun. […] Je ne parle pas des Provinciales où Pascal, avant Voltaire, a soumis la théologie au bon sens ; je parle des Pensées. […] Nisard admire les Pensées autant que qui que ce soit, et ce grand sujet, qui a inspiré les écrivains les plus illustres de notre siècle, Chateaubriand, M.  […] Pascal n’a pas eu besoin de Louis XIV pour trouver l’occasion d’écrire les Provinciales ou les Pensées.

279. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Henri Heine »

Il y a des philosophies qui sont presque, des poésies sans rhythme, il y a des métaphysiques qui ont un côté idéal, grandiose, religieux, et ce n’est pas pour rien sans doute qu’on parle des ailes d’or de la pensée de Platon. […] … » Elle a le droit de reprocher à Heine le gaspillage de son trésor et l’aveuglement des préoccupations volontaires sous lesquelles il a abaissé tellement sa pensée, que, même ôtée de dessous ces jougs, elle pourrait bien en porter la marque éternelle. […] Un fragment, tour à tour charmant et superbe, et qu’il intitule les Aveux d’un poète, ferme comme d’un jugement définitif ces deux volumes sur l’Allemagne et date avec éclat une ère nouvelle dans la pensée de Henri Heine. […] Pour être cru sur une conversion qui doit agir jusque dans le plus intime de son talent comme de sa pensée, nous avons voulu les citer. […] Mais ses sourires, ce sont des merveilles d’expression et de pensée, qu’on ne lit pas sans attendrissement ou sans cette belle colère de Voltaire, qui disait : « Je donnerais toute une hécatombe de sots, pour épargner un rhume de cerveau à un homme d’esprit. » Et, certes !

280. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Lucrèce Borgia » (1833) »

Il croit devoir le dire cependant, ces deux pièces si différentes par le fond, par la forme et par la destinée, sont étroitement accouplées dans sa pensée. […] Quelle est en effet la pensée intime cachée sous trois ou quatre écorces concentriques dans le Roi s’amuse ? […] Dans la pensée de l’auteur, si le mot bilogie n’était pas un mot barbare, ces deux pièces ne feraient qu’une bilogie sui generis, qui pourrait avoir pour titre : le Père et la Mère. […] Quand il voit chaque soir ce peuple si intelligent et si avancé qui a fait de Paris la cité centrale du progrès, s’entasser en foule devant un rideau que sa pensée, à lui chétif poète, va soulever le moment d’après, il sent combien il est peu de chose, lui, devant tant d’attente et de curiosité ; il sent que si son talent n’est rien, il faut que sa probité soit tout ; il s’interroge avec sévérité et recueillement sur la portée philosophique de son œuvre ; car il se sait responsable, et il ne veut pas que cette foule puisse lui demander compte un jour de ce qu’il lui aura enseigné. […] Faites circuler dans tout une pensée morale et compatissante, et il n’y a plus rien de difforme ni de repoussant.

281. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mistral, Frédéric (1830-1914) »

Parmi ces grands esprits morts ou vivants, il y en a dont le génie est aussi élevé que la voûte du ciel, aussi profond que l’abîme du cœur humain, aussi étendu que la pensée humaine ; mais, nous l’avouons hautement, à l’exception d’ […] Tel est le fond du poème, tel est le motif de roman ou de romance qui, par le détail, devient épique et qui fait jaillir de la pensée du poète tout un monde grandiose, passionné, héroïque, infini, où passent des lueurs à la […] Depuis André Chénier, on n’a rien vu, — si ce n’est les chants grecs publiés par Fauriel, — d’une telle pureté de galbe antique, rien de plus gracieux et de plus fort dans le sens le plus juste de ces deux mots, qui expriment les deux grandes faces de tout art et de toute pensée. […] Hésiode, s’associaient dans sa pensée aux scènes qui avaient enchanté son enfance. […] Il apparaît une figure presque unique en Europe, aujourd’hui, non seulement par son œuvre, mais par sa vie, ses attitudes, tous les gestes de sa pensée, son influence sur une race entière, ce je ne sais quoi, ce fluide, ce halo dont sa tête et son nom s’auréolent.

282. (1914) Une année de critique

Assurément les tendances de sa pensée me paraissaient fort dangereuses. […] Ce met seul nous livre le secret des antinomies de sa pensée. […] Dirai-je toute ma pensée ? […] Benda, dont la pensée procède par bonds. […] La pensée de M. 

283. (1890) L’avenir de la science « A. M. Eugène Burnouf. Membre de l’Institut, professeur au Collège de France. »

Ce jour-là, je me demandai plus sérieusement que jamais s’il n’y avait rien de mieux à faire que de consacrer à l’étude et à la pensée tous les moments de sa vie, et, après avoir consulté ma conscience et m’être raffermi dans ma foi à l’esprit humain, je me répondis très résolument : « Non. » Si la science n’était qu’un agréable passe-temps, un jeu pour les oisifs, un ornement de luxe, une fantaisie d’amateur, la moins vaine des vanités en un mot, il aurait des jours où le savant devrait dire avec le poète : Honte à qui peut chanter, pendant que Rome brûle. […] Ce n’est pas sans avoir eu à vaincre quelque pudeur que je me suis décidé à dévoiler ainsi mes pensées de jeunesse, pour lesquelles peut-être à un autre âge je me ferai critique, et qui auront sans doute bien peu de valeur aux yeux des personnes avancées dans la carrière scientifique. […] Que ceux qui exploitent nos faiblesses et qui, escomptant par avance nos malheurs, fondent leurs espérances sur la fatigue et la dépression intellectuelle qu’amènent les grandes souffrances, ne s’imaginent pas que la génération qui entre dans la vie de la pensée est à eux ! […] Ce n’est point une pensée banale, Monsieur, qui me porte à vous adresser cet essai.

284. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

Sa pensée fut imprévoyante, comme l’est souvent celle de l’extrême vieillesse. […] Il réduisit à la portée du vulgaire la science de la pensée, en retranchant tout ce qu’elle avait d’élevé. […] La pensée est semblable à la fille de Jupiter, qui sortit tout armée de son cerveau. […] On conçoit toujours toute la pensée de l’auteur, rarement on peut en contester la vérité. […] Il lui semble courageux de ne point changer de pensée, malgré tout ce fracas imaginaire des événements.

285. (1898) Émile Zola devant les jeunes (articles de La Plume) pp. 106-203

Leur fonction consiste à retarder les pensées en marche. […] Pourquoi s’est-on si souvent mépris sur sa pensée ? […] On est au courant de la pensée moderne, les cerveaux sont pénétrés de la philosophie panthéiste. […] Il ne nous a caché ni ses actes ni sa pensée. […] Il n’est pas vrai que la pensée, chez nous, soit un phénomène surnaturel, un don divin et merveilleux.

286. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIIe entretien. Cicéron (2e partie) » pp. 161-256

Si l’on aperçoit une insuffisance dans quelques grands hommes d’action, c’est que la pensée, à un certain degré, leur manque. […] Tu ne peux faire un pas, tu n’as pas une pensée dont je n’aie sur-le-champ la connaissance. […] Quoi de plus agréable à l’esprit et à l’oreille qu’un discours poli, orné, rempli de pensées sages et nobles ! […] ô vanité de nos projets et de nos pensées, si souvent confondus au milieu de notre carrière ! […] Rome, en proie aux démagogues, à la soldatesque, à la tyrannie, à la gloire de mauvais aloi, n’était plus digne de lui ; la pensée de Cicéron quittait ce monde vulgaire et pervers pour les régions sublimes et éternelles de la pensée.

287. (1860) Cours familier de littérature. X « LIXe entretien. La littérature diplomatique. Le prince de Talleyrand. — État actuel de l’Europe » pp. 289-399

Une pensée, il faut le reconnaître, une pensée honnête les domine toutes et les relie toutes dans leur incohérence. Cette pensée, c’est la paix. […] Il se préparait, dans sa pensée, le rôle de serviteur heureux des événements. […] La pensée de la république n’avait jamais été la conquête, mais la défense. […] Ce coup tranchait sa pensée entière, et on voudrait qu’il l’eût conseillé !

288. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (2e partie) » pp. 97-191

C’est un démembrement de la pensée. […] La sensation a besoin du corps évidemment ; la pensée n’en a pas moins besoin, bien qu’elle semble plus propre à l’âme que la sensibilité. […] L’homme s’aperçoit alors avec le caractère éminent qui lui est propre, avec le caractère unique de la pensée. […] La pensée seule lui est donc essentielle. […] Je ne sais si Platon a bien connu la pensée de son disciple, et s’il y a fait quelque allusion en réfutant les philosophes ioniens.

289. (1922) Enquête : Le XIXe siècle est-il un grand siècle ? (Les Marges)

Les réalisations de l’art et de la pensée n’intéressent qu’un public beaucoup plus restreint qu’autrefois. […] Par une naturelle réaction, et devant les excès du romantisme même, il a ramené la pensée française au culte de la Vérité. […] -Ferdinand Herold De tout temps il y a eu des hommes dont la pensée était libre et des hommes dont la pensée était servile. […] Pour le rayonnement de la pensée française au-delà des frontières, notre critique néo-classique, si on l’écoutait, serait un désastre. […] France, ait été dénué d’art et de pensée.

290. (1890) L’avenir de la science « XV » pp. 296-320

Je ne crains pas d’exagérer en disant que les idées les plus arrêtées que nous nous faisons sur le système des choses ont de près ou de loin leurs racines dans les sciences physiques, et que les différences les plus importantes qui distinguent la pensée moderne de la pensée antique tiennent à la révolution que ces études ont amenée dans la façon de considérer le monde. […] Ainsi se trouvent placés aux deux pôles de la pensée des poèmes habitués autrefois à se trouver côte à côte, comme l’Iliade et l’Énéide. […] Il y a des dimensions dans la pensée comme dans l’étendue. […] Or il était évident que cette pensée venait d’éclore de son cerveau, en se combinant peut-être de quelque souvenir d’almanach. […] De même l’arménien moderne semble avoir beaucoup plus de syntaxe et de construction synthétique que l’arménien antique, qui pousse très loin la dissection de la pensée.

291. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Le Comte Léon Tolstoï »

Par ces procédés d’un art imparfait et ramassé, les scènes et les récits, les épisodes, les digressions, les crises de pensées, les actes et les échecs s’entrelacent en ces étranges romans comme un faisceau de lianes. […] Ces romans forcent impérieusement à aller aux personnages, à participer aux événements, à ce qu’on se sente touchant à toutes ces existences, et sans cesse comme aux côtés des héros, adjoint, perdu dans la foule qui les entoure, en témoin invisible de leur solitude et de leurs pensées. […] Comme ce passant encore, fasciné et tenu silencieux par ce fantôme de son visage et de la rive, passe et s’éloigne vaguement touché de crainte, puis ressaisi d’incurie et de plus pratiques pensées, le lecteur de Tolstoï se sent au cours même de l’œuvre vaguement mais sûrement repoussé du spectacle même qu’elle présente. […] Pour tout homme réfléchi, la pensée de sa propre mort et de celle de ses proches est la suprême épreuve du système de croyances sur lequel il a construit sa vie. […] Ce problème est un objet de pensée que l’on ne tranche pas de quelques apostrophes : il appartient de le discuter à ceux qui sont fervents de vérité plus que de belles illusions, ne connaissent d’autre passion que celle d’égaler leur âme au système du monde.

292. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Ampère »

Ampère, par sa foi et son espoir constant en la pensée humaine, en la science et en ses conquêtes, est resté vraiment de 89. […] Toute sa vie il sentit le besoin de l’amitié, d’une communication expansive, active, et de chaque instant : il lui fallait verser sa pensée et en trouver l’écho autour de lui. […] Mais celui qui eut dès lors le plus de rapports avec lui et le plus d’action sur sa pensée, fut M. […] Vous avez été ces jours-ci l’objet de toutes mes pensées, et voilà ce que je crois à votre sujet. […] Ampère, toute la richesse de la pensée et de l’organisation est laissée, pour ainsi dire, plus à la merci des choses, et le bouillonnement intérieur reste à découvert.

293. (1870) La science et la conscience « Chapitre IV : La métaphysique »

Quand la pensée s’est élevée à ces hauteurs, le monde change d’aspect, le monde moral surtout. […] A la formule que la pensée n’est que le mouvement à son maximum, il oppose cette autre formule, que le mouvement lui-même est encore la pensée à son minimum. […] Est-ce d’une simple vérité subjective, comme la sensation, la pensée, la volonté et tout acte de la vie morale ? […] La nature n’a jamais donné qu’un être d’imagination, de même que la pensée métaphysique n’a jamais donné qu’un être de raison. […] Bien d’autres voix protestent chaque jour en faveur des mêmes vérités dans le monde de la libre pensée.

294. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (1re partie). Littérature scientifique » pp. 221-288

… Involontairement nos voyageurs se sentirent le cœur attristé de ces pensées. […] Il avait pour moi, encore presque enfant, l’indulgence d’un homme mûr et supérieur pour un jeune homme qui essaye la vie et la pensée. […] Aucun trait de sa figure ne rappelait son frère : la dignité sans orgueil, la franchise grave, la science des pensées, contrastaient chez Guillaume avec cette fausse bonhomie caressante, mais peu sûre, d’Alexandre. […] Le seul son de la voix de Guillaume portait dans l’âme la conviction ; la voie grêle et fêlée du savant masquait des pensées toutes personnelles. […] Sa pensée accompagna son épouse dans un monde plus élevé ; l’image de celle qu’il avait perdue ne cessa d’être présente à son âme, elle se mêla à toutes ses pensées, elle ennoblit sa propre existence.

295. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (3e partie) » pp. 369-430

Rien n’était plus loin de ma pensée. […] Marat en était la rage ; il avait les soubresauts de la brute dans la pensée, et les grincements dans le style. […] La gloire et la postérité étaient les deux seuls buts de sa pensée. […] Aucun d’eux, excepté les opposants à la révolution, ne renfermait sa pensée dans les limites de la France. […] Lisez ici l’explication de ma pensée historique.

296. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Conclusion »

Il y a en effet les paroles, expression des pensées, et un musicien invisible qui les accompagne avec un instrument sans nom, plus riche, plus doux et plus mélodieux que le plus parfait qui ait été fabriqué de main d’homme. […] Dans cette poésie délicieuse, on reste sur le seuil de beaucoup de choses ; rien ne va jusqu’à la pensée poignante. […] Le second a rendu sa pensée visible par un talent non moins nouveau dans l’histoire de notre poésie. […] La pensée ne s’y joue pas autour du cœur ; elle veut y entrer de force, et il semble qu’elle y entre par les sens. […] C’est la pensée de Pascal retournée : l’univers connaît l’homme, et s’il écrasait l’homme, il saurait qu’il l’écrase.

297. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre premier »

Il est l’organe de tous, plutôt qu’une personne privilégiée ayant des pensées qui n’appartiennent qu’à lui, et qu’il impose en vertu d’un droit extraordinaire. […] Non-seulement il a réduit toutes nos pensées à la pratique en faisant prévaloir l’esprit de discipline, qui regarde la conduite, sur l’esprit de liberté, qui regarde plus particulièrement les pensées ; mais il a comme reculé les bornes et creusé les profondeurs de notre conscience. […] Dans les littératures du Midi, presque toutes les pensées sont des métaphores, et tout s’exprime par des images tirées des sens. […] Que de tours languissants et embarrassés se présentent avant le vrai tour, le seul qui doive donner à la pensée sa physionomie et son mouvement ? […] L’image ne doit être que le dernier degré d’exactitude, ou plutôt elle ne doit être que la pensée elle-même ; mais, pour une qui remplit cet office, combien qui ne sont que des apparences de la pensée !

298. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Μ. Ε. Renan » pp. 109-147

Renan a la pensée trop molle pour concevoir et construire un système, et comme il est d’usage de faire des théories avec les indigences de son esprit, pour les cacher, M.  […] Renan avait exprimé dans ses écrits bien des pensées odieuses, mais cet homme d’art, qui veut être savant, à toute force, comme Ingres voulait jouer du violon, avait eu soin toujours, pour voiler l’odieux de ses pensées, de leur donner une forme qui ne manquait pas d’agrément, et c’était même ce mélange d’odieux et d’agréable qui faisait sa spécialité. […] Nous savions qu’il ne pouvait avoir rien de nouveau sous cette plume qui s’est fait la gaine d’un système, et qu’une pensée… du diable chez M.  […] Renan qu’aux habitudes de sa pensée. […] Ce n’est plus le Néron complexe, le monstre mystérieux, comme tous les monstres, qui torture encore la curiosité et la pensée à dix-neuf-cents ans de distance, et qui reste, sphinx atroce, dans son incompréhensibilité.

299. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

La pensée, que rien ne soulève, pèse douloureusement sur tous les maux physiques, pour les renforcer par l’attention qu’on y donne. […] Puis, quel plaisir de penser avec vous et d’en recevoir des pensées ! […] Les pensées ne valent que lorsqu’elles sont reprises par la réflexion ; c’est la réflexion qui les fixe à notre usage. […] Les organes matériels ne sont que des excitants ; comment créeraient-ils l’admirable ensemble de la pensée qui constitue le génie et la raison de l’homme ? La dernière des lettres que j’ai sous les yeux, et d’où je tire cette pensée, est du 4 novembre 1831, de trois mois seulement avant la mort de Bonstetten.

300. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres mêlées de Saint-Évremond »

Il savait la littérature latine, peu ou point de grec ; il avait du goût pour les lettres, de la curiosité pour la philosophie, et aimait la conversation des gens d’esprit et de pensée. […] Cousin, la querelle qu’il lui a faite à propos d’une des pensées que M.  […] Se sont-ils tout simplement rencontrés dans une même pensée ? […] C’est ainsi que, dans ses Considérations sur les Romains, il a devancé en bien des pensées Montesquieu, et sans obliger à ce qu’on se souvînt de lui, sans marquer sa trace. […] Il omet Pascal : peut-être n’avait-il pas vu encore le livre des Pensées.

301. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger en 1832 »

Le Roi d’Yvetot exprima, dès 1813, cette, pensée d’opposition pacifique. […] J’ai lu en grande partie un poëme idyllique de lui, en quatre chants, intitulé le Pèlerinage, et conçu dans cette pensée. […] Gardant toutes ses pensées et son travail intellectuel, il ne donnait que son temps et sa main, comme Jean-Jacques quand il copiait de la musique. […] Du moment en effet qu’il y avait jour pour Béranger de faire entrer sa pensée entière en chanson, que lui fallait-il de mieux ? […] Et autour, au-dessous de cette dominante pensée, combien d’autres d’une émotion plus circonscrite, mais non moins pénétrante !

302. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre II. La Bruyère et Fénelon »

L’action lui étant interdite, il se rejeta sur la pensée et sur l’art. […] Les réflexions générales de La Bruyère sont bien au-dessous des maximes de La Rochefoucauld, des pensées de Pascal, même des saillies de Montaigne. […] Ce chapitre, sincère évidemment, mais sans personnalité, et qui ne contient que le reflet des pensées des autres, n’est pas une conclusion où tout l’ouvrage aboutisse. […] Au fond, il se croit victime et martyr pour la vérité : il a confessé qu’on avait pu se tromper sur sa pensée ; il n’a pas reconnu que sa pensée se fût trompée ; ses lettres postérieures, son testament affirment que sa doctrine était vraie, et que ses ennemis avaient opprimé en lui l’innocence, la justice et la raison. […] De là, l’incohérence, les contradictions de ses pensées ; mais de là aussi leur intarissable jaillissement, et la nouveauté, la chaleur.

303. (1890) L’avenir de la science « XXII » pp. 441-461

L’action paraît à plusieurs un moyen d’éviter la duperie où la frivolité suppose que se laissent tomber les hommes de pensée et de sentiment. […] Mais cet âge touche à son terme ; le rôle principal va de plus en plus, ce me semble, passer aux hommes de la pensée. […] Une pensée ardente et forte ? […] C’est donc à l’âme, à la pensée, qu’il faut revenir. Or la pensée désormais ne pourra sérieusement s’exercer que sous la forme de science rationnelle.

304. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville »

On aurait aimé qu’il s’expliquât sur les plaintes des réformateurs, qu’il appréciât le mérite de leurs plans, qu’il expliquât enfin comment, dans sa pensée, ce débat pouvait se résoudre. […] Sans doute cette liberté peut souffrir des accidents de la politique, et je ne doute pas que si une société, même démocratique, était privée longtemps de toute liberté publique, elle ne vît à la longue s’altérer et s’éteindre la liberté de la pensée spéculative. […] Pour y arriver, il ne faut point laisser diminuer l’idée de l’homme et du citoyen, et c’est en quoi il faut applaudir à la pensée générale qui a inspiré M. de Tocqueville, tout en corrigeant quelques-unes de ses pensées particulières. […] Il n’entre pas dans mon sujet d’examiner quelles étaient les pensées intimes de Tocqueville sur la religion. […] C’était là une de ses pensées les plus persistantes et les plus invétérées.

305. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vi »

Essayons de tracer une esquisse sommaire de la pensée doctrinale des socialistes durant cette guerre.‌ […] On a vécu sur cette pensée tous les premiers mois de la guerre. […] Pourtant, s’il est vrai que la pensée de ce congrès soit identique à celle de M.  […] Le Français digne de ce nom, fier de son histoire, fier de sa pensée ou de sa foi, le Français veut être juste ou ne pas être.‌ […] Il serait beau qu’un Albert Thierry pût introduire dans la pensée socialiste sa pensée ainsi purifiée par la fournaise de la guerre.

306. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — I. » pp. 342-363

Il a pourtant raison sur un point : c’est que les critiques s’en prenaient uniquement à son style, quand c’était en réalité sa pensée qui était en cause. « Chacun, disait-il, a sa façon de s’exprimer qui vient de sa façon de sentir. — Ne serait-il pas plaisant que la finesse des pensées de cet auteur fût la cause du vice imaginaire dont on accuse son style ? » Et en venant particulièrement à cette accusation de style précieux, il tâche de montrer qu’il y a des pensées fines qui ne sauraient se rendre que par une singularité d’expression qui prête à cette objection banale. […] La revanche est complète : il la croit coupable et s’éloigne : elle, innocente et fière, se hâte de rompre avec le protecteur hypocrite, M. de Climal ; et sa première pensée, après l’avoir congédié, est de lui renvoyer cette parure, cette robe et ce linge fin qu’il lui a donnés à si mauvaise intention. […] Le grand et perpétuel défaut de Marivaux est de s’appesantir à satiété sur la même pensée, qui a presque toujours commencé par être juste et fine, et qu’il trouve moyen de fausser en la raffinant.

307. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Maurice et Eugénie de Guérin. Frère et sœur »

Est-ce, qu’il alla supposer un homme, tel qu’il est aujourd’hui, avec, les pensées, et les sentiments actuels, et doublé, seulement, d’une force de cheval pour galoper, et conquérir son gré d’espace, un cavalier bien monté, toujours en selle et à la suprême puissance, ayant sous lui à demeure un cheval parfait, correct et classique comme celui de Virgile ? […] Vitet), regretter, qu’il n’eût pas en effet réalisé la lutte entre des deux natures, entre la nature humaine supérieure la tête, la pensée, l’esprit, et entre la nature inférieure, animale, matérielle ? […] Âme innocente, élevée, pure, non pas inexpérimentée, mais droite et simple, elle y cause avec elle-même, avec ses plus hautes et ses plus secrètes pensées, avec Dieu, priant, pleurant, se chantant parfois des vers, se disant « La solitude fait écrire parce qu’elle fait penser. […] Elle a beau se dire par moments :« C’est ma lyre à moi que ma plume », et s’y confier comme à une amie, les pensées abondent ; elle ne sait qu’en faire dans sa solitude : « Si j’avais un plan, dit-elle, un cadre fait, je le remplirais tous les jours un peu, et cela me ferait du bien. […] » Il meurt, et dès lors sa vie, à elle, n’est plus qu’un deuil, une consécration de toutes ses pensées et de toutes ses heures au cher et unique absent, un soin religieux de sa mémoire, un dialogue avec lui d’un monde à l’autre.

308. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

Tous ses premiers sentiments, ses premières pensées se ressentent nécessairement de cette position fausse ; les deux Émile, celui du roman et celui de la réalité, se confondent sans qu’on les puisse distinguer, si ce n’est par la conclusion. […] L’estime est la plus forte de toutes les sympathies. » La religion n’est pas absente dans Émile ; sans parler de l’abbé de La Tour qui la représente dignement par la plus pure morale, le nom de Dieu y revient souvent et y est invoqué par la bouche d’Émile : « Il est impossible à l’homme qui médite souvent sur lui-même de ne pas remonter à la cause qui l’a fait naître ; toutes les grandes pensées aboutissent à Dieu… « Dieu existe ! […] Mais à côté de ces pensées délicates, généreuses, désintéressées, il se rencontre d’autres maximes effrayantes de précision, qui dénotent l’esprit positif du siècle, et qui prouvent qu’à vingt ans Émile avait déjà deviné le sphinx : « Aujourd’hui, se demande-t-il, quel moyen de sortir de l’obscurité ? […] Une pensée généreuse de progrès et d’amélioration sociale qu’il ne perdait jamais de vue le lui disait non moins nettement : car cet homme, qui parut de bonne heure si mêlé et si plongé dans les affaires, avait son but, sa visée supérieure et constante. […] Il y a des mots pour cela, des étiquettes de pensée, des têtes d’article, il y a des formules saisissantes, pénétrantes, et qui réveillent le monstre en sursaut.

309. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVe entretien. Littérature grecque. L’Iliade et l’Odyssée d’Homère » pp. 31-64

C’est la force seule de l’impression qui crée en nous le mot, car le mot n’est que le contrecoup de la pensée. Si la pensée frappe fort, le mot est fort ; si elle frappe doucement, il est doux ; si elle frappe faiblement, il est faible. […] L’unité et la perfection égale des œuvres n’attestent-elles pas l’unité de pensée et la perfection de main de l’ouvrier ? […] Il sent éclore en lui des milliers de pensées, d’images, de sentiments qui lui étaient inconnus ; de matériel qu’il était, un moment avant d’avoir ouvert ce livre, il devient un être intellectuel, et bientôt après un être moral. […] Et cette langue encore cadencée par un tel rythme de la mesure est pleine d’une telle musique des mots que chaque pensée semble entrer dans l’âme par l’oreille, non seulement comme une intelligence, mais aussi comme une volupté !

310. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — II » pp. 268-284

Pour éclaircir ma pensée, je prendrai un exemple chez un de nos premiers historiens contemporains. […] Thiers opère sur les portraits de ses personnages cette réduction et cet adoucissement, ce n’est point qu’il obéisse du tout à l’esprit oratoire ; il obéit en cela à une pensée de goût simple qui lui est propre, et à une idée d’harmonie dans l’ensemble. […] Vers 1817, âgé de cinquante ans, délicat et maladif, mêlé malgré lui aux agitations de la politique alors si ardente, Maine de Biran s’en, isolait le plus qu’il pouvait ; homme de recueillement, il habitait en lui, n’était heureux que là, les jours où la pensée lui était plus facile. […] L’emploi de leur vie est d’arranger des phrases, et ils tournent toujours leurs pensées dans le moule grammatical ou logique, bien plus occupés des formes que du fond. […] [NdA] Maine de Biran, sa vie et ses pensées, publiées par Ernest Naville (Paris et Genève, Cherbuliez, 1857).

311. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VIII. De l’invasion des peuples du Nord, de l’établissement de la religion chrétienne, et de la renaissance des lettres » pp. 188-214

Ainsi le temps nous découvre un dessein dans la suite d’événements qui semblaient n’être que le pur effet du hasard ; et l’on voit surgir une pensée, toujours la même, de l’abîme des faits et des siècles. […] La mort n’interrompait point des projets illustres, ni la progression d’utiles pensées ; elle ne brisait point des liens chéris, elle n’arrachait point à des affections profondes ; elle empêchait seulement de goûter le lendemain l’amusement qui peut-être avait déjà fatigué la veille. […] À travers toutes les folies du martyre, il resta dans quelques âmes la force des sacrifices, l’abnégation de l’intérêt personnel, et une puissance d’abstraction et de pensée, dont on vit sortir des résultats utiles pour l’esprit humain. […] On a souvent considéré cette étude comme l’emploi le plus oisif de la pensée, comme l’une des principales causes de la barbarie des premiers siècles de notre ère. […] Les dogmes spirituels exerçaient les hommes à la conception des pensées abstraites ; et la longue contention d’esprit qu’exigeait l’enchaînement des subtiles conséquences de la théologie, rendait la tête propre à l’étude des sciences exactes.

312. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre X. De la littérature italienne et espagnole » pp. 228-255

On dirait qu’il ne songeait point à ses lecteurs, et que partant de points convenus avec sa propre pensée, il croyait inutile de se déclarer à lui-même ses opinions. […] L’italien cause souvent une sorte de lassitude de la pensée ; il faut plus d’efforts pour la saisir à travers ces sons voluptueux que dans les idiomes distincts, qui ne détournent point l’esprit d’une attention abstraite. […] Il s’ensuit que tous les ouvrages des Italiens, excepté ceux qui traitent des sciences physiques, n’ont jamais pour but l’utilité ; et dans quelque genre que ce soit, ce but est nécessaire pour donner aux pensées une force réelle. […] La mélancolie des peuples du Nord est celle qu’inspirent les souffrances de l’âme, le vide que la sensibilité fait trouver dans l’exigence, et la rêverie qui promène sans cesse la pensée, de la fatigue de la vie à l’inconnu de la mort. […] Mais une nation chez laquelle la pensée a si peu d’indépendance, et l’émulation si peu d’objet, peut-elle avoir toute sa valeur ?

313. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VIII. De l’éloquence » pp. 563-585

Quels moyens reste-t-il alors à l’éloquence pour frapper les esprits par des pensées ou des expressions heureuses, par le contraste du vice et de la vertu, par la louange ou par le blâme distribués avec justice ? […] Oubliez ce que vous savez, ce que vous redoutez de tels ou tels hommes ; livrez-vous à vos pensées, à vos émotions ; voguez à pleines voiles, et malgré tous les écueils, tous les obstacles, vous arriverez ; vous entraînerez avec vous toutes les affections libres, tous les esprits qui n’ont reçu ni l’empreinte d’aucun joug, ni le prix de la servitude. […] Cependant, comme les pensées nouvelles développent de nouveaux sentiments, les progrès de la philosophie doivent fournir à l’éloquence de nouveaux moyens. […] Les pensées philosophiques vous placent naturellement à cette élévation où l’expression de la vérité devient si facile, où l’image, où la parole énergique qui peut la peindre se présentent aisément à l’esprit animé du feu le plus pur. […] C’est la dernière pensée que je me propose de développer en terminant cet ouvrage.

314. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lamartine, Alphonse de (1790-1869) »

Il a toujours au service de sa pensée une douzaine de figures dont chacune suffirait à défrayer plusieurs strophes. […] [Pensées d’une solitaire.] […] La pensée novice, la croyance indécise, les premières amours rencontraient, dans la vague même des douleurs chantées, la plus caressante expression de leur inquiétude confuse. La langue aisée du poète ne tenait point la pensée à l’étroit, elle ouvrait des avenues au rêve. […] La matière en est d’une extrême ténuité ; elle échappe à la prise de la pensée comme un nuage se dérobe à la pression de la main.

315. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVII. Forme définitive des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

La Géhenne est donc dans la pensée de Jésus une vallée ténébreuse, obscène, pleine de feu. […] C’est parce qu’elle était à double face que sa pensée a été féconde. […] Si son unique pensée eût été que la fin des temps était proche et qu’il fallait s’y préparer, il n’eût pas dépassé Jean-Baptiste. […] Tout est dans sa pensée concret et substantiel : Jésus est l’homme qui a cru le plus énergiquement à la réalité de l’idéal. […] La part de vérité contenue dans la pensée de Jésus l’avait emporté sur la chimère qui l’obscurcissait.

316. (1936) Réflexions sur la littérature « 1. Une thèse sur le symbolisme » pp. 7-17

Il s’est borné à faire consciemment ce que Lamartine avait fait par négligence, et Vigny par souci d’harmoniser la forme avec la pensée qu’elle traduisait. […] Enfin, je ne vois pas ce que Vigny a fait, dans l’ordre “métrique”, par souci d’harmoniser la forme avec la pensée qu’elle traduisait : une forme, chez un poète, ne traduit jamais une pensée, c’est la critique qui traduit par des pensées les formes indivisibles qu’a créées le poète, — et s’il y a quelques exceptions, si la forme et la pensée parfois se distinguent, se raccordent mal, chevauchent sensiblement, il se trouve que Vigny, plus que personne, nous les fournirait. » Je ne puis signaler tous les détails de ce genre, qui arrêtent et étonnent désagréablement le lecteur. […] Barre voit dans les stances des « sentiments philosophiques d’une élévation assez haute pour valoir au poète qui les fixe dans ses vers l’honneur de se voir comparer aux plus grands maîtres de la pensée moderne, d’être même appelé le Vigny du XXe siècle. » Cela est à la page 235, et Moréas seul n’en eût pas été étonné ; mais qu’en pensa en Sorbonne son répondant, M.  […] Le symbolisme a vécu sur une matière de sentiment et de pensée qui est presque toute dans Baudelaire. […] Barre ne nous donne, sur le seuil du mystère, cette émotion de pensée qui fut, n’en déplaise à M. 

317. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Paroles d'un croyant »

Il appela ce volume de prédilection : Paroles d’un Croyant, et, ayant ainsi achevé sa pensée devant Dieu, il se sentit un peu calmé ; son grand travail de philosophie le retrouva plus dispos et plus persévérant. […] « Les innombrables pensées diverses, qui se croisent et se mêlent à l’horizon du monde spirituel, sont le signe qui annonce le lever du soleil des intelligences.  […] Mais l’esprit chrétien, qui court dans ces pages comme un vent fécond et violent, enlève la pensée jusqu’à des extrémités sublimes et ne connaît pas d’horizon : « Au printemps, lorsque tout se ranime, il sort de l’herbe un bruit qui s’élève comme un long murmure.  […] L’imprévu se rencontre plutôt dans l’allure de la pensée que dans le détail de l’expression. […] tous les vrais cœurs de poëtes, tous les esprits rapides et de haut vol, de quelque côté de l’horizon qu’ils arrivent, se rencontrent dans une prophétique pensée, et signalent aux yeux l’approche inévitable des rivages.

318. (1874) Premiers lundis. Tome II « Chronique littéraire »

Or, c’est une pensée semblable, une pensée de bon sens, d’étude, de tolérance, de progrès laborieux et aussi d’agrément, qui anime l’ensemble de la Revue ; c’est là son genre d’unité, et elle tâchera de s’y affermir de plus en plus, au milieu de tant d’assertions téméraires et de promesses ambitieuses. […] Il en est résulté chez quelques-uns un contentement précoce, un mépris du grand public, des formes étranges et maniérées qui ne sont pas comprises hors du cercle, et, pour ainsi dire, une sorte d’argot maçonnique qui souvent fait tort à leur pensée. […] La pensée première a ainsi à traverser trois ou quatre enveloppes étrangères, l’Espagne, l’Italie, le moyen âge ; la dent se fatigue à chercher la pulpe sous cette contexture redoublée, et l’on est tenté de rejeter le livre comme un de ces fruits qui ne sont qu’écorce jusqu’au cœur. […] Quoiqu’on ait dit que le type du Giaour et du Corsaire avait été suggéré à Byron par Trelawney lui-même, j’ai peine à croire que ces types profonds ne préexistassent pas dans l’âme du poëte, et qu’ils ne surgissent point immédiatement de l’orage de ses propres pensées. […] Chacun pourra désormais suivre la pensée de M. 

319. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XV. De l’imagination des Anglais dans leurs poésies et leurs romans » pp. 307-323

L’aspect du ciel et de la terre, à toutes les heures du jour et de la nuit, réveille dans notre esprit diverses pensées ; et l’homme qui se laisse aller à ce que la nature lui inspire, éprouve une suite d’impressions toujours pures, toujours élevées, toujours analogues aux grandes idées morales et religieuses qui unissent l’homme avec l’avenir. […] Son ouvrage est surtout remarquable par la pensée ; la poésie qu’on y admire a été inspirée par le besoin d’égaler les images aux conceptions de l’esprit : c’est pour faire comprendre ses idées intellectuelles, que le poète a eu recours aux plus terribles tableaux qui puissent frapper l’imagination. […] Young juge la vie humaine, comme s’il n’en était pas ; et sa pensée s’élève au-dessus de son être pour lui marquer une place imperceptible dans l’immensité de la création : ………………… What is the world ? […] L’amitié exerce dans leur sein sa plus douce puissance, la parfaite estime animée par le désir, l’inexprimable sympathie des âmes, la pensée rencontrant la pensée, la volonté prévenant la volonté par une confiance sans bornes. […] Délicieuse tâche de cultiver la pensée tendre encore, d’enseigner à la jeune idée comment elle doit croître, de verser des instructions toujours nouvelles dans l’esprit, d’inspirer les sentiments généreux, et de fixer un noble dessein dans une âme enflammée !

320. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre III. Association des mots entre eux et des mots avec les idées »

Enfin chacun de ces soldats a dans son expérience propre une émotion, une image, une pensée qui n’est qu’à lui et que le mot n’éveillera que pour lui. […] Nos pères, en exprimant leurs pensées, ont accoutumé chaque mot à frayer avec certains autres : nos pensées ne sont plus les mêmes, mais nos mots sont les mêmes et ne changent pas volontiers leurs relations. […] Mais le besoin qu’on a des expressions espérer, s’attendre, voilà où nous en sommes, amène ces formes toutes faites qui les contiennent, et la pensée se coule comme elle peut dans ce moule d’occasion. […] L’inconvénient est grave : car quand la pensée se coule dans des phrases toutes prêtes, elle perd sa marque originale. […] Tout mot, donc, abstrait ou concret, est capable de susciter dans l’esprit d’un lecteur, outre ce qu’il contient par définition, de longues séries de pensées qu’il évoque par association.

321. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre III : Le présent et l’avenir du spiritualisme »

Il y a des catholiques pour qui toutes les grandes conquêtes modernes, liberté de conscience, liberté de pensée, liberté de la presse, liberté politique, ne sont que de grandes et funestes erreurs : c’est la liberté du mal. […] On conçoit donc aisément que, sans rien abandonner de fondamental, la pensée spiritualiste puisse se transformer et se renouveler, comme elle l’a fait déjà si souvent. […] De jeunes métaphysiciens pleins de sève et de prudente audace mûrissent dans la solitude les fruits d’une pensée inquiète et pénétrante qui ne se contente plus de lieux communs. […] L’esprit public, aveuglé et enivré par l’entraînement des réactions, les adoptera sans les reconnaître sous des noms différents ; puis viendra sans doute quelque esprit vigoureux qui, rassemblant ces éléments épars dans une synthèse nouvelle, rendra à la pensée spiritualiste sa puissance et son éclat. […] Fouillée, dont l’Académie des sciences morales vient de couronner un mémoire sur la philosophie de Platon, aussi remarquable par la pensée que par la science.

322. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVI. Buffon »

Outre qu’en bonne justice, ces corrections sont insignifiantes, elles ne le seraient pas qu’elles n’ajouraient rien au respect qu’on doit à Buffon, qui, après avoir pris la part du lion dans cette histoire naturelle dont il a eu la grande pensée, créa, avec l’histoire, des naturalistes pour l’écrire, à côté de lui. […] Il s’est bien gardé de remâcher l’idée, vieillotte de vulgarité, de ce superficiel Voltaire qui disait : « L’existence des hommes des lettres est dans leurs écrits et non ailleurs », et il nous a donné avec le détail le plus pointilleux et la charmante petite monnaie des anecdotes, dont on n’a jamais trop à dépenser, la biographie de cet imposant homme de science et de lettres dont la vie refléta sans cesse la pensée, mais qui est une vie sous sa pensée, comme il y a de l’eau sous le bleu du ciel que reflètent les eaux ! […] Sachant le prix du temps, le prix de tout, planant sur les préoccupations de son âme et les distractions de la vie, ne permettant pas à ces distractions d’emporter jamais sa pensée hors de l’atmosphère où, sans effort, il la maintenait, Buffon, comme Rousseau, ne jouait pas au hibou de Minerve. […] De tous les sentiments qu’il permit à son âme, je crois que le plus touchant et le plus profond fut pour son fils, et c’est aussi la pensée de son biographe. […] Buffon avait commencé sa vie pensante et savante par les mathématiques qui sont une science de déduction, et il apporta les habitudes mathématiques partout où depuis s’engagea sa pensée, et c’est à cause de cela, selon nous, bien plus qu’à cause de ses accointances avec Descartes, qui avait été aussi un mathématicien bien avant d’être un philosophe, c’est à cause de cela que Buffon admit si souvent l’hypothèse comme une règle de fausse position.

323. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXXI. Sainte Térèse »

Certainement il y a de l’infini dans toute âme, mais il y est, et même dans les plus grandes, à l’état latent, mystérieux, sommeillant, comme l’Esprit sommeillait sur les Eaux, tandis que dans l’âme de Térèse l’infini déchire son mystère, se fait visible et passe dans le langage où la pensée déborde les mots. […] Elle est infinie comme depuis elle, Pascal l’a été quelquefois, dans quelques-unes de ses pensées. […] Moins encore que Pascal, qui songeait peu à faire de la littérature, lorsque dans ses Pensées il essayait de se faire de la foi, Sainte Térèse, dont la littérature espagnole a le très juste orgueil, n’était pas littéraire, et c’est pourquoi peut-être ce qu’elle nous a laissé est si beau ! […] Elle les tire des objets les plus familiers et les plus agrestes, mais, d’ordinaire, elle a la transparente splendeur de la pensée, la diaphanéité du sublime. […] Tes pensées sont-elles tes pensées ?

324. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — Oberman, édition nouvelle, 1833 »

Élève de Jean-Jacques pour l’impulsion première et le style, comme madame de Staël et M. de Chateaubriand, mais, comme eux, élève original et transformé, quoique demeuré plus fidèle, l’auteur des Rêveries, alors qu’il composait Oberman, ignorait que des collatéraux si brillants, et si marqués par la gloire, lui fussent déjà suscités ; il n’avait lu ni l’Influence des Passions sur le Bonheur, ni René ; il suivait sa ligne intérieure ; il s’absorbait dans ses pensées d’amertume, de désappointement aride, de destinée manquée et brisée, de petitesse et de stupeur en présence de la nature infinie.  […] Et d’abord, dans l’ordre de l’action, il y avait le Premier Consul, celui qui disait un matin, en mettant la main sur sa poitrine : Je sens en moi l’infini ; et qui, durant quinze années encore, entraînant le jeune siècle à sa suite, allait réaliser presque cet infini de sa pensée et de toutes les pensées, par ses conquêtes, par ses monuments, par son Empire. […] Tous vivent aujourd’hui, excepté Sautelet, qui est mort de sa main ; bien peu se souviennent encore de ces années, ou du moins s’y reportent avec regret et amour, excepté Lydia, qui est demeurée, me dit-on, fidèle aux pensées de cette époque, et les a gardées présentes et vives dans son cœur. […] Tu ne sais pas la mauvaise pensée qui me vient à l’instant ! […] Les expressions, les réminiscences d’Oberman s’appliquent à chaque pas. — Nous obéissons à une intention du vénérable auteur en rappelant formellement ici qu’il n’en est pas resté au système oppressé d’Oberman ; il s’est appliqué à s’en dégager sans relâche, à perfectionner, à mûrir ses Libres Méditations, et à y considérer la pensée religieuse indépendamment de tout dogme téméraire ; il ne vit depuis des années que dans ce haut espoir.)

325. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « PENSÉES » pp. 456-468

PENSÉES Voici un volume encore de ceux que j’avais à recueillir. Je pourrais bien le clore, comme j’ai fait pour d’autres, par une sorte de préface en Post-scriptum ; je devrais peut-être répondre à quelques critiques, à des attaques même (car j’en ai essuyé de violentes et vraiment d’injustes) ; mais j’aime mieux tirer de mon tiroir quelques-unes de ces pensées familières que je n’écris guère que pour moi. […] Ceux à qui il arrive d’exprimer quelques vérités qui peuvent sembler profondes et hardies, ne doivent pas trop s’enorgueillir ; car, il faut bien se l’avouer, arrivés à un certain âge, la plupart des hommes, je veux dire des hommes qui pensent, pensent au fond de même ; mais peu sont dans le cas de produire ouvertement et de pousser à bout leur pensée. […] Mais, en avançant, il arrive que nos pensées et nos sentiments ne peuvent plus remplir notre solitude ; — ou du moins ils ne peuvent plus la charmer. […] Quand je suis seul et que je souffre, dans ma chambre, près d’un livre que je ne lis pas, je rêve sans trop presser mes pensées, je me résigne, je jouis d’une tristesse sévère ; et à ma porte, sans avoir frappé, se présentent debout ces deux hôtesses silencieuses, la Philosophie et la Nécessité, belles encore dans leur attitude auguste, — mais combien différentes de ce que me furent autrefois ces deux jeunes déesses, la Grâce et le Désir !

326. (1874) Premiers lundis. Tome II « Thomas Jefferson. Mélanges politiques et philosophiques, extraits de ses Mémoires et de sa correspondance, avec une introduction par M. Conseil — II »

Cette période de dix-neuf années, au terme de laquelle une révision et peut-être une réorganisation totale auraient lieu dans la société, est le thème favori de Jefferson : il y revient en maint endroit, tant un respect profond et religieux pour la liberté de ceux qui naîtront se mêle à toutes ses pensées. […] La première pensée de ces témoins judicieux fut donc de craindre que le mouvement d’émancipation ne pût sortir victorieusement d’une lutte prolongée. […] En 1823, octogénaire, écrivant au général La Fayette avec un poignet perclus, il lui exprime cette forte pensée : « Des alliances saintes ou infernales, dit-il, peuvent se former et retarder l’époque de la délivrance ; elles peuvent gonfler les ruisseaux de sang qui doivent encore couler ; mais leur chute doit terminer ce drame, et laisser au genre humain le droit de se gouverner lui-même. » Comme nous ne voulons rien céler de l’opinion de l’illustre vieillard, et que son autorité ne saurait jamais avoir d’effet accablant pour nous, nous transcrirons ce qu’il ajoute : « Je doutais, vous le savez, dans le temps où je vivais avec vous, si l’état de la société en Europe comportait un gouvernement républicain, et j’en doute encore. […] De tels hommes, au lieu de s’embarrasser des divergences et des réfractions multipliées de la pensée religieuse dans le cours des temps, appliquaient immédiatement à l’examen des questions un rayon simple et bien dirigé, et ils arrivaient à la vérité morale par un accès naturel, sans passer à travers les vestibules, les dédales et toutes les épreuves irritantes du vieux monde. Jefferson, au reste, doué d’un esprit exact et sagace, avait pénétré assez avant, sur la fin de la vie, dans les matières métaphysiques ; on voit dans une lettre à John Adams qu’à l’exemple de Locke, Stewart, Bonnet, il inclinait à être déiste matérialiste, c’est-à-dire à considérer la pensée comme liée nécessairement à quelque atome de matière subtile : ce qui ne l’empêchait nullement de croire à l’immortalité.

327. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « SAINTE-BEUVE CHRONIQUEUR » pp. -

Il voulait par là se ménager une plus grande liberté de jugement et de pensée. […] Il nous le dit dans une note que nous relevons sur un de ces cahiers où il écrivait toutes ses pensées : « Major e longinquo reverentia. […] Dans ses articles sur Mathieu Marais (Nouveaux Lundis, tome IX), il cite une lettre de Bayle, remerciant son correspondant parisien de le mettre si constamment au courant des affaires littéraires de Paris : après quoi, le philosophe conseille à son ami d’avoir en Hollande ce que Sainte-Beuve appellera tout à l’heure un autre lui-même, — c’est-à-dire un ami sûr et fidèle interprète de sa pensée, — à qui il adressera les éléments d’un Journal, publié par les soins de cet ami, de ce fidus Achates. […] On ne saurait mieux interpréter sa pensée qu’il ne l’a fait lui-même dans ce volume, p. 166 : « Il est, dit-il (décembre 1843), une douzaine d’hommes en France qu’on ne juge plus, mais qu’on loue ou qu’on attaque. […] « Ce dernier trait, dit Sainte-Beuve, (tel que M. de Balzac l’emploie) peut être vrai d’un artiste sculpteur ou peintre qui, au lieu de se mettre à l’œuvre, passe son temps à disserter et à raisonner ; mais, dans l’ordre de la pensée, cette parole du romancier, qui revient souvent sous la plume de toute une école de jeunes littérateurs, est à la fois (je leur en demande bien pardon) une injustice et une erreur.

328. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Avertissement »

On y trouvera quelques remarques sur des défauts de pensée et de style, auxquels les femmes paraissent enclines par leur nature ou par les vices ordinaires de leur éducation. […] Laissons-les acquérir de la facilité, une certaine adresse empirique, une certaine habitude de trouver et de rendre des pensées ; n’imposons des lois à ce qu’ils font que quand ils sont en état de faire quelque chose. […] Ce sont leurs compositions mêmes qui les instruisent ; c’est sur les matières mêmes qu’ils auront traitées que le maître leur apprendra à féconder, à développer, à ordonner un sujet, c’est par leurs propres trouvailles de pensée et de style, bonnes ou méchantes, qu’il éclairera leur jugement et redressera leur goût. […] J’ai voulu fournir à de jeunes esprits l’occasion de réfléchir sur les moyens par lesquels ils pourront donner à leurs écrits la bonté qu’ils ont dû rêver souvent et désespérer d’atteindre, sur les meilleures et plus courtes voies par où ils pourront se diriger à leur but et nous y mener ; leur inspirer des doutes, des scrupules, des soupçons d’où leur méditation pourra tirer ensuite des principes et des certitudes, sur toutes les plus importantes questions que l’écrivain doit résoudre et résout, bon gré mal gré, sciemment ou non, par cela seul qu’il écrit d’une certaine façon ; donner le branle enfin à leur pensée, pour que, s’élevant au-dessus de l’empirisme, ils cherchent et conçoivent la nature et les lois générales de l’art d’écrire, pour qu’ils développent en eux le sens critique, et que, mettant la conscience à la place de l’instinct, ils arrivent à bien faire en le voulant et en le sachant. […] L’essentiel est de lire les réflexions développées dans ce volume, d’une manière désintéressée, sans le vulgaire désir d’y apprendre des procédés rapides et mécaniques ; si l’on y prend des points de départ, des matériaux, une direction, un stimulant, pour penser par soi-même, pour comprendre comment les écrivains bâtissent leurs ouvrages, ordonnent et expriment leurs conceptions, et comment on doit soi-même travailler, insensiblement l’esprit, familiarisé avec les grandes lois de l’art d’écrire, dont il aura pénétré la vérité et mesuré la portée, s’y conformera en composant, et il conduira, disposera, traduira ses pensées selon des règles qui ne seront plus logées dans la mémoire, mais feront partie de lui-même et auront passé dans sa substance.

329. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre III. De la sécheresse des impressions. — Du vague dans les idées et le langage. — Hyperboles et lieux communs. — Diffusion et bavardage »

Ce sont comme de vagues indications qu’on donne au prochain de la direction qu’il doit prendre pour atteindre notre pensée : s’il a plus d’esprit que nous, il ira plus loin, et il verra dans nos paroles tout ce que nous n’y avons pas mis. […] Voilà ce qui fait le fond de nos conversations et de nos lettres, et nous prenons dès le collège l’habitude d’appliquer ainsi sur tous les sujets qu’on nous propose des pensées reçues, des phrases faites, où nous n’avons aucun intérêt de cœur ni d’esprit. Si grande est notre paresse, inaccoutumés que nous sommes à chercher des idées ou des mots, que souvent nous aurions quelque inclination à penser d’une manière : nous parlons d’une autre, non par modestie, non par timidité, mais parce qu’il est plus commode de répéter une phrase apprise que de créer pour une pensée personnelle une forme originale. […] Eût-on quelque velléité de sentir autrement, fût-on convaincu même que la vérité des faits y oblige, la phrase est là, si tentante, si facile à prendre ; il est si commode de la ramasser ; on a si peu le loisir, si peu l’habitude de sentir sa propre pensée et d’en chercher l’exacte formule, qu’on se laisse aller ; et l’on dit blanc quand on eût pensé noir si l’on n’avait pas lu son journal. […] Mais comme on laisserait le prochain en repos si l’on pouvait tirer ses pensées du dedans et de son propre fonds !

330. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre II. « Faire de la littérature » » pp. 19-26

Quand l’adolescent a fini un nombre suffisant de phrases commencées par son maître, quand il les a ornées d’adjectifs modérés, quand il a, en temps convenable, emmailloté des idées qu’il n’avait point conçues, le grade de bachelier ès lettres vient témoigner qu’il a appris par là à se rendre maître de ses propres pensées. […] Mme de Staël risque celle-ci : « Tout ce qui concerne l’exercice de la pensée dans les écrits, les sciences physiques exceptées » ; et Schlegel : « Tous les arts et toutes les sciences, ainsi que toutes les créations et toutes les productions qui ont pour objet la vie et l’homme lui-même, mais qui, sans avoir aucun acte extérieur pour but, n’agissent que par la pensée et le langage et ne se manifestent qu’à l’aide de la parole et de l’écriture. » Cette définition encyclopédique est peut-être juste, mais, si elle définit quelque chose, elle exprime que la littérature embrasse tout ce qui s’écrit, car où serait la démarcation ? […] L’homme qui rédige sa pensée, qui use du moyen de publicité dit écriture, ne peut avoir pour but que : 1º le beau : il cherche à faire œuvre d’artiste ; 2º le vrai : il cherche à faire œuvre de savant ; 3º l’agréable (et l’utile, qui est l’agréable en expectative), et il fait œuvre d’industriel. […] Ils mettent leur pensée en régie.

331. (1818) Essai sur les institutions sociales « Préface » pp. 5-12

J’aurais pu marquer, par des notes au bas des pages, ces changements divers et mutuels, pour expliquer les modifications survenues dans la pensée générale de tous les partis, et surtout pour en faire remarquer le progrès. […] Nodier disait « Pour juger une grande époque de destruction et de renouvellement, comme celle où nous vivons, il faudrait pouvoir se séparer tout à fait du passé et de l’avenir, ne conserver de l’un que des souvenirs sans passion, ne fonder sur l’autre que des espérances sans regrets… On sent partout, dans ce livre, l’inspiration qui a produit Antigone ; et je ne sais par quel mystère qui étonne et qui effraie, il rappelle le langage des fondateurs de la civilisation, comme si la nôtre était déjà détruite : il résulte de ce mélange d’éléments quelque chose qui accable la pensée, mais qui a un caractère monumental très instructif pour le siècle, si les livres remarquables sont les témoins de l’état de la société. […] On sent qu’il eût voulu adopter pleinement mes pensées d’avenir, mais qu’il n’osait pas trop se confier à l’espérance. […] J’avouerai sans peine que j’ai été entraîné par le mouvement de la pensée, et que j’ai dépassé la vérité. […] Lémontey : « Aux dimensions du tombeau qu’il lui élève, on voit bien qu’il a la pensée d’y coucher un géant. » M. de Maistre et M. de La Mennais n’ont pas cru que le géant fût couché dans son tombeau, eux qui ont employé toute leur puissance à combattre la Déclaration de 1682.

332. (1915) La philosophie française « II »

Nous allons maintenant chercher s’ils ne présenteraient pas certains traits communs, caractéristiques de la pensée française. […] Si, pour mesurer la profondeur de leur pensée et pour la comprendre pleinement, il faut être philosophe et savant, néanmoins il n’est pas d’homme cultivé qui ne soit en état de lire leurs principales œuvres et d’en tirer quelque profit. […] Ainsi s’explique qu’un Descartes, un Pascal, un Rousseau, — pour ne citer que ceux-là, — aient beaucoup accru la force et la flexibilité de la langue française, soit que l’objet de leur analyse fût plus proprement la pensée (Descartes), soit que ce fût aussi le sentiment (Pascal, Rousseau). […] Pendant tout le XVIIe et le XVIIIe siècles, la pensée française, s’exerçant sur la vie intérieure, a préparé la psychologie purement scientifique qui devait être l’œuvre du XIXe siècle. […] L’unification des choses ne pourra s’effectuer que par une opération beaucoup plus difficile, plus longue, plus délicate : la pensée humaine, au lieu de rétrécir la réalité à la dimension d’une de ses idées, devra se dilater elle-même au point de coïncider avec une portion de plus en plus vaste de la réalité.

333. (1880) Une maladie morale : le mal du siècle pp. 7-419

Les expressions résistent à nos pensées et les émoussent. […] Là encore, il suit le cours de ses tristes pensées. […] En maint endroit, sa correspondance révèle les angoisses de sa pensée. […] Seule en présence de la pensée de Dieu, elle se trouble et faiblit. […] Sa pensée, soulagée par cette création, est entrée dans une sphère plus sereine.

334. (1858) Du roman et du théâtre contemporains et de leur influence sur les mœurs (2e éd.)

Un épilogue qui clôt le mystère nous révèle la pensée philosophique du livre. […] Mais dans quelle pensée ? […] Cette pensée, nous allons la voir tout à l’heure se formuler plus nettement. […] Mais qui ne sent sous chaque parole la pensée hostile et l’ironie secrète ? […] Mais l’action n’est puissante et féconde que là où la pensée est sérieuse et forte.

335. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

J’ai la pensée, quand je fais un roman, de rendre une coloration, une nuance. […] Quelle était donc la pensée vraie et définitive de Baudelaire ? […] On devine ce que peut devenir la pensée humaine au milieu de ce chaos. […] Leur nom n’évoque pour la pensée ni un type ni une personnalité définissables. […] Il se décèle constamment dans ses actes et dans ses pensées, avec une fréquence telle que nous n’avons pu en citer que les plus rares exemples.

336. (1905) Promenades philosophiques. Première série

Il faut le reconnaître : quand nous pensons à un monde vide de la pensée, il contient encore notre pensée, ou c’est notre pensée qui le contient et l’anime. […] Loin, peut-être, que ce soit la pensée qui pense la vie, c’est la vie qui anime la pensée. […] La littérature sans la pensée, qu’est-ce que cela ? […] Nietzsche, c’est la pensée de montagne. […] Le style est la pudeur de la pensée.

337. (1887) Études littéraires : dix-neuvième siècle

Ceci a bien l’air d’être la vraie pensée de Chateaubriand, et non un plaidoyer. […] Mais c’est la première pensée qu’il puisse avoir, très probablement la seule. […] C’est l’harmonie de la pensée elle-même, de la pensée qui se développe et se déroule avec la grâce facile et la démarche rythmique des êtres heureusement nés et bien faits. […] Cela empêche, non point la pensée d’être forte, mais l’art d’être persévérant. […] L’image est encore une traduction, voulue et cherchée, de la pensée.

338. (1920) Action, n° 2, mars 1920

La musique de Wagner se suffit, parce qu’il y fait entrer le poids de pensée nécessaire aux plus belles émotions. […] Il comprend tout et il pardonne, il n’a pas besoin d’être compris : il ne peut l’être : il est la pensée de l’univers dans un esprit qui contemple. […] Quelle douceur vous avez de ne pas peser plus qu’une bague de rire à la pensée, moins qu’une marguerite aux doigts, aux lèvres moins qu’un baiser. […] On y sent une pensée subtile et vaste, heureuse de s’introniser en cette forme légère et délicatement ciselée. […] Itinéraires d’une pensée moderne, Paris, Presses de l’université de Paris-Sorbonne, 2002, p. 104).

339. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Sainte-Beuve, Charles-Augustin (1804-1869) »

. — Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme (1829). — Les Consolations (1830). — Volupté, roman (1834). — Pensées d’août (1837). — Poésies complètes (1840). — Portraits littéraires (1839, 1841, 1844). — Histoire de Port-Royal (1840-1862). — Portraits de femme (1844). — Portraits contemporains (1846). — Causeries du lundi (1851-1857) […] La lune a moins de phases que sa pensée. Le signalement que vous aurez donné de lui à propos de Joseph Delorme ne s’appliquera plus à l’auteur des Consolations , et moins encore à celui des Pensées d’août.

340. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 381-387

Dans ses Odes héroïques, il manque, de l’aveu de tout le monde, de cette élévation de pensées, de cette chaleur d’expression, de cette vivacité d’images, de cette énergie de tours, qui sont l’ame de la Poésie lyrique. […] Qu’on excepte deux ou trois de ses Eglogues, où les pensées ingénieuses sont trop prodiguées & trop éloignées de ce qui convient au genre pastoral, M. […] Parmi ses pensées, il y en a de neuves, de brillantes, de profondes, d’agréables, qui toutes sont toujours bien exprimées. […] C’est dommage que le style du Panégyriste ne réponde pas à la sagesse de sa critique : il est communément froid & maniéré, par l’affectation puérile de l’Auteur à vouloir toujours donner à ses pensées une physionomie fine & spirituelle.

341. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 109-114

Si nous voulions d'abord en critiquer le titre, nous dirions que le mot Maximes ne sauroit convenir qu'à des vérités évidentes & consacrées par une adoption générale, non à des pensées qui peuvent être vraies, mais qui sont nouvelles, & ne doivent être regardées que comme le fruit de la méditation d'un esprit qui réfléchit pour lui même, sans avoir droit de fixer les idées d'autrui. […] Il paroît que les pensées de M. de la Rochefoucauld roulent sur un systême qui en rend plusieurs fausses, & quelques autres outrées. […] A ce défaut près, ses observations sont profondes, la plupart de ses pensées sont neuves & exprimées d'une maniere plus neuve encore. […] Cette disposition à tout condamner se décele si évidemment dans lui, qu'il est aisé de s'appercevoir qu'il impute souvent des vices à l'homme, non pas tant parce qu'il le voit réellement, que pour ne pas perdre une expression énergique, un tout ingénieux, une pensée vive, qui peuvent servir à faire admirer son génie.

342. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Lélia (1833) »

Comme il était arrivé qu’aux approches et aux environs de Lélia le mot de roman intime avait été prononcé par je ne sais qui, et sans qu’on eût, je le crois bien, la pensée de faire à Lélia l’application de ce mot, les plus subtils et les plus clairvoyants critiques ont à l’instant dénoncé l’œuvre nouvelle comme un formidable signal d’invasion, comme le monstre du genre. […] Je me garderai bien de répéter ici les accusations voilées que la pudeur de ces autres critiques n’osait articuler sur le sens ineffable du livre : il faut laisser certaines pensées où elles sont nées. […] On peut plus ou moins aimer cette œuvre, selon qu’on y reconnaît plus ou moins les pensées et la situation de son âme, selon qu’on est plus ou moins facile à la vibration poétique ; on peut la réprouver plus ou moins vivement, selon qu’on est plus ou moins sûr d’avoir trouvé le remède moral et la vérité ; mais on ne peut qu’être émerveillé de ces ressources infinies dans une femme qui a commencé, il y a environ dix-huit mois, à écrire. […] Il y a certains replis délicats de la pensée qui ne se trahissent que par ces oublis de l’écrivain. […] J’attribue à la rapidité de l’exécution ce surcroît de talent qui, d’après ma conjecture, vient au secours de la pensée primitive et la perd bientôt de vue en allant au delà.

343. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — George Sand. Cosima. »

Elle ne le paraissait pas davantage, certainement, aux auteurs dramatiques de toute école et de toute nuance, qui n’aiment jamais à entrer en partage, surtout quand le nouveau venu est suspect de griffe de lion, et, sans mettre le cœur humain au pis, on peut supposer que ces auteurs de tous bords qui surveillent une première représentation, n’auraient pas voté à pensée ouverte pour un succès non marchandé. […] Mais une pensée semblable était difficile à articuler ; acteur, il fallait en marquer l’effort, entrer, pour ainsi dire, dans la crainte de l’exprimer. […] Je le dis bien haut, parce que ç’a toujours été ma pensée : dans cette Lélia même, si attaquée en naissant, il n’y a rien qui n’émane d’un esprit plutôt sévère, d’une imagination sérieuse, trop sérieuse même, puisqu’elle ne prévoit pas toujours les chances de l’ironie et de la malignité. Il y a dans le travail de cette pensée ardente, au moment de la production, une sorte de candeur conservée ; je ne sais pas d’autre mot, et je le livre aux habiles railleurs, aux écrivains de toutes sortes, incorruptibles champions de la morale sociale. […] Le pauvre Néri seul, le dernier, reste près de la porte et n’a pas eu encore un regard ni une pensée de Cosima.

344. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IV. De la philosophie et de l’éloquence des Grecs » pp. 120-134

L’éloquence, soit par ses rapports avec la poésie, soit par l’intérêt des discussions politiques dans un pays libre, avait atteint chez les Grecs un degré de perfection qui sert encore de modèle : mais la philosophie des Grecs me paraît fort au-dessous de celle de leurs imitateurs, les Romains ; et la philosophie moderne a cependant, sur celle des Romains, la supériorité que doivent assurer à la pensée de l’homme deux mille ans de méditation de plus. […] Aristote cependant, qui vécut dans le troisième siècle grec, par conséquent dans le siècle supérieur pour la pensée aux deux précédents, Aristote a mis l’esprit d’observation à la place de l’esprit de système ; et cette différence suffit pour assurer sa gloire. […] Il faut que la pensée soit avertie par les événements ; c’est ainsi qu’en examinant les travaux de l’esprit humain, on voit constamment les circonstances ou le temps donner le fil qui sert de guide au génie. […] Les faits inspiraient alors une telle avidité, qu’on ne reportait point encore sa pensée vers les causes. […] Les anciens, pour la plupart, n’ont pas une grande variété de pensées.

345. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XI. De la littérature du Nord » pp. 256-269

Je réponds à cette objection que les images et les pensées les plus habituelles, dans Ossian, sont celles qui rappellent la brièveté de la vie, le respect pour les morts, l’illustration de leur mémoire, le culte de ceux qui restent envers ceux qui ne sont plus. […] Mais l’ébranlement que les chants ossianiques causent à l’imagination, dispose la pensée aux méditations les plus profondes. […] Cette nature si vive qui les environne, excite en eux plus de mouvements que de pensées. […] On y voit plus d’intérêts divers, mais moins d’intensité dans une même pensée ; or c’est la fixité qui produit les miracles de la passion et de la volonté. […] Elle entretient une rêverie céleste qui fait aimer la campagne et la solitude : elle porte souvent le cœur vers les idées religieuses, et doit exciter dans les êtres privilégiés le dévouement des vertus et l’inspiration des pensées élevées.

346. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la religion. »

aucune action sur soi-même n’est possible en matière de foi, la pensée est indivisible, l’on ne peut en détacher une partie pour travailler sur l’autre, on espère ou l’on craint, on doute ou l’on croit, selon la nature de l’esprit et des combinaisons qu’il fait naître. […] La religion ouvre une longue carrière à l’espérance, et trace une route précise à la volonté, sous ces deux rapports elle soulage la pensée. […] Si ce siècle est l’époque où les raisonnements ont le plus ébranlé la possibilité d’une croyance implicite, c’est dans ce temps aussi que les plus grands exemples de la puissance de la religion ont existé ; on a sans cesse présent à sa pensée, ces victimes innocentes qui, sous un régime de sang, périssaient, entraînant après elles ce qu’elles avaient de plus cher ; jeunesse, beauté, vertus, talents, une puissance plus arbitraire que le destin, et non moins irrévocable, précipitait tout dans le tombeau. […] Quelque chose d’enthousiaste comme elle, des pensées qui, comme elle aussi, dominent l’imagination, servent de recours aux esprits qui n’ont pas eu la force de soutenir ce qu’ils avaient de passionné dans le caractère : cette dévotion se sent toujours de son origine ; on voit, comme dit Fontenelle, que l’amour a passé par là  ; c’est encore aimer sous des formes différentes, et toutes les inventions de la faiblesse pour moins souffrir, ne peuvent ni mériter le blâme, ni servir de règle générale ; mais la dévotion exaltée qui fait partie du caractère au lieu d’en être seulement la ressource, cette dévotion, considérée comme le but auquel tous doivent tendre, et comme la base de la vie, a un tout autre effet sur les hommes. […] J’ai besoin de répéter que je ne comprends pas dans cette discussion, ces idées religieuses d’un ordre plus relevé qui, sans influer sur chaque détail de la vie, anoblissent son but, donnent au sentiment et à la pensée quelques points de repos dans l’abîme de l’infini.

347. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Marie-Antoinette » pp. 171-184

Nous comprenions bien, du reste, qu’ils en eussent la pensée ; mais nous, nous avions peur pour leur audace. […] On a beau se faire du xviiie  siècle par la pensée, par l’étude, par l’admiration, par les affectations, on a gardé un peu de son cœur, on l’a arraché aux mauvaises mains de son esprit ; et le moyen de ne pas être grave, même à Trianon, même à la comédie chez les Polignac, quand on y suit cette reine enchanteresse qui sera au Temple tout à l’heure ! […] nous oserions en jurer, telle fut la pensée de Marie-Thérèse. […] Et sa vie tout entière révéla cette pensée, et cette pensée, inspirée par sa mère, explique seule sa vie ! […] Avec cette pensée de relever la royauté avilie dans le cœur d’un Roi devenu fidèle, la vie de Marie-Antoinette prend un sens qu’elle ne perdra plus.

348. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XII. Marie-Antoinette, par MM. Jules et Edmond de Goncourt » pp. 283-295

Nous comprenions bien, du reste, qu’ils en eussent la pensée ; mais nous, nous avions peur pour leur audace. […] On a beau se faire du xviiie  siècle par la pensée, par l’étude, par l’admiration, par les affectations, on a gardé un peu de son cœur, on l’a arraché aux mauvaises mains de son esprit ; et le moyen de ne pas être grave, même à Trianon, même à la comédie chez les Polignac, quand on y suit cette reine enchanteresse, qui sera au Temple tout à l’heure ! […] Oui, nous oserions en jurer, telle fut la pensée de Marie-Thérèse. […] Et sa vie tout entière révéla cette pensée, et cette pensée, inspirée par sa mère, explique seule sa vie ! […] Avec cette pensée de relever la royauté avilie, dans le cœur d’un Roi, devenu fidèle, la vie de Marie-Antoinette prend un sens qu’elle ne perdra plus !

349. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXV. Le Père Ventura »

Ventura a publié les sermons qu’il a prononcés devant Sa Majesté l’Empereur, à la chapelle des Tuileries, en 1857, et l’illustre théatin, dont la pensée, — comme l’on sait, — est toujours une pensée d’ensemble et d’unité profonde, les a publiés sous un titre collectif qui dit bien, en un seul mot, le sens particulier de ces discours. […] Si Bourdaloue et Bossuet avaient vu de telles choses, ils ne prêcheraient point, croyez-le bien, comme ils prêchaient devant un roi tranquille qui vivait et s’endormait dans la mort, avec cette pensée que sa race était immortelle. […] II C’est sous l’empire de ces pensées que nous avons ouvert le livre publié aujourd’hui par le R.  […] Ventura, publiciste après coup, après le sermon, puisqu’il le fixe sous nos yeux dans un livre qu’il revoit, corrige, orne de notes, et qui est enfin un traité ni plus ni moins que le livre du premier publiciste venu, écrivant dans la confiance de sa pensée, le P.  […] Ce ne serait là qu’un compte à régler sur les qualités et les richesses du talent de l’orateur : mais, dans la pensée évidente, catégorique et même exprimée dans ce titre que vous avez pris, c’est bien autre chose.

350. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Banville. Les Odes funambulesques. »

Et à quels spectacles inférieurs faut-il désormais nous attendre, car il n’y a que des spectacles dans ces vers sans pensée et sans cœur ? […] Devenu histrion d’art par amour de l’histrionisme, ce divinisateur du tremplin l’a transporté définitivement dans la vie de sa pensée. […] Il faut du temps pour préparer ce monstrueux avatar de son corps ou de sa pensée. […] Ce qu’en effet, depuis ces dernières vingt-cinq années, le théâtre a fait peser sur nos mœurs, sur les habitudes de notre pensée, sur toutes ses formes et tous ses langages, ne peut être dit en quelques mots. […] Sans doute, avec le mécanisme de notre langue, l’action de la rime et du rythme sur la pensée est incontestable, mais on est allé beaucoup trop loin à cet égard et on a renversé toute hiérarchie de fonction et toute ordonnance de résultats.

351. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — L’arbitrage et l’élite »

Arthur Desjardins, vice-président de cet Institut, a récemment donné communication à l’Académie des sciences morales et politiques d’une notice sur sa genèse, son organisation et ses travaux, d’où il ressort que la pensée de se fondation est due à M.  […]   Ce qui constitue, à notre avis, l’importance de cet élargissement du droit au-delà des frontières, c’est qu’il marque la substitution des hommes de science et de pensée aux politiques et aux gouvernements, pour la résolution des hauts problèmes qui divisent l’humanité. […] Ce sont eux qui enfantent la pensée du monde, et ce sont eux qui devraient donner leur avis sur les questions générales qui divisent les nations. […] Car s’ils ont la pensée, ce serait l’acte, au sens plein du terme. […] Le spectacle de la réunion d’hommes illustres, venant apporter chacun à l’œuvre commune leur part de pensée et d’humanité, serait en lui-même d’une incomparable fécondité.

352. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

Le jour où il voudra exprimer nettement sa pensée la plus chère, une profession de foi faite pour être montrée, nous verrons que c’est en français tout naturellement qu’il la consignera. […] élève là-haut ta pensée. […] Ma pensée ainsi plonge à la nage, Et sur ces mers sans fin j’aime jusqu’au naufrage. […] A partir de 1830, nous avons un témoignage direct et continu de ses pensées et de ses souffrances dans une correspondance familière et tout intime. […] Mais voici les pensées de ses jeunes ans : « Al progretto degl’ inni cristiani.

353. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

Vauvenargues a dit que les grandes pensées viennent du cœur . […] Sous un gouvernement républicain, ce qu’il doit y avoir de plus imposant pour la pensée, c’est la vertu, et ce qui frappe le plus l’imagination, c’est le malheur. […] Le génie français n’a jamais été très remarquable en ce genre ; et maintenant on ne peut ajouter aux effets de la poésie, qu’en exprimant, dans ce beau langage, les pensées nouvelles dont le temps doit nous enrichir. […] Le véritable objet du style poétique doit être d’exciter, par des images tout à la fois nouvelles et vraies, l’intérêt des hommes pour les idées et les sentiments qu’ils éprouvaient à leur insu ; la poésie doit suivre, comme tout ce qui tient à la pensée, la marche philosophique du siècle. […] Le déchaînement des passions qu’amènent les troubles civils, ne laisse subsister qu’une seule curiosité, celle que font éprouver les écrits qui pénètrent dans les pensées et dans les sentiments de l’homme, ou servent à vous faire connaître la force et la direction de la multitude.

354. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre v »

Un mot qu’il prononça ne laisse pas de doute sur la vigueur et la direction de sa pensée. […] Et c’est ce dernier point qui fait le tragique de sa position et de sa pensée. […] Pour moi, s’il en faut une, cette pensée est la plus douce récompense.‌ […] C’est le refrain et le ressort de sa pensée quotidienne. […] Et ce n’est pas le mot seulement, c’est bien la pensée.

355. (1882) Autour de la table (nouv. éd.) pp. 1-376

Nous pénétrons par la pensée dans tous les mondes de l’univers. […] Ils ont eu, sans doute, en ceci, une pensée de haute moralité ou de critique incisive ; mais cette pensée n’était pas la pensée fondamentale de leur œuvre, comme il a plu à la critique moderne de le croire. […] … La langue ment à la voix, et la voix ment aux pensées… La pensée s’envole rapide de l’âme avant d’éclater en mots, et les mots submergent la pensée et tremblent au-dessus de la pensée, comme le sol sur un torrent englouti et invisible. […] … mes pensées ! […] C’est la pensée et non le cœur qui dévoilera tes voies aux hommes ; c’est par la pensée, non par le cœur, qu’ils découvriront où tu as déposé tes armes.

356. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (1re partie) » pp. 397-476

Est-ce que tous les arts ne sont pas des expressions du sentiment ou de la pensée de l’homme ? Est-ce que tous les arts ne sont pas des moyens de communiquer cette pensée ou ce sentiment d’un homme aux autres hommes ? […] Est-ce que les architectes du Parthénon à Athènes, de Saint-Pierre de Rome, sur les bords du Tibre, de la cathédrale de Cordoue ou de Cologne, du Panthéon à Paris, ne vous construisent pas des pensées en pierre, en marbre ou en porphyre, aussi éloquentes que des pensées de Platon, de Cicéron, de Bossuet, de Mirabeau ? […] Cela n’est pas douteux : un homme rappelle l’autre ; un art traduit l’autre ; la pensée passe par le marbre, par le dessin, par la couleur, par le son, au lieu de passer par la plume ; mais c’est toujours la pensée, c’est toujours la littérature. […] Une école n’aurait créé qu’un disciple, l’isolement et la pensée créèrent un maître.

357. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIe entretien. Littérature italienne. Dante. » pp. 329-408

Quelques-uns sont dignes d’en être exhumés, comme des monuments de force et de fécondité dans la pensée humaine. […] Esprit du même ordre, mais avec le don de plus qui élève la pensée jusqu’au ciel, la poésie. […] C’est ce qu’il avoue sans cesse lui-même dans ses sonnets et dans sa Vita nuova (vie nouvelle), sorte de commentaire mystique écrit par lui-même de ses œuvres et de sa pensée. […] J’aime à assister, par la pensée, à cette lente conception dans l’esprit de l’exilé de Florence. […] La poésie est, en effet, comme un corps glorieux sous lequel la pensée demeure incorruptible et éternelle.

358. (1929) La société des grands esprits

Et il examine l’application de cet idéal grec à la pensée moderne. […] Cette pensée ne nous est point parvenue autographe ; nous l’avons par une copie. […] Mais Pascal est seul avec sa pensée : le silence éternel de ces espaces infinis m’effraye. » Ainsi l’authenticité de cette pensée illustre paraissait évidente à M.  […] Et à ses yeux Frédéric est un Français, le roi de la pensée. […] C’est son principe de pensée et d’action.

359. (1874) Premiers lundis. Tome I « Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme. Deuxième édition. »

Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme Deuxième édition. […] En ce temps-là tout pauvre jeune homme qui avait un cœur, une ambition et de vastes pensées, manquait d’air, s’étiolait dans son galetas et mourait de lente asphyxie. […] Sainte-Beuve — de rapprocher de ce jugement écrit par lui-même sur ses premières Poésies un autre article que nous ne pouvons donner comme de lui, et que nous trouvons dans la Revue des Deux Mondes, sur les Pensées d’Août, à la date du 1er novembre 1837. […] Sainte-Beuve y sont appréciés à leur haute et juste valeur : « La publication des Pensées d’Août a donné lieu, dans la presse, contre M.  […] Le résultat probable de cette animosité sera d’appeler sur les Pensées d’Août une attention plus scrupuleuse.

360. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre II. De la philosophie. »

Il faut qu’on ait appris à concevoir la vie passivement, à supporter que son cours soit uniforme, à suppléer à tout par la pensée, à voir en elle les seuls événements qui ne dépendent ni du sort, ni des hommes. […] Le philosophe, par un grand acte de courage, ayant délivré ses pensées du joug de la passion, ne les dirige plus toutes vers un objet unique, et jouit des douces impressions que chacune de ses idées peut lui valoir tour à tour et séparément. […] Non que dans cette situation, la vie ait encore quelques charmes, mais parce qu’il faut rassembler dans un même moment tous les motifs de sa douleur pour lutter contre l’indivisible pensée de la mort ; parce que le malheur se répand sur l’étendue des jours, tandis que la terreur qu’inspire le suicide, se concentre en entier dans un instant, et que pour se tuer, il faudrait embrasser le tableau de ses infortunes comme le spectacle de sa fin, à l’aide de l’intensité d’un seul sentiment et d’une seule idée. […] Le philosophe, qui doit cette paix au travail de sa pensée, aime à jouir de lui-même dans la retraite. […] L’idée qui la domine, laissée stationnaire par les événements, se diversifie de mille manières par le travail de la pensée, la tête s’enflamme et la raison devient moins puissante que jamais.

361. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Léon Bloy »

Malgré tout, en effet, malgré la contagion de la libre pensée, ce terrible choléra moderne de la libre pensée qui les ronge et qui les diminue chaque jour, les chrétiens sont encore assez nombreux pour faire de la gloire comme le monde la conçoit et la veut, — et, de cela seul que l’Église mettait en question la sainteté de Christophe Colomb, il avait sa gloire, même aux yeux des ennemis de l’Église, qui, au fond, savent très bien, dans ce qui peut leur rester d’âme, qu’il n’y a pas sur la terre de gloire comparable à celle-là ! […] Otez, en effet, par la pensée, la personnalité de Christophe Colomb de la synthèse du monde, que, seule, l’Église embrasse, et que seule elle explique, et il ne sera plus qu’un homme à la mesure de la grandeur humaine ; mais avec l’Église et faisant corps avec elle, il devient immédiatement le grand homme providentiel, le bras charnel et visible de Dieu, prévu dès l’origine du monde par les prophètes des premiers temps… Les raisons de cette situation miraculeuse dans l’économie de la création, irréfragables pour tout chrétien qui ne veut pas tomber dans l’abîme de l’inconséquence, ne peuvent pas, je le sais, être acceptées par les esprits qui chassent en ce moment systématiquement Dieu de partout ; mais l’expression de la vérité, qu’ils prennent pour une erreur, est si grande ici, qu’ils seront tenus de l’admirer. […] Je ne vois guères que l’auteur des Pensées pour avoir sur ce grand sujet, oublié par Bossuet, cette aperception suraiguë dans le regard, cette force dans la conception d’un ensemble, cette profondeur d’interprétation et cette majesté de langage, aux saveurs bibliques. Je veux surtout insister sur ce point : Léon Bloy — l’écrivain sans public jusqu’ici, et dont quelques amis connaissent seuls la violence éloquente, qu’on retrouvera, du reste, dans la troisième partie de son livre, quand il descendra de la hauteur du commencement de son apologétique, — a pris aux Livres Saints, sur lesquels il s’est couché depuis longtemps de toute la longueur de sa pensée, la placidité de la force et la tempérance de la sagesse.

362. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre dixième »

De ce nombre est la vérité, pour la première fois trouvée et exprimée par Buffon, de l’unité de l’homme, première marque de sa supériorité sur les animaux, après la pensée. […] Il n’y avait pas d’apparence que le moraliste qui a poussé le soin jaloux de la dignité de l’homme jusqu’à ôter arbitrairement aux animaux toute propriété ressemblant du plus loin à la pensée, s’interdît de parler du devoir à l’âme réintégrée par lui dans ses droits, et raffermie dans sa foi en elle-même. […] Ils sont si jaloux des prérogatives de la nature humaine, Descartes, parce qu’il croit les lui avoir restituées, Malebranche, parce qu’il la voit en Dieu, que, pour relever la pensée, ils méprisent la vie. […] Il rectifie ses premières vues par les expériences récentes, se consolant de s’être autrefois trompé par la pensée qu’on se servait de ses vérités pour redresser ses erreurs. […] Se faire un plan, attendre, avant de prendre la plume, cette plénitude qui est l’inspiration des bons écrivains, rejeter les pensées isolées, les premières vues, se défier des traits, c’est œuvre d’homme ; si le style vient de là, je comprends que pour un style il faille un homme.

363. (1890) L’avenir de la science « XVI »

La langue de l’enfant, en apparence plus simple, est en effet plus compréhensible et plus resserrée que celle où s’explique terme à terme la pensée plus analysée de l’âge mûr. […] La pensée, en s’appliquant plus attentivement aux objets, reconnaît leur complexité et la nécessité de les étudier partie par partie. La pensée primitive n’avait vu qu’un seul monde ; la pensée à son second âge aperçoit mille mondes, ou plutôt elle voit un monde en toute chose. […] La pensée se morcelle et se découpe. […] Le développement théologique y a été complètement nul ; il n’y a pas de pays en Europe où la pensée religieuse ait moins travaillé.

364. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIVe entretien. Cicéron (3e partie) » pp. 257-336

L’orateur philosophe sentait grandir sa pensée, son talent et son courage, en abordant le plus grand objet de la pensée, la Divinité. […] Seulement ces pensées n’ont pas le clinquant de Montesquieu ou l’étrangeté de J. […] Lisez-le tout entier : c’est Cicéron dieu après Cicéron homme ; la pensée humaine ne monte pas plus haut. […] Aucun : c’est le plus vaste et en même temps le plus parfait des hommes de pensée ; ce n’est pas un littérateur, c’est la littérature elle-même tout entière. Les ouvrages de Cicéron retrouvés consoleraient le monde de la perte de tous les autres livres ; c’est l’encyclopédie de l’âme, de la pensée et du talent.

365. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque (1re partie) » pp. 145-224

La philosophie est la pensée du cœur humain, dont la littérature n’est que la parole ; la pensée est le fond de l’homme, la littérature n’est que la forme. […] Ils pensent pour nous, et ils nous rapportent les conquêtes de leurs pensées ; prêtons-leur l’oreille et ouvrons-leur nos cœurs. […] Sa foi, comme il l’avoue lui-même, n’est que probabilité, conjectures, vraisemblance, révélation de la pensée à la pensée, cet éternel révélateur avec lequel tout homme s’entretient dans ses espérances et dans ses doutes. […] Les grandes pensées viennent des grandes âmes ; celle de J. […] Voulez-vous ma pensée tout entière ?

366. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (1re partie) » pp. 81-159

La pensée de la position à prendre par nous au Mexique est une pensée grandiose, une pensée incomprise (je dirai tout à l’heure pourquoi), une pensée juste comme la nécessité, vaste comme l’Océan, neuve comme l’à-propos, une pensée d’homme d’État, féconde comme l’avenir, une pensée de salut pour l’Amérique et pour le monde. […] XII La pensée d’une position hardie et efficace à prendre au Mexique contre l’usurpation des États-Unis d’Amérique est une pensée neuve, mais juste. […] De longs cheveux noirs et ondés se partageaient naturellement sur des tempes lisses et blanches, sur un os frontal disposé pour contenir et protéger la flamme de la pensée. […] Ses nuits n’avaient que rêves ailés et gazouillements mélodieux ; les images de ses favoris hantaient sa pensée. […] Ils ne pouvaient s’associer à mes pensées, jouir de mon bonheur, ni savoir quelle volupté c’est pour moi d’observer de mes propres yeux les scènes vivantes de la nature.

367. (1856) Cours familier de littérature. I « IIIe entretien. Philosophie et littérature de l’Inde primitive » pp. 161-239

Sa troisième pensée est de lui construire un acte de foi et un culte ; sa quatrième pensée est de déduire de cette foi, de ce culte et de sa propre conscience, une morale ou un code du bien et du mal conforme, le plus possible, à l’idée que l’homme se fait de ce qui plaît ou de ce qui déplaît à l’Être des êtres. […] Est-ce dans les livres, ces monuments écrits de la pensée des peuples ? […] La pensée d’un seul est le levain d’une multitude, la vertu d’un seul sanctifie une foule, le sang d’un seul rachète une race ; le plus glorieux ou le plus humble dévouement sauve ou grandit tout un siècle. […] Chacune de ses pensées réalisées est aussi grande que l’autre, puisqu’elle est également de lui et en lui. » Elle dit : « Nous sommes une de ses créatures, une de ses pensées réalisées, ni plus grande, ni plus petite que toute autre de ses créatures. […] Glorifier Dieu fut le désir de naître pour le premier germe de la création… « Cependant il y avait Lui, dit le livre, il y avait Dieu ; lui seul existait sans respirer, il existait absorbé en lui-même dans la solitude de sa propre pensée, de sa pensée tournée en dedans de lui pour jouir de la contemplation de lui-même.

368. (1907) Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle

Il pervertit la pensée, mais non pas la langue. […] Leur pensée est, pour ainsi dire, toujours vierge. […] Ruy Blas, dont la grande pensée de jeunesse a été celle de Ralla : « à quoi bon travailler ! […] Dans sa pensée seulement ; mais justement la pensée sublime ne descend pas à l’action. […] Elle consiste dans un désordre de la pensée elle-même.

369. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. BRIZEUX (Les Ternaires, livre lyrique.) » pp. 256-275

J’ai regret, non-seulement aux monuments qui croulent, mais aux pensées qui s’évanouissent, aux voix qui meurent dans leur premier écho. J’ai regret surtout aux pensées poétiques ; les autres se retrouvent, se renouvellent ; l’une remplace l’autre : la pensée poétique, seule, ne se remplace point. […] Il lui faut le vers, il lui faut la ceinture ; sa pensée veut marcher enveloppée du rhythme et de la cadence. […] Dans les Ternaires, à travers bien des rayons et des élans, d’ordinaire une poésie virile se fortifie et se complique d’une pensée consommée. […] Je ne puis que citer la pièce tout entière, parfaite de style, de ton et de pensée : LETTRE A UN CHANTEUR DE TRÉGUIER.

370. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVII. De la littérature allemande » pp. 339-365

Il n’y a rien d’assez grand ni d’assez libre dans les gouvernements, pour que les philosophes puissent préférer les jouissances du pouvoir à celles de la pensée ; et leur âme ne se refroidit point par des rapports trop continuels avec les hommes. […] Quelle sublime réunion l’on trouve dans Werther, de pensées et de sentiments, d’entraînement et de philosophie ! […] Les Allemands écoutent encore avec plaisir les pensées les plus connues, quoique leur esprit en découvre chaque jour de nouvelles. […] Ils croient ainsi se mettre à la portée de leurs lecteurs ; mais il ne faut jamais supposer à ceux qui nous lisent, des facultés inférieures aux nôtres : il convient mieux d’exprimer ses pensées telles qu’on les a conçues. […] Comment un seul homme pourrait-il donc avoir un enchaînement de pensées entièrement nouvelles ?

371. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre II : L’intelligence »

Le fait le plus primitif de la pensée, c’est donc le sens de la différence ou discrimination ; il consiste à voir que deux sensations sont différentes en nature ou en intensité. Pour bien comprendre la pensée de l’auteur, remarquons que la conscience ne se produit que par le changement. […] La pensée, dit ingénieusement M.  […] V Il nous reste à considérer les cas où une pluralité d’anneaux ou liens concourt à raviver quelque pensée ou état mental antérieur. […] VI Jusqu’ici nous n’avons eu en vue que la résurrection, le réveil littéral des sensations, images, émotions, suites de pensées antérieures.

372. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre III. Le cerveau chez l’homme »

En second lieu, ce qui n’est pas davantage contestable, c’est qu’au-dessous d’une certaine limite de volume cérébral la pensée est également comme si elle n’était pas. […] Tels sont les faits favorables à l’hypothèse qui mesure la pensée au poids. […] Moleschott a exprimée en ces termes : « sans phosphore, point de pensée ». Le phosphore est devenu le grand agent de la pensée et de l’intelligence, le stimulant universel, l’âme elle-même. […] Voyez Physiologie de la pensée, t. 

373. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Les deux cathédrales »

La pensée religieuse de l’Europe s’épanouit au Moyen-âge dans une croyance. […] En même temps il se reconnut maître d’une faculté dont le libre exercice lui avait été présenté comme criminel et sacrilège : la pensée. […] La pensée, qui n’admet plus aucun dogme, aucune révélation, soumet le monde à son investigation passionnée. […] Je demande s’il est possible à un artiste moderne d’enfanter une œuvre vivante, alors que sa propre pensée est sans contact possible avec la pensée du monde présent, et s’il est possible à ce monde d’accepter une création d’art, conçue absolument en dehors de sa réalité. […] Je dis seulement que cette œuvre est inacceptable, au même titre que la pensée qui l’anime.

374. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XII. Du principal défaut qu’on reproche, en France, à la littérature du Nord » pp. 270-275

Les écrivains du Nord répondent que ce goût est une législation purement arbitraire, qui prive souvent le sentiment et la pensée de leurs beautés les plus originales. […] Il y a faiblesse dans la nation qui ne s’attache qu’au ridicule, si facile à saisir et à éviter, au lieu de chercher avant tout, dans les pensées de l’homme, ce qui agrandit l’âme et l’esprit. […] Ce qui est simple repose la pensée, et lui donne de nouvelles forces ; mais ce qui est bas pourrait ôter jusqu’à la possibilité de reprendre à l’intérêt des pensées nobles et relevées.

375. (1857) Articles justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des « Fleurs du mal » pp. 1-33

Je cherche à rendre l’impression du livre, je tâche d’être compris plutôt que je n’explique ma pensée. […] On emprunte les pensées avec le langage ; ou plutôt on se sert d’une langue riche pour déguiser le néant de sa pensée et la nullité de son tempérament. […] Baudelaire excelle surtout, je l’ai dit, à donner une réalité vivante et brillante aux pensées, à matérialiser, à dramatiser l’abstraction. […] Théodore de Banville, par exemple, le développement large et calme d’une pensée maîtresse d’elle-même. […] Je n’entends pas la correction prosodique, ni même la rectitude des pensées, mais une sorte de régularité conforme aux modèles.

376. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome I

Il connut la pensée allemande. […] Ce n’est pas en situant sa pensée hors de notre milieu que M.  […] C’était la marche même et comme le pas de sa pensée. […] Car si le vice est la sensation magnifiée par la pensée, la passion résulte d’une combinaison entre le sentiment et la pensée. […] Par suite, quand bien même nous ferions de l’âme une simple fonction au cerveau, nous n’en devrions pas moins étudier la pensée en tant que pensée.

377. (1905) Études et portraits. Sociologie et littérature. Tome 3.

La réalité de l’âme ne réside donc pas pour Balzac dans la seule pensée. […] Taine de la pensée philosophique. […] La pensée vécue, agie, si l’on peut dire, a des richesses qu’est bien loin d’égaler toujours la pensée simplement pensée. […] Ils n’ont pas le droit de dissimuler leur pensée pour flatter le malade. […] Cette pensée n’a pas évolué, en ce sens qu’elle n’a pas changé.

378. (1904) La foi nouvelle du poète et sa doctrine. L’intégralisme (manifeste de la Revue bleue) pp. 83-87

Il est préexistant à la pensée elle-même. […] Intégrer la pensée dans le rythme, c’est en quelque sorte lui conférer l’éternité de celui-ci. […] Si la forme convenue est trop étroite pour sa pensée, celle-ci la fait éclater, et l’on voit tout de suite où s’exerçait à tort le rigorisme des méthodes. […] Pour nous, le symbole est une généralisation de la pensée par l’image. […] Il faut qu’il y ait identification, c’est-à-dire que la pensée et sa forme soient tellement confondues dans le rythme que leurs rôles respectifs ne puissent plus être déterminés.

379. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Sainte Térèse » pp. 53-71

Certainement, il y a de l’infini dans toute âme, mais il y est, et même dans les plus grandes, à l’état latent, mystérieux, sommeillant, comme l’Esprit sommeillait sur les eaux, tandis que dans l’âme de Térèse l’infini déchire son mystère, se fait visible, et passe dans le langage où la pensée déborde les mots. […] Elle est infinie comme, depuis elle, Pascal l’a été quelquefois dans quelques-unes de ses Pensées. […] Moins encore que Pascal, qui songeait peu à faire de la littérature lorsque dans ses Pensées il essayait de se faire de la foi, sainte Térèse, dont la littérature espagnole a le très juste orgueil, n’était pas littéraire, et c’est pourquoi peut-être ce qu’elle nous a laissé est si beau ! […] Mais, d’ordinaire, elle a la transparente splendeur de la pensée, la diaphanéité du sublime. […] Tes pensées sont-elles tes pensées ?

380. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « IX. L’abbé Mitraud »

si libre que soit un auteur dans l’application de sa méthode et dans l’exposition de ses théories attardées, il est des formes littéraires qui sont comme les devoirs de politesse de la pensée. […] Si enveloppées et si drapées qu’elles soient, si ingénieuses de réserves et d’explications qu’elles puissent être, il s’échappe des doctrines des hommes, il suinte, pour ainsi parler, de leur pensée et de leur expression, de ces vapeurs intellectuelles qui pénètrent et qui avertissent. […] Il tourne et patine autour de la question en effaçant sa personne et sa pensée, mais en le lisant on ne voit pas clairement (quoiqu’on ait peur de le deviner) vers quelle opinion il se range, en matière de perfectibilité ou d’imperfectibilité sociale. […] Mitraud, qui parle de société et d’analyse comme il parle de tout, sans rigueur, sans serrer la voile d’une expression qui l’emporte à la dérive de toute pensée et le noie à la fin dans une écume de mots brillants, a-t-il analysé les éléments constitutifs de toute société ? […] Que M. l’abbé Théobald Mitraud se tienne donc pour averti, — et, s’il a réellement un système, un second volume dans la pensée, qu’il en surveille l’expression et qu’il ne le lance dans le monde qu’après y avoir regardé !

381. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIVe entretien. Littérature politique. Machiavel (3e partie) » pp. 415-477

Cette pensée était tronquée, mais française et italienne ; démentie le lendemain par le Piémont, torturée et violentée par l’immixtion funeste de l’Angleterre, cette pensée a sombré dans les négociations. Le Piémont a forcé la main à la nature ; Turin et Londres retournent aujourd’hui, contre la pensée de la France, le sang de la France versé en Italie. […] Ce fut la première pensée qui jaillit du sang encore chaud de la France après la victoire de Solferino et la paix de Villafranca. Les premières pensées sont l’éclair des situations difficiles. […] La monarchie piémontaise absorbant l’Italie annexée est la pensée de l’envie britannique contre la France, de l’ambition sarde contre l’Italie, pensée folle comme l’ambition, hostile comme la haine, pensée punique qui trompera bientôt les deux puissances qui l’ont conçue et qui trompera l’Italie elle-même, qu’elle constitue sur un perpétuel champ de bataille, au lieu de la constituer en un faisceau de droits et de libertés.

382. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXIXe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (2e partie) » pp. 321-384

que la nuit fait venir des pensées graves !  […] Une mouche, un bruit de porte, une pensée qui vient, que sais-je ? […] La pensée est tout dans le dessin ! […] Rapprochons-nous, mon ami, rapprochons-nous de cœur et de pensée en nous écrivant l’un à l’autre. […] Quelquefois je pense que c’est la pensée du couvent qui fait cela, qui m’attire et m’attriste.

383. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

Elle ne lui demandait pas un regard : une pensée eût suffi. […] Quelle joie qu’une telle pensée ! […] Tous, en effet, avaient la même pensée et n’osaient se la dire. Cette pensée leur paraissait à la fois évidente et absurde : c’est que la clef du broyeur de lin avait seule pu servir au vol.  […] Avant cela, il n’était venu à la pensée de personne que la fille de Kermelle fût folle.

384. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VII. Repos »

Geste toujours ému et émouvant, il dresse des pensées d’une noblesse hautaine, des sentiments d’un étrange et fiévreux stoïcisme. […] Souvent leur pensée se réfugie, douleur farouche et qui se cache, dans « le pan maternel de la robe glauque de la mer ». […] Le préfacier trouve déjà la pensée de Boissier « revêtue d’une forme parfaite, solide, souple et brillante comme une arme de luxe ». […] Mais n’allons pas leur demander la pensée précise et originale. […] La pensée s’embarrasse parfois et hésite comme à des lèvres de bègue une émotion trop intense.

385. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Villemain » pp. 1-41

Pour tous ceux qui savent ce que c’est que l’organisme d’un style et sa génération dans la pensée, Villemain est un de ces esprits qui travaillent énormément le mot-à-mot de leur phrase et en cherchent longtemps l’effet. […] Comme Janin, Villemain n’a jamais mis l’effort de sa pensée que dans les artifices et les combinaisons du langage. […] Ce vent de la parole dont Villemain a joué toute sa vie, il en joue aujourd’hui pindariquement pour Pindare ; mais une vue réelle, un mot profond, une pensée qui attire une autre pensée, voilà ce qu’en six cents mortelles pages nous défions de trouver une fois. […] C’est toujours ce dictionnaire d’où il tombe, dans un certain ordre, des mots avec lesquels on fait du style et on joue la pensée, ce qui ravit les sots de voir qu’on peut se passer d’elle ! […] Nous l’avons vu, ce n’est pas la pensée, ce n’est point l’émotion, ce n’est pas la littérature : c’est la rhétorique… Mais en France, cela suffit.

386. (1911) Visages d’hier et d’aujourd’hui

Au pied des Pyramides, il relut les Pensées de Pascal. […] Sa pensée suivait deux courants parallèles. […] Et il était de pensée religieuse. […] Il en a nourri sa pensée, et non pas seulement son art. […] Avec tout l’art possible, avec une délicate ingéniosité, il ne cherche qu’à rendre sa pensée de la façon la plus analogue à cette pensée même.

387. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome I

Chaque ligne des Pensées la suppose. […] Les deux maîtres de la pensée étaient alors Renan et Taine. […] Votre pensée et votre émotion s’adaptent d’instinct à cet effet. […] C’était surtout rogner sa pensée. […] Les tournants d’une pensée collective n’ont pas de millésimes précis.

388. (1890) L’avenir de la science « VIII » p. 200

Vico, Wolf, Niebuhr, Strauss auraient-ils enrichi la pensée de tant d’aperçus nouveaux, sans la plus minutieuse érudition ? […] La critique universelle est le seul caractère que l’on puisse assigner à la pensée délicate fuyante, insaisissable du XIXe siècle. […] Le sentiment des lois psychologiques est-il généralement répandu, ou du moins exerce-t-il une influence suffisante sur le tour de la pensée et le langage habituel ? […] Le jour donné à la pensée est ici la seule démonstration possible. La forme, le style sont les trois quarts de la pensée, et cela n’est pas un abus, comme le prétendent quelques puritains.

389. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « César Daly »

Mais le continuateur, qui vient après lui et reprend en sous-œuvre la création inachevée, doit faire taire en soi sa personnalité, cette personnalité toujours si vive dans les natures d’artistes, et entrer dans la pensée d’autrui avec assez de loyauté, d’intelligence et de profondeur pour y perdre entièrement la sienne. […] Et cette impartialité n’est pas uniquement une magnifique disposition générale de la pensée de Daly, mais, il faut aller jusque-là, c’est l’âme même de chacune de ses théories ! […] On ne sait, en effet, que quand on a lu les nombreux écrits de César Daly, à quel point ce penseur hardi est historien, et cela nous charme, nous qui croyons que l’histoire est le seul garde-fou de la pensée du côté où elle peut se noyer, — du côté de la philosophie. […] Il n’a plus attesté que le suprême effort de la pensée pour atteindre, de la réalité fournie par l’histoire, à cet idéal de beauté impossible en ce monde, comme le bonheur même, qu’il voudrait, hélas ! […] Un jour César Daly perdra-t-il, sur la toute-puissance de cet art qui est une véritable religion pour sa pensée, les illusions de tous ceux qui pensent que l’absolu peut se réaliser sur la terre ?

390. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Valmiki »

On verrait que quand on a vécu dans la pensée occidentale, quand on a senti le puissant et sobre génie de la forme qui la contient, comme la mer est contenue par les arêtes de son rivage, quand enfin sur les belles lignes du front caucasien qui révèle si bien la supériorité de la race, on a reçu ce torrent miraculeux qu’on appelle le baptême et qui, nos littératures l’attestent ! nous tombe à travers le cerveau et le cœur pour y faire lever tant de sentiments et de pensées inconnues aux civilisations qui ne sont pas chrétiennes, la poésie de l’Inde n’apparaît plus que comme un paganisme grossier, un joujou pour les yeux et pour les oreilles, une fantasmagorie, une inanité. […] Seuls, Carey et Marshman avaient achevé la leur dans cette langue anglaise qui, bronzée depuis un siècle au soleil de Lahore et polie par les dialectes auxquels elle a été mêlée, semble mieux faite qu’une autre pour recevoir la pensée indienne sans trop visiblement l’altérer. […] Le poème dont il est question, ou, pour mieux parler, les poésies en général comme les philosophies des Indiens, en d’autres termes toutes les manifestations de leur pensée, sont marquées des caractères qui doivent distinguer un pareil peuple, et ces caractères sont tous inférieurs. […] Il faudrait s’indianiser par l’étude, perdre de la netteté de sa pensée, s’émousser et s’abaisser au niveau de l’engourdissement d’un peuple qui s’est peint tout entier dans le cadre de cet axiome : « Il vaut mieux être assis que debout, couché qu’assis, mort que vivant ! 

391. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Charles De Rémusat »

Au fond, cela pourrait bien n’être qu’un pamphlet, — un pamphlet à la portée de Rémusat, homme peu véhément de sa nature ; mais enfin l’Histoire y est, sous les arrangements et les ruses de la pensée, l’Histoire, avec l’intérêt poignant de ses événements, et malgré tous les efforts de l’historien pour en faire une impertinence. […] Eh bien, il se sert de l’Histoire comme d’un écran pour, derrière, risquer sa pensée ! […] Il s’est dit qu’il fallait ajouter quelque chose au suc d’une pensée qui, quoi qu’il fît, ne serait jamais corrosive, mais qui, du moins, ne devait plus avoir l’agréable sucré dont elle est naturellement douée. […] » « Il est vrai que cette pensée ne console pas ceux qui ont péri », conclut-il naïvement après toutes ces tristesses. […] Si j’avais, sur cette partie historique et désintéressée de l’Angleterre au xviiie  siècle, à dire en un mot ma pensée, je dirais que tout ce qui est vraiment intéressant dans ce livre, c’est précisément tout ce que Rémusat n’y a pas fait !

392. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre douzième »

Il y en a plus d’une autre de la même sorte, et ce n’est pas le moindre défaut de ce discours que les pensées les plus heureuses n’y appartiennent pas au sujet. […] Il explique clairement la pensée de l’Encyclopédie. […] Il voit des desseins où il a plu à la pensée divine de rester inexplicable, et des lois manifestes où il n’y a que des énigmes dont le sens nous sera éternellement caché. […] Il suffit de mêler à la pensée religieuse quelque souvenir éloigné et comme épuré des plaisirs qui nous viennent par les sens, dans la contemplation ou dans l’usage des choses de la nature. […] C’est le style brillant, — si différent du style spécieux, — qui échappe par éclairs à un esprit capable de pensées solides.

393. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1861 » pp. 361-395

J’ai la pensée, quand je fais un roman, de rendre une coloration, une nuance. […] Après dîner sur le boulevard, faisant cent un tours, nous avons avec lui une de ces communions de causerie, qui sont les plus douces heures des hommes de pensée. […] Enfin, tout le travail haletant de votre pensée nerveusement partagée entre l’espérance et la désespérance : tout cela vous bat, vous roule, vous retourne comme des vagues un naufragé. […] » — Je commence à lire le Recueil de pensées de Joubert. […] Au fond, dans ce recueil de pensées, les pensées n’ont pas la netteté française.

394. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — La solidarité des élites »

Je ne le crois pas, à moins que l’on ne donne à ces mots une signification étrangère à ma pensée. […] L’œuvre de Michelet, malgré ses lacunes et parfois ses faiblesses, œuvre de soleil et de force, de chaleur et de santé, marque d’une lueur éclatante l’aurore d’une vitalité nouvelle, le germe d’une pensée prenant conscience d’elle-même. […] De l’autorité politique à l’autorité divine, nous trouverons le même changement radical, la même révolution dans la pensée — dans la pensée, hélas ! […] Camille Lemonnier représente pour l’art et la pensée belges.‌ Deux Américains, un Anglais, un Belge, un Français se sont donc rencontrés au-dessus de toutes les frontières, dans le même souci de l’avenir, dans la même communion de sentiments et de pensées.

395. (1911) L’attitude du lyrisme contemporain pp. 5-466

Patauger dans la pensée de ceux à qui nous devons d’être, serait un crime. […] Une pensée grave et puissante s’incruste en chacun de ses poèmes. […] Il ne s’agit plus d’une pensée fixée dans un concept rigide, mais d’une pensée en mouvement, d’une pensée en action et vivante. […] À dire le vrai, ces pensées peuvent se ramener à l’unité. […] Toute sa pensée tourne autour de ce point central.

396. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) «  Essais, lettres et pensées de Mme  de Tracy  » pp. 189-209

J’avais dû à un heureux hasard, ou mieux, à une indication délicate, de le lire il y a déjà quelque temps, et j’en avais extrait pour moi quelques belles et douces pensées. […] Juste pensée du chrétien, pour qui le vieillard, quand il est saint, n’est qu’un épi plus mûr ! […] Mme de Tracy nous en est un exemple, et elle nous montre combien les pensées d’au-delà sont une ressource pour alimenter la vie du cœur. […] On y mettrait le Voyage de Plombières, et tout aussitôt les Pensées, datées de Paray trente ans après : la jeunesse, et l’« âge d’argent » ; le mot mérite de rester34. […] [NdA] Pensées, réflexions et maximes, par Daniel Stern (la comtesse d’Agoult), 1856.

397. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine »

Le plus haut type, parmi ceux qui ont produit leur pensée sur ces matières divines, est assurément Dante, comme le plus édifiant parmi ceux qui ont agi d’après les divines prescriptions est saint Vincent de Paul. […] Au milieu d’une philosophie matérialiste envahissante et d’un christianisme de plus en plus appesanti, la quintessence religieuse s’était réfugiée en sa pensée comme en un vase symbolique, soustrait aux regards vulgaires. […] Et en même temps, sa forme, la moins circonscrite, la moins matérielle, la plus diffusible des formes dont jamais langage humain ait revêtu une pensée de poëte, est d’un symbole constant, partout lucide et immédiatement perceptible. […] Bien des fois sans doute, bercé nonchalamment, il regardait le ciel, et sa pensée planait dans l’abîme d’azur ; mais on avait là toujours à deux pas la terre, les fleurs, le bosquet du rivage, le phare allumé de l’amante. […] Le rhythme a serré davantage la pensée ; des mouvements plus précis et plus vastes l’ont lancée à des buts certains ; elle s’est multipliée à travers des images non moins naturelles et souvent plus neuves.

398. (1900) Poètes d’aujourd’hui et poésie de demain (Mercure de France) pp. 321-350

Ils tournent leur pensée vers leurs aînés pour trouver en eux un conseil et un exemple. […] Un récit est une description d’événements ; une élégie une description de pensées ; une ode est une description lyrique. […] Le Vers, tel qu’il existe en français, a ceci d’assez particulier qu’on peut dire qu’il préexiste, en quelque sorte, à la pensée qu’il doit exprimer. […] Il en résulte pour la pensée une obligation virtuelle à laquelle elle se doit assujettir. […] Ils ne veulent pas chanter l’homme en ses symboles, ils veulent l’exprimer en ses pensées, en ses sensations, en ses sentiments.

399. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

Sa facilité de parole et d’improvisation ne l’empêchait pas de creuser solitairement sa pensée. […] Il n’y trouvait aucune peine, aucune fatigue de pensée, et sa paresse s’accommodait de ce genre de succès, qui n’était pour lui qu’un exercice de sybarite délicat et qu’une jouissance. […] Rivarol lui adressa deux Lettres pleines de hardiesse et de pensée, dans lesquelles il le harcèle sur son déisme. […] J’avais à cœur de signaler ces points élevés de la pensée de Rivarol. […] Sa pensée, en maint cas, était plus saine que son expression.

400. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1881 » pp. 132-169

* * * — C’est étonnant, comment tout à coup dans le livre que je suis en train de faire, un chapitre, qui n’est pas arrivé à son tour d’exécution, prend despotiquement possession de ma pensée, et je dois le faire immédiatement, sinon il ne sera jamais bien fait. […] Il faut avouer que ses compliments sont à peu près dans ce goût : « Autrefois, je ne vous connaissais pas, je ne vous lisais pas, je ne rencontrais que des gens qui me disaient du mal de vos romans… Maintenant tout est changé… alors je vous lis, je vous lis avec un grand plaisir… et vous trouve vraiment beaucoup de talent… Mais au fait, on dit que vous avez aussi publié des livres d’histoire très curieux… moi je n’y croyais pas, quand j’ai commencé à lire vos romans… je les ai trouvés si bien, que ça me mettait en défiance contre vos autres livres… Je me disais : ils sont trop romanciers pour être des historiens… » * * * — Voltaire n’a que l’esprit, tout l’esprit d’une vieille femme du xviiie  siècle ; mais jamais de son esprit ne jaillit une pensée, ayant la moindre parenté avec une pensée de Pascal, avec une pensée de Bacon, avec n’importe quelle pensée d’une grande cervelle philosophique. […] Hier le chapitre que j’ai écrit, me fait entrevoir un duel à la cantonade, aujourd’hui, celui que j’écris, me met dans la pensée la préoccupation d’une poursuite future du parquet. […] Mais cela à la condition que je ne sortirai pas, que je n’aurai pas la pensée dérangée, par la préoccupation de la toilette et de l’habillement. […] Et ma pensée de ce jour va à notre passé, et aussi à sa fille, que je revois, au moment où elle venait de naître, en sa nudité embryonnaire, devant le feu de cheminée de sa mère.

401. (1694) Des ouvrages de l’esprit

C’est une expérience faite, que s’il se trouve dix personnes qui effacent d’un livre une expression ou un sentiment, l’on en fournit aisément un pareil nombre qui les réclame : ceux-ci s’écrient, pourquoi supprimer cette pensée ? elle est neuve, elle est belle, et le tour en est admirable ; et ceux-là affirment, au contraire, ou qu’ils auraient négligé cette pensée, ou qu’ils lui auraient donné un autre tour. […] Le philosophe consume sa vie à observer les hommes, et il use ses esprits à en démêler les vices et le ridicule ; s’il donne quelque tour à ses pensées, c’est moins par une vanité d’auteur, que pour mettre une vérité qu’il a trouvée dans tout le jour nécessaire pour faire l’impression qui doit servir à son dessein. […] L’un ne pensait pas assez pour goûter un auteur qui pense beaucoup ; l’autre pense trop subtilement pour s’accommoder de pensées qui sont naturelles. […] L’on n’écrit que pour être entendu ; mais il faut du moins en écrivant faire entendre de belles choses : l’on doit avoir une diction pure, et user de termes qui soient propres, il est vrai ; mais il faut que ces termes si propres expriment des pensées nobles, vives, solides, et qui renferment un très beau sens ; c’est faire de la pureté et de la clarté du discours un mauvais usage que de les faire servir à une matière aride, infructueuse, qui est sans sel, sans utilité, sans nouveauté : que sert aux lecteurs de comprendre aisément et sans peine des choses frivoles et puériles, quelquefois fades et communes, et d’être moins incertains de la pensée d’un auteur, qu’ennuyés de son ouvrage.

402. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Première partie. Théorie de la parole » pp. 268-299

La création tout entière est une manifestation de la parole divine, divine, pensée de Dieu écrite. […] Dans l’origine, la parole de l’homme avait plus qu’à présent les prérogatives de la pensée. […] Ainsi sont liés, dans la pensée de l’homme, dans son intelligence, dans ses affections, le présent, le passé, le futur, le monde idéal et le monde positif, le fini et l’infini, le temps et l’éternité. […] Je ne sais, mais il me semble que cette langue était tenue en réserve pour cette époque-ci, l’âge de la lettre fixe, de l’émancipation de la pensée. […] Toutes ces vicissitudes des langues, qu’il serait long de suivre, et trop difficile d’expliquer, devaient amener graduellement l’âge de l’émancipation de la pensée.

403. (1912) L’art de lire « Chapitre XI. Épilogue »

Il faut penser lentement ; il faut lire lentement ; il faut penser avec circonspection sans donner à grand’erre dans sa pensée et en se faisant sans cesse des objections ; il faut lire avec circonspection et en faisant constamment des objections à l’auteur ; cependant il faut d’abord s’abandonner au train de sa pensée et ne revenir qu’après un certain temps à la discuter, sans quoi l’on ne penserait pas du tout ; il faut faire confiance provisoire à son auteur et ne lui faire des objections qu’après qu’on s’est assuré qu’on l’a bien compris ; mais alors, lui faire toutes celles qui nous viennent à l’esprit et examiner attentivement et s’il n’y a pas répondu, et ce qu’il pourrait y répondre. Ainsi de suite ; car lire, c’est penser avec un autre, penser la pensée d’un autre, et penser la pensée, conforme ou contraire à la sienne, qu’il nous suggère.

404. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Shakespeare »

La jeunesse des grands poètes ne se compte pas aux boucles brunes de leurs chevelures, mais aux forces, parfois tardives, de leur pensée. C’est quand ils sont le plus en possession de leur pensée qu’ils sont le plus jeunes, les grands poètes ! […] L’un, c’est la Pensée assez intense pour arriver à la folie ; — l’autre, la Sensation assez passionnée pour arriver à la souffrance ; car Dieu ne veut pas plus qu’on s’enivre avec sa pensée qu’il ne veut qu’on s’enivre avec son bonheur ! […] Shakespeare, l’étemelle jeunesse de la pensée, l’éternel printemps du génie, ne s’est pas épuisé. […] où François Hugo, en poussant un peu plus sa pensée, l’aurait fait vivre à Guernesey !

405. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Pomairols, Charles de (1843-1916) »

. — Rêves et pensées (1881). — La Nature et l’Âme (1887). — Lamartine (1889). — Regards intimes (1895). […] Les choses d’alentour lui semblent maintenant tenir fixés sur lui des yeux tendres, profonds, dont les rayons descendent aux entrailles de sa pensée. […] Et leurs pensées règnent sur lui.

406. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VII. De la littérature latine, depuis la mort d’Auguste jusqu’au règne des Antonins » pp. 176-187

Il faut donner de l’amusement à l’esprit pour être lu par des hommes isolés entre eux, et dont l’ambition ne peut rien faire ni rien attendre de la pensée. […] La pensée de l’auteur, souillée par l’histoire de son temps, ne peut s’astreindre à cette pureté d’expressions qui doit toujours servir à peindre les images même les plus révoltantes. […] Quintilien a réuni ses propres pensées à celles de Cicéron ; il part du point où Cicéron s’est arrêté. […] Mais en avançant dans la littérature, on se blase sur les jouissances de l’imagination, l’esprit devient plus avide d’idées abstraites, la pensée se généralise, les rapports des hommes entre eux se multiplient avec les siècles, la variété des circonstances fait naître et découvrir des combinaisons nouvelles, des aperçus plus profonds ; la réflexion mérite du temps. […] Les pensées philosophiques se rallient à tous les sentiments de l’âme ; les sciences vous transportent dans un tout autre ordre d’idées.

407. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre I. La poésie »

On force sa pensée, on la déforme, on l’obscurcit par l’embellissement des figures ; on l’estropie, on la mutile, on la fausse par la contrainte du vers, de la mesure, de la rime. […] On ne recherche et l’on ne sent que l’exactitude scientifique de la pensée et de l’expression ; on n’a que des idées abstraites à exprimer, et on ne les rend que par des signes abstraits. […] Piron y est d’une bouffonnerie saisissante avec un grain de fantaisie délicieux : Voltaire y porte une justesse aiguë de pensée et d’expression. […] Mais aucune œuvre ne compte dans l’histoire de la pensée ; et cela est grave, en un siècle où la pensée est tout ; surtout, il manque à cette poésie d’être poétique.

408. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vielé-Griffin, Francis (1864-1937) »

Edmond Pilon Durant une heure d’abattement, Jules Laforgue a écrit : « Je voudrais trouver des pensées belles comme des regards. […] Francis Vielé-Griffin, lui, a toujours trouvé des pensées belles comme des regards. […] Car il a toujours soumis ses libres dons d’image, de vie, de rythme et d’émotion, à une pensée souveraine, qui donne une raison à chaque création, chaque élan, chaque mot de sa belle inspiration momentanée. […] Il y a parfois un heurt, un arrêt rauque dans la légère harmonie de ses pensées chantantes ; il ne vient pas d’ailleurs. […] Remontant aux sources ingénues de la Beauté, modelant sa pensée selon son rythme, il s’est révélé l’interprète de la vie intense, mêlant je ne sais quel sourire attendri à la mélancolie de paysages dont on pressent la décrépitude à l’heure des vents d’automne.

409. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Hebel »

Fils d’un tisserand du Palatinat, son père, qui avait émigré, s’était marié dans cette douce contrée, le pays de la bonhomie vraie qu’on appelle l’Oberland badois, et c’est là, entre le Rhin et les hauteurs boisées de la Forêt Noire, que ce poète de la bonhomie — car tel est le caractère distinctif de la poésie de Hebel et son originalité supérieure — nourrit son génie de ces premières impressions qu’on devait toujours y retrouver, et qui entrent dans la pensée d’un homme profondément organisé comme le goût du thym dans le miel de l’abeille et la saveur des serpolets vierges dans la chair sauvage des chevreuils. […] Quand les poésies de Hebel parurent, Goethe et Jean-Paul, qui tenaient le sceptre de la Critique en Allemagne, firent entendre de ces paroles qui étaient le jugement antidaté de la postérité, la question de toute supériorité intellectuelle n’étant jamais rien de plus qu’une avance de la Pensée sur le Temps : « Je viens de lire pour la sixième fois — s’écriait Jean-Paul — ce recueil de chants populaires qui pourrait trouver place dans celui de Herder, si on osait faire un bouquet au moyen d’un autre. […] « Un doux éclat de soleil couchant — nous dit-il plus loin, avec ce sentiment de poète qui sent la poésie dans les autres, — rayonne de l’âme de Hebel, pure et tranquille, et teint de rose toutes les hauteurs qu’il fait surgir. » Et Jean-Paul ajoute cette phrase mélodique et enchantée du ranz des vaches que son imagination pastorale jouait toujours : « Hebel embouche d’une main la trompe alpestre des aspirations et des joies juvéniles, tout en montrant, de l’autre, les reflets du couchant sur les hauts glaciers, et commence à prier quand la cloche du soir se met à sonner sur les montagnes. » De son côté, Goethe, ce grand critique, ce grand esprit lymphatique, ce Talleyrand littéraire qui fait illusion par la majesté de l’attitude sur la force de sa pensée, cet homme que l’on a cru un marbré parce qu’il en a la froideur, Goethe, ce blank dead, comme l’appelleraient les Anglais, ce système sans émotion et dont le talent fut à froid une combinaison perpétuelle, disait de cette voix glacée qui impose : « L’auteur des poésies allemaniques est en train de se conquérir une place sur le Parnasse allemand. […] Cela ne lui réussit pas toujours, mais, quand il réussit, son œuvre est parfaite. » Ôtez, pour les comprendre en français, toute cette phraséologie allemande d’abstractions et d’images, toutes ces bandelettes de momie dans lesquelles les Allemands cerclent leurs plus vivantes pensées, et vous trouverez, quand vous lirez Hebel, que Goethe et Jean-Paul ont dit vrai. […] À notre sens, il n’y a que le mot à mot de la traduction interlinéaire qui donne l’idée juste de l’œuvre poétique qu’on veut faire juger à ceux-là qui ne savent pas la langue dans laquelle cette œuvre a été pensée.

410. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Leopardi »

Être poétique dans un degré quelconque, c’est avoir dans un degré quelconque quelque chose de spontané, d’élancé et d’involontaire dans la pensée. […] Venu après Alfieri, l’autre païen, le stoïque de la pensée en fer creux, et après Ugo Foscolo, ce faux Goethe, qui refit Werther en italien, il fut un triste comme eux, et même la tristesse de ses poésies ne lui appartient pas… Il était né triste, cependant. […] Trouvez-moi seulement en cet homme une pensée, un sentiment ou une image d’une intensité assez passionnée pour que nous puissions dire tous deux : ceci véritablement est d’un poète. […] qui faisaient contre-sens, mais le grand sens, le sens humain, l’émotion, la profondeur de la pensée, le grandiose de l’image, fût-elle exprimée par une mauvaise plume, comme une tête de buste qu’on déterre est cassée par un extracteur maladroit, nous l’avions pourtant, nous pouvions en juger, — et il y a plus : ce n’est peut-être que dans de mauvaises traductions que l’on peut avoir l’essentiel, l’indestructible, la partie irréductible des grands poètes. […] Comme invention, pensée et expression, il faut savoir le dire, ce génie est nul.

411. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre VII. De la physique poétique » pp. 221-230

Ils rapportaient au cœur tous les conseils ; les héros roulaient leurs pensées, leurs inquiétudes dans leur cour ; agitabant, versabant, volutabant corde curas. […] Tout ce que nous avons dit sur les pensées, les descriptions et les mœurs héroïques, appartient à la découverte du véritable Homère, que nous ferons dans le livre suivant. […] Toutes les pensées (sentenze) devaient en conséquence être particularisées par celui qui les pensait, ou plutôt qui les sentait. […] la pensée n’atteint pas ici le plus haut degré du sublime, parce que l’amant ne la particularise point en la restreignant à lui-même ; c’est au contraire ce que fait Térence, lorsqu’il dit : Vitam deorum adepti sumus, Nous avons atteint la félicité des dieux. […] Les pensées abstraites regardant les généralités sont du domaine des philosophes, et les réflexions sur les passions sont d’une fausse et froide poésie.

412. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Oeuvres inédites de la Rochefoucauld publiées d’après les manuscrits et précédées de l’histoire de sa vie, par M. Édouard de Barthélémy. »

Il semble qu’éditer un vieux livre déjà publié ou quelques bribes inédites insignifiantes soit aujourd’hui un titre plus digne d’estime que d’avoir du style et de la pensée. […] Ayant eu accès dans les papiers de famille conservés au château de la Roche-Guyon, il nous donne en toute hâte aujourd’hui le résultat de ses recherches, quelques pensées ou Maximes inédites ou presque inédites (une vingtaine tout au plus), quelques chapitres de Réflexions morales. […] 91 » Cette pensée est l’âme du petit livre de La Rochefoucauld. […] L’amour-propre est le fond de toutes nos pensées, de toutes nos actions et déterminations. […] M. de Barthélémy nous donne cette pensée comme inédite.

413. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite) »

Mais ce n’est plus avec des noms et des individus qu’on écrit maintenant l’histoire des poésies et des littératures ; l’individu brillant et de génie n’est que le porte-étendard et le porte-voix, l’assembleur d’une quantité de sentiments et de pensées qui flottaient et circulaient vaguement autour de lui. […] Vingt-sept noms font toute l’histoire des temps avant le Déluge, et tous les noms conservés jusqu’aujourd’hui ne font pas ensemble un seul siècle de vivants… » Pensée mémorable et qu’il faut répéter, même en présence du légitime orgueil de la science, reconquérant par lambeaux le passé, mais par lambeaux seulement. […] Sa complexité morale, son unité, les contradictions qu’il assemble et qu’il coordonne en lui, sa stabilité d’âme et de génie, tout cela est peint, analysé, reproduit en plus de cent pages qui sont des plus belles par la pensée comme par le ton, et tout à fait à la hauteur de leur objet ; j’en détache quelques traits décisifs : « La science immense, la logique serrée et la passion grandiose, voilà son fond. […] C’est que Cromwell n’était pas, ne fut d’abord ni jamais ce que nous sommes habitués à le voir à travers Bossuet et d’après nos pensées de réaction monarchique, que nous gardons pour les autres, lors même que nous les avons secouées pour nous. […] Oui, il était attentif à tout, même dans la conversation ; oui, quand une pensée, une expression heureuse, délicate ou vive, passait devant lui ou lui venait à l’esprit, il était empressé à la recueillir : toujours inquiet du mieux et de l’excellent, il l’amassait goutte à goutte et n’en laissait volontairement distraire aucune parcelle ; il s’y consumait, il se relevait la nuit quand il le fallait, et, comme il ne pouvait se servir seul, il faisait relever son monde, même en hiver, pour écrire une pensée qu’il craignait de perdre, et qui lui aurait échappé au réveil ; car plus d’une de nos pensées, et des meilleures, sont souvent noyées et englouties à jamais entre deux sommeils, comme les Égyptiens dans la mer Rouge.

414. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Idées et sensations : par MM. Edmond et Jules de Goncourt. »

Une autre de leurs pensées est celle-ci : « Malheur aux productions de l’art dont toute la beauté n'est que pour les artistes ! […] Le mot Idées, qui est en tête du recueil, n’est pas ce qui y domine ; il y a moins de pensées et de réflexions proprement dites que de croquis, de coins de tableaux pris sur le fait, de sensations ou de boutades. […] Il y avait un certain chevalier de Revel qui aurait signé leur pensée sur Dieu118. Senac de Meilhan n’eût pas désavoué leur triste et amère pensée sur la vie : « Qu’est-ce que la vie ? […] On dirait qu’il a été lié par un Cahier des charges : il faut qu’il fasse l’hiver pour faire l’été. » — Bayle aussi, expliquant une pensée de Malebranche, a dit quelque chose d’approchant.

415. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre IV. Précieuses et pédantes »

Il a dans la pensée et dans l’expression des trouvailles charmantes, mais qui sont toujours les trouvailles d’un touriste myope. […] De plus anciens déracinés feront pitié « par leurs pensées violentes et leur faiblesse pour agir ». […] Il nous présente, entre autres, une marionnette qui « glissait aux pensées démentes ». […] Sa grosse gaieté se retient, se mord les lèvres, s’ingénie à paraître l’esprit le plus fin, la pensée la plus profonde, la poésie la plus parfumée. […] Ils croient obéir à la pensée du Maître en faisant sauter une ville.

416. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Campagnes d’Égypte et de Syrie, mémoires dictés par Napoléon. (2 vol. in-8º avec Atlas. — 1847.) » pp. 179-198

Une pensée ferme et vive emporte nécessairement avec elle son expression. […] Napoléon en est resté au point où le style, la pensée et l’action se confondent. […] On citerait tel endroit où l’image se lie si étroitement à la pensée qu’elle n’en est pas séparable et qu’elle n’est autre que l’idée même. […] Toutes les autres différences que Napoléon ne dit pas éclatent à la pensée. […] Parmi les mots caractéristiques qu’on lit dans ces derniers volumes, il en est un qui me revient et que je me reprocherais de ne pas relever, car il trahit une pensée intime, et il est un de ceux que Napoléon a ajoutés de sa main au crayon sur le manuscrit.

417. (1892) Les idées morales du temps présent (3e éd.)

Ce sage couronné, qui, par amour de la pensée, a vécu en ascète, est, comme M.  […] Des bribes de sa pensée, on fabriquera des hérésies. […] Bourget ne va pas jusqu’au bout de sa pensée. […] Lemaître s’en contente ; par paresse d’esprit ou par excès de pensée. […] Seule, la religion peut à la fois régler la pensée et l’action.

418. (1927) Des romantiques à nous

La religion et, ce qui est plus puissant encore^ la superstition la protégeaient contre leurs mauvaises pensées. […] Cela touche au fond même de la pensée. […] Je lui avais déjà en pensée décerné le premier prix. […] Les libertés de sa pensée trouvaient un contrepoids dans la sévère discipline de ses habitudes. […] Qui a vu cette femme forte et ardente ne peut plus en pensée la séparer de son fils.

419. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre II. Les génies »

Dieu se manifeste à nous au premier degré à travers la vie de l’univers, et au deuxième degré à travers la pensée de l’homme. […] Toute pensée passe par là. La pensée monte et se dégage du cerveau, comme le fruit de la racine. La pensée est la résultante de l’homme. […] Pensée à laquelle le rugissement convient.

420. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIe entretien » pp. 5-85

Si j’avais été Italien de sang comme je le suis de cœur, aurais-je pu concevoir pour l’Italie une pensée plus filiale ? […] L’homme en changeant d’horizon change de pensée ; qu’est-ce donc de deux enfants ? […] J’étais ivre de sensations avant d’être ivre de pensées. […] Je donnais un souvenir, un moment, une commémoration, une pitié, un enthousiasme de jeune homme studieux à chacune de ces ombres, plus vivantes peut-être dans la pensée des siècles qui foulent leurs cendres que dans la pensée de leurs contemporains et de leurs compatriotes. […] Sa dame et ses livres, ses vers et ses chevaux étaient devenus ses seules pensées.

421. (1926) L’esprit contre la raison

Là s’exprime le plus clairement cette pensée que Crevel entend combattre, une pensée qui justifie selon lui le refuge dans une posture littéraire et prétend éviter la contagion du politique. […] Une pensée qu’on a essayé depuis des siècles de traduire grossièrement par de nouveaux avantages immédiats a racorni, stupéfié l’individu. […] Que pèsera la phrase la mieux habillée en comparaison d’une pensée nue, d’une sténographie géniale telle que celle de la Saison en enfer ? […] Les Pensées de Pascal nourrissent souterrainement le texte comme ici « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point » [Lafuma 224 , Br. 277]. […] Cette citation montre que le divorce entre le corps et l’être, la souffrance devant un corps étriqué qui contraint la pensée ne peut être éludée par un simple renvoi à une pathologie exceptionnelle.

422. (1857) Cours familier de littérature. III « XIIIe entretien. Racine. — Athalie » pp. 5-80

De tous ces modes de communiquer sa pensée à ses semblables par la parole, c’est le théâtre qui nous paraît le plus indirect, le plus compliqué d’accessoires étrangers à la pensée elle-même, et par conséquent le moins parfait. La pensée cesse, pour ainsi dire, d’être pensée, c’est-à-dire immatérielle, en montant sur le théâtre ; elle est obligée de prendre un corps réel et de s’adresser aux sens autant qu’à l’âme. […] Le crime de liberté de pensée n’était plus seulement un crime contre le ciel, c’était un crime contre l’État. […] Aussi ce n’était plus une œuvre mondaine, c’était une œuvre divine qu’il roulait dans sa pensée. […] Mais il ne put si tôt en bannir la pensée : Vasthi régna longtemps dans son âme offensée.

423. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — I. » pp. 19-35

Avouons-le : on sent la force et l’ascendant de ce rare esprit, soit qu’il prêche de génie et sans préparation, soit qu’il prononce un discours étudié et oratoire, soit qu’il explique ses pensées dans la conversation. […] Dans le temps que Mme de Grammont se réfugiait ainsi avec assez de peine, mais avec sincérité, vers la pensée religieuse, il y avait des exemples à l’entour ou de conversions ou de rechutes, et qui faisaient bruit. […] Je rougis presque de hasarder ce doute littéraire à l’occasion d’une belle pensée morale. […] Qu’il y ait eu dans la doctrine des derniers stoïciens, d’Épictète même et de Marc-Aurèle, un commencement de cette manière de concevoir l’affranchissement de l’esprit, je ne le nierai pas ; mais une telle pensée n’a eu son éclaircissement entier et son accomplissement que dans le christianisme et dans l’idée de Dieu qu’il est venu révéler au monde. […] Depuis que la nature physique est plus connue et que la science en observe et en expose successivement les lois, il serait à craindre que la pensée de Dieu, même auprès de ceux qui ne cessent de l’admettre et de s’incliner devant elle, ne reculât en quelque sorte aux confins de l’univers et ne s’éloignât trop de l’homme, jusqu’à ne plus être à son usage et à sa portée ; il serait à craindre que ce Dieu, tel qu’on a reproché à Bolingbroke de le vouloir établir, Dieu plus puissant que bon, plus souverainement imposant que présent et que juste, Dieu qu’on admet en un mot, mais qu’on n’adore point et qu’on ne prie point, il serait à craindre que ce Dieu-là ne prît place, et seulement pour la forme, dans les esprits, si la pensée chrétienne ne veillait tout à côté, si le Dieu du Pater ne cessait d’être présent matin et soir à chaque cœur, et si la prière ne maintenait cette communication invisible et continuelle de notre esprit borné avec l’Esprit qui régit tout.

424. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre III. Théorie de la fable poétique »

A dire que la poésie est l’art de transformer les idées générales en petits faits sensibles, et de rassembler les petits faits sensibles sous des idées générales ; de telle sorte que l’esprit puisse sentir ses pensées et penser ses sensations. […] Nous répéterons donc la même pensée sous toutes sortes de formes ; nous la reprendrons après l’avoir quittée ; nous la reproduirons encore une fois hors de sa place naturelle ; nous la répandrons partout, faute de savoir la concentrer. […] Il gardera encore l’harmonie des vers, car l’esprit didactique n’est pas là pour porter la fable dans le pays de la pensée pure, et couper toutes les racines par qui elle tient au domaine des sens. […] A travers tant d’expressions changeantes, il a saisi l’expression dominante, il a rassemblé les pensées diverses, pour en conclure la pensée unique, et il a deviné l’âme à travers le corps. […] Au premier espoir du trône : « Ma pensée, où le meurtre n’est encore qu’imaginaire, ébranle tellement mon pauvre être d’homme, que l’action y est étouffée dans l’attente, et que rien n’est que ce qui n’est pas ! 

425. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre III. Trois ouvriers du classicisme »

Et le même Chapelain, dans ses lettres intimes qui nous découvrent sa véritable pensée, se montre essentiellement classique par toutes les préférences et par la direction générale de son esprit. […] Il la manie avec insouciance, la laisse s’étaler sous le poids de la pensée, sans coquetterie mondaine et sans inquiétude artistique. […] C’est que tous les deux sont de la même génération, et leur pensée travaille sur des impressions identiques que la même réalité leur a fournies. […] L’absolue séparation de la pensée et de la matière, la dignité supérieure attribuée à la pensée ne pouvaient que confirmer la littérature dans l’élimination de la nature et dans l’étude exclusive de l’homme moral. […] Le but de tout exercice de la pensée est le vrai : en littérature comme en philosophie, dès qu’on pense, dès qu’on parle, ce ne peut être que pour chercher ou exposer la vérité.

426. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre II. — De la poésie comique. Pensées d’un humoriste ou Mosaïque extraite de la Poétique de Jean-Paul » pp. 97-110

Pensées d’un humoriste ou Mosaïque extraite de la Poétique de Jean-Paul Or, ces vapeurs dont je vous parle, venant à passer du côté gauche où est le foie, au côté droit où est le cœur, il se trouve que le poumon, que nous appelons en latin armyan, ayant communication avec le cerveau, que nous nommons en grec nasmus, par le moyen de la veine cave que nous appelons en hébreu cubile, rencontre en son chemin lesdites vapeurs qui remplissent les ventricules de l’omoplate ; et, parce que lesdites vapeurs ont une certaine malignité, qui est causée par l’âcreté des humeurs engendrées dans la concavité du diaphragme, il arrive que ces vapeurs… ossabandus, nequeis, nequer, potarinum, quipsa milus. […] Deuxième contredanse L’humoriste, plein d’indifférence à l’égard des sottises individuelles127, se dresse sur la roche tarpéienne d’où sa pensée précipite l’humanité tout entière128 Devant son regard bienveillant et triste il n’y a pas de sots, mais l’homme est sot ; il n’y a pas de folies particulières, mais la folie est universelle. […] Voici comment Jean-Paul conclut le Prologue-Programme de son Titan : Maintenant donnons-nous la main, auteur et lecteurs, et dansons ensemble dans cet ouvrage ce grand bal de la vie ; moi à la tête d’un quadrille, et vous en sautant en mesure derrière moi, accompagnés par le chant des Muses et par la lyre d’Apollon, dansons de volume en volume, de cycle en cycle, de digression en digression, d’une pensée à une autre… (Traduction de M.  […] Le Gulliver de Swift, moins humoriste pour la forme, mais plus humoriste par la pensée que son Conte du Tonneau, se dresse sur la roche tarpéienne d’où cette pensée précipite l’humanité. […] Pascal, Pensées, article IX (édition de M. 

427. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes de la Révolution » pp. 73-87

Vous les retrouveriez, trait pour trait et presque mot pour mot, dans cette Histoire de la Révolution française maintenant terminée, si vous vouliez les y chercher… et telle est la première sensation désagréable que nous cause ce livre, fait avec un autre livre, dans lequel la pensée, devenue inféconde, se reprend à couver la coquille vidée d’un œuf éclos. […] Égalitaire battu par les lois mêmes de sa pensée, il ne peut pas les trouver égales devant la loi de son esprit. […] Sensible, inconséquente, entraînée, vraie femme au fond sous ses airs grenadiers de virago, amazone de la pensée qui n’eut jamais le sein coupé, madame de Staël se prit d’horreur pour la Révolution qu’elle avait aimée. […] Qui ne sait l’outrance de la pensée de l’écrivain qui a écrit Le Prêtre, la Femme et la Famille ? Cet homme peut-il foncer d’une nuance de plus cette pensée extrême ?

428. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame de Créqui »

Il est évident, en effet, que de ces quatre-vingts lettres retrouvées et publiées il se dégage une tête de vieille femme qui n’est pas celle de la marquise de Créqui des Mémoires, quoique le costume soit le même et bien souvent le ton aussi, ce costume intime, ce linge de corps de la pensée des femmes ! […] Quand elle se prit de goût et d’intelligence pour M. de Meilhan, il avait, lui, quarante-six ans, l’âge où l’homme resté le plus beau parle moins à l’imagination qu’à la pensée, et elle en avait soixante-huit, mais soixante-huit si sereins et si fermes, que la dépravation de tête, le néant de tout et l’ennui, l’horrible ennui d’une créature qui vit sans Dieu, dans le cachot de la cécité, ne firent pas d’elle une Madame Du Deffand, amoureuse d’un autre Horace Walpole ! […] Elle fit de bonne heure fermer ses volets rembourrés contre ses bruits et ses tourbillons, et elle s’assit en silence, sous le cadre de velours de son crucifix, dans cette pensée de l’éternité d’où elle voyait tout à travers le voile qui éteint jusqu’à notre soleil. […] Si cette femme d’aperçu, et qui savait si nettement styler sa pensée, avait cru jamais que juger les hommes c’était donner le sacre de la confiance à ces grands enfants qui se permettent la fatuité ou se prendre pour eux de compassion intellectuelle, nous n’aurions jamais retrouvé ce volume de lettres, savoureux et sain, où la rigueur de la raison et la brusquerie de la vérité se mêlent délicieusement la svelte légèreté du tour et au charme calmant d’une religieuse tristesse. […] Les préoccupations modernes et ce que j’ose appeler la fausse indulgence de ce temps, cette espèce d’étendue qui peut voir tout, mais qui ne doit pas accepter tout, ont, sinon fêlé, au moins rayé cette glace de Venise dans laquelle devrait nous apparaître Madame de Créqui, cette femme qui avait mis à tremper un esprit à la La Rochefoucauld dans les eaux attendrissantes et vivifiantes des pensées chrétiennes, probablement pour qu’il ne se pétrifiât pas de douleur, de misanthropie et de mépris !

429. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Victor Cousin »

Destiné à l’enseignement de la philosophie, vivant dès sa jeunesse dans l’accointance des philosophes et dans la préoccupation de leurs études et de leurs influences, il crut, parce qu’il entendait et sentait vivement leurs écrits, que lui aussi aurait le pouvoir d’éjaculer, comme eux, quelque système avec lequel la pensée humaine aurait à se colleter plus tard ; mais, pendant toute sa vie, il put apprendre à ses dépens que la faculté de jouer plus ou moins habilement avec des idées qui ne vous appartiennent pas n’est pas du tout la vraie fécondité philosophique, qui n’a, elle, que deux manières de produire : — par sa propre force, si l’on appartient à la grande race androgyne des génies originaux, — ou en s’accouplant à des systèmes qui ont assez de vie pour en donner à la pensée qui n’en a pas, si l’on n’appartient pas à cette robuste race des génies originaux et solitaires. […] Le talent de Cousin est suprêmement et exclusivement un talent d’orateur, de phraseur, de flûteur, de musicien, de pousseur de son sur des sujets philosophiques, et, toute sa vie, c’est avec cela qu’il a fait illusion sur le talent de philosophe qui lui manquait, et dont l’absence a dû parfois humilier cruellement son amour-propre et sa pensée… Allez ! […] Caméléon philosophique, il revenait avec cette nouveauté des reflets de Hegel sur la pensée, de Hegel alors inconnu, lui qui jusque-là ne s’était teint que de la nuance claire et pâle de Reid et de Dugald-Stewart ! […] Il parla de l’antagonisme fatal des idées, aussi bien dans l’histoire que dans la pensée, dans la conscience de l’homme que dans l’humanité ; enfin il amnistia la guerre, fit une théorie sur les grands hommes qui leur arrachait ce qu’il y a de plus beau en eux : leur libre individualité ; et, adroitement, se coulant de ces hauteurs où il s’était laissé enlever, au niveau abaissé de son auditoire, sentant bien qu’il avait affaire à un genre de public qui aurait donné toutes les spéculations métaphysiques pour une chanson de Béranger, il arriva en dernier ordre, par une subtilité de dialectique, à la Charte, cette chimère de l’époque d’alors, et posa comme l’idéal de sa philosophie la monarchie constitutionnelle, aux cris d’enthousiasme de tous ces Prudhommes de vingt ans ! […] III Eh bien, à ce point désintéressé de la pensée pure, l’Introduction à la Philosophie de l’histoire est une œuvre sans profondeur et sans consistance, que quelques années en passant sur elle ont déjà ternie !

430. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Mme Desbordes-Valmore. Poésies inédites. »

On saura qu’elle était une Corinne vraie dont les vers peuvent être faibles parfois, mais ne déclamèrent jamais ; une Corinne simplifiée, purifiée, attendrie, mais amincie jusqu’à ne plus être, de tant de puissante haleine, que le souffle malade de l’amour et une pensée délirante, de tant de pensées ! […] Oui, laissons là pour un moment la personne et le talent de Mme Valmore, mais ce cri qui jaillit du fond du cœur frappé, comme le sang jaillit d’une veine ouverte, mais cette éloquence irrésistible de la blessure ou de la caresse, mais cette émotion qui doit être, en poésie, prépondérante même à la pensée, à plus forte raison à l’image, à la phrase, au rythme, à l’harmonie, enfin à tout ce qui entre nécessairement à n’importe quel degré dans la trame d’une poésie quelconque, cette émotion ne constitue-t-elle pas certainement et dans la mesure où elle existe la poésie la plus élevée et la plus profonde, et par la raison souveraine que l’homme mesure tout à lui-même et que c’est le battement de son cœur qui donne le branle à l’univers ! […] ce sont presque les étapes de son cœur et de sa pensée. […] …………………………………………… Elle allait, chantant d’une voix affaiblie, Mêlant la pensée au lin qu’elle allongeait, Courbée au travail comme un pommier qui plie, Oubliant son corps où l’âme se délie. […] Ce nom, comme un feu, mûrira vos pensées, Semblable au soleil qui mûrit les blés d’or, Vous en formerez des gerbes enlacées Pour les mettre un jour sous vos têtes lassées Comme un faible oiseau qui chante et qui s’endort !

431. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Laurent Pichat »

Et le titre de son livre manque même de netteté et ne dit pas bien sa pensée : car des Réveils supposent qu’on n’a pas toujours dormi, et l’idée qui plane sur les poésies de Pichat, c’est qu’Épiménide de six mille ans le monde a dormi depuis sa naissance, et qu’il s’éveille enfin au xixe  siècle !! […] Elle ne touche pas impunément, si divine qu’elle soit, aux erreurs ou aux ignominies de la pensée humaine. […] Et c’est alors qu’il se répand en vers superbes, coupe de pensées cerclées aussi dans la langue, l’image, le rythme et la rime : Ce tableau fut pour moi d’une telle puissance. […] ces candeurs sont bien vite passées ; Et nous ne pouvons pas garder dans nos pensées            La patience du respect. […] S’il y passait toujours et s’il prenait le parti de fouler aux pieds l’Athéisme et la Démocratie, ces deux déshonneurs de sa pensée, il serait (voyez si son livre des Réveils n’est pas le livre des Regrets !)

432. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre iv »

En même temps qu’il collabore au mouvement social, il est un de nos pasteurs les plus zélés, et il se relie en pensée à toutes les belles figures qui sont dans l’Église catholique. […] La pensée est bien belle et de la plus touchante humanité. […] Ils sont nombreux, ces protestants qui, voyant une opposition entre la guerre en soi et la pensée de Dieu, cherchent à la résoudre dans leur conscience7. […] Cette prière, d’une grandeur paisible, où il avait mis ses dernières pensées, le petit soldat la répétait si souvent que la sœur catholique qui le soignait la recueillit et l’envoya à la famille en deuil. […] L’abbé Bernard Lavergne, dont toutes les pensées ont un rayonnement génial, écrit : « A chaque jour suffira sa peine et sa grâce aussi.

433. (1890) Le massacre des amazones pp. 2-265

Elle veut conquérir notre admiration en faisant étalage de pensée et d’indépendance. […] Naturellement, il ne faut chercher aucune pensée dans les pièces composées de la sorte. […] A l’école de Descartes, héros de la pensée, il devient un homme. […] Son petit livre, Autour du Cœur, contient deux sortes de pensées : des pensées longues (5 à 12 lignes) et des pensées courtes. Les pensées longues sont du vide dans des phrases lentes et vagues et flasques.

434. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (2e partie). Littérature de l’Allemagne. » pp. 289-364

” La tristesse de ces paroles doit avoir été bien expressive, puisque son vieux valet de chambre Seiffert, effrayé dans son affection, s’empressa de détourner de semblables pensées. […] Jusque vers la dernière heure, son intelligence resta nette, ses dernières pensées se reportèrent avec lucidité vers ce roi éloigné de lui, ce roi malade aussi et qui l’avait tant aimé. […] Autant une pensée infinie est au-dessus d’un fait brutal, autant mes contemplations et mes prières sont au-dessus d’un Cosmos chimique ou géométrique. […] Mais l’âme ou la pensée de cette organisation, où est-elle ? […] Mais ce spectacle de la nature ne serait pas complet si nous ne considérions comment il se reflète dans la pensée et dans l’imagination disposée aux impressions poétiques.

435. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « X »

Blum ne voit pas le profit que peuvent offrir ces corrections, et il ne croit pas quelles « puissent nous servir à faire les nôtres », parce que, dit-il, « notre pensée n’est pas la leur ». […] Mais c’est précisément parce que leur pensée n’est pas la nôtre que l’exemple des corrections des grands écrivains peut nous être profitable. […] Blum aurait raison, si notre pensée était la leur, et s’il s’agissait, en effet, de trouver les mêmes choses qu’ils ont trouvées, parce qu’il n’y aurait plus alors ni assimilation, ni transposition, mais identité. Il faudrait tout simplement avoir leur génie pour avoir leur pensée.

436. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Bathild Bouniol »

Très jeune encore, quoique sa Croisade 8 ne soit pas son début dans la vie littéraire, Bouniol, dont nous ne connaissons que ce volume, n’a aucune des pentes contemporaines dans l’expression ou dans la pensée. […] L’image, qui presque partout (et même en philosophie) a culbuté l’idée, l’image, dans ce poète dépaysé, n’a ni la puissance ni l’imprévu qui nous enlèvent ; on la connaît, on l’a déjà vue… Enfin, ce rhythme dont nous parlions tout à l’heure, et qui est d’un travail si agencé et si merveilleux sous la plume de Gramont, cette guirlande flexible et forte que tout poète moderne semble tenu d’enlacer et de sertir autour de sa pensée, tant les travaux sur le rhythme et la langue du mètre ont été multipliés en ces derniers temps, Bouniol, s’il ne le dédaigne, semble l’oublier ; et c’est ainsi qu’il se présente tout d’abord, modeste et hardi, dans son livre, dénué des trois forces de la poésie telle que l’Imagination l’aime et la veut au xixe  siècle. […] il y a certainement d’imposantes proportions et de la pensée. […] Quand il vous émeut et vous frappe, et vous frappe pour vous faire penser, il vous frappe par le tour et par le mouvement souvent très dramatique de sa pensée.

437. (1926) La poésie de Stéphane Mallarmé. Étude littéraire

Sa pensée par analogie relève de l’esprit de finesse, non de l’esprit de géométrie. […] Mallarmé les demande, pour ses images discontinues, pour ses analogies et ses allusions, à la pensée d’autrui, et lire sur ! […] Il voit dans l’absence la somme des présences idéales, évoquées, pensées grâce au fait même qu’extérieurement elles ne sont pas. […] Mais tandis que l’écriture est une « preuve », au sens mallarméen, de la pensée, la vie est au contraire une défense de la pensée, une retraite vers elle. […] Lorsque nous évoquons notre pensée afin de l’expliquer, elle se résoud bien pour nous en images.

438. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « III. Quelques mots sur l’explication de textes »

Mais une page d’un grand écrivain contient d’inépuisables possibilités de pensée ou d’émotion. […] Chaque génération lit sa pensée ou son idéal dans les chefs-d’œuvre de la littérature ; chaque siècle les refait à son image. […] Mais après qu’on a vu ce que les Essais signifiaient pour Montaigne, et les Pensées pour Pascal, il est parfaitement légitime de se demander ce que ces ouvrages signifient pour nous, de les mettre en contact avec l’idéal, la mentalité et les préoccupations de notre temps. […] Là, synthèse, analyse ici ; là, effort de création ; ici, essai de critique ; là, développement de ce que l’on a en soi ; ici, pénétration d’une pensée étrangère : les deux exercices sont complémentaires et font ensemble une culture. […] Dans l’exercice littéraire, cela conduirait à penser qu’il est vain de chercher un sens aux Essais ou aux Pensées, et qu’on ne peut que constater, sans le contester jamais, le sens que leur donne M. 

439. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Seconde partie. » pp. 35-56

Or, l’homme de Lettres amoureux dès l’enfance, de tout ce qui porte l’empreinte de la pensée & du sentiment, s’éclaire à la lumiere de l’une, & s’échauffe à la douce chaleur de l’autre. […] Il ne cherche point dans son ami un flatteur ou une victime de ses caprices, mais une ame honnête où il puisse délicieusement épancher la sienne, établir une communication intime de toutes ses pensées, s’élever, s’embellir mutuellement dans un commerce qui ne souille point le mélange impur de l’intérêt. […] Que je lise avec le même ravissement ce que les Muses immortelles ont chanté, que j’oublie les passions orageuses qui tourmentent l’homme inquiet pour m’élever aux pensées riantes ou majestueuses qui font disparoître tout ce qui n’est pas elles. […] Aimable imagination, souveraine de nos esprits, dès qu’on se livre à ton vol enchanteur, l’infortune fuit, les rayons de l’espérance dorent la perspective du bonheur ; l’homme de génie échauffé par toi, se trouve dans son malheureux destin au-dessus de ses revers, & même il les oublie ; il porte en lui un trésor que ne peut lui arracher la Fortune : Animé d’un feu céleste, il exerce sa pensée, elle se repose sur les objets les plus sublimes ou les plus rians, & l’image de ses maux est effacée. […] Tandis que l’ennemi des beaux Arts sur le déclin de ses années, à charge à lui-même & aux autres, éprouvera un vuide affreux, n’envisageant que le spectre de l’ennui, & les ombres horribles de la mort : l’homme éclairé jouira du spectacle de sa vie passée ; il aura sçû apprécier, ce que vaut l’existence, & fort par sa pensée, il ne redoutera point l’instant inévitable qui doit terminer sa carrière : ainsi le généreux Fénélon, qui montra à l’Univers le caractère rare & sacré d’une ame remplie à la fois d’une extrême vertu & d’une extrême douceur, ne perdit point dans les Cours la simplicité de ses mœurs, & conserva dans son exil cette égalité d’ame que rien ne pût corrompre.

440. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VI. Les localisations cérébrales »

Est-ce avec de pareils procédés que l’on peut fonder une science aussi délicate que celle de la physiologie de la pensée ? […] Ce qui paraît avoir conduit à cette théorie, c’est ce fait de sens intime qui nous fait localiser la pensée dans cette partie de la tête ; c’est là en effet, et ce n’est pas par derrière, que nous nous sentons penser. […] Si donc nous nous trompons en localisant dans le cœur les affections qui n’y sont pas, nous pouvons nous tromper en localisant la pensée dans la partie antérieure du cerveau45. […] Réciproquement, tel ordre de pensées, tel ordre d’affections peut disparaître seul, le reste demeurant intact. […] Parchappe, Foville, Broca, placent le siège de la pensée.

441. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

Quant à la pensée philosophique qui a présidé à cet ouvrage, la voici. […] quels ont été ses sentiments, ses pensées ? […] Je t’ai grondée quelquefois ; mais tu n’en es pas moins l’objet continuel de mes pensées. […] Les mathématiques étaient les chaînes de la pensée humaine. […] M. de Lamartine, en exprimant ses propres sentiments et ses propres pensées, se trouvait avoir exprimé, de la manière la plus complète et la plus heureuse, les pensées et les sentiments de l’époque.

442. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Raymond, Louis (1869-1928) »

Et de l’emploi de ce moule sévère, indispensable au début, il a gardé l’habitude d’enserrer la pensée dans une forme étroite et exacte, de ne point se laisser aller, comme y invite le vers libre, à ajouter au thème principal des ornements inutiles. Il s’est efforcé vers l’idéal de la poésie actuelle : couler sa pensée dans un moule adéquat. C’est une âme tendre et sentimentale qui se promène sur les chemins au crépuscule, à l’heure ou le jour se fond dans la nuit, où les lointains s’imprécisent, où la mélancolie du silence courbe la pensée.

443. (1904) Propos littéraires. Deuxième série

De la pensée personnelle de chaque auteur, d’abord, et de la pensée collective des différents auteurs d’un même temps, et de la pensée collective d’un certain nombre d’auteurs de différents temps. […] Ils ne croient pas assez à la vertu propre de la pensée pour la pensée et aux chances qu’a la pensée pure de devenir un jour pensée applicable et appliquée. […] On sent l’homme qui estime que la pensée de M.  […] En politique, en philosophie, sa pensée compte moins encore qu’en littérature… ; l’exagération y dénote une puérile faiblesse de pensée. […] Quand la pensée de M. 

444. (1893) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Cinquième série

Tout homme a tant de raisons de ne se servir de l’écriture que pour déguiser sa pensée ! […] Telle est bien la pensée de Bayle. […] Qui donc a ainsi résumé toute la pensée de Rousseau ? […] Mais qui ne voit que c’était également s’arroger le domaine entier de la pensée ? […] Étendons-nous peut-être ici la pensée de Fontenelle au-delà de sa vraie portée ?

445. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE RÉMUSAT » pp. 458-491

On y pouvait voir une pensée du maître, une première avance et comme un premier anneau pour se rattacher à l’ordre civil, et pour en gagner les personnes considérées. […] Ses cahiers de pensées nous permettent de la suivre à cet égard de beaucoup plus près qu’il ne semblerait possible. […] La pensée chaste, recueillie et ardente, s’en effarouche : elle aussi a ses orgueils et ses pudeurs. […] Le petit roman des deux jeunes émigrés, qui date de 1814, exprime assez bien, dans plusieurs détails, cette espèce de teinte bourbonienne que prirent à ce moment ses pensées. […] Le ton général, j’imagine, eût été donné par des pensées comme celle-ci : « Pourquoi faut-il que la prudence qui soupçonne ait toujours raison sur la confiance qui espère ?

446. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Figurines (Deuxième Série) » pp. 103-153

Je vois en lui une des pensées par qui les choses sont le plus profondément comprises et le moins déformées ; une pensée calme, incroyablement lucide, d’une pénétration sereine ; bref, un des cerveaux supérieurs de ce temps. […] Paul Deschanel et dans sa pensée politique. […] * * * Mais l’évolution de sa pensée politique est plus méritoire encore. […] Pas une pensée qui n’ait son « signe » terrestre, très arrêté de contours. […] Prends garde, ami : la pensée des hommes est changeante. » Et d’autres voix de montagnes s’élèvent : « Nous aussi, nous avons été des dieux.

447. (1874) Premiers lundis. Tome II « Doctrine de Saint-Simon »

Auprès du philosophe il était besoin d’insister particulièrement sur l’esprit chrétien et sur l’influence de la pensée théologique ; auprès du millénaire, il fallait insister davantage sur la forme catholique et l’action sociale de la hiérarchie. […] Puis s’arrachant au vague, il en vint à s’occuper scientifiquement et historiquement des religions révélées, et c’est au fort de ces études opiniâtres dans lesquelles s’absorbait sa précoce pensée, que, le nouveau christianisme de Saint-Simon lui étant apparu sous son véritable jour, il se fit une révolution en lui ; que ses études, jusque-là confuses, s’enchaînèrent ; que le chaos du passé se déroula harmonieusement à ses yeux, et qu’il saisit la raison divine des choses, s’écriant à la vue de l’Église de toutes parts croulante et de la synagogue encore debout : « Oui, nous marchons vers une grande, vers une immense unité : la société humaine, du point de vue de l’homme ; le règne de Dieu sur la terre, du point de vue divin ; ce règne que les fidèles appellent tous les jours par leurs prières depuis dix-huit ceints ans. […] Inspirées de la doctrine, la doctrine s’en inspire elle-même chaque jour, et ces pensées se reproduisent à tout instant dans l’application, déduites, développées, élaborées à leur tour. Ce qui peut y être considéré comme le propre d’Eugène, c’est la forme qu’il leur a donnée et qui nous représente fidèlement la tournure particulière de son esprit ; quelque chose de complexe, d’un peu obscur à la surface, et qui rayonne par le fond ; une clarté profonde, sans beaucoup de transparence ; une pensée solidaire qui se manifeste sur plus d’un point à la fois, et se déroule avec une plénitude imposante dans sa qualité fondamentale ; un arbre d’une puissante végétation intérieure, qui n’a nul souci de l’écorce ; une allure simple, grave, un peu enveloppée, faisant beaucoup de chemin sans affecter beaucoup de mouvement ; souvent de ces mots brefs et compréhensifs, de ces formules d’apôtre qui gravent une pensée pour toute une religion.

448. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre II. De l’amitié. »

Pour remonter à la source des affections de l’homme, il faut agrandir ses réflexions en les séparant de ses circonstances personnelles ; elles ont fait naître la pensée, mais la pensée est plus forte qu’elles, et le vrai moraliste est celui qui, ne parlant ni par invention, ni par réminiscence, peint toujours l’homme, et jamais lui. […] Je considérerai d’abord dans l’amitié, (non ces liaisons fondées sur divers genres de convenance qu’il faut attribuer à l’ambition et à la vanité,) mais ces attachements purs et vrais, nés du simple choix du cœur dont l’unique cause est le besoin de communiquer ses sentiments et ses pensées, l’espoir d’intéresser, la douce assurance que ses plaisirs et ses peines répondent à un autre cœur. […] Deux hommes, distingués par leurs talents, et appelés à une carrière illustre, veulent se communiquer leurs desseins, ils souhaitent de s’éclairer ensemble ; s’ils trouvent du charme dans ces conversations où l’esprit goûte aussi les plaisirs de l’intimité, où la pensée se montre à l’instant même de sa naissance, quel abandon d’amour-propre il faut supposer pour croire qu’en se confiant, on ne se mesure jamais ! […] Quelles tristes pensées, ces analyses ne font-elles pas naître sur la destinée de l’homme !

449. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre III. Suite des Époux. — Adam et Ève. »

Ils n’évitent ni l’œil de Dieu ni les regards des Anges, car ils n’ont point la pensée du mal. […] Satan, caché sous la forme d’une de ces bêtes, contemple les deux époux, et se sent presque attendri par leur beauté, leur innocence, et par la pensée des maux qu’il va faire succéder à tant de bonheur : trait admirable. […] Je m’avançai vers ce lieu, avec une pensée timide ; je m’assis sur la rive verdoyante, pour regarder dans le lac transparent, qui semblait un autre ciel. […] Rien de plus pudique que leur pensée, rien de plus libre que leur expression : nous, au contraire, nous bouleversons les sens, en ménageant les yeux et les oreilles. […] l’univers naissant, les mers s’épouvantant pour ainsi dire de leur propre immensité, les soleils hésitant comme effrayés dans leurs nouvelles carrières, les anges attirés par ces merveilles, Dieu regardant encore son récent ouvrage, et deux Êtres, moitié esprit, moitié argile, étonnés de leur corps, plus étonnés de leur âme, faisant à la fois l’essai de leurs premières pensées, et l’essai de leurs premières amours.

450. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Louis Wihl »

Il ne se rétracta point ; mais, ce jour-là, il avait eu peut-être la dernière bonne pensée qui ait traversé sa pauvre âme. […] Dans ce livre de vers qu’il a appelés Les Hirondelles, pour exprimer la fidélité au retour de la même pensée, il a été positivement le Voyant d’une patrie qui n’est plus, et, en pleine Allemagne du xixe  siècle, il a repris le chant, interrompu par plusieurs milliers d’années, des Hébreux exilés sur les bords des fleuves de Babylone ; seulement les exilés, à Babylone, avaient connu ce qu’ils chantaient et pressé sur leur cœur ce qu’on n’emporte point à la semelle de ses souliers ; tandis que lui, Wihl, l’exilé séculaire, à distance, dans le temps et dans l’espace, de cette patrie tuée et dont il n’a pas même vu le cadavre, a ajouté à la nostalgie fiévreuse de l’exil ce qui l’aurait diminuée s’il avait été moins poète : — l’envenimement de dix-huit siècles. Tout fils qu’il est, comme nous, de cette pénétrante et éparpillante civilisation  qui tend de plus en plus à se substituer à toutes les patries, et qui éteindra un de ces jours jusqu’aux sons du cor de l’enfant des Alpes, l’auteur des Hirondelles a entendu, dans sa pensée, ce Ranz, qui n’était pas ailleurs, des montagnes de la Judée muette, et il en a mis l’écho dans des vers capables de donner le mal du pays aux âmes lâches qui ne l’éprouvent plus. […] On ne trouve pas, il est vrai, non plus, dans ces vers d’un enthousiasme austère et d’une tristesse ardente, le flot incessant de magnifiques images que roule le Livre Surnaturel, toujours allumé, comme le chandelier d’or à sept branches, devant la pensée du poète ; mais on y trouve l’âme, l’élancement,  le plus beau mouvement de la poésie lyrique, — le mouvement haletant vers Dieu, — la brièveté forte, la flamme courte, tout cela sur un fond de grande naïveté orientale très étonnante venant d’une plume moderne. […] Louis Wihl, dans tout l’azur de cette fantaisie qu’il roule autour de sa pensée, a des traits vibrants de Juvénal et de vieilles foudres de prophètes ; mais, au point de vue de la pure fantaisie, de l’humour, de l’ironie légère, il est certainement au-dessous d’Henri Heine, ce fils du clair de lune bleuâtre, de la rose et du rossignol.

451. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Avant-propos de la septième édition »

Que l’on considère, en effet, la pensée comme une simple fonction du cerveau et l’état de conscience comme un épiphénomène de l’état cérébral, ou que l’on tienne les états de la pensée et les états du cerveau pour deux traductions, en deux langues différentes, d’un même original, dans un cas comme dans l’autre on pose en principe que, si nous pouvions pénétrer à l’intérieur d’un cerveau qui travaille et assister au chassé-croisé des atomes dont l’écorce cérébrale est faite, et si, d’autre part, nous possédions la clef de la psychophysiologie, nous saurions tout le détail de ce qui se passe dans la conscience correspondante. […] Prenez une pensée complexe qui se déroule en une série de raisonnements abstraits. Cette pensée s’accompagne de la représentation d’images, au moins naissantes. […] Eh bien, de cette pensée complexe qui se déroule, c’est là, à notre avis, ce que l’état cérébral indique à tout instant.

452. (1927) Quelques progrès dans l’étude du cœur humain (Freud et Proust)

Il faut garder à la pensée de Freud sinon un certain vague, du moins une certaine généralité pour bien en comprendre toute la valeur. […] Je rétrograde par la pensée au moment où je pris la première cuillerée de thé. […] C’est ici le centre, je crois, de la pensée de Proust sur l’amour, et en même temps le point où cette pensée atteint, si j’ose dire, le comble de la relativité. […] C’est ainsi que je me rassure sur la valeur des quelques doutes que j’ose élever sur une aussi grande pensée. […] On voit, on touche, on respire le tout d’un spectacle, le tout d’un sentiment, d’une pensée.

453. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 374-376

Les métaphores en sont très-souvent outrées, les pensées quelquefois gigantesques, & la chaleur qui y domine est plutôt une frénésie, qu’un véritable enthousiasme. […] On doit donc savoir gré à M. de Brebeuf, d’avoir semé dans la sienne des vers heureux, des pensées sublimes, des morceaux d’une élégance & d’une précision que nos meilleurs Poëtes ne désavoueroient pas, & qu’ils ont même imités. […] Nous avons de Brebeuf d’autres Poésies qui ne sont point à dédaigner, tels que ses Entretiens solitaires, où la piété, la morale profonde, la poésie, les pensées énergiques, font éprouver au Lecteur des sentimens aussi favorables à l’esprit du Poëte, qu’à ses bonnes mœurs & à sa Religion.

454. (1880) Goethe et Diderot « Diderot »

les inepties que je trouve, par exemple, dans les Pensées soi-disant philosophiques du premier volume de l’édition Garnier que j’ai là sous les yeux. […] Il a parlé quelque part des pensées de par derrière la tête ; mais les pensées de par derrière la sienne, il n’a jamais craint de les mettre par devant. […] Et je pourrais prendre une à une toutes ces pensées et démontrer, seulement en les citant, à quel point Diderot, en les écrivant, s’est rabougri et idiotisé. […] En France, pendant la Révolution, Diderot fut oublié, en conséquence de cette loi : l’action fait oublier la pensée. […] A quoi réduit-elle cet immense Diderot, qui semblait avoir les fastueux trésors du roi Xerxès dans la pensée ?

455. (1913) Les idées et les hommes. Première série pp. -368

Il supprimait l’idée religieuse et remontait plus haut dans l’histoire de la pensée humaine, jusqu’à la pensée antique. […] Une pensée, une impression : cela est de l’homme lui-même. […] Jamais la pensée ne se voile. […] Ainsi se découvre à nos yeux la pensée de M. Marcel Prévost, la pensée des Anges gardiens.

456. (1901) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Deuxième série

et d’abord, à quel poète la pensée serait-elle venue d’illustrer un roi d’Yvetot ? […] Le manuscrit des Pensées de Pascal n’est pas commode à déchiffrer. […] Pensée bien raisonnable. […] La conclusion de la thèse bien documentée, bien pensée, bien écrite, que M.  […] La plus grande puissance de vie qui soit au monde n’est pas la pensée, puisque, pour exister, la pensée a besoin de la forme.

457. (1864) Corneille, Shakespeare et Goethe : étude sur l’influence anglo-germanique en France au XIXe siècle pp. -311

Tous deux travaillaient à ramener la pensée vers le spiritualisme. […] Les mathématiques étaient les chaînes de la pensée humaine. […] Hugo ajoutait aux révoltes de la forme, les révoltes de la pensée. […] mentir à sa pensée ? […] Hugo, la pensée intime, dans le Roi s’amuse ? 

458. (1895) Nos maîtres : études et portraits littéraires pp. -360

Dois-je dire encore que je n’attribue point à la poésie les pensées dites poétiques, toute pensée me paraissant plus facile à exprimer en prose ? […] Le symbole peut être encore, non pas un terme désignant une pensée, mais une pensée simple, aisément compréhensible, et que l’on destine à représenter une autre pensée plus complexe et d’une perception plus ardue. […] Sa pensée naît spontanément toute ornée, élégante, subtile, singulière, comme il sied à la pensée d’un poète. […] France juge tout effort de notre pensée. […] France est une extrême méfiance à l’égard de toute pensée.

459. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Tissot. Poésies érotiques avec une traduction des Baisers de Jean Second. »

Mais bientôt de graves pensées survinrent ; aux fêtes des salons succédèrent les orages de la place publique, et les ris étincelants des amours s’éteignirent par degrés dans l’immense clameur populaire. […] Le poète érotique pour nous, c’est celui qui transporte la patrie, la liberté, l’humanité, dans l’amour, qui consacre les tourments et les désirs de la volupté par des douleurs et des espérances bien autrement viriles ; c’est celui qui nous enivre de notre gloire en même temps que de la beauté, qui, dans le délire des sens, a une pensée encore pour les malheurs du monde : nommons-le, le poète érotique pour nous, c’est Béranger, plaçant le message d’Athènes jusque sous l’aile de la colombe amoureuse. […] C’est une religion que sa poésie ; la poésie de Béranger est une pensée ou mieux une opinion populaire. […] La pensée, identifiée avec les formes anciennes, n’existait qu’en elles, et ne se produisait que par elles ; les épanchements de l’amitié, les inspirations du talent, tout ce qui naît spontanément en nous, en naissait revêtu.

460. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre quatrième. L’idée du temps, sa genèse et son action »

Il est bien vrai que ces divers termes se sont succédé de fait dans la pensée, mais la succession dans la pensée n’est pas par elle-même la pensée de la succession. […] On peut dire que, si le temps est une forme, il est la forme de l’appétit, bien avant d’être celle de la pensée. […] La proie présente à la pensée et absente de la bouche prendra donc, pour la pensée même, un aspect particulier : elle se rangera parmi un ensemble d’images faibles et incomplètes qui entoure d’une sorte d’auréole les images fortes et complètes, et cet ensemble, contredit, repoussé par tout le reste, se reportera dans un autre milieu. […] Bergson, après avoir exagéré, plus que ne l’avait fait Guyau, le rôle de l’idée d’espace homogène, s’est perdu à la fin dans une sorte d’abîme d’hétérogénéité insaisissable à la pensée. […] —À vrai dire, quand nous croyons avoir tout anéanti dans notre pensée, nous n’avons pas anéanti notre pensée même, notre conscience.

461. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE KRÜDNER » pp. 382-410

Elle travaillait à s’élever, à se détacher de plus en plus, suivant son nouveau langage, des pensées des hommes du torrent ; mais elle changea moins qu’elle ne le crut. […] La seule pensée de celui-ci, son ombre, lui donnait, dès l’instant qu’elle en parlait, le vertige sacré des prêtresses ; elle prédisait à tous venants sa sortie de l’île d’Elbe et les maux qui se déchaîneraient avec lui. […] « Et vous, France première, antique héritage des Gaules, fille de saint Louis et de tant de saints qui attirèrent sur elle des bénédictions éternelles, et pensée (patrie ?) […] Sa plus grande illusion fut de croire que de telles pensées se conseillent et s’inspirent là où elles ne germeraient pas d’elles-mêmes. […] Plus d’un an auparavant, le Mercure avait déjà publié d’elle des Pensées (10 vendémiaire an xi).

462. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « George Farcy »

— Quand je pense que je n’avais déjà plus alors que des réminiscences d’enthousiasme, que je regrettais la vivacité et la fraîcheur de mes sensations et de mes pensées d’autrefois ! […] La pensée arrive alors, non plus seulement comme vérité, mais comme sentiment. […] Et sans le vouloir, et en se laissant aller à son cœur et à sa pensée, qui achevaient le tableau commencé devant ses yeux, sur le visage de Ghérard, au lieu de sa main, elle posa ses lèvres. […] ……… Dans cette retraite heureuse et variée, l’âme de Farcy s’ennoblissait de jour en jour ; son esprit s’élevait, loin des fumées des sens, aux plus hautes et aux plus sereines pensées. […] La pensée de l’art noblement conçu le soutient et donne à ses travaux une dignité que n’avaient pas ses premiers essais, simples épanchements de son âme et de sa vie habituelle. — Il comprend tout, aspire à tout, et n’est maître de rien ni de lui-même.

463. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série «  Leconte de Lisle  »

D’un autre côté, l’intelligence du passé et le goût de l’exotique ont engendré une longue et magnifique lignée de poèmes où revivent l’art, la pensée et la figure des temps disparus. […] Contre les tortures de la pensée on a le sentiment vivace de la puissance déployée à penser et aussi, le plus souvent, la protestation tranquille du corps bien nourri. […] et que les brahmanes rêvent, et que la vision s’évanouisse dans leurs yeux fixes, le sentiment dans leur cœur et la pensée dans leur cerveau ! […] Viennent alors les idylles, Glaucé, Klytie, Kléariste, la Source, etc., songes d’amour enchanté, tout près de la nature, pleins d’images ravissantes, presque sans pensée. […] Leconte de Lisle ne soit jamais populaire ; mais on ne peut nier que les sociétés primitives, l’Inde, la Grèce, le monde celtique et celui du moyen âge ne revivent dans les grandes pages du poète avec leurs mœurs et leur pensée religieuse.

464. (1841) Matinées littéraires pp. 3-32

On aime à voir les esprits supérieurs qui dominent par la pensée, descendre, par la simplicité de leurs goûts et la bonhomie de leurs caractères, au niveau du reste des hommes. […] Cette seconde manière d’exprimer nos pensées et nos sentiments, qu’on nomme pantomime, est trop intimement liée à la première pour qu’on puisse les séparer. […] Il importe donc de réunir l’action à l’élocution, la pantomime au langage, pour que la pensée arrive pleine et entière, de l’homme qui parle à l’homme qui écoute. […] Que sera-ce donc, si au lieu d’avoir à lire nos propres sentiments, nous servons d’interprètes aux pensées des autres ! […] La conversation est une lecture dialoguée dont le livre est la pensée même de celui qui parle : il lui importe donc que sa pensée soit revêtue et ornée des formes qui peuvent la rendre agréable à ceux qui écoutent.

465. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Romans et nouvelles » pp. 3-80

Non vraiment, on ne peut nier aux auteurs un certain flair des goûts futurs de la pensée et de l’esprit français, en incubation dans l’air. […] Ces pensées nous avaient fait oser l’humble roman de Sœur Philomène, en 1861 ; elles nous font publier aujourd’hui Germinie Lacerteux. […] Je savais bien qu’elle était condamnée ; mais l’avoir vue jeudi, si vivante encore, presque heureuse, gaie… Et nous voilà tous les deux marchant dans le salon avec cette pensée que fait la mort des personnes : Nous ne la reverrons plus ! — une pensée machinale et qui se répète sans cesse au dedans de vous. […] Je suis sorti de là, rasséréné, délivré de l’horrible pensée qu’elle avait eu l’avant-goût de la mort, la terreur de son approche.

466. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre III. “ Fantômes de vivants ” et “ recherche psychique ” »

Loin de moi la pensée de critiquer leur critique pour le plaisir de faire de la critique à mon tour. […] Ni pour le jugement, ni pour le raisonnement, ni pour aucun autre acte de pensée nous n’avons la moindre raison de les supposer attachés à des mouvements intra-cérébraux dont ils dessineraient la trace. […] Que si nous passons aux autres fonctions de la pensée, l’hypothèse que les faits nous suggèrent d’abord n’est pas celle d’un parallélisme rigoureux entre la vie mentale et la vie cérébrale. […] Mais l’effet de la lésion est de fausser l’engrenage, et de faire que la pensée ne s’insère plus exactement dans les choses. […] Orienter notre pensée vers l’action, l’amener à préparer l’acte que les circonstances réclament, voilà ce pour quoi notre cerveau est fait.

467. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La princesse Mathilde » pp. 389-400

L’œil bien encadré, plus fin que grand, d’un brun clair, brille de l’affection ou de la pensée du moment, et n’est pas de ceux qui sauraient la feindre ni la voiler ; le regard est vif et perçant ; il va par moments au-devant de vous, mais plutôt pour vous pénétrer de sa propre pensée que pour sonder la vôtre. […] Sa pensée nette n’a jamais un instant de trouble, d’hésitation ; elle ne conçoit que ce qui est clair et ce qui s’explique clairement. Ne lui parlez pas de ces idées complexes, ambiguës, où il entre du pour et du contre, de ces pensées entre chien et loup : ces nuances, ces crépuscules d’idées n’existent pas pour elle. […] Mais qu’un malheur, une perte cruelle vienne frapper un de ces anciens amis refroidis et devenus silencieux, la première pensée de la princesse Mathilde est de tenter cette ancienne amitié dont elle sent une part toujours vivante en elle, et de voir si on n’accueillera pas une parole de sympathie et de consolation. […] On serait heureux d’avoir donné une idée, qui ne fût pas trop incomplète, d’une nature riche, loyale, généreuse, d’une personne qui, dans le plus haut rang, unit le don de beauté au feu sacré de l’art ; qui a le courage de ses pensées et le charme de ses sentiments.

468. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre VII. La littérature française et les étrangers »

Shaftesbury, Bolingbroke sont des maîtres de pensée indépendante, de doute curieux et libre. Locke fournit à Voltaire son dada métaphysique, la possibilité pour un Dieu tout-puissant d’attacher la pensée à la matière. […] Mais l’idole des Allemands, celui qui laisse la trace la plus profonde dans la pensée allemande, c’est le sérieux et sensible, le Suisse et protestant Rousseau. […] Un fond de très sérieuse philosophie, une pensée libre, active, pénétrante, font de tous ses écrits, mais surtout de sa vaste correspondance une des plus intéressantes lectures que le xviiie  siècle puisse fournir, même en négligeant l’intérêt historique. […] Lettres et pensées, pub. p.

469. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre troisième. De la sympathie et de la sociabilité dans la critique. »

Celui qui traite un livre comme un passant, avec l’indifférence distraite et malveillante du premier coup d’œil, ne le comprendra vraiment point ; car la pensée humaine, comme l’individualité même d’un être, a besoin d’être aimée pour être comprise. Ouvrez au contraire le livre ami, celui avec qui vous avez pris l’habitude de causer comme avec une personne, vous y découvrirez entre toutes les pensées des rapports harmonieux, qui les feront se compléter l’une par l’autre ; le sens de chaque ligne s’élargira pour vous. C’est que l’affection éclaire ; le livre ami est comme un œil ouvert que la mort même ne ferme pas, et où se fait toujours visible en un rayon de lumière la pensée la plus profonde d’un être humain. […] Le défaut du critique, c’est souvent d’être l’homme de tous les livres ; que de trésors de sympathie il lui faudrait avoir amassés pour vibrer sincèrement à toutes les pensées avec lesquelles il entre en contact ! […] Il est beaucoup plus difficile de découvrir une pensée profonde au milieu de certaines divagations ou de certaines bizarreries de Shakespeare ou de Hugo que de remarquer ces bizarreries mêmes.

470. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre IV. La folie et les lésions du cerveau »

Il semble qu’une si triste expérience devrait avoir au moins l’avantage de jeter quelque lumière sur le problème que nous étudions, car si l’on découvrait dans quelles conditions se trouve le cerveau lorsque la pensée s’égare, on pourrait induire de là, par opposition, les conditions normales de l’exercice de la pensée. […] Éveillez-le : s’il continue la série d’actions et de pensées que vous avez interrompue, c’est un fou. […] En dehors même de ces cas de folie, nous voyons que la lièvre produit le délire, que le sommeil change les conditions de la pensée, que la catalepsie produit des états intellectuels anormaux. […] C’est ainsi que dans l’état normal même nous employons, pour exciter la pensée, tantôt des moyens physiques, tantôt des moyens moraux, l’espoir d’une récompense ou une tasse de café ; mais le trouble de l’esprit est un phénomène du même ordre que l’excitation de l’esprit, et il peut être produit par les mêmes causes. Sans vouloir toutefois rien nier d’une manière absolue, contentons-nous de conclure que les conditions physiologiques de la folie sont aussi obscures pour l’homme que toutes les conditions physiques de la pensée en général, et que l’étude du premier de ces problèmes fournit très-peu d’éléments de solution au second.

471. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’ancien Régime et la Révolution »

A-t-il au moins dégagé des points ignorés, ouvert des horizons, saisi des fragments de vérité, originale et surprise, et, par là, obligé les historiens futurs à compter avec sa pensée ? […] Malheureusement pour la réputation, si vite poussée, de Tocqueville, nous ne sommes plus à cette époque de juste milieu jusque dans la pensée. […] Il y a bien un chapitre spécial, mais vague comme l’est d’ordinaire la pensée de l’auteur, sur la séparation des classes, « qui a causé toutes les maladies dont l’ancien Régime est mort » ; un autre sur l’irréligion, « la passion dominante du xviiie  siècle » ; un autre, enfin, sur les hommes de lettres devenant de fait les hommes politiques du moment. […] Dans ce livre-ci on rencontre de nouveau la faculté qui voit sur toute idée les deux faces, — assez triste faculté quand elle s’arrête là et qu’on n’a pas dans la pensée ce qu’il faut pour choisir la vraie, ou les embrasser l’une et l’autre en les dominant. […] Tocqueville n’a pas plus grandi par la forme que par la pensée.

472. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Dargaud »

… Est-ce que l’âme, ses joies et ses douleurs, ne sera pas toujours le plus haut intérêt de l’homme et de son orgueilleuse pensée ? […] C’est un poète, sans ces cruelles et étincelantes agrafes qui pincent et retiennent la pensée dans leurs mordantes lèvres d’or, et par cette magnifique compression en font la poésie rythmique. […] point par le fond de son être, par la substance de sa pensée, par l’étoffe de ses facultés. […] La tyrannie de l’erreur à laquelle on a livré sa pensée ne doit-elle pas nuire au talent le plus indépendant et le plus vrai, et le détourner de ses pentes les plus naturelles ? […] Contradiction plus commune qu’on ne croit entre la pensée d’un homme et la nature de son génie !

473. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Roger de Beauvoir. Colombes et Couleuvres. »

Roger de Beauvoir dont la nature ouverte et sympathique s’imprègne des contagions aussi bien que des parfums, a dû porter sur sa pensée l’influence de la littérature générale de l’époque qu’il a trop étreinte avec le feu de son esprit. […] Roger de Beauvoir pour donner une idée complète de ce talent simplifié et sorti, au moment où l’on y pensait le moins, de la fontaine de Jouvence que le Temps fait filtrer dans la pensée de tout poète digne de ce nom, nous indiquerons comme étant les plus remarquables et les plus beaux du recueil les morceaux suivants : La Colombe, Dolor, Les Morts qui vivent (superbe pensée !) […] Non, elle ne doit plus en descendre… Quand la Pensée a pris de certains vols, elle ne peut plus revenir sur elle-même sans avoir l’air de tomber. […] Le christianisme ému et qui s’abat tant de fois dans son livre sur la pensée du poète devenue plus sérieuse et plus triste, et qui a été flagellé aussi comme le Sauveur, pourrait donner à M. de Beauvoir ce qui lui manque encore, ce christianisme plus écouté, plus accepté, plus appelé surtout ! […] Oui, que les poètes se le disent : A l’heure qu’il est, tout poète qui ne sera pas chrétien, dans le sentiment ou dans la pensée, restera au-dessous du moindre lecteur qui le sera !

474. (1880) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Première série pp. 1-336

Tout se rapporte donc à la pensée. […] Molinier est une excellente édition des Pensées ? […] Molinier, dans le corps même des Pensées. […] Faugère avait rejeté par exemple la pensée sur Cléopâtre parmi les Pensées diverses. […] Molinier rejette telle autre pensée sur l’éloquence ou sur le style.

475. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Boschot, Adolphe (1871-1955) »

Boschot s’y révèle poète philosophe, et l’on voit bien, d’abord, qu’il a beaucoup lu Sully Prudhomme et Alfred de Vigny, ensuite et surtout qu’il est capable par lui-même d’une pensée forte, pénétrante et triste… Mais ce n’en est pas moins un poète cher au cœur et d’une singulière puissance d’émotion. […] Le poème se présente à lui sous forme de dialogue, parce que sa pensée, complexe, est faite de plusieurs sentiments qui se heurtent ou se poursuivent et finissent par s’entrelacer en beaux groupes synthétiques Les Poèmes dialogués rappellent souvent les Dialogues philosophiques de M.  […] André Rivoire Ce sont de véritables symphonies que ces poèmes, et les vers y sont délicieux ; il en est de très doux, comme atténués de sourdines ; d’autres, çà et là, éclatent et montent comme des cris… et voici qu’après d’indécis murmures, tout à coup, des strophes éloquentes se poussent l’une l’autre d’un large mouvement… Ce livre d’émotion, de pensée, d’harmonie, est original et reste simple.

476. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Renaud, Armand (1836-1895) »

. — Les Pensées tristes (1865). — Les Nuits persanes (1870). — Recueil intime (1881). — Les Drames du peuple (1885). […] Ce fut, je pense, le dernier volume d’Armand Renaud ; mais il résumait toute sa pensée dans ces éloquents appels au patriotisme et au pardon. […] Armand Renaud, qui venait de publier, chez Dentu, chez Sartorius et chez Hachette, des Poèmes de l’amour, des Caprices de boudoir et des Pensées tristes.

477. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome II

Ni les énergies de la passion, ni les raffinements de la pensée, ni les mirages de la beauté ne le contentent. […] Certes, il était sensible à cette mainmise sur la pensée contemporaine. […] Ne le fait-il pas chaque fois qu’il comprend et qu’il s’identifie à l’objet de sa pensée ? […] De tels exemples suffisent à démontrer la fécondité de cette fusion entre les deux types de pensée. […] Telle est notre pensée, tel est aussi notre amour.

478. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre cinquième »

C’est la nature qui lui inspire un assez grand nombre de vers pleins de douceur, qui subsistent par la vérité des pensées et par la nouveauté d’un langage aimable et délicat. […] Les pensées en sont choisies, la plupart très-élevées, et l’expression en est abondante et ferme. […] Il disait que la bonne langue se parlait sur la place Saint-Jean expression exagérée d’une pensée pleine de justesse, où Malherbe laisse voir en même temps son sens supérieur et son esprit agressif et normand. […] Épithètes méchantes, pensées incomplètes, contradictoires, disparates, redondantes, brillantes sans solidité impropriétés déguisées par la douceur des mots, ou par la délicatesse apparente des pensées, rien ne trouva grâce devant le réparateur de la langue. […] Admirable conseil, puisqu’il est vrai qu’on ne peut éviter les rimes faciles et rencontrer les difficiles qu’en pénétrant plus ayant dans le sujet, ni rimer richement et sévèrement que par le même travail qui fait trouver les pensées fortes ou délicates.

479. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Chamfort. » pp. 539-566

Vous savez que j’excelle à traduire la pensée de mon prochain. […] Il s’était retiré à la campagne avec une amie plus âgée que lui, mais avec laquelle il se sentait en parfait rapport de sentiment et de pensée. […] Peuvent-ils me rendre ma jeunesse, ou m’ôter ma pensée, dont l’usage me console de tout ? […] Ce M. de Lassay, c’est Chamfort qui le met en avant pour exprimer sa propre pensée. […] Littré, des hommes de pensée, de labeur, de moralité pratique et de haute doctrine sociale comme M. 

480. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Et, quand il n’y a plus de respect nulle part, ni d’autorité, ni de vertus humbles, le devoir, la consigne, le métier, sont des choses qu’il faut tenir en défiance et qui déshonorent l’indépendance de la pensée. […] C’était cependant une idée heureuse que de mettre un quart de siècle entre soi et un homme pour le louer, quoiqu’il faille souvent davantage pour donner à la pensée le sang-froid nécessaire à la justice. […] … D’ailleurs, dans l’existence si studieuse et si réglée d’Audin, les événements véritables et réellement importants étant les pensées, dire ces pensées et les juger sera continuer de raconter et de juger sa vie. […] Quand on lui renvoie trop fidèlement sa pensée, il la regarde, se reconnaît et se rendort. […] Seulement il aurait fallu que la pensée de l’homme d’État dominât la pensée de l’artiste, et c’est au contraire la pensée de l’artiste qui domine, dans Audin, celle de l’homme d’État.

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