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340. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — I » pp. 417-434

Ce fut un rude coup pour le jeune homme, de qui Bonnet se plaisait à dire : « Il a du génie, un cœur droit, la passion de la vertu et du savoir. » On brisait sa vocation au moment où il croyait l’avoir rencontrée ; on intervenait brusquement dans sa crise morale au moment où elle allait trouver sa solution intérieure. […] C’est dans ce germe d’un nouvel être que sont placées toutes les vertus. […] La direction de nos facultés morales tend à la vertu, comme celle de nos facultés physiques à la santé ; et l’âme du jeune homme que la première éducation n’a pas flétrie s’élève d’elle-même vers le ciel comme la tige d’une plante vigoureuse. Il est optimiste, sans doute, en parlant ainsi ; il juge des autres d’après lui-même ; mais cela reste vrai des belles âmes, des belles natures morales comme des beaux corps, et le divin aveugle l’a dit : Qu’aimable est la vertu que la grâce environne !

341. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes de la Révolution » pp. 73-87

Selon Michelet, c’est la masse acéphale, c’est le peuple obscur, qui l’emporte sur tous les états-majors de la Révolution, en instincts, en vertus, en dévouements, et, qu’on nous passe le mot ! […] Il ne donne pas les femmes de la Révolution, mais quelques héroïnes, quelques femmes plus ou moins célèbres… Il dit telles vertus éclatantes, et il tait un monde de sacrifices obscurs d’autant plus méritants que la gloire ne les soutint pas. » Mais pourquoi ce remords tardif ? […] Tout est, en elle, bourgeois : ménage, vertu, talent, quand elle en a ; déclamation, quand elle déclame.

342. (1903) Le problème de l’avenir latin

Nous ne comprenons pas la nécessité ni la vertu de l’action. […] La santé, on pourrait dire qu’elle est la vertu capitale des peuples. […] Qui pourrait rivaliser en vertus éducatives avec les sciences enseignées dans cet esprit ? […] Alors ce vice se transformerait, pour un moment, en vertu. […] Où pourrait être alors la vertu de la tolérance ?

343. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. de Ségur : Mémoires, souvenirs et anecdotes. Tome III. »

Enhardi par la familiarité du voyage, par la présence de l’aide de camp favori, et surtout par les habitudes philosophiques de Catherine, M. de Ségur hasarda un conte galant, un peu léger, toutefois décent, qui avait fort bien réussi à Paris auprès du duc de Nivernais, du prince de Beauvais, et même de plusieurs dames dont la vertu s’était permis d’y sourire. […] Voici donc le stratagème puéril qu’il tenta et qui lui réussit ; c’est à M. de Ségur qu’on en doit la révélation piquante :« Le roi, par sympathie de vertu et de bonté, aimait personnellement M. de Malesherbes, ministre d’État qu’il venait de rappeler au Conseil.

344. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bornier, Henri de (1825-1901) »

. — Le Jeu des vertus, roman d’un auteur dramatique (1885). — Mahomet (1888). — Le Fils de l’Arétin (1806). — France… d’abord ! […] Par la suite, il a oublié souvent que la nécessaire vertu d’une telle poésie est la sonorité : trop d’alexandrins parurent sourds.

345. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre IX » pp. 77-82

Assurément ce n’est pas là le commencement d’un amour romanesque, à moins qu’on n’appelle ainsi un amour né du respect le plus profondément senti et d’une vive sympathie de vertu. […] Les plus grands orateurs de la chaire sacrée, Fléchier et Bossuet, en ont fait le sujet de leurs plus éloquentes oraisons funèbres ; un siècle après sa mort, l’Académie française aussi appelé sur ses hautes vertus l’éloquence philosophique ; le prix qu’elle offrit au meilleur éloge, fut partagé entre MM. 

346. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 5, que Platon ne bannit les poëtes de sa republique, qu’à cause de l’impression trop grande que leurs imitations peuvent faire » pp. 43-50

L’habitude de ces passions nous rend capables de bien des efforts de vertu et de courage que la raison seule ne pourroit pas nous faire tenter. […] Enfin un bon poëte sçait disposer de maniere les peintures qu’il fait des vices et des passions, que ses lecteurs en aiment davantage la sagesse et la vertu.

347. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Champfleury ; Desnoireterres »

Il s’est avisé, lui, de montrer, dans le xviiie  siècle le côté qui est resté le moins connu et le plus voilé des mœurs d’un temps où ce n’était pas le vice que l’on gazait, mais la vertu. […] Il nous a écrit enfin ces deux contes qui ne nous feront pas dormir debout, mais bien y veiller, de la vertu et des chastes amours du xviiie  siècle !

348. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Addition au second livre. Explication historique de la Mythologie » pp. 389-392

Junon impose à Hercule de grands travaux ; cette phrase traduite de la langue héroïque en langue vulgaire signifie, que la piété accompagnée de la sainteté des mariages, forme les hommes aux grandes vertus. […] Honestas signifie à la fois noblesse, beauté et vertu.

349. (1902) La politique comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire

Enfin la « vertu » est le ressort des Républiques. […] Agir par vertu, c’est-à-dire par dévouement au bien public, c’est-à-dire par patriotisme. […] Il ne peut plus y avoir de vertu dans la République. […] Il a dit que la vertu était le ressort suffisant et nécessaire des républiques. […] C’est chez les chrétiens la vertu par excellence, en quoi je ne les comprends pas, ne sachant ce que c’est qu’une vertu dont il ne résulte rien.

350. (1891) Impressions de théâtre. Cinquième série

Ainsi un nouvel état social crée des vertus nouvelles ou modifie, tout au moins, la hiérarchie des vertus. […] Vertu bourgeoise encore, tout comme la délicatesse sur l’argent. […] Les vertus qu’il a recommandées sont vertus de conservation sociale plus que de perfectionnement individuel ou de vie intérieure. […] Au jeu dès vertus. […] Ils ont d’ailleurs des vertus guerrières et familiales.

351. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre IV. Le Séminaire d’Issy (1881) »

La société fondée par Olier garda jusqu’à la Révolution son respectable caractère de modestie et de vertu pratique. […] Elle fut plus moliniste qu’il n’était nécessaire de l’être, et n’évita pas ces mesquines vilénies qui sont comme la conséquence des idées arrêtées de l’orthodoxe et le rachat de ses vertus. […] Saint-Sulpice est avant tout une école de vertu. C’est principalement par la vertu que Saint-Sulpice est une chose archaïque, un fossile de deux cents ans. […] Ce qu’il y a de vertu dans Saint-Sulpice suffirait pour gouverner un monde, et cela m’a rendu difficile pour ce que j’ai trouvé ailleurs.

352. (1888) La vie littéraire. Première série pp. 1-363

Tous tant que nous sommes, nous ne faisons bon marché ni de nos vertus ni de nos vices. […] Ils portèrent au plus haut degré de l’héroïsme les vertus militaires, qui sont les vertus fondamentales sur lesquels tout l’ordre humain repose encore aujourd’hui. […] C’est faute d’espérance et de foi, c’est faute de vertu. […] Il porta dans la vie politique les brillantes vertus des armes. […] Ils ont plus que la vertu, ils ont le goût !

353. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mademoiselle Aïssé »

Si ma raison n’a pu vaincre ma passion, mon cœur ne pouvait être séduit que par la vertu ou par tout ce qui en avait l’apparence. » Un tel langage dans une bouche si sincère, et de la part d’une conscience si droite, n’exclut-il pas toute liaison d’un certain genre avec M. de Ferriol ? […] Il se passionne pour les vertus qui se trouvent en ses amis ; il s’échauffe en parlant de ce qu’il leur doit, mais il se sépare d’eux sans peine, et l’on serait tenté de croire que personne n’est absolument nécessaire à son bonheur. […] vous m’auriez appris à connaître la vertu !  […] Heureusement c’était aux délicatesses mêmes d’une passion que je devais l’envie de connaître la vertu. Je suis remplie de défauts, mais je respecte et j’aime la vertu… » Cette idée de vertu entra donc distinctement pour la première fois dans ce cœur qui était fait pour elle, qui y aspirait d’instinct, qui était malade de son absence, mais qui n’en avait encore rencontré jusque-là aucun vrai modèle.

354. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers » pp. 81-176

C’est enfin toute la moralité de l’espèce humaine ; car nulle part les vertus et les crimes, vertus et crimes à longue échéance en politique, ne reçoivent une plus lente, mais une plus infaillible rétribution que dans l’histoire. […] C’est de la vertu à grandes proportions, mais c’est toujours de la vertu, et la plus nécessaire des vertus, puisque c’est la vertu publique. […] Moreau même avait cessé, depuis le 18 brumaire, d’être irréprochable aux yeux de la vertu, de la liberté et de la République, car il avait participé activement à ce coup d’État de l’armée contre la patrie civile. […] Son esprit solide et profondément cultivé, son intelligence de la guerre, son application à ses devoirs, son désintéressement en faisaient un modèle accompli de toutes les vertus guerrières, et, tandis que Kléber, indocile, insoumis, ne pouvait supporter aucun commandement, Desaix était obéissant comme s’il n’avait pas su commander. […] Il semble se complaire à contempler les embarras, la décadence politique, les revers et la mort de cet orateur accompli, de ce patriote désintéressé et de ce ministre sans rival, qui réunit en lui seul, pendant la plus forte tempête du monde européen, l’éloquence, la vertu civique et la vigueur indomptable du grand politique dans un pays de liberté.

355. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de madame de Genlis sur le dix-huitième siècle et la Révolution française, depuis 1756 jusqu’à nos jours — III »

Ces temps-là, elle le sait pourtant, étaient difficiles à vivre ; elle-même nous avoue une douzaine au moins d’attaques pressantes que sa vertu eut à repousser, et de plus fragiles auraient pu faillir à sa place sans beaucoup de philosophie. […] L’une épouse, l’autre fille d’un ministre, elles furent portées dans la vie publique, plutôt qu’elles ne s’y jetèrent ; élevées, l’une dans le recueillement des mœurs bourgeoises, et l’autre au bruit des discussions philosophiques, elles avaient contracté dès l’enfance de fortes et sérieuses habitudes d’esprit, qu’elles déployèrent dans l’occasion avec toute l’énergie de la jeunesse et de la vertu.

356. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires relatifs à la Révolution française. Le Vieux Cordelier, par Camille Desmoulins ; Les Causes secrètes ou 9 thermidor, par Villate ; Précis du 9 thermidor, par Ch.-A. Méda, Gendarme »

C’est auprès d’elle sans doute qu’il puisa son retour à des idées meilleures ; mieux que Danton, elle avait le droit de lui parler de devoir et de vertu : « Qu’on le laisse remplir sa mission, répondit-elle un jour, à déjeuner, à des conseillers timides ; il doit sauver son pays ; ceux qui s’y opposent n’auront pas mon chocolat. » Le Vieux Cordelier fut donc un acte de courage et d’expiation. […] Le goût manqua donc à leur langage en même temps et par la même raison que la moralité à leurs actes, et, comme ils furent humains sans vertu, ils furent vrais avec emphase.

357. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre III. Ben Jonson. » pp. 98-162

Il frappe à son empreinte personnelle les vices et les vertus qu’il possède. Ces vices et ces vertus reçoivent en descendant en lui un tour et une figure qu’ils n’ont pas dans les autres. […] Rome ne s’est jamais glorifiée que d’une vertu Qui pût mettre un frein à l’envie : la vertu de Séjan. […] c’est la vertu des mendiants ; cède, ou je t’aurai de force. » Mais tout d’un coup, Bonario, le fils déshérité de Corbaccio, que Mosca avait caché là dans une autre pensée, entre violemment, la délivre, blesse Mosca, et accuse Volpone devant le tribunal d’imposture et de rapt. […] À la fin, ordonnant aux danseurs de se démasquer, elle découvre que les vices se sont déguisés en vertus.

358. (1707) Discours sur la poésie pp. 13-60

Ses censeurs se récrient au contraire sur les fausses idées que les poëtes se sont formées de la vertu, et sur les fables extravagantes qu’ils ont debitées des dieux. […] Ceux qui se servent de ces avantages pour enseigner la vertu, lui gagnent plus sûrement les coeurs, à la faveur du plaisir ; comme ceux qui s’en servent pour le vice, en augmentent encore la contagion par l’agrément du discours. […] Ce n’est pas que dans ces sortes d’ouvrages on ne pût mettre le vice et la vertu dans tout leur jour, et inspirer ainsi pour l’un et pour l’autre l’amour ou la haine qu’ils méritent : mais les poëtes ont eu rarement cette attention. Au lieu de songer à réformer les fausses idées des hommes, ils y ont la plûpart accommodé leurs fictions ; et sur ce principe ils ont donné souvent de grands vices pour des vertus, contens de décrier les penchans les plus honteux et les passions les plus grossiéres. […] Je ne cherche à faire honneur à mon art, qu’en l’employant à mettre en jour la vérité et la vertu.

359. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — I » pp. 219-230

Suivent quatre lettres (que l’on connaissait déjà) sur la vertu et le bonheur adressées par Jean-Jacques à Sophie, c’est-à-dire à Mme d’Houdetot ; il fait de la philosophie avec celle qu’il aime, et dont la vertu, dit-il, l’a ramené à la raison ; il s’en console et même il s’en félicite avec elle : « Si nous avions été, moi plus aimable ou vous plus faible, le souvenir de nos plaisirs ne pourrait jamais être, ainsi que celui de votre innocence, si doux à mon cœur… Non, Sophie, il n’y a pas un de mes jours où vos discours ne viennent encore émouvoir mon cœur et m’arracher des larmes délicieuses. […] Rousseau, interrogé par son amie, commence par rechercher de quelle vertu et de quel bonheur il peut être question pour l’homme social ou civil.

360. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre premier. Astronomie et Mathématiques. »

La vraie philosophie est l’innocence de la vieillesse des peuples, lorsqu’ils ont cessé d’avoir des vertus par instinct, et qu’ils n’en ont plus que par raison : cette seconde innocence est moins sûre que la première ; mais, lorsqu’on y peut atteindre, elle est plus sublime. […] Ce n’est pas des éléments de notre corps, mais des vertus de notre âme, que le souverain Juge nous demandera compte un jour. […] « Notre connaissance, dit-il, étant resserrée dans des bornes si étroites, comme je l’ai montré, pour mieux voir l’état présent de notre esprit, il ne sera peut-être pas inutile… de prendre connaissance de notre ignorance, qui… peut servir beaucoup à terminer les disputes… si, après avoir découvert jusqu’où nous avons des idées claires… nous ne nous engageons pas dans cet abîme de ténèbres (où nos yeux nous sont entièrement inutiles, et où nos facultés ne sauraient nous faire apercevoir quoi que ce soit), entêtés de cette folle pensée que rien n’est au-dessus de notre compréhension 153. » Enfin, on sait que Newton, dégoûté de l’étude des mathématiques, fut plusieurs années sans vouloir en entendre parler ; et de nos jours même, Gibbon, qui fut si longtemps l’apôtre des idées nouvelles, a écrit : « Les sciences exactes nous ont accoutumés à dédaigner l’évidence morale, si féconde en belles sensations, et qui est faite pour déterminer les opinions et les actions de notre vie. » En effet, plusieurs personnes ont pensé que la science entre les mains de l’homme dessèche le cœur, désenchante la nature, mène les esprits faibles à l’athéisme, et de l’athéisme au crime ; que les beaux-arts, au contraire, rendent nos jours merveilleux, attendrissent nos âmes, nous font pleins de foi envers la Divinité, et conduisent par la religion à la pratique des vertus.

361. (1811) Discours de réception à l’Académie française (7 novembre 1811)

Sans doute de grands malheurs ont nécessité de grands sacrifices, car la fortune publique est livrée à des parvenus grossiers ; des laquais enrichis foulent aux pieds toutes les lois de l’honneur ; l’honnêteté, la pudeur sont bravées ; la vertu n’est plus qu’un vain mot !!! […] Tu n’as signalé qu’un hypocrite de religion ; tu en apercevrais aujourd’hui bien d’autres ; tu pourrais presque faire un Tartuffe pour toutes les vertus ! Le monde où nous vivons ne t’offrirait plus le modèle de ton Alceste, et peut-être jugerais-tu inutile de prouver à notre siècle que la vertu peut avoir ses excès ?

362. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « L’idolâtrie au théâtre »

… Où mettront-elles, par exemple, leurs grands généraux, leurs prêtres saints, leurs juges intègres, tous ceux enfin qui sont bien plus qu’un grand génie, parce qu’ils pratiquent de grandes vertus ? […] Chauffée donc à cette double flamme de la représentation avec son éclat et du feuilleton avec son incroyable lyrisme, la société, qui est une femme (car, c’est vrai, les femmes font les mœurs, mais lorsqu’elles ne les défont pas), perd chaque jour ce qui lui restait de goûts simples et de vertus fortes, et c’est ainsi que le théâtre brise deux fois la famille, — par ses pièces et par ses acteurs. […] Demandez-lui enfin, à cette Église, qui se connaît en passions, qui jauge éternellement le cœur et les reins de l’homme de ses mains puissantes, si la pureté des cœurs et toutes les vertus de la famille ne sont pas menacées de périr dans ces comédies, qui chauffent à blanc toutes les vanités en concentrant le feu de tous les regards sur elles ?

363. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte du Verger de Saint-Thomas »

C’est un homme d’épée et de bonne maison, élevé dans cette idée, dont Montesquieu a fait un dogme : c’est que la monarchie est fondée sur l’honneur, comme les républiques sur la vertu, — ce qui est moins sûr, car cette vertu-là n’a pas encore remplacé l’honneur monarchique, sur lequel des républicains, sans vertu, vivent toujours !

364. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Montmorency » pp. 199-214

… Dans ce fouillis de gloire qu’on appelle les Montmorency, il doit y avoir, si on fait l’histoire de chaque tombe, bien de hautes vertus, de fières et chastes physionomies de femmes, de destinées sublimes de grandeur et de simplicité, qu’on pourrait nommer aussi : Madame de Montmorency, comme l’héroïne de Renée, et qu’on ne distinguerait pas, à la première vue, sous ce nom collectif porté comme un pavois par soixante générations, et qui nous brouille tout de sa splendeur. […] La Vallière a l’attrait de ses fautes pour faire aimer sa vertu. […] Entre les femmes célèbres par le dévouement et l’amour, il n’y en a pas de plus grande que la veuve de Montmorency, mais sa vertu n’a pas eu d’ombre, et s’est ensevelie dans sa perfection. » Telles sont les pénétrantes paroles par lesquelles finit un volume qui nous prend l’âme avec une main tout à la fois puissante et douce, et dont on sent autour de son cœur l’empreinte longtemps.

365. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes et la société au temps d’Auguste » pp. 293-307

Ces travaux d’esclave ne sont pas faits pour ces patriciens de la Pensée et de la Forme… L’amour sévère et consciencieux du vrai n’est point une vertu païenne. […] Blaze de Bury n’a pas l’air de croire, comme Boissier, par exemple, ou tout autre de ces païens posthumes, que le Christianisme n’est qu’une poussée naturelle du paganisme, et que si on l’avait laissé tranquillement faire, ce paganisme, gros du germe de toutes les vertus, il eût très aisément conduit le monde à ses fins de civilisation, de lumières et de moralité, sans Constantin et les Conciles, et même sans Notre-Seigneur Jésus-Christ, dont on aurait pu très bien se passer ! […] — un anachorète à Caprée, farouche comme Hippolyte, dont il eut la beauté et dont il n’a plus la jeunesse ; un Tibère contre la vertu terrassante duquel on n’a pour toute ressource que le buste de la Galerie de Florence.

366. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. H. Wallon » pp. 51-66

Sa politique, à lui, son action sur les hommes, c’était l’exercice des plus belles et en même temps des plus charmantes vertus ; car, j’en demande bien pardon à Messieurs les pécheurs, les vertus peuvent être charmantes… Fra Angelico, pour les peindre, se mettait à genoux. […] Tout en admirant les vertus surhumaines de Saint Louis, qui, dans toute époque, auraient fait de lui une des plus éminentes personnalités de l’Histoire, il faut cependant défalquer de l’admiration qu’il inspira ce qui doit en revenir à son époque, prête, alors, par les mœurs, par l’éducation du respect, par son Christianisme profond, à accepter le pouvoir unitaire et personnel de la Royauté.

367. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXX. Saint Anselme de Cantorbéry »

Une individualité aussi élevée que celle de saint Anselme devait se rattacher à ces faits, et elle s’y rattachait non pas en vertu de son génie qui l’antidatait de plusieurs siècles, mais en vertu de ses vertus. Saint Anselme était lié au grand et décisif mouvement du progrès catholique, par ce qui se nomme, entre chrétiens, la sainte vertu de l’obéissance. […] à cette vertu si profondément sociale de l’obéissance, saint Anselme, respecté par le pape, saint Anselme, le primat d’Angleterre, prit un simple moine pour maître, et le croirez-vous, esprits de nos jours ?

368. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXXI. Sainte Térèse »

Avouant les avoir retrouvés dans l’entre-deux de ses vertus, longtemps encore après qu’elle se crut avancée dans les voies chrétiennes, elle fut peut-être, qu’on me passe le mot, quelque chose comme une Célimène en herbe ; ce n’est pas assez dire ! […] Elle devint cette petite fourmi, comme elle s’appelle avec une grâce d’humilité délicieuse en une femme qui avait le cœur plus grand que tous les mondes, parce que Dieu, en l’habitant, l’avait élargi, elle devint, non pas uniquement la créature d’élection et de perfection surnaturelle, dont le souvenir plane encore sur le monde ému, mais aussi la première, la plus grande, la plus auguste des supérieures d’Ordres, ornée, avec toutes les vertus du Ciel, de toutes les qualités prudentes, politiques, humaines, de la terre ! […] Allez donc faire comprendre aux âmes du Dix-neuvième Siècle les humilités de la Sainte, qui s’appelle criminelle, elle qui n’a jamais péché mortellement, selon l’Église, et qui l’est à ses yeux, parce qu’elle emprunte un peu de la lumière de Dieu, pour voir l’infinie petitesse des plus grandes vertus.

369. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — III. Le Poëme épique, ou l’Épopée. » pp. 275-353

Il leur défend de mettre dans la bouche de leurs héros des leçons de sagesse & de vertu ; de rendre ces illustres personnages les précepteurs du genre humain. […] Peu de gens possèdent les vertus de la société dans un dégré aussi éminent, que les avoient ces deux frères. […] Elle le nomme la source de toutes vertus, & de toutes connoissances. […] Ils semblent préconiser le vice, en rendant inutile l’amour de la vertu. […] Il s’érige en philosophe & en moraliste, & c’est Platon lui-même dans toute la force de la raison, & dans l’enthousiasme de la vertu ; mais c’est souvent aussi un disciple grossier d’Epicure.

370. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXe entretien. Dante. Deuxième partie » pp. 81-160

Les chants suivants sont pleins de définitions des sciences, des vertus, des orthodoxies de l’école. […] La plus douce vertu de la terre, la pitié, exclue ainsi du ciel, a révolté les cœurs tendres ; les supplices indescriptibles de ses créatures faisant partie de la félicité du Créateur ont rendu le dogme des enfers à perpétuité un des textes de la foi moderne les plus difficiles à inculquer dans le cœur des chrétiens les plus orthodoxes. […] L’exil peut dénaturer jusqu’au patriotisme dans les âmes qui ont plus de vengeance que de vertu. […] La sainteté de l’âme béatifiée, le ressentiment amoureux de la femme, la honte silencieuse de l’amant infidèle, la foi du chrétien repentant, la joie du poète qui retrouve sa jeunesse, son innocence et sa vertu dans la première créature qu’il a aimée, y sont fondus dans une telle harmonie de couleurs, de sentiments, de remords, de joie, de larmes, d’adoration, qu’ils rendent à la fois le drame aussi divin qu’humain dans l’âme des deux amants sur les confins des deux mondes. […] « Et regarde au-dessus de toi, car le paradis n’est pas seulement dans mes yeux. » « Et comme, à mesure que l’homme sent plus de satisfaction à bien faire, il s’aperçoit de jour en jour que sa vertu s’accroît en lui, — ainsi m’aperçus-je que la circonférence du ciel sous lequel je planais s’était élargie devant moi et m’offrait ses prodigieuses extases ! 

371. (1884) Articles. Revue des deux mondes

Vous pouvez tenir pour certaines la médiocrité d’un artiste qui trouve bonne son œuvre telle qu’elle est, l’insuffisance d’une vertu qui ne se souhaite pas plus parfaite : augurez de même d’un siècle ou d’un peuple qui n’aspire pas à sortir de soi pour s’élever plus haut. […] La force vitale avait tari dans leur sein ; ni le génie, ni la vertu n’eussent été capables de ranimer ces grands corps épuisés. […] Et plus sont nombreux les hommes de génie et de vertu, plus grossit le trésor, plus s’augmente la somme de force vive au sein de la nation tout entière. […] Ils sont uniquement dans l’énergie morale, l’intégrité du caractère, la pratique ferme et constante de la vertu. […] On comprendra enfin dans quel sens le progrès peut être indéfini, car la vertu est chose tout intérieure, et si la science et le bonheur rencontrent dans les conditions de notre nature et de notre existence ici-bas des limites nécessaires, l’homme, par son libre effort vers le bien, peut toujours et sans cesse élever au-dessus d’elle-même la hauteur morale à laquelle il est déjà parvenu.

372. (1903) La renaissance classique pp. -

Qu’il s’agisse d’un vice ou d’une vertu, nous tacherons toujours d’en démêler la forme la plus excellente. […] Bientôt nous rapprendrons le charme et la vertu de l’ordre : nous essayerons de composer. […] C’est la somme de toutes les vertus qui sont nécessaires pour créer et entretenir un corps robuste et sain, une intelligence lucide et une volonté sans défaillance. […] S’il est vraiment l’homme de sa race, — de la race qui, dans une nation, s’est rendue conquérante et triomphante grâce aux vertus égoïstes qui ont préservé la force et l’intégrité de son type, — il trouvera sans y penser la matière de son art dans ces vertus mêmes, et il reconnaîtra, dans la vigueur des muscles que lui ont façonnés ses pères, le plus ferme soutien de son génie. […] En dépit de tous ses efforts pour se guinder à la vertu, l’auteur de l’Émile reste le bohème et l’esclave en révolte.

373. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Droz. » pp. 165-184

À toutes les qualités qui sont nécessaires à l’orateur, Droz demande que son caractère unisse encore la sensibilité : « Beaucoup de force d’âme au premier coup d’œil, dit-il, paraît l’exclure : mais l’élévation est le point qui les unit. » L’élévation d’âme n’est pas tout encore, si l’orateur n’y joint réellement la vertu ; Droz y insiste, et non point par des lieux communs de morale, mais par des observations pratiques incontestables : « Croyez qu’il n’est chez aucun peuple assez d’immoralité, dit-il, pour que la réputation de celui qui parle soit indifférente à ceux qui l’écoutent. » Lorsque plus tard, historien de la Révolution, il aura à parler de Mirabeau, dont il appréciait si bien la grandeur, combien il aura occasion de vérifier ce côté d’autorité morale si nécessaire, par où il a manqué ! […] C’est dans l’oisiveté et la petitesse que la vertu souffre, lorsqu’une prudence timide l’empêche de prendre l’essor et la fait ramper dans ses liens : mais le malheur même a ses charmes dans les grandes extrémités ; car cette opposition de la fortune élève un esprit courageux, et lui fait ramasser toutes ses forces, qu’il n’employait pas. […] Droz cette bénignité première de l’âme, ne firent que la mûrir et la confirmer en vertu ; la vieillesse ne lui apporta qu’une douceur plus haute et comme fixée en sérénité. […] Les lectures qu’il lui fallut faire pour la connaissance approfondie de ces temps orageux et souillés du xviiie  siècle, contrastaient souvent avec cette pureté délicate et ces vertus de famille qu’il pratiquait et qu’il goûtait si bien dans le cercle intérieur ; il en souffrait ingénument et se replongeait avec d’autant plus d’attrait dans l’air pur de la félicité domestique.

374. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — III. Franklin à Passy. (Fin.) » pp. 167-185

Il a répété maintes fois « qu’il n’y a qu’un peuple vertueux qui soit capable de la liberté, et que les autres ont plutôt besoin d’un maître ; que les révolutions ne peuvent s’opérer sans danger quand les peuples n’ont pas assez de vertu ». […] Vous pouvez, pour votre compte, trouver aisé de vivre une vertueuse vie sans l’assistance donnée par la religion, vous qui avez une claire perception des avantages de la vertu et des désavantages du vice, et qui possédez une force de résolution suffisante pour vous rendre capable de résister aux tentations communes. Mais considérez combien nombreuse est la portion de l’humanité qui se compose d’hommes et de femmes faibles et ignorants, et d’une jeunesse inexpérimentée et inconsidérée des deux sexes, ayant besoin des motifs de religion pour les détourner du vice, les encourager à la vertu, et les y retenir dans la pratique, jusqu’à ce qu’elle leur devienne habituelle, ce qui est le grand point pour la garantir. Et peut-être vous lui êtes redevable originairement, je veux dire à votre éducation religieuse, pour les habitudes de vertu dont vous vous prévalez maintenant à juste titre.

375. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre III : La littérature du xviiie et du xixe  siècle »

C’est ainsi qu’on avait vu les parlements, ces vieilles citadelles de l’honneur bourgeois s’abaisser jusqu’à légitimer les enfants adultérins du roi, tant il est vrai que sans une certaine vertu civique la vertu domestique elle-même vient à succomber. Eh bien, Montesquieu nous apprend la vertu civique. […] Or, ce souci moral, cette passion forcée de la vertu, qui était peut-être le sentiment douloureux de son impuissance morale, est encore chez lui quelque chose d’original dans un siècle où nul, excepté Vauvenargues, n’a éprouvé cette sorte de souci.

376. (1912) L’art de lire « Chapitre III. Les livres de sentiment »

Chacun de nous se suffirait presque pour peindre tous les vices et aussi toutes les vertus, s’il savait peindre ; pour reconnaître, du moins, la vérité de toutes les peintures de toutes les vertus et de tous les vices. […] Or, ces semences de toutes les vertus et de tous les vices qui sont en nous, nous permettent très bien de juger ce qu’il y a de réalité dans les fictions. […] Le lecteur de livres idéalistes où les personnages ont des vertus extraordinaires et des délicatesses de sentiments inattendues est généralement une lectrice : « J’ai pour moi les jeunes gens et les femmes », disait Lamartine, et George Sand aurait pu le dire aussi sans se tromper aucunement.

377. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Malaise moral. » pp. 176-183

Elle amoindrit la confiance en soi, la « joie de vivre », même la vertu, dans une plus grande proportion qu’elle ne diminue les forces. […] La communion d’un peuple dans un sentiment orgueilleux et joyeux n’est pas, croyez-le bien, d’un petit secours aux vertus privées ; et cette communion nous manque.

378. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

. — Il a des vertus, dit-on ; mais ces vertus, à quoi mènent-elles ? […] C’est dans la vieillesse que l’empreinte fixée des passions vicieuses trahit et conserve la honte de la vie, tandis que la belle expression de la vertu devient l’honorable prix d’une carrière consacrée au bien de l’humanité. […] Je voulais donner une idée approchante de ce Fontenelle d’une nature singulière et d’une autre race, resté jeune jusqu’à la fin, — jeune d’esprit, d’imagination et de cœur —, homme avant tout aimable, et dont les faiblesses mêmes (selon le beau vers de Goldsmith) penchaient du côté de la vertu 100. […]  » — Mais quel sera le nouveau Jésus qui dira cela avec la vertu efficace qui opère le miracle ?

379. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’expression de l’amour chez les poètes symbolistes » pp. 57-90

Aux préventions romantiques dont elle avait hérité à l’endroit de la femme fatale, s’ajoutait l’influence de Schopenhauer, qu’elle venait de découvrir, et qui déniait à la femme toute vertu d’intelligence et de beauté. […] Désespéré de l’accord impossible, il se résigne, avec son fond de solide bonhomie, à vivre en partie double, parallèlement, et s’assied entre le vice et la vertu. […] C’est une vertu militante. […] Il ne s’inquiète plus de la race, comme faisait Gobineau, ni des seules vertus de décision, comme faisait Nietzsche, Il ne s’adresse qu’aux inclinations sexuelles. […] Au-dessus de l’homme et de la femme, vulgaires, simples animaux reproducteurs, tend à s’élever un Être, d’une finalité plus haute, résumant en lui les vertus du couple, spiritualisées, à leur plus haut point d’expression.

380. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre VIII »

Ainsi que la vertu, le vice a ses degrés, et la pièce aurait pu choisir une petite dame de plus haut étage pour faire débuter la fille moderne au Théâtre-Français. […] Madame de Thommeray adresse à Jean de tendres et sérieux reproches ; elle lui montre le château paternel assombri par le départ de l’enfant prodigue, son vieux père en deuil de sa vertu morte ; elle lui rappelle sa fiancée blessée au cœur par son abandon. […] Et il accuse Paris d’avoir arraché les bons instincts et les vertus qu’il a déracinés lui-même de son cœur ! […] Marie Letellier est une jeune fille élevée à l’américaine, pure et fière, sous des allures hardies et rieuses ; le coeur d’une vierge et l’air d’une princesse errante, habituée aux libertés de la flirtation, et sûre de retirer à temps sa vertu du jeu. […] Et l’art est justement fait pour en offrir de pareils, son rôle étant d’opposer aux réalités iniques de la vie l’idéal de la bonté et de la vertu.

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