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60. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « M. Denne-Baron. » pp. 380-388

Denne-Baron, et qui le distingue encore aujourd’hui de plusieurs autres talents plus en vue et plus cités. […] Denne-Baron a dans son talent quelque chose de cette grâce, et il est dommage qu’il ne l’ait pas su davantage, qu’on ne le lui ait pas plus dit ; car il était de ces chantres enfants qu’il aurait fallu guider par la main et diriger. […] Combien de talents incomplets, mais qui avaient quelques parties distinguées, n’ont-ils pas pressenti et précédé le talent supérieur qui seul éclatera aux yeux de tous et qui les fera oublier ! […] C’est cette décision, cette suite, cette fermeté dans la pensée et dans le talent qui se fait désirer chez Denne-Baron, et dont le défaut ne permet de voir en lui que les membres épars du poète. […] Denne-Baron, distrait aux caprices, au laisser-aller d’une imagination réelle, mais vagabonde, n’eut point cette patience ardente qui donne au talent le droit de marcher à la suite des génies.

61. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXIII. Henry Gréville »

Il fallait une bien autre femme que Mme Henry Gréville, ce bas-lilas, ce talent à nuances douces, pour tirer puissamment parti de cette idée, inépuisablement féconde ! […] J’avais lu tous ses autres romans et jusque dans la princesse Oghérof, je n’avais trouvé qu’un talent de femme, tout en récit, sans aperçu jamais, à côté, comme dans Mme de Staël qui foisonne, elle, d’aperçus ! […] … Je me disais : n’a-t-elle donc que du talent, de ce talent littéraire dont je ne suis pas fou et dont on fait métier et marchandise ? […] C’est l’esprit plus que le talent… C’est l’esprit, de ce coup ! […] Jamais l’esprit n’a mieux prouvé qu’il est au-dessus du talent, quand le talent n’est pas du génie.

62. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Notes et pensées » pp. 441-535

Qu’on ait peu ou beaucoup de talent, il faut tâcher toujours de le dominer et d’y être supérieur. […] bien peu d’esprits y résistent, et surtout quand le talent y trouve son compte. […] On peut avoir son talent et sa valeur spéciale, et n’être pas moins fâcheux, insolent, grossier, choquant pour les autres, un animal en un mot dans la vraie acception, comme tant d’animaux (témoin le castor) qui ont aussi leur talent. […] Dubois (du Globe) serait plus qu’un homme de talent, s’il y avait persistance en lui, s’il mettait bout à bout tous les fragments et les éclats successifs de son talent. […] Louons donc le talent, mais sachons ce qu’était l’homme dans sa dernière forme.

63. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Ernest Feydeau » pp. 106-143

Voilà ce qu’il faut redire sur tous les tons à un homme de talent comme M.  […] Ernest Feydeau révélait du talent, sans doute, mais ce talent n’était pas tel qu’il pût étonner. […] Souple, facile et abondant, le talent de M.  […] Pour lui, développer son talent dans le sens même de son talent n’est pas la question, mais prouver qu’il a du talent et de plusieurs sortes, et voilà pourquoi, après nous avoir plaqué du Flaubert dans Fanny, il nous plaque du Byron dans Daniel ; car M.  […] l’écueil du roman, et je dirai plus, du talent de M. 

64. (1895) Le mal d’écrire et le roman contemporain

Buffon ne distinguait pas le talent du travail. […] Oui, le talent de M.  […] Or le talent de M.  […] Comment se décompose son talent ? […] Qui oserait dire que le talent de M. 

65. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Taine » pp. 305-350

Taine n’a pas la naïveté de son talent. […] Taine, et signaler l’influence néfaste que cette méthode a sur son talent. […] On eût pu croire, s’il en avait mis, au prestige de ce talent qui est une magie et dont on ne reçoit jamais impunément la dangereuse impression, quoiqu’on sache très bien que c’est une magie… Le talent ! Mais il y a du talent dans une foule d’histoires de la Révolution ! Et ce talent fait voir souvent dans les faits ce qui n’y est pas, ou ce qu’il y voit, ou ce qu’il y ajoute ; car le talent est, même sans manquer de conscience, naturellement et involontairement inventeur.

66. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « De la tradition en littérature et dans quel sens il la faut entendre. Leçon d’ouverture à l’École normale » pp. 356-382

Tout le butin épars, toute la monnaie des autres, mise en tas et en monceau, aurait-elle valu et pesé un seul talent d’or de celle-là ? […] Et n’est-ce pas chez lui qu’on doit aller chercher le mot le plus expressif pour rendre la douceur même (the milk of human kindness), cette qualité que je demande toujours aux talents énergiques de mêler à leur force pour qu’ils ne tombent point dans la dureté et dans la brutale offense, de même qu’aux beaux talents qui inclinent à être trop doux, je demanderai, pour se sauver de la fadeur, qu’il s’y ajoute un peu de ce que Pline et Lucien appellent amertume, ce sel de la force ; car c’est ainsi que les talents se complètent ; et Shakespeare, à sa manière (et sauf les défauts de son temps), a été complet. […] Si quelque écrivain nous apparaît, dans sa conduite et dans toute sa personne, violent, déraisonnable, choquant au bon sens, aux convenances les plus naturelles, il peut avoir du talent (car le talent, un grand talent, est compatible avec bien des travers), mais soyez sûrs qu’il n’est pas un écrivain de la première qualité et de la première marque dans l’humanité. […] alors l’équilibre entre les talents et le milieu, entre les esprits et le régime social, se trouverait rétabli ; on se retrouverait à l’unisson ; la lutte, la maladie morale cesseraient, et la littérature d’elle-même redeviendrait classique par les grandes lignes et par le fond (c’est l’essentiel) ; — non pas qu’on aurait plus de talent, plus de science, mais on aurait plus d’ordre, d’harmonie, de proportion, un noble but, et des moyens plus simples et plus de courage pour y arriver. […] Maintenons, messieurs, les degrés de l’art, les étages de l’esprit ; encourageons toute recherche laborieuse, mais laissons en tout la maîtrise au talent, à la méditation, au jugement, à la raison, au goût.

67. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. NISARD. » pp. 328-357

Mais il arriva assez vite par la réflexion à la seconde phase de l’esprit, à la critique, son vrai talent. […] Il voit en lui le type de ce qu’on appelle l’homme de talent, ce qui veut dire l’homme de peu de talent, qui a la prétention d’en avoir ; et là-dessus il fait sur ce caractère de l’homme de talent quatre à cinq longues pages spirituelles, mais d’une déclamation comme j’en chercherais vainement dans Sénèque le père ; un morceau à effet, à allusions, tout en hors-d’œuvre, un développement, comme on dit dans l’école. […] Une des choses qu’on apprend le mieux en profitant de l’expérience, c’est le mélange en tout, le faux et le vrai, le bon et le mauvais, se rencontrant, se contredisant, et pourtant… étant, comme dirait La Fontaine : dans un individu, un défaut radical n’empêchant pas de grandes qualités et de vrais talents en lui à côté, au sein de ce défaut, et ces grands talents ou ce génie n’empêchant pas le défaut de revenir les gâter et y faire tache : c’est là l’homme et la vie. […] Mais ne posez pas les limites, ne criez pas contre l’exception, car de l’exception seule naîtra le talent, le génie. […] Mais ce sera toujours malgré vous, indépendamment de vous, que l’homme de talent nouveau, ce rebelle longtemps hors des murs, se formera.

68. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Il n’est donné à aucun poète, quel que soit son talent, de faire sortir un effet tragique d’une situation qui admettrait en principe une immoralité. […] Les grands talents obtiennent des applaudissements, et une bienveillance qui porte à la douceur l’âme de ceux qui les possèdent. […] Il me reste à parler de l’objection qu’on peut tirer des ouvrages où l’on a peint avec talent les mœurs condamnables. […] Que de consolations nous sont données par les écrivains d’un talent supérieur et d’une âme élevée ! […] Sans doute on pourrait opposer à l’utilité qu’on peut espérer de la publicité du vrai, les dégoûtants libelles dont la France a été souillée ; mais je n’ai voulu parler que des services qu’on doit attendre du talent ; et le talent craint de s’avilir par le mensonge : il craint de tout confondre, car il perdrait alors son rang parmi les hommes.

69. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — II » pp. 268-284

Taine, dont l’ouvrage a obtenu le prix, a traité ce sujet avec un talent qui en est digne, et avec plus d’originalité même qu’on n’en demandait. […] Taine et un admirateur de ses talents, M.  […] Son histoire, il est vrai, ne nous exprime pas seulement son talent, elle nous déclare son âme. […] On a les dix premiers livres, dans lesquels Tite-Live a dû accepter (et il en demande presque grâce) les fables et les on-dit de la légende, et couvrir de son talent les premiers âges si secs de l’histoire. […] Il est d’une nation où, tôt ou tard, les gens de talent, s’ils veulent produire tout leur effet et toute leur action utile, doivent se résoudre à plaire.

70. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Gustave Droz » pp. 189-211

Gustave Droz, que je ne connais pas, mais dont le talent est jeune, et le talent, c’est la vraie personne dans un homme, Gustave Droz doit être certainement un de ces jeunes gens à qui les femmes, au bal masqué ou dans la vie (autre bal masqué), ont beaucoup dit : « Vous êtes un jeune homme inconséquent !  […] … Ce qui attira tout d’abord les yeux sur ce talent charmant, ce fut une fraîcheur de pastel, de jolis détails, une sentimentalité voluptueuse. […] J’ai vu la hauteur, la pureté et la logique de la conception, avant d’en regarder le talent. Tous ceux qui l’ouvriront jugeront facilement du talent dont il est rempli. […] Le talent de peintre, on le connaissait.

71. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Victor Cousin »

Il faut être juste, ce Cours de 1828, qui fit tant de bruit, comme la montagne à la souris, est le plus retentissant moment de la vie de Cousin, de cet homme sonore dont la plus grande qualité dans le talent fut de donner du son à des idées qui, par elles-mêmes, n’en avaient pas… Telle est sa grande qualité, en effet. […] Il a du talent cependant, nous le voulons bien, comme l’autre infortuné en avait aussi ; mais ce n’est pas le talent qui fait… des systèmes ! […] Le talent de Cousin est suprêmement et exclusivement un talent d’orateur, de phraseur, de flûteur, de musicien, de pousseur de son sur des sujets philosophiques, et, toute sa vie, c’est avec cela qu’il a fait illusion sur le talent de philosophe qui lui manquait, et dont l’absence a dû parfois humilier cruellement son amour-propre et sa pensée… Allez ! […] Seulement, nous l’avons dit déjà, aucun de ces divers écrivains qui furent le même, n’a eu, relativement à ses facultés, un moment de talent aussi complet que l’auteur de l’Introduction à la Philosophie de l’histoire, quoiqu’il l’ait traitée galamment de blague dans un style délicieux ! […] Talent verveux, italien, bergamasque, Arlequin fait de pièces et de morceaux comme l’habit éclectique de ce porteur de batte, et, nous pouvons bien le dire après ce que Cousin a dit de lui-même, un peu bateleur.

72. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Théodore de Banville »

pas la baisse du talent, mais sa hausse plutôt, car cet âge apporte au talent un sentiment qui s’y ajoute et l’achève en lui donnant ce coup de pouce du Temps qui fait tourner mieux l’éclatant relief par l’ombre d’une mélancolie, M.  […] Ce n’est plus là du lyrisme gai, qu’il me permette de le lui dire : c’est du lyrisme dépravé… Sans doute, il faut beaucoup de talent pour dépraver son talent dans cette proportion et faire à beaucoup d’esprits illusion encore ; on n’abuse jamais de la puissance que quand on en a, et bien souvent elle se mesure à l’abus qu’on en fait. […] Le vieil artiste, l’artiste consommé, et dans un jet de talent le plus puissant que ce talent ait jusqu’alors poussé, a eu pour préféré aux yeux du public un jeune homme qui a fait des vers avec son cœur, tandis qu’il en faut faire avec son cœur, avec sa tête, avec tout ce qui fait qu’on est cette Complexité admirable et mystérieuse qu’on appelle un grand poète ! […] L’art, le talent, la poésie surtout, cette Isis voilée au vulgaire, sont incompréhensibles à qui n’a ni art, ni talent, ni poésie, et c’est le gros du monde, cela ! […] En lisant ses Idylles prussiennes, j’ai complété la haute idée que j’avais de son talent poétique.

73. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Amédée Pommier »

C’est à Barthélemy et à Barbier que se raccorde donc mieux qu’à personne le talent ferme de l’auteur du Livre de sang. […] Mais les parentés de talent entre lui et l’auteur des Iambes et celui de la Némésis sont évidentes ; ce sont les chênes tordus et noueux de la même forêt. […] Il y a, en effet, de la bonhomie, comme il y a aussi de la gaminerie, dans le talent de Pommier. […] Il avait la chasteté du génie, et quand son talent fut oublié, — car il ne fut jamais méconnu ; c’était impossible ! […] Le proverbial genus irritabile vatum n’existait pas pour Amédée Pommier, pour ce poète encore plus exceptionnel par son âme que par son talent.

74. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Ch. Bataille et M. E. Rasetti » pp. 281-294

Parmi les choses positives, dont la résultante est le talent d’un homme, il n’y a rien de commun entre M.  […] Ce sont deux réalistes, de talent, tous deux, mais qui se perdront immanquablement tous les deux, s’ils restent dans ce bourbier du réalisme. […] Champfleury dont, en somme, le talent ne se hausse qu’à faire du Balzac déshonoré ! […] Rasetti et qui fera peut-être tout seul un autre roman demain : qu’il défende son esprit de son tempérament, s’il veut que son talent se forme et grandisse. Il pourrait avoir un jour beaucoup plus de talent, mais son tempérament, voilà l’ennemi !

75. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 518-522

Si la Commission n’avait eu à se préoccuper, monsieur le ministre, que des conditions de talent, d’exécution brillante et de succès, s’il lui avait été demandé seulement de désigner lequel des ouvrages représentés dans le cours de l’année au Théâtre-Français lui semblait le plus digne, littérairement, d’un encouragement et d’une récompense, elle aurait pu être embarrassée de faire un choix, mais elle en aurait certainement fait un. […] Mais la Commission, en rendant toute justice et à ces talents et à ces efforts, a dû se demander si l’objet principal du programme, aux termes duquel elle était convoquée, si le but moral entrait le moins du monde dans l’inspiration de ces pièces, ou s’il ressortait de l’effet qu’elles produisent ; et il lui a été impossible de l’y reconnaître, et par conséquent de le couronner. […] Puisque, dans les représentations scéniques qui sont plus particulièrement à l’usage du peuple, dans cette suite de tableaux compliqués et vastes où il se dépense souvent tant d’artifice et de talent, les auteurs ne visent point à cette reproduction entière et profonde de la nature, qui est le suprême de l’art, puisqu’ils font des sacrifices à l’appareil, à l’émotion, et, pour tout dire, à l’effet, il est tout simple qu’on leur demande plus ouvertement de pousser au bien plutôt qu’au mal, et à la vertu plutôt qu’au vice. Ici l’enseignement peut être plus direct et plus en relief ; le genre vertueux, pour le nommer par son vrai nom, peut être plus décidément encouragé : mais que le talent y mêle toujours le plus d’observation réelle et de vérité possible, il agrandira et passionnera ses effets. […] De jeunes talents semblent déjà l’avoir entrevu ; c’est à les encourager, c’est à en appeler de nouveaux dans cette voie qu’est destinée la fondation des primes annuelles.

76. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Prosper Mérimée »

Comme talent, Mérimée avait fait son œuvre. […] Il y avait le Mérimée de talent, cet aquafortiste, et voilà qu’on y ajoute un Mérimée d’esprit et un Mérimée d’âme. […] L’âme de Mérimée ne jouissait pas d’autant de publicité et de notoriété que son talent. […] C’était un talent, c’était un esprit, c’était principalement une âme ! […] Il a, selon moi, vécu toute sa vie sur les premières impressions que donna Planche de son talent, énormément exagéré.

77. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Appendice » pp. 453-463

Quand ce sont les académies qui encouragent, c’est une sorte de protection encore, protection fort adoucie et ornée, assez imposante toujours, et qui peut même intimider quelquefois le talent par l’idée qu’on attache à des conventions de rigueur ou à des doctrines régnantes. […] Il y a bien des couches dans la profondeur d’un vrai talent ; la première couche peut être riche : qui nous dit que la seconde ou la troisième ne le serait pas davantage, si le chercheur d’or, stimulé par un maître sévère, creusait sans cesse et allait plus à fond ? […] On a cru couronner dans l’auteur de cette pièce (et on ne s’est point non plus trompé) un homme de talent et de sentiment, doué de fierté de cœur, une âme qui a souffert et qui s’y est aguerrie. […] Ce mouvement, qui se soutient pendant huit strophes, atteste la force et l’adresse d’un talent éprouvé. […] Serait-ce être indiscret de chercher encore sous ce nom et d’y entrevoir un gracieux talent de femme ?

78. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 64-81

L’homme s’agite et fait des plans, ses passions le mènent ; son talent, quand il est une passion, le mène aussi. […] Veuillot et de la tolérance passée dans nos mœurs que, du moment qu’il s’est trouvé, ou à peu près, réduit au silence, personne ne lui en a plus voulu ; on a oublié l’injure pour ne songer qu’au talent, pour regretter même de ne plus rencontrer ce talent chaque matin, à la condition, s’il était possible, d’un moins âpre emploi. […] Il n’y a pas trop de miracles de la Salette ; c’est déjà trop d’un cependant ; ô honte pour l’esprit et le talent ! […] Le propre du talent de M.  […] Il y a des imperfections et des faiblesses de jugement et de talent.

79. (1887) La vérité sur l’école décadente pp. 1-16

La chose était des plus simple : un clan de poètes très divers de talent et d’inspiration, sans théorie ni foi commune si ce n’est qu’ils aspiraient tous à une rénovation de la forme poétique, se trouvaient groupés par les hasards de la publicité dans les colonnes d’un même journal hospitalier et dans la devanture d’un même éditeur. […] Je ne parle ici que des écrivains qu’on eut voulu flétrir du sobriquet de Décadents et que d’après Jean Moréas il faudrait appeler Symbolistes ; comme ces écrivains sont très divers de manière et de talent je ne perçois pas, pour ma part, la nécessité d’une autre raison sociale à leur fortuite congrégation, que celle de Poètes. […] Paul Verlaine Qui fut du Parnasse est un talent fait de finesse et de clarté ; M.  […] Verlaine dont la jalousie des camarades « arrivés » feint de mépriser le talent, est selon moi un des poètes les mieux doués de notre littérature contemporaine. […] Francis Vielé-Griffin Après un petit volume Cueille d’avril, qui n’a rien de bien remarquable, vient de publier Les Cygnes où son talent s’affirme davantage.

80. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VII. M. Ferrari » pp. 157-193

Ferrari a porté coup à son talent même. […] Mais on n’y reviendra pas, comme histoire, malgré un talent qui ferait dix fois la fortune d’un livre écrit sur tout autre sujet. […] … Et la Critique, qui goûte le mieux le très curieux talent de M.  […] Ferrari y ait échappé dans son intelligence et n’y ait pas entièrement perdu son talent ! […] Ferrari recouvre d’un talent si particulier le néant de celle pitié métaphysique, qu’on l’oublierait, si la Critique n’avertissait.

81. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Émile Zola »

Je crois bien que dans peu d’années le talent et les œuvres de M.  […] S’il n’y avait dans ce livre que le talent de M.  […] Zola, dans La Faute de l’abbé Mouret, n’a pas plus de talent ni un autre talent que dans ses précédents ouvrages. […] je ne dis pas, comme ses amis, le génie, mais le talent de M.  […] J’ai reconnu le talent à deux places.

82. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. Vitet à l’Académie française. »

Ce qui l’a distingué de bonne heure, ç’a été le talent de généraliser et de peindre les idées critiques ; il y met dans l’expression du feu, de la lumière, et une verve d’élégante abondance. […] Il a rendu au talent et aux œuvres de M.  […] De même, pour le talent de l’artiste et du poëte, je dirai qu’il y a une certaine générosité inhérente qui lui est assez ordinaire dans la jeunesse ; mais le développement ultérieur qu’il prendra dépend étroitement de l’usage du premier fonds. […] il est des talents jactancieux qui se font gloire d’étaler et de produire au jour les tristes objets dont ils ont rempli leur vie. […] Qu’on se demande, au contraire, où n’irait pas un talent vrai, fortifié par des habitudes saines, et recueilli, au sortir de la jeunesse, au sein d’une vertueuse maturité.

83. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Stendhal et Balzac » pp. 1-16

il n’y a pas trop de mépris en littérature pour ceux-là qui, plus épris du succès que fermes dans leur conscience d’artistes, renoncent à leur originalité, courbent leur talent jusqu’à des compositions infimes, et détrempent les brillantes couleurs de leur palette dans l’eau des lavoirs où la Vulgarité s’abreuve. […] Car, nous le répétons, ce talent n’est pas connu encore dans ce qu’on appelle le public, quoique depuis la mort de l’auteur il en ait été question davantage. […] Stendhal, ou, pour l’appeler par son vrai nom, Henri Beyle, a, comme tous les hommes d’un talent réel, gagné à mourir. […] Après lui, l’étude reste trop à faire de cet homme dont le caractère étrange double l’étrange talent, et qui n’eut que deux bornes à l’étendue de sa supériorité : n’être pas chrétien, et penser en politique comme Le Constitutionnel de son temps. […] Giraud, comme Didier, mérite qu’on tienne compte de son courage, ainsi que tout éditeur qui n’aura pas peur de relever un livre de talent tombé ou de soutenir un talent nouveau.

84. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite) »

Il en est des talents comme du serpent qui change bien des fois de peau, a dit Gœthe. […] On avait fort vanté dans cette école et fort poussé Tieck, un homme d’esprit et de talent très-distingué, qu’on n’aurait pas été fâché d’opposer à Gœthe ; mais il n’était pas de taille à cela, et lui-même le sentait bien. […] Gœthe reconnaissait toutefois à Chateaubriand un grand talent et une initiative rhétorico-poétique dont l’impulsion et l’empreinte se retrouvaient assez visibles chez les jeunes poëtes venus depuis. […] Les talents ordinaires sont toujours emprisonnés dans leur temps et se nourrissent des éléments qu’il renferme. […] Ce qui s’appelle vraiment le peuple ne sert que fort peu à notre développement, et tous les hommes de talent, toutes les bonnes têtes sont parsemées à travers toute l’Allemagne.

85. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Bernardin de Saint-Pierre »

était-il de peu d’esprit, à part son talent, et, comme il est dit dans d’illustres Mémoires où chaque trait porte, d’un caractère encore au-dessous de son esprit ? […] Le talent, je le sais, est bien à l’origine un talent gratuit, une sorte de prédestination non méritée, une grâce en un mot dans toute la rigueur du sens augustinien et janséniste, indépendamment de la volonté et des œuvres ordinaires de la vie. […] Que de chocs dans la foule, qui vous renfoncent douloureusement ce talent ignoré qu’on tient contre son cœur ? quel rude cilice qu’un talent pareil tant qu’il est tourné en dedans ! […] Toutefois, l’infériorité incomparable du talent poétique de Cicéron en face de sa gloire d’orateur et d’écrivain philosophique demeure une preuve à l’appui du fait général.

86. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « De Stendhal »

Rareté charmante, du reste, dans un homme qui s’est mêlé d’écrire, — dont le talent n’a pas fait la vie, mais dont la vie, au contraire, a fait le talent ! […] C’était cette vie que la Critique a pu consulter pour expliquer un talent bizarre souvent, mais incontestable, trop grand pour n’être pas compté dans la littérature contemporaine. […] Il a pris un morceau de la lave de ce volcan du xviiie  siècle, qui a couvert le monde de ses scories, et il a mis malheureusement dans cette lave impure la mordante empreinte d’un talent profond. […] Du reste, cette force dans le talent qui distingue Stendhal, il l’avait dans l’âme, et la Correspondance montre combien son caractère rayonnait dans le même sens que son esprit. […] Mais un homme comme Stendhal matérialiste n’avait plus guères dans le talent que les qualités de la matière, ferme, pénétrant, aiguisé et brillant comme elle, et son esprit finissait par n’être plus qu’un admirable outil d’acier.

87. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Stendhal » pp. 43-59

Rareté charmante, du reste, dans un homme qui pourtant s’est mêlé d’écrire, — dont le talent n’a pas fait la vie, mais dont la vie, au contraire, a fait le talent. […] C’était cette vie que la critique a pu consulter pour expliquer un talent bizarre souvent, mais incontestable, trop grand pour n’être pas compté dans la littérature contemporaine. […] Il a pris un morceau de la lave de ce volcan du xviiie  siècle, qui a couvert le monde de ses scories, et il a mis malheureusement dans cette lave impure la mordante empreinte d’un talent profond. […] Du reste, cette force dans le talent qui distingue Stendhal, il l’avait dans l’âme, et la Correspondance qu’on publie montre combien son caractère rayonnait dans le même sens que son esprit. […] Mais un homme comme Stendhal, matérialiste, n’avait plus guère dans le talent que les qualités de la matière, ferme, pénétrant, aiguisé et brillant comme elle, et son esprit finissait par n’être plus qu’un admirable outil d’acier.

88. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Granier de Cassagnac » pp. 277-345

Nous verrons tout à l’heure si le talent a été vaincu. […] Et, ici, il s’est accru de talent et même de mépris. Seulement, pourquoi ne le dirions-nous pas puisqu’il s’agit d’un talent hors de pair ? […] C’est par cette double face de son talent et de son livre que nous allons l’étudier. […] Le talent de Cassagnac a atteint son point de perfection relative.

89. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Charles De Rémusat »

L’Histoire, cette grande chose, existe par elle-même d’une vie si profonde qu’elle existe encore sous la main de ceux qui la gâtent, et qu’elle ne dépend ni du talent qui peut l’orner, ni de l’opinion qui l’interprète, ni de la passion qui s’en sert. […] Lui semblait vêtu de son talent. […] Seulement, comme le genre de talent d’un homme et son tempérament se retrouvent toujours, Rémusat ne trempe pas ses flèches dans les noirs poisons d’un Styx quelconque, mais il les imbibe de mélancolie et il en cache au préalable la pointe imprudente sous les transparences voilées de l’allusion. […] Ce sont des personnages curieux, qui eurent beaucoup, les uns, d’esprit, les autres, de talent, et qui remuèrent les surfaces de leur société, mais qui ne laisseront pas le grand sillon dans cette mer d’airain de l’histoire, dont l’airain ne s’entame qu’à la force du poignet de la gloire ! […] Burke, ce creux sonore, qui avait la malheureuse supériorité, anarchique dans une tête bien faite, de plus de talent que d’esprit !

90. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Eugène Sue » pp. 16-26

Quant à l’absence de sincérité dans le talent de M.  […] Il n’a jamais été brutalisé par cette divine Violente, la Vocation, cette tyrannie des talents profonds ! […] Ce fut la seconde phase de son talent. […] Et il y sacrifiait en plus son talent. Selon nous, ce talent n’était pas immense.

91. (1841) Matinées littéraires pp. 3-32

La nature dépose dans les âmes privilégiées le germe des grands talents ; mais pour le faire éclore, il faut que l’art vienne en aide à la nature. […] Assurément, le talent de bien parler mérite d’être placé au-dessus du talent de bien lire ; et cependant il semble que le nombre des bons lecteurs soit plus restreint encore que celui des bons orateurs. […] Pourquoi le talent de bien lire peut-il conduire au talent de bien parler ? […] L’éloquence de la chaire, du barreau et de la tribune, n’étant, comme la déclamation dramatique, qu’une conversation plus animée, plus vive, plus passionnée, le talent de bien exprimer les pensées des autres doit nécessairement conduire au talent de bien exprimer les siennes. […] « Bien lire est un talent que le ciel nous dénie.

92. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Henri Rochefort » pp. 269-279

Et tant mieux, du reste, puisque son talent y gagnera ! […] le talent ! Je ne sais qu’une définition du talent qui me satisfasse : C’est un tas de coups reçus dans le cœur ! […] Je l’ai vue étaler son énormité dans les pages joyeuses du Tintamarre, où Rochefort, je le dis au hasard, mais je ne le dis pas pour ravaler son talent, certes ! […] Il y a là quelque chose d’enivré, de chaud et d’aimablement fou dans la forme, qui n’est pas en Rochefort, au talent, pour moi, trop frappé de glace.

93. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Gustave Flaubert »

Je dis que Gustave Flaubert n’ira pas plus loin dans la voie même de son talent ; car les talents sans âme sont incapables de se renouveler. […] l’homme de talent que fut, un jour, l’auteur de Madame Bovary, a été cruellement malade de la fourchette carthaginoise de Salammbô. […] et c’est précisément le contraire du genre de talent de Flaubert. Pour lui, le talent, c’est l’effort, l’effort continu, l’effort infatigable ; c’est l’étude, c’est l’étude acharnée. […] Et quand je dis nous, c’est quelques-uns qu’il faut entendre, quelques-uns qui tiennent encore pour la faculté innée du talent !

94. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite et fin.) »

C’est un impuissant qui n’a pu être artiste. » Tout artiste présomptueux avait trop intérêt à cette définition du critique : il s’en est suivi, pendant des années, la pleine licence et comme l’orgie des talents. […] Bowles lui-même a fait en ce sens des sonnets délicieux, d’une nuance infinie, et il n’a pas pris garde qu’il érigeait son goût et son talent personnel en loi et en théorie générale ; il se prenait pour type, comme il arrive souvent. […] Chaucer, Spenser, Cowley, Milton, Shakespeare même, il parle d’eux tous à ravir, et il touche le point vif de chaque talent avec goût et impartialité. […] Notez que le prix dont il s’agit, dans les termes posés par le testateur, n’implique que des conditions de science et de talent. […] Des talents puissants n’ont pas hésité à faire de l’exagération une vertu (voir dans le Shakespeare de Victor Hugo, pages 122-124, toute une théorie sur les génies outrés).

95. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le père Lacordaire orateur. » pp. 221-240

Il est assurément le prédicateur de nos jours qui, aux yeux de ceux qui observent et admirent plus encore qu’ils ne croient, se montre à la plus grande hauteur de talent. […] Devenu étudiant en droit, toujours à Dijon, il commença à se distinguer par un talent réel de parole dans des conférences qu’avaient établies entre eux les étudiants et de jeunes avocats. […] Mais l’élan de son cœur qui cherchait pâture, et, à son insu, l’essor de son talent qui cherchait carrière, firent le reste et abrégèrent le chemin. […] Enfin, la bienveillance de l’archevêque de Paris, M. de Quélen, qui eut le mérite, par un discernement honorable du cœur plus encore que de l’esprit, d’apprécier en lui le talent et la candeur dans le talent, ouvrit à M.  […] Évidemment sa personne, son talent, l’intérêt qui s’y attachait, n’avaient rien perdu, et l’on était plutôt disposé à lui passer désormais quelque chose d’extraordinaire.

96. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « IX. Mémoires de Saint-Simon » pp. 213-237

Certes, nous ne sommes pas déjà si fous du talent, quoique nous nous en vantions, la gloire étant faite ; nous n’aimons pas tant déjà cette distinction, plus cruelle à l’orgueil que les distinctions nobiliaires, pour que le talent, le talent seul d’un incomparable écrivain ou le besoin d’être amusés par une histoire vraie qui ressemble à une fable immense, donnent le mot de cette sympathie qui n’a pas été combattue et à laquelle nous nous sommes livrés sans discuter et sans hésiter. […] Il y a donc une autre cause des succès de Saint Simon que l’enlèvement, par le talent, de l’imagination charmée ou par l’intérêt d’un récit qu’avant lui personne n’avait su faire encore, et qu’après lui personne n’oserait recommencer. […] Il vient bien moins de la supériorité d’un homme d’un talent, trop fier pour plaire au grand nombre, qu’à l’abaissement de sa raison quand il s’abaisse et qu’il se rapproche de nous tous. […] que Dubois était destitué de tout talent, pour le porter à une si prodigieuse fortune et pour l’y soutenir ! […] … Quand l’histoire est faussée par un grand talent, elle est bien faussée, et il est malaisé de la redresser.

97. (1874) Premiers lundis. Tome II « Hippolyte Fortoul. Grandeur de la vie privée. »

La pensée sérieuse et élevée de cet ouvrage le distingue de tant d’autres productions romanesques du moment, et mérite une attention que soutient le talent de l’auteur. […] On ne passe point indifféremment sans doute par ces divers systèmes ; on en garde des impressions, des teintes, un pli ; mais enfin l’on en sort quand on a un talent capable de maturité. Ce qui est bon à rappeler, c’est qu’on n’en sort jamais, après tout, qu’avec le fond d’enjeu qu’on y a apporté, je veux dire avec le talent propre et personnel : le reste était déclamation, appareil d’école, attirail facile, à prendre, et que le dernier venu, eût-il moins de talent, portera plus haut en renchérissant sur tous les autres. La plus sûre manière de sortir du raisonnement systématique et de la fougue esthétique est de faire, de s’appliquer à une œuvre particulière ; on y entre avec le système qu’on veut vérifier et illustrer ; mais, si l’on a quelque talent propre, original, ce talent se dégage bientôt à l’œuvre, et, avant la fin, il marche tout seul, il a triomphé. […] Steven n’est pas moins une très grande preuve de talent dramatique et pittoresque.

98. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Auguste Nicolas »

Les quelques grands écrivains qui ont paru de nos jours attestent presque cette décadence qu’il est si dur d’avouer par la nature même de leur génie tourmenté, multiple, savant, chargé d’ornementations et d’effets, mais privé de la simplicité tranquille des fortes littératures, comme l’atteste à son tour la plèbe des écrivains sans talent par l’inanité de leur effort. […] Auguste Nicolas était déjà connu par ses Études philosophiques sur le Christianisme, qui firent tant d’impression quand elles parurent, son talent ayant cela de particulier et de supérieur dans sa mesure qu’il touche juste et vous prend où il a touché. […] Sans aucun doute, il est des talents plus grands que le sien. […] Ils avaient reconnu, avec le tact des hommes qui savent la place que tient la sensibilité dans les décisions de l’esprit et de la conscience, qu’il naissait à l’Église un bon serviteur de plus, un missionnaire de parole écrite, dont le talent agirait sur les âmes peut-être avec une force plus efficace et plus pratique qu’un talent beaucoup plus élevé, car il serait toujours à la hauteur de cœur, à ce niveau où, qui que nous soyons, forts ou faibles, il faut un jour se rencontrer. […] Encore une fois, c’est là le caractère du talent et du livre de Nicolas : une grande bonté et une grande lumière, un attendrissement éloquent avec une larme qui perle dans chaque mot et qui fait étinceler son style des lueurs les plus douces.

99. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (2e partie) » pp. 315-400

Il y a parmi eux de vrais talents, mais ils ne peuvent me pardonner l’ombre que je jette sur eux. […] Il estimait peu le talent des femmes poètes. […] En examinant bien, je vois d’où lui et tous les nouveaux talents du même genre viennent. […] — Un talent comme Béranger, dis-je, ne pourrait rien faire d’un sujet moral. […] Mérimée revient dans la conversation, de Vigny et d’autres talents.

100. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « G.-A. Lawrence »

C’est entre deux de ces courses, probablement, qu’il aura écrit ce premier roman de Guy Livingstone, publié d’abord à la mode anglaise, sans nom d’auteur, et dans lequel il a montré une vaillance de talent qui ressemble fort à la vocation la plus déterminée. […] Il y a, en effet, ici, révélation d’un talent que l’orgueil sardanapalesque du dandysme ne doit pas laisser sans la culture qui lui convient et sans les développements qui peuvent le conduire jusqu’à la magnifique puissance du chef-d’œuvre. […] De grands défauts s’y mêlent et les ternissent, des défauts que n’avait pas Byron et qui étonnent d’autant plus dans Lawrence, qu’ils l’abaissent également dans son talent et dans son dandysme, lui qui est de la même race que ses types et que ses héros ! […] Le latin, le grec, les comparaisons classiques, et toutes ces choses bonnes quand elles font chair et sang avec notre pensée, ne disparaissent pas dans Lawrence en cette assimilation toute-puissante d’où jaillit le talent dans toute sa vierge originalité. […] » Lawrence a cela de particulier dans le talent qu’il ne procède pas par contrastes, cette chose facile, et qu’il se sent assez robuste pour mépriser les ressources de l’antithèse.

101. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « G.-A. Lawrence » pp. 353-366

Il y a, en effet, ici, révélation d’un talent que l’orgueil sardanapalesque du dandysme ne doit pas laisser sans la culture qui lui convient et sans les développements qui peuvent le conduire jusqu’à la magnifique puissance du chef-d’œuvre. […] Lawrence, qu’ils l’abaissent également dans son talent et dans son dandysme, lui qui est de la même race que ses types et que ses héros ! […] Lawrence en cette assimilation toute-puissante d’où jaillit le talent dans toute sa vierge originalité, et c’est ainsi que, fait pour être original quand il sera plus mûr, il manque par la faute d’une culture dont il semble avoir la prétention, cette qualité suprême ; et qu’il traîne presque un ridicule derrière son idéalité. […] Lawrence a cela de particulier dans le talent, qu’il ne procède pas par contrastes, cette chose facile, et qu’il se sent assez robuste pour mépriser l’es ressources de l’antithèse. […] Lawrence, qui a certainement beaucoup du poëte dans le talent, mais qui est plus spécialement un moraliste, a été satanique aussi dans son Guy Livingstone.

102. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Eugène Chapus »

Grâce à Dieu, Chapus a maintenant assez vécu pour prendre enfin cette revanche, attestation de sa force, qu’un homme de talent finit toujours par prendre contre une société sans sympathie ! […] Les livres que voici (livres de high life, s’il en fut jamais), quoique à l’adresse, par leur sujet et par le titre, d’un public d’élite et de choix, étendront, nous n’en doutons pas, une renommée qui avait commencé déjà, mais comme le jour commence, — en n’atteignant que les points les plus élevés de l’horizon, Jusqu’ici connu seulement des hommes de pensée et d’art, qui savaient ce qu’il en cachait et ce qu’il en faisait voir sous les formes gracieuses de l’homme du monde, Eugène Chapus ne s’était pas révélé au public véritable, à ce public qui, comme le Dauphin de la fable, porte parfois bien des singes sur son dos en croyant porter des hommes, mais qui est, en définitive, le soutien et le véhicule des talents sincères. […] Avec tout ce que nous savions de l’auteur, nous pouvions craindre que ces livres, d’une spécialité si restreinte et d’une technologie presque savante, pensés par un talent très fin, très particulier, très genuine, — comme ils disent si bien en Angleterre, — lequel ajoutait son originalité native à tous les schibboleth d’une société très élevée qui a aussi son genre de langage, ne franchît pas les limites de cette société et y concentrât son succès. […] Il a été écrivain d’instinct, naïvement, comme « de l’eau est de l’eau », dirait Diderot encore ; — il a été écrivain d’imagination et de sentiment comme on doit l’être quand on veut élargir sa renommée et donner au talent qu’on a l’air et l’espace, sans lesquels il n’est jamais qu’une fleur rare, dans un vase précieux, étiolée ! […] L’auteur y montre, entre mille autres faces d’un talent mouvementé et chatoyant, une faculté de paysagiste presque embrasée, tant elle est ardente !

103. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Saint-Marc Girardin »

Mais ce qu’on cherche et ce qu’on désire, ce qui est nécessaire pour que la littérature d’un peuple se soutienne, pour que son niveau intellectuel ne s’abaisse pas, c’est la continuité dans l’effort, c’est la succession dans les œuvres, ce sont les noms nouveaux, des noms jeunes, à auspices favorables, pour remplacer les noms éteints et les talents fatigués. […] et non pas de papier barbouillé avec des facilités de métier que ceux qui n’en ont pas croient du talent, ) sont signés par des hommes qui ont tous quinze et vingt ans de célébrité sur la tête. […] Il reste donc acquis à l’histoire de ce temps-ci que la scène de la publicité sérieuse n’est occupée que par des individualités déjà connues, par des talents mûris ; mais la maturité est un point bien vite dépassé dans la rapidité de la durée ! […] Il est intitulé : Souvenirs de voyages et d’études 3, et il justifie parfaitement son titre car il est composé d’articles que l’amour-propre d’auteur, si dur aux sacrifices, n’aura pas voulu sacrifier, et on se souvient de les avoir lus, à peu de choses près et à des époques déjà distantes, soit dans le Journal des Débats, dont l’auteur est, comme on le sait, l’un des rédacteurs ordinaires, soit dans cette Revue des Deux-Mondes, le bazar du talent… autrefois. Cet ouvrage, du reste, — notes de voyage prises en courant, — ne peut avoir l’importance d’un livre même aux yeux de son auteur, qui a, dans un talent incontestable, l’obligation d’être sévère.

104. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Edgar Poe »

Elle eut ce qui donne à la lyre du talent ses plus puissantes cordes, — des cordes qui saignent. […] Sa vie et son talent effraient. […] Il y a plus triste que le talent foudroyé, c’est le talent qui se fourvoie, et qui meurt de s’être fourvoyé. […] Or, comme le talent, ne nous lassons point de le répéter, est toujours moulé par la vie et la réverbère, Edgar Poe, l’isolé, exploita pendant toute la sienne les abominables drames de l’isolement. […] Tout ce qui est jeune littérairement parlant à l’influence de Poe sur la personne de son talent.

105. (1856) Les lettres et l’homme de lettres au XIXe siècle pp. -30

Le talent d’écrire est une propriété ; un livre est un produit, qu’on peut acheter et vendre. […] Les écrivains, excités à travailler sans cesse, ne laisseront pas stériles les talents dont ils sont doués. […] La précipitation du travail, l’avantage matériel de la prolixité, la séduction des entreprises rapides, tout contribuera à énerver l’esprit de l’écrivain ; tout fera avorter le génie en talent, le talent en misérables frivolités. […] Le talent de nos écrivains porte la peine de ce défaut de moralité. […] Donnez-leur le temps d’avoir du talent.

106. (1875) Premiers lundis. Tome III «  Les fils  »

Nous n’avons jamais dit que le fils d’un écrivain, d’un poète célèbre, s’il a lui-même du mérite et du talent, ne pût légitimement hériter et profiler de la part d’honneur et de faveur acquise par un illustre père ; et il est surtout très bien à lui de soutenir le nom en sachant varier le mérite. […] Saint-Marc Girardin, et en recommandant un jeune patricien d’une haute espérance : « C’est un si beau talent dans un si beau nom !  […] Il s’agissait uniquement, dans le cas particulier, de savoir si le prince de Broglie a un talent si extraordinaire qu’il doive aspirer à une nomination en quelque sorte extraordinaire et d’exception, qui le fasse siéger à l’Académie à côté du duc, son père ; s’il y a lieu, en un mot, à un cumul dans une même famille. […] Je fais la part des talents, des vertus, de l’autorité morale, et je dis qu’un de Broglie à l’Académie, c’est bien, c’est très-bien ; mais c’est assez.

107. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Notre critique et la leur »

… La Revue des Deux Mondes, la plus ancienne en date, qui a été pendant vingt-cinq ans la porte cochère de tous les genres d’écrivains, depuis madame Sand jusqu’à Cousin, et depuis Cousin jusqu’à Veuillot, la Revue des Deux Mondes, ce tourne-bride du monde tout entier, dans lequel il s’est trouvé des gens de talent, mais avec d’autres, a vécu dans les grasses et tranquilles conditions d’un établissement d’hospitalité littéraire et de philosophique impartialité. […] Les autres, très nombreux, gens d’esprit, de talent, — et il y en a même peut-être un ou deux qui ont plus de talent que Janin, — ont été engendrés et mis au monde par ce Brahma bramant du feuilleton. […] L’examen littéraire se partageant entre plusieurs plumes, dans ce cantonnement mobile de la Variété qui devrait être une forteresse et qui n’est qu’une place publique, nous avons, sur le talent des mêmes hommes et la tendance et la portée des mêmes ouvrages, les appréciations les plus contradictoires. […] Parmi les critiques qui se font ainsi palinodie les uns aux autres, il y en a, les uns d’un talent qui promet, les autres d’un talent qui donne ; mais ce qu’ils promettent ou ce qu’ils tiennent n’est certainement jamais de la critique comme nous l’entendons. Sainte-Beuve, par exemple, qui donne depuis si longtemps et qui n’a pas tout donné, car il recommence tous les jours le miracle des roses littéraires, Sainte-Beuve, d’une morbidesse de touche exquise, et qui serait le plus profond des critiques si son talent, comme le coton filé trop fin, ne cassait pas en entrant dans la profondeur, n’a point de critique, avec les qualités les plus sensibles du critique, parce qu’il n’a point de doctrine.

108. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Ranc » pp. 243-254

Ranc est un de ces hommes d’action qui le sont de plume et de tout… Son talent est de même trempe que son caractère. […] Et on lui aurait probablement fait payer cher la distinction mâle de son talent, si cette distinction de talent ne lui avait servi à exprimer des opinions excessivement démocratiques. Telle est la raison pour laquelle, sans doute, on lui pardonna cette aristocratie ; car tout talent est une aristocratie, et de toutes, ne vous y trompez pas ! […] Ranc a, en effet, naturellement le talent guerrier. […] Le voilà, avec son talent, il est vrai, mais ce n’est pas là le talent qu’il faudrait, et c’est même à se demander quelquefois si Ranc, en écrivant l’Histoire (l’écrira-t-il plus tard ?

109. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Philarète Chasles » pp. 111-136

C’est, comme pour elle, la vie qui est le caractère du talent de Philarète Chasles. […] Il se trouve dans ces derniers livres du talent, sans nul doute, mais du talent inférieur à celui que je lui connais ; des notions étendues sur l’Angleterre, mais superficiellement étendues. […] Ce sont des talents éclatants qui se sont occupés longtemps aux mêmes choses ; de très beaux esprits, lettrés tous deux et de la plus opulente littérature, reviewers tous deux, chacun dans son pays, et arrivés par les Revues à la renommée. […] La politique, qui a fait sa fortune, — cette fortune dont ne se soucie aucunement la postérité, — aura abaissé son talent et nuira à sa gloire. C’est la politique aussi qui a, dans les dernières années de sa vie, abaissé le talent de Chasles et brouillé misérablement son sens critique.

110. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Sainte-Beuve » pp. 43-79

après le premier volume de l’Essai sur l’indifférence, il y en eut un second qui n’était plus que du talent, un troisième qui n’était même plus du talent, et tout ce qui suivit fut marqué du signe vengeur de la Bête, depuis la singerie biblique des Paroles d’un Croyant jusqu’au gâchis d’une Esquisse de philosophie ! […] C’est l’intelligence, le talent, l’aptitude qui restera ici jugée. […] , n’est plus le même Sainte-Beuve d’esprit et de talent que nous avons connu de son vivant ou dans ses écrits. […] Certainement, on a du talent, mais ce n’est pas ce talent naturel qui fait écrire une jolie lettre et que les études les plus attentives et les plus profondes ne peuvent donner. […] Avec les Lettres à la Princesse, il reste acquis que Sainte-Beuve n’avait pas ce talent.

111. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Michelet » pp. 167-205

Il n’a pas le montant du talent, le ragoût enragé de l’apprêt, de l’art de tout ce qui crée la vie et l’illusion dans le mensonge humain. […] La seule chose que nous apprend le livre intitulé : Nos fils, c’est que Michelet n’y a plus de talent, plus de talent du tout. Michelet sans talent, c’est une nouveauté ! […] On sait si ce talent était brillant, et charmant, et amusant, — trop amusant !  […] L’absence de talent est sa seule innocence.

112. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET. » pp. 177-201

Deux autres talents plus fermes, qui s’y rapportent également, quoique issus du libéralisme, MM. […] Il faut ajouter que, pour sa peine, il fut quelque temps à débarrasser le seuil de son talent de ce pêle-mêle de statues, et des débris qu’il en avait faits67. […] En somme, il y avait dans ce jeune talent une connaissance prématurée de la passion humaine, une joute furieuse avec elle, comme d’un nerveux écuyer cramponné, à force de jarret et d’ongles, au dos d’une cavale fumante. […] Bien des talents d’une moindre étendue sont plus sphériques en quelque sorte, et, suivant moi, plus parfaits que le sien. […] Son talent d’observation et son génie de peintre y triomphent dans le choc violent des événements et l’originalité des caractères.

113. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

Le génie de Molière est le plus sublime modèle de ce talent supérieur. […] Beaucoup d’hommes vicieux n’ont d’autre ambition que d’échapper au ridicule ; il faut leur apprendre, il faut avoir le talent de leur prouver que le succès du vice prête plus à la moquerie que la maladresse de la vertu. […] Mais c’est la réunion même de ces deux talents qui a été l’une des principales causes des grandes différences qui existent entre la tragédie française et la tragédie anglaise. […] À l’époque où nous vivons, la mélancolie est la véritable inspiration du talent : qui ne se sent pas atteint par ce sentiment, ne peut prétendre à une grande gloire comme écrivain ; c’est à ce prix qu’elle est achetée. […] Je ne crois pas impossible cependant de réussir dans une route nouvelle, en sachant ménager avec talent quelques effets non encore risqués sur la scène ; mais pour que cette entreprise ait du succès, il faut qu’elle soit dirigée par le goût le plus sévère.

114. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Victor Vousin. Cours de l’histoire de la philosophie moderne, 5 vol. ix-18. »

Ce talent individuel, avec son caractère, devient le fait auquel je m’attache à travers la généralité des choses qu’il embrasse, et où certainement il se réfléchit. […] La publication présente a des portions considérables qui satisfont à un de nos vœux les plus anciens et les plus chers : le talent littéraire de M.  […] Cousin qui revient également sur ses premières traces, pour les fixer et pour se perfectionner, selon le cachet des talents véritablement littéraires. […] Cousin est du petit nombre dont le talent suffit à la double dépense, que dis-je ? dont la double dépense suffit à peine au talent, tant celui-ci est actif, abondant, intarissable.

115. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Rigault » pp. 169-183

Rigault, qui vivait alors, Rigault, talent tout de culture, mais qui, sans la culture, n’aurait pas été un talent du tout, était une des plus belles espérances de la littérature scolaire. […] Quelquefois le talent des hommes est meilleur que leur âme, d’autres fois leur âme meilleure que leur talent : mais le talent était fait chez Horace de la même étoffe que son âme. Âme petite, talent petit, mais talent propre, nettoyé, cultivé… Nec sordidus auctor ! […] IV Mais laissons la gloire, cette piperie, comme dirait Montaigne, et voyons le talent qui la mérite, et si souvent sans la donner.

116. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Xavier Aubryet et Albéric Second » pp. 255-270

Or, ce milieu exerce sur leur pensée et sur leurs œuvres une tyrannie que je regrette, et que je voudrais, dans l’intérêt de leur talent et de leurs œuvres futures, les voir briser. […] Cela dit, — qui va les envelopper tous deux, et qui va envelopper aussi tout ce que j’ai à dire d’eux, — j’examinerai à part le talent de l’un et de l’autre, talents qui, je le répète, ne se ressemblent point, et leurs deux ouvrages. […] Je les aime assez pour vouloir les en arracher, afin d’avoir un jour leur talent dans toute la plénitude de sa force et la vérité de sa saveur. […] C’est, en effet, un esprit musqué qu’Aubryet, et si ce mot de musqué, qui ne représente plus qu’un ancien parfum démodé, offense sa délicatesse élégante de parisien, disons de lui qu’il a de l’opoponax dans le talent, et il ne se fâchera plus. […] On ne sait pas, quand on a du talent, ce qu’on y étouffe.

117. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Honoré de Balzac » pp. 1-15

Nous n’en craignons pas même les Archiloques, s’il s’en rencontre, car les limes de la gloire sont plus dures que la dent des gracieux animaux qui les rongent, et c’est toujours quelque chose, c’est encore un profil pour l’intelligence que le talent, fût-il dans l’injustice. […] Plus la gloire et le talent semblent de bon aloi, plus le peseur de tout cet or fin doit avoir la main sûre et le tact exquis. […] Ce qui a dominé, hyperdominé son talent, c’est le mécontentement de ce qui se faisait autour de lui et l’envie de le refaire pour montrer ce qu’on pouvait tirer de tous ces idéals manqués ! […] Il frappe, comme il peut, ses quatorze coups sur le talent et sur l’homme ! […] Quant au talent en soi de M. 

118. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Francis Wey »

Cependant la production littéraire va toujours son train, et çà et là le talent brille ; mais c’est du talent qui s’émiette lui-même. C’est du talent qui vise au petit pour en avoir plus tôt fait ; car nous sommes en chemin de fer pour l’imagination comme pour le reste, et viser au grand demande, pour y atteindre, du temps et de l’effort, — de l’effort, cet auxiliaire du temps, et le seul auxiliaire qui puisse l’abréger ! […] De narrative elle devient épistolaire, et voilà qu’en se transformant le talent de Wey se transfigure, Ici l’auteur atteint son vrai niveau. […] En vain l’a-t-il fait aussi, comme Christian, victime de l’absence d’éducation morale, cette plaie du siècle, et le ramène-t-il à l’ordre et à la vraie destinée par le sentiment paternel, comme il y a ramené Christian par l’amour ; en vain la scène du verre de champagne accepté, qui l’introduit dans le roman, est-elle charmante et attendrie, ce personnage de Chambornay nuit plus qu’il ne sert au développement du livre, et, avec le talent mâle, sobre et qui se ménage si peu de l’auteur, avec ce talent qui sait revenir si courageusement sur lui-même pour s’opérer de ses propres mains, on est étonné qu’il n’ait pas sacrifié et remplacé cette figure selon nous malvenue à travers toutes les autres qui le sontsi bien. […] Seulement, cet esprit, supérieur au talent chez Francis Wey, n’a pas le charme empoisonné et atroce qu’il a sous les plumes implacables de de Latouche et de Chamfort.

119. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIV. De la plaisanterie anglaise » pp. 296-306

Shéridan a composé en anglais quelques comédies où l’esprit le plus brillant et le plus original se montre presque à chaque scène ; mais outre qu’une exception ne changerait rien aux considérations générales, il faut encore distinguer la gaieté de l’esprit, du talent dont Molière est le modèle. […] Les sensations viennent du dehors, et tous les talents qui dépendent immédiatement des sensations, ont besoin de l’impulsion donnée par les autres. La gaieté et l’éloquence ne sont point les simples résultats des combinaisons de l’esprit ; il faut être ébranlé, modifié par l’émotion qui fait naître l’une ou l’autre, pour obtenir les succès du talent dans ces deux genres. […] Ce que les Anglais peignent avec un grand talent, ce sont les caractères bizarres, parce qu’il en existe beaucoup parmi eux. […] Quand le gouvernement est fondé sur la force, il peut ne pas craindre le penchant de la nation à la plaisanterie : mais lorsque l’autorité dépend de la confiance générale, lorsque l’esprit public en est le principal ressort, le talent et la gaieté qui font découvrir le ridicule et se plaire dans la moquerie, sont excessivement dangereux pour la liberté et l’égalité politique.

120. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Léon Bloy »

Transporté de honte pour le compte du genre humain, cet homme, qui était un écrivain du talent le plus élevé, résolut d’arracher, dans la mesure de ses forces, Christophe Colomb à la destinée de silence et d’ingratitude qui pesait depuis près de quatre siècles sur sa mémoire, et qui avait mis la grandeur de l’oubli en proportion avec la grandeur du service rendu par lui au monde tout entier. […] Il n’a pas mis servilement son pied dans l’ornière lumineuse d’un sujet où le char de feu d’un grand talent avait déjà passé. […] J’aime mieux le garder pour Léon Bloy, et puisse cet atome être la première étincelle qui luira sur un talent ignoré encore aujourd’hui, mais qui, demain peut-être, va tout embraser ! […] L’héroïque Veuillot, par exemple, qui n’a jamais tremblé devant rien, excepté devant les talents qui auraient tenu à honneur de combattre à côté de lui pour la cause de l’Église, Veuillot prit peur, un jour, du talent de Léon Bloy, et, après quatre ou cinq articles acceptés à l’Univers, il le congédia formellement. […] Il recommença d’attendre, avec le poids de son talent méconnu et refoulé sur son cœur, l’occasion favorable où il pourrait prouver, à ses amis comme à ses ennemis, qu’il en avait.

121. (1828) Préface des Études françaises et étrangères pp. -

il n’y a point de genres secondaires pour un talent du premier ordre. […] Delatouche s’est acquitté de ce soin pieux avec la modestie et la ferveur du talent. […] Songez que c’est par cette alliance irrésistible de tous les talents, que vos devanciers ont sapé les bases de l’ancienne société et posé celles du nouvel ordre de choses. […] On corrige quelques détails dans son style, on ne le change pas, Autant d’hommes de talents, autant de styles. […] Le talent suit toujours le génie.

122. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor Hugo. Les Contemplations. — La Légende des siècles. »

Le talent de M.  […] Victor Hugo et à son talent ! […] Malheureusement ou heureusement, comme on voudra, ce n’est pas même ce genre de talent qui domine dans le premier volume. […] Hugo pourrait appliquer à son talent même, car il en est la meilleure caractéristique que nous connaissions. […] Hugo, est celle-ci : Que lui a donc rendu le monde moderne en place du talent qu’il lui a sacrifié, en le lui consacrant ?

123. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XV. M. Dargaud » pp. 323-339

Dargaud, car il fallait beaucoup de talent et le charme d’une grande bonne foi dans le talent pour nous faire accepter jusqu’à la fin d’un récit, au bout duquel on retrouve enfin son sang-froid, cette exagération éblouissante, et nous faire traiter avec elle, pendant la durée de l’histoire, comme si c’était une vérité ! […] Pris par ce côté, — l’appréciation morale, dans toute sa profondeur, des actions et du caractère, qui est le meilleur côté de la pensée et du talent de M.  […] Dargaud par la profondeur de nos convictions catholiques, retrouvons si souvent, jusque sous les faits exposés avec le brillant du talent ou le brillant plus pur et plus précieux de la vérité, le choc implacable des principes, — le dissentiment éternel ! […] Vous le voyez, on pouvait s’attendre à pis sur le fond des choses et sur leur forme aussi, car le talent de M.  […] En s’élevant, la belle proportion, qui fait sa personnalité, n’a pas été troublée, et, comme toujours, ici encore, autant que dans ses précédents ouvrages, l’âme est aussi élevée que le talent et l’homme égal à l’écrivain.

124. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Madame Paul de Molènes »

Il y a déjà longtemps que le nom, sign é en toutes lettres à la tête de ce livre, tout le monde le disait et le répétait ; car on n’a pas pour rien à Paris le talent original qui est lui-même une signature. […] Eh bien, la femme de ce talent rare, — plus rare que des talents plus grands, — et que je vous donne comme la plus suave boîte à rouge nuancé que les femmes puissent se mettre sur la joue, et qui ne s’y fonce jamais trop, c’est cette femme qui prend le parti de nous écrire un roman ! […] Quand on a affaire à un talent aussi prouvé que celui de madame Paul de Molènes, on n’a pas, vis-à-vis d’elle, l’embarras d’une critique forte, et on doit lui en faire honneur. […] Un homme, d’un talent de verve et d’originalité, en Angleterre, a eu la même idée que celle de Monsieur Adam et Madame Ève. […] Madame Ange Bénigne, dont le nom véritable sera dit un jour (nous l’espérons bien) en plein théâtre et en plein succès, aura-t-elle à la scène la valeur de talent qu’elle a dans ce livre que nous avons le droit d’appeler aussi : Un spectacle dans un fauteuil ?

125. (1874) Premiers lundis. Tome II « Des jugements sur notre littérature contemporaine à l’étranger. »

Pour juger une littérature contemporaine, surtout quand c’est la française, il faut être là, observer les nuances, distinguer les rangs, dégager l’original de l’imitateur, séparer le délicat et le fin d’avec le déclamatoire, noter le rôle qui souvent se mêle vite à l’inspiration d’abord vraie ; il faut discerner cela non-seulement d’auteur à auteur, mais jusqu’au sein d’un même talent : de loin, il n’y a qu’à renoncer. […] Sa manière de commencer le procès qu’il nous intente par l’examen sérieux et appliqué de Paul de Kock, doit faire sourire les gens de talent qu’il inculpe, et d’un sourire plus fin et plus malicieux que l’auteur ne voudrait assurément, s’il savait sa méprise : mais il faut l’y laisser. […] Une femme célèbre qui, en arrivant à la gloire, a été si indignement accueillie de toutes sortes d’injures qu’elle se doit à elle-même (pour le dire en passant) de redoubler de respect quand elle prononce certains noms illustres de son sexe ; cette femme, qui ne le cède à aucun homme en talent, n’échappe pas à la prise de l’auteur anglais. […] Les parties contestables et critiquables de ce talent supérieur sont confondues avec ses pages les plus charmantes. […] M. de Vigny doit se féliciter d’avoir échappé, tant par ses drames que par ses romans, productions d’un talent si rare et si fin, à cette critique quelque peu cyclopéenne.

126. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — George Sand. Cosima. »

En général, George Sand est un auteur beaucoup moins excentrique et moins extraordinaire que la badauderie d’une certaine renommée ne le voudrait faire ; ses moyens sont très souvent simples ; ce qu’il a d’extraordinaire avant tout, c’est son talent. […] Talent fertile, il n’a songé qu’à produire sous une forme nouvelle un ouvrage de plus. […] On oublie ce que c’est à un haut degré que le talent, cette fertilité d’un esprit multiple qui ne dépend pas des formes, qui sait s’y faire place bientôt, et, après un court apprentissage du métier, être partout lui-même, à l’aise et souverain. On oublie trop, dans le cas particulier, ce que c’est qu’un talent actif, généreux, dont le plaisir est surtout d’aller, de tenter, qui ne compte pas un à un les pas accomplis, qui n’est point à une œuvre ni à un succès près, qui se sent comme plein de lendemains ; un talent au-dessus des glorioles, et qui ne marchande pas la gloire. […] Je m’imagine que c’est la haine de tout lieu commun qui a détourné du théâtre un des talents les plus foncièrement dramatiques et les plus réels à la fois, M. 

127. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVI. De l’éloquence et de la philosophie des Anglais » pp. 324-337

Sans nier assurément les avantages de cette fixité, il s’ensuit néanmoins que l’esprit de discussion et d’analyse est plus important dans les assemblées actuelles que le talent d’émouvoir. […] Mirabeau, et quelques autres après lui, ont un talent plus entraînant, plus dramatique que celui des Anglais ; l’habitude des affaires s’y montre moins, et le besoin des succès de l’esprit beaucoup davantage. […] Cette disposition d’esprit, chez les Français, doit porter très haut le vrai talent ; mais elle entraîne la médiocrité dans des efforts gigantesques et ridicules. […] Les Anglais ont considéré l’art de la parole, comme tous les talents en général, sous le point de vue de l’utilité ; et c’est ce qui doit arriver à tous les peuples, après un certain temps de repos fondé sur la liberté. […] On aurait de la peine maintenant, en Angleterre, à prononcer entre deux talents prodigieux : néanmoins les mouvements de l’âme se rallient toujours plus naturellement à celui qui n’est pas dans le pouvoir.

128. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Charles Monselet »

Il en porte la trace même dans son talent ; mais il guérira, à force de vitalité vraie. […] Eh bien, c’est cette sensation d’un seul soir que j’ai retrouvée, non plus à propos de quelques vers isolés et bientôt dits, mais à propos de beaucoup de pages de prose, à vingt places de ces Portraits après décès où la Critique peut constater des empreintes d’âme à renverser toutes les idées qu’on se fait de Monselet et de son talent ! […] Le ramasseur d’oubliés et de dédaignés, ensevelis pêle-mêle dans l’ombre des vieux murs en ruines de l’Histoire, et qui les prend dans son tombereau, a bien senti qu’il ne pouvait traiter le Génie et la Gloire comme l’infortune des petits talents malheureux. […] Influence peut-être d’une phase nouvelle dans l’existence, qui mûrit le talent comme les fruits mûrissent, par l’accumulation des jours ! […] Si cela était, nous y gagnerions tous, lui, du talent, et nous, des œuvres.

129. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Émile Augier, Louis Bouilhet, Reboul »

Émile Augier est un type de talent moins combatif et plus doux. […] Pour ne parler donc que des procédés d’une poésie toute en procédés, — par le mètre, par le mouvement, par la crudité des tons, par la hardiesse dans la nudité du détail, — Louis Bouilhet nous donne les bas-côtés du talent de Musset assez réussis. […] Dans tout début, en effet, si mauvais et si gauche qu’il puisse être, il y a comme le crépuscule incertain, mais lucide à quelques points de l’ouvrage, du talent qui fera lumière plus tard ; mais ici, au contraire, rien d’incertain. L’espèce de talent que Bouilhet y déploie est consommé à sa manière. Ce talent grandira-t-il ?

130. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LII » pp. 203-205

Au reste le talent qui s’est déployé dans cette discussion et qui continue de s’y déployer est grand, et le discours de M. […] Déjà à la Chambre des pairs, dans une discussion précédente à propos des fonds secrets, M. de Montalembert, de retour de l’île de Madère, avait incidemment soulevé cette question de liberté d’enseignement, et il l’avait fait avec tout le talent qu’on ne peut s’empêcher de reconnaître à cette parole arrogante et élégante. […] M. de Montalembert continue par ses excès oratoires de compromettre une cause qui avait été habilement et vertement reprise en main par le comte Arthur Beugnot dans un discours plein de talent et tout politique. Vous aurez par les journaux la clôture de cette discussion générale (à la Chambre des pairs) qui aura été pleine de lumières, de talent, de maturité (M. de Montalembert à part) et qui a vivement excité l’intérêt public.

131. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXI » pp. 220-221

Cependant, en considérant la position de Molière, et le plaisir que le roi prenait à diriger son talent, on se persuaderait sans peine qu’en approchant l’oreille des rideaux du roi, on sur prendrait quelques paroles dites à demi-voix, pour désigner à Molière ce caractère qui, bien que respecté au fond du cœur, avait quelque chose d’importun pour les maîtresses et pour les femmes qui aspiraient à le devenir. […] C’était en effet un coup de maître pour Molière, de représenter Montausier, ce censeur énergique, sous les couleurs les plus nobles, et d’opposer son caractère même aux prétentions de bel esprit sans esprit, et le poète sans talent ; de le montrer intraitable pour un mauvais ouvrage, quelque honnête, quelque estimable que fut l’auteur, en respectant en lui l’homme de bien et de mérite ; précisément comme Racine et Boileau prétendaient en user avec Chapelain, Cottin et leurs semblables. […] Plaire au roi, servir ses propres amis, assurer un libre essor à leurs talents et au sien, plaire à Montausier même, furent trois succès que Molière me paraît s’être promis d’allier, en faisant le bel ouvrage dont nous parlons ; et j’aime à penser qu’il se proposa une alliance si difficile, parce que l’accomplissement de ce dessein ajoutait le mérite de la difficulté vaincue au mérite du talent le plus élevé.

132. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 115-117

Le succès dont jouissent Heureusement, & la Matinée à la mode, ne prouve autre chose, sinon que la fureur de l'épigramme & des petites gentillesses absorbe tout, & qu'aujourd'hui l'esprit & quelques saillies tiennent lieu de talent. […] Ainsi, pourvu qu'ils viennent à bout de se procurer une gloire éphémere, ils ne craignent pas de dégrader le talent, en détruisant l'Art même, qui se perd quand il sort de ses limites. […] Ne vaudroit-il pas mieux se guérir de la démangeaison du Théatre, si on est sans talent, ou, si l'on en est pourvu, se borner à ne produire dans tout le cours de sa vie qu'une ou deux bonnes Pieces, que d'amuser le Public par des bagatelles qui passent bientôt de vogue, sans avoir le mérite de reparoître une seconde fois avec succès ? […] Rochon de Chabannes, qui a le talent de saisir les ridicules, mais qui se contente de les effleurer, auroit pu prétendre à la gloire de réussir dans le haut comique, s'il ne se fût pas laissé trop entraîner au ton dominant.

133. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « III. M. Michelet » pp. 47-96

Cela, sans doute, anime le talent. […] Ce sont les amants de son talent, car son talent a des amants ! […] Michelet, vous emporteriez son talent ! […] Michelet, avec son talent mystico-sensuel, peut beaucoup agir. […] Tout est en elle, bourgeois, ménage, vertu, talent, quand elle en a, déclamation, quand elle déclame.

134. (1868) Curiosités esthétiques « I. Salon de 1845 » pp. 1-76

Son étude de Femme nue est une chose commune et qui a trompé son talent. […] Planet a évidemment assez de talent pour faire une autre fois un tableau complet. […] En deux mots — à quoi bon tant d’érudition, quand on a du talent ? […] Il nous suffit, pour compléter l’idée qu’on doit se faire du talent de M.  […] Adrien Guignet a certainement du talent ; il sait composer et arranger.

135. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre premier. De l’amour de la gloire »

Ceux que leur destinée approche des premières places, croient voir une preuve de mépris pour eux, dans l’espérance qu’on conçoit de franchir l’espace qui en sépare, et de se mettre par ses talents, au niveau de leur destinée. Les individus de la même classe que soi, qui se sont résignés à n’en pas sortir, attribuant bien plutôt cette résolution à leur sagesse, qu’à leur médiocrité, appellent folie une conduite différente, et sans juger la diversité des talents, se croient faits pour les mêmes circonstances. […] La plupart de ces considérations ne peuvent s’appliquer aux succès militaires, la guerre ne laisse à l’homme, de sa nature, que ses facultés physiques ; pendant que cet état dure, il se soumet à la valeur, à l’audace, au talent qui fait vaincre, comme les corps les plus faibles suivent l’impulsion des plus forts. […] En étudiant le petit nombre d’exceptions à l’inconstance de la faveur publique, on est étonné de voir que c’est à des circonstances, et jamais au talent seul, qu’on doit les rapporter. […] Le public se plaît à donner à celui qui possède ; et, comme ce sultan des Arabes, qui s’éloignait d’un ami poursuivi par l’infortune, parce qu’il craignait la contagion de la fatalité ; les revers éloignent les ambitieux, les faibles, les indifférents, tous ceux enfin qui trouvent, avec quelque raison, que l’éclat de la gloire doit frapper involontairement ; que c’est à elle à commander le tribut qu’elle demande ; que la gloire se compose des dons de la nature et du hasard, et que personne n’ayant le besoin d’admirer ; celui qui veut ce sentiment ne l’obtient point de la volonté, mais de la surprise, et le doit aux résultats du talent, bien plus qu’à la propre valeur de ce talent même.

136. (1914) Enquête : L’Académie française (Les Marges)

Car elle préférera toujours la bonne tenue et la moralité au talent et même au génie. […] Je la tiens pour surannée, sans but, sans mandat valable, hostile à la vraie indépendance du caractère et du talent, donnant des primes à l’arrivisme, et tout occupée de mesquines intrigues. […] Il y a certes des hommes de grand talent ainsi costumés. […] Subventionner des jeunes, c’est forcément détruire leur personnalité et leur imposer un talent officiel. […] Vertueuse et morale, l’Académie distribue des prix, et incite aux compétitions, non de talents, mais d’intrigues.

137. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre V. Mme George Sand jugée par elle-même »

de talent, une Déesse. […] Louis Veuillot, ce rude contempteur des temps modernes, eut aussi sa petite faiblesse pour le talent, en tant que talent, de l’insolente ennemie du Catholicisme. Comme talent donc, tout le monde lui a donné ; et la possession d’état dans la célébrité a été toujours s’accroissant pour elle et est devenues ! […] À talents faciles, succès faciles ! […] Les rapports sautent aux yeux entre ces deux talents et ces deux gloires ; seulement ils n’auront pas la même destinée.

138. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Hippolyte Babou »

Il sait ce que rapporte le talent à son homme, lorsqu’on est assez noblement bête pour ne pas vouloir l’abaisser. […] Le talent très marqué dont elles sont la preuve a été pour nous une révélation. […] Ce talent, l’avait-il, ou lui a-t-il poussé ? […] Hippolyte Babou est un méridional, et son talent sent le terroir de sa patrie. Nous ne nous en plaignons pas : ce qu’il y a de plus savoureux dans le talent, c’est le goût des terroirs !

139. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Champfleury ; Desnoireterres »

C’est un écrivain qui, nous l’espérons pour l’honneur de son diamant futur, est encore tout entier dans sa gangue, et pour lequel nous serons obligé d’être sévère parce que nous lui croyons du talent en germe, et que l’esprit de ce système qui perd tout dans les arts et dans la littérature pourrait étouffer ce talent que nous tenons à voir s’épanouir. […] Quoiqu’il n’ait point, nous l’avons dit, cette puissance d’imagination qui n’aurait pas accepté la honte d’une théorie faite contre elle, quoique ce volume ait besoin d’être racheté par un livre meilleur, il y a cependant çà et là, et particulièrement dans les Souffrances du professeur Delteil, le morceau capital du recueil des Contes d’Été, quelques accents de sentiment qu’on voudrait plus longtemps entendre et qui disent que l’âme d’un talent se débat sous toutes ces banalités et ces insignifiances de détail. Cette lueur de talent qui nous permet une espérance, cette lueur qui brille faiblement comme une larme et qui est même une larme, voyons ! […] Nous sommes fort heureux de le dire, les Talons rouges, simples et élégants récits, très souvent aristocratiques, ne mentiront point à leur étiquette, et ils marquent un progrès incontestable dans le talent de l’auteur, qui s’affermit, s’affine et s’aiguise.

140. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame, secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. »

La Chaire française, en le perdant, ne fit point une grande perte ; mais M. de Harlay, en se l’attachant, fit une excellente acquisition, et l’abbé lui rendit plus d’un service, y compris celui de nous aider aujourd’hui à nous faire une plus juste idée de ses talents qu’un seul défaut obscurcissait. […] Les docteurs de Sorbonne, fiers d’un talent et d’un candidat qui devait faire honneur à leur maison, écrivirent à ce sujet une lettre de félicitation à son oncle l’archevêque de Rouen, et le jeune Harlay eut de lui promesse d’obtenir l’abbaye de Jumiéges, si la reine y consentait. […] Successeur de son oncle qui se démit en sa faveur, et archevêque de Rouen avant ses vingt-sept ans accomplis (1652), il commença à déployer ses talents d’administrateur et de conciliateur ; il y avait matière dans un diocèse qui lui arrivait en très fâcheux état. […] On sentait, même sous le personnage d’apparat, l’homme d’esprit à l’aise et qui jouait de ses talents. […] Les compétiteurs étaient le cardinal de Rouillon, porté par son nom, par l’orgueil de sa race et par ses talents, et aussi Le Tellier lui-même, le coadjuteur de Reims, que poussait le crédit de sa famille.

141. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Balzac. » pp. 443-463

La physiologie et l’hygiène d’un écrivain sont devenues un des chapitres indispensables dans l’analyse qu’on fait de son talent. […] On peut dire de lui qu’il était en proie à son œuvre, et que son talent l’emportait souvent comme un char lancé à quatre chevaux. […] De telles allures de talent impliquent bien de la verve et de la fougue, mais aussi du hasard et beaucoup de fumée. […] » Ne forçons point les natures, et, puisque la mort a fermé la carrière, acceptons, du talent qui n’est plus, l’héritage opulent et complexe qu’il nous a légué. […] Les Parents pauvres nous montrent ce talent vigoureux arrivé à sa plus forte maturité et se donnant toute carrière.

142. (1893) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Première série

Dans une étude sur un grand auteur, je puis mettre du talent et quelque chose de moi ; dans un poème composé à l’émulation des grands auteurs, il peut ne se trouver ni talent, ni personnalité, ni rien. […] qu’un désir très ardent et non pas le talent ou le bonheur de vivre ? […] Dans toute production qui atteint l’un de ces deux buts, il y a un talent incontestable, à mon avis ; mais le vrai talent, seul durable, doit les atteindre tous deux à la fois. […] Mais Chénedollé, quels que fussent ses talents poétiques, n’était point né génie. […] Ce qui est rare, c’est la mise en œuvre, c’est le talent ; et ce qui est unique, c’est le bonheur de naître à propos.

143. (1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — I »

Dès les premiers instants de la Restauration et du sein même de ses souvenirs naquit en France une poésie qui frappa, quelque temps, par son air de nouveauté, ses promesses brillantes de talent et une sorte d’audace. […] Procédant d’après des règles expresses de poétique et de politique, elle oubliait trop ce vœu d’un de ses talents les plus indépendants : Heureux qui ne veut rien tenter ! […] Mais après la chute de leur théorie, un rôle assez beau resterait encore aux jeunes talents qui, désabusés d’une vaine tentative, abjurant le jargon et le système, se sentiraient la force d’entrer dans de meilleures voies, et de faire de la poésie avec leur âme. […] Il en est résulté des impressions fâcheuses contre l’auteur ; le ridicule s’est tourné de ce côté pour se venger d’un poète trop dédaigneux de la faveur populaire ; et, laissant les nobles parties dans l’ombre, on a fait de son talent, aux yeux de bien des gens, une sorte de monstre hideux et grotesque, assez semblable à l’un des nains de ses romans. […] Y avait-il progrès dans ce nouvel essai de son talent ?

144. (1874) Premiers lundis. Tome II « Charles de Bernard. Le nœud Gordien. — Gerfaut. »

Les nouvelles diverses, qu’il a recueillies dans son Nœud Gordien et son Gerfaut, permettent déjà de porter sur lui, sur l’ensemble de son talent et de son rôle possible, un jugement ou au moins un pronostic général. […] Cette seule nouvelle, qui a presque les dimensions du roman, suffirait à poser au complet le talent de M. de Bernard. L’observation y est parfaite dans sa finesse et sa subtilité ; chacun a connu et connaît quelque madame de Flamareil, toujours belle, toujours sensible, toujours décente, qui a graduellement changé d’étoile du pôle au couchant, qui en peut compter jusqu’à trois dans sa vie, dont le cœur aimant enfin a suivi assez bien les révolutions inclinées et l’orbite élargi du talent de Lamartine, des premières Méditations jusqu’à Jocelyn. […] Quoique un vrai talent dramatique s’y marque jusqu’au bout, j’avoue que cette fin me plaît peu, et, sans me gâter le reste, ne l’achève pas, à mon sens, avec autant de vérité qu’on a droit d’attendre. […] En un mot, que M. de Bernard, bien qu’il paraisse si bien savoir la vanité de la gloire elle-même, le néant et la raillerie de toutes choses, prenne plus au sérieux (sans en avoir l’air) son grand talent.

145. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Hebel »

Ce fut son talent qui fit sa vie ; et cette vie toujours calme, aisée, honorée, et qui monta sans luttes et sans obstacles jusqu’à cette dignité de rang qui est la dernière caresse de la fortune à ceux qui pourraient s’en passer, puisqu’ils ne vivent que pour les jouissances de l’esprit, a plus d’un rapport avec l’existence d’un homme heureux aussi parmi les poètes, mais qui, à son déclin, sentit dans le fond de son cœur le souci cruel de la confiance trahie et sur son front la sueur de sang du travail forcé. […] Mais, puisque nous avons parlé de l’Écosse, il est un poète de ce pays qui se rapproche bien plus que Walter Scott du talent tout local de Hebel : c’est Burns, le fils du meunier, le grand poète jaugeur. […] « L’idylle hébélienne — disait en 1847 un critique distingué, le professeur Rapp de Tübingen, — est dans la littérature allemande quelque chose de si complètement à part, que nous ne la comprenons pas nous-mêmes dans le cercle ordinaire de la littérature, À nous, Allemands du sud, à qui Hebel tient si fortement au cœur, cela fait déjà mal quand on nous dit que quelqu’un a cherché à traduire ces poésies en haut allemand ; car il y a pour nous comme une profanation de l’intimité avec laquelle nous honorons ces produits. » Et le mot produits est bien dit, il marque mieux qu’un autre l’autochtonie du talent de Hebel. […] Son talent s’incline de deux côtés différents. […] Maximilien Buchon de ces poésies de Hebel, qui répugnent même à passer dans le haut allemand, tant elles sont d’une localité et d’une originalité profondes, atteste beaucoup de talent et un sentiment très animé des beautés sincères qu’elle s’efforce de reproduire.

146. (1925) Comment on devient écrivain

Êtes-vous sûr d’avoir du talent ? La nature donne souvent la vocation sans donner le talent. […] C’est une question de talent.‌ […] Chacun croit avoir plus de talent que le voisin. […] Il a vraiment du talent (il est tout à fait hors ligne).

147. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 4, du pouvoir que les imitations ont sur nous, et de la facilité avec laquelle le coeur humain est ému » pp. 34-42

De tous les talens qui donnent de l’empire sur les autres hommes, le talent le plus puissant n’est pas la superiorité d’esprit et de lumieres : c’est le talent de les émouvoir à son gré, ce qui se fait principalement en paroissant soi-même ému et penetré des sentimens qu’on veut leur inspirer. C’est le talent d’être comme Catilina, cujus rei libet simulator, qu’on appellera, si on veut, le talent d’être grand comedien. Ceux des anglois qui sont le mieux informez de l’histoire de leur païs, ne parlent pas d’Olivier Cromwel avec la même admiration que le commun de la nation ; ils lui refusent ce genie étendu, penetrant et superieur que lui donnent bien des gens, et ils lui accordent pour tout merite la valeur du simple soldat et le talent d’avoir sçu paroître penetré des sentimens qu’il vouloit feindre, et aussi ému des passions qu’il vouloit inspirer aux autres, que s’il les avoit senties veritablement.

148. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier après les funérailles »

Nous-même, nous n’avions pas attendu le jour fatal pour essayer de caractériser cette veine si abondante et si vive, cet esprit si souple et si coloré, ce merveilleux talent de nature et de fantaisie191. […] Non, il peut y avoir dans le rôle que je viens de tracer beaucoup de talent littéraire sans doute, mais l’esprit même, l’inspiration qui caractérisent cette nature particulière n’y est pas. […] Cet intérêt qui manquait d’abord au sujet, le talent le lui imprime, et il le crée pour ceux qui viennent après lui. […] Plus sa destinée continua depuis ce premier moment de s’établir et de se consolider, plus aussi son talent gagna en vigueur, en louable et libre emploi. […] C’est un honneur de ce pays-ci et de cette France, on l’a remarqué, que l’esprit, à lui seul, y tienne tant de place, que, dès qu’il y a eu sur un talent ce rayon du ciel, la grâce et le charme, il soit finalement compris, apprécié, aimé, et qu’on sente si vite ce qu’on va perdre en le perdant.

149. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Joseph de Maistre »

Ces nouvelles lettres, qui vont de 1811 à 1817, ne sont point, du reste, une découverte dans le talent de Joseph de Maistre. Elles contiennent l’idée qu’on a de ce talent, mais elles ne la modifient pas. […] Il ne se fit point devant le public ; il n’eut ni accroissements ni changements qu’on puisse constater ou suivre, comme beaucoup d’autres esprits, qui se transforment devant nous dans l’action même de leur talent. […] Dès le premier jour, le talent de Joseph de Maistre a été incommutable, même à lui-même ! […] l’homme de la rage sainte, concluant comme saint François de Sales qu’il ne faut pas dire trop de mal même du diable, et ajoutant à son talent à force de vertus, voilà pour nous la grande affaire.

150. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Prévost-Paradol » pp. 155-167

Accepté, non pas seulement par les Débats, mais par l’opinion, sur un pied très flatteur d’écrivain sans avoir jamais été contesté une minute par personne, lorsque le talent le plus robuste et même le génie le sont quelquefois si longtemps par tout le monde, — plus heureux en cela que M.  […] Je ne trouve point cela bon, parce que cette mauvaise humeur ferait grimacer le talent le plus charmant, si on l’avait, et qu’elle doit horriblement fausser le regard de l’écrivain quand il s’agit de le promener avec lucidité sur le temps présent, dont on se croit franchement victime. […] dans une oisiveté désolante, il ne croyait pas à autre chose qu’à ces deux messieurs en sa personne et à leurs talents cachés, qu’il eut fait reluire au soleil de la vie publique si seulement, il y a quelques années, il avait été au Journal des Débats. […] Il fut universitaire, lauréat d’Académie et rédacteur du Journal des Débats… J’ai raconté comme il entra dans ce journal, dont l’incroyable influence survit à tout ce qui fit autrefois le mérite incontesté de sa puissance, et qui vous prend le premier venu et, avec deux lignes de rédaction qu’il lui confie, le sacre comme homme de talent aux yeux des sots traditionnels. […] Par la nature de son talent, Prévost-Paradol est peut-être, de tous les écrivains du Journal des Débats, celui qui convenait le mieux à ce journal et qui a le plus de ce qui s’appelle l’esprit de la maison.

151. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Edgar Poe » pp. 339-351

Il y a plus triste que le talent foudroyé, c’est le talent qui se fourvoie, et qui meurt de s’être fourvoyé. […] Or, comme le talent, ne nous lassons point de le répéter, est toujours moulé par la vie et la réverbère, Edgar Poe, l’isolé, exploita pendant toute la sienne les abominables drames de l’isolement. […] Au milieu des intérêts haletants de ce pays de la matière, Poe, ce Robinson de la poésie, perdu, naufragé dans ce vaste désert d’hommes, rêvait éveillé, tout en délibérant sur la dose d’opium à prendre pour avoir au moins de vrais rêves, d’honnêtes mensonges, une supportable irréalité ; et toute l’énergie de son talent, comme sa vie, s’absorba dans une analyse enragée, et qu’il recommençait toujours, des tortures de sa solitude. […] Tel est le double caractère du talent, de l’homme et de l’œuvre que la traduction française, qui est très-bien faite, nous a mis à même de juger : la peur et ses transes, la curiosité et ses soifs, la peur et la curiosité du surnaturel dont on doute, et, pour l’expliquer, toutes les folies d’une époque et d’un pays matérialiste qui effraye autant qu’il attire. […] Il y aurait quelque chose de plus à faire que ses Contes, ce serait sa propre analyse, mais pour cela, il faudrait son genre de talent… Quand on résume cette curieuse et excentrique individualité littéraire, ce fantastique, en ronde bosse, de la réalité cruelle, près duquel Hoffmann n’est que la silhouette vague de la fumée d’une pipe sur un mur de tabagie, il est évident qu’Edgar Poe a le spleen dans des proportions désespérées, et qu’il en décrit férocement les phases, la montre à la main, dans des romans qui sont son histoire.

152. (1914) Enquête : Les prix littéraires (Les Marges)

Pour tant de jeunes, il n’y a pas de maîtres, ni de talents : rien que des « voix » à ménager, — des « voix politiques » ! […] Vous voulez dire, sans doute, aux jeunes écrivains de talent ? Ce qu’il faudrait inventer, je pense, c’est une « machine à découvrir le talent ». […] S’il n’a ni génie, ni talent, alors qu’il se fasse sénateur… ou journaliste. […] Je ne songe nullement à nier le talent, le génie de l’auteur élu.

153. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Conclusion »

Le second a rendu sa pensée visible par un talent non moins nouveau dans l’histoire de notre poésie. […] Le fond de son talent est la raison. […] Aussi ne donne-t-elle pas de rangs ; elle se plaît aux talents aussi divers que les visages. […] Elle a attiré à elle et gardé pour elle des talents qui avaient donné des gages éclatants à la poésie, au théâtre, au roman. […] Entre ce producteur effréné et le romancier le plus ménager de son talent, Prosper Mérimée, le contraste est complet.

154. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VII. Du style des écrivains et de celui des magistrats » pp. 543-562

Rien n’est plus contraire au véritable talent d’un grand écrivain. […] Le talent d’écrire peut devenir l’une des puissances d’un état libre. […] Si l’homme du plus grand talent, comme orateur, était accusé devant un tribunal, il serait impossible de ne pas juger, à sa manière de se défendre, s’il est innocent ou coupable. […] Il n’existe pas un auteur de quelque talent qui n’ait fait admettre une tournure ou une expression nouvelle ; et le temps a consacré les hardiesses du génie. […] L’âme, en se pénétrant des sentiments nobles et des pensées élevées, éprouve une sorte de fièvre qui lui donne des forces nouvelles pour le talent et la vertu.

155. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Monselet »

Nous le croyons et nous le désirons tout à la fois ; car, si nous avons des vérités cruelles à dire sur ses livres, la réserve en faveur de son talent sera maintenue et nous n’en blâmerons que les procédés et l’emploi. […] Il faut bien le dire, pour expliquer le peu de poésies qui surnagent sur la grande quantité de vers écrits par des plumes d’un talent à faire illusion, la poésie, en dehors des procédés matériels du rhythme, c’est la force de l’individualité rompant subitement la chaîne des traditions et le fil délié des réminiscences. […] Pourquoi faut-il qu’il y soit chargé, accablé de choses qui, eu elles-mêmes, ont, si l’on veut, leur petit intérêt de curiosité et de bric-à-brac, mais qui offusquent le talent que Monselet pourrait montrer sans elles ? […] C’est bien assez que d’avoir à raconter les désordres du Génie, quand il commet des fautes et qu’il est désordonné, sans, de plus, se charger de dire les vices et les excès d’un homme de talent qui abusa de ses facultés, et dont le talent même ressemblait à la rage d’une maladie de débauche. A part encore la moralité, qui tient pourtant plus à l’intelligence que ne le croient des penseurs vulgaires, il faudrait que, dans un intérêt d’un autre ordre, Charles Monselet s’essuyât des marques laissées sur lui et sur la naïveté de son talent par ce siècle dans lequel il a cherché ses modèles, et avec lequel il a trop intimement vécu.

156. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 44-63

Mais il y a un peu de silence autour de lui, et ce silence est favorable à l’étude que je désire faire de ses œuvres et de son talent. […] j’ai un si grand faible pour le talent qu’il n’est pas jusqu’à ce diable de Veuillot à qui je ne pourrais m’empêcher, je crois bien, de donner ma voix s’il se présentait. » Voilà le vrai littérateur, libre d’esprit, comme je voudrais être. […] Autrement, vous vous exposez à ce qu’on vous accuse, comme on l’a fait, d’être encore moins un cœur et un esprit qui se soucie de la vérité, qu’un tempérament quise satisfait, un talent puissant et à jeun qui cherchepartout sa pâture. […] Il y a bien du talent, dans la première moitié surtout, car l’action se gâte en avançant. […] Veuillot a été un journaliste du plus grand talent, et c’est ce qui nous attire.

157. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Alfred de Vigny. »

Cependant des éléments nouveaux, et qu’on n’aurait guère prévus, s’étaient introduits dans sa vie et dans son talent. […] Le danger est trop grand, en voulant favoriser le talent, de fomenter et d’exciter du même coup la médiocrité ou la sottise. […] Molé, en face d’un talent élevé, mais amoureux d’illusions et sujet aux chimères. […] J’ai si souvent entendu faire l’éloge de votre âme, que je vous ai trouvé aussi célèbre par vos sentiments que par vos talents. […] Leurs goûts, leurs talents s’accordaient si bien !

158. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — II. (Fin.) » pp. 198-216

Bossuet n’est pas de ces talents ingénieux qui ont l’art de traiter excellemment des sujets médiocres et d’y introduire des ressources étrangères ; mais que le sujet qui s’offre à lui soit vaste, relevé, majestueux, le voilà à son aise, et plus la matière est haute, plus il va se sentir à son niveau et dans sa région. […] Bossuet est un talent antérieur d’origine et de formation à Louis XIV, mais pour son achèvement et sa perfection il dut beaucoup à ce jeune roi. […] Distingué par la reine Anne d’Autriche, devenu vers la fin son prédicateur de prédilection, Bossuet avait d’abord dans le talent quelque luxe d’esprit, quelques-unes de ces subtilités abondantes et ingénieuses qui tenaient au goût du jour. […] Cousin ne se soit jamais posé une seule fois cette question : « Qu’aurait gagné, qu’aurait perdu mon propre talent, ce talent que l’on compare tous les jours à celui des écrivains du Grand Siècle, qu’aurait-il gagné ou perdu, cet admirable talent (J’oublie que c’est lui qui parle), si j’avais eu à écrire ou à discourir, ne fût-ce que quelques années, en vue même de Louis XIV, c’est-à-dire de ce bon sens royal calme, sobre et auguste ? […] … Éternelle poétique, principe, entretien et règle supérieure des vrais talents, vous voilà établie en passant dans un sermon de Bossuet, au moment même où Despréaux essayait de vous retrouver de son côté dans ses Satires.

159. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite.) »

Il n’était pas de ces talents qui redoutent si fort la polygamie. […] Au sein de cette infinie variété des talents, pour les embrasser et les critiquer, la première condition est de les comprendre, et, pour cela, de s’effacer, ou même de se. contrarier et de se combattre. […] Son talent découvrit du premier coup d’œil un ample champ de tableaux et trouva à s’y épanouir en pleine jouissance et félicité. […] Son talent semble créé tout exprès pour décrire les lieux, les cités, les monuments, les tableaux, les ciels divers et les paysages. […] Je ne sais pas étrangler en deux ou trois tours de phrases convenues à l’avance un homme de talent qui écrit depuis plus de trente ans.

160. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Fervaques et Bachaumont(1) » pp. 219-245

Deux masques de cristal mis par deux jeunes gens d’esprit et de talent, comme s’ils composaient des poisons. […] Leur manière et leur talent ressemblent à cette « verge couverte d’yeux » à laquelle Amelot de la Houssaye comparait la République de Venise. […] Le grand talent ressemble à Dieu. […] Il avait envoyé promener le berger de Watteau et sa flûte traversière, et il avait extrêmement aiguisé et acéré son talent sur la pierre à rasoir de Voltaire et de Beaumarchais. […] Notre pauvre société n’est plus qu’une décavée, et, par ce côté-là, ce titre de décavé pourrait signifier quelque chose… Mais l’auteur, du moins en talent, n’est pas un décavé.

161. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Michelet »

Dangereux : Il le serait non seulement par le fond des choses, mais encore par le talent de l’auteur, d’autant plus troublant qu’il est plus troublé. […] Vous le croyez fatigué, défaillant et près de s’éteindre, c’est le talent, que je sache, le plus prestement rallumé ! […] Or, si déjà, dans les choses qu’il sait (comme l’histoire), Michelet n’est pas un esprit sûr à qui l’on puisse se fier, par le fait même de la tournure de son talent hardi, léger, prévenu, fantaisiste enfin, nous demandons ce qu’il doit être quand il ne sait pas. […] Il continuera d’être ce qu’il a toujours été, — un talent d’imagination qui se surexcite jusqu’à la folie, et non pas jusqu’à celle qui épouvante. […] Reconnu presque comme un artiste de génie, dans un pays où le talent, à tort ou à raison, rend imposants ceux qui prêtent le plus au sourire, Michelet a, surtout en ces derniers temps, fidèlement porté à sa boutonnière une fleur de gaieté qu’y plaçaient les autres et qui fleurissait d’un peu de ridicule son talent.

162. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « GRESSET (Essai biographique sur sa Vie et ses Ouvrages, par M. de Cayrol.) » pp. 79-103

y a-t-il lieu surtout de réformer à quelques égards le jugement établi sur son talent ? […] en parurent coup sur coup, et divulguèrent un talent nouveau du côté où l’on s’y attendait le moins. […] Tout le talent de ce garçon est tourné du côté du libertinage et de ce qu’il y a de plus licencieux, et on ne corrige point de pareils génies. […] Combien de poëtes sont ainsi, et eurent le talent plus distingué que l’intelligence ! […] C’est assez insister sur ces problèmes, un peu humiliants au fond pour l’esprit humain et pour le talent.

163. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 4, objection contre la proposition précedente, et réponse à l’objection » pp. 35-43

Cette contrainte pénible dès l’enfance, lui devient insupportable à mesure que l’âge lui fait encore mieux sentir, et son talent et sa misere. […] Enfin ce ne sont pas les lettres qu’on enseigne à un homme qui le rendent poëte : c’est le génie poëtique, que la nature lui donna en naissant, qui les lui fait apprendre, en le forçant de chercher les moïens d’acquerir les connoissances propres à perfectionner son talent. L’enfant né avec le génie qui fait les peintres, craïonne avec du charbon, dès l’âge de dix ans, les saints qu’il voit dans son église : vingt années se passeront-elles avant qu’il trouve une occasion de cultiver son talent ? Ce talent ne frappera-t-il personne, qui le menera dans une ville voisine, où, sous le maître le plus grossier, il se rendra digne de l’attention d’un plus habile, qu’il ira bien-tôt chercher de province en province ? […] Telle fut la destinée du Correge, qui se trouva être un grand peintre avant que le monde eut entendu dire qu’il y avoit dans le bourg de Corregio un jeune homme d’une grande esperance, et qui montroit un talent nouveau dans son art.

164. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Avellaneda »

Eh bien, voici un traducteur qui a réussi dans son œuvre et qui n’est pas le moins du monde, en matière de talent, le serviteur de l’homme qu’il a traduit, quoiqu’il lui ait rendu un fier service en le traduisant. […] Or, pour ceux que la destinée des livres fait rêver, il est curieux de voir la bienfaisance aveugle du hasard s’étendre de l’œuvre originale à l’œuvre imitée, et le pastiche trouver son traducteur de grand talent, comme le chef-d’œuvre avait trouvé le sien. — Incontestablement, M.  […] Si Junius, ce masque de fer épistolaire de la littérature anglaise, cet impatientant inconnu, qui avait pour devise les mots latins : Nominis umbra, n’était pas un magnifique écrivain politique ; si, par le talent à la changeante physionomie, il n’avait pas désespéré l’hypothèse, et fait dire tour à tour : « Serait-ce Burke ? […] c’est le talent de ses lettres que nous lisons qui a éternisé l’énigme et rendu, pour la deviner, la postérité infatigable. […] Et, nous le répétons, avec tout son talent, tout son effort, toutes ses ressources, M. 

165. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XX. M. de Montalembert »

Ils le sont de talent, de goût et même de prétention, je crois. […] » s’écrie-t-il, et ce qui accourt, ce n’est pas le talent et le talent d’un historien à coup sûr. […] Ledru-Rollin, avec leur part de talent et d’influence, ceux-là ont besoin de la verve ou de la force dans les idées communes : or, du temps que M. de Montalembert parlait au lieu d’écrire, il les avait. […] Seulement, on n’improvise pas avec cela du soir pour le matin un talent réel de littérature ou d’histoire ? […] Le seul talent que j’y reconnaisse, c’est ce talent sonore et épais de l’orateur qui n’a ni les finesses, ni les nuances, ni les mille fortunes savantes de l’art d’écrire.

166. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Mme de Girardin. Œuvres complètes, — Les Poésies. »

Selon nous, Mme de Girardin, dans ces lettres charmantes, est beaucoup plus femme d’esprit qu’elle n’avait été poète du temps de Mlle Delphine Gay ; mais être femme d’esprit, c’est plus et c’est moins que d’avoir du talent, et nous n’avons à juger aujourd’hui que le talent de Mme de Girardin et ses poésies. Les amis de son salon, qui, dans ce temps-là, il faut bien le dire, étaient les premiers esprits de France, se crurent obligés à faire du génie de ce talent — très relatif — et ils n’y manquèrent point ! […] Mais moi, par exemple, qui n’ai point de reconnaissance à garder envers la mémoire de Mme de Girardin, moi qui n’ai pas été reçu chez elle et qui n’ai pas bu dans les verres à champagne de ses soupers cette décoction de lotus qui fait oublier la Critique, j’oserai très bien écrire qu’en somme Mme de Girardin, cette Philaminte, mais sans le bourgeois, le cuistre et le grammatical de la Philaminte de Molière, Mme de Girardin, l’auteur des Deux amours, du Lorgnon, de La Canne de M. de Balzac, et dont les deux meilleures chosettes, La Joie fait peur et Le Chapeau d’un horloger, sont des comédies de paravent, ne fut guère qu’un talent de salon qui ne s’élevait pas beaucoup plus haut que les corniches. […] Quand elles se croient des Muses de la patrie et qu’au lieu de sonner, pour les faire sourire, dans les trompettes de leurs petits, elles veulent sonner dans le clairon d’airain des Renommées, les femmes font une besogne aussi en harmonie avec leur organisation vraie que les belles et pauvres créatures qui, sur les routes de l’Albanie, cassent des pierres pour raccorder le chemin… Malgré le succès qu’on lui fit, le talent ne se montre pas dans cette partie des œuvres de Mme Delphine Gay, ce talent qu’elle a, sans effort, dans beaucoup de fragments de ses poèmes et dans une partie de ses poésies, la partie, par exemple, qui est datée de 1828 et qui remonte au-delà. […] S’il y a du singe dans la plus jolie femme, a dit un moraliste amer, il y en a peut-être aussi dans la femme du talent le plus sincère.

167. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « La Fontaine »

C’est la seule popularité qui ne soit ni une bêtise ni un mensonge, car les grands talents littéraires ne sont pas populaires, et dont le génie puisse être fier, parce qu’elle est en équation avec sa propre étendue. […] Il a laissé des Contes et des Poésies de toute sorte, marqués de ce talent inouï qu’on n’a vu qu’une fois parmi les hommes. […] Son travail sur les Fables de La Fontaine fut l’aurore d’un talent qui n’a pas eu, malheureusement, le midi que promettait son aurore. […] Tel est, selon moi, le plus grand mérite, — la plus grande originalité d’un homme qui en avait plusieurs à son service, quand une seule suffît bien souvent au talent ou même au génie ! […] Oudry est certainement, pour interpréter La Fontaine, un talent préférable à Grandville, caricaturiste ingénieux, mais qui met de la caricature là où il y avait du caractère.

168. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules Sandeau » pp. 77-90

Sandeau étant, de talent et pour les quantités, spontanément homœopathe. Son talent est réel, assurément, mais dans des proportions étroites. Ce talent a toujours ce degré de tempéré et de tempérance qui l’empêche d’être un danger pour personne, et surtout pour celui qui l’a, car le talent est dangereux, et l’on en devrait dégoûter les enfants, si l’éducation était mieux faite. […] Jules Sandeau, dont on parle beaucoup, et à laquelle les œuvres immorales des romanciers contemporains ont fait un repoussoir superbe, sa moralité n’a pas plus de caractère et de vigueur que son talent. […] Il y a d’agréables talents qui ne durent pas plus que la jeunesse, et qui périssent là où d’autres seraient devenus mûrs.

169. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Malot et M. Erckmann-Chatrian » pp. 253-266

Fané par tant d’imaginations plus ou moins puissantes ou vulgaires, qui y touchent comme si, de talent, elles en avaient le droit, ce ne sera pas trop que du génie, — et beaucoup de génie, — pour raviver cette forme déjà usée et flétrie, sur laquelle des talents sans mâle invention et sans fécondité viennent passer leurs petites ardeurs. […] Aujourd’hui, voici deux jeunes hommes (nous les croyons jeunes à leurs œuvres) qui, ne manquant pas d’un certain talent pourtant, débutent par des imitations et peut-être par des réminiscences. […] Erckmann-Chatrian, nous donne un mélange bien sage d’Edgar Poe et d’Hoffmann, précipité dans une espèce d’eau blanche, qui est son genre de talent, à lui ; et l’autre, M.  […] Le sujet accepté ou subi, car le talent, cette vibration, c’est parfois la vibration d’un horrible coup qui nous fut porté, le sujet accepté ou subi, l’auteur a-t-il au moins varié le sujet tombé dans sa tête, qui n’a pensé que sous le coup qui l’a frappée ? […] Quand Chateaubriand, à son début, imitait Rousseau, il était plus déclamatoire, plus faux que lui, plus ardemment morbide ; il élevait les défauts de Rousseau à leur plus haute puissance, mais c’était sur ces défauts exagérés et rejetés plus tard qu’il devait monter jusqu’à la hauteur de son propre talent, à lui-même.

170. (1868) Rapport sur le progrès des lettres pp. 1-184

On découvre toujours, avec un peu de patience, le coin de talent. […] Un éditeur, qui est lui-même un romancier de talent, M.  […] Ces six ou cinq couplets résument son âme et sa vie, sa poétique et son talent. […] C’est le plus bel éloge qu’on puisse faire de son caractère et de son talent. […] Son talent allait changer de sexe.

171. (1887) Essais sur l’école romantique

D’innover avec talent. […] Tout grandit à parler des grands hommes : l’esprit monte jusqu’au talent, le talent jusqu’au génie, le génie jusqu’à eux. […] Quels talents ne nous a pas gâtés la littérature facile ? […] Outre son précieux talent, dont j’ai blâmé vivement l’emploi, M.  […] Avec les mêmes facultés, avec la même portée d’esprit, ils auraient eu, dans d’autres temps, et plus de talent et du talent de meilleur aloi.

172. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre III. La critique et l’histoire. Macaulay. »

Son talent. —  Son goût pour la démonstration. —  Son goût pour les développements. […] Caractères anglais de son talent. —  Sa rudesse. —  Sa plaisanterie. —  Sa poésie. […] Ce talent de démontrer est accru par le talent de développer. […] D’autres parties de ce talent sont plus particulièrement anglaises. […] L’espèce de patriotisme et de poésie qu’elle révèle est le résumé du talent de Macaulay ; et le talent, comme le tableau, est tout anglais.

173. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Edmond et Jules de Goncourt »

… Les de Goncourt, ces aristocrates par le talent comme par le berceau, ne peuvent pas être des impies. […] Mais un écrivain de talent peut venir — ajoute M. de Goncourt — qui appliquera à la société d’en haut cette « analyse cruelle que M.  […] C’était, on doit en convenir, pour ceux qui n’accordent pas de divination au talent ni de seconde vue au génie, d’une incontestable difficulté. […] Ce qui aurait tenté un grand et robuste talent, c’eût été le type absolu de la comédienne, descendue des hauteurs du type dans une puissante et concrète personnalité. […] avec tout son talent qu’il l’a payée.

174. (1856) Cours familier de littérature. I « Digression » pp. 98-160

La Restauration était la température où fleurissaient les talents naissants. […] De temps en temps elle avait des retours de nature contre le pli trop artificiel que la société donnait à son talent. […] XXX Cet asile, qu’elle s’était réservé dans son talent poétique, profitait tous les jours davantage à ce talent. […] Elle quittait tout pour causer, avec une liberté et une promptitude d’esprit qui faisaient de sa conversation le plus délicieux de ses talents. […] Ces royautés d’esprit, cachées sous les plus humbles costumes, semblaient, devant cette mourante, oublier leurs talents et ne sentir que leur âme.

175. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur de Latouche. » pp. 474-502

C’était une souffrance de voir un si fin esprit si mal servi par son talent, et il était le premier à en souffrir. […] Il lui manquait dans le talent le ramis felicibus arbos de Virgile, cette facilité du talent qui en est la félicité. […] je ne vois rien de mieux (littérairement parlant), si le talent, encore une fois, se met hautement de la partie et vous sert. […] Son talent, même quand il fait de l’épigramme, ne va qu’une lanterne sourde à la main. […] Ici tout était concerté, combiné, calculé et distillé, en un mot l’opposé du talent comique.

176. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chateaubriand homme d’État et politique. » pp. 539-564

Nous sommes trop sensibles à la gloire pour ne pas admirer ce lord Wellington, qui retrace d’une manière si frappante les vertus et les talents de notre Turenne. […] L’irritation de se voir évincé du pouvoir au moment où il avait cru le tenir, le poussa à partager et à exciter de son talent tous les excès de réaction que réclamait la Chambre de 1815. […] La France pourra les rappeler, quand leurs talents, lassés d’être inutiles, seront sincèrement convertis à la religion et à la légitimité. […] M. de Chateaubriand ne différait plus désormais des écrivains du parti libéral que par quelques phrases de pure courtoisie royaliste jetées çà et là, par quelques restes de panache blanc agités à la rencontre, et par l’éclat éblouissant du talent. […] Mais… Et c’est précisément ce qu’il faisait ; il se vengeait, non comme un homme d’État, mais comme un homme de talent blessé, et il forçait ses adversaires à se repentir.

177. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DE LA LITTÉRATURE INDUSTRIELLE. » pp. 444-471

L’imagination n’était guère encore en éveil que chez les talents d’élite. […] Combinée avec les passions et les croyances d’un chacun, avec le talent naturel, la pauvreté a engendré sa part, même des plus nobles œvres, et de celles qui ont l’air le plus désintéressées. […] Bernardin de Saint-Pierre offrit l’un des premiers le triste spectacle d’un talent élevé, idéal et poétique, en chicane avec les libraires. […] Cependant de grands et hauts talents, obsédés ou aveuglés, cèdent au torrent et y poussent, imitent et encouragent les déportements dont ils croient pouvoir toujours se tirer eux-mêmes sans déshonneur. […] Le courage d’esprit est ce qui a toujours manqué le plus essentiellement à cet homme de tant de talent et de faiblesse, M.

178. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « L’abbé Maury. Essai sur l’éloquence de la chaire. (Collection Lefèvre.) » pp. 263-286

L’abbé Maury, à cette date, n’avait que vingt-cinq ans et non point quarante, comme le suppose La Harpe, qui veut faire de Maury un talent tout d’effort et de labeur. […] Mais bientôt il s’aguerrit, s’anima et même s’égaya à la lutte, et son tempérament, sa personne tout entière comme son talent proprement dit, se trouva en plein dans son élément. […] Revenons à ses talents. […] Presque tout ce talent, en effet, qu’il déploya dans cette seconde et brillante partie de sa carrière, toute cette verve, cette belle humeur provocatrice, ont péri. […] C’était, s’il est permis de le dire, un esprit et surtout un talent supérieur dans une nature grossière.

179. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIV. »

quel réveil de grands talents ! […] Entre ces noms célèbres, un seul nous paraît, plus que Monti, représenter la gloire poétique de l’Italie, et avoir donné par la noblesse de l’âme une vérité durable à l’éclat du talent. […] Plût au ciel seulement qu’elle eût brillé sur une de ces époques de droit durable et de liberté garantie, où la dignité du caractère, la puissance du talent, n’ont qu’à persister, à travers des obstacles prévus, dans une voie laborieuse, mais régulière et sans précipices ! […] Des talents qui s’ignoraient dans l’oisiveté d’une vie stagnante furent saisis d’une ardeur inattendue. […] Elle y trouvait, pour panégyriste et pour interprète de ce patriotisme espagnol qui mesure tant de degrés, depuis Mexico jusqu’à Cadix, un autre talent lyrique également né sous le ciel de Cuba, mais européen par le séjour autant que par l’étude.

180. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « La Mare au diable, La Petite Fadette, François le Champi, par George Sand. (1846-1850.) » pp. 351-370

Avec un talent du premier ordre et tel qu’on n’en trouverait pas de supérieur en notre littérature dès l’origine, elle semble craindre que ce talent, dans son activité et dans sa puissance, ne manque de sujet, ne manque de pâture. […] J’avais à dire ceci pour l’acquit de ma conscience ; c’est le côté faible et le travers d’un grand talent. […] Loin de moi l’idée de prétendre circonscrire désormais dans le cercle pastoral un talent si riche, si divers et si impétueux ! […] Je dirai du talent vrai, comme on l’a dit de l’amour, que c’est un grand recommenceur. […] Enfin, chacun aura ses préférences, mais il ne faut rien interdire en fait d’art à un talent qui est en plein cours, en plein torrent.

181. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. » pp. 432-452

Ainsi un autre talent supérieur a évité mon nom dans un ouvrage sur la littérature. Grâce à Dieu, m’estimant à ma juste valeur, je n’ai jamais prétendu à l’empire… Ce talent supérieur, c’est Mme de Staël qui se trouve traduite ici comme coupable (le croirait-on ?) […] Cette lèpre de vanité traverse en tous sens ces Mémoires, et vient gâter et compromettre les parties élevées et nobles du talent. […] on est tenté ici, même en admirant les traits de talent, de s’écrier : « Mais cela n’est pas possible ainsi !  […] Notez, encore une fois, que l’écrivain dont on vient de lire le jugement est un des plus puissants en talent et des plus célèbres de nos jours23.

182. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Millevoye »

Ce rôle de précurseur, en relevant par la précocité ce que le talent peut avoir eu de hasardeux ou d’incomplet, offre toujours, dans l’histoire littéraire, quelque chose qui attache. […] Chez lui, l’accord est parfait entre le moment de la venue, le talent et la vie. […] Talent naturel et vrai, mais trop docile, il ne s’est pas assez connu lui-même, et a sans cesse accordé aux conseils une grande part dans ses choix. […] Les poëtes particulièrement (notons ceci) sont très-sujets à rencontrer d’honnêtes personnes, d’ailleurs instruites et sensées, mais qui ne semblent occupées que de les détourner de leur vrai talent. […] Il n’attachait point à ses élégies le même prix, je l’ai dit déjà, qu’à ses autres ouvrages académiques, et ce n’est que vers la fin qu’il parut comprendre que c’était là son principal talent.

183. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Maurice Rollinat »

Il s’était trop fié, lui, Rollinat, à la première impression causée par le plus inattendu des talents, et il fallait d’autant moins s’y fier que c’était la bonne. […] Talent à triple face, M.  […] On a été injuste et ingrat envers un talent qui avait donné un plaisir de la plus étonnante électricité, et on est allé dans l’ingratitude jusqu’à nier au poète sa sincérité. […] Ceux qui avaient applaudi avec le plus d’enthousiasme l’étrange poète à trois voix, ont mieux aimé se déclarer dupes d’un faux artiste que de reconnaître la force réelle d’un talent vrai. […] Le démoniaque dans le talent, voilà ce qu’est M. 

184. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VIII. De l’éloquence » pp. 563-585

L’émulation développe des talents, qui seraient demeurés inconnus, dans les états où l’on ne pourrait offrir à une âme fière aucun but qui fut digne d’elle. […] Ménager les convenances morales, c’est respecter les talents, les services et les vertus ; c’est honorer dans chaque homme les droits que sa vie lui donne à l’estime publique. […] Quel talent pouvait s’élever à travers tant de mots absurdes, insignifiants, exagérés ou faux, ampoulés ou grossiers ? […] Ce que les anciens appelaient l’esprit divin, c’était sans doute la conscience de la vertu dans l’âme du juste, la puissance de la vérité réunie à l’éloquence du talent. […] D’autres prétendront que le talent oratoire est nuisible au repos, à la liberté même d’un pays.

185. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Œuvres littéraires de M. Villemain (« Collection Didier », 10 vol.), Œuvres littéraires de M. Cousin (3 vol.) » pp. 108-120

Sans perdre de ses grâces d’autrefois, son talent a gagné une teinte de mélancolie qu’il ne connaissait pas auparavant et qui le rehausse. On croit sentir dans ces pages toutes sérieuses, tout étendues, et où nulle trace d’inquiétude littéraire ne se fait jour, ce je ne sais quoi d’achevé que donne au talent la connaissance du mal caché et l’épreuve même de la douleur. […] L’art de louer, on la remarqué, est une des plus rares épreuves du talent littéraire, un signe bien plus sûr et plus délicat que ne le serait tout l’art de la satire. […] Tel est le talent et l’art de M.  […] Le danger serait, si l’on y abondait sans réserve, de trop dispenser le critique de vues et d’idées, et surtout de talent.

186. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Émile de Girardin » pp. 45-61

Journaliste, Μ. de Girardin peut avoir du talent, mais il n’est pas aisé d’en changer la nature : c’est un talent de journaliste. […] La cause de l’argent étant donnée et puisqu’il s’agissait de la plaider sous forme de comédie, on pouvait y mettre du talent. […] c’est un triste spectacle, mais c’en est un qui même n’est pas rare, que du talent, que beaucoup de talent au service de l’absurde et du faux. […] Beaumarchais n’était pas dans le vrai social quand il écrivait son Mariage de Figaro ; mais Beaumarchais avait du talent, et Μ. de Girardin n’a pas même d’esprit, du moins dans sa pièce. […] On verra mieux à la scène qu’à la lecture l’inanité de cette comédie, que le talent des meilleurs acteurs du monde ne saurait vivifier.

187. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Auguste Vacquerie » pp. 73-89

faiseurs de talents ! […] Il se permet d’avoir plus de talent et même plus d’absurdité que son modèle. Mais qu’est-ce que le talent, bon Dieu ! […] qu’est-ce que le talent, au milieu de tout ce qui le fausse et le dégrade ? le talent qui, en définitive, n’est quelque chose que par les nobles objets auxquels on l’applique et les bons emplois qu’on en fait !

188. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Lamennais »

Nous avons tous été plus ou moins dupes de ce talent de Lamennais, trop grand pour ne pas nous faire illusion ; car, ne nous y trompons pas ! tout grand talent est un prestige. […] Quoiqu’il ne fût pas moine, il comprenait profondément ce bonheur silencieux et monacal de la claire et tranquille cellule où l’on reste seul, « avec un petit livre, dans un petit coin », et tant qu’il le put, et eut égard aux nécessités que lui avaient créées son genre de talent et sa renommée, il réalisa toujours cette vie méditative et solitaire. […] Forgues, ont cité des passages de la plus merveilleuse éloquence, il est vrai, mais qui étaient dans la donnée du talent connu et presque public de l’homme qui a écrit l’Essai en matière d’indifférence, les Paroles d’un croyant, la Révolution et l’Église, etc. ; ces passages, magnifiques comme expression, n’apprenaient rien de nouveau, ne modifiaient rien de ce qu’on sait sur la manière de Lamennais, et n’avaient le droit d’étonner personne. […] On y verra, du moins, qu’il n’était pas, comme homme, le violent d’âme et de passion égoïste comme on l’avait fait, et que, comme talent, il n’était pas non plus uniquement le violent de couleurs, de mouvement et d’idées, dans lequel on a vu trop exclusivement son génie.

189. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVIII. Lacordaire »

Le talent qu’elle aurait reconnu, en l’admettant dans son sein, était, il est vrai, un talent oratoire, mais l’Académie, qui donne des prix d’éloquence, ne répugne pas aux orateurs, quoi que le but de son institution ne soit pas le développement de l’art oratoire, mais bien de la littérature. […] Lacordaire, un grand talent parfois si lumineux ! […] Talent vibrant, moins pur cependant que sonore, négligé, mais élégant, frêle et pâle, puis tout à coup nerveux et brillant, ayant l’audace d’un paradoxe et la mollesse d’une concession, le P.  […] tant de talent, tant de doctrine, et probablement tant de vertus ! […] mais le prêtre, qui s’est oublié, a été vengé par l’artiste qui n’a pas paru, car au : fond rien du talent d’autrefois du R. 

190. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Edmond About » pp. 91-105

mais, à coup sûr, ce ne sera pas ce qu’un homme de talent consciencieux, profond et sévère, deviendrait jamais. […] pour donner à ce temps autre chose que des globules homœopathiques de talent, puisqu’il ne lui faut plus que cela ! […] About, leur première condition est d’être taillés sur la durée moyenne d’un voyage, et cette condition impérieuse étranglerait net le talent le plus vigoureux. […] About, si différent, par le talent, de M.  […] Tête de linotte littéraire, qui avait peut-être du talent, si elle avait eu quelque poids !

191. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules De La Madenène » pp. 173-187

Les idiotismes les plus charmants, ces locutions de terroir si difficiles à traduire dans leur grâce native il les transporte dans la langue qu’il écrit et il l’en parfume, et c’est ainsi qu’il ajoute à l’individualité de son talent et de son langage l’individualité de son pays. […] Le caractère du talent de M. de La Madelène est une grande douceur dans une grande lumière : mais ne vous y méprenez pas ! […] La douceur de M. de La Madelène n’a rien de béat, ni d’optimiste, ni de sympathique à côté, ni de dupe, comme bien des talents qui n’en sont pas plus doux pour cela ; et sa lumière est faite d’une chaleur et d’une flamme, dont les rayons peuvent se velouter en passant par le milieu de sa pensée, mais n’y perdent pas de leur pénétrante intensité ! […] un type de contradiction presque géniale et d’adorable bonté cachée, M. de La Madelène n’est qu’à moitié de son talent, et la plus belle moitié de ce talent, la voici. […] Nous le disons en finissant : là est la force indiscutable et absolue du talent de M. de La Madelène.

192. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Arthur de Gravillon »

— il y a un talent. Il y est, le talent, mais il est distingué, et c’est là l’enclouure. Être distingué, dans ce temps, c’est un inconvénient… Quand l’envie de l’égalité abaisse les lettres vers le commun où tout le monde peut se rencontrer, quand Victor Hugo lui-même, pour être populaire, aplatit son talent qu’il aurait dû respecter, s’aviser de montrer dans le sien de la distinction est un début bien imprudent pour un jeune homme. […] Voilà donc, de compte fait, ce que la distinction du talent a jusqu’ici rapporté à Arthur de Gravillon. […] Fermons ici le bilan de ce jeune homme qui n’a imité qu’un seul jour, et puis qui, tout de suite, a été lui-même, d’une humour à lui, d’une poésie à lui, d’une langue à lui, et dont l’écueil, je l’ai dit, pour son succès immédiat et sa gloire, est la distinction même de son talent.

193. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Rome et la Judée »

mais il en est à l’Augustule pour le talent. […] Personne plus que nous, quand les Césars furent réédités, ne dit plus de bien et un bien plus vrai de ce talent gracieux dans la force qui nous avait reproduit chastement ce fragment impur d’histoire romaine, que Suétone avait déjà peint comme un trumeau d’Herculanum ! L’antiquaire et l’artiste se combinaient en Champagny dans la mesure heureuse qui est une harmonie, et nous nous disions que, voué à l’histoire, il préciserait encore davantage par l’étude un talent déjà si précis et si net ; car les Césars sont plus peut-être de la numismatique historique que de la peinture. […] Y aurait-il pour le talent des morts subites, des apoplexies foudroyantes, ou n’aurions-nous donc — et même les plus forts !  […] cet homme qui eut, comme écrivain, une énergie si nerveuse et si souple, le coup de griffe gracieux et mortel du jeune tigre des cirques romains, quand il touchait à la Rome corrompue et à ses abominables maîtres, cet écrivain qui s’est nourri toute sa vie de la plus pure moelle de Tacite, n’est plus qu’un talent spirituel encore, mais énervé.

194. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame Sand »

Pour des écrivains perspicaces qui n’ont jamais été éblouis par cette gloire sans proportion avec le talent qui ne l’a pas faite, mais bien le sexe de l’auteur, Madame Sand était jugée déjà un peu à l’envers de sa gloire, et à travers ses œuvres nombreuses on avait pénétré jusqu’à la nature de son esprit et jusqu’au mystère d’une inspiration qui n’a aucun des caractères de l’inspiration du génie. […] On va la voir, dans cette Correspondance, comme elle était dans l’essence même de son être, à la source d’un talent qu’on a pris imbécilement pour du génie et qui n’en était pas. […] Il n’y a pas si petite et chétive lettre d’écrivain de talent où le talent ne roule quelque paillette de son or. […] III Ce n’est guère que vers les trois quarts de ce premier volume d’une Correspondance qui ressemble presque à une trahison de la part de ceux qui la publient, tant elle ravale de toutes manières Madame Sand, comme talent et comme caractère, qu’elle se met à raconter son embarquement sur cette mer orageuse, où, par parenthèse, elle n’a jamais eu, elle, que du beau temps. […] Elle ne se sentait ni n’avait assez de talent pour mourir de faim avec grandeur dans une civilisation mortelle souvent au génie, mais elle en avait assez peu pour que cette civilisation lui fût généreuse… Dès son début comme depuis, Madame Sand n’eut de conception plus haute de la littérature et de sa destinée à elle-même que l’indépendance du bohème et le sac d’écus, l’objectif du bourgeois rangé, qu’il appelle son magot.

195. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Le Conte de l’Isle. Poëmes antiques. »

C’est un masque de talent (je le veux bien), mais un masque qui n’a que deux costumes à son usage, — les acteurs de la pensée sont moins riches que ceux de la scène, — le costume antique et le costume indien. […] III Ainsi, ennuyeux, et cependant plein de talent à sa manière, voilà quel est M. le Conte de L’Isle, et ce n’est pas là un phénomène ! Il est, au contraire, beaucoup plus commun qu’on ne croit, ce singulier bon ménage du talent et de l’ennui, qui habite des œuvres réputées imposantes, et qu’on ne saurait expliquer, le talent, que par le mérite actif de l’homme ; l’ennui, que par le choix de son sujet. […] M. le Conte de L’Isle, avec tout son talent, est la victime de son sujet. […] Quand Midi parut, cette pièce, dans laquelle le poète a sonné ses douze coups comme talent et de même que Midi, ne sonnera pas un coup de plus, on s’en allait, citant ses vers trop connus pour qu’on ait besoin de les citer tous : Midi, roi des Étés, épandu dans la plaine, Tombe en nappes d’argent des hauteurs du ciel bleu.

196. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Deltuf » pp. 203-214

Plus tard, en travaillant et en développant son genre de talent, montera-t-il jusqu’à son ancêtre ? […] Pourquoi, malgré le plus immense talent, Chateaubriand, de solennité, finit-il par être insupportable ? […] IV Cette légèreté, qui est la caractéristique du talent de M.  […] Ce talent qui n’a pas prouvé, avec cinq petites nouvelles, la longueur de son haleine, mais qui nous en a prouvé la pureté, — car M. Deltuf n’imite personne et ne refait pas ce qui a été fait déjà, et mieux que par lui, — ce talent qui est une promesse, mais qui n’est encore qu’une promesse, — justifiera-t-il un jour par de véritables œuvres, et non par quelques très-jolies pages, le bien que nous disons de lui dans le silence dont on l’honore, et que nous voudrions voir répété ?

197. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « SUR ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 497-504

Or, un tel rôle était beau dans des circonstances encore paisibles et au milieu de cette espérance unanime de progrès ; c’était, avec plus de candeur d’âme et avec plus d’efforts aussi et d’artifice de talent, quelque chose du rôle d’Horace introduisant dans la langue latine le génie lyrique de la Grèce et enrichissant le Capitole. […] M. de Vigny avait dans le talent des sympathies étroites avec André Chénier, que son Stello nous a reproduit si poétiquement. […] Les nobles et vigoureux talents s’en sauveront ; les œuvres nombreuses, que leur virile jeunesse promet à l’avenir, se remettront en harmonie avec une époque dont le sens plus diffus et plus immense est aussi plus glorieux à comprendre. De nouveaux talents viendront et s’annoncent déjà, qui se préoccupent grandement des destinées humaines, et en tourmentent éloquemment le mystère. Et puis, comme l’art a mille faces possibles, et qu’aucune n’est à supprimer quand elle correspond à la nature, il y aura toujours lieu à des talents et à des œuvres qui exprimeront des sentiments plus isolés, plus à part des questions flagrantes, et s’inquiéteront, en les exprimant, de la beauté calme et juste, de la perfection de la pensée et de l’excellence étudiée du langage : ce seront ceux de la même famille qu’André.

198. (1875) Premiers lundis. Tome III « Le roi Jérôme »

Il a de l’esprit, du caractère, de la décision et assez de connaissance générale du métier pour pouvoir se servir du talent des autres. » Dans une autre lettre du même jour, Napoléon écrivait à Jérôme lui-même : « Mon frère, je vous envoie une lettre du ministre de la marine ; vous y verrez tout le bien que vous pouvez faire à mes flottes par une bonne conduite. Il ne me manque point de vaisseaux, ni de matelots, ni d’un grand nombre d’officiers de zèle, mais il me manque des chefs qui aient du talent, du caractère et de l’énergie. » Le désir, le besoin de Napoléon eût été de susciter quelque part, dans les rangs trop éclaircis de ses flottes, un grand homme de mer et du premier ordre, qui pût tenir en échec la puissance rivale dans cette moitié flottante de l’empire du monde ; mais un tel génie, à la fois supérieur et spécial, se rencontre quand il plaît à la nature, et ne se suscite pas. L’empereur ne trouvait de ce côté que du zèle, de l’habileté pratique, des talents partiels, des courages invincibles et à l’épreuve même des revers. […] Il lui confia 25,000 hommes de troupes bavaroises et wurtembergeoises, avec lesquelles le prince Jérôme s’empara de la Silésie, et rendit à la grande Armée, alors en Pologne, d’utiles services : « Le prince Jérôme, disait l’empereur dans un de ses bulletins, fait preuve d’une grande activité et montre les talents et la prudence qui ne sont d’ordinaire que les fruits d’une longue expérience. » — Le 14 mars 1807, Napoléon nommait son jeune frère général de division, et le 4 mai il écrivait au roi de Naples, Joseph : « Le prince Jérôme se conduit bien, j’en suis fort content, et je me trompe fort s’il n’y a pas en lui de quoi faire un homme de premier ordre. […] En 1812, Napoléon songea à tirer parti de son zèle, de son dévouement, et à mettre ses talents de chef à l’épreuve, en lui confiant le commandement de toute l’aile droite de la grande Armée qui allait franchir le Niémen.

199. (1856) À travers la critique. Figaro pp. 4-2

« … Mais quand donc, je vous prie, les hommes du talent de M.  […] C’est à ce prix seulement que le talent conquiert influence et pouvoir. […] Dans ce travail indigne d’un talent que j’ai loué ailleurs, M.  […] cela vous dégoûterait du talent et de l’admiration ! […] Il ne faudrait pas cependant que ce succès, mérité en partie, fit prendre le change à une actrice de talent.

200. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LI » pp. 198-202

La presse en a bien besoin : il ne s’y produit aucun talent remarquable depuis longtemps. […] M. le comte Alexis de Saint-Priest est l’auteur d’une Histoire de la royauté depuis Auguste jusqu’à Hugues Capet, où il entrait beaucoup d’érudition et de talent. […] Capefigue et avec plus de talent peut-être. […] On ne saurait que faire de son activité, de son talent, de ses colères.

201. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome xviii » pp. 84-92

Le tome présent, qui entame cette dernière période de son Histoire, nous ouvre une série de faits nouveaux et nous montre une nouvelle application de ce talent multiple et fertile. […] Il y a dans ses écrits une grande diffusion de talent, si je puis dire ; le talent, comme un air vif et subtil, y est disséminé partout, et ne s’y réfléchit guère avec splendeur et couleur à aucun endroit en particulier ; il craint de paraître viser à l’effet, il se méfie de l’emphase ; c’est tout au plus si par places il se permet des portraits proprement dits, tels que ceux du roi de Prusse Frédéric-Guillaume et de l’empereur Alexandre (pages 424-457), et encore il les fait alors, beaucoup plus fins et-spirituels que saillants et colorés. […] Le spectacle d’hommes remarquables par le caractère, l’intelligence, le talent, pensant différemment les uns des autres, se le disant vivement, rivaux sans doute, mais rivaux pas aussi implacables que ces généraux qui, en Espagne, immolaient des armées à leurs jalousies ; occupés sans cesse des plus graves intérêts des nations, et élevés souvent par la grandeur de ces intérêts à la plus haute éloquence ; groupés autour de quelques esprits supérieurs, jamais asservis à un seul ; offrant de la sorte mille physionomies, animées, vivantes, vraies comme l’est toujours la nature en liberté ; — ce spectacle intellectuel et moral commençait à saisir et à captiver fortement la France. […] On ne connaissait pas encore de grands talents ; on les cherchait, on les espérait, on y croyait, par l’habitude de voir la France produire toujours ce dont elle a besoin. […] Thiers aime assurément beaucoup de choses ; mais en parlant ainsi de la première journée marquante et de l’aurore de la discussion parlementaire, il parle de l’objet même et du théâtre de son talent, de son élément préféré, de ce à quoi (après l’histoire) il a le plus excellé et le mieux réussi.

202. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Alexandre Dumas. Mademoiselle de Belle-Isle. »

Entre tant de gens de talent qui se fourvoient, et qui semblent, à chacune de leurs œuvres nouvelles, vouloir réaliser sur eux-mêmes la décadence dont parle le vieux Nestor à l’égard des générations successives, c’est un vrai plaisir qu’un succès soudain, brillant, facile, qui, pour l’un d’eux, remet toutes choses sur le bon pied, et montre qu’une veine heureuse n’est point du tout tarie. […] Dumas est si nettement décidée, qu’il y a lieu de s’étonner qu’il s’en détourne jamais pour des écrits dont l’intérêt unique est encore un reflet de ce talent de scène qui lui a été donné. […] Aujourd’hui il se retrouve lui seul et lui-même tout entier, à son vrai point naturel ; il ressaisit le genre de son talent dans la direction la plus ouverte et la plus sûre. […] A entendre nos espérances d’alors, il semblait que, pour l’entier triomphe d’un genre plus vrai et des jeunes talents qui s’y sentaient appelés, il ne manquât qu’un peu de liberté à la scène et de laisser-faire. […] Entre ces drames à grande prétention poétique et les mélodrames où il n’y en a plus du tout, n’est-il donc pas un juste milieu de carrière et comme une portée naturelle de talent ?

203. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Paul de Saint-Victor » pp. 217-229

Jules Janin et Théophile Gautier, très différents et très inégaux de talent, l’un écrivant comme on peint au pastel, l’autre, le Benvenuto Cellini de la langue, comme on grave sur l’acier, régnaient sur le feuilleton dramatique qu’ils avaient transformé en y introduisant une imagination inconnue, quand, tout à coup, entre eux surgit et apparut un jeune homme dont le talent semblait fait de l’éclat de l’un et de l’autre, ralliés et concentrés dans le sien. […] C’est mettre quelque chose dans nos âmes qui n’y était pas… Saint-Victor, qui nous apprend Eschyle aujourd’hui, dans son premier volume, devient, en vertu de la faculté caméléonesque du talent regardant le génie, une espèce d’Eschyle, éclosant et fleurissant dans les racines du vieux tragique immortellement épanoui, et tellement que si, par miracle, le vieux Eschyle revenait au monde et qu’il lût le commentaire de Paul de Saint-Victor, il dirait comme Galathée, sortie de son état de marbre et touchant la poitrine de l’idolâtre Pygmalion : « C’est encore moi !  […] Saint-Victor a, lui, en ses Deux Masques, la pureté et la ligne irréprochable du fini dans l’œuvre accomplie, et la certitude, que rien ne trouble plus, d’un talent au point juste de sa maturité. […] Ses facultés ont en effet, dans ce livre, la nouveauté d’une perfection définitivement atteinte… L’énorme talent que ses innombrables feuilletons ont prouvé vient de réaliser enfin un de ces chefs-d’œuvre qui fixera sa renommée dans le silence de l’avenir, quand les turbulents bavardages du temps présent auront passé. […] On descend enfin, quelque jour, du zénith… Après ce livre des Deux Masques, je ne vois pas très bien ce que, sans se transformer, sans changer entièrement de nature, pourrait devenir maintenant le talent de son auteur.

204. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Μ. Eugène Hatin » pp. 1-14

Il a la modestie de son talent, et le talent de sa modestie. […] On ne se fait pas magistrat parce qu’on a une plume entre les doigts et qu’on parle de tout, — même quand on serait un honnête homme et qu’on aurait du talent. […] Faiblissant comme talent sous la rédaction de Μ. de Sainte-Albine, elle se releva bientôt sous la direction de Suard et de l’abbé Arnaud, espèce de consulat littéraire où, comme dans tous les consulats, il n’y eut qu’un seul consul, qui fut Suard. […] Les pamphlets, qui ne sont pas le journalisme, quoiqu’ils s’y soient souvent mêlés avec une tartufferie d’impartialité qui ne les a rendus que plus redoutables, les pamphlets, quand ils n’étincellent pas de génie ou de talent, ne sont, dans tous les temps et dans toutes les littératures, que des injustices ou des injures, et cette poussière de la poussière, laissons-la où elle est tombée ; il convient de ne plus la remuer. […] En vérité, disons-le-lui en toute franchise, de pareilles citations, qu’aucun talent n’excuse, ennuient, quand elles ne dégoûtent pas ; car elles dégoûtent souvent, et tout le monde n’est pas aussi solide que Μ. 

205. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Chastel, Doisy, Mézières »

Chastel, car il a beaucoup de talent, et il a pris dans la lecture des Pères des empreintes si chrétiennes, qu’on oublie parfois qu’il est un révolté contre l’Église dont il écrit l’histoire. […] Mais le couronner de moitié avec l’auteur d’un autre ouvrage franchement et ardemment protestant, et cela quand il y a à côté, dans le même concours, un livre de talent réel mais pénétré de l’esprit catholique, bien plus important dans une pareille question que le talent, c’est en vérité plus fâcheux que d’obéir simplement à des impressions personnelles, la plus vulgaire des appréciations ; car c’est révéler qu’on a cédé à des doctrines fortes ou faibles, enchaînées ou éparses dans des esprits plus éclairés que résolus ; c’est démentir, par le fait, la signification de son programme de 1849, et donner à croire à ceux-là qui ne tiennent pas les Académies pour des héroïnes intellectuelles, que ce qu’il y avait de courageux — d’implicitement courageux dans ce programme — n’était que la bravoure bientôt refroidie d’un poltron d’idées révolté ! […] Puisque la doctrine d’un tel livre n’était pas couronnée, la mention honorable n’a pu être donnée qu’au talent. Ce talent est animé, vivant, plein d’une généreuse chaleur de tête et d’entrailles. […] Tel est, en peu de mots, un livre pour lequel l’Académie, tout en rendant justice au talent de l’auteur, n’a pas voulu courir la responsabilité d’une couronne.

206. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pécontal. Volberg, poème. — Légendes et Ballades. »

Attaché à cette œuvre ingrate et présentement stérile qu’on appelle la Poésie, il n’a pas encore sur son nom l’éclat de renommée qui serait dû à son talent, à ses travaux et à ses efforts. […] Pour l’attirer et le gouverner, il faut dans le talent des supériorités terribles, et encore, un jour ou l’autre, le plus napoléonien des poètes ne le ramènera pas des intérêts matériels à la poésie. […] Siméon Pécontal, avec le don de simplicité qui est le plus précieux caractère de son talent et cette fraîcheur d’âme dont, à plusieurs places de son Volberg, on avait vu resplendir les teintes frissonnantes et nacrées, devait préférer la ballade à toutes les autres formes de la pensée poétique. […] L’âme est toujours plus que le talent en M.  […] et bien honorable du reste pour le talent, qu’il ait eu cette fois-là le sort heureux de l’Insignifiance, si chère aux Quarante Immortels.

207. (1856) Articles du Figaro (1855-1856) pp. 2-6

Champfleury accomplissait sa découverte, un jeune peintre d’un très grand talent, ma foi ! […] Ce n’est pas qu’il n’y ait du talent, et beaucoup — mais beaucoup, entendez-vous !  […] Laurent-Pichat — un noble esprit qui écrit sous la dictée d’un grand cœur — a donné du talent de M.  […] Je crois plutôt que c’est son talent qui manque d’haleine […] Comparé au sien, ce talent vert et un peu sauvage a presque l’encolure et la piaffe d’un pur-sang.

208. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Adrienne Le Couvreur. » pp. 199-220

Régnier, prépare lui-même, pour la publication prochaine dont j’ai parlé, une étude sur le talent et l’invention dramatique de Mlle Le Couvreur ; je n’en dirai donc pas ici davantage. […] Il peut être utile à sa patrie ; il fera les délices de ses amis ; il vous comblera de satisfaction et de gloire : vous n’avez qu’à guider ses talents et laisser agir ses vertus. […] Molière, à force de génie et d’esprit, Baron, par son talent aidé de sa fatuité même, avaient relevé l’état de comédien dans le monde, et s’y étaient maintenus sur un pied respectable. Mais les femmes, même celles de talent comme la Champmeslé, n’avaient pu conquérir à aucun degré la considération ; elles restaient dans une condition socialement infime. […] En entendant, l’autre jour, le drame intéressant dans lequel la lutte du talent et du sentiment vrai contre le préjugé et l’orgueil social est si vivement représentée sous son nom, je me disais combien les choses ont changé depuis un siècle, combien la haute société ne mérite plus, à cet égard du moins, les mêmes reproches, et combien elle est peu en reste d’admiration et de procédés délicats envers tout talent supérieur.

209. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Bossuet. Œuvres complètes publiées d’après les imprimés et les manuscrits originaux, par M. Lachat. (suite et fin) »

Il y aurait maintenant à suivre dans l’un ou l’autre des anciens Sermons de Bossuet, et des tout premiers en date, la formation de ce talent, à bien marquer, dès ses débuts, la marche et les progrès de cette grande éloquence, pour la considérer bientôt (car elle y arriva promptement) dans sa plénitude. […] Bossuet, comme tous les talents, et surtout les talents d’orateur, a eu un apprentissage à faire. […] Floquet, dans son zèle si méritoire, la redécouvrît en quelque sorte, l’exhumât laborieusement avec les preuves, les témoignages sans nombre, et de manière à nous prouver sans réplique que Bossuet avait précédé les autres grands prédicateurs de son siècle par le talent comme par la renommée, et qu’il s’était précédé lui-même, à ne considérer que la portion restée la plus glorieuse de sa carrière. […] Il se dévoua tout entier à l’instruction de ses diocésains, prêchant fréquemment dans sa cathédrale, où j’ai été étonné d’apprendre que son peuple finit par négliger de l’entendre, soit que son admirable talent eût diminué, ou que l’habitude trop répétée en eût affaibli l’impression ; soit, ce qui est plus probable, que Bossuet ayant pris celle des considérations les plus élevées, et traitant des matières au-dessus de la portée du vulgaire, ses auditeurs fussent dans le cas de lui adresser le reproche que faisait à saint Chrysostome une bonne femme d’Antioche : Père, nom t’admirons, mais nous ne te comprenons pas.

210. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Madame Sand ; Octave Feuillet »

aux œuvres qui, minces de talent, n’avaient pas, pour passionner le public, la ressource de la monstrueuse visée de Renan. […] Je n’ai jamais nié, pour ma part, le talent de Feuillet ; mais j’en connais le centre et la circonférence, et ce n’est pas ma faute si ce talent n’est pas plus grand. […] Madame George Sand, dont le talent vieillit et prend des fanons de plus en plus tombants, a voulu — dans l’ordre des idées, bien entendu ! […] Ce livre de la Régence, qui est resté enseveli sous le silence de la honte, n’en est pas moins, si on ne regarde qu’au talent, le livre qui en a le plus de tous les livres de l’année.

211. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Des Guerrois, Charles (1817-1916) »

Charles Fuster On connaît le talent de M. des Guerrois, ce talent d’un grain serré, ce talent aux gemmes fines et solides.

212. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Poésies nouvelles de M. Alfred de Musset. (Bibliothèque Charpentier, 1850.) » pp. 294-310

Son talent tout à coup s’y épura, s’y ennoblit ; à un moment la flamme sacrée parut rejeter tout alliage impur. […] Les quatre pièces que M. de Musset a intitulées Nuits, sont de petits poèmes composés et médités, qui marquent la plus haute élévation de son talent lyrique. […] Le goût de M. de Musset est arrivé à la maturité, et il serait beau à son talent de servir désormais son goût et de ne plus se permettre de faiblesses. […] Depuis quelques années, son talent s’est produit sous une forme nouvelle aux yeux du public, et il a triomphé d’une épreuve assez hasardeuse. […] Bien des esprits qui n’auraient pas eu l’idée de l’aller chercher pour son talent lyrique ont appris à le goûter sous cette forme facile et légère.

213. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence de la chaire. » pp. 205-232

Presque tous les anciens orateurs sacrés ont fait usage de leur talent. […] Elles arrêtent l’essor du talent, si elles ne l’étouffent même. […] Il doute qu’une telle méthode réussît ; & nous assure qu’elle introduiroit l’ignorance parmi les prêtres, décourageroit les jeunes ministres de l’évangile, étoufferoit en eux le talent. […] Quand M. de Moncrif conseille aux jeunes prédicateurs d’apprendre les plus beaux sermons & de les débiter, il ne parle point de ceux qui sont nés avec un talent décidé pour la chaire. […] Cette façon de penser, devenue générale, ne seroit point humiliante ; elle auroit même de quoi flatter le déclamateur ; il s’attireroit des louanges à proportion de son talent pour débiter.

214. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIe entretien. Biographie de Voltaire »

Voltaire s’y souilla l’imagination pendant qu’il s’y formait le talent. […] C’était une actrice tragique dont le talent et les charmes avaient séduit la France et Voltaire. […] Ce talent, peu pathétique de sa nature, n’était pas de ceux qui s’éteignent quand le cœur se refroidit. Ce n’était pas un talent de cœur, c’était un talent d’intelligence. Ce genre de talent là survit à l’homme sensitif et brille, comme le phosphore, d’une lueur froide qui n’a pas besoin d’aliment.

215. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XLVIII » pp. 188-192

. — talent élevé de m. guizot. — lord chatham, par m. de viel-castel. — candidature de mérimée a l’académie française en remplacement de nodier. — autres candidats : m. casimir bonjour, m. aimé martin, m. onésime leroy. — corruption et vice de la littérature. […] Il s’en est tiré cette fois, comme toujours, par un admirable talent, par un talent qui grandit plutôt sous les attaques, et il s’est élevé, au dire de tous, surtout dans son second discours, à la plus haute et à la plus ferme éloquence. […] De là ce fâcheux désaccord entre le talent qu’on est près d’admirer parfois, et la personne qu’on ne peut estimer comme on le voudrait.

216. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE VIGNY (Servitude et Grandeur militaires.) » pp. 52-90

D’autres circonstances préliminaires, bonnes à relever, ont influé encore sur cette dernière phase du talent de l’auteur. […] Quant aux différences de situation ou de talent qui séparent présentement M. de Vigny de M. […] Je ne sais quelle ironie s’est infiltrée de plus en plus, comme une goutte d’acide, dans ce talent pur. […] J’avais d’assez bonne heure étudié le talent de M. de Vigny. […] Il y a là plus qu’un grand talent, une âme blessée qui se montre tout éplorée et avec laquelle on vit.

217. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre cinquième »

Il a tous les talents et toutes les ressources de l’auteur dramatique, et de plus il est poète. […] Rien, même avec le talent de Voltaire. […] On n’est pas un poète tragique même de troisième ordre sans avoir beaucoup de talent ; on n’a pas beaucoup de talent sans avoir exprimé en perfection quelques vérités du cœur humain, c’est-à-dire sans avoir eu par accident ce que l’homme de génie a d’habitude. La critique peut parler sévèrement des tragédies médiocres, en les comparant à l’idéal ; mais dans sa sévérité pour l’œuvre, elle doit faire sentir son estime pour l’ouvrier, et ne jamais perdre de vue ce qu’il faut de mérite même pour ne pas réussir, et tout ce qui sépare le talent de produire du talent de juger. […] Il avait des talents, et de plusieurs sortes ; aucun dans un degré supérieur.

218. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. »

Il y a bien de l’esprit sous ce talent. […] Je dirai toute ma pensée : avec les talents nouveaux, le critique des poëtes est à tout moment entre deux écueils : il peut se tromper par confiance ou par dédain. […] Il est difficile de distinguer dans ces premiers jets de la saison ce qui est en propre au talent et ce qui revient et appartient à l’atmosphère générale où il a été nourri. […] Des talents fermes exigeraient un examen sérieux, une discussion approfondie. […] Juste Olivier de Lausanne est un autre talent mûr, fidèle à la dignité de l’art, et dans un genre tout voisin.

219. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « De la question des théâtres et du Théâtre-Français en particulier. » pp. 35-48

En réfléchissant à ce qu’étaient ce qu’on appelle les grands siècles et pourquoi ils l’ont été, toujours il m’a semblé qu’indépendamment des beaux génies et des talents sans lesquels la matière aurait fait faute, il s’était rencontré quelqu’un qui avait contenu, dirigé, rallié autour de lui. […] Ainsi resserré et contenu par ces regards vigilants, le talent atteignait à toute sa hauteur. […] Jamais les grands talents qui se sont égarés depuis ne se seraient permis de telles licences, s’ils étaient restés en vue de ce monde-là. […] Il en est résulté que les grands talents, ne sentant plus nulle part des juges d’élite, n’étant plus retenus par le cercle de l’opinion, n’ont consulté que le souffle vague d’une popularité trompeuse. […] Tandis qu’une grande actrice y rendait la vie et la fraîcheur aux chefs-d’œuvre, de légers et poétiques talents y introduisaient la fantaisie moderne dans sa plus vive étincelle.

220. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Villemain » pp. 1-41

Sa phrase étant tout son talent, s’il ne l’avait pas, que lui resterait-il ? […] Pour nous, qui le coudoyons aujourd’hui dans la littérature, nous pouvons prendre sa hauteur de talent et en déterminer le caractère. […] Il garde toujours son sang-froid, et nous ne voyons pas ce que son talent gagne à cette inerte solidité. […] Singulier essai, par un homme qui devait savoir par état la valeur des termes qu’il employait, et dont le talent n’était pas d’ailleurs à l’âge timide où l’on essaye ! […] Deux grandes questions de critique qu’un jour il faudra bien résoudre, quoique les pusillanimes de ce temps n’osent y toucher, de peur de ne plus avoir ά se trouver de talent.

221. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » p. 313

Ces Pieces ne laissent pas de supposer beaucoup d’esprit & même un certain talent dans M. Fontaine-Malherbe ; mais ce n’est que par un vrai talent qu’on peut se distinguer de la foule des Poëtes Dramatiques, qui, chaque jour, devient plus nombreuse, sans que l’Art fasse les moindres progrès. […] Ce seroit toujours beaucoup, si le Public eût confirmé les éloges du Tribunal ; mais le vernis philosophique, répandu sur le Poëme de la Rapidité de la Vie, & sur le Discours en vers sur la Philosophie, n’en a pas imposé aux vrais Connoisseurs sur le défaut d’intérêt, de poésie & de vrai talent qu’ils y ont remarqué ; ce qui n’a pas empêché de regarder ces deux Poëmes comme très-supérieurs à ceux qui ont eu le Prix.

222. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XXI. Le littérateur chez les peintres » pp. 269-282

Il n’y a pas un littérateur que ne chatouille le désir de composer un Salon : son goût lui permettra de deviner ce qu’il ignore, et son talent saura communiquer ses intuitions en formules assurées et définitives. […] Je voudrais un seul Salon, où les juges fussent assez indifférents pour n’être sensibles qu’aux marques du talent, à quoi qu’il soit appliqué. […] Paul Dubois ait du talent, cela est incontestable, même si M.  […] Selon les hasards de la vie il s’accrochera à l’Institut et ne fera que poncif, ou à la Révolution et ne fera que violent. — Pour tous ceux qui ont du talent, il faut ouvrir les portes. […] Vuillard, et je cite volontiers le plus plein d’avenir de ces jeunes talents, a dépassé en hardiesse et en réussite le problème des artistes sincères : « Ne faire que ce qu’on voit. » Il n’y a pas une ombre, pas un reflet, pas une teinte de chic.

223. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Collé »

Je ne suis pas si bonhomme que l’éditeur des Lettres inédites sur le compte du talent de Collé comme chansonnier. […] Honoré Bonhomme, qui pourtant la confirme par les Lettres inédites qu’il publie, mais qui semble regarder cette autre vocation comme un par-dessus le marché du talent de chansonnier dans Collé, tandis qu’au contraire c’était le talent du chansonnier qui était par-dessus le marché, dans cet homme apte aux choses sévères. […] Le moraliste solide a vu les charlatans sous les séductions du talent. Et encore, le talent, il en fait très bien la réduction, de cette main dextre qu’on n’entortille pas. […] » Folâtre, jaloux, agaçant mais amusant, coq en colère, chien qui jappe, c’est toujours le Collé de la Chanson qui force son talent, c’est toujours le Collé de la parade, de la calembredaine, mais ce n’est pas le Collé du Journal et des Lettres inédites, et puisqu’on les publiait, ces Lettres inédites, c’est ce Collé-là qu’on était tenu de nous donner !

224. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Docteur Favrot »

… Il a été, je le reconnais, plus explicite sur la question des enterrements vivants, qu’il a exposée et qu’il a cherché à résoudre ; mais, franchement, était-ce un rapport, limpide comme l’eau, je le veux bien, mais froid comme elle, qui pouvait suffire pour traiter cette effrayante question qui convulse jusqu’à la pensée, et qu’à force de talent, d’émotion, d’éloquence, de griffe de feu dans l’éloquence, il faudrait, dans l’intérêt de sa solution absolue, attacher, comme une flamme, à nos esprits et à nos cœurs !! III Le talent, le plus grand talent, pris à la source où le talent se puise, à la source sacrée des émotions profondes, n’aurait donc pas été de trop dans ce tragique sujet des inhumations précipitées ; car s’il n’est pas tout à fait impossible, hélas ! d’empêcher les hommes d’oublier, c’est au talent, c’est au cri du talent, à ce cri qui résonne et qui dure toujours quand il a été poussé une fois, qu’il est réservé de faire ce miracle.

225. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Henri Cantel »

Rédigé souvent avec talent, ce recueil a ses défauts et ses faiblesses, et nous les connaissons ; mais il est vrai de dire que ces défauts et ces faiblesses sont ceux de tout le monde en général à cette heure, et de toutes les revues en particulier. […] Cantel n’en est pas à son premier mot poétique, il a déjà publié un volume ; mais il n’en débute pas moins encore, dans un sens plus profond que celui qu’entend le public, car il cherche, avec les souples articulations d’un talent qui doit grandir, une forme arrêtée, une manière définitive. […] … d’originalité, — ce diadème futur de leur talent et de leur vie, — mais pour la plupart des hommes la pousse de l’originalité a son heure, comme la pousse des ongles et de la crinière, et Cantel attend encore la sienne, comme un lionceau. […] C’est un païen, un païen de nuances douces et mêlées à des quarts de nuances chrétiennes, et voilà pourquoi, sans nul doute, amitié et talent à part, Hippolyte Babou, l’auteur des Païens innocents, l’a chaperonné si aimablement dans une spirituelle préface. […] » Et cependant, malgré tout ce paganisme rapetissant et glaçant qui empêche le poète d’Impressions de s’élever et le fixe à la terre, — et même à la fange de la terre dont il est fou, quand elle est blanche et rose, — il y a dans son recueil un talent vrai, très cultivé déjà, et, sous la culture, devenu facile et ample.

226. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVII. Des panégyriques ou éloges adressés à Louis XIII, au cardinal de Richelieu, et au cardinal Mazarin. »

Son caractère, comme son règne, offrent une foule de contradictions ; il eut un enchaînement de victoires, et leur éclat lui fut, pour ainsi dire, étranger ; il eut des talents militaires, et à peine aujourd’hui ces talents sont connus ; il eut de l’agrément dans l’esprit et montra la plus grande indifférence pour les lettres ; la nature lui avait donné du courage, et même celui qui affronte la mort, et il n’eut jamais celui de commander. […] Loué par une foule d’orateurs, chanté par Malherbe, célébré à sa mort par Lingendes, placé par la nature entre Richelieu et Corneille, il prouva que le caractère seul peut donner du prix aux actions, aux vertus, aux succès même, et que les panégyristes, malgré leurs talents, ne donnent pas toujours le ton à la renommée. […] Lorsque dans une monarchie il s’élève un sujet qui, par les circonstances ou ses talents, obtient un grand pouvoir, aussitôt les hommages et les regards se tournent de ce côté ; tout ce qui est faible est porté, par sa faiblesse même, à admirer ce qui est puissant ; mais si ce sujet qui commande, a une grandeur altière qui en impose, si par son caractère il entraîne tout, s’il se sent nécessaire à son maître en le servant, si à cette grandeur empruntée qu’il avait d’abord, il en substitue une autre presque indépendante, et qui, par la force de son génie, lui soit personnelle ; si, de plus, il a des succès, et que la fortune paraisse lui obéir comme les hommes, alors la louange n’a plus de bornes. […] Ils ont loué enfin cet amour des lettres et des arts, qui, au milieu des agitations de l’Europe qu’il ébranlait, lui fit fonder l’Académie française, dont il fut le chef ; amour des lettres qu’il avait par goût, et qu’il fit naître, dit-on, par politique, qui substitua, chez les Français, l’ambition des talents à celle des cabales, et une activité plus douce, à cette activité féroce, nourrie de factions et de crimes. […] Ajoutez que les talents de Mazarin n’étaient pas assez éclatants pour racheter ses défauts.

227. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. »

D’ailleurs on ne saisit rien dans ses origines qui soit de nature à éclairer son talent. […] C’est de cette combinaison et de cette complication même qu’est sorti tout son talent, formé et croisé de plusieurs inspirations contraires. […] Une remarque pourtant, et bien essentielle, se place ici, aux origines de son talent, et se vérifie dans tout le cours de son œuvre : une veine y fait défaut ; absence heureuse ! […] Mais, en général, ce côté du talent de Gavarni manque de développement et est trop elliptique. […] C’est une grande avance, je le sais, à qui veut passer pour un homme de génie auprès du vulgaire que de manquer absolument de bon sens dans la pratique de la vie ou dans la conduite du talent.

228. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck (1789-1791), recueillie, mise en ordre et publiée par M. Ad. de Bacourt, ancien ambassadeur. » pp. 97-120

Comme militaire, il montra du talent et se distingua dans la guerre de l’Inde. […] Cependant, si nous nous reportons à la date des derniers mois de 89, nous trouvons Mirabeau bouillonnant d’impatience, de « cette impatience du talent, de la force et du courage », souffrant de son inaction et de son inutilité réelle au milieu de ses travaux sans nombre et de ses succès retentissants, jugeant admirablement cette cour et cette race royale qu’il voudrait servir et réconcilier avec la cause de la Révolution : Il n’y a qu’une chose de claire, écrivait-il (29 décembre 1789), c’est qu’ils voudraient bien trouver, pour s’en servir, des êtres amphibies qui, avec le talent d’un homme, eussent l’âme d’un laquais. […] Le talent aurait retrouvé son compte à un nouveau rôle plein d’éclat et de puissance. […] Il y avait position fausse et bientôt insoutenable pour un talent de cette fougue et de cette franchise. […] Le talent de la parole, à ce degré, est un instrument de puissance comme aussi une source d’illusion et de tentation pour celui qui le possède.

229. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Comte de Gramont »

Par un autre hasard encore, ces deux poètes se recommandent par des qualités si différentes, ils forment entre eux une telle antithèse de talent et de manière, que les opposer dans un étroit vis-à-vis c’est, comme on dit en peinture, les repousser l’un par l’autre ; c’est donner plus de précision à leur examen ; et faire mieux sentir le prix de ce que tous les deux possèdent et de ce qui manque à chacun d’eux. […] Certainement il y a là du talent, et beaucoup de talent encore, mais ce talent éclatant et chaud est moins original et moins fort que celui des simples et nerveux sonnets historiques consacrés aux Héros de la Vendée et de la Bretagne ; car le talent est comme les vierges : ce qui fait sa force, c’est sa pureté.

230. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — III — Toujours Vauvenargues et Mirabeau — De l’ambition. — De la rigidité » pp. 38-55

Je sais qu’il n’en est guère question à présent, selon le bas ministre (Fleury) qui le gouverne, et que ce sont les mal tôliers qui en sont les colonnes ; mais vous avez une patrie misérable, une province vexée par les esclaves subalternes, que l’on érige en souverains pour le malheur des peuples ; des amis que vous pouvez servir ; des compatriotes à qui vos talents exercés pourraient être utiles ; une famille dont vous devez ou soigner les affaires, ou soutenir le nom ; vous-même, à qui vous devez un plan fixe de bonheur et d’agrément ; que d’objets divers et opposés ! […] » Ici nous retrouvons quelques-unes des idées particulières et, si l’on veut, des préventions de Vauvenargues, un reste de gentilhomme, ou plutôt un commencement de grand homme ambitieux, qui aimerait mieux franchement être Richelieu que Raphaël, avoir des poètes pour le célébrer que d’être lui-même un poète ; qui aimerait mieux être Achille qu’Homère : « Quant aux livres d’agrément, ose-t-il dire, ils ne devraient point sortir d’une plume un peu orgueilleuse, quelque génie qu’ils demandent ou qu’ils prouvent. » Il ne permet tout au plus la poésie à un homme de condition et de ce qu’il appelle vertu, que « parce que ce génie suppose nécessairement une imagination très vive, ou, en d’autres termes, une extrême fécondité, qui met l’âme et la vie dans l’expression, et qui donne à nos paroles cette éloquence naturelle qui est peut-être le seul talent utile à tous les états, à toutes les affaires, et presque à tous les plaisirs ; le seul talent qui soit senti de tous les hommes en général, quoique avec différents degrés ; le talent, par conséquent, qu’on doit le plus cultiver, pour, plaire et pour réussir. » Ainsi la poésie, il ne l’avoue et ne la pardonne qu’à titre de cousine germaine de l’éloquence, et qu’autant qu’elle le ramène encore à une de ces grandes arènes qui lui plaisent, à l’antique Agora ou au Forum, ou à un congrès de Munster, en un mot à une action directe sur les hommes. […] Il tient surtout dans sa lettre (car nous en sommes toujours à cette même lettre décisive, où il se découvre) à bien montrer à Mirabeau qu’on peut désirer de sortir d’une condition médiocre et d’arriver à une grande situation, par de grands motifs et sans du tout abjurer la hauteur des sentiments : Il y a des hommes, je le sais, qui ne souhaitent les grandeurs que pour vivre et pour vieillir dans le luxe et dans le désordre, pour avoir trente couverts, des valets, des équipages, ou pour jouer gros jeu, pour s’élever au-dessus du mérite et affliger la vertu, et qui n’arrivent à ce point que par mille indignités, faute de vues et de talents : mais, de souhaiter, malgré soi, un peu de domination parce qu’on se sent né pour elle ; de vouloir plier les esprits et les cœurs à son génie ; d’aspirer aux honneurs pour répandre le bien, pour s’attacher le mérite, le talent, les vertus, pour se les approprier, pour remplir toutes ses vues, pour charmer son inquiétude, pour détourner son esprit du sentiment de nos maux, enfin, pour exercer son génie et son talent dans toutes ces choses ; il me semble qu’à cela il peut y avoir quelque grandeur. […] Vauvenargues caressait un peu trop la chimère d’un ambitieux à souhait, et même d’un vicieux aimable, à grands talents et à grand caractère ; il ne s’en tenait pas en ce genre à César, au Régent, ni à Alcibiade, il se faisait même un Clodius ou un Catilina de fantaisie. […] Certes je ne méprise point Saint-Just, ni son talent remarquable, ni cette puissance de fanatisme qui suppose un caractère énergiquement trempé; mais on s’est trop accoutumé de nos jours, sur la foi d’historiens qui énervent et romantisent l’histoire, à traiter ces hommes de terreur et de haine, comme des semblables, comme des humains, à les faire rentrer dans le cercle des comparaisons ordinaires, presque familières, et je repousse pour Vauvenargues tout rapprochement avec le jeune et beau monstre.

231. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Saint-Simon considéré comme historien de Louis XIV, par M. A. Chéruel »

Chéruel, qui du reste ne prétend nullement lui contester ce double talent, ne me paraît pourtant point assigner à celui qui le possède le rang et le cran d’honneur qui lui est dû. […] Le talent, le talent ! […] Pour de petits talents, passe ; mais quand le talent s’élève, quand il est cette puissance supérieure et magique qui sait voir et qui sait rendre, qui devine, qui ressuscite, qui crée de nouveau tout un passé évanoui, qui agrandit du même coup les horizons de la mémoire historique et ceux de la science morale, il mérite aussi quelque respect. […] Saint-Simon paraît ignorer qu’à la guerre les talents de chef sont plus rares qu’on ne pense, et qu’à celui qui possède une supériorité, il faut, comme disait Napoléon, passer bien des choses. […] Chéruel aime à s’appuyer, va nous servir à apprécier sur un point le talent de Saint-Simon et l’accent par lequel il tranche sur les récits ordinaires.

232. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « HISTOIRE de SAINTE ÉLISABETH DE HONGRIE par m. de montalembert  » pp. 423-443

Clément Brentano, et traduit chez nous par un homme de la même foi et d’un talent bien connu, M. de Cazalès. […] » Un grand talent, comme une riche draperie, dissimule et cache bien des lacunes ou des défauts, et M. de Montalembert orateur avait de plus en plus fait preuve d’un de ces talents magnifiques qui éblouissent même par instants les opposants et les adversaires. […] les années, les souffrances, les échecs et les humiliations de l’amour-propre, tout ce qui aurait dû rabattre de son habitude agressive n’a fait au contraire qu’irriter en lui ces besoin, cette rage d’insulte et d’invective qu’il semble avoir retenus de son premier maître La Mennais et qui fait tache dans son noble talent. […] M. de Montalembert a eu de bonne heure tout son talent : il gardera tous ses défauts jusqu’à son dernier soupir. Les véhémences et les splendeurs de ce talent, il les a autant que jamais et au même degré ; son théâtre oratoire lui manquant, il les a retrouvés et ressaisis par sa plume ; il les applique diversement et avec une vigueur égale dans ses grands morceaux de considérations politiques et dans ses livres.

233. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Saint-Bonnet » pp. 1-28

Pour mon compte, je suis disposé à reconnaître qu’intellectuellement, de talent et d’inspiration, Saint-Bonnet a quelque chose de samsonien ; mais sa force, à lui, est bien plus contre les idées que contre les hommes, Il a le rayon de miel que Samson trouva un jour dans la gueule du lion, mais la gueule du lion, où est-elle ? […] Puis il publia, sous un mauvais titre, — métaphysicien qui ne voyait pas le succès et qui voyait par trop sa pensée, — ce chef-d’œuvre de la Restauration française, qui est à son propre talent ce qu’il est lui-même à l’abbé Noirot ; le chef-d’œuvre absolu qu’on ne recommence pas. […] Le génie métaphysique de Saint-Bonnet (car son talent va jusque-là) n’a pas eu peur du génie historique et politique de de Maistre sur un sujet, — catholique en ceci encore qu’il admet et que même il appelle toutes les compétences de l’esprit. […] Il faut savoir le dire : Saint-Bonnet est, au fond, un mystique, et cela va peut-être, dégoûter de lui quelques imbéciles d’hommes d’esprit qui allaient lui trouver du talent ! […] Ainsi, on a du talent et plus que du talent ; on écrit un livre de la plus haute et de la plus rare éloquence ; on sème dans ce livre les aperçus et les axiomes ; à chaque mot, c’est, pour le lecteur, une décharge électrique d’idées neuves dans la tête et dans la poitrine ; — et tout cela est inutile !

234. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Colnet tirait la rie de son talent des passions contemporaines ; qui pourrait le lire aujourd’hui ? […] En fait de talent et d’intelligence, ce n’est pas comme en fait d’hommes. […] Si les grands peintres, pour être grands, doivent changer de manière en changeant de modèles, on allait juger du talent d’Audin. […] Eh bien, dans la biographie de ces deux hommes, Audin fit preuve d’un talent, comme eux différent, et comme eux semblable. […] L’énergie, la vivacité, l’involontaire spontanéité de son talent, le sauvèrent et du conseil et de sa propre volonté.

235. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Note »

.) — J’avoue mon faible et ma chimère : j’avais conçu pour tous ces grands hommes, ces grands esprits et talents de ma génération, ou de la génération immédiatement antérieure, un idéal de caractère et de carrière qu’ils n’ont pas rempli ou qu’ils ont vite dépassé et traversé d’outre en outre. […] De même pour Lamartine : j’aurais aimé qu’en développant son talent poétique aussi grandement, aussi démesurément même, que sa nature de génie l’y portait, il fût demeuré en politique d’accord avec lui-même, fidèle à ses origines, à ses précédents, à l’ordre d’opinions, de doctrines et, pour tout dire, de bienséances où il avait passé toute sa jeunesse et qui lui étaient comme son cadre naturel, — un M. […] « C’est parce qu’il sentait qu’il avait en lui de quoi suffire à cette situation (au moins dans un grand moment) et de quoi y vibrer dans le tonnerre, que Lamartine a tout fait pour amener cette situation et pour la créer. — Le talent qui veut sortir est comme un fleuve qui creuse jusqu’à ce qu’il se soit fait un lit, fut-ce un lit de torrent. » « — Ce qui me frappe dans ces événements si étonnants, c’est, à travers tout, un caractère d’imitation, — et d’imitation littéraire. […] Évidemment son grand talent cherchait une situation à sa hauteur et où il pût se déployer. […] son mérite le désigne : point d’excuse, point de refus, le péril n’en accepte pas ; on lui impose au hasard les fardeaux les plus disproportionnés à ses forces, les plus répugnants à ses goûts… L’esprit de cet homme s’élargit, ses talents s’élèvent, ses facultés se multiplient ; chaque fardeau lui crée une force, chaque emploi un mérite, chaque dévouement une vertu. » Et c’est ainsi qu’en croyant peindre M.

236. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XX. Du dix-huitième siècle, jusqu’en 1789 » pp. 389-405

Racine lui-même fait à la rime, à l’hémistiche, au nombre des syllabes, des sacrifices de style ; et s’il est vrai que l’expression juste, celle qui rend jusqu’à la plus délicate nuance, jusqu’à la trace la plus fugitive de la liaison de nos idées ; s’il est vrai que cette expression soit unique dans la langue, qu’elle n’ait point d’équivalent, que jusqu’au choix des transitions grammaticales, des articles entre les mots, tout puisse servir à éclaircir une idée, à réveiller un souvenir, à écarter un rapprochement inutile, à transmettre un mouvement comme il est éprouvé, à perfectionner enfin ce talent sublime qui fait communiquer la vie avec la vie, et révèle à l’âme solitaire les secrets d’un autre cœur et les impressions intimes d’un autre être ; s’il est vrai qu’une grande délicatesse de style ne permettrait pas, dans les périodes éloquentes, le plus léger changement sans en être blessé, s’il n’est qu’une manière d’écrire le mieux possible, se peut-il qu’avec les règles des vers, cette manière unique puisse toujours se rencontrer ? […] Lorsque nous sommes émus, le son de la voix s’adoucit pour implorer la pitié, l’accent devient plus sévère pour exprimer une résolution généreuse ; il s’élève, il se précipite lorsqu’on veut entraîner à son opinion les auditeurs incertains qui nous entourent : le talent, c’est la faculté d’appeler à soi, quand on le veut, toutes les ressources, tous les effets des mouvements naturels ; c’est cette mobilité d’âme qui vous fait recevoir de l’imagination l’émotion que les autres hommes ne pourraient éprouver que par les événements de leur propre vie. […] L’homme sans talent littéraire aurait trouvé ces expressions que nous admirons, si le malheur avait profondément agité son âme. […] Dans les pays où le talent peut changer le sort des empires, le talent s’accroît par l’objet qu’il se propose : un si noble but inspire des écrits éloquents par le même mouvement qui rend susceptible d’actions courageuses. […] On aperçoit déjà les premières nuances du grand changement que la liberté politique doit produire dans la littérature, en comparant les écrivains du siècle de Louis XIV et ceux du dix-huitième siècle : mais quelle force le talent n’acquerrait-il pas dans un gouvernement où l’esprit serait une véritable puissance ?

237. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre IV. Mme Émile de Girardin »

En effet, quoi de plus beau, même dans le talent le plus composé de facultés diverses, le plus brillant, le plus savant et le plus étonnant, que cet atome, céleste et mystérieux, qui manque souvent aux grands talents et que Mme de Staël, qui l’avait, appelait l’étincelle divine, — que ce rien qui est tout, qui se mêle à tout et qui fait qu’on est poëte ! […] Nous avons commencé par le poëte, parce que le poëte c’était le fond de sa nature, qu’elle a faussée, mais qui a toujours protesté ; — parce qu’où le poëte existe il est toujours l’axe du talent quelconque, qui roule, en brillant, par-dessus ! […] Ce sont ces deux volumes, légers, quoique gros, c’est la sorcellerie de talent qui, en ces deux gros volumes, parle si divinement chiffons, cette petite chose, misérable pour les feuilletonistes belges, mais qui est l’art de la femme comme la statuaire est l’art de Phidias et la peinture est l’art d’Apelles, et qui en parle comme on n’en a peut-être jamais parlé, depuis la feuille de vigne de la première femme jusqu’à la crinoline de la dernière, en ces jours dégénérés et imposteurs ! […] Elle était affectée comme lord Byron qui, lui aussi, était affecté : mais elle n’avait pas le talent de lord Byron… Parce qu’elle était belle, c’est la vérité ! […] Seulement, si la spontanéité de ses facultés passait bien souvent par-dessus les faux cadres dans lesquels posait sa pensée, nul ne put croire tout d’abord que, la plume à la main, cette Belle Impétueuse, qui se faisait un peu trop de rayons autour de la tête avec ses longs tire-bouchons d’or pût se maintenir, comme en ces Lettres parisiennes, femme du monde spirituelle, moqueuse et adorablement frivole, dans cette simplicité qui devait être une compression, et que nous avons tant admirées dans Mlle Mars, à la scène, car le talent de Mme de Girardin dans ses Lettres parisiennes rappelle le jeu de Mlle Mars, comme dans ses Poésies les cris de Mme Desbordes-Valmore rappellent le pathétique de Dorval.

238. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme au XVIIIe siècle » pp. 309-323

Leur talent — incontestable, d’ailleurs, — est dans le sens des passions et des manies de leur époque. […] L’auraient-ils cru eux-mêmes, quand ils écrivaient le livre que voici, ces distingués, ces aristocrates de talent, ces élégants, ces admirateurs des élégances pomponnées du xviiie  siècle, le plus artificiel des siècles, le plus recherché et le plus quintessencié dans ses mœurs et dans ses arts, et dont le Diogène fut Rousseau, qui eut la prétention de le ramener à la nature ? […] Dans leur chapitre consacré à « l’amour » au xviiie  siècle, et quand ils arrivent à la dépravation de ce sentiment tel qu’il est peint dans Les Liaisons dangereuses, par exemple, ce hideux chef-d’œuvre qui n’est pas le conte d’un infernal génie, mais une infernale réalité, ces historiens, sensibles et non impassibles, de la Femme au xviiie  siècle, ont une indignation et un accent superbes, et, pour mon compte, je ne crois pas que leur talent soit allé jamais au-delà ! […] Une fausseté naturelle, une dissimulation acquise, un regard à volonté, une physionomie maîtrisée, un mensonge sans effort de tout l’être, une observation profonde, un coup d’œil pénétrant, la domination des sens, une curiosité, un désir de science, qui ne leur laissaient voir dans l’amour que des faits à méditer et à recueillir, c’étaient à des facultés et à des qualités si redoutables que ces femmes avaient dû, dès leur jeunesse, des talents et une politique capables de faire la réputation d’un ministre. […] … Ne sent-on pas, sous la phrase froidie par la volonté de rester dans le calme de l’historien, palpiter, contenus, l’horreur, le mépris, la colère qui donnent au talent une force que le talent n’a jamais seul ?

239. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Maynard »

d’un Pontmartin ecclésiastique, plus fort que Pontmartin, sinon dans la forme, au moins dans le fond, parce que, à force égale de talent ou d’esprit, l’homme qui a mis son front dans un livre de théologie vaudra toujours mieux qu’un littérateur, fût-ce un littérateur tout à fait, et non pas, comme Pontmartin, un littérateur de salon. Je ne m’attendais donc pas, quand j’ouvrais cette Vie de saint Vincent de Paul, par l’abbé Maynard, à beaucoup plus qu’à des choses infiniment touchantes et touchées délicatement par un homme d’un talent borné par le goût, cette barrière élégante ! Je n’aurais jamais cru d’avance à cette virilité et à cette hauteur d’appréciation, à cette profondeur de judiciaire, à ce calme dans les plus vifs sentiments contenus, de la part d’un écrivain qui, jusque-là, avait montré du talent littéraire, mais sans rien de tranché et de péremptoire comme l’est la supériorité. […] En touchant à ce sujet de saint Vincent de Paul, il s’est transformé de manière et de ton, et ce sublime sujet l’a enfanté à la vie du talent, et du talent le plus réel, le plus droit, le plus allant au cœur des choses. […] Je l’ai déjà dit, l’influence de saint Vincent de Paul a créé le talent actuel de l’abbé Maynard.

240. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Jules de Gères »

On m’a dit — et si ce n’est pas son histoire il faut le regretter — que, descendant de Montesquieu, lequel faisait des vers aussi, mais qui, après L’Esprit des lois et La Décadence des Romains, avait le droit de n’en pas faire de si bons que Gères, il avait été obligé, ce noble homme, qui l’est deux fois, par le talent et par la naissance, d’entrer, par suite des ignobles fortunes que les révolutions nous ont faites, dans une étude de notaire dont il aurait été le modeste clerc pendant quelque temps. […] Jules de Gères — comme nous allons le voir — a souvent dans le talent cet hermaphrodisme harmonieux qui vient de la Force saillant dans la Grâce, mais il n’en appartient pas moins exclusivement en poésie à ce que je me permets d’appeler le genre gazelle. Il l’est jusque dans les titres qu’il donne à ses poésies ; car je ne crois pointé leur modestie… Je ne crois point à la modestie d’un homme de talent qui a conscience de son talent, et qui, après tout, ne peut pas se croire un sot, comme dit Voltaire en parlant de lui-même… La modestie est une petite hypocrisie sans vigueur et dérivée de la grande. […] A son exemple et sans son talent, — talent très spécial et qu’ailleurs j’ai jugé45, tout le monde s’est mis à sonnettiser.

241. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Madame Sand et Paul de Musset » pp. 63-77

Mais c’est que la célébrité, la scandaleuse célébrité du poète des Nuits et de l’auteur de Lélia, qui mêla un jour l’éclat des fautes à l’éclat du talent, fait malheureusement tout croire et tout admettre avant d’avoir rien discuté. […] Elle a le talent facile, abondant, et cette simplicité coulante qui charme le bourgeois chez Rousseau ; mais l’esprit, l’esprit qu’avait madame de Staël toujours, madame de Girardin quelquefois, elle ne l’a jamais. Il y a une étude à faire sur le talent, selon nous beaucoup trop vanté, de madame George Sand, à qui tout a réussi insolemment comme à une femme dans ce pays de la galanterie française, et un jour nous la ferons complète. […] Eh bien, même comme talent, son livre, à cette célèbre femme, est très au-dessous de celui de Paul de Musset ! […] Les critiques qui veulent aller passer huit jours à Nohant peuvent la traiter de tête d’homme, de penseur, de génie qui n’a pas de sexe, etc. ; mais, pour ceux-là qui savent rester dans leur chambre, comme le voulait Pascal, madame Sand n’est qu’une femme littéraire, ayant plus ou moins de talent ou de prétention littéraire.

242. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Deux romans scandaleux » pp. 239-251

Mais c’est que la célébrité, la scandaleuse célébrité du poëte des Nuits et de l’auteur de Lélia, qui mêla un jour l’éclat des fautes à l’éclat du talent, fait malheureusement tout croire et tout admettre avant d’avoir rien discuté ! […] Elle a le talent facile, abondant, et cette simplicité coulante qui charme le bourgeois chez Rousseau ; mais l’esprit, l’esprit qu’avait Mme de Staël toujours, Mme de Girardin quelquefois, elle ne l’a jamais. Il y a une étude à faire sur le talent, selon nous beaucoup trop vanté, de Mme George Sand, à qui tout a réussi insolemment comme à une femme, dans ce pays de la galanterie française, et un jour nous la ferons complète. […] même comme talent, son livre, à cette célèbre femme, est très-au-dessous de celui de M.  […] Les Critiques qui veulent aller passer huit jours à Nohant, peuvent la traiter de têtu d’homme, de penseur, de génie qui n’a pas de sexe, etc. ; mais pour ceux-là qui savent rester dans leur chambre, comme le voulait Pascal, Mme Sand n’est qu’une femme littéraire ayant plus ou moins de talent ou de prétention littéraire.

243. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Bathild Bouniol »

Quoi de plus nouveau, en effet, que ces qualités de son talent et de son livre dans notre littérature recherchée, blasée, affectée, attifée, tour à tour spleenétique et vaporeuse, nerveuse et malade de cette maladie dont Heine disait, avec une ironie de rencontre plus profonde peut-être que son intention d’ironie : « Tous les hommes d’esprit sont malades de leur esprit même !  […] Son talent, à lui, ne procède pas comme celui de Gramont. […] Le genre du talent de Bouniol est là tout entier, dans ces quelques vers où de la vulgarité du détail sort tout à coup la grandeur de la réflexion, comme dans la vie. Ce talent, du reste, bien mâle pour ce temps, aura-t-il du succès ?

244. (1864) Le roman contemporain

Paul Féval a un tout autre talent, et même, quand le genre est faux, le talent se retrouve. […] S’il a le talent du récit, il n’a pas le génie du drame. […] C’est un talent d’analyse, minutieux, sec, pessimiste, mais réel. […] Le talent de M.  […] La poursuite de la chimère, voilà le dernier mot du talent de M. 

245. (1856) La critique et les critiques en France au XIXe siècle pp. 1-54

Deux hommes d’un talent remarquable s’en firent les représentants, M.  […] Découvrir une vérité et lui donner la vogue sont deux talents très divers et rarement unis. […] Il ne comprend et n’aime que sa propre manière, et fait toujours, à son insu, la théorie de son talent. […] Quelques-uns ont du talent ; mais ils manquent du plus fécond de tous, celui d’admirer à propos. […] Il est par le monde un préjugé funeste ; c’est que le vrai talent perce toujours.

246. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mélanges de critique religieuse, par M. Edmond Scherer » pp. 53-66

Le talent de de Maistre y est reconnu, mais strictement caractérisé et réduit à ses seuls éléments originaux. […] D’un autre côté, en faisant même abstraction du talent de l’écrivain, il est impossible de ne pas être touché de la généreuse hardiesse de sa tentative. […] Son talent d’écrivain y a même perdu. […] Il nous semble qu’il y a là un manque de goût littéraire, et que ce manque de goût tient au vice fondamental du talent de Lamennais, la tendance à l’emphase et à la déclamation. […] Hâtons-nous d’ajouter qu’il serait souverainement injuste de juger du talent de Lamennais d’après des morceaux de ce genre.

247. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Le Brun »

Le talent lyrique de Le Brun est grand, quelquefois immense, presque partout incomplet. […] Après cet hommage rendu au talent de Le Brun, il nous sera permis d’insister sur ses défauts. […] L’accent déclamatoire perce à tout moment dans le talent de Le Brun, lors même que ce talent s’abandonne le plus à sa pente. […] Le Brun dut ses bienfaits à son talent sans doute, à sa renommée lyrique, mais par malheur aussi à sa méchanceté satirique que le pouvoir achetait de sa servilité. […] j’atteste les Cieux que j’ai voulu le croire, J’ai voulu démentir et mes yeux et l’histoire ; Mais non : il n’est pas vrai que les cœurs excellents Soient les seuls en effet où germent les talents.

248. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre premier. De la première époque de la littérature des Grecs » pp. 71-94

Anacréon, dans sa poésie voluptueuse, est fort inférieur au talent et à la philosophie qu’Horace a montrés en traitant des sujets à peu près semblables. […] Aucune nation ne s’est jamais montrée plus sensible à tous les talents distingués. […] Tout contribuait à réunir les lumières, à rassembler les talents dans le cercle de concurrents en petit nombre, qui s’excitaient l’un l’autre, et se mesuraient sans cesse. […] Une nation qui encourageait de tant de manières les talents distingués, devait faire naître entre eux de grandes rivalités ; mais ces rivalités servaient à l’avancement des arts. […] Cette contrainte aigrit quelques esprits, étouffe dans les autres les talents auxquels l’essor et l’abandon sont nécessaires.

249. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre premier. La critique et la vie littéraire » pp. 1-18

Le premier article que j’ai consacré en entier à un écrivain était pour un confrère, de réel talent, mais dont le caractère m’était si opposé que, par la suite, nous nous brouillâmes tout à fait. […] Lefranc me poussait dans cette voie : Une critique trop indulgente, disait-il, encourage la médiocrité aux dépens du vrai talent. […] On est sévère pour un écrivain parce qu’on attend beaucoup de son talent ; si on le discute, apparemment, c’est qu’il en vaut la peine. […] Il y a un intérêt d’histoire littéraire à préciser le genre du talent, et, au besoin, le tour particulier du gâtisme des écrivains aimés du public. […] Brunetière reprend avec un talent, une autorité, une bonne foi et une naïveté admirables.

250. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. de Rémusat (passé et présent, mélanges) »

Chez quelques-uns, il en est ainsi des talents : on a son talent public, avoué, et son talent confidentiel, intime, lequel, chez les gens d’esprit, n’est jamais le moins piquant, ni surtout le moins naturel. […] Ou bien, si le critique se mêle une fois d’avoir ses talents d’auteur, oh ! […] Facile de talent, difficile de goût, il se disait que, pour les œuvres d’imagination, il ne faut produire que de l’excellent. […] N’est-ce pas là un unique hommage rendu à la mémoire du mort et aussi au talent approprié du vivant ? […] C’a été là un de ces beaux jours où le talent, au moment où il la reçoit, justifie magnifiquement sa Couronne.

251. (1924) Souvenirs de la vie littéraire. Nouvelle édition augmentée d’une préface-réponse

Il faisait une exception pour Mistral qui, disait-il, a du talent. […] Il a du talent. […] C’est là qu’il a mis le plus de talent spontané. […] Moi, je n’ai que du talent. […] Quelqu’un dit : « Il ne manque pas de talent.

252. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre I. Succès de cette philosophie en France. — Insuccès de la même philosophie en Angleterre. »

C’est elle qui au dix-huitième siècle, fait toute la substance des talents, toute la trame des chefs-d’œuvre, toute la clarté, toute la popularité, toute l’autorité de la philosophie. […] Il semble qu’il suffise de les nommer ; l’Europe moderne n’a pas d’écrivains plus grands ; et pourtant il faut regarder de près leur talent, si l’on veut bien comprendre leur puissance  Pour le ton et les façons, Montesquieu est le premier. […] Il n’y eut jamais d’écrivain qui ait possédé à un si haut degré et en pareille abondance tous les dons du causeur, l’art d’animer et d’égayer la parole, le talent de plaire aux gens du monde. […] Quand le talent de l’écrivain rencontre ainsi l’inclination du public, peu importe qu’il dévie et glisse, puisque c’est sur la pente universelle. […] Avec des réussites moindres, et par des combinaisons de toute sorte, les éléments qui ont formé les talents principaux forment aussi les talents secondaires : au-dessous de Rousseau, les écrivains éloquents et sensibles, Bernardin de Saint-Pierre, Raynal, Thomas, Marmontel, Mably, Florian, Dupaty, Mercier, Mme de Staël ; au-dessous de Voltaire, les gens d’esprit vif et piquant, Duclos, Piron, Galiani, le président de Brosses, Rivarol, Chamfort, et, à parler exactement, tout le monde.

253. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Appendice » pp. 511-516

La commission, tout en reconnaissant les qualités heureuses d’un talent fait pour être encouragé dans l’étude de la comédie franche, qu’il n’a qu’effleurée cette fois sans assez creuser les caractères, n’a donc pu, et elle le regrette, monsieur le ministre, exprimer une conclusion positive en faveur de l’ouvrage. Parmi les pièces représentées sur un autre théâtre que le Théâtre-Français, la commission, même après un premier choix, avait à en examiner plusieurs de mérite inégal et de genre fort divers ; mais elle ne pouvait ne point se préoccuper, avant tout, d’un ouvrage qui lui était désigné par le plus brillant succès, par la jeunesse et la maturité du talent, et qui est, sans contredit, la plus remarquable des pièces représentées pendant l’année. […] Il a été répondu encore, et d’une manière plus directe (toujours au point de vue dont la commission n’avait point à s’écarter), que, toute part faite et toute justice rendue au talent de l’auteur, sur lequel il n’y avait qu’une voix, on ne pouvait découvrir réellement dans sa pièce d’autre intention dominante que celle de peindre ; qu’il avait porté son miroir où il avait voulu, qu’il avait fait une exhibition fidèle, inexorable, de ce qu’il avait observé, et avait montré les gens vicieux tels qu’il les avait saisis ; que ce n’était pas un reproche qu’on lui faisait, mais que c’était le caractère de sa comédie qu’on se bornait à relever, et que ce serait lui prêter gratuitement que de voir autre chose dans son Demi-Monde qu’une peinture attachante, ressemblante et vraie, digne d’être applaudie sans doute, mais non pas d’être récompensée comme ayant atteint un but auquel l’auteur n’avait point songé. […] Dans le cas présent du moins, ce ne sont pas les talents qui ont fait faute ; il n’y a que la direction de ces talents qui ne s’est point rencontrée avec le sens de l’arrêté ; et cette direction elle-même, bien qu’on n’ait pu la comprendre dans l’encouragement proposé, ne mérite point pour cela le blâme.

254. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « J.-K. Huysmans »

Du talent pourtant, hélas ! […] Ce n’est point, du reste, par le talent qu’il est décadent ; c’est par l’emploi de ce talent. Le talent, en effet, est ici à toute page. […] IV Et cela serait réellement insupportable s’il n’y avait pas, au fond de cet ennui et de tous ces impuissants efforts pour le tromper, un peu de douleur qui fait plus pour relever le livre que le talent même.

255. (1868) Curiosités esthétiques « III. Le musée classique du bazar Bonne-Nouvelle » pp. 199-209

Nous eussions aimé voir à l’exposition Bonne-Nouvelle quelques compositions de Girodet, qui eussent bien exprimé le côté essentiellement poétique de son talent. […] Son admirable talent est toujours plus ou moins culbuté au milieu de ces cohues, où le public, étourdi et fatigué, subit la loi de celui qui crie le plus haut. […] Une des choses, selon nous, qui distingue surtout le talent de M.  […] Ce sont des œuvres charmantes dans les régions moyennes du talent et du bon goût. […] Ary Scheffer est un homme d’un talent éminent, ou plutôt une heureuse imagination, mais qui a trop varié sa manière pour en avoir une bonne ; c’est un poëte sentimental qui salit des toiles.

256. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XII. Mort d’Edmond de Goncourt » pp. 157-163

La sérénité manque à son style comme la santé à son talent, cette santé littéraire qui, selon le mot d’un de ses cadets, plus exceptionnel, plus décadent, mais plus savoureux, « fait les chefs-d’œuvre imperméables et décisifs ». […] Son talent était trop spécial pour qu’on pût le suivre sans le pasticher. […] Par une opposition curieuse, des poètes nouveaux étaient venus à lui en ces dernières années, attirés par l’aristocratie de son talent : mais il va sans dire que le vieillard ne les entendait pas. […] Malgré ses réelles qualités de maître, comme il fut somme toute un talent excentrique, ne continuant directement nulle tradition, et n’en commençant pas une importante, apparemment sera-t-il classé dans les petits-maîtres.

257. (1833) De la littérature dramatique. Lettre à M. Victor Hugo pp. 5-47

Déjà connu par des poésies pleines d’énergie, vous avez prêché avec tout l’avantage du talent la nouvelle doctrine. […] Vous possédez, Monsieur, un genre de talent qui, si vous vouliez abandonner vos fausses idées, pourrait faire oublier bientôt toutes vos erreurs. […] En vous reconnaissant du talent je n’ai fait que vous rendre justice. […] Vous avez changé tout cela, je vous en félicite ; pour peu que l’on vous imite, et pour peu que chaque auteur se croie assez de talent pour faire l’éducation d’un parterre, MM. les comédiens qui paraissent être de votre avis en tout, à force d’avoir des publics, finiront par n’en plus avoir du tout. […] Mais cet argent, qui doit contribuer à leur existence et à leur éclat, ne doit pas leur être donné gratuitement ; il faut, en payant le travail, le zèle et les talents des comédiens, que le gouvernement en retire un bénéfice au profit de l’instruction publique.

258. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Victor Hugo »

On a parlé pour la première fois sans respect de choses qui n’auraient dû étonner personne, tant elles font partie du genre de talent de Hugo, tant elles participent à la double essence de l’homme et de l’écrivain ! On a relevé avec moquerie les expressions turgescentes de ce talent gonflé par trop souvent de vide. […] Le talent touche ici au miracle ! […] Mais c’est cette idée, entre toutes, qui fait la portée de son poème, et c’est cette magnifique stupidité qui l’emporté, en force et en influence, sur son talent. […] , le talent, ici, n’est pas si grand.

259. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le Brun-Pindare. » pp. 145-167

À ceux qui douteraient de son talent, il suffit, ce me semble, de voir son buste pour comprendre à l’instant qu’une pareille tête ne saurait se joindre avec l’idée de facultés vulgaires. […] Le Brun, qui avait dans le talent des côtés grandioses, et de qui l’instinct lyrique cherchait partout autour de lui des sujets, saisit avidement celui qui lui permettait d’évoquer l’Ombre de Corneille, et de la mettre en face de Voltaire. […] M. de Vaudreuil, homme d’esprit, ambitieux, généreux, et qui aspirait sous Louis XVI à un rôle de Mécène, ayant rencontré Le Brun, s’éprit de son talent, comme il avait fait de celui de Chamfort. […] On sent trop jusque dans son talent cette parodie sérieuse et guindée de Pindare ou d’Anacréon. […] Il n’est pas nombreux avec suite ni d’une manière soutenue ; ses jets de talent sont isolés et attestent une force ingrate, à laquelle le ciel ni les parents n’ont jamais souri… Cui non risere parentes.

260. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VII. Mme de Gasparin »

Nonobstant, le livre laissé là, qui est à peine une œuvre, se trouve être un chef-d’œuvre, de par une puissance bien plus rare encore que le talent. […] Vous y trouvez bien quelques Sapho qui y jettent un ou deux cris qu’on entend toujours, quelques âmes divines comme sainte Thérèse, qui a fait, elle, son saut de Leucade dans le ciel, mais le talent littéraire, dans son expression la plus haute, est bien plus que des émotions éloquentes, que de sublimes palpitations. […] Ce talent, qui va peut-être tout à l’heure vous faire oublier, à force d’émotion, ses ressemblances et ses analogies, il semble que vous le connaissiez que vous en ayez joui déjà. […] L’auteur des Horizons prochains a en effet, dans le talent, la parenté la plus extraordinaire avec le talent de l’auteur de l’Amour. […] Talent très féminin, qui touche et qui sait plaisanter, et qui doit cacher une charmante femme, supérieure de sa personne à son talent, quand il y a tant de gens qui de leurs personnes sont plus petits, elle a l’enjouement, comme elle a les larmes, comme elle a le feu, — le feu sacré, l’étincelle pour l’encensoir.

261. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « À M. le directeur gérant du Moniteur » pp. 345-355

Mais en dehors de cela, comme critique et journaliste, quand je le redeviens, je suis entraîné à m’inquiéter avant tout des intérêts du talent. […] Feydeau l’idée, la situation et le talent, j’avais fait des réserves suffisantes ; mais, me souvenant de nos propres débuts, déjà si lointains, et des accusations, au moins exagérées, dont nous-même fûmes autrefois l’objet de la part d’adversaires prévenus, je ne saurais admettre que le meilleur moyen d’encourager ou de redresser un talent qui se produit soit de lui lancer d’abord un écritoire à la tête ou de le lapider. […] Baudelaire est un des plus anciens parmi ceux que j’appelle mes jeunes amis : il sait le cas que je fais de son esprit fin, de son talent habile et curieux. […] Mais il fallait bien faire payer à l’auteur son premier succès, qui avait été d’entraînement et de surprise : au reste, je ne l’en plains pas ; il est de force à soutenir la lutte, il en a besoin peut-être, et il n’est pas de ces jolis talents qui ne vivent qu’à condition d’être dorlotés. […] le coquin a du talent » ; après Catherine, on pourra dire : « mais il a de l’esprit. » — Les défauts, quoique moindres, sont encore ceux des précédentes études, et je donnerai derechef pour conseil général à l’auteur : éteindre des tons trop bruyants, détendre çà et là des roideurs, assouplir, alléger sa langue dans les intervalles où le pittoresque continu n’est aucunement nécessaire ni même naturel ; se pacifier par places sans se refroidir au cœur ; garder tout son art en écrivant et s’affranchir de tout système ; — ne jamais perdre de vue que, parmi les lecteurs prévenus et à convertir, il y a aussi des malins et des délicats, et ne pas aller donner comme par un fait exprès sur les écueils qu’ils ont notés de l’œil à l’avance et où ils vous attendent.

262. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXIV. Mme Claire de Chandeneux »

Ils peuvent avoir du talent d’expression — quand ils en ont toutefois — mais ils ne peuvent pas s’élever dans l’invention, même jusqu’à Ponson du Terrail ! […] Elle ne le cache pas sous l’éblouissement du talent, sous la richesse de sa nature. […] Si je n’avais vu que le talent dans Mme de Chandeneux, je ne lui aurais peut-être pas consacré un si long chapitre. […] Je l’ai mieux vu à travers l’absence du talent. […] Sans talent, il est encore un bas-bleu et c’est une importance ; et voilà pourquoi j’ai parlé si longtemps de Mme Claire de Chandeneux !

263. (1874) Histoire du romantisme pp. -399

Quelle effroyable déperdition de talent ; mais aussi quelle inépuisable richesse ! […] Nous ne voulons pas exagérer le talent de Félicien Mallefille parce qu’il est mort. […] Du reste, jamais talent ne fut plus courageux, plus opiniâtre, plus acharné à la bataille. […] S’il exécutait en peintre, il pensait en poète, et le fond de son talent est fait de littérature. […] Ne pouvant porter tout à fait le costume de son talent, il essayait de modifier l’affreux habit moderne.

264. (1891) Enquête sur l’évolution littéraire

Ni même des jeunes pleins de talent comme M.  […] Ayez d’abord du talent, tout est là. […] La vérité est qu’il y a du talent et énormément de talent des deux côtés. […] C’est dur d’avoir du talent ! […] comme vous avez du talent ! 

265. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre V. De la littérature latine, pendant que la république romaine durait encore » pp. 135-163

Les Romains avaient commencé par mépriser les beaux-arts, et en particulier la littérature, jusqu’au moment où les philosophes, les orateurs, les historiens rendirent le talent d’écrire utile aux affaires et à la morale publique. […] L’art d’écrire ne s’était développé que longtemps après le talent d’agir ; la littérature eut donc, chez les Romains, un tout autre caractère, un tout autre objet, que dans les pays où l’imagination se réveille la première. […] Sans doute Salluste et Cicéron même n’étaient pas les plus grands caractères de l’époque où ils ont vécu : mais des écrivains d’un tel talent se pénétraient de l’esprit d’un si beau siècle ; et Rome vit tout entière dans leurs écrits. […] L’écrivain solitaire peut n’appartenir qu’à son talent ; mais l’orateur qui veut influer sur les délibérations politiques, se conforme avec soin à l’esprit national, comme un habile général étudie d’avance le terrain sur lequel il doit livrer le combat. […] Quel rapport peut-il y avoir entre le caractère, les talents et les goûts d’un tel peuple pendant qu’il était républicain, et tout ce que nous lisons de l’enthousiasme du peuple grec pour le perfectionnement de l’art dramatique et poétique ?

266. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre II. Du goût, de l’urbanité des mœurs, et de leur influence littéraire et politique » pp. 414-442

Ce despotisme d’opinion, en s’étendant trop loin, pouvait nuire enfin au véritable talent. […] L’art d’éviter les écueils de l’esprit était le seul usage de l’esprit même, et le vrai talent se sentait souvent oppressé par tous ces liens de convenance. […] Rien heureusement ne convient moins que ce talent aux vertus, comme à l’esprit que doivent avoir des républicains. […] La dignité d’un citoyen est plus importante que celle d’un sujet ; car, dans une république, il faut que chaque homme de talent soit un obstacle de plus à l’usurpation politique. […] Le goût nécessaire à la littérature républicaine, dans les livres sérieux comme dans les ouvrages d’imagination, n’est point un talent à part ; c’est le perfectionnement de tous les talents : et loin qu’il s’oppose en rien ni aux sentiments profonds, ni aux expressions énergiques, la simplicité qu’il commande, le naturel qu’il inspire, sont les seuls ornements qui puissent convenir à la force.

267. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Mme de Genlis. (Collection Didier.) » pp. 19-37

Agréable et brillante dans sa jeunesse, elle ne se bornait pas à un seul goût, à un seul talent ; elle les briguait tous et en possédait réellement quelques-uns. […] Ton âme et tes talents, voilà tes justes droits ! […] En tout, ce qui lui manquait, c’était l’élévation dans l’âme et dans le talent, c’était la vérité et la nature ; d’ailleurs elle avait les finesses, les adresses et les grâces de la société. On voit d’après cet ensemble qu’avec beaucoup d’esprit et de talent, elle n’était nullement une femme supérieure. […] Le désaccord qu’on s’est plu à noter entre sa conduite et les principes affichés dans ses écrits ne fait que mieux ressortir peut-être ce que ce talent d’instituteur avait en elle de naturel, de primitif et, si j’ose dire, de sincère.

268. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 277-279

Il a débuté dans les Lettres par des Eloges historiques, tels que ceux du Roi Stanislas, de Charles V, de Louis Dauphin, de Fénélon, qui annoncent des connoissances, de l’esprit, le talent de s’exprimer avec autant de noblesse que de clarté ; mais dont le style dépourvu en général de chaleur & de nerf, fait augurer que cet Auteur aura de la peine à parvenir à la véritable éloquence. […] Il n’a ni le talent d’émouvoir le cœur, ni celui de l’intéresser. […] Avec de la modestie, le vrai talent se défie de la fausse gloire ; avec de la docilité, il profite des avis qui l’éclairent, & parvient, sans intrigue, à la véritable.

269. (1739) Vie de Molière

Tant il est vrai que les hommes qui sont au-dessus des autres par les talents, s’en rapprochent presque toujours par les faiblesses. Car pourquoi les talents nous mettraient-ils au-dessus de l’humanité ? […] Il est honteux que les hommes de génie et de talent s’exposent par cette petite guerre à être la risée des sots. […] Tous les grands talents étaient employés aux divertissements du roi, et tout ce qui avait rapport aux beaux-arts était honorable. […] Mais c’est le sort de tous ceux qui n’ont que leur talent pour appui, de travailler pour un public ingrat.

270. (1803) Littérature et critique pp. 133-288

Le zèle et le talent peuvent prendre des routes opposées pour arriver au même but. […] Il avait reçu de la nature un talent qui n’était pas vulgaire, et ce talent se fortifia trente ans par des études sans nombre et des méditations continuelles. […] Il se montra digne de les louer, par ses vertus comme par ses talents. […] Ce n’est pas que, dans ce genre, il n’ait aussi du talent et de l’art. […] Un tel spectacle échauffe même les talents les moins heureux.

271. (1767) Salon de 1767 « Les deux académies » pp. 340-345

Ce jugement des oies a donné lieu à une scène assez vive entre Marmontel et un jeune poëte appellé Chamfort, d’une figure très-aimable, avec assez de talent, les plus belles apparences de modestie et la suffisance la mieux conditionnée. […] Cochin, plus adroit, m’a écrit que chacun jugeait par ses yeux, et que l’ouvrage qu’il avait couronné lui montrait plus de talent. […] Mais écoutez une singulière rencontre de circonstances, c’est qu’au moment même où le pauvre Milot venait d’être dépouillé par l’académie, Falconnet m’écrivait : " j’ai vu chez Le Moine un élève appellé Milot, qui m’a paru avoir du talent et de l’honnêteté. […] J’en connais tout l’avantage ; mais on ne suit pas notre talent par intérêt. […] Si ce Brutus-là, qui juge son fils si sévèrement, qui estime le talent de Pigalle, mais qui n’aime pas l’homme, avait été présent à la séance de l’académie française, lorsqu’on y prononça sur les prix !

272. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 8, des plagiaires. En quoi ils different de ceux qui mettent leurs études à profit » pp. 78-92

Il y a du mérite à faire un pareil larcin, parce qu’on ne sçauroit le faire bien sans peine, et sans avoir du moins le talent de l’expression. […] Mais comme il faut du talent et du travail pour animer le marbre d’une figure antique, et pour faire d’une statuë un personnage vivant, et qui concoure à une action avec d’autres personnages, on est loüé de l’avoir fait. […] Par exemple, Racine composa sa premiere tragédie dans le goût de Corneille, quoique son talent ne fût pas pour traiter la tragédie comme Corneille l’avoit traitée. […] Il est donc naturel que les jeunes poëtes, qui, au lieu d’imiter la nature du côté que le génie la leur montre, l’imitent du côté par lequel les autres l’ont imitée, qui forcent leur talent, et le veulent assujettir à tenir la même route qu’un autre tient avec succès, ne fassent d’abord que des ouvrages médiocres. […] Il seroit inutile cependant de vouloir engager de jeunes gens, pressez par l’émulation, excitez par l’activité de l’âge, et entraînez par un génie impatient de s’annoncer au public, d’attendre à se produire qu’ils eussent connu l’espece dont est leur talent, et qu’ils l’eussent perfectionné.

273. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « II »

Les questions ayant généralement deux faces, on peut toujours, avec du talent, se donner le plaisir de contester les affirmations les plus sûres. […] Avec une pareille tournure d’esprit, il n’est pas surprenant qu’on n’ait vu dans notre enseignement que des formules, des recettes, des conseils artificiels, une rhétorique mécanique, un empirisme suspect, une méthode, en un mot, insuffisante à expliquer la sensibilité, l’inspiration et le talent personnels. […] Les questions ayant généralement deux faces, on peut toujours, avec du talent, se donner le plaisir de contester les affirmations les plus sûres. […] Avec une pareille tournure d’esprit, il n’est pas surprenant qu’on n’ait vu dans notre enseignement que des formules, des recettes, des conseils artificiels, une rhétorique mécanique, un empirisme suspect, une méthode, en un mot, insuffisante à expliquer la sensibilité, l’inspiration et le talent personnels. […] Et si ce pontife, si ce ratiocineur avait tout le talent exquis de M. de G…, que nous pèserions peu lourd dans sa main et que de pavés nous décocheraient, convaincus, les esthètes de sa suite, qui n’ont d’ailleurs ni idées ni style !

274. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Gères. Le Roitelet, verselets. »

Jules de Gères qui, s’il le voulait, trouverait bien en lui assez de talent pour n’imiter personne, n’a point naturellement l’électricité négative du laurier qui repousse la foudre et qu’ont les génies d’exception, ces esprits vierges qui tirent d’eux seuls leur fécondité et peuvent vivre impunément, n’importe où. […] Malgré l’incontestable talent d’école de l’homme qui a écrit, sans changer de plume, et en trois manières, Le Linceul des forts et Le Dernier soupir du Maure, égaux pour le moins en beauté aux plus belles Orientales de M.  […] IV Nous avons cité une des pièces qui feront connaître le mieux aux instincts poétiques le genre de talent de M. de Gères quand il est essuyé de tout souvenir. […] Nous ne savons absolument rien de M. de Gères, si ce n’est le talent qu’il a, et ce talent a l’accent assez profond pour nous faire croire qu’il n’est pas tout à fait un jeune homme et qu’il a mordu dans cette pomme empoisonnée de la vie.

275. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Louis Bouilhet. Festons et Astragales. »

L’un et l’autre se trouvaient avoir un talent qui n’inventait pas. […] Avoir du talent, mais se garder de l’invention comme de la peste, n’avoir pas surtout l’insolent privilège de l’originalité qui choque tant les esprits vulgaires et viole trop cette chère loi de l’égalité ; avoir du talent et même s’en permettre beaucoup si on peut, mais sous la condition expresse que ce sera sur un mode connu, accepté, qui ne dérangera rien dans les habitudes intellectuelles et ne sera point, pour ceux qui se comparent, une différence par trop cruelle, telle est la meilleure et la plus prudente combinaison qu’il y ait pour se faire un succès, qui suffit à la vie et même à la fatuité dans la vie et pour se passer très bien de la gloire, — ce morceau de pain toujours inutile, gagné en mourant de faim par ces imbéciles d’inventeurs qui ne le mangent pas ! […] Très souvent, dans la jeunesse, le talent n’est que le caméléon du génie. […] Je crois même qu’il y a quelque part dans les Festons de ce talent qui a bu la poésie contemporaine, non comme une organisation, pour en vivre, mais comme une éponge, pour s’en emplir et s’en gonfler, oui, je crois qu’il y a un petit filon d’originalité qu’on pourrait sauver, qui n’a pas été noyé encore et qui pourrait devenir, en le dégageant, une individualité complète, et tout à l’heure je le dirai… Mais présentement, la personnalité de M. 

276. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — II. (Fin.) » pp. 296-311

Vicq d’Azyr laisse trop voir sans doute ses intentions et ses moyens ; son art n’est pas de ceux qui se dérobent : chez lui pourtant ce qu’on est en droit d’appeler la rhétorique ne se sépare jamais de l’idée et de l’emploi même du talent. Il a dans son talent une qualité dont rien ne dispense et ne tient lieu, je veux dire la fertilité. […] Vicq d’Azyr aurait aimé à croire à l’immortalité de l’être, de même qu’il aurait incliné à se confier en la Providence : c’était une velléité de son cœur et de son talent ; il chérissait l’espérance. […] Fidèle à ces principes, suivez votre goût pour les lettres, et vous obtiendrez des gens de bien une sanction sans laquelle les plus grands talents n’ont rien qui soit digne d’être envié. » Certes, celui qui fait ainsi parler les grands esprits, et qui met dans leur bouche un sens si juste avec des paroles si complètes, est lui-même de leur postérité à bien des égards, et, si on ne le cite qu’au second rang, il ne fait pas d’injure au premier. […] Vicq d’Azyr avait à un haut degré le sentiment de la connexion et de la solidarité des sciences : en ce sens il avait l’esprit éminemment académique et encyclopédique, et, s’il nous paraît de loin aujourd’hui avoir été avant tout de la famille de ceux qui sont des messagers publics et des organes applaudis, nul ne peut dire de cet homme de talent sitôt moissonné, qu’il n’eût pas été aussi, à d’autres moments, un investigateur heureux et un inventeur.

277. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIII. Des éloges ou panégyriques adressés à Louis XIV. Jugement sur ce prince. »

Je ne parle pas de la quantité innombrable de poètes, qui, n’ayant que du zèle sans talents, étaient vils ou empressés sans plaire, et composaient de petites épîtres obscures et des sonnets sur le roi, que ni lui, ni personne ne lisait. […] Si on l’examine du côté des talents il avait un coup d’œil sûr. […] Il est peut-être difficile de déterminer à quel point il connut les talents et les hommes. […] qui, dans un pays et dans un siècle ingrat, où quelquefois, comme dans l’ancienne Rome, on punirait l’honnête homme de ses vertus, et l’homme de génie de ses talents, qui voudrait se livrer à des travaux pénibles et se donner la peine d’être grand ? […] On trouvera qu’il eut moins de sagesse, mais plus d’éclat que Charles V ; moins de bonté, mais beaucoup plus de talents que Louis XII.

278. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVIII et dernier. Du genre actuel des éloges parmi nous ; si l’éloquence leur convient, et quel genre d’éloquence. »

Depuis un demi-siècle, il s’est fait parmi nous une espèce de révolution ; on apprécie mieux la gloire ; on juge mieux les hommes ; on distingue les talents des succès ; on sépare ce qui est utile de ce qui est éclatant et dangereux ; on ne pardonne pas le génie sans la vertu ; on respecte quelquefois la vertu sans la grandeur ; on perce enfin à travers les dignités pour aller jusqu’à l’homme. […] Mais la même raison qui a dû faire tomber tous ces genres d’éloges déclames ou chantés, écrits ou parlés, ou ridicules ou ennuyeux, ou vils ou du moins très inutiles à tout le monde, excepté à celui à qui on les paie, a dû au contraire accréditer les panégyriques des grands hommes qu’on peut louer sans honte, parce qu’on les loue sans intérêt, et qui, dans des temps plus heureux, ayant servi l’humanité et l’État, offrent de grandes vertus à nos mœurs, ou de grands talents à notre faiblesse. […] Ce n’est pas tout ; observez l’influence de son caractère sur ses talents, ou de ses talents sur son caractère ; en quoi il a été original, et n’a reçu la loi de personne ; en quoi il a été subjugué ou par l’habitude la plus invincible des tyrannies, ou par la crainte de choquer son siècle, crainte qui a corrompu tant de talents ; ou par l’ignorance de ses forces, genre de modestie qui est quelquefois le vice d’un grand homme ; mais surtout démêlez, s’il est possible, quelle est l’idée unique et primitive qui a servi de base à toutes ses idées ; car presque tous les hommes extraordinaires dans la législation, dans la guerre, dans les arts, imitent la marche de la nature, et se font un principe unique et général dont toutes leurs idées ne sont que le développement. […] Qu’ainsi, dans l’ordre politique, l’orateur se pénètre des grands rapports du prince avec les sujets, et des sujets avec le prince ; qu’il sente avec énergie et les biens et les maux des nations ; que, dans l’ordre moral, il s’enflamme sur les liens généraux de bienfaisance qui doivent unir tous les hommes, sur les devoirs sacrés des familles, sur les noms de fils, d’époux et de père ; que dans ce qui a rapport aux talents, il admire les découvertes des grands hommes, la marche du génie, ces grandes idées qui ont changé sur la terre la face du commerce, ou celle de la philosophie, de la législation et des arts, et qui ont fait sortir l’esprit humain des sillons que l’habitude et la paresse traçaient depuis vingt siècles. […] Êtes-vous destinés, par vos talents, à la renommée ?

279. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. (suite et fin) »

Nous ne nous attachons en tout qu’à la raison et au talent, à ce qui compte. […] Berryer, après son premier discours à la Chambre, si quelqu’un tout bonnement disait ; « C’est un grand talent. » — « Ce n’est pas un talent, répliquait M.  […] Il marqua, dès les premières discussions, par un genre de talent alors fort rare, celui d’une improvisation réelle, d’une faculté de réplique immédiate, abondante et juste. […] Juge, il était l’âme des procès, des commissions ; ses talents d’éminent magistrat se déclarèrent ; dans les difficultés, il prenait sur lui la responsabilité du premier avis, qu’il donnait toujours excellent. […] Mais le Laurentie manquerait au seul talent qu’il ait, en procédant autrement : esprit bas, étroit, médiocrité amère.

280. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

Une figure aimable, une tournure élégante, un port de tête assuré, soutenu d’une facilité rare d’élocution, d’une originalité fine et d’une urbanité piquante, lui valurent la faveur des salons et cette première attention du monde que le talent attend quelquefois de longues années sans l’obtenir. […] Il y primait par son talent naturel d’improvisation, dont tous ceux qui l’ont entendu n’ont parlé qu’avec admiration et comme éblouissement. […] Il ne se dissimulait pas que ce talent brillant qu’il portait avec lui, qu’il déployait avec complaisance dans les cercles, et dont jouissait le monde, lui attirait aussi bien des envies et des inimitiés : « L’homme qui porte son talent avec lui, pensait-il, afflige sans cesse les amours propres : on aimerait encore mieux le lire, quand même son style serait inférieur à sa conversation. » Mais Rivarol, en causant, obéissait à un instinct méridional irrésistible. […] Pourtant, ce qui se pardonne aisément chez un chanteur, un pianiste ou violoniste, chez un talent spécial, se pardonne moins dans l’ordre de l’esprit. […] Rivarol n’était point un homme de génie, mais c’était plus qu’un homme d’esprit : il réalisait tout à fait l’idéal de l’homme de talent, tel qu’il l’a défini : « Le talent, c’est un art mêlé d’enthousiasme. » Il est dommage que ce talent, chez lui, fût un peu gâté par du faste et de l’apprêt.

281. (1759) Réflexions sur l’élocution oratoire, et sur le style en général

C’est, avons-nous dit, le talent de faire passer avec rapidité et d’imprimer avec force dans l’âme des autres le sentiment profond dont on est pénétré. […] Néanmoins comme le talent d’émouvoir est le caractère principal de l’éloquence, c’est aussi sous ce point de vue que nous allons principalement la considérer. […] Nous appelons l’éloquence un talent, un art, comme l’ont appelée la plupart des rhéteurs ; car tout art s’acquiert par l’étude et par l’exercice, et l’éloquence est un don de la nature. […] Mais dans ceux qui ont le talent de la poésie, cette contrainte même devient une source de beautés. […] La réunion de la justesse et de l’harmonie était vraisemblablement le talent supérieur de Démosthène.

282. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — P.-S. » pp. 38-40

xii, et à l’Appendice qui s’y rattache : Massillon, jeune et dans l’Oratoire, avait eu une veine de ferveur qui plus tard s’était fort calmée ; son talent naturel, comme il arrive à tant de grands talents, était resté chez lui assez indépendant du fond de l’inspiration même. […] Le premier, d’environ trente-quatre ans, a l’air mortifié et recueilli, une grande connaissance de la religion, beaucoup d’éloquence, d’onction, de talent pour appliquer l’Écriture. […] Même après les grands éloges qu’il se plaît à leur donner, il continue de ne parler du père Massillon et du père Maur que comme venant après lui et à titre de jeunes talents qui promettent : « Pour le père Massillon et le père Maur, c’est une réputation naissante que la leur.

283. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Andrieux »

Andrieux a fait, avec un talent qui pouvait sembler de médiocre haleine, ce que bien des talents plus forts ont trouvé trop long et trop lourd ; il a fourni une carrière non interrompue de dix-huit années de professorat ; et, comme il le disait lui-même à sa dernière leçon, il est mort presque sur la brèche. […] En somme, ce fut un honorable caractère, et plus fort peut-être que son talent ; mais ce talent lui-même était rare.

284. (1890) Dramaturges et romanciers

Tel est le talent de M.  […] C’est ici que ces qualités mondaines qui distinguent le talent de M.  […] De là un des caractères les plus curieux de son talent : l’optimisme. […] Un des grands mérites du talent de M.  […] On n’a pas assez remarqué, jusqu’à présent, ce côté du talent de M. 

285. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 100-103

Mais ce Poëte a oublié volontiers ces petits triomphes, pour s’attacher à un Ouvrage plus capable d’établir & d’étendre solidement sa réputation, quoique l’exécution n’ait pas entiérement répondu à l’idée qu’on avoit conçue de son talent pour la Poésie héroïque. […] Ce morceau, ainsi que beaucoup d’autres, où il a employé des images qui ne sont point dans l’Original, donnent l’idée la plus avantageuse de son talent, & doivent le faire distinguer de la foule des Poëtes Traducteurs. […] Il est donc bien plus digne des soins de quiconque est né avec du talent, de ne pas s’asservir à rendre un Original mot à mot, phrase par phrase, idée par idée, image par image.

286. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Boucher » pp. 196-197

Ce maître a toujours le même feu, la même facilité, la même fécondité, la même magie et les mêmes défauts qui gâtent un talent rare. […] Quel abus du talent ! […] Mais dites cela à un homme corrompu par la louange et entêté de son talent, et il hochera dédaigneusement de la tête ; il vous laissera dire et nous le quitterons Jussum se suaque solum amare.

287. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

Jaloux de la faveur et du crédit, porté en naissant au sein de la fortune, il ne négligea aucun moyen de se pousser et de monter aussi haut qu’il le pourrait : il avait de quoi justifier cette ambition par son mérite et par divers genres de talents. […] Revenu sur la scène, maréchal de France en 1734, il servit bien en Italie l’année suivante et réussit contre les Impériaux, de concert avec des alliés ombrageux et par une combinaison de qualités tant militaires que diplomatiques : ce mélange de talents était son fort. […] « Voilà sans doute bien de l’agréable et de grands talents de Cour ; heureux s’il n’en avait point d’autres ! […] Il soutenait avec un rare talent des idées qu’il abandonnait un instant après, tant sa tête était mobile, sans arrêt, sans justesse, et refaisant toujours ce qu’elle n’achevait jamais. […] Un peu de folie dans son talent, un peu de vertu dans son égoïsme, ajoutaient aux variations de ce Protée que la Cour avait vu changer successivement de parti, de goûts, de mœurs, et qui probablement aussi eût changé d’amis s’il en avait eu.

288. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — II. (Suite et fin.) » pp. 436-455

Si l’on veut prendre idée tout d’abord de son genre de talent, qu’on relise, dans son Étude première, la composition qu’il fait d’un paysage à l’embouchure d’un fleuve : comme il le dessine ! […] Ce sont ces touches du xviiie  siècle et de l’époque Louis XVI qui me gâtent la Grèce chez Bernardin, et qui me font tache dans les descriptions de son pur talent. […] Villemain, dans son rapport public du 19 août dernier, n’avait jugé à propos, par un coup de talent, de rendre un éclat inattendu à cette ancienne séance. […] Pour moi, si j’avais voulu montrer combien le talent de Bernardin de Saint-Pierre est peu flexible et peu capable de se plier aux divers emplois, j’aurais cité précisément ce discours. […] Qu’on retourne la chose comme on le voudra : dans le cas présent, il y a flagrant délit de talent, de malice et d’inexactitude.

289. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVI. Des oraisons funèbres et des éloges dans les premiers temps de la littérature française, depuis François Ier jusqu’à la fin du règne de Henri IV. »

On rendit à un homme qui n’avait que des talents, le même honneur que s’il avait eu le privilège de faire du bien à la nation dans quelque grande place63. […] Elles servent encore à prouver qu’il y a dans les talents une grandeur personnelle, qu’on a crue quelquefois égale à celle des dignités. […] Ses talents, ses vertus, et jusqu’à ses défauts, tout, pour ainsi dire, nous appartient. […] On peut dire qu’aujourd’hui ce prince a une espèce de culte parmi nous ; tous les talents et tous les arts ont été employés à lui rendre hommage. […] Des princes du sang, une foule de gens de la cour, et tous les hommes les plus célèbres par leur esprit et leurs talents y assistèrent.

290. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Chants du crépuscule (1835) »

Hugo, plus qu’aucun des lyriques précédents, avait fait preuve d’une conviction naïve fondue au talent, d’une inspiration spontanée et sincère. […] Elle donne la meilleure et la plus profonde réponse à cette question souvent débattue : si les grands poètes qui nous émeuvent et rendent de tels sons au monde ont en partage ce qu’ils expriment ; si les grands talents ont quelque chose d’indépendant de la conviction et de la pratique morale ; si les œuvres ressemblent nécessairement à l’homme ; si Bernardin de Saint-Pierre était effectivement tendre et évangélique ; quelle était la moralité de Byron et de tant d’autres, etc., etc. ? […] André Chénier, qui, je le crois bien, songeait en ce moment au poëte Le Brun, son ami, dont il ne pouvait concilier le talent et le caractère, s’écriait : Ah ! j’atteste les cieux que j’ai voulu le croire, J’ai voulu démentir et mes yeux et l’histoire : Mais non ; il n’est pas vrai que des cœurs excellents Soient les seuls en effet où germent les talents. […] Il a figuré, dans un moule qui ne s’oubliera plus, ce don divin du talent, avec tout ce qu’il y entre à la fois de grandeur, de tristesse et de misère.

291. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Gaston Boissier » pp. 33-50

Gaston Boissier n’est pas encore de l’époque des tabourets… Il a du talent, — un talent agréable, — agreabilis, comme disait M. de Jouy, une des gloires latines de l’Académie française. […] À la souplesse du talent et à la discrétion, à cet air ineffable de ne pas toucher à ce sur quoi il pèse davantage, M.  […] beaucoup de talent pour n’être pas ridicule en débitant de telles fadaises, mais le talent, mais la magie, c’est de les faire passer. […] Je l’affirme avec sécurité, l’histoire du Christianisme écrite par un homme qui n’a pas dans la tête la raison métaphysique de la nécessité du surnaturel pour expliquer le monde, sera toujours manquée, — avec plus ou moins d’éclat, s’il a du talent.

292. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Hommes et dieux, études d’histoire et de littérature, par M. Paul De Saint-Victor. »

En un mot, dans ces volumes de critique qu’on multiplie de nos jours, je goûte certes le talent et ce qui donne la mesure d’un esprit, mais j’aime surtout l’information, l’accident, le détail et la circonstance, ce qui en restera de piquant et d’imprévu pour ceux qui les liront plus tard. […] Il tient en tout à observer les degrés ; il ordonne volontiers la littérature et l’art comme Raphaël ordonne l’École d’Athènes, et comme Ingres son plafond ; chaque génie, chaque talent y est à son plan et selon sa mesure ; Gil Blas n’y est pas mis de niveau avec le Don Quichotte : rien de plus vrai ni de mieux senti ; mais il n’y a pas seulement des degrés, il y a des exclusions, il y a des anathèmes : c’était à peu près inévitable. […] Il me représente le talent en personne, le talent armé comme pour un combat ou pour une fête. […] Le volume qu’il vient de publier est comme une magnifique ouverture ; il y a mis d’avance un échantillon et un bouquet des belles choses qui se trouveront développées dans la suite ; qu’il poursuive donc, qu’il nous donne résolûment le recueil de ses meilleurs articles dans les diverses branches de critique où son beau talent se signale depuis tant d’années.

293. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Lélia (1833) »

Parmi les femmes qui se sont ainsi lancées, la plainte à la bouche, dans cette mêlée, la plus éloquente, la plus hardie, la première de bien loin en talent, a été sans aucun doute l’auteur d’Indiana, l’accusatrice de Raymon de Ramière. […] Comme témoignage de lui-même, comme déploiement de sa force et de son talent, si l’auteur n’avait visé qu’à cela, Lélia atteindrait certes le but. […] L’auteur de Lélia n’a point de ces oublis : il m’a semblé que quelquefois même son talent seul achevait un développement qui était commencé avec l’âme. […] J’attribue à la rapidité de l’exécution ce surcroît de talent qui, d’après ma conjecture, vient au secours de la pensée primitive et la perd bientôt de vue en allant au delà. […] Mais il y a bien des passages dans Lélia où toutes les grâces du talent ne sont employées qu’à nuancer et à revêtir les sentiments les plus éprouvés, les émotions les plus présentes.

294. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 151-168

Ils méprisent d’abord ses Satires ; & pour rendre ce sentiment intéressant, ils affectent une fausse bénignité, ressource ordinaire & très-commode aux esprits médiocres, qui ont plus d’amour-propre que de talent. […] Des Auteurs sans génie, sans talent, sans étude, & tout à la fois ambitieux, vains, & tranchans ; les Littérateurs plus habiles dans les mysteres de l’intrigue, que dans ceux de la Littérature, qui, à la faveur des suffrages extorqués, prétendoient attirer les hommages qui ne sont dus qu’au Génie ; des importans du second ordre, qui, se croyant en droit de décider de tout suivant leur caprice, s’efforçoient de substituer un faux culte à celui des véritables Divinités du Parnasse. […] N’en trouve t-on pas mille traits dans son Art poétique, où il a eu le talent de répandre les fleurs de l’imagination sur l’aridité des préceptes, d’enrichir les détails de quantité de traits, dont le moindre annonce l’Homme de génie ? […] Finissons cet article, en déclarant encore à tous les Aristarques du nouveau Monde Littéraire, que, malgré leurs efforts, leurs Dissertations, leurs Sentences, leurs Satires, Despréaux n’en sera pas moins celui de tous nos Poëtes dont on a retenu & dont on citera toujours le plus de vers ; celui qui, le premier, a déployé les richesses de notre Langue, & qui l’a portée, par ses Ouvrages, au degré d’estime où elle est parvenue depuis ; celui qui a fait le plus régner le bon goût, & a le plus fortement attaqué le mauvais ; celui qui a su le mieux réunir l’exactitude de la méthode & la vivacité de l’imagination ; le sel de la bonne plaisanterie, & le respect dû à la Religion & aux mœurs ; l’art de lancer le ridicule, & celui de louer avec délicatesse ; le talent d’imiter, en paroissant original ; la distinction unique d’être tout à la fois Législateur & Modele ; &, pour tout dire enfin, il ajoutera à tous ces genres de gloire, ce qui donne le plus de droit aux hommages de la vertu, les qualités du cœur. […] Ses autres Pieces n’ont pas, à la vérité, le même mérite ; mais elles n’en prouvent pas moins son talent & sa supériorité dans le genre qui lui étoit particulier.

295. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution d’Angleterre »

Sous ce modeste titre d’Études biographiques sur la Révolution d’Angleterre 6, Guizot a publié un volume d’histoire qui aurait bien eu le droit, à ce qu’il me semble, quand on pense au nom et au talent de l’auteur, de porter un titre plus orgueilleux. […] Est-il bien nécessaire de dire qu’on retrouve dans cet écrit les qualités ordinaires d’un talent qui ne fléchit pas ? […] les longues grandeurs du talent comme les longues grandeurs de la fortune. […] Du reste, ce n’est point dans les surprises d’un talent que l’Europe connaît et qui ne peut plus étonner personne, qu’il faut chercher la raison de l’intérêt de cet écrit de Guizot. […] Pour ceux-là qui resteront fermes, appuyés à des opinions inflexibles, sous la parole imposante d’un talent incontestable et qui touche par bien des côtés à la vérité, il sera curieux et fructueux tout ensemble de lire, en face des hommes et des choses de la révolution présente, — car la République n’est pas même une étape et la Révolution marche toujours, — le récit d’un autre temps révolutionnaire, et d’en tirer de grands enseignements et d’instructives comparaisons.

296. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Gérard de Nerval  »

Il y a du roman, des voyages, presque de l’histoire, de la biographie, de la critique, de la correspondance… C’est assez de sujets et d’espace pour mettre beaucoup de talent, si véritablement on en a. […] Né compagnon, quoique rêveur, fait pour aller en troupe, Gérard de Nerval ne fut point un talent solitaire, et il n’y a jamais de grand et de beau que les talents solitaires ! […] Dans les diverses tendances de sa pensée, dans les nombreuses vibrations de son genre de talent, dont aucune ne fut jamais assez retentissante pour l’emporter sur les autres et signifier la vocation, Gérard de Nerval m’apparaît plus fait pour l’érudition que pour toute autre chose. […] … Il n’y avait pas à dire non plus, comme Théophile Gautier, que le talent de Gérard était « un marbre grec légèrement teinté de pastel aux joues et aux lèvres par un caprice du sculpteur ».

297. (1874) Portraits contemporains : littérateurs, peintres, sculpteurs, artistes dramatiques

Si j’ai quelque instruction et quelque talent, c’est à lui que je les dois. […] Un étrange mérite du talent de M.  […] Nous avons insisté sur cette partie lyrique du talent de M.  […] Nous avons insisté chez le nouvel académicien sur le talent du feuilletoniste. […] Hugel, riche seigneur prussien, Marilhat comprit sa vocation, et l’avenir de son talent fut décidé.

298. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Léon Cladel »

Magie du talent ! […] La patrie, cette patrie qui n’a que quelques pieds d’horizon et qui a porté notre berceau, qui nous entre par les yeux dans le cœur aux premiers moments de la vie, et qui est comme le cœur concentré de l’autre et grande patrie, est entrée trop avant en lui pour que son talent puisse exister sans elle. Comme Antée, il faut qu’il ait sous les pieds ce morceau de terre sacrée pour être fort… Malgré son talent herculéen de peintre, Cladel perdrait la moitié de sa palette s’il ne peignait pas son pays, ou si ce pays perdait lui-même ses mœurs, ses saveurs séculaires, sa puissante originalité. […] Cladel ne le croit pas ; mais je le lui affirme, moi dont le métier est de dégager du talent qui se sent la métaphysique qui s’ignore… Et faites le jeu vous-même sur son livre, et voyez si Cladel est autre chose qu’un peintre ; mais un peintre d’une force infinie !

299. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXII. Des éloges des hommes illustres du dix-septième siècle, par Charles Perrault. »

Dans cette place, où il était si aisé de nuire, il ne fut jamais qu’utile : il produisait les talents, comme d’autres les eussent écartés. […] Enfin ceux qui sentent tout le prix des talents, et qui ont le goût des arts, voient avec intérêt, à la suite des princes, des généraux et des ministres, les noms des artistes célèbres ; de Lully, de Mansart, de Le Brun ; de ce Claude Perrault, qu’on essaya de tourner en ridicule, et qui était un grand homme ; de la Quintinie, qui commença par plaider avec éloquence, et qui finit par instruire l’Europe sur le jardinage ; de Mignard, dont ses parents voulurent faire un médecin, et dont la nature fit un peintre ; du Poussin, qui, las des intrigues et des petites cabales de Paris, retourna à Rome vivre tranquille et pauvre ; de Le Sueur qui mérita que l’envie allât défigurer ses tableaux ; de Sarrazin, qui, comme Michel-Ange, fut à la fois sculpteur et peintre, et eut la gloire de créer les deux Marsis et Girardon ; de Varin, qui perfectionna en homme de génie l’art des médailles ; enfin du célèbre et immortel Callot, qui eut l’audace, quoique noble, de préférer l’art de graver, à l’oisiveté d’un gentilhomme, et qui imprima à tous ses ouvrages le caractère de l’imagination et du talent. […] Il aurait pu ajouter que parmi les grands talents même, ou politiques, ou militaires, il y en a beaucoup qui, après eux, ne laissent point de traces ; au lieu que les monuments des arts restent.

300. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

C’est là que Voltaire a imprimé le caractère de son talent tragique. […] Il n’y avait qu’à peindre, et c’était un des talents de Voltaire. […] Il est comptable de son talent, comme un magistrat de son autorité. […] Cet avantage résulte d’un grand talent de définition. […] Son talent était digne d’un meilleur emploi.

301. (1902) La formation du style par l’assimilation des auteurs

Elle doit, en un mot, donner du talent. […] L’art de lire est un talent spécial. […] La « relecture » est la pierre de touche du talent. […] Servile, elle tue le talent. […] Même quand on n’a pas de talent, elle est facile ; et si l’on a du talent, elle est inutile.

302. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De la dernière séance de l’Académie des sciences morales et politiques, et du discours de M. Mignet. » pp. 291-307

Mignet, qui a décrit en termes heureux le talent de l’homme, avait voulu traiter du philosophe un peu à fond et sans précautions fausses, il aurait insisté sur ces pages dont l’accent pénètre et doit trouver grâce auprès de tous. […] Ce n’était là chez vous qu’une forme littéraire sans doute, qu’une première roideur de talent. […] Jouffroy pour les études philosophiques et pour l’observation intérieure, j’ai toujours cru qu’après son premier feu jeté, il eût été bon pour lui de se détourner de cette contemplation absolue et un peu stérile où il s’est consumé, et d’appliquer son beau talent à des matières qui l’eussent nourri et renouvelé. […] Jouffroy s’exagérait un peu son rôle ; il avait certes son originalité, mais c’était surtout par le talent. […] Mignet de dire toutes ces choses, et peut-être même ne les a-t-il jamais sues qu’à peu près : car, homme de mérite et d’un talent supérieur, il a la faculté, ce me semble, de ne voir qu’imparfaitement tout ce qui ne se passe pas en plein sous son regard ; ce qui aide fort à la sérénité.

303. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — III » pp. 476-491

Tout la séparait de cette femme de lettres habile, douée de talents et de facilités incontestables, mais de veine mensongère et verbeuse. […] On les craint, on les désire, on s’en vante ; et le talent modeste est estimé et souvent oublié. […] Le mieux donc, même en causant, est de ne pas désespérer à ce point des talents nés incomplets, de ne pas rayer d’un trait les esprits, eussent-ils leur coin d’infirmité (et chacun a le sien, elle en convient toute la première), de ne pas méconnaître le parti qu’ils peuvent tirer d’eux-mêmes et qu’en peut tirer la société. […] On n’est pas encore remis de la commotion violente produite par ces deux talents, et de l’imitation forcée qu’elle entraîne, que viendra Lamartine, cet autre enchanteur et fascinateur, suivi de bien d’autres : les Lamennais, les Sand, les Michelet… Ce n’est pas un crime que je leur fais, mais tout grand talent est presque nécessairement perturbateur d’atticisme. […] que de talents perdus dans nos premières assemblées auraient réformé l’administration ou relevé la magistrature !

304. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — I » pp. 1-17

Dans l’intervalle cependant, il y a cinq ans de cela, avaient paru, mais sous la réserve encore d’une demi-publicité, les Reliques d’une sœur du poète, Eugénie de Guérin, son égale, sinon sa supérieure en talent et en âme1. […] Guérin, sans aucun système et par libre choix, par affinité de talent, est de son école. […] En 1833, Guérin, ce Breton d’adoption et qui était alors bien plus Breton de génie et d’âme que Brizeux, vivait donc en plein de cette vie rurale, reposée, poétique et chrétienne, dont la sève montait à flots dans son talent et s’épanchait avec fraîcheur dans ses pages secrètes. Il avait ses troubles, ses défaillances intérieures, je le sais : nous reviendrons, au moins pour l’indiquer, sur ce côté faible de son âme et de sa volonté ; son talent, plus tard, sera plus viril en même temps que sa conscience moins agitée ; ici il est dans toute sa fleur délicate d’adolescence. […] J’ai encore quelque chose à dire sur cette station de Guérin à La Chênaie et en Bretagne, sur cette époque nourricière de son talent.

305. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Valentine (1832) »

encore un talent, me disais-je, que la rapacité des libraires et du public, que cette impatience d’une époque où rien ne mûrit, où tout se dévore, va mettre au pillage sans doute, et dont les semences précieuses iront chaque matin au vent ; car de nos jours, dans les Lettres autant qu’ailleurs, il semble que tout soit devenu le prix de la vitesse et de l’empressement. […] Une telle différence d’impression, si tranchée et si brusque, ne paraissait-elle pas signifier que probablement le talent de l’auteur d’Indiana, ainsi que celui de tant de femmes, avait pour limites la réalité restreinte d’une situation unique ; et que, cette situation une fois exprimée, il ne fallait guère espérer en dehors, pour les excursions futures de ce talent, que d’heureuses rencontres de hasard, des traits et des coins délicatement sentis, mais point de création ni d’œuvre ? […] Bénédict, spirituel, instruit, ironique et né ennuyé comme les jeunes gens de ces dernières générations, a rapporté, à vingt-deux ans, sous le toit rural, un cœur ambitieux, mécontent, un besoin vague de passion et d’action, le dégoût de tout travail positif, des talents d’ailleurs, des idées, surtout des désirs, un sentiment très-vif et très-amer de son infériorité de condition et des ridicules de ses bons parents ; il n’épargne pas, dans son dédain, sa jolie et fraîche cousine Athénaïs qui n’aspire qu’à lui plaire. […] À partir du double mariage de Valentine et d’Athénaïs, la vérité parfaite du commencement ne se montre plus que par retour : le talent essaye en vain de racheter à force de scènes le naturel et la vraisemblance qui ne peuvent sortir que de l’ensemble des situations lentement approfondies.

306. (1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — II »

Nous insisterons sur les défauts en particulier : quoique divers en apparence, ils se rattachent presque tous à une cause commune qu’il faut rechercher et combattre dans la nature même du talent de M.  […] De là une physionomie particulière de talent qu’il nous sera plus aisé de retracer d’après M.  […] Loin de s’affaiblir et de s’effacer, comme il arrive chez certains talents impuissants à rien reproduire, elles se sont forcées et chargées outre mesure. […] Hugo le compte rigoureux, mais nécessaire, que nous imposait notre estime même pour son talent. Ce talent est tellement supérieur, et il y aurait si peu à faire pour le rendre, sinon toujours égal, du moins toujours soutenu, que la critique serait coupable de dissimuler avec lui.

307. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IV. Des femmes qui cultivent les lettres » pp. 463-479

Certainement il vaut beaucoup mieux, en général, que les femmes se consacrent uniquement aux vertus domestiques ; mais ce qu’il y a de bizarre dans les jugements des hommes à leur égard, c’est qu’ils leur pardonnent plutôt de manquer à leurs devoirs que d’attirer l’attention par des talents distingués. […] Un grand talent triomphait de toutes ces considérations ; mais il était néanmoins difficile aux femmes de porter noblement la réputation d’auteur, de la concilier avec l’indépendance d’un rang élevé, et de ne perdre rien, par cette réputation, de la dignité, de la grâce, de l’aisance et du naturel qui devaient caractériser leur ton et leurs manières habituelles. On permettait bien aux femmes de sacrifier les occupations de leur intérieur au goût du monde et de ses amusements ; mais on accusait de pédantisme toute étude sérieuse ; et si l’on ne s’élevait pas, dès les premiers pas, au-dessus des plaisanteries qui assaillaient de toutes parts, ces plaisanteries parvenaient à décourager le talent, à tarir la source même de la confiance et de l’exaltation. […] Néanmoins un homme distingué ayant presque toujours une carrière importante à parcourir, ses talents peuvent devenir utiles aux intérêts de ceux mêmes qui attachent le moins de prix aux charmes de la pensée. […] Les femmes sentent qu’il y a dans leur nature quelque chose de pur et de délicat, bientôt flétri par les regards même du public : l’esprit, les talents, une âme passionnée, peuvent les faire sortir du nuage qui devrait toujours les environner ; mais sans cesse elles le regrettent comme leur véritable asile.

308. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Taine » pp. 231-243

Victor Hugo, qui nécessairement, avec le nom de son auteur, devait faire explosion, mais qui l’a faite comme un canon crevant par la culasse, la poudre du talent n’a pas parlé. […] Le talent est plus fort que les idées fausses chez les hommes de talent. […] Carlyle, en définitive, nous venons de le voir, malgré la sympathie et l’entraînement que le talent très réel de cet homme a causés à M.  […] Mais cette exposition d’idées pures n’avait et ne pouvait avoir ni le relief, ni le piquant, ni le montant, ni la chaleur de la notice sur Carlyle, qui n’était pas, elle, seulement une exposition de système mais l’étreignement par la flamme d’un talent qu’elle allume, d’une passionnante individualité !

309. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Antoine Campaux » pp. 301-314

peut-être son talent. Le talent garde le mystère des impressions dont il est formé dans nos esprits ou dans nos âmes. Sans cette vie, sur laquelle la morale a bien le droit d’allonger ses moues, qui peut dire que le talent de Villon n’aurait pas péri ? […] Après la caractéristique du génie de Villon, si vite aperçue et mise en lumière, après les sources morales cherchées et découvertes à travers l’œuvre d’un porte qui a bu toutes les hontes, comme il le dit de lui-même, et qui a tant de parties grossières, mais où le talent brille encore tout en se déshonorant, vient la tâche plus facile de l’appréciation littéraire de l’œuvre entière de Villon, et M.  […] Villon, qui a vécu un peu comme Callot, le rappelle deux fois, — par son genre de talent et aussi par sa physionomie.

310. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Sophie Arnould »

Il y a des choses, il est vrai, dans cette Correspondance, qu’il est impossible même à MM. de Goncourt de ne pas voir… En leur qualité de peintres, d’ailleurs, et de peintres recherchant des effets de peinture, ils ont peut-être trouvé frappant et pathétique de montrer les vices et la misère, fille de ces vices, chez la plus brillante et la plus spirituelle courtisane du xviiie  siècle, morte de misère après l’éclat et les bonheurs du talent et de la fortune, le triomphe, l’enivrement, toutes les gloires sataniques de la vie, et de faire de tout cela un foudroyant contraste, une magnifique antithèse… Mais s’ils ont montré — hardiment pour eux — la fameuse Sophie Arnould, qui naturellement devait tenter la sensualité de leur pinceau, dégradée de cœur, de mœurs, de fierté, de talent et de beauté, au déclin cruel de la vie, ils n’ont pas osé aller jusqu’à la vérité tout entière. […] L’opinion, erronée, selon moi, de MM. de Goncourt, sur l’esprit et le talent de ces lettres, les a empêchés de mesurer l’immense abjection de celle qui les a écrites. […] Eh bien, je m’imagine qu’il pouvait avoir une portée plus grande que celle des rayons du talent qui y brille ! […] Il ne fallait pas se laisser absorber par cette courtisane dangereuse encore, après sa mort, et qui a des séductions d’outre-tombe… Quand MM. de Goncourt publièrent cette chronique, hardie et quelquefois effrontée comme elle, de Sophie Arnould (c’était en 1857), ils étaient jeunes, — et dans la fougue et la flamme d’un talent qu’ils avaient allumé à tous les candélabres du xviiie  siècle.

311. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Ch. de Rémusat. Abélard, drame philosophique » pp. 237-250

Un grand talent peut s’y mêler pourtant. Il y a du talent, par exemple, dans le Cromwell de Victor Hugo, dans l’Ahasvérus de Quinet. Mais ni grand talent, ni même grand génie, ne sauraient arracher de telles œuvres à leur radicale, à leur irrémédiable infériorité. […] L’enthousiasme, ce brûleur d’encens, n’y a pas allumé de talent. […] Le talent peut être ridicule parfois, cela s’est vu !

312. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Mm. Jules et Edmond de Goncourt. » pp. 189-201

Or, comme il n’y avait là à attendre ni manière nouvelle de regarder et de juger cette société méprisable en tout, depuis ses mœurs jusqu’à ses arts, ni manière nouvelle non plus dans le procédé pour la peindre, car on ne renouvelle son talent qu’en agissant fortement sur le fond même de sa pensée, nous n’eussions plus parlé de MM. de Goncourt. […] Le talent ne manque point à MM. de Goncourt, pensions-nous. […] Malheureusement, c’est l’observation large, profonde, impersonnelle, et sans laquelle le romancier n’existe pas, qui manque à MM. de Goncourt, ces talents costumiers qui croient que le costume est l’homme, et qui nous donnent aujourd’hui ce qui doit dans cent ans être la défroque du dix-neuvième siècle, — comme ils nous ont donné celle du dix-huitième siècle, ravaudeurs éternels ! […] Il y a du talent cependant, — quelquefois beaucoup, — dans ce défoncement général, dans ce désastre dont les auteurs sont très-contents, très-heureux et fiers, fiers comme les postillons, enrubannés et ivres, d’une noce, qui feraient claquer leurs fouets, comme si de rien n’était, sur la voiture versée et leurs chevaux abattus ! […] Je me dis qu’ils peuvent retourner à l’habit gorge de pigeon, s’ils veulent, et à ce dix-huitième siècle, qui leur a mis dans le talent ses paillettes et ses fanfreluches.

313. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Théophile Gautier. » pp. 295-308

Quand il publia ses dernières poésies, — Émaux et Camées, — je consacrai, dans ce livre des Hommes et des Œuvres 31, une longue étude à ce talent savant et laborieux. Et cependant, si aujourd’hui, à propos d’un livre qu’il m’est impossible d’admirer, je veux prendre exactement la mesure de ce talent, et si j’ose introduire mes petites réserves sur des procédés d’exécution dont je connais la profondeur et la portée, dussé-je m’adresser aux esprits les plus connaisseurs, ayant au fond la conviction que la critique que je me permets est fondée ! […] et qu’il est plus que temps, pour l’honneur de tous, d’en finir avec ce capitonnage dérisoire du même mot qu’on répète contre la Critique, surtout quand il s’agit d’un homme qui ne demande pas quartier, lui, et qui a bien assez de talent pour entendre une fois la vérité, — ce qui le changera ! […] Quoique tous les genres de composition romanesque ne soient pas égaux, même devant le génie, et qu’il y ait une hiérarchie dans les œuvres aussi bien que dans les esprits, j’admets cependant que tous les genres de roman ont un intérêt assez grand pour saisir vivement la pensée et faire prendre l’essor au talent ; mais franchement, je ne vois pas très-distinctement à quel genre de composition romanesque peut appartenir Le Capitaine Fracasse de M.  […] Ce dernier des Sigognac vit, au fond des Landes, dans un vieux château délabré que l’auteur appelle le Château de la Misère, et qui par cela seul qu’il est une description physique faite avec cet acharnement de détails très-approprié au talent de M. 

314. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXI. Des oraisons funèbres de Bourdaloue, de La Rue et de Massillon. »

On croirait d’abord que les arts n’étant que la représentation de la nature ou morale, ou passionnée, ou physique, leur champ doit être aussi vaste que celui de la nature même, et qu’ainsi il ne doit y avoir, dans chaque genre, d’autres bornes que celle du talent. […] Celui qui fait les premiers pas est libre ; il n’obéit qu’à son talent, et au cours de ses idées qui l’entraînent. […] On peut appliquer une partie de ces idées aux orateurs qui, sous Louis XIV, après Fléchier et Bossuet, composèrent des éloges funèbres, et qui, avec de grands talents, n’ont cependant obtenu dans ce genre que la seconde place. […] C’est une leçon à tous les hommes ; aux uns pour ne pas sortir de leur caractère ; aux autres pour ne pas sortir de leur talent. […] On voit qu’il était plus fait pour instruire les rois que pour les célébrer, tant il est vrai que les plus grands talents ont des bornes dans les genres qui se touchent.

315. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre V. Des orateurs anciens et Modernes. » pp. 223-293

Les Anciens étoient naturellement si éloquens qu’ils portoient ce talent jusques dans l’histoire. […] Leur talent étoit de bien exposer les mystères de la Religion, & de faire aimer sa morale. […] C’est le grand talent qu’ont possédé Fléchier & Bossuet dans leurs Oraisons funèbres. […] On pourroit même dire qu’il en avoit le talent, tant il manioit bien cette figure. […] Toutes les causes qu’il traite ont des singularités, & le talent particulier de l’auteur est de les présenter encore de la maniere la plus piquante.

316. (1925) Les écrivains. Première série (1884-1894)

Jamais il ne s’intéressa spontanément à un jeune talent. […] Avec un même courage, il lui refusa toute espèce de talent. […] C’est surtout dans « Regards » que le talent de M.  […] Il faut vivre, pourtant, quoiqu’on ait du talent. […] Ce qui caractérise le talent de M. 

317. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « L’abbé de Bernis. » pp. 1-22

On a cru me perdre en prouvant que j’avais fait des vers jusqu’à trente-deux ans (ailleurs, il semble dire trente-cinq) : on ne m’a fait qu’honneur, et je voudrais de tout mon cœur en avoir encore le talent comme j’en ai conservé le goût ; mais je suis plus heureux de lire les vôtres que je ne l’ai été d’en faire. […] En ce qui était des vers en particulier, comme on venait de représenter pour la première fois La Métromanie (1738), Bernis donnait cours à ses réflexions : « Il est difficile d’être jeune et de vivre à Paris sans avoir envie de faire des vers. » Et de ce qu’on en fait avec plus ou moins de talent, il ne s’ensuit pas que ce talent entraîne avec lui toutes les extravagances qui rendent certains versificateurs si ridicules : Heureux, s’écriait-il avec sentiment et justesse, heureux ceux qui reçurent un talent qui les suit partout, qui, dans la solitude et le silence, fait reparaître à leurs yeux tout ce que l’absence leur avait fait perdre ; qui prête un corps et des couleurs à tout ce qui respire, qui donne au monde des habitants que le vulgaire ignore ! […] Pâris-Duverney, homme supérieur, d’une capacité administrative de premier ordre, et d’un talent singulier pour les choses de guerre, était déjà à demi dans la retraite ; il s’occupait presque exclusivement de réaliser sa dernière pensée patriotique, l’établissement de l’École militaire. On sait qu’il fut un des grands protecteurs de Beaumarchais à ses débuts : ici on le voit tendrement lié avec Bernis, en qui il a reconnu talent et avenir. […] Cette fine remarque de Bernis sur le vernis d’esprit philosophique qui était alors partout, s’appliquerait aujourd’hui à bien d’autres vernis également répandus, vernis de talent, vernis d’esprit, vernis de jugement.

318. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de La Mennais »

Son talent d’écrivain ne commence à se produire qu’en se niant soi-même, en se plaignant et se déplorant comme incapable et nul, comme atteint de mort et anéanti. […] Cette incapacité absolue me tranquillise un peu sur l’inutilité de ma vie ; je ne puis enfouir ni faire valoir un talent que je n’ai point reçu. […] Il ne faut pas gémir sur ce partage, il est encore assez beau… » Il ne sait comment tirer son talent brut de sa gangue et le mettre en œuvre. […] Quand il fonda le journal le Monde avec ce même Charles Didier, George Sand et Liszt, on eut un curieux spectacle : c’étaient assurément tous nobles esprits ou talents, pris chacun en soi et individuellement ; mais l’alliance, il faut en convenir, était étrange. […] Dans tous les cas, il y aurait sans doute aiguisé encore et surtout poli son talent, il aurait appris à le varier (ce dont il ne s’avisa que trop tard).

319. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Œuvres de Barnave, publiées par M. Bérenger (de la Drôme). (4 volumes.) » pp. 22-43

Ici, dans ces Œuvres, c’est l’homme au contraire qu’on saisit, c’est la nature et la qualité de l’esprit encore plus que celle du talent, c’est la personne morale. […] Son principal talent était dans l’argumentation ; il intervenait volontiers sur la fin d’un débat et avait l’art de l’éclaircir, de le résumer. Mme de Staël a remarqué qu’il était plus fait par son talent qu’aucun autre député, pour être orateur à la manière des Anglais, c’est-à-dire un orateur de raisonnement et de discussion. […] En allant, nous chantâmes des airs tendres et mélancoliques ; nous parlâmes des talents de Saint-Huberty. […]  » Mirabeau avait dit un jour à Barnave, pour signifier que son talent d’orateur n’était pas du génie : « Il n’y a point de divinité en toi ! 

320. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — I. » pp. 287-307

Grimm était doué de ce talent de jugement et de finesse, qui de près est si utile, et de loin si peu apparent. […] Et encore que ce siècle fût passé, je fis semblant de ne m’en pas apercevoir, et j’ai perpétué parmi toi la race des grands hommes et des talents extraordinaires. […] Si quelque chose m’a déplu en lui, ce sont les louanges exagérées qu’il a données à mes talents, et que je sens à merveille que je ne mérite pas. […] Voyant une femme vive et généreuse, pleine de sollicitude pour le bien-être de l’homme de talent infortuné, il l’avertit assez sévèrement de son imprudence. […] Je me permets d’insister sur Grimm ; la France, ce me semble, lui doit des réparations ; on ne l’a payé trop souvent de ses services et de ses talents voués à notre littérature, que par un jugement tout à fait injuste et, à certains égards, inhospitalier.

321. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXVI » pp. 100-108

C'est une singulière organisation que celle de ce brillant et facile talent, et après l’avoir entendu nous-même, en ses beaux jours, et à écouter ceux qui l’ont pu mieux connaître, nous oserions dire : Villemain n’aime et ne sent directement ni la religion, ni la philosophie, ni la poésie, ni les arts, ni la nature. […] Courtisan du goût public, il a, en un sens, raison de l’être : son talent ingénieux s’étend ainsi le plus possible, et il en tire le plus grand parti. […] Tous les trois, doués ainsi diversement, mais au plus haut degré, du talent de la parole, ils ont possédé moins également celui d’écrire. […] Ce sont trois grands esprits, trois merveilleux talents.

322. (1898) Inutilité de la calomnie (La Plume) pp. 625-627

Retté niera désormais mon talent. […] Gide a plus de talent ; M.  […] Je ne lui trouve aucun talent. […] Paul Fort, immédiatement, nia jusqu’au talent de Le Blond.

323. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « III »

On nous raille pourtant : « Mais, dit-on, comme il faut déjà du goût pour discerner le talent, me voilà enfermé dans une piste de cirque. » Objection très ridicule. […] Amour, conscience, pensée, art, libre arbitre, inspiration, talent, on a la manie aujourd’hui de tout expliquer par la physiologie. […] Il fera peut-être un chef-d’œuvre, s’il a du génie, mais, en général — et c’est au point de vue général qu’il faut se placer lorsqu’on enseigne, — l’éclosion, la révélation, l’éducation et la formation du talent se font à peu près pour tout le monde, par la lecture. « Le talent, a dit Flaubert, se transfuse toujours par infusion. » On pourra chicaner, distinguer, sophistiquer, alambiquer, citer des cas et des exceptions, voilà la règle, voilà le fait.‌

324. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — II. (Suite.) » pp. 346-370

En reparaissant vers le même temps dans le Journal de Paris (janvier 1795), Roederer eut à parler plus d’une fois de Sieyès ; il le fit avec de constants hommages pour ses talents et sa profondeur de vues, mais avec une assez grande liberté de plume. […] Roederer lui confessa sincèrement sa tactique de journaliste : J’ai voulu, lui disait-il, donner plus de poids à mon suffrage en montrant qu’il n’était pas l’effet de la séduction ni d’une aveugle prévention ; j’ai dit sans ménagement ce que je pensais des formes et des accessoires de votre ouvrage pour en sauver le fond ; j’ai fait bon marché et de votre talent littéraire et de votre humeur, pour concilier quelque bienveillance à votre talent politique. […] Le général me dit : « Je suis charmé de faire votre connaissance ; j’ai pris la plus grande idée de votre talent en lisant un article que vous avez fait contre moi il y a deux ans. » — « Contre vous, général ? […] Mais vous, vous avez des talents, de l’activité… le Conseil d’État vous convient mieux ; ses fonctions sont importantes. […] Je répondis par les mots suivants que je me suis souvent dits à moi-même : « Je le loue publiquement de ce qu’il a fait de bien, d’abord afin qu’on l’aime et qu’on le connaisse ; ensuite pour qu’il sache quels sont les motifs de l’attachement qu’on a pour lui ; en troisième lieu pour avoir le droit de lui parler franchement et avec fermeté dans son Conseil ou en particulier. » — Il arriva sous son gouvernement une chose assez extraordinaire entre les hommes qui travaillaient avec lui : la médiocrité se sentit du talent, le talent se crut tombé dans la médiocrité ; tant il éclairait l’une, tant il étonnait l’autre !

325. (1864) Histoire anecdotique de l’ancien théâtre en France. Tome I pp. 3-343

Il combat avec force, avec talent : l’orgueil, l’envie, la cruauté. […] Le nombre des acteurs fut déterminé, les bénéfices distribués au prorata des talents. […] Tristan leur apprit que cette tragi-comédie n’était pas de lui, mais d’un jeune homme de talent. […] Tous ses amis vantaient le talent avec lequel il avait traité le sujet ; Chapelle gardait le silence. […] La nature lui avait donné en partage un talent des plus extraordinaires pour la poésie.

326. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Parny poète élégiaque. » pp. 285-300

Pour cela, je limite mon sujet comme les présents éditeurs eux-mêmes ont limité le choix des œuvres, comme Fontanes demandait qu’on le fît dès 1800 ; je laisse de côté le Parny du Directoire et de l’an VII, le chantre de La Guerre des dieux : non que ce dernier poème soit indigne de l’auteur par le talent et par la grâce de certains tableaux ; mais Parny se trompa quand il se dit, en traitant un sujet de cette nature : La grâce est tout ; avec elle tout passe. […] Combien faut-il de Malfilâtre, de Gilbert, de Dorange, de Dovalle, pour arriver à un grand talent qui réussit et qui vit ? […] Quand on lit Parny, il ne donne pas l’idée ni l’inquiétude de ce talent plus puissant. […] S’il satisfait et contente, ce n’est pas qu’il ne rappelle dans le passé, comme cela a lieu pour les classiques du second ou du troisième âge, de beaux talents antérieurs et souvent supérieurs au sien. Il les rappelle sans pour cela les imiter : c’est Bertin qui imite, et avec feu, avec talent ; chez Parny ce sont bien moins des imitations que des ressemblances.

327. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Quatre moments religieux au XIXe siècle. »

Lacordaire, et, mieux que le bruit, le talent qui s’est déployé en son honneur, ont réveillé mes propres souvenirs. […] S’il n’était question que d’éloquence et d’éclat de talent, que d’âme et de cœur, il serait facile de tomber d’accord sur les mérites du brillant dominicain qu’on a perdu ; mais avec lui il s’agit de bien plus désormais. […] des pages de talent, et du plus élevé. […] c’est ce qu’il y a de plus fatal à la vérité ; et qu’il est difficile de n’y pas céder et succomber quand on y est porté par le courant même de sa nature d’artiste et par toutes les voiles du talent, quand il y a comme une harmonie préétablie entre les sujets qui nous tentent et nos cordes secrètes ! […] On peut voir notamment la lettre très-belle, très-juste, sur l’éducation domestique d’un petit monsieur gâté dans sa famille, « une sorte de petite momie enfermée dans un vase de soie et qui finit par se croire un petit dieu » (pages 125-128) ; cette lettre, qui est de la fin de 1850, présageait les talents que le Père Lacordaire ne se savait pas encore pour l’éducation de la jeunesse et qu’il a développés dans la dernière partie de sa carrière.

328. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXVI. La sœur Emmerich »

Cela posé, et en conséquence de cette loi, il a été démontré, par d’assez nombreux exemples, que les talents les plus vrais parmi les femmes de ce siècle (comme de tous les siècles, du reste, si on en écrivait l’histoire), qui ont osé la littérature, ont toujours été ceux-là qui ont affecté le moins d’être littéraires ou qui ont eu le bonheur d’oublier, en faisant leur livre, qu’ils en faisaient un. L’idée, la préoccupation, la volonté, l’obstination d’être littéraire, le bas-bleuisme enfin, qui contient tout cela, n’ont jamais manqué, sans nulle exception, de gauchir et de diminuer le talent, dans la femme, qui en a le plus ; et ils gâteraient le génie lui-même, — comme hélas ! […] Parce que nous n’avons pas mission de dire avec ascendant le grand mot religieux qui convient sur les mérites extraordinaires de la sœur Emmerich, est-ce une raison pour ne pas risquer notre humble mot de critique littéraire sur ce quelque chose qui, en fin de compte, s’est résolu en elle par ce qu’on est bien obligé d’appeler du talent, et du talent jusqu’au génie… ? […] Pour ceux donc qui lurent la traduction que M. l’abbé Cazalès en donna, il y a quelques années, et qui en furent émus, cette émotion de la première lecture sera certainement ravivée dans toute sa profondeur à la seconde ; mais les récits nouveaux qu’on nous donné, quoique très curieux souvent, très beaux toujours et partout marqués du caractère particulier et distinctif de ce que j’ai osé appeler le talent de la sainte Mystique, n’ajouteront rien à cette émotion ravivée et à la connaissance qu’on avait déjà de ce talent, qui, ne le fût-il pas d’une autre manière, par l’intensité seule de sa touche, serait encore surnaturel !

329. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 115-120

C’étoit peu d’avoir su imiter le plan & la marche de ce Poëte ingénieux, élégant & délicat, il falloit, comme lui, avoir le talent de donner de la vie & de l’intérêt aux tableaux qu’on vouloit présenter. […] Lemiére paroît n’avoir pas senti qu’il manquoit de ce talent. […] On se rappelle alors très-à-propos ces Vers de Lafontaine, Ne forçons point notre talent, Nous ne ferions rien avec grace, &c.

330. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Paul Nibelle »

Il a ce beau don de jeunesse qui donne au talent les fermentations que peut-être il n’a qu’une fois, et, nous le disons en le félicitant, il n’a pas taché cette fraîche jeunesse de sa pensée, il a su en conserver la généreuse innocence. […] la vie est faite (et le talent aussi !) […] Le caractère, en effet, l’originalité, l’individualité dans l’expression sensible, voilà ce qu’on désirerait davantage quand on se rend compte du talent de Nibelle.

331. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers » pp. 81-176

Or, cette justesse d’esprit et ce talent dans la parole et dans l’action, nous les avons toujours reconnus et aimés même dans nos adversaires. […] Est-ce l’esprit, l’imagination, la critique, l’art de composer, le talent de peindre ? […] Une nation n’a pas deux élites de caractères et de talents en dix ans. […] Thiers doit porter plus tard sur le général Moreau, le vrai rival en talent militaire et en popularité de Bonaparte. […] Desaix, dont le nom était universellement chéri et respecté dans l’armée, dont les talents administratifs égalaient les talents militaires, aurait parfaitement gouverné la colonie et se serait garanti de toutes les faiblesses auxquelles se livra Kléber, du moins pour un moment.

332. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

C’est à ce poète, de plus d’infortune et de malchance que de talent, qu’un jour Mme Valmore adressa des vers insérés dans un keepsake, avec ces seules initiales : à m. a. d. […] « Agréez, monsieur, et faites agréer à monsieur votre père l’assurance que je sens aussi vivement que vous la perte d’une tête aussi chère, d’une âme aussi aimante et d’un talent bien rare, car il avait son siège dans le cœur. […] Alfred de Vigny disait d’elle qu’elle était « le plus grand esprit féminin de notre temps. » Je me contenterais de l’appeler « l’âme féminine la plus pleine de courage, de tendresse et de miséricorde. » — Béranger lui écrivait : « Une sensibilité exquise distingue vos productions et se révèle dans toutes vos paroles. » — Brizeux l’a appelée : « Belle âme au timbre d’or. » — Victor Hugo, enfin, lui a écrit, et cette fois sans que la parole sous sa plume dépasse en rien l’idée : « Vous êtes la femme même, vous êtes la poésie même. — Vous êtes un talent charmant, le talent de femme le plus pénétrant que je connaisse. » Et un seul mot en finissant pour ceux et celles qui trouveraient que j’ai parlé bien longuement des douleurs de Mme Valmore, et qui, se reportant à leurs propres peines, seraient tentés de dire : « Et moi donc, suis-je sur des roses ?  […] Le talent est comme le pommier : le poète, pour porter tous ses fruits, a besoin d’avoir reçu aux racines de la vie sa blessure.

333. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IX et dernier. Conclusion » pp. 586-601

Dès que les sentiments généreux, de quelque nature qu’ils soient, peuvent s’exprimer sans contrainte, l’éloquence, ce talent qu’il semble si facile d’étouffer, puisqu’il est si rare d’y atteindre, renaît, grandit, se développe et s’empare de tous les sujets importants. […] Quand le cercle des relations s’agrandit, la moralité devient du talent, puis du génie, puis le sublime du caractère et de la raison. Sans doute on ne peut se promettre avec certitude de marcher sans faiblesse dans cette noble carrière ; mais ce qu’on peut, ce qu’on doit à l’espèce humaine, c’est de diriger tous ses moyens, c’est d’invoquer tous ceux des autres, pour répéter aux hommes, qu’étendue d’esprit et profondeur de morale, sont deux qualités inséparables ; et que, loin que la destinée vous condamne à faire un choix entre le génie et la vertu, elle se plaît à renverser successivement, de mille manières, tous les talents qui voguent au hasard sans ce guide assuré. Il n’est pas vrai non plus que la morale existe d’une manière plus stable parmi les hommes peu éclairés ; il suffit de la probité sans des talents supérieurs, pour se diriger dans les circonstances ordinaires de la vie ; mais dans les places éminentes, les lumières véritables sont la meilleure garantie de la morale. […] comment distinguer son talent de son âme ?

334. (1757) Réflexions sur le goût

Ce genre de beautés faites pour le petit nombre, est proprement l’objet du goût, qu’on peut définir le talent de démêler dans les ouvrages de l’art ce qui doit plaire aux âmes sensibles et ce qui doit les blesser. […] En effet la source de notre plaisir et de notre ennui est uniquement et entièrement en nous ; nous trouverons donc au dedans de nous-mêmes, en y portant une vue attentive, des règles générales et invariables de goût, qui seront comme la pierre de touche à l’épreuve de laquelle toutes les productions du talent pourront être soumises. […] Quelque harmonieuse que soit sa prose, l’harmonie poétique était sans charmes pour lui, soit qu’en effet la sensibilité de son oreille fut bornée à l’harmonie de la prose, soit qu’un talent naturel lui fit produire de la prose harmonieuse sans qu’il s’en aperçût, comme son imagination le servait sans qu’il s’en doutât, ou comme un instrument rend des accords sans le savoir. […] Ainsi, sur une impression confuse et machinale, ou bien on établira de faux principes dégoût, ou, ce qui n’est pas moins dangereux, on érigera en principe ce qui est en soi purement arbitraire ; on rétrécira les bornes de l’art, et on prescrira des limites à nos plaisirs, parce qu’on n’en voudra que d’une seule espèce et dans un seul genre ; on tracera autour du talent un cercle étroit dont on ne lui permettra pas de sortir. […] Quel écrivain, s’il n’est pas entièrement dépourvu de talent et de goût, n’a pas remarqué que dans la chaleur de la composition, une partie de son esprit reste en quelque manière à l’écart, pour observer celle qui compose et pour lui laisser un libre cours, et qu’elle marque d’avance ce qui doit être effacé ?

335. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre X. Mme A. Craven »

Ce qu’on appelle le talent n’est pour rien dans cet écrit et dans ces lettres. […] Mais entre cela et le talent et surtout le génie, il y a l’épaisseur de la différence qui existe entre le cœur et le cerveau. […] — qu’une femme peut avoir du talent, quand elle obéit à ses sentiments personnels et qu’elle les exprime, mais que très rarement elle est capable de produire un livre en dehors de ses sentiments. […] Excepté Eugénie de Guérin, sa rivale d’émotion, mais sa supérieure de talent, personne n’avait une telle place dans la publicité de ce siècle… Pourquoi donc ne l’avoir pas gardée ? […] … Mme Sand, cette usurpatrice qui a régné si facilement par ce vil temps d’usurpateurs, Sand, je l’ai dit plus haut, sent déjà le cadavre dans son talent et dans ses œuvres.

336. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Balzac »

Balzac, en effet, Balzac est tout entier, de pied en cap, de fond et de surface, dans cette Correspondance, publiée, avec raison, comme le dernier volume de ses Œuvres, — les éclairant par sa personne, — les closant par l’homme, — et démontrant la chose la plus oubliée dans ce temps où le talent voile si souvent la personne de son rayon et lui fait malheureusement tout pardonner, c’est que l’homme égalant l’artiste le rend plus grand et en explique mieux la grandeur. […] Pour ma part, je n’ai jamais cru que sous le bénéfice du plus inquiet et du plus terrible des inventaires, au grand talent sans moralité. À mes yeux, le talent — surtout dans l’art que pratiquait Balzac — est une question d’âme tout autant que d’intelligence… Byron, tout coupable qu’il fut parfois, était une âme magnanime, faite pour la vérité, même quand il la méconnaissait ; car il l’a souvent méconnue… Balzac, lui, est aussi grand par l’âme que par l’esprit, et c’est la grandeur absolue ! […] Une preuve de plus de cette vérité qu’en tout temps j’ai infatigablement proclamée : c’est que s’il est possible encore qu’une âme basse ait quelque talent, il est impossible qu’elle ait du génie ! […] Il était d’un pays où l’on bat monnaie facilement avec du talent et de la gloire.

337. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Alexis de Tocqueville »

Dans les livres écrits pour le public, il y a toujours — indépendamment du talent qu’on y ajoute ou qu’on n’y ajoute pas — un sujet qui peut le passionner ou des faits qui peuvent l’intéresser et qu’on n’a eu que la peine de recueillir ; mais dans une correspondance, non ! […] On lui savait gré, de part et d’autre, de tout ce qu’il faisait et de tout ce qu’il ne faisait pas… Marié à une femme qu’il aimait, indépendant par la fortune quand son talent ne lui aurait pas constitué une indépendance, A. de Tocqueville convient de son bonheur dans sa correspondance. […] L’agrément du récit ne vient pas du talent de celui qui le fait. […] Il n’est que cela, en effet, et même dans ses livres, qu’il travaillait et retouchait beaucoup, comme un homme entêté de perfection et qui croit, sur la destinée du talent, aux grands effets de la culture. […] C’est toujours ce talent de rapporteur, clair et sans éclat, sur une question mise à l’étude, caractère propre du livre de la Démocratie en Amérique, qui ne fut jamais plus que cela.

338. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice de Guérin »

Tel est le véritable caractère de cette physionomie de Maurice de Guérin, de ce talent englouti dans son espérance et que l’on veut ressusciter. […] Malgré son talent, à qui j’ai rendu souvent et dernièrement encore justice, Sainte-Beuve n’est pas constitué pour faire grand bruit. […] je crains fort, pour mon compte, que les amis de Guérin, qui avaient pris pour lui faire trompette un hautbois tortueux aussi peu sûr de ses sons, ne se repentent maintenant d’un choix déterminé par le nom seul de l’instrumentiste ; mais ce que je sais de science certaine, c’est que Guérin n’avait nul besoin que l’auteur des Consolations, qui n’est nullement celui des affirmations et des certitudes, affirmât, sous réserve de s’abuser, un genre de génie que Guérin était bien de force à affirmer tout seul, et que l’auteur des Portraits contemporains ajoutât au mou de ses affirmations le mou de sa manière, en donnant, pour éclairer son œuvre, ce médaillon, vaporeux et gris, d’une biographie, qui, cependant, n’est pas sans charme (le charme du sujet), mais dans lequel je ne trouve que le profil fuyant et énervé de cette individualité poétique, — plus poétique que son talent même ! […] Chateaubriand est le Poussin du paysage ; pourquoi mêle-t-il des ambitions étrangères à son magnifique talent de peintre des choses naturelles ? […] Cette biographie d’un poète qui était plus la Poésie encore dans sa vie que dans son talent, ce n’est pas le fusain rapide de Sainte-Beuve qui en tiendra lieu, si je ne m’abuse, et un jour ou l’autre, soyez tranquille !

339. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Jean Richepin »

Si je cherchais dans l’ordre physique une ressemblance avec son talent, je dirais qu’il me fait penser à l’élève, héroïquement râblé, du Centaure Chiron, dans le beau tableau de L’Éducation d’Achille. […] Il a le talent trop altier pour emboîter le pas derrière les assommants de L’Assommoir. […] Il s’agit de juger le talent, en dehors des préférences de la pensée. […] Quoique le sujet ait été choisi et traité par un esprit qu’on n’aurait jamais pu croire celui de l’auteur de La Chanson des gueux, des Caresses et des Morts bizarres, il termine les étonnements qu’il cause par l’étonnement du genre de talent qu’on y trouve. Ce talent, je l’ai dit, me fait l’effet d’être voulu, artificiel ; l’application de cette souplesse dans la force qui caractérise M. 

340. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Ernest Feydeau »

Ernest Feydeau38 I Nous avons toujours rendu compte des divers romans d’Ernest Feydeau ; Fanny, Daniel, Catherine d’Overmeire, ont été successivement examinés avec le sérieux qu’ils méritaient encore ; car, si manqués que soient ces livres et quelque singulière diminution de talent qu’on pût signaler dans chacun d’eux, ils accusaient tous, du moins, l’effort concentré de l’artiste. […] Que de talents elle a déformés, épuisés, anéantis ! […] Attaqué, depuis son début, dans sa moralité d’écrivain, ce qui, au fond, lui est bien égal, il n’en a pas moins relevé le gant pour le compte de la moralité de son œuvre, afin de n’avoir point à le relever pour le compte de son talent contesté, et il a écrit une longue préface qu’il a plaquée à la tête de ces trois volumes, précisément, dit-il en capitales, « pour qu’on la passe !  […] Je ne crains pas de l’affirmer, étant ce qu’il est, ce Saint-Bertrand, nul talent, nul génie n’aurait pu se tirer d’un tel personnage. […] Feydeau a trouvé le moyen de nous faire regretter Feydeau… On nous a accusé, dans le temps, d’avoir été trop sévère pour l’auteur de Fanny, de Daniel, de Catherine d’Overmeire, parce que nous ne trouvions pas que son talent fût du génie ; mais, franchement, si nous le jugions rétrospectivement à la lumière de ses nouveaux livres, nous pourrions croire qu’il en avait.

341. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre III. Le roman » pp. 135-201

Il a beaucoup de talent et il en aurait plus encore s’il n’obéissait pas à son style. […] On peut d’abord ne pas apprécier toute la force contenue de son talent. […] Il le fit avec talent, avec beaucoup de talent, se joua des phrases jolies qui donnent aux sentiments profonds des allures d’écoliers en maraude, et nous conta une petite histoire qui n’avait l’air de rien, et qui était toute la vie. […] Ses ouvrages sont pleins de talent, et il n’est pas douteux que bientôt sa personnalité se fût affranchie et qu’il eut donné des œuvres très remarquables. […] Après nous avoir prouvé qu’elles ont du talent, les femmes prouvent qu’elles ont de l’intelligence, peu de parti-pris et beaucoup de jugement.

342. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres complètes de Buffon, revues et annotées par M. Flourens. » pp. 55-73

On apprécie surtout mieux ce constant et noble effort qui porte un si vigoureux talent à se fortifier, à s’étendre, à se perfectionner sans cesse, à posséder de plus en plus toute cette matière immense qu’il dispose avec ordre, développement et grandeur, et qui lui sert à bâtir un monument le plus digne du modèle pour la majesté. […] Il n’est pas de ceux qui dépensent chaque jour en esprit leur talent ; il évite même de l’employer en rien hors du cadre principal, unique. […] Ajoutant ainsi continuellement à son acquis, à son fonds de comparaisons et d’idées, assouplissant et gouvernant avec une dignité de plus en plus aisée sa noble manière, semblant justifier en lui cette définition, que le génie (une haute intelligence étant supposée comme condition première), c’est la patience, il est arrivé, sur les plus grands sujets qu’il soit donné à l’œil humain d’embrasser, à la plénitude de son talent de peintre et d’écrivain. […] Sévère jusqu’à l’injustice pour ces hommes de science positive, Buffon sensible au talent, au grandiose, à la réflexion humaine quand elle se projette à travers les vues physiques, fait plus de cas d’un Pline à l’esprit fier, triste et sublime, bien qu’il déprise toujours l’homme pour exalter la nature ; il ne parle de cet ancien qu’avec une impression de respect et en laissant sous le voile ses nombreux défauts. […] tout le monde verrait et jugerait ; peut-être, au grand jour, l’impression serait autre et se réduirait ; peut-être Buffon, qui se réservait aux grandes choses et qui ne montait son imagination et son talent qu’à haute fin, n’est-il coupable que d’avoir écrit des lettres trop ordinaires.

343. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Des prochaines élections de l’Académie. »

Il n’est pas si aisé qu’on le croirait de prouver à des académiciens politiques et hommes d’État comme quoi il y a, dans les Fleurs du Mal, des pièces très remarquables vraiment pour le talent et pour l’art ; de leur expliquer que, dans les petits poèmes en prose de l’auteur, le Vieux Saltimbanque et les Veuves sont deux bijoux, et qu’en somme M.  […] Gratry a déjà été distingué par l’Académie dans le concours Montyon, pour un livre de théologie morale où il se trouve bien du talent, bien des observations ingénieuses, et aussi bien des théories hasardées. […] Lacordaire est entré à l’Académie non pour sa robe, non pour sa croyance, apparemment, mais pour son talent de parole et son éloquence ; il eût fait partie de la section désignée par ce nom. […] Dans la chaire, on cite pour leur talent et pour leur succès quelques Pères jésuites ; mais ceux-là, l’esprit de leur institut leur défend de songer à l’Académie : le grand Bourdaloue n’en a pas été. — Je cherche parmi les autres prédicateurs en renom. Je ne crois pas que nous puissions cette fois penser à Monseigneur de Poitiers pour sa fameuse oraison funèbre récente62 ; on verra plus tard. — Il y a le Père Gratry déjà indiqué, qui a le talent des conférences ; essayons donc et mettons sur la liste le Père Gratry.

344. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier »

Les Mémoires d’Outre-tombe de Chateaubriand, tant de pages même si justement critiquées, mais marquées encore de la griffe du lion, n’ont fait que confirmer l’idée de son talent et de sa force dans l’esprit des jeunes groupes, toujours prêts à se révolter, et ses défauts même, qui sont les leurs, l’ont servi. […] À défaut de Napoléon pour point de mire, il a le pape ; peu lui importe, pourvu qu’il frappe et que sa verve s’exerce ; les grands talents sont impérieux. […] On a dit de Saint-Simon ou de Molière, qu’il était le mâle de Mme de Sévigné ; mais c’était elle, Mme de Staël, qui par le talent et l’initiative était le mâle de Benjamin Constant. […] Or, elle l’a dit, on ne cause véritablement qu’en France et en français : « la conversation, comme talent, n’existe qu’en France. » En Angleterre on ignore cette nuance particulière et si charmante de faire sentir l’éloquence dans la conversation ; si l’on a l’instinct et si l’on se donne la peine d’être éloquent, on l’est pour les Chambres et pour la vie publique ; on passe outre au salon, on ne s’amuse pas à ce prélude devant les dames. […] Peut-on s’étonner pourtant qu’il en ait été d’un tel talent comme de celui des improvisateurs et des orateurs ; que ce qu’on a d’elle par écrit ne la représente pas entièrement, et qu’il faille, pour être fidèle, y ajouter en idée un ensemble et une spontanéité d’impressions qui n’était que dans la personne et sur son théâtre ?

345. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « De la retraite de MM. Villemain et Cousin. » pp. 146-164

Leur talent n’a jamais été, plus ferme et plus mûr que dans ces dernières années. Ils auraient montré à cette jeunesse, que de faux déclamateurs enivraient, ce que c’est que le vrai talent littéraire et historique quand il s’est encore aguerri dans la pratique, même incomplète, des affaires, et dans l’expérience de la vie. […] Qu’ils me pardonnent ce regret où il entre une si haute idée de ce que je leur reconnais avant tout, de leur talent même. […] les vrais talents gagneront peut-être à cette continence. […] Il y a convenance et obligation à tout régime qui s’affermit dans notre France, et qui la rend calme et prospère, de susciter bientôt sa propre génération d’esprits et de talents.

346. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « L’abbé Gerbet. » pp. 378-396

Je voudrais tâcher de le leur expliquer, leur donner idée d’un des hommes les plus savants, les plus distingués et les plus vraiment aimables que puisse citer l’Église de France, de l’un de nos meilleurs écrivains, et, sans m’embarquer dans aucune question difficile ou controversée, mettre doucement en lumière la personne même et le talent. […] À vingt-quatre ans, l’abbé Gerbet annonçait un talent philosophique et littéraire des plus distingués ; en Sorbonne, il avait soutenu une thèse latine avec une rare élégance ; il avait naturellement les fleurs du discours, le mouvement et le rythme de la phrase, la mesure et le choix de l’expression, même l’image, ce qui, en un mot, deviendra le talent d’écrire. […] En abordant M. de Lamennais, il sentit, sans se l’avouer peut-être expressément, que ce talent vigoureux, hardi, qui ouvrait comme de vive force des vues et des perspectives, avait besoin tout auprès de lui d’une plume auxiliaire, plus retenue, plus douce, plus fine, d’un talent qui lui ménageât des preuves, qui remplit les intervalles et couvrît les côtés faibles, qui ôtât l’aspect d’une menace et d’une révolution à ce qui ne prétendait être qu’une expansion plus ouverte et un développement plus accessible du christianisme. […] Son talent est comme un bois sacré un peu touffu, et, même quand il y a un temple, un reposoir et un autel au milieu, il est entouré de toutes parts ; on n’y arrive que par des sentiers. Cela tient, je suppose, à ce qu’il a toujours vécu trop près de sa pensée, n’ayant jamais eu l’occasion de la développer en public : en effet, sa santé délicate, sa voix faible et qui a besoin de l’oreille d’un ami, n’a jamais permis à ce riche talent de se produire dans l’enseignement ou dans les chaires.

347. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « La Fontaine. » pp. 518-536

Une ode de Malherbe qu’il entendit réciter lui révéla, dit-on, son talent poétique ; il lut nos vieux auteurs, il exprima le suc de Rabelais, il emprunta de Marot son tour, il aima dans Racan un maître ou plutôt un frère en rêverie, et y apprit les élévations de pensée mêlées aux nonchalances. […] Un des caractères propres, en effet, du talent de La Fontaine, c’est de receler d’instinct toutes les variétés et tous les tons, mais de ne les produire que si quelque chose au-dehors l’excite et l’avertit. […] C’est qu’il en est sorti, c’est qu’il se l’est approprié et n’y a vu, à partir d’un certain moment, qu’un prétexte à son génie inventif et à son talent d’observation universelle64. […] Au temps de Jean-Jacques Rousseau, la tentative a été reprise par une plume ardente, avec un talent supérieur et une appropriation directe à l’état des âmes. […] Ma conviction bien paisible, c’est que La Fontaine, comme Molière, n’a rien qu’à gagner du temps ; le bon sens, si profondément mêlé à son talent unique et naïf, lui assure de plus en plus l’avenir.

348. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

disait-il, ces gens ne voient pas que cela tient à la nature de votre talent. […] Royer-Collard avait pressenti le talent destiné à jouer un si grand rôle dans les luttes philosophiques de la restauration : c’étaient MM.  […] Quand l’Espagne se soulève, il écrit : « Je ne veux point contester les talents de Bonaparte ; ils ne sont que trop incontestables. […] Lucien Bonaparte, déjà célèbre par un grand talent oratoire et par l’amour des arts et des lettres. […] Dans la lumière de ce grand talent poétique on aperçoit quelques ombres.

349. (1857) Articles justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des « Fleurs du mal » pp. 1-33

Je laisse son livre et son talent sous l’austère caution de Dante. […] Mais laissons toutes ces considérations et revenons à notre poète, pour ne plus nous occuper que de ses vers et de son talent. […] Auguste Barbier, partout ailleurs l’auteur des Fleurs du mal est lui-même et tranche fièrement sur tous les talents de ce temps. […] Nous n’avons pas voulu, pour apprécier le talent de M.  […] Tous les tempéraments excessifs, tous les talents volontaires impliquent certains défauts auxquels les meilleurs conseils ne sauraient remédier.

350. (1805) Mélanges littéraires [posth.]

Un enfant né avec du talent ne doit point s’aider de pareils ouvrages pour faire des vers latins, supposé même qu’il soit bon qu’il en fasse ; et il est absurde d’en faire faire aux autres. […] Il est vrai que ces sortes de règles ne donnent ni à l’orateur ni au musicien du talent et de l’oreille ; mais elles sont propres à l’aider. […] Disertus, chez les Latins, signifiait toujours, ou presque toujours, ce que nous entendons par éloquent, c’est-à-dire, celui qui possède dans un souverain degré le talent de la parole, et qui par ce talent sait frapper, émouvoir, attendrir, intéresser, persuader. […]   Disertus est donc celui qui a le talent de persuader par le discours, c’est-à-dire, qui possède ce que les anciens appelaient eloquentia. […] C’est en quoi consiste la véritable éloquence, et même en général le vrai talent d’écrire, et non dans un style qui déguise par un vain coloris des idées communes.

351. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

On aurait pu prévoir les objections que souleva cette application nouvelle de son talent : elles étaient, pour ainsi dire, tout indiquées d’avance. […] Il se sert des noms de Gros, de Géricault et même de Charlet, pour en accabler le brillant et valeureux talent dont l’originalité, précisément, est de ne pas leur ressembler. […] Qui que vous soyez, grand génie, beau talent, artiste honorable ou aimable, tout éloge juste et mérité sera retourné contre vous. […] L’amant retourne tous les défauts de sa maîtresse et les traduit en louanges : la critique et l’envie humaine font tout le contraire avec les talents. […] Ici, bien que le talent des chefs y fût pour beaucoup sans doute, la supériorité des principales figures était moins imposante : c’était tantôt un colonel, tantôt un chef de bataillon qui ordonnait et accomplissait un beau fait d’armes ; c’était toute une troupe vaillante qui l’y aidait à la baïonnette.

352. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « HISTOIRE DE LA ROYAUTÉ considérée DANS SES ORIGINES JUSQU’AU XIe SIÈCLE PAR M. LE COMTE A. DE SAINT-PRIEST. 1842. » pp. 1-30

Il pousse plus d’un bout de texte en un sens auquel on n’avait pas songé, et il lui fait rendre de subtiles nuances ; il a des impatiences et des éclairs d’interprétations qu’après tout, en ces matières humaines si complexes, un esprit supérieur a peine à s’interdire, et que le talent se plaît à exprimer. Le talent (ne trouvez-vous pas ?) […] On l’a, et avec autant de talent que de raison, restitué barbare, et très-barbare malgré son génie. […] Le talent d’expression y est éminent ; je ne serais pas étonné que par endroits, pour quelques yeux chagrins, ce talent ne voilât presque, ne déguisât dans de trop riches images le fin de l’esprit et le réel de l’érudition. […] En fait de talent, le luxe n’est pas déjà chose si vulgaire.

353. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Madame de Krüdner et ce qu’en aurait dit Saint-Évremond. Vie de madame de Krüdner, par M. Charles Eynard »

Elle se dit donc qu’il est temps pour elle d’ajouter, de substituer insensiblement un attrait à un autre ; elle veut devenir célèbre par le talent, et elle ne ménage pour cette fin aucun moyen. […] Tes grâces, tes talents y seront admirés comme ils doivent l’être. […] Mais, tout en disant qu’on avait peint son talent pour la danse, il ne faut pas dire simplement on, mais dire : Un pinceau savant peignit ta danse, tes succès sont connus, tes grâces sont chantées comme ton esprit, et tu les dérobes sans cesse au monde : la retraite, la solitude, sont ce que tu préfères. […] Il y a lieu pourtant de trouver que c’est bien dommage, car le talent de Mme de Krüdner, à l’heure dont nous parlons, s’était dégagé des vagues déclamations de sa première jeunesse, et devenait un composé original d’élévation et de grâce. […] Du moment surtout qu’elle eut découvert en elle cette faculté merveilleuse de prédication qui pouvait lui rendre l’action et l’influence, tout fut dit, elle eut un débouché pour son âme et pour son talent ; sa vocation nouvelle fut trouvée.

354. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « V. M. Amédée Thierry » pp. 111-139

C’est la différence, en effet, qu’il y a entre les deux frères, — une différence de vie dans le talent dont ils sont doués, jointe à une ressemblance de nature. […] Il y a ici, ce n’est pas contestable, une primogéniture dans le talent, un droit d’aînesse de toute évidence dont le très noble cœur de M.  […] Mais, quoique en se fermant, l’œil de son esprit ait vu probablement l’aurore du jour qui lui avait, toute sa vie, manqué, ses œuvres et son talent portèrent la peine de cette indigence. […] Amédée Thierry, est dans le mordant du talent, dans le vif de l’expression et non ailleurs. […] Plus riche que son frère par le sentiment chrétien, s’il est plus pauvre par le talent naturel de l’expression, il pourrait, si ce sentiment était très profond ou très enflammé, en faire sortir une exaltation qui remplacerait celle qu’il n’a pas dans le talent, mais l’intensité manque également à M. 

355. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « VICTORIN FABRE (Œuvres mises en ordre par M. J. Sabbatier. (Tome II, 1844.) » pp. 144-153

Un talent précoce, incontestable, un travail opiniâtre et qui ne se fie pas à la seule nature, le culte des sérieuses traditions, un patriotisme ardent, une pureté de conscience inaltérable, et tout cela n’aboutissant qu’à une carrière manquée et à un douloureux avortement ! […] C’est, après tout, au talent, à l’esprit qu’il faut s’en prendre ; c’est là qu’est le point défectueux. […] Ainsi pour le jeune talent de Victorin Fabre : il épousa sans retour une littérature vieillissante, et sa fidélité même le perdit. […] Le Tableau du dix-huitième siècle n’est qu’une apologie écrite sous l’influence des doctrines que Victorin Fabre exprimait, discutait avec talent, mais ne rajeunissait pas.

356. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVIII. Pourquoi la nation française était-elle la nation de l’Europe qui avait le plus de grâce, de goût et de gaieté » pp. 366-378

La flatterie qui sert à l’ambition exige beaucoup plus d’esprit et d’art que celle qui ne s’adresse qu’aux femmes : ce sont toutes les passions des hommes et tous leurs genres de vanité qu’il faut savoir ménager, lorsque la combinaison du gouvernement et des mœurs est telle, que les succès des hommes entre eux dépendent de leur talent mutuel de se plaire, et que ce talent est le seul moyen d’obtenir les places éminentes du pouvoir. […] Cette crainte mettait souvent obstacle à l’originalité du talent, peut-être même pouvait-elle nuire, dans la carrière politique, à l’énergie des actions ; mais elle développait dans l’esprit des Français un genre de perspicacité singulièrement remarquable. […] Il faut soigner les apparences lorsqu’on ne peut faire juger que ses manières, et l’on était même excusable de souhaiter en France des succès de société, puisqu’il n’existait pas une autre arène pour faire connaître ses talents, et s’indiquer aux regards du pouvoir.

357. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Proudhon et Couture »

Non seulement on est étonné, si on y regarde, de la rareté des grandes publications dans lesquelles le talent et l’ordre des travaux éclatent, mais on est presque stupéfait de voir combien reste au-dessous du compte fait à l’avance par l’imagination le nombre des livres quelconques qui s’impriment. […] par le coup d’État 2, a déjà plusieurs mois d’existence ; mais il tire du talent, et plus encore de la famosité de son auteur, une importance telle qu’on pourrait y revenir même de plus loin que nous ne sommes aujourd’hui. […] Il pose l’ongle là où la Critique doit enfoncer son scalpel… Eh bien, la Critique sera tout étonnée un jour de ne trouver dans le Caliban du socialisme, dans cette espèce de mastodonte dont les énormités n’épouvantent déjà plus, qu’un talent incontestable, mais facile à apprécier et qui n’étonnera et ne désespérera personne ! […] Comme il disait des choses monstrueuses, on lui donnait un talent prodigieux.

358. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1886 » pp. 101-162

Un pastiche du plus grand talent, presque de génie, son plafond de la Païva, qui semble le plafond de la « Venise Triomphante » copié par un Lemoine. […] Il en était venu à vivre dans un état continuel d’ivresse, quand une femme se prit d’amour ou de pitié pour cet être de talent, noyé, sombré dans la boisson. […] Il n’y a pas en lui, le calorique pour transmuter de sa cervelle en de la copie de génie, ou même de grand talent. […] Il nous dit : « Oui, oui, je voudrais gagner de l’argent, pour me payer un four avec une œuvre que j’aimerai, une œuvre de talent !  […] C’est bien dommage qu’un tel livre n’ait pas été fait pour tous les hommes de talent de ce siècle, à commencer par les éreintements sur Chateaubriand, à continuer par ceux sur Balzac, Hugo, Flaubert.

359. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Ponsard » pp. 301-305

On a repassé par les divers genres et les diverses modes poétiques où le talent peu inventif de M.  […] Ponsard a prouvé, une fois de plus, dans ce discours académique, que là, comme au théâtre, il y a des cordes qu’il sait faire vibrer, et que, sans trop d’art ni de raffinement, sans trop demander à l’expression, et en disant directement les choses comme il les pense et comme il les sent, son talent a en soi une force qui vient de l’âme et qui parle aux âmes. […] Ponsard, par les sources où son talent s’inspire ; il a montré comment le succès de cette chaste et sobre Lucrèce, qui est une date littéraire, était préparé d’avance et vaguement désiré, par suite des fatigues et des ennuis dus aux excès d’un genre plus turbulent.

360. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXXVII » pp. 153-157

Lacordaire a d’ordinaire de l’éclat, de l’imagination, du talent, mais un esprit peu judicieux, des rapprochements historiques forcés qui seraient plutôt saint-simoniens que chrétiens, toute l’emphase du jour : sa parole lui échappe souvent, et il ne la gouverne pas. […] Avec du talent, ils manquent véritablement d’esprit, c’est-à-dire de quelque chose d’opportun, de mobile, d’approprié : ce qu’avait tant leur maître, lequel, heureusement pour lui, n’a connu aucun de ces néophytes exorbitants. […] Nous demandons bien pardon de la comparaison, mais ils sont un peu à De Maistre ce que Naigeon était à Diderot : avec plus de talent que Naigeon, mais avec autant d’absurdité, et aussi loin véritablement du maître.

361. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Avertissement de la première édition »

Je ne me suis pas dit cela de prime abord ; j’ai commencé par admirer pleinement, naïvement, ceux que j’aimais surtout à contempler et à pénétrer, et qui se déployaient d’eux-mêmes sous mon regard ; ma curiosité se mêlait d’émotion à mesure que j’entrais plus avant dans chaque talent digne d’être étudié et connu. […] Même en énumérant les qualités des talents amis, il y a un mot qu’il ne faudrait jamais perdre de vue, le circum prœcordia ludit, qu’un satirique accorde à l’aimable Horace : se jouer autour du cœur de ceux même qu’on caresse, et montrer qu’on sait les endroits où l’on ne veut pas appuyer. […] En achevant de revoir et de relire des pages où j’ai autrefois déposé tant d’espérances, où j’ai placé tant de vœux sur des noms brillants qui n’en ont réalisé qu’une partie, je me surprends à redire, et je ne puis m’empêcher de citer, pour moralité finale, ces beaux vers de Virgile, si empreints de gravité et de justesse sévère, et applicables à la décadence de toutes les aristocraties, à celle de tous les talents qu’un travail et une vigilance perpétuelle n’entretiennent pas : Vidi lecta diu et multo spectata labore Degenerare tamen, ni vis humana quotannis Maxima quæque manu legeret.

362. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — J. — article » pp. 519-526

On disoit que, pour écrire ses Romans, elle s’étoit d’une plume tirée des ailes de l’Amour ; louange peut-être excessive, mais due au talent avec lequel elle a su peindre la puissance de ce Dieu. […] Après avoir lu les Romans de Madame de Villedieu, on est fâché de savoir qu’elle est l’Auteur de Manlius, de Nicetis, & d’une espece de Tragi-Comédie, intitulée, le Favori, trois Pieces qui prouvent combien elle a méconnu son talent. […] Faut-il s’étonner que ceux qui ont du talent pour les Vers, ne veuillent plus composer pour les prix d’une Académie qui juge si mal » ?

363. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIe Entretien. Le 16 juillet 1857, ou œuvres et caractère de Béranger » pp. 161-252

C’est ici le moment d’examiner le talent de cet homme de guerre. […] La grandeur de ce talent est dans sa finesse ; c’est un poète politique et philosophique, exquis dans ses proportions. […] Nous ne parlons encore que de son talent. […] Mais la qualité dominante du talent de Béranger n’était ni dans l’habileté de ses compositions, ni dans la finesse de son style ; elle était dans son cœur. […] Son talent, c’était sa nature ; sa popularité, c’était son patriotisme ; sa puissance, c’était son humanité !

364. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre IX. Le trottoir du Boul’ Mich’ »

Et si les phrases d’un critique s’enroulent autour de M. de Max comme des bras caressants ou si, vigoureuses, elles ne pénètrent qu’un côté de son exceptionnel talent ? […] Leur plume généreuse accorde du talent à tous les imbéciles, un peu plus de talent tout de même aux gens de mérite. […] Je vous assure, sans rire, que Pradon avait beaucoup plus de talent qu’Émile Trolliet. Pradon avait autant de talent que M.  […] Il fut battu par René Bazin à qui son catholicisme fait pardonner un talent d’ailleurs discret et qui n’a rien de blessant, un joli talent horizontal.

365. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Alfred de Musset » pp. 364-375

Il ne serait pas juste que le poète si charmant qui vient d’être enlevé disparût sans recevoir, même au milieu de ce qui a été dit et de ce qui se dira de vrai et de senti sur son talent, quelques mots particuliers d’adieu de la part d’un ancien ami, d’un témoin de ses premiers pas. […] le seul développement de ce talent si franc et si vif aurait bien suffi à manifester naturellement son originalité. […] tout cela semblait présager une saison plus tempérée et le règne durable d’un talent qui était devenu cher à tous, et que le monde le plus choisi, comme la plus fervente jeunesse, avait décidément adopté. […] Que manquait-il donc en ces années au poète, bien jeune encore, pour être heureux, pour vouloir vivre et aimer la vie, pour laisser son esprit courir et jouer en conversant sous des regards prêts à lui sourire, et son talent désormais plus calme, plus apaisé, s’animer encore par instants et combiner des inspirations renaissantes avec les nuances du goût ? […] Mais, on n’a pas voulu dire que le directeur de la revue, qui fut pendant quelques années l’administrateur très zélé du Théâtre-Français, n’ait pas songé à y mettre en œuvre le talent de M. de Musset ; ce qu’on a voulu dire, c’est que Mme Allan, qui avait joué le Caprice à Saint-Pétersbourg, le joua à ravir à Paris, et mît chacun en goût de telle friandise.

366. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Vie militaire du général comte Friant, par le comte Friant, son fils » pp. 56-68

Il ne s’agissait plus que de justifier par ses talents cet avancement rapide, et il n’y manqua pas. […] Mais dans les épreuves multipliées, dans les vicissitudes de chaque jour, les incapables étaient vite balayés, tandis que les hommes de talent, une fois promus et dans des postes élevés, prenaient de l’ascendant, acquéraient l’habileté que donne la guerre ; ils sauvèrent le pays en s’illustrant. […] J’aime mieux essayer de les faire sentir que de repasser sèchement toutes les grandes batailles où il fut un des vigoureux artisans, Austerlitz, Auerstaedt, Eylau, Eckmuhl, Wagram, Smolensk, la Moskowa : — une intrépidité de premier ordre, cela va sans dire ; — l’affection de ses troupes qui lui permettait de tirer d’elles de merveilleux surcroîts de fatigue et des combats acharnés au sortir des marches les plus rudes : — « Cet homme me fera toujours des siennes », disait l’empereur, en apprenant une de ces marches sans exemple à la veille d’Austerlitz ; — l’habileté des manœuvres et le coup d’œil sur le terrain, le tact qui lui faisait sentir l’instant décisif, ce talent pratique qui est du tacticien et du capitaine, et qui montre l’homme né pour son art (cela se voit surtout dans sa conduite à Auerstaedt, à Eckmuhl) ; — oser prendre, au besoin, la responsabilité de ses mouvements dans les circonstances critiques, sans se tenir à la stricte exécution des ordres ; et, quand il se bornait à les exécuter, une activité sans trêve. […] — Il avait un talent particulier pour s’attirer l’affection, même des troupes étrangères qui servaient sous lui.) […] » disait-il à la journée d’Austerlitz, en menant au feu le 15e léger dont les deux tiers étaient détachés ailleurs et qui était réduit à 500 hommes, et le petit 15e se piquant d’honneur fit des prodiges. — Maintenir en belle humeur une troupe de braves au moment où on les force de rester en ligne immobiles sous les boulets, leur rendre de cet entrain qu’on perd aisément à demeurer au feu l’arme au bras, n’est point un talent à mépriser.

367. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française, par M. D. Nisard. Tome iv. » pp. 207-218

Il s’établit au fond de nous une sorte d’intelligence et de connivence presque forcée entre notre talent et notre jugement, surtout quand ce jugement porte sur l’objet même auquel se rapporte notre talent habituel. […] La nature est pleine de variétés et de moules divers : il y a une infinité de formes de talents. […] Mais le talent de M.  […] Il rend surtout témoignage du caractère et du talent de l’auteur, — un caractère ami du bien et jaloux du mieux, un de ces esprits comme il y en a peu, fixés et non arrêtés, défendus par des principes, et qui restent ouverts aux bonnes raisons ; un esprit qui a en soi son moule distinct, et qui imprime à tout ce qu’il traite ou ce qu’il touche un certain composé bien net de sagacité, de savoir, de moralité et de style —, qui y met sa marque enfin.

368. (1875) Premiers lundis. Tome III « Nicolas Gogol : Nouvelles russes, traduites par M. Louis Viardot. »

Je craindrais de trop généraliser les caractères d’un talent que je n’ai pu juger que par échantillons ; M. […] Le voyage à travers les steppes, l’arrivée au quartier général, les groupes divers qui s’y dessinent, les provocations belliqueuses de Tarass Boulba qu’ennuie l’inaction et qui veut donner carrière à ses fils, la déposition du kochevoï ou chef supérieur qui ne se prête pas à la guerre, et l’élection d’un nouveau kochevoï plus docile, toutes ces scènes sont retracées avec un talent ferme et franc ; le discours du kochevoï nouvellement élu, lorsqu’il prend brusquement en main l’autorité et qu’il donne ses ordres absolus pour l’entrée en campagne, me paraît, pour le piquant et la réalité, tel que M.  […] Les autres nouvelles du volume nous offrent moins d’intérêt que celle de Tarass Boulba ; elles montrent la variété du talent de M.  […] Viardot d’être connu en France comme celui d’un homme d’un vrai talent, observateur sagace et inexorable de la nature humaine6. […] Il m’en parla à fond et de manière à me convaincre du talent original et supérieur de ce Belli, qui est resté si parfaitement connu à tous les voyageurs.

369. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Préface de la seconde édition » pp. 3-24

Mais il ne faut pas tracer autour de la pensée de l’homme un cercle dont il lui soit défendu de sortir ; car il n’y a pas de talent là où il n’existe pas de création, soit dans les pensées, soit dans le style. […] Mais le talent consiste à savoir respecter les vrais préceptes du goût, en introduisant dans notre littérature tout ce qu’il y a de beau, de sublime, de touchant, dans la nature sombre, que les écrivains du Nord ont su peindre ; et si c’est ignorer l’art que de vouloir faire adopter en France toutes les incohérences des tragiques anglais et allemands, il faut être insensible au génie de l’éloquence, il faut être à jamais privé du talent d’émouvoir fortement les âmes, pour ne pas admirer ce qu’il y a de passionné dans les affections, ce qu’il y a de profond dans les pensées que ces habitants du Nord savent éprouver et transmettre. […] Tous les vices se coalisent, tous les talents devraient se rapprocher ; s’ils se réunissent, ils feront triompher le mérite personnel ; s’ils s’attaquent mutuellement, les calculateurs heureux se placeront aux premiers rangs, et tourneront en dérision toutes les affections désintéressées, l’amour de la vérité, l’ambition de la gloire, et l’émulation qu’inspire l’espoir d’être utile aux hommes et de perfectionner leur raison8. […] Serait-il possible que l’éclat du talent ne pût, devant certains juges, obtenir grâce pour l’amour ardent de la liberté ?

370. (1860) Ceci n’est pas un livre « Le maître au lapin » pp. 5-30

Moi qui n’ai pas ici un roman à faire, je vais vous dire tout bonnement la vie actuelle et véridique de Rodolphe Bresdin, avant de vous dire mon admiration pour ce grand talent ignoré. […] Il aurait pu certainement, en aidant son talent d’un peu d’intrigue, — à l’instar de ses camarades de la littérature et des arts, — arriver, lui aussi, c’est-à-dire vivre. […] Il a la conscience de son talent, de son génie, j’ose dire… C’est peut-être pour cela que les discussions d’argent font plus que lui répugner : il ne les comprend même pas. […] Jamais plus fin talent d’observation ne fut au service d’une imagination plus puissante. […] Lorsqu’un talent aussi rare est ignoré, n’est-ce pas un devoir pour le premier qu’un hasard amène sur le seuil désert de l’artiste d’ouvrir sa porte toute grande aux admirations publiques ?

371. (1811) Discours de réception à l’Académie française (7 novembre 1811)

Son talent flexible et varié en saisit tous les caractères, en fait ressortir toutes les nuances. […] On n’y voit point le poëte courtisan qui mendie la faveur par de serviles adulations, mais l’homme de lettres qui sait plaire par le noble exercice de son talent. […] Laujon n’a donné que de justes éloges et n’a reçu que d’honorables récompenses ; enfin, Messieurs, il a en un talent bien rare, il s’est fait estimer de ceux qu’il s’était chargé de divertir. […] L’homme a beau varier ses compositions, l’écrivain a beau s’exercer dans les genres les plus différents, tout ce qui sort de sa plume porte le cachet de son talent naturel. […] Le souverain qui associe tous les talents à la gloire de son règne est l’appui de l’écrivain qui en accroît la splendeur ; le législateur qui réforme son siècle est le soutien du moraliste qui l’éclaire.

372. (1760) Réflexions sur la poésie

Le sonnet ne se montre plus, l’élégie expire, l’églogue est sur son déclin, l’ode même, l’orgueilleuse ode commence à déchoir ; la satire enfin, malgré tous les droits qu’elle a pour être accueillie, la satire en vers nous ennuie pour peu qu’elle soit longue ; nous l’avons mise plus à son aise en lui permettant la prose ; c’est le seul genre de talent que nous ayons craint de décourager. […] Tant qu’elle a proposé et fixé les sujets de ces pièces, si elle a eu quelque chose à se reprocher dans ses décisions, ce n’est pas d’avoir usé d’une rigueur excessive ; elle a quelquefois encouragé le germe du talent, plutôt que le talent même ; et le bas peuple des critiques, qui se plaît à déchirer lourdement les ouvrages couronnés, et qui ne remporterait pas même le prix de la satyre s’il y en avait un, doit être persuadé, sans craindre d’avoir trop bonne opinion de l’académie, qu’elle a pu donner le prix à certaines pièces, et les croire en même temps fort éloignées de la perfection. […] Ce n’est pas que l’académie n’ait remarqué du talent, et même des étincelles de génie, dans quelques-unes des pièces qu’elle a reçues ; mais ce n’est point à quelques vers détachés, et flottant pour ainsi dire au hasard, c’est à l’ensemble d’un ouvrage qu’elle accorde le prix. […] Mais l’excellent gagne à cette comparaison ; moins on peut lire de vers, plus on goûte ceux que le vrai talent fait produire.

373. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre premier. Mme de Staël »

La première, — par la date et par le talent — de ce temps, avant lequel il y eut bien des femmes qui écrivirent, mais où ce qu’on appelle le Bas-Bleuisme n’existait pas encore… Aussi, quand ce livre de Weymar et Coppet, qui n’a, d’ailleurs, de supériorité d’aucun genre, parut, il y a quelques années, il n’en attira pas moins l’attention de la Critique parce qu’il parlait de Mme de Staël. […] III Écrit par une femme, aveuglée par le talent et la renommée de Mme de Staël, et n’ayant peut-être pas exactement conscience de ce qu’elle écrivait, ce livre de Weymar et Coppet, qui aurait dû être un coup de pied dans le ventre de l’opinion déjà faite sur Mme de Staël, a glissé sur cette opinion et l’a à peine effleurée. […] Elle a fait plusieurs espèces de livres, soit des romans, comme Delphine et Corinne, soit des livres d’histoire et de politique, comme les Considérations sur la Révolution française, soit de philosophie morale, comme l’Influence des passions, soit de critique littéraire, mêlée de philosophie et de métaphysique, comme l’Allemagne ; et dans tous ces divers ouvrages, on trouve une écrivain d’un prodigieux talent. […] Ce n’est pas Mme Sand qui nous aurait fait accepter, avec ce talent qui est une magie, tous les écrivains de l’Allemagne sur le pied des plus hautes puissances intellectuelles, et nous les eût fait avaler, à nous autres railleurs français, pomme des hosties consacrées, alors que la plupart d’entre eux n’étaient guère que des pains à cacheter ! […] Par là, elle diffère encore de Mme Sand que nous lui avons comparée, et qui, pour faire mieux l’homme peut-être, a éteint en elle le christianisme, renversé l’autel du mariage et de la mort, et imprimé à son talent cette horrible grimace philosophique qui le défigure et qui a fini par le rendre affreux !

374. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Odysse Barot »

Quand Taine découpa son Histoire de la littérature anglaise dans l’immense étoffe que Barot emploie toute, il lui fallut plusieurs gros volumes pour y mettre cette histoire, circonscrite pourtant aux grandes figures, aux hommes de génie ou de talent supérieur ; et Odysse Barot, qui ne choisit pas, qui prend tout, qui ne pense pas comme le duc d’Albe et pêche aussi bien aux grenouilles qu’aux hures de saumon, empile toute cette multitude dans un volume in-18 de la collection Charpentier ! […] Quelles que soient les prétentions ou le talent qu’elle atteste, elle se ravale alors à n’être plus qu’un manuel ou un catalogue. […] … Lisez-le avec attention, et vous verrez que les hommes de génie, ou de talent, dont il parle dans son histoire, sont bien moins pour lui par la personnalité de leur génie ou de leur talent que par la tendance qu’ils expriment, Michelet a un jour, dans son Histoire de la Révolution française, décapité les chefs de cette révolution, ces cerveaux troublés, mais puissants, au profit de la masse acéphale. […] Le whig Macaulay, malgré son excellent talent, ne le pouvait pas.

375. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « L’Angleterre depuis l’avènement de Jacques II »

Si, d’un côté, les opinions connues de Macaulay, devenu, grâce à sa plume, un homme politique important et un ministre d’État, disaient assez nettement d’après quelles tendances et dans quel système cette histoire d’Angleterre serait conçue et réalisée, d’un autre, les articles de la Revue d’Édimbourg, qui avaient commencé et fixé la réputation de l’auteur, et dont quelques-uns sont des chefs-d’œuvre, ne disaient pas avec moins d’autorité qu’à part ces opinions premières qui pèsent sur tout ce qu’on écrit et y impriment la marque de leur vérité ou de leur erreur relatives, qu’à part enfin le joug des partis si dur à secouer dans les pays fortement classés, il y aurait, du moins, dans l’histoire écrite par une telle main, le talent, mûri par les années et par l’étude, de l’homme qui avait tracé des pages si animées et si réfléchies en même temps sur Warren Hastings, lord Burghley et le comte de Chatham ! […] Dans l’histoire de Macaulay, le whig s’est accru et s’est concentré, mais l’homme de talent a faibli. […] … Ou bien, par un de ces empêchements qui, pour la Critique, restent toujours un peu des mystères, son talent, jusque-là si éclatant et si large, aurait-il trouvé en lui-même ses propres causes d’appauvrissement ? […] Ainsi, disons-le tout d’abord, malgré des qualités qui recommanderaient encore, sans nul doute, un esprit inférieur à Macaulay, nous n’avons pu reconnaître dans ces deux volumes le talent agrandi de l’écrivain qui, en 1827, 1828, 1832, 1835, écrivait sur Machiavel, Dryden, la Guerre de la succession, par lord Mahon, l’Histoire de la Révolution de 1688, par Mackintosh, ces articles abondants et lumineux qui resteront comme des modèles de critique élevée et vivante. […] l’esprit de parti semble ici avoir bénéficié de tout ce qu’a perdu le talent, et c’est dans ce sens qu’il s’est fait — au dommage de Macaulay — une compensation terrible !

376. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes et la société au temps d’Auguste » pp. 293-307

Et c’est là précisément le caractère de son talent : il a de la vie, et même de la jeunesse, malgré les années, les expériences, les fatigues et les frottements contre les choses d’Allemagne ! […] Blaze de Bury, ce lettré compétent à tant de choses, mais qui, de nature, répugne aux classements et aux catégories, a certainement autant de talent que beaucoup d’écrivains de ce temps qui font plus de tapage que lui. Il n’est jamais pédant comme Taine, né coiffé en fait de talent et d’esprit, mais qui met trop souvent sa coiffe dans sa poche. […] Pour eux, on peut dire justement que l’Histoire est un art… Mais l’Histoire, comprise par les Modernes, dont les besoins de vérité et de moralité sont bien supérieurs à ceux des Anciens, l’Histoire a la noble ambition d’être une science indépendante de l’historien, et d’arriver à l’objet de toute Science, qui est la Certitude, quel que soit le talent ou l’art de celui qui s’est donné fonction de l’écrire. […] Et encore ma comparaison n’en dit pas assez, car le bronze mal venu et le marbre mal taillé ne sont plus de l’art, et il faut recommencer l’œuvre manquée, chercher et atteindre une forme plus savante ou plus idéale ; tandis que l’historien sans talent, sans valeur par lui-même, n’empêche pas l’Histoire qu’il a mal écrite d’être encore de l’Histoire.

377. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Michelet » pp. 259-274

L’homme, puissant d’un talent qui touchait au génie, faisait un si grand mal alors que la Critique n’avait pas à s’attendrir sur son compte et ne pouvait songer à autre chose qu’à frapper implacablement sur les erreurs ou les songes de ce corrupteur de l’Histoire ; car le mensonge fut souvent le caractère de ses erreurs. […] Bien avant ce livre, du reste, et avant moi, en 1862, un écrivain catholique, que les hommes du monde appelleraient « un voyant » en matière humaine et littéraire, et les esprits religieux « un mystique » de surnaturelle pénétration, Ernest Hello, avait montré, dans un très beau et très touchant travail de critique, que Michelet était chrétien dans la racine même de son être, et comment le christianisme naturel qu’il avait tout fait pour s’arracher de l’âme aurait, s’il l’y avait laissé, donné à son talent toute la beauté de sa destinée. […] Si, en effet, il est resté, lui, jusqu’à la fin, tout ce que, malheureusement, il a voulu être, l’opinion des hommes que le prestige de son talent entraîna n’est déjà plus ce que, de son temps, elle était. […] et son merveilleux talent ne l’excuserait pas d’avoir cru à Dieu. […] La meilleure vie, par le talent, de ces trois vies de soldats de la Révolution : — La Tour d’Auvergne, Desaix et Hoche, — est celle du plus humble, de La Tour d’Auvergne, qui, d’officier qu’il était, devint soldat et ne voulut être que soldat.

378. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVII. Saint-Bonnet »

Nous savons que, pour peu qu’ils aient une misère de talent, de palette, et même, sans cela, de renommée, les voilà les conducteurs et les chauffeurs de l’Opinion sur tous les rails ; mais qu’importe ! […] Seulement, comme tous les livres d’un talent très élevé ou très profond, il a besoin du temps pour son succès. Il ne peut pas l’avoir immédiatement, et voici pourquoi : il faut aux livres comme aux talents destinés au succès rapide, au succès à l’heure même, un côté de médiocrité, soit dans la forme, soit dans le fond, lequel ne déconcerte pas trop la niasse des esprits qui se mêlent de les juger. Quand on n’a pas ce bienheureux côté de médiocrité dans le talent qui nous vaut la sympathie vulgaire, on a besoin du temps pour la renommée de son nom ou la vérité qu’on annonce. […] Le docte historien nous raconte, avec un détail qui honore sa science et son talent d’exposition, ce que fut l’enseignement classique depuis le quatrième siècle jusqu’à Charlemagne et Alcuin, depuis Raban Maur jusqu’à Alexandre de Villedieu, et depuis le douzième siècle jusqu’à la Renaissance.

379. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Roger de Beauvoir. Colombes et Couleuvres. »

C’est par les qualités, jusqu’ici les moins soupçonnées, que ces poésies frapperont les esprits amis ou familiers du talent de l’auteur et qui croyaient bien le connaître. […] et qui sera obéi, tous trois personnels et sincères comme tout ce qui s’écoute soi-même, les Poètes de notre temps se classent en Écoles, et, quel que soit leur talent d’ailleurs, ils ne sont, en définitive, que les attachés d’un système — des poètes de parti pris. […] » Assurément, quand de pareils vers, purs, légers et tremblants comme les larmes mêmes dont ils parlent, ont pu tomber, comme une protestation de toutes les puretés du cœur, des lèvres du convive de la Maison d’Or, on peut dire qu’il aura toujours « de cette rosée » dans le talent, car il ne l’aurait plus, s’il avait pu la perdre et si les mauvaises ardeurs de la vie avaient pu jamais la sécher ! […] Et ce n’est pas, du reste, dans des vers de cette inspiration familière, idyllique et élégiaque à la fois, que se montre et s’épuise le talent qui s’est renouvelé en se dépouillant. […] Roger de Beauvoir pour donner une idée complète de ce talent simplifié et sorti, au moment où l’on y pensait le moins, de la fontaine de Jouvence que le Temps fait filtrer dans la pensée de tout poète digne de ce nom, nous indiquerons comme étant les plus remarquables et les plus beaux du recueil les morceaux suivants : La Colombe, Dolor, Les Morts qui vivent (superbe pensée !)

380. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Le Sage » pp. 305-321

Boileau, qu’il appelle « un vieux critique » qui ne comprenait rien aux talents de la belle jeunesse, jeta le livre par la fenêtre et menaça son valet de le mettre à la porte. […] Au degré de corruption et d’abaissement où était, au xviiie  siècle, tombée la société française, on ne pouvait plus amuser cette société basse que par des peintures aussi basses qu’elle… III Misérable occupation, pour gagner sa vie, d’un homme médiocre qui n’a pas relevé par le talent ce qu’il a fait ! […] Ils lui trouvèrent du talent, un talent charmant. […] C’était, pour son talent, s’en aller en eau de boudin.

381. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Raymond Brucker » pp. 27-41

En effet, si les auteurs avaient vécu là où ils étaient parfaitement placés pour observer ce qu’ils voulaient peindre, s’ils avaient de l’âme, s’ils avaient de cette fougue sensible, l’écume du talent qui va s’étendre, comme la vague, en se purifiant, ils n’avaient pas les notions morales. […] Tous les gens d’esprit et de talent que nous avons vus s’éparpiller dans toutes les directions, depuis ce temps-là, ont été couvés dans la veste brodée du Figaro : de La Touche, Becquet ; l’Érigone politique du Journal des Débats, M.  […] Brucker alluma dans sa tête ce système, asphyxiant pour les imaginations vives, le Fouriérisme, et c’est ainsi que le suicide de sa vie, il ne l’accomplit que sur sa raison… C’est dans cette orageuse période de sa jeunesse qu’il écrivit avec un talent haletant et convulsé le livre intitulé Mensonge, où la Critique put remarquer un effrayant chapitre intitulé Le Fond des âmes, enlevé dans l’amère et ironique manière d’Henri Heine, un des plus grands poètes qui aient paru depuis Byron, mais une fleur de poésie mortelle aux âmes qu’elle touche, comme le laurier-rose, dont elle a les suavités de teinte et les poisons. […] L’originalité de ses talents lui fit une position exceptionnelle, inconnue avant lui. Il eut le droit, tout laïque qu’il fût, de prêcher dans les églises et il devint l’O’Connell des ouvriers catholiques dans un pays plus heureux que l’Irlande ; un O’Connell sans les mille échos de la persécution et de la gloire, qui rapportaient à Daniel sa voix agrandie, mais un O’Connell par le genre de talent, par la manière, par cette éloquence familière et pathétique, sublime et triviale à dessein, comme l’est un drame de Shakespeare.

382. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XVI. Des sophistes grecs ; du genre de leur éloquence et de leurs éloges ; panégyriques depuis Trajan jusqu’à Dioclétien. »

Gorgias, né en Sicile, avait le premier donné cet exemple dans Athènes ; Critias et Alcibiade, encore jeunes, Thucydide et Périclès, déjà vieux, venaient l’entendre et l’admiraient ; Eschine, le rival et l’ennemi de Démosthène, eut le même talent. […] On conçoit que la plupart de ces orateurs ou sophistes, dont l’art et le talent était de s’affecter avec rapidité de tous les sujets, devaient avoir une imagination vive et un esprit enthousiaste ; l’un, nommé par la ville de Smyrne pour aller en ambassade vers un empereur, adresse sur-le-champ une prière aux dieux, pour qu’ils lui accordent l’éloquence d’un de ses rivaux ; un autre ne méditait jamais que la nuit. […] Cet art, outre une imagination très vive et prompte à s’enflammer, supposait encore en eux des études très longues ; il supposait une étude raisonnée de la langue et de tous ses signes, l’étude approfondie de tous les écrivains, et surtout de ceux qui avaient dans le style, le plus de fécondité et de souplesse ; la lecture assidue des poètes, parce que les poètes ébranlent plus fortement l’imagination, et qu’ils pouvaient servir à couvrir le petit nombre des idées par l’éclat des images ; le choix particulier de quelque grand orateur avec qui leur talent et leur âme avaient quelque rapport ; une mémoire prompte, et qui avait la disposition rapide de toutes ses richesses pour servir leur imagination ; l’exercice habituel de la parole, d’où devait naître l’habitude de lier rapidement des idées ; des méditations profondes sur tous les genres de sentiments et de passions ; beaucoup d’idées générales sur les vertus et les vices, et peut-être des morceaux d’éclat et prémédités, une étude réfléchie de l’histoire et de tous les grands événements, que l’éloquence pouvait ramener ; des formules d’exorde toutes prêtes et convenables aux lieux, aux temps, à l’âge de l’orateur ; peut-être un art technique de classer leurs idées sur tous les objets, pour les retrouver à chaque instant et sur le premier ordre ; peut-être un art de méditer et de prévoir d’avance tous les sujets possibles, par des divisions générales ou de situations, ou de passions, ou d’objets politiques, ou d’objets de morale, ou d’objets religieux, ou d’objets d’éloge et de censure ; peut-être enfin la facilité d’exciter en eux, par l’habitude, une espèce de sensibilité factice et rapide, en prononçant avec action des mots qui leur rappelaient des sentiments déjà éprouvés, à peu près comme les grands acteurs qui, hors du théâtre, froids et tranquilles, en prononçant certains sons, peuvent tout à coup frémir, s’indigner, s’attendrir, verser et arracher des larmes : et ne sait-on pas que l’action même et le progrès du discours entraîne l’orateur, l’échauffe, le pousse, et, par un mécanisme involontaire, lui communique une sensibilité qu’il n’avait point d’abord. […] De là sans doute les reproches qu’on a faits de tout temps à l’éloquence des sophistes, malgré les talents, les succès et la prodigieuse célébrité de quelques-uns d’entre eux. […] Ceux des Romains qui jugeaient au lieu d’écrire, et se contentaient d’apprécier les talents sans en avoir, en classant leurs orateurs, citaient Cicéron pour l’abondance, Salluste pour la précision, Pline pour l’agrément, Fronto pour une certaine gravité austère.

383. (1895) Les confessions littéraires : le vers libre et les poètes. Figaro pp. 101-162

Il y a pour moi deux sortes de poètes : ceux qui ont du talent et ceux qui n’en ont pas. […] — Un original de talent, le chef de l’école des Magnifiques — encore une école !  […] Ce qu’il m’a fait plaisir, ce gosse de talent ! […] Mon ami a grand talent ! […] En quoi l’observance de la prosodie traditionnelle a-t-elle pu nuire au talent de MM. 

384. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Théâtre » pp. 83-168

Je lui ai fait observer que votre talent, votre situation littéraire et la juste renommée acquise par vos longs efforts ne vous permettent pas de vouloir être refusés à un théâtre. […] Lafontaine, Mme Victoria Lafontaine, Mlle Dinah Félix, voulaient bien donner à nos débuts l’appui de leurs noms et de leurs talents. […] Delaunay, au nom des auteurs et du public, de revenir sur sa résolution et d’oser avoir vingt ans, les vingt ans de son talent. […] Émile Augier, les peintres, les sculpteurs d’avenir et de talent. […] * * * Il nous reste à demander pardon au talent, au courage de nos grands acteurs, aux talents de Mme Arnould-Plessy, de Mme Victoria Lafontaine, de Mlle Dinah Félix, de Mme Ramelli, de Mlle Rosa Didier, de M. 

385. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre III. Poëtes françois. » pp. 142-215

On voudroit que l’auteur se fût livré plus souvent à son talent dominant, au pathétique ; & qu’il n’eût pas étouffé le sentiment par des descriptions. […] Il avoit le talent de saisir les traits essentiels d’un caractère & de le peindre des couleurs qui lui sont propres. […] Il est sans doute douloureux d’avoir à faire cet aveu sur un homme justement célébre par plus d’un talent. […] L’Abbé de Chaulieu versifioit dans le même tems que Rousseau ; mais il n’afficha pas son talent. […] de Voltaire a un talent vraiment original.

386. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Les Chants modernes, par M. Maxime du Camp. Paris, Michel Lévy, in-8°, avec cette épigraphe. « Ni regret du passé, ni peur de l’avenir. » » pp. 3-19

L’ancienne tradition s’étant rompue, la nouvelle n’ayant pris ni le temps ni le soin de s’établir, il en résulte une grande incertitude dans les jugements : une très belle œuvre, neuve et émouvante, saisirait sans doute et réunirait les esprits, mais de simples vers où il y a du talent n’ont plus ce pouvoir. Ce mot de talent couvre d’ailleurs trop de choses bien diverses, des qualités et des défauts qu’on ne se donne plus la peine de discerner. […] Théophile Gautier, devenu chef d’un démembrement et d’une subdivision importante de l’école de Hugo, est de ceux qui n’ont pas craint à l’origine de prendre justement pour point d’appui, dans le talent initiateur, ce qui semblait à d’autres un excès ou une limite. […] Car enfin si j’énumère dans ma pensée les différents écrivains et poètes qui ne sont point sans doute les cinq hommes forts proclamés par lui, mais qui, malgré cela, ont leur place au soleil, je trouve des talents élevés et distingués qui, lorsqu’ils s’expriment en vers, veulent dire chacun quelque chose et s’attachent à rendre de leur mieux des impressions, des sentiments. […] Cette stérilité tient moins aux sujets extérieurs qu’aux talents mêmes et aux génies : on les dirait à sec.

387. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « GLANES, PÖESIES PAR MADEMOISELLE LOUISE BERTIN. » pp. 307-327

La quarantaine qu’on fait ainsi subir aux talents nouveaux, avant de les accepter et de les louer, cause des impatiences, comme toutes les quarantaines ; elle a son utilité aussi. […] Elle était née déjà dans plus d’un cœur, dans plus d’un talent qui la cultivait de ce côté en silence. […] Une femme d’un talent délicat, Mme de Bawr, ramenait quelquefois, comme conseil bienveillant, les mots de goût et de grâce. […] J’en suis aux critiques ; car moi aussi j’en veux faire, et par là, non moins que par mes éloges, prouver mon sérieux respect pour le talent de mademoiselle Bertin. […] Je crois avoir rendu ailleurs ample justice au talent de M. de Musset, mais il ne me semble pas, malgré tout, que situation soit telle encore, et j’ajouterai que c’est peut-être parce qu’il ne l’a pas voulu.

388. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Sur la reprise de Bérénice au Théâtre-Français »

Le talent a ses inclinations qu’il doit consulter, qu’il doit suivre, qu’il doit diriger et aussi réprimer mainte fois. […] On oublie trop de nos jours ce devoir imposé au talent ; sous prétexte de lyrisme, chacun s’abandonne à sa pente, et l’on n’atteint pas à l’œuvre dernière dont on eût été capable. […] Ce n’est pas contrarier son talent et aller contre Minerve que de se resserrer, de se restreindre sur quelques points, de viser à s’élever et à s’agrandir sur certains autres. […] Il est bon que la conscience intérieure que chaque talent porte naturellement en soi prenne ainsi forme au dehors et se représente à temps dans la personne d’un ami, d’un juge assidu qu’on respecte ; il n’y a plus moyen de l’oublier ni de l’éluder. […] Une personne, un talent, ne sont pas bien connus à fond, tant qu’on n’a pas touché ce point-là.

389. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VIII. Les écrivains qu’on ne comprend pas » pp. 90-110

Pour y réussir, comme dans le vers classique, et dans toutes les proses, il n’est point de métrique, ou, si vous préférez, de rhétorique qui tienne ; c’est l’affaire du seul talent. Le talent, notre auteur le définit : « pouvoir de réduire un tempérament original aux lois générales de l’art, au génie permanent de la langue ». […] Au juste, le talent est la possession d’un métier ou d’un art, la qualité de l’ouvrier après apprentissage. […] Loin de s’opposer au talent le génie en est donc le ferment. Loin de contrarier le génie, le talent lui fournit la matière primaire de sa manifestation, matière qu’il fécondera à sa guise.

390. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — II. (Suite.) » pp. 434-453

Picard, à cette date, se trouvait à un moment critique et décisif pour son talent ; il était dans sa meilleure veine : par Monsieur Musard, un petit chef-d’œuvre, par Les Marionnettes, par Les Ricochets, il atteignait à toute la vérité de ce talent gai, vif, léger et naturel. Il voulait plus encore : il avait trente-sept  ans ; il voulait faire une grande comédie en cinq actes et en vers, se surpasser, livrer sa grande bataille comme tout talent doit essayer, une fois au moins dans sa vie, de la livrer avec toutes ses forces. […] Devenu directeur de l’Opéra après l’avoir été du théâtre Louvois, il concevait encore le vague espoir de faire quelque œuvre considérable avant la fatigue et le déclin du talent : J’ai dans la tête, écrivait-il en septembre 1812 à M.  […] Tout cela prouve une seule chose, que le besoin de faire admirer nos talents n’est pas le seul besoin de notre amour-propre, qu’il nous faut encore, outre les applaudissements, de la considération ou de l’autorité, ou de l’éclat, etc. […] Daru comme une critique hostile à l’œuvre et au talent de M. de Chateaubriand, mais il faut y voir plutôt une pièce d’analyse exacte, de modération et d’impartialité, un compromis judicieux destiné à ménager l’entrée de l’auteur au sein même de l’Institut.

391. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. »

Par une conjecture toute contraire, et qui éloigne l’idée de disgrâce, cette mort, arrivée dans les circonstances les plus malencontreuses et au fort d’une guerre, fit dire de lui « qu’il aurait fallu ou qu’il ne fût point né, ou qu’il eût vécu plus longtemps », lui seul étant en état, par ses talents, de porter le poids d’une si grosse affaire qu’il avait préparée et suscitée. […] Mais aujourd’hui, je le dis sincèrement, ma joie est mêlée d’une grande inquiétude ; cette vérité historique dont j’ai eu la révélation première, ai-je bien la force et le talent qu’il faut pour la communiquer ? […] Flousset aurait beaucoup le talent d’écrire et de peindre, d’être éloquent, comme on dit, dans le cas où il marcherait tout seul et où il aurait à composer, pour son compte, quelque morceau de sa propre étoffe ; mais aujourd’hui il ne nous donne pas le temps d’y songer : dans ce long travail d’analyse, d’extrait, de résumé et d’assemblage, il a fait preuve partout d’un excellent jugement, d’un goût sobre, d’un choix sévère, d’une fermeté de pensée et d’expression qui inspire toute confiance. […] Il n’était genre d’autorité, de considération, de vertu, de talent, qui ne lui fût suspect et ne lui parût comme rebelle et factieux, s’il n’avait été créé ou tout au moins consacré par la volonté royale. » Le seul reproche que je ferai à M.  […] Vauban doit à Louvois ce que tout homme de talent prise le plus, l’occasion de montrer au grand jour ses talents.

392. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite et fin.) »

La critique d’art, la manière dont il l’a exercée et comprise, constitue l’une des innovations et l’un des talents spéciaux de Théophile Gautier. […] Celui-ci y joint et y apporte en sus un talent pratique, un art de description qui n’est qu’à lui. […] Loin de là, nul, en nous faisant pénétrer dans le talent de chaque peintre, dans la nature et dans l’intention de chaque œuvre, ne nous met plus à même de les qualifier. […] D’ailleurs, on n’est pas plus ouvert que lui à tous les genres, ni plus sensible à toutes les natures de talents. […] si le critique perd par là en fermeté et autorité, le talent de l’écrivain gagne à ces précautions tout humaines, et l’on en est récompensé en finesses heureuses.

393. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « JASMIN. » pp. 64-86

Mais il n’y a rien de commun entre Jasmin et lui, que d’être du peuple et d’avoir du talent ; du reste, nul rapprochement à établir. […] Dupront, avocat, homme du pays, de grand talent au barreau, et qui eût été poëte lui-même, m’assure-t-on, si une sorte de paresse naturelle ne l’eût retenu. […] Une tradition populaire du pays en a fourni le sujet au poëte ; mais il a su y élever une composition soutenue, graduée, délicate et touchante, qui le classe, à bon droit, parmi les plus vrais talents en vers de notre temps. […] Il a, dans Béranger, son patron et son correspondant naturel, un bel exemple de modestie, de persévérance, et aussi de perfectionnement dans l’emploi du talent. […] Il est du petit nombre de ceux qui se perfectionnent ; dans ses poëmes de Françounetto et de Marthe la folle, il a su donner à son talent toute son étendue et son ressort, sans le forcer.

394. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Discours sur l’histoire de la révolution d’Angleterre, par M. Guizot (1850) » pp. 311-331

Ce sont là des talents qui se rapprochent, qui se ressemblent, et qu’on est tenté de confondre, mais qui diffèrent par des conditions intimes. […] Les habitudes de race et d’éducation première se marquent encore dans le talent et se retrouvent dans la parole, même lorsqu’elles ont disparu des habitudes de notre vie : on en garde la fibre et le ton. […] Il lui fallut quelque apprentissage encore ; mais, à partir de 1837, il déploya tout son talent. […] Le talent, enfin, qui nous montre tout cela, est supérieur, est-il besoin de le dire ? […] Voilà l’écueil, et un talent, même du premier ordre, n’en garantit pas.

395. (1889) Émile Augier (dossier nécrologique du Gaulois) pp. 1-2

D’intelligence forte et saine, ayant au plus haut degré la volonté du bien, il a mis son grand, son très grand talent, son impeccable probité littéraire au service des vertus de la classe moyenne. […] À cette tâche, Émile Augier a consacré sa vie, son immense talent, son cœur et son esprit. […] — C’était un grand écrivain dont le talent, si français, touche au génie par la clarté, la force et la franchise supérieures. Son caractère était égal à son talent, dont il avait l’énergique droiture et la haute honnêteté ! […] Je me contenterai de dire que j’avais la plus réelle admiration pour son talent.

396. (1892) L’anarchie littéraire pp. 5-32

Il a le talent trop élastique pour n’avoir pas, au besoin, un style moins compliqué. […] Jusqu’où va la souplesse de son talent ! […] Chacun y allait de son petit toast à l’auteur du Pèlerin, qui a pu croire quelques minutes que son talent lui avait rallié tous ses admirateurs. […] Quelques-uns, pourtant, ont du talent, les autres de la bonne volonté. […] Je dois dire que le plus grand nombre de ces écrivains ont du talent et un souci de l’Art que ne connurent point leurs aînés.

397. (1879) À propos de « l’Assommoir »

Sincère avant tout, possédant le respect de son talent et le respect de ses lecteurs, il rêvait une grande œuvre. […] Il essaya d’abord son talent sur les instruments de cuivre, mais sans aucun succès. […] Zola dans la logique de son talent comme dans la plénitude de son droit. […] Or la décoration se donne assez généralement aux artistes et écrivains de talent. […] M. de Saint-Victor est le seul critique qui refuse tout talent à M. 

398. (1880) Goethe et Diderot « Gœthe »

mais qui domine ses facultés, son talent, son génie, ou même sa bêtise. […] Sa nature n’est pas une, mais mêlée comme son talent, qui est de l’ordre composite et même confus. […] Son talent, nous venons d’en parler et nous en parlerons encore. […] Cette gloire est froide comme la convention, comme l’éloignement, comme le talent même de Gœthe. […] Gœthe n’a pas dans le talent un atome de pétrole.

399. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. de Fontanes »

Un article de La Harpe, c’était la consécration officielle d’un talent. […] S’il ne montrait d’ordinaire que de la sensibilité dans le talent, il portait de la passion dans le goût. […] ces gens-là ne voient pas que cela tient à la nature même de votre talent. […] « On ne consulte que son besoin, et jamais son talent. […] Napoléon décrète l’esprit de l’histoire ; c’est heureux qu’il ne décrète pas aussi le talent et la capacité de l’historien.

400. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXVIII » pp. 266-276

Cela crée une atmosphère malsaine pour le talent. Même lorsque l’écrivain reste poëte, c’est-à-dire insouciant, libéral et prodigue, même lorsqu’il dissipe, il est désastreux pour son talent qu’il ait tant à dissiper. […] Soit qu’on dépense simplement, soit qu’on dissipe, le talent, au cœur même, s’en ressent. […] 47 ; il associait tout cela, rimait comme un ouvrier à la journée, et la seule différence, c’est qu’on ne parlait plus de lui et qu’on ne le lisait pas : son talent n’étant plus porté par des sujets actuels était retombé dans le vulgaire du métier.

401. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VI. De la littérature latine sous le règne d’Auguste » pp. 164-175

Cependant les écrivains dont le génie s’était formé au milieu des luttes sanglantes de la liberté, devaient avoir un autre caractère que les écrivains dont les talents s’étaient perfectionnés sous les dernières années du paisible despotisme d’Auguste. […] Les jouissances du pouvoir et des intérêts politiques remportent presque toujours sur les succès purement littéraires ; et quand la forme du gouvernement appelle les talents supérieurs à l’exercice des emplois publics, c’est vers l’éloquence, l’histoire et la philosophie, c’est vers la partie de la littérature qui tient le plus immédiatement à la connaissance des hommes et des événements, que se dirigent les travaux. […] De certaines beautés d’images et d’harmonie sont transportées successivement dans la plupart des langues nouvelles et perfectionnées ; mais quand le talent poétique d’une nation se développe comme à Rome, au milieu d’un siècle éclairé, il s’enrichit des lumières de ce siècle. […] Lorsque je parlerai de la littérature des modernes, et en particulier de celle du dix-huitième siècle, où l’amour a été peint dans Tancrède, La Nouvelle Héloïse, Werther et les poètes anglais, etc., je montrerai comment le talent exprime avec d’autant plus de force et de chaleur les affections sensibles, que la réflexion et la philosophie ont élevé plus haut la pensée.

402. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XI. Mme Marie-Alexandre Dumas. Les Dauphines littéraires »

Mais ceux-là mêmes qui nient le plus dru l’héroïsme de par la race, sont les premiers et les plus obstinés à admettre que le talent, cet héroïsme de l’esprit, cette gentilhommerie du talent, qui ne s’est donné pourtant, comme l’autre, que la peine de naître, peut se transmettre de père en fils, — et même en fille, — et qu’en littérature, il y a des races, il y a des dynasties, il y a des Rois et des Dauphins, et, ce qui est plus fort, des Dauphines ; et, chose entièrement inconnue à cette vieille bête de monarchie qui ne connaissait que les Dauphines par mariage ! […] … Quant au talent, il est nul tout le temps qu’elle christianise, mais il y en a cependant dans le récit de l’adultère et du duel ; seulement un talent à la Dumas, sans esprit, tout de récit et de faits, et d’une personne qui a vécu dans une atmosphère où pendant trente ans et plus, on n’a parlé, arrangé, inventé que de ces choses-là.

403. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Meurice » pp. 231-241

Paul Meurice n’est pas dépourvu de talent, — et je dirai tout à l’heure le talent qu’il a, — mais entre son adoration génuflexoire pour Hugo et sa collaboration avec madame Sand, son talent est assez mal placé pour produire un grand effet et pour qu’on lui rende une justice entière. […] Et, en effet, Paul Meurice vaut bien, après tout, la plupart des romanciers de ce temps ; et de talent il était bien capable de nous dresser en pied un Césara grandiose qui aurait été un double héros, tout à la fois le héros de la vie publique et celui de la vie privée.

404. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIVe entretien. Mélanges »

Je le commençai très-modéré ; blâmant les excès de plume de ce grand artiste et louant son merveilleux talent. […] Le pape déclina tout pacte avec ces hommes de talent, qui pouvaient compromettre l’Église dans des factions humaines. […] Rien n’est plus facile au radicalisme, avec l’ombre du talent, que la réforme imaginaire de l’univers. […] Il rédigeait alors, sous le nom du Peuple constituant, un journal auquel son nom et son talent devaient donner une influence décisive sur l’opinion républicaine. […] Elle avait emmené une jeune personne, mademoiselle de Fauveau, célèbre pour son rare talent de sculpteur, qu’elle continua de perfectionner à Florence.

405. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Chamfort. » pp. 539-566

Ses talents, à lui, furent inférieurs à son esprit et à ses idées, et il en souffrit : son énergie, moins justifiée en apparence, se concentra de plus en plus, elle s’aigrit en lui et l’ulcéra. […] Une fois donc qu’il eut remis un pied dans le monde, il pensa qu’il n’avait rien de mieux à faire que de s’y lancer tout à fait, en se fiant à son talent. […] Pour du talent, de vrai talent, je crains qu’il n’en ait pas ; du moins son Marchand n’annonce rien du tout, et ne tient pas plus que sa Jeune Indienne ne promettait autrefois. […] Quoi qu’il en soit, la reine avait été en tout ceci aussi gracieuse et aussi en avances avec le talent que reine et femme pouvait l’être78. […] Je me permets de croire que si son talent distingué, mais de courte haleine et stérile, et qui ne cherchait que des prétextes pour ne pas récidiver, avait été au niveau de son intelligence et de son esprit, et que si la veine chez lui avait coulé de source, il aurait été moins chagrin et moins malheureux.

406. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME GUIZOT (NEE PAULINE DE MEULAN) » pp. 214-248

Un peu de sottise à côté de quelque talent, c’est comme une petite enseigne qu’on porte avec soi, et sur laquelle est écrit : Regardez ma qualité ! […] Les deux volumes recueillis sous le titre de Conseils de Morale la montrent pourtant sous ce jour, mais pas aussi à l’origine, pas aussi nativement, si je puis dire, qu’une étude attentive de son talent nous l’a appris à connaître. […] Durant près de dix ans qu’elle écrivit dans cette feuille sur toutes sortes de sujets, sur la morale, la société, la littérature, les spectacles, les romans, etc., etc., on ne saurait se faire une idée, à moins de parcourir les articles mêmes, du talent varié, de la fécondité et de la justesse originale qu’elle déploya. […] Un talent si élevé, une franchise de plume si à l’aise en chaque sujet, n’éveillaient pas toujours une bienveillance très-sincère. […] Il est piquant que le premier éloge donné au talent de Béranger lui soit venu de ce côté.

407. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre III. Le Petit Séminaire Saint-Nicolas du Chardonnet (1880) »

Ce qui manquait totalement autour de moi, c’était le talent. […] Il croyait au talent et en faisait la base de la foi. […] Il estimait peu l’instruction sans le talent. […] Les mots talent, éclat, réputation eurent un sens pour moi. […] Forcer tous à subir l’obéissance, c’est tuer le génie et le talent.

408. (1874) Premiers lundis. Tome II « La Comtesse Merlin. Souvenirs d’un créole. »

Je me figurais bien la jeune femme artiste, non moins chose légère que l’abbé Delille, d’une joyeuse abondance de talent, active à tout peindre, les personnes, les cascades, l’arc-en-ciel de Tivoli, ses grâces au pinceau, au pastel, la draperie mythologique qu’elle savait jeter sur chaque objet ; j’assistais à l’inspiration mondaine et riante de l’art d’alors, et les Souvenirs me commenaient quelques-uns de ces portraits durables qu’on aime à revoir. […] On est difficilement accepté pour deux talents divers en ce monde ; ceux qui vous ont accordé le premier sont les plus prompts à vous chicaner sur le second. […] Ainsi elle nous est venue, une de ces natures actives et utiles à la société qu’elles décorent, gardant de l’entraînement malgré l’expérience et l’impulsion native à travers la finesse acquise ; talent sympathique et éclatant, toujours dévoué aux infortunes comme aux agréments d’autrui et prodigue de lui-même.

409. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 512-518

Clément joint le talent de la versification. […] Les bonnes plaisanteries, les tours heureux, les pensées courageuses, les expressions énergiques qu’on trouve sur-tout dans celle qu’il a intitulée Mon dernier mot, prouvent qu’il a un talent marqué pour ce genre de Poésie, & nous l’invitons à le cultiver. […] Ceux qui s’intéressent au succès de ses travaux, autant qu’à l’avantage du Public, sont portés, par ces deux motifs, à désirer qu’au talent de l’analyse, il pût réunir un style plus flexible, plus agréable, plus varié.

410. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Louise Labbé, et Clémence de Bourges. » pp. 157-164

Elles lui ressembloient par la beauté du génie, par leur talent de faire des vers enjoués, délicats & faciles, & par le dérèglement de leur conduite. […] C’étoit la Ninon l’Enclos de son temps, mais avec plus de talent & moins de retenue. […] Au talent de rendre en vers l’amour & ses fureurs avec toute la vérité possible, elle joignoit celui de chanter admirablement & de jouer du luth.

411. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VII. Suite du précédent. — Paul et Virginie. »

On nous fera peut-être une objection : on dira que ce n’est pas le charme emprunté des livres saints qui donne à Bernardin de Saint-Pierre la supériorité sur Théocrite, mais son talent pour peindre la nature. […] nous répondrons qu’il doit encore ce talent, ou du moins le développement de ce talent, au christianisme ; car cette religion, chassant de petites divinités des bois et des eaux, a seule rendu au poète la liberté de représenter les déserts dans leur majesté primitive.

412. (1930) Le roman français pp. 1-197

Ford : car il n’exclut pas le talent, même le plus grand talent. […] Mais quel talent, et quelle belle place, légitime, ce talent a pris dans la littérature de nos jours ! […] Estaunié a un très grand talent, un peu triste. […] Mais il y a autre chose dans son talent. […] Ce n’est pas le talent de M. 

413. (1825) Racine et Shaskpeare, n° II pp. -103

Est-il besoin d’ajouter que ce que je viens de dire de la comédie de Lanfranc ne prouve nullement qu’il y ait du talent ? […] La comédie romantique, sans talent, n’ayant pas de beaux vers pour éblouir le spectateur, ennuiera dès le premier jour. […] Avec beaucoup moins de talent, ses successeurs pourront, dans le même sujet, faire mieux que lui ? […] Le public trouvera dans Henri III beaucoup moins, infiniment moins de talent, et beaucoup plus, infiniment plus d’intérêt et de plaisir dramatique. […] Depuis que la mort de cet homme amusant faillit tuer leur journal, ce corps d’anciens critiques a été soutenu par le talent vivant de M. 

414. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCIXe entretien. Benvenuto Cellini (1re partie) » pp. 153-232

Puisque vous vantez mes petits talents, croyez-vous qu’ils ne suffisent pas à l’entretien de ma femme ? […] « Ce carton fut le premier ouvrage où il fit voir son admirable talent. […] Il partit pour Rome sans argent et sans recommandation, avec son courage, son talent déjà divin et sa verve d’artiste pour tout avenir. […] Je le veux encore davantage, dit le pape, puisqu’il a ce talent de plus. […] quelle fin ont eue ses talents admirables !

415. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (3e partie) » pp. 5-96

— Il est singulier, dis-je, que les talents distingués, et surtout les poètes, aient si souvent une constitution débile. […] Je désirais surtout voir Mérimée ; la tête nous parut aussi énergique et aussi hardie que son talent, et Goethe y trouva quelque chose d’humoristique. […] Il parla encore du talent extraordinaire de David, aussi grand par ses conceptions que par son exécution. […] Deschamps est la vierge immaculée du talent. […] Le talent s’y révèle, et il semble se contenter du talent.

416. (1894) Propos de littérature « Chapitre V » pp. 111-140

. — Talent, génie ; invention, art. […] Que le génie l’emporte sur le talent chez M.  […] Quant à M. de Régnier il n’eut guère avec cette école d’autres attaches que les complexités encore artificielles d’un talent subtil et rare — comme l’est assurément celui de MM.  […] Le génie et le talent ont souvent leur manière, il est vrai, — Rembrandt, Hugo en sont la preuve aussi bien que M.  […] Car il s’est trouvé des hommes pour fondre en un seul et indestructible métal les styles et le Style, le génie et le talent.

417. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — II — Vauvenargues et le marquis de Mirabeau » pp. 17-37

Il est évident que Vauvenargues inspirait à tous ceux qui le voyaient d’un peu près un grand respect de sa personne, une admiration de ses talents (préalablement à toute application), et encore plus de son caractère. […] Ce sont mes inclinations qui m’ont rendu philosophe ou qui m’en ont acquis le titre : si ce titre les gênait, il leur deviendrait odieux ; je ne m’en suis jamais caché, toute ma philosophie a sa source dans mon cœur… Mirabeau insiste et le secoue : il prétend lui montrer qu’avec ses talents, il serait impardonnable de se laisser aller à l’accablement, à la nonchalance. […] Ce n’est plus le temps où un homme de qualité rougit des talents que lui peut disputer un homme de rien… Peut-être ne fais-je qu’affermir ici chez vous une résolution prise ; il m’en est même transpiré quelque chose ; mais j’en demande l’aveu à votre amitié. […] Dois-je, pour cela, négliger des talents qui peuvent me donner de l’agrément ? […] Mais, encore un mot de vous : vous enfouissez, si vous ne travaillez, les plus grands talents du monde !

418. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

On trouverait, en cherchant bien, d’autres témoignages qui donneraient l’idée la plus favorable de son talent dans les rôles de mélancolie ou de passion. […] Son talent a beaucoup de rapports avec celui de Mlle Desgarcins qu’elle rappelle fréquemment. […] Il ne lui avait jamais été permis de développer et de perfectionner comme il aurait fallu son premier talent, ce don d’expression dramatique qu’elle possédait pourtant à un degré supérieur, mais qui dépendait trop du cadre, des circonstances, et aussi des moyens physiques. […] Sans doute, depuis Adrienne Le Couvreur, les comédiennes d’esprit et de talent avaient fait un pas et avaient conquis un point essentiel dans la considération : elles voyaient ce qu’il y avait de mieux en hommes ; mais les femmes ne les voyaient pas. […] Talent passable, mais de grands yeux orientaux, un grand éclat, des traits réguliers, fort séduisante.

419. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. (Les Pleurs, poésies nouvelles. — Une Raillerie de l’Amour, roman.) » pp. 91-114

En fait de hauts talents, Lamartine n’en était que parce qu’on l’y introduisait religieusement en effigie ; Béranger n’en était pas. […] Il y a deux sortes de poëtes : ceux qui sont capables d’invention, d’art à proprement parler, doués d’imagination, de conception en sus de leur sensibilité ; qui possèdent cet organe applicable à divers sujets, qu’on nomme le talent : et il y a ceux en qui ce talent n’est nullement distinct de la sensibilité personnelle, et qui, par une confusion un peu débile mais touchante, ne sont poëtes qu’en tant qu’amants et présentement affectés. […] Son talent est lié à sa passion comme l’écho à la vague du rivage, comme la vague au lac désolé. […] Il ne nous appartient pas de lui assigner une place parmi les talents de cet âge ; on aime mieux d’ailleurs la goûter en elle-même que la comparer. […] En réalité, je n’ai jamais pu me repentir de ce mot, dit une fois pour toutes, sur cet auteur qui n’avait que des boutades sans talent, sans style, et qui était surtout poëte par la vanité. — Mais il a eu du piquant dans ses Fables, dira-t-on. — Oui, peut-être, comme le chardon a des piquants. — Si j’avais à écrire un article sur lui, je ne pourrais m’empêcher de le commencer en ces termes : « Il faut avoir quelque esprit pour être parfaitement sot : Töpffer l’a dit et Viennet l’a prouvé. » Vers la fin sa vie, il me disait en me parlant des poëtes : « Je n’en reconnais que huit avant moi. — Et lesquels ? 

420. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Théodore Leclercq. » pp. 526-547

Le peu qu’on trouve à en dire ne sert que mieux à marquer la nature et l’originalité heureuse de son talent. […] Il se dit à lui-même comme il fait dire sensément à l’un de ses personnages : « Jules sait fort bien occuper son temps ; il a de la fortune, des talents : que ferait-il d’un emploi ? […] Leclercq, et qui nous donne le mieux la clef de son talent, est celui qui a pour titre : Tous les comédiens ne sont pas au théâtre. […] C’est toujours la même chose, sous un nom différent. » Le talent et l’art de M.  […] Homme heureux, après tout, qui a trouvé son moment sans l’attendre ni le chercher, qui a joui de son esprit et développé son talent en ne recueillant que son plaisir.

421. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Arnault, de l’Institut. » pp. 496-517

Dans cette position secondaire, mais essentielle, il se montra des plus serviables aux talents nouveaux et anciens, à Marie-Joseph Chénier disgracié et frappé, comme à Béranger inconnu et naissant. […] Il lui arriva alors ce qui est arrivé à bien d’autres gens de talent : ce genre, qu’il n’adopta d’abord que comme diversion et comme un simple délassement sans importance, lui devint peu à peu essentiel et lui procura ses plus naturelles inspirations ; il mit en œuvre et comme en jolie monnaie ses trésors de raison, d’expérience, de malice et de gaieté ; et, si l’on voulait aujourd’hui prouver à quelque incrédule, à quelqu’un de ceux qui nient absolument la littérature de l’Empire, qu’Arnault était un homme de beaucoup d’esprit et un homme de talent, il faudrait laisser ses grands ouvrages et dire simplement : Prenez ses fables. […] De même que le talent principal et le plus naturel d’Andrieux, quoi qu’il fasse, est d’être un conteur, on peut dire que le talent le plus marqué d’Arnault est d’être un épigrammatiste. […] L’inconvénient de ce genre facile est, pour les gens d’esprit, de les trop livrer à leur penchant et de trop marquer leur humeur : le talent demande à être plus gêné et plus contrarié que cela. […] Le vieux Tissot qui, au milieu de ses abaissements, avait des jugements de critique, disait de lui : « Il aurait eu du talent s’il avait aimé la retraite. » 59.

422. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. (Tome XII) » pp. 157-172

Ce sont là des portions de l’histoire de l’Empire plus essentielles que brillantes, et auxquelles il faut tout le talent de l’historien pour nous intéresser comme il est parvenu à le faire. […] Je sens toute l’exagération de cet éloge sous le rapport des talents ; mais je ne serai jamais au-dessous par la vérité de mon caractère, par la noblesse de mes sentiments, par ma tendre affection pour mon frère… Dans la position où je suis, il me faut une confiance absolue, Sire ; si je ne l’ai pas, la retraite absolue, comme vous le voudrez. […] L’auteur évidemment y abonde dans son sens : « Chacun, a dit Mme de Staël, se fait la poétique de son talent. » M.  […] Thiers (à la page 70), et commençant ainsi : « Cet illustre défenseur de l’Église, etc. », qui est bien la chose la plus flattée, la plus épurée et la moins réelle ; il n’y est tenu aucun compte de la nature grossière, jointe au talent, et de la déconsidération trop méritée du cardinal Maury. […] En un mot, il faut encore dans l’historien un talent à part, un don, celui de narrer, celui qu’a M. 

423. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir a l’histoire de mon temps. Par M. Guizot »

Quoiqu’avec un talent qui semblait excéder son cadre (ce qui n’est jamais un mal), M.  […] Guizot avait donc mis, du premier jour, sa raison et son talent au service du système de résistance. […] Il est, parmi nous, l’exemple le plus éclatant de ce genre d’illusion que crée le talent de la parole porté à ce degré. […] Sauzet ne présidait point à ces luttes sonores ; le salut ou l’honneur de l’État n’en sortirent à aucun jour, armés du glaive ou du bouclier ; aucun acte mémorable ne suivait ces discours si transportants : vous n’aviez assisté qu’à un admirable spectacle de talent oratoire ! […] Ce talent, ce goût des portraits, est même tellement venu à M. 

424. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre X. De la littérature italienne et espagnole » pp. 228-255

Quand ils veulent renoncer à leur talent naturel, à l’esprit comique, pour essayer de l’éloquence oratoire, ils ont presque toujours de l’affectation. […] Cependant ce pays n’offre rien de bon en ce genre, tandis que la France peut se glorifier des plus grands et des plus beaux talents dans cette carrière. […] Le talent s’exerça bientôt à supposer et à peindre des événements fabuleux. […] Les acteurs ne s’exercent point à bien jouer les pièces tragiques, parce qu’elles ne sont point écoutées ; et cela doit être ainsi, lorsque le talent d’émouvoir n’est pas porté assez loin pour l’emporter sur tout autre plaisir. […] Si la liberté s’établissait en Italie, il est hors de doute que tous les hommes qui indiquent actuellement des talents distingués, les porteraient beaucoup plus loin encore.

425. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre I. La lutte philosophique »

Il mourut trop tôt pour avoir eu le temps d’être autre chose qu’un amateur, ne laissant que quelques écrits d’un talent inégal et peu mûr, des Discours, des Caractères, des Réflexions, que complète son émouvante correspondance avec le marquis de Mirabeau et Fauris de Saint-Vincent. […] C’était des deux côtés, sous des formes plus âpres ou plus doucereuses, même étroitesse d’esprit, même inintelligence des besoins intellectuels du temps, même indigence de talent et d’éloquence, que ne compensaient pas suffisamment la violence et la malignité. […] Autour des organes officiels et des corps constitués, une foule d’individus faisaient la guerre de partisans : en général, ils déployèrent plus d’animosité que de talent. […] Celui qui eut le plus de talent, qui marqua inexorablement toutes les petitesses des philosophes dans ses acres satires, Gilbert, obtint la faveur de la cour, des pensions, un nom littéraire qui n’est pas encore oublié : il n’eut aucune prise sur l’esprit public. […] Mais deux hommes ne suffisaient pas encore : Diderot fit appel à toutes les bonnes volontés, à toutes les compétences : Voltaire, Montesquieu, Buffon, Condillac, Duclos, Marmontel, Helvétius, Raynal, Turgot, Necker, des magistrats, des officiers, des ingénieurs, des médecins, des gens du monde, tout ie ban et l’arrière-ban des écrivains, des philosophes, des savants, des économistes, gens à talent et sans talent, envoyèrent des articles.

426. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Qu’est-ce qu’un classique ? » pp. 38-55

Quelques écrivains de talent, en effet, doués d’originalité et d’une verve d’exception, quelques efforts brillants, isolés, mais sans suite, aussitôt brisés et qu’il faut recommencer toujours, ne suffisent pas pour doter une nation de ce fonds solide et imposant de richesse littéraire. […] Marie-Joseph Chénier a tracé la poétique de ces écrivains modérés et accomplis dans ces vers ou il se montre leur heureux disciple : C’est le bon sens, la raison qui fait tout, Vertu, génie, esprit, talent et goût. […] raison mise en pratique ; Talent ? […] Ces âges, qu’on les appelle du nom de Louis XIV ou de celui de la reine Anne, sont les seuls âges véritablement classiques dans le sens modéré du mot, les seuls qui offrent au talent perfectionné le climat propice et l’abri. Nous le savons trop, nous autres, en nos époques sans lien où des talents, égaux peut-être à ceux-là, se sont perdus et dissipés par les incertitudes et les inclémences du temps.

427. (1887) La banqueroute du naturalisme

Qu’après avoir jadis découvert Paris, ce romantique attardé parmi nous inventât donc maintenant la mer, ou qu’après avoir calomnié les mœurs de la bourgeoisie, cet homme de quelque talent, mais de si peu de goût, et de tact, et d’encore moins d’esprit, caricaturât à leur tour celles du populaire ; il n’y avait là ni de quoi s’étonner, ni de quoi revenir à la charge. […] D’abord, parce qu’il est toujours pénible de voir un homme de talent se fourvoyer sans ressource ; et puis, parce qu’il est plus pénible encore de le voir compromettre avec lui, dans son aventure, ce qu’il pouvait y avoir de justesse et de vérité dans les théories d’art auxquelles les circonstances avaient attaché son nom. […] Je crains seulement pour eux qu’il ne leur fallût, — dirai-je plus de talent ? — mais un autre talent à coup sûr que celui dont leurs œuvres nous ont donné les preuves jusqu’ici. […] Pis que cela : de pareils livres ne sont possibles qu’avec la complicité du public, et, sans elle, pour infatué qu’il fût de son talent, ou de ce que l’on appelle autour de lui de ce nom, un romancier ne les écrirait pas.

428. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIII. Des tragédies de Shakespeare » pp. 276-294

Il faut un talent infini, pour transporter ce sentiment, de la vie au théâtre, en lui conservant toute sa force ; mais quand on y est parvenu, l’effet qu’il produit est d’une plus grande vérité que tout autre : ce n’est pas au grand homme, c’est à l’homme que l’on s’intéresse ; l’on n’est point alors ému par des sentiments qui sont quelquefois de convention tragique, mais par une impression tellement rapprochée des impressions de la vie, que l’illusion en est plus grande. […] Les Anglais ont, dans leur histoire, beaucoup plus de situations tragiques que les Français ; et rien ne s’oppose à ce qu’ils exercent leur talent sur ces sujets, dont l’intérêt est national. […] Il faut, pour qu’un poète dramatique se perfectionne autant que son talent peut le permettre, qu’il ne s’attende à être jugé, ni par des vieillards blasés, ni par des jeunes gens qui trouvent leur émotion en eux-mêmes. […] Celui qui souffre, celui qui meurt en produisant un grand effet quelconque de terreur ou de pitié, échappe à ce qu’il éprouve pour observer ce qu’il inspire ; mais ce qui est énergique dans le talent du poète ; ce qui suppose même un caractère à l’égal du talent, c’est d’avoir conçu la douleur pesant tout entière sur la victime : et tandis que l’homme a besoin d’appuyer sur ceux qui l’entourent jusqu’au sentiment même de sa prospérité, l’énergique et sombre imagination des Anglais nous représente l’infortuné séparé par ses revers, comme par une contagion funeste, de tous les regards, de tous les souvenirs, de tous les amis.

429. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Goethe »

Pour les autres, elles ont démontré — mais pour la première fois — qu’il y avait en Goethe un unisson sublime, et que le talent de l’homme n’était pas plus grand que son âme. […] les Femmes de Goethe ne sont pas un commentaire sur les femmes de Goethe, une classe faite, sur les beautés d’un auteur, par un de ces pédants élevés pour faire la classe dans les écoles et qui la font encore dans leurs écrits, Paul de Saint-Victor est d’une autre race que ces sortes d’esprits et de talents, et ses Femmes de Goethe sont une création. […] Paul de Saint-Victor a cet avantage pour le public d’avoir sur Goethe les opinions admises en Europe, et son livre est plus qu’un jugement littéraire sur le talent ou le génie de Goethe. […] est le Shakespeare du xixe  siècle et le premier de nos grands hommes… Je doute fort pourtant que Saint-Victor, malgré la fécondité de son admiration et l’éblouissante beauté de son talent, eût fait jamais ou songé même à faire les Femmes de Shakespeare. […] Ce ne sont pas des femmes apocryphes, eu ce sens que c’est bien Goethe qui a tracé les premiers linéaments de ces figures, auxquelles Saint-Victor a donné le relief coloré de son talent.

430. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Léon Gozlan » pp. 213-230

Ces tambourineurs, même sur un tombeau, battront la caisse sur le sien, et si le cœur leur en dit, de cette fois ils peuvent frapper ferme… Le tombeau d’un homme de talent est toujours le meilleur tambour de sa gloire. […] … À part le talent de ses œuvres, pour lequel on n’a trouvé que le mot de distingué, — ce qui n’est pas assez, — on n’a trouvé aussi pour caractériser l’esprit sur place de Gozlan que le mot banal de charmant causeur, et ç’a été à peu près tout, sauf les arabesques et les chatoiements de la phrase sur ces deux pauvres idées, l’aumône de la Superficialité émue un moment par la mort ! […] Il se fait compter par le genre de talent qui y brille, et qui, plus qu’un autre, impliquerait, pour produire, la nécessité du temps. […] … Il y a bien moins dans les étincellements de Gozlan du diamant que de l’émeraude… Talent miroitant qu’on ne peut comprendre qu’à force de comparaisons. […] La durée ou l’immortalité, pour les œuvres, n’est pas une question de forme, mais d’essence, et c’est pour cela que tant d’œuvres meurent et disparaissent qui n’existaient que par un certain agencement de parties, un certain style, un certain art d’ensemble, mais qui, sans manquer de talent, manquaient de génie ou d’esprit.

431. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Gustave Flaubert » pp. 61-75

On ne peut pas dire qu’il ait déchiré d’un seul coup cette nuée impatientante, ce je ne sais quoi d’importun et d’opaque qui sépare parfois, pendant si longtemps, les plus grands talents de la gloire ; car son nom se dégageait déjà de l’obscurité et montait, sans lutte, dans la lumière, à mesure que les chapitres de son livre, imprimés d’abord dans une Revue, passaient sous les yeux du public. […] Pour notre compte, nous ne connaissons pas de composition littéraire d’un talent plus vrai et qui soit en même temps plus dénuée d’enthousiasme, plus vide de cœur ; d’un sang-froid plus cruel. […] L’intérêt qu’on prend à sa lecture est l’intérêt d’une curiosité poignante et bientôt satisfaite ; mais le charme qui fait revenir au souvenir du livre par la rêverie, le charme qui est le propre de l’art, même dans ses compositions les plus terribles, l’homme de talent qui a écrit Madame Bovary n’en a point la sorcellerie suprême. […] Flaubert a montré le plus son genre de talent, sagace et cru jusque dans les nuances, qu’il saisit fortement et finement, comme un chirurgien pince les veines. […] Grand talent, qui penche vers les petites choses et qui peut s’y perdre, s’y noyer, comme s’il était petit !

432. (1874) Premiers lundis. Tome II « E. Lerminier. De l’influence de la philosophie du xviiie  siècle sur la législation et la sociabilité du xixe . »

Lerminier, c’est un grand talent littéraire qui s’affermit, s’assouplit et se perfectionne de jour en jour. […] Lerminier qu’alimente sans cesse une forte et courageuse étude, a pourtant à se garder de quelques écarts auxquels ne sont exposés d’ailleurs que les grands talents instinctifs, orateurs ou poètes, les talents porte-foudre, si l’on peut s’exprimer ainsi. […] Lerminier ce talent de personnification enflammée et d’apothéose, il nous a semblé dur, sans assez de proportion, contre certaines renommées secondaires qui gênaient le piédestal des hautes statues.

433. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XV » pp. 175-187

Molière même, à qui Boileau reprochait d’avoir partagé son talent entre Térence et Tabarin, entre Scapin et le Misanthrope, Molière n’a rien laissé percer de Sganarelle ni de Scapin dans Le Tartuffe et Le Misanthrope, ni des beautés sérieuses de ces deux chefs-d’œuvre dans les badinages de son théâtre. […] Il en est des talents dans es lettres comme des professions manuelles : la division en amène la perfection. On ne peut disconvenir que les talents mêlés, qui se laissent aller à leur naturelle abondance, n’aient d’ordinaire plus de variété, plus de grâce et de charme ; mais on ne peut douter que les talents distincts ou qui savent se concentrer, ont plus de caractère, de vigueur et d’essor.

434. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Les Philippiques de la Grange-Chancel »

Les Philippiques de la Grange-Chancel35 I Voici une publication curieusement entreprise et de nature à faire trembler sur la destinée de toute gloire faite, en un tour de main, par les engoûments de haine ou d’amour d’une époque qui dispensent de tout, même de talent. […] assez encore à la charge du Régent et de son époque pour justifier la satire de La Grange-Chancel, s’il avait eu du génie, et pour résister à la critique allégeante de de Lescure, aurait-il eu, lui, dix fois plus de talent qu’il n’en a montré ! […] Mais La Grange-Chancel n’eut pas même cela, et à le juger hors de son époque et de ses frémissantes contagions, il n’eut pas le talent qui sert à cacher… ce qu’on n’éprouve pas. […] De même, il y a des esprits héroïques aussi à leur manière, qui ne craignent pas de dire nettement la vérité qui offense, de lever le fouet sur les lâches, les coquins, les infâmes ou les sots de leur temps, et ces esprits-là ne prendront pas pour eux la leçon à côté que leur donne de Lescure, en leur montrant les malheurs de La Grange-Chancel, qui ne fut pas, d’ailleurs, si malheureux, car pour faire ce service public de la satire qu’ont toujours respecté les hommes, il faut de rigueur du talent et de la conscience, et La Grange-Chancel n’en avait pas.

435. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « V. Saint-René Taillandier »

Pendant que les talents qui fondèrent l’une et rejetèrent l’autre, et qui avaient trop de personnalité et de vie pour se laisser grossièrement éteindre, s’en allaient successivement à la file, il resta et passa maître, les maîtres partis. […] En talent, il était le billon dont Gustave Planche était la monnaie blanche. […] Saint-René Taillandier, de cet homme qui, par la médiocrité de son talent, mériterait bien la miséricorde de la Critique, mais qui, par le dogmatisme de ses affirmations erronées mérite sa sévérité. […] Saint-René Taillandier ne s’ajustait pas très bien par son genre de talent à la consigne absolue de la Revue des Deux-Mondes, « soyez gris et lourd ! 

436. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Chénier, André (1762-1794) »

Chateaubriand La révolution nous a enlevé un homme qui promettait un rare talent dans l’églogue, c’était M.  […] C’était la Muse qui lui révélait son talent au moment de la mort. […] Victor Hugo … C’est surtout dans l’élégie qu’éclate le talent d’André de Chénier.

437. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « X »

Léon Blum, dont j’aime, d’ailleurs, le talent très clair, est du nombre de ces critiques qui font vraiment trop d’honneur à mon invention. […] Vous faites dépendre le talent des ratures. […] Loin d’être un signe d’impuissance, la refonte est donc la preuve perpétuelle de l’inspiration et du talent. » Je ne crois pas qu’on puisse contester cela.

438. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Gabriel Ferry »

Gabriel Ferry8 Le Coureur des bois 9 est le livre mort d’un homme mort qui avait du talent, mais qui n’en a guères laissé que la mâle promesse, et à qui la mort, comme toujours, n’a pas manqué de conquérir la bienveillance universelle. […] Le tempérament, le caractère, sont tout le talent de certains hommes ; mais constituent-ils, à eux seuls, cette merveille et ce mystère que l’on appelle le talent ?

439. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE STAEL » pp. 81-164

Il vaut mieux reconnaître qu’indépendamment des habitudes et des tours acquis, le talent de poésie est en nous un don comme le chant. […] Après chaque poussée en avant, où un talent se fait jour de vive force, ils veulent clore, ils relèvent vite une barrière que de nouveaux talents forceront bientôt. […] Il convient, tout blasé qu’il est, qu’elle a fait de Coppet le lieu le plus agréable de la terre par la société qu’elle y reçoit et que ses talents y animent. […] comme elle eût recherché surtout ce talent éminent de femme que je ne veux pas lui comparer encore ! […] Cette fin de non-recevoir élevée contre les talents survenants remonte un peu haut, et jusqu’au sein du pur Louis XIV, comme le remarquait M.

440. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — Q — Quet, Édouard (1876-19..) »

Charles Fuster L’auteur ne se plaindra pas longtemps : il a du talent, un talent délicat, au charme communicatif ; c’est ce qu’il faut pour être heureux.

441. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « [Béranger] » pp. 333-338

Jeune, au sein de la pauvreté, à travers les entraînements de l’âge, il ne cessa, par un travail secret, opiniâtre, de se préparer un talent supérieur aux choses légères et déjà charmantes auxquelles il s’essayait. […] Béranger avait naturellement l’âme patriotique, cela ne se donne pas ; il sentait de certaines douleurs, de certaines joies comme bien des gens d’esprit, qui l’ont applaudi pourtant, ne les ont jamais senties, et comme le peuple directement les sent : de là cette intime et longue communauté entre le peuple et lui, quoiqu’il eût dans le talent de ces finesses dont les œuvres populaires peuvent, à la rigueur, se passer. […] Assez d’occasions s’offriront de ramener l’attention publique sur les titres d’une renommée qui est dès longtemps le patrimoine universel : aujourd’hui il convenait de remarquer avant tout cette partie supérieure et puissante du talent, par laquelle le poète léger, et si souvent brillant dans la gaieté et dans le badinage, a eu l’art et le bonheur de graver son nom sur l’un des marbres les plus indestructibles de l’histoire.

442. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Fontaine de Boileau »

Est-ce que des talents aussi la gloire s’use, Et que, reverdissant en plus d’une saison, On finit, à son tour, par joncher le gazon, Par tomber de vieillesse, ou de chute plus rude, Sous les coups des neveux dans leur ingratitude ? […] Fut d’enseigner leur siècle et de le maintenir, De lui marquer du doigt la limite tracée, De lui dire où le goût modérait la pensée, Où s’arrêtait à point l’art dans le naturel, Et la dose de sens, d’agrément et de sel, Ces talents-là, si vrais, pourtant plus que les autres Sont sujets aux rebuts des temps comme les nôtres, Bruyants, émancipés, prompts aux neuves douceurs, Grands écoliers riant de leurs vieux professeurs. Si le même conseil préside aux beaux ouvrages, La forme du talent varie avec les âges, Et c’est un nouvel art que dans le goût présent D’offrir l’éternel fond antique et renaissant.

443. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rollinat, Maurice (1846-1903) »

Maurice Rollinat n’ait une manière de talent et de sincérité. Il y a du talent dans ses paysages de Berri, qu’il a publiés voilà trois ou quatre ans, sous ce titre : Les Brandes. […] C’était aussi bête que de lui reprocher d’avoir les cheveux noirs… Le démoniaque dans le talent, voilà ce qu’est M. 

444. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 6, des artisans sans génie » pp. 58-66

Section 6, des artisans sans génie Nous avons dit qu’il n’y avoit pas d’hommes, generalement parlant, qui n’apportât en naissant quelque talent propre aux besoins ou aux agrémens de la societé, mais tous ces talens sont differens. Il est des hommes qui viennent au monde avec un talent déterminé pour une certaine profession : d’autres naissent propres à differentes professions. […] Celui qui enseigne, comme le dit Quintilien, ne sçauroit communiquer à son disciple le talent de produire et l’art d’inventer, qui font le plus grand mérite des peintres et des orateurs.

445. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. VILLEMAIN. » pp. 358-396

Toutes les grâces naturelles et vives du talent de M. […] Combien de talents pleins de promesses ont succombé à l’épreuve ! […] C’est là l’incomparable talent, le génie propre de M. […] Villemain aime donc M. de Chateaubriand, et c’est un trait de son talent de critique. […] Villemain, semblent briller d’une nuance radoucie de son talent, je ne veux pourtant pas oublier ici un maître bien goûté de ceux qui l’approchent, et qui soutient une partie du difficile héritage.

446. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (1re partie) » pp. 305-364

C’est ainsi enfin qu’un homme, de bien plus de talent vrai que tous ces faux monnayeurs de ce qu’ils appellent l’idée, et de bien plus de style que tous ces frappeurs de mensonges à l’effigie de la vérité ; c’est ainsi que Victor Hugo, jeté sur son île solitaire, et à qui les latitudes de l’espace, la liberté de l’étendue, la complaisance du vide, les ondulations de l’Océan, les orages, les bruits, les écumes, les senteurs âpres des vagues ont porté à la tête, agrandi les horizons, creusé les aperçus, donné souvent le sublime, quelquefois le vertige, attendri l’âme jusqu’à la sensibilité maladive du mal universel, et fait du cœur d’un poète le grand muscle sympathique universel de l’humanité souffrante ; c’est ainsi, disons-nous en fermant ce livre, que notre ami a pleuré ses larmes de colère sur son Patmos de l’Océan, et que ce saint Jean du peuple a cru écrire pour le peuple en écrivant en réalité contre lui ! […] Il disait un jour (on m’a rapporté son mot) : « J’ai un avantage sur Lamartine : c’est que je le comprends tout entier, et qu’il ne comprend pas la partie dramatique de mon talent. » C’était juste et c’était vrai. […] XVII Mais tout cela, bien que cela m’eût quelquefois contristé et attristé, n’avait pas effleuré nos cœurs, ni altéré notre amitié ; les intentions étaient sauves, le prodigieux talent grandissait au lieu de décroître, et des vers où l’amitié s’immortalise, vers généreux que je retrouve aujourd’hui avec orgueil dans mon cœur, s’élevaient entre Hugo et moi comme une muraille de diamant contre toute division possible de nos cœurs, quels que fussent les dissentiments sociaux ou politiques. […] J’écrivis à Hugo pour lui dire « que je l’avais lu, que j’étais tour à tour ravi du talent, blessé du système ; que la critique radicale de la société, chose sacrée parce qu’elle est nécessaire, chose imparfaite parce qu’elle est humaine, m’était antipathique ; que, si j’écrivais sur son livre, je respecterais avant tout l’homme, l’amitié, le suprême talent, le génie, cette épopée du talent ; mais qu’en confessant mon admiration pour le talent, il me serait impossible de ne pas combattre à armes cordiales le système ; et qu’en combattant le système, je froisserais peut-être involontairement l’homme et l’œuvre ; que par conséquent j’attendrais sa réponse avant d’écrire une ligne de l’admiration et de la réprobation qui bouillonnaient en moi ; et que, s’il craignait que la condamnation des idées du livre ne blessât le moins du monde en lui l’homme et l’ami, je n’écrirais rien, car, même pour défendre la société, il ne faut jamais, comme un vil séide, enfoncer même une épingle au cœur d’un ami, et qu’il me répondît donc, s’il le jugeait à propos ; que, s’il ne me répondait pas, j’interpréterais son silence, et je n’écrirais rien ». […] Cela nuit terriblement et radicalement à l’intérêt pour cet honnête raisonneur, mais auquel, si ce n’était pas le prodigieux talent de son biographe, personne de sensé ne serait tenté de s’intéresser, que comme on s’intéresse à un monstre d’inconséquence !

447. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XIII] »

      Dès qu’à la tribune sacrée,       De ses vieux défauts épurée, Il monte étincelant de génie et d’ardeur ; Des grands talents soudain la palme ceint sa tête,       Et l’art dont il fait sa conquête       Luit d’une plus vive splendeur. […] ………………………………………………………     Deux surtout dont le nom, les talents, l’éloquence, Faisant aimer l’erreur ont fondé sa puissance, Préparèrent de loin des maux inattendus, Dont ils auraient frémi, s’ils les avaient prévus. […] J’admire ses talents, j’en déteste l’usage ; Sa parole est un feu, mais un feu qui ravage, Dont les sombres lueurs brillent sur des débris. […] plus on le lit, et plus on lui découvre un talent unique, soutenu par toutes les finesses de l’art : en un mot, s’il y a quelque chose sur la terre qui approche de la perfection, c’est Jean. » (Ibid. […] Il eut l’attention de placer trois enfants de Pierre Corneille, deux dans les troupes, et l’autre dans l’Église ; il excita le mérite naissant de Racine, par un présent considérable pour un jeune homme inconnu et sans bien ; et quand ce génie se fut perfectionné, ces talents, qui souvent sont l’exclusion de la fortune, firent la sienne.

448. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Piédagnel, Alexandre (1831-1903) »

Piédagnel est un poète idyllique de beaucoup de talent ; son Avril est plein de poésie, de jeunesse et de grâce. […] Sully Prudhomme J’ai lu l’excellent recueil de poésies : En route, avec le plus vif plaisir, car j’y ai trouvé, dans son expression achevée, tout le talent pur et solide de l’auteur.

449. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Indiana (1832) »

On admire le talent dans cette dernière moitié ; mais ce n’est plus la vérité palpitante, l’impression franche, l’émotion du commencement.  […] Dans le monde, le visage de ces hommes se compose et sourit invariablement par habitude, par artifice : dans la solitude, dans les moments de réflexion, en robe de chambre et en pantoufles, surprenez-les, ils sont sourcilleux, sombres ; ils se font, à la longue, un visage dur, mécontent et mauvais. — J’aurais autant aimé, de plus, qu’en accordant à Raymon de Ramière de grands talents et un rôle politique remarquable, on insistât moins sur son génie et sur l’influence de ses brochures : car, en vérité, comme les hommes de génie ou de talent qui écrivent des brochures en France, qui en écrivaient vers le temps du ministère Martignac ou peu auparavant, dans le cercle sacré de la monarchie selon la Charte, ne sont pas innombrables, je n’en puis voir qu’un seul à qui cette partie du signalement de Raymon convienne à merveille ; le nom de l’honorable écrivain connu vient donc inévitablement à l’esprit, et cette confrontation passagère, qui lui fait injure, ne fait pas moins tort à Raymon : il ne faut jamais supposer aux simples personnages de roman une part d’existence trop publique qui prête flanc à la notoriété et qu’il soit aisé de contrôler au grand jour et de démentir. […] L’auteur d’Indiana, en cédant avec mesure à ces instances, qui expriment à leur manière le vœu du public, fera bien de se consulter toujours, de se ménager le temps et l’inspiration, de ne jamais forcer un talent précieux, si fertile en belles promesses. 

450. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Préface. de. la premiere édition. » pp. 1-22

Le Théatre de la Littérature est envahi par trois sortes d’ennemis qui le dégradent : une Philosophie tyrannique & inconséquente y suffoque ou corrompt le germe du talent ; le faux goût y anéantit les vrais principes ; une aveugle facilité à tout admirer, acheve d’en bannir l’émulation & de décourager le mérite. […] Mais si la multitude est une fois instruite des ressorts qu’ils ont mis en œuvre pour faire réussir leurs Ouvrages, enfler leur réputation, accréditer leurs maximes, augmenter leur crédit, multiplier le nombre de leurs partisans ; si on lui fait voir une ligue offensive & défensive, établie dans leur Secte, pour la rendre dominante ; l’encens brûlant sans cesse, pour parfumer les Membres qui la composent ; des bouches gagées pour crier à l’apothéose en faveur de ses Chefs, & leur départir les triomphes de la gloire & du génie ; des nuages malignement répandus sur le talent capable de les offusquer : alors elle cessera bientôt de nous trouver extraordinaires. […] Ils avoient le talent de bien faire. […] Il seroit inutile de leur dire, qu’en Littérateurs zélés & en bon Citoyens, nous préférons l’intérêt des Lettres & du Public, à celui de leur vanité ; qu’avec les mêmes sentimens, ils devroient être plus dociles, & ne pas s’offenser ; que tant de penchant à se révolter contre la censure, est la preuve la plus certaine d’un talent médiocre & d’une gloire usurpée ; que rien ne nous assujettit ni ne peut nous assujettir à louer ce qui ne nous paroît pas louable ; que nous leur permettons la critique de nos jugemens, sauf à y répondre, s’ils n’apportent pas de bonnes raisons : nous nous contenterons de les assurer que l’impartialité a été notre premiere regle.

451. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Lenient » pp. 287-299

Il a tout, enfin, du professeur, et au point de vue du talent ce ne serait pas un mal, s’il était un grand professeur. […] Il fallait tout dominer, tout écraser par le résumé souverain, par la foudroyante acuité du regard, par le despotisme du talent qui sait et qui ose abréger, ou entrer rigoureusement et patiemment dans le détail et ne pas raconter des poètes comme Rutebœuf et Villon en deux lignes, ni vouloir donner une idée de leur manière avec quatre vers ! […] Lenient et son livre forment tous deux le résultat le plus favorisé de la pisciculture intellectuelle, qui crée du talent avec un semis de connaissances, et comme elle peut, le fait lever. […] Il a juste de talent celui que l’Université donne, et peut donner, à force d’enseignement et d’études, mais enfin elle n’est ni le bon Dieu ni la nature, elle n’est que l’Université, et elle ne peut donner que cela.

452. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Camille Desmoulins » pp. 31-44

Quelque chose de vieilli, d’épuisé, de fini, s’exhale de ces volumes où le talent ému et brillant reste à plusieurs places, je le veux bien ! […] Camille Desmoulins, cet homme du talent le plus vif peut-être qu’on ait vu depuis Beaumarchais et Voltaire, ne pouvait pas plus échapper qu’un autre à la loi qui régit ces écrits d’un jour, qui nous donnent, sans monter plus haut pour les juger, la passion du moment et ses illusions, son enthousiasme et ses badauderies. […] Reste le talent, j’en conviens ! Mais le talent de Camille Desmoulins, avec le décompte du temps qui l’a déteint, fait grimacer et détruit, du moins en partie, n’est pas, quand on y revient, ce qu’on croyait sans y revenir, et il faut beaucoup en rabattre.

453. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXV. Le Père Ventura »

Ils sont bien, comme tous les sermons des prêtres chrétiens, depuis saint Paul jusqu’à saint Ambroise, et depuis saint Ambroise jusqu’à Bourdaloue et Bossuet, la vérité de Jésus-Christ dans toutes ses portées pour le cœur et pour l’esprit, la vérité avec son caractère absolu et universel ; mais ils ont cependant quelque chose de différent aussi et qui n’est pas seulement une question de talent, d’originalité et de forme. […] Ce ne serait là qu’un compte à régler sur les qualités et les richesses du talent de l’orateur : mais, dans la pensée évidente, catégorique et même exprimée dans ce titre que vous avez pris, c’est bien autre chose. […] En dehors de ces deux vues politiques très connues, très discutées et encore très discutable », il ne voit plus rien, cet homme de politique sacrée, et c’est pour nous rapporter de telles choses, qui sont au pied de toutes les taupinières politiques de notre âge, qu’il est monté au Sinaï et qu’il en descend plus resplendissant de talent que de vérité ! […] Louis Veuillot, dont le talent, on peut le dire, a pris depuis quelque temps un surcroît d’aplomb, et le caractère, presque l’éclat d’une popularité.

454. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice Bouchor »

Je ne conseillerai jamais à personne de se passer autour du cou ces jougs dangereux, car ils deviennent une cangue pour le talent qui l’ose ! […] Le Christianisme a pénétré si avant dans son âme que je ne crois pas qu’il lui soit possible de l’en arracher… Et si, par impossible, il l’arrachait de son âme, il ne l’arracherait pas de son talent. […] Quand on l’arrache, on en meurt, et le talent n’est plus. Mais on ne l’arrache pas quand on en a, et le talent donne alors ce qu’il a donné dans ce poème du Faust moderne, qui veut être athée, et que j’aime comme un acte de foi !

455. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Mistral. Mirèio »

Et cependant, si le caractère distinctif du poète épique est de voir grand, de jeter sur la nature un de ces regards dans lesquels elle se peint plus grande qu’elle n’est réellement, en dehors de ce regard transfigurateur, il faut bien convenir que l’auteur de Mirèio a dans le talent quelque chose du poète épique, et son poème est là pour le prouver. […] Écrite en provençal, dans ce langage qui semble l’écho de tous les dialectes du monde italique, cette longue bucolique, où l’air qui vient de Grèce sur les flots de la Méditerranée a déferlé et se maintient grec sur les larges pipeaux de ce singulier pâtre du pays des Troubadours, peut soulever plus d’une question, mais non celle du talent. […] De race phocéenne et de pays profondément catholique, il bénéficie, dans son talent, de son pays et de sa race, et peut-être, pour cette raison, serait-il difficile à qui ne serait pas de la même terre que lui, — à moi, par exemple, chouette grise de l’Ouest et goéland rauque d’une mer verte, — de préciser avec exactitude à quels endroits du poème en question expire la poésie que M.  […] Nous n’oublierons pas de sitôt cette âpre et pure sensation, et nous voudrions la faire partager : mais le talent de M. 

456. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — I. » pp. 342-363

Louable ou non, il n’est pas mal de se rendre compte de cette manière et de ce genre de talent qui, avec ses défauts, a son prix, et dont quelques productions plaisent encore. […] Marivaux n’a pas seulement un talent fin et une rare fertilité d’idées qu’il rend avec imprévu, il a la théorie de son talent et il sait le pourquoi de sa nouveauté ; car, de tous les hommes, Marivaux est celui qui cherche le plus à se rendre compte. […] En définissant le genre de talent de La Motte, il va nous définir une partie de son talent à lui-même, ou du moins de son idéal le plus sévère, tel qu’il le conçoit : L’expression de M. de La Motte, dit-il, ne laisse pas d’être vive ; mais cette vivacité n’est pas dans elle-même, elle est toute dans l’idée qu’elle exprime ; de là vient qu’elle frappe bien plus ceux qui pensent d’après l’esprit pur, que ceux qui, pour ainsi dire, sentent d’après l’imagination. […] Ailleurs encore, s’attachant à définir ce talent qui le préoccupe si fort, il convient qu’on a fait pourtant à La Motte un reproche assez juste, c’est précisément « qu’il remuait moins qu’il n’éclairait, qu’il parlait plus à l’homme intelligent qu’à l’homme sensible, ce qui est un désavantage avec nous, qu’un auteur ne peut affectionner ni rendre attentifs qu’en donnant, pour ainsi dire, des chairs à ses pensées ». […] c’est donc par sa nature même et par son tour d’esprit, par la conformation ingénieuse, mais minutieuse aussi et méticuleuse, de son talent.

457. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DE BARANTE. » pp. 31-61

Il est bien dur, par exemple, de venir dire, en parlant de Diderot : le talent dont il a donné quelques indices… Je ne saurais non plus accorder que la plaisanterie de Bayle soit presque toujours lourde et vulgaire. […] Cependant la pratique historique laissait de ce côté à désirer ; malgré l’élévation de l’enseignement, malgré ce talent de narrateur dont il devait faire preuve à son tour dans son Histoire de la Révolution d’Angleterre, M. […] En un mot, le talent supérieur qu’on a vu éclater depuis sur un autre théâtre faisait dès lors ses réserves en quelque sorte : l’orateur parlementaire se marquait dans l’historien. […] Parmi les chroniqueurs de cet âge, il en était un surtout, le premier en date et en talent, que M. de Barante ne prétendait pas découvrir à coup sûr, mais qui, bien moins en circulation alors que depuis, a eu, grâce à lui d’abord, sa reprise de vogue en ces années et tout un regain d’arrière-saison. […] Sa critique diffère essentiellement de celle de Chénier, dans la même forme concise du tableau, en ce que Chénier résume d’un trait le caractère littéraire d’un talent, et que M. de Barante résume d’un mot l’idée de ce talent.

458. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Hégésippe Moreau. (Le Myosotis, nouvelle édition, 1 vol., Masgana.) — Pierre Dupont. (Chants et poésies, 1 vol., Garnier frères.) » pp. 51-75

Hégésippe Moreau n’avait ni l’un ni l’autre ; il avait de l’âme et du talent, mais son caractère était faible, comme c’est trop souvent le cas des organisations d’artiste, et les impressions du dehors prenaient fortement et irrésistiblement sur lui. […] Le talent qu’il y montra ne put sauver une telle publication partout très aventurée, et qui l’était surtout au milieu des rivalités et des susceptibilités d’une petite ville. […] De 1834 à 1838, sa vie ne fut qu’une lutte pénible et haletante, où son talent de plus en plus réel, et qui achevait de se dégager chaque jour, ne put triompher de la dureté des circonstances ni suppléer aux infirmités du caractère4. […] Si l’on considère aujourd’hui le talent et les poésies d’Hégésippe Moreau de sang-froid et sans autre préoccupation que celle de l’art et de la vérité, voici ce qu’on trouvera, ce me semble. […] Je me plais à remarquer et le bienfait et la reconnaissance, pour faire sentir qu’ici encore, moins que jamais, il ne saurait y avoir lieu à toutes les déclamations par lesquelles on se plaît à accuser la société en masse au nom du talent méconnu.

459. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires de Marmontel. » pp. 515-538

Cependant, tandis qu’il est à Toulouse, Marmontel, dont l’activité et le talent cherchent de tous côtés une voie à se produire, concourt pour les Jeux floraux ; il manque le prix la première fois, et, dans son dépit, il écrit à Voltaire en lui envoyant son ouvrage ; il en appelle à lui comme à l’arbitre souverain de la poésie. […] Collé, juge sévère, écrivait en 1758 ce mot dont, au reste, il s’est repenti plus tard : « Je lui crois un talent décidé pour la tragédie. » Les deux premières tragédies de Marmontel, Denys le Tyran, joué en février 1748, et Aristomène, joué en avril 1749, firent fureur. […] comment un honnête homme, et de talent et de bon sens, peut-il avoir de pareilles idées et s’y arrêter un moment ? […] Et ne se sentant pour la poésie, ajoute-t-il, qu’un « talent médiocre », il s’adresse à Mme de Pompadour, sa protectrice, pour obtenir quelque place qui le mette à même de ne pas dépendre du travail de sa plume ; il avait présent à la pensée un conseil que lui avait donné Mme de Tencin : « Malheur, me disait-elle, à qui attend tout de sa plume ! […] Son observation comme moraliste et son talent comme artiste pèchent également par cette mollesse et cette rondeur qui n’a jamais pénétré au fond des cœurs ni au fond des choses humaines.

460. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Nisard » pp. 81-110

On n’alla pas jusqu’à nier, de ressentiment, son talent, sa capacité, son érudition, mais tout cela manquait — disait-on et même croyait-on — de couleur, de vie, de charme, oh ! […] Talent digne d’estime, mais sans agrément, — quand on avait dit cela de M.  […] C’est que la politesse est, en effet, comme un des attributs du talent de M.  […] Nisard n’est pas seulement un chrétien trempé dans la vigoureuse lecture des Pères, mais, de talent et de réflexion, c’est un moraliste bien plus qu’il n’est un critique, même quand il l’est le plus. […] Les tristesses de Byron, les souffrances de cette harpe éolienne qui avait une âme sensible, qui se tordait dans chacune de ses cordes, il en a fait des tics nerveux et il leur a préféré la sérénité lymphatique de Shelley, de ce garçon qui se copiait une âme sur des livres et qui, malgré son magnifique talent de poète, ne fut jamais qu’un sublime écolier d’Oxford !

461. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Philarète Chasles » pp. 147-177

Il y avait autrefois dans le monde et au Journal des Débats un homme d’esprit et de talent… C’était Philarète Chasles. […] Du reste, qu’importe le talent quand il s’agit de morale et de vérité ! […] C’était enfin tout le xixe  siècle encagé dans un livre et montré comme une bête féroce, avec toutes ses bêtes, féroces ou non… Vous vous rappelez aussi comme nous saluâmes en espérance l’avènement de ce livre, où Chasles avait dû graver, pendant des années, tous ses ressentiments ; car Chasles, comme tous les hommes de talent, avait senti souvent le talent outragé dans sa personne. […] Et telles sont, en quelques mots, les nouvelles idées de cet homme, qui passa toute sa vie pour un talent aristocratique et original et qui meurt dans les idées communes, pires, pour un esprit de sa trempe, que le choléra qui l’a tué ! […] Je le tiens jeune par le talent, oui !

462. (1868) Curiosités esthétiques « VII. Quelques caricaturistes français » pp. 389-419

Tout à l’heure nous parlerons de l’artiste, c’est-à-dire du talent, de l’exécution, du dessin, du style : nous viderons la question. […] Daumier a éparpillé son talent en mille endroits différents. […] Il a un talent d’observation tellement sûr qu’on ne trouve pas chez lui une seule tête qui jure avec le corps qui la supporte. […] La seconde est qu’il a un talent essentiellement bourgeois. […] Or c’est par le côté fou de son talent que Grandville est important.

463. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVIII. Des obstacles qui avaient retardé l’éloquence parmi nous ; de sa renaissance, de sa marche et de ses progrès. »

Outre que l’éloquence n’influe en rien sur l’État, et qu’il n’y a presque jamais de grands talents sans de grands objets, les esprits, les âmes, les caractères, tout y est assujetti à une certaine mesure. […] L’un commande à ses égaux par la parole, et fier de sa grandeur, qu’il fait lui-même, court se mettre à la place que lui assignent ses talents ; l’autre, toujours resserré, toujours repoussé par les rangs qui l’environnent et le pressent, porte souvent le poids d’une grande âme déplacée. […] Elle forma dans les premiers rangs des hommes d’état ; dans ces hommes à qui la puissance est interdite, et qui cependant, fatigués de leur obscurité, sentaient le besoin d’en sortir et d’occuper leur siècle d’eux-mêmes, elle développa et créa les talents des arts. […] L’enthousiasme publia fit naître ou perfectionna les talents ; ils se vouèrent tous au plaisir, ou à la grandeur du maître. […] Enfin, un roi et des hommes illustres à célébrer, une cour sensible à tous les charmes de l’esprit, un clergé plus éclairé, un barreau plus instruit, un gouvernement occupé de la réforme des lois, et les premières dignités de l’église accordées quelquefois aux premiers talents de la chaire, tout cela ensemble contribua à faire naître et à perfectionner parmi nous les orateurs.

464. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1868 » pp. 185-249

Pour un homme de génie ou de talent : se montrer, c’est se diminuer. […] » * * * — Notre talent ! […] J’ai un talent qui est reconnu… Eh bien ! […] … J’ai bien autant de talent que lui, n’est-ce pas ? […] * * * — Nous étions sévères, peut-être injustes pour le talent de Mme Sand.

465. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — II. (Fin.) » pp. 254-272

Une lettre piquante adressée à son ancien ami Ségur qui avait donné quelque adhésion aux premiers actes de la Révolution, nous montre le prince de Ligne à la date d’octobre 1790, dans le premier instant de son irritation et de sa colère : La Grèce avait des sages, dit-il, mais ils n’étaient que sept ; vous en avez douze cents à dix-huit francs par jour, … sans mission que d’eux-mêmes, … sans connaissance des pays étrangers, sans plan général, … sans l’Océan qui peut, dans un pays dont il fait le tour, protéger les faiseurs de phrases et de lois… Messieurs les beaux esprits, d’ailleurs très estimables, ont bien peu de talent pour former leurs semblables. […] … Je sais que votre nation peut s’aguerrir et qu’elle est capable des plus grandes choses par la supériorité de talents en tout genre : mais on ne sera pas assez maladroit, j’espère, pour vous laisser faire. […] Il est forcé de reconnaître que le talent bientôt a remplacé la guillotine : « D’Athènes la France a été à Sparte, en passant par le pays des Huns. » Dans un mémoire sur la nouvelle armée française, il lui rend une justice incomplète encore, du moins un commencement de justice. […] Il était d’avis que. dans tous les grands moments de l’histoire qui se prolongent et qui se fixent, « tout tient à un seul homme », ou à un très petit nombre ; les règnes, même les plus durs, lui semblaient offrir plus de chances aux talents et aux grands hommes que l’anarchie : Les Scipions, dit-il, étaient de grands aristocrates ; Périclès était une espèce de roi. […] De Mme Geoffrin, il disait en approuvant le portrait qu’en a tracé La Harpe : Le portrait de Mme Geoffrin est de la plus grande vérité ; il devait y ajouter le plus grand talent pour les définitions.

466. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. Suite et fin. » pp. 73-95

L’effort, le travail, la combinaison se font sentir jusque dans les parties de talent les plus éminentes. […] J’en sais (et ici ma pensée se généralise) pour qui le talent ne commence réellement que là où l’humanité, l’honnêteté naturelle, ce qu’on croit être le fait de M.  […] Le talent lui-même y pousse : on veut sortir à tout prix du connu et du commun. […] Flaubert a été surtout dans son système : le talent reste intact. […] Peu d’années fécondes sont accordées aux hommes, et même aux plus vrais talents : il faut en savoir user pour se loger à temps et s’ancrer au cœur et dans la mémoire des hommes nos contemporains : c’est encore le plus sûr chemin pour aller à la postérité.

467. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. le Cte Alfred de Vigny à l’Académie française. M. Étienne. »

Cette nécessité, cette convenance, qui est à la portée de moindres esprits, devient quelquefois une difficulté pour des talents supérieurs beaucoup plus faits à d’autres régions. […] Étienne était heureux ; il avait l’humeur facile, le talent facile, la plume aisée, une sorte d’élégance courante et qui ne se cherche pas. […] Ses Lettres sur Paris eurent un grand, un rapide succès ; ce fut son dernier feu de talent et de jeunesse ; depuis ce temps, M.  […] On lui rend aujourd’hui plus de justice qu’il n’en rendait : il eut des talents divers dont la réunion n’est jamais commune ; jeune, il contribua pour sa bonne part aux gracieux plaisirs de son temps ; plus tard, s’armant d’une plume habile en prose, il fut utile à une cause sensée, et il reste après tout l’homme le plus distingué de son groupe littéraire et politique. […] Ce sentiment délicat et amer, rendu avec une subtilité vive, et multiplié dans des tableaux attachants, lui a valu des admirateurs individuels très-empressés, très-sincères, parmi cette foule de jeunes talents plus ou moins blessés dont il épousait la cause et dont il caressait la souffrance.

468. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVI » pp. 413-441

Sans doute on ne peut pas plus comparer La Bruyère à Molière qu’on ne compare le talent de peindre les caractères à celui de les faire agir et de faire sortir leurs traits de la situation où l’art sait les placer ; mais, supérieur à Molière par l’étendue, la profondeur, la diversité, la sagacité, la moralité de ses observations, il est son émule dans l’art d’écrire et de décrire, et son talent de peindre est si parfait, qu’il n’a pas besoin de comédiens pour vous imprimer dans l’esprit la figure et le mouvement de ses personnages. […] Cette femme était madame Deshoulières, personne de beaucoup d’esprit et de talent. […] Madame de Sévigné trouvait quelque chose d’ignoble dans le principe auquel elle attribuait une grande partie du talent de Racine, « Il ne travaille pas, disait-elle, pour les siècles à venir, mais pour la Champmeslé. […] Elle écrivit nettement à Bussy-Rabutin, à la nouvelle de la nomination des deux poètes, qu’ils n’étaient pas capables de bien faire l’histoire du roi, non faute de talent, mais parce qu’ils avaient l’habitude de louer et de flatter ce prince (lettre 617). […] Elle appréciait ces hommes illustres, elle les aimait, elle avait quelque chose de leur talent, beaucoup de la sagesse de leur esprit, un goût aussi pur en littérature, seulement plus délicat en tout ce qui touchait à la décence et peut-être à la morale.

469. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Éloges académiques de M. Pariset, publiés par M. Dubois (d’Amiens). (2 vol. — 1850.) » pp. 392-411

Savant médecin et anatomiste, Vicq d’Azyr possédait, de plus, un riche et flexible talent d’écrivain et de peintre, qu’il appliquait non seulement aux sujets à proprement parler littéraires et académiques, mais même aux descriptions purement scientifiques ; c’est dire que, de sa part, il y avait quelque abus. […] Je ne dirai point que Cabanis était le maître de cette école ; Cabanis était trop consciencieux, trop réellement savant pour mériter d’être classé ainsi, et il ne saurait figurer en tête de ce groupe que par son talent d’écrivain et de peintre physiologiste. […] Sa manière est large, facile, heureuse ; son talent comme son cœur a de l’effusion. […] Mais c’est assez insister sur les défauts d’un talent distingué, dont les éloges, après tout ce qu’on en peut dire, gardent de leur utilité et même de leur charme. […] On a fort apprécié surtout, dans ce dernier éloge, le talent consciencieux avec lequel le biographe a su rendre le caractère, non seulement du maître et du praticien, mais de l’homme, et ce soin curieux de recomposer par une foule de traits une figure originale.

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