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863. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — I » pp. 246-260

Cette similitude du Français et de l’enfant, qui ne se bornait pas à un simple aperçu comme en ont les gens d’esprit, mais qui était l’idée favorite de l’abbé, revient continuellement dans ces notes de Rousseau : « Il était mal reçu des ministres et, sans vouloir s’apercevoir de leur mauvais accueil, il allait toujours à ses fins ; c’est alors surtout qu’il avait besoin de se souvenir qu’il parlait à des enfants très fiers de jouer avec de grandes poupées. » — « En s’adressant aux princes, il ne devait pas ignorer qu’il parlait à des enfants beaucoup plus enfants que les autres, et il ne laissait pas de leur parler raison, comme à des sages. » Rousseau, à qui tant de gens feront la leçon pour sa politique trop logique et ses théories toutes rationnelles, sent très bien le défaut de l’abbé de Saint-Pierre et insiste sur la plus frappante de ses inconséquences : « Les hommes, disait l’abbé, sont comme des enfants ; il faut leur répéter cent fois la même chose pour qu’ils la retiennent. » — « Mais, remarquait Rousseau, un enfant à qui on dit la même chose deux fois, bâille la seconde et n’écoute plus si on ne l’y force. […] Il prie des gens, qu’il ne connaît point, de le mener chez d’autres dont il n’est pas connu : il écrit à des femmes qu’il connaît de vue : il s’insinue dans un cercle de personnes respectables, et qui ne savent quel il est ; et là, sans attendre qu’on l’interroge, ni sans sentir qu’il interrompt, il parle, et souvent, et ridiculement. […] C’est lui qui, un jour qu’un homme en place, excédé de son procédé, lui en faisait sentir l’inconvenance, répondait sans s’émouvoir ; « Je sais bien, monsieur, que je suis, moi, un homme fort ridicule ; mais ce que je vous dis ne laisse pas d’être fort sensé, et, si vous étiez jamais obligé d’y répondre sérieusement, soyez sûr que vous joueriez un personnage plus ridicule encore que le mien. » C’est lui qui, s’apercevant un jour qu’il était de trop dans un cercle peu sérieux, ne se gêna pas pour dire : « Je sens que je vous ennuie, et j’en suis bien fâché ; mais moi, je m’amuse fort à vous entendre, et je vous prie de trouver bon que je reste. » Tout cela est bien de l’homme dépeint par La Bruyère dans son portrait chargé, mais reconnaissable, de celui même que le cardinal de Fleury, à son point de vue de Versailles, appellera un politique triste et désastreux ; malencontreux, du moins, et intempestif, qui avait reçu le don du contretemps comme d’autres celui de l’à-propos, et qui, lorsqu’il se doutait du léger inconvénient, prenait tout naturellement son parti de déplaire, pourvu qu’il allât à ses fins. […] Il était content et le laissait voir : « J’ai du plaisir partout, disait-il, parce que j’ai l’âme saine. » Il a pourtant écrit, au sujet de la moquerie, un mot fait pour toucher, et où il ne tient qu’à nous de voir une allusion à ce portrait de Mopse : « Quel agrément dans la vie pour le bienfaisant de sentir la joie de ceux chez qui il entre !

864. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’impératrice Catherine II. Écrits par elle-même, (suite.) »

Ce malheureux homme, au milieu de ses extravagances, avait un vague instinct et un pressentiment de la destinée funeste qu’il se tramait de ses propres mains : il répétait souvent, parlant à la grande-duchesse elle-même, quand elle essayait encore de le ramener à l’idée du rôle qu’il aurait à remplir, « qu’il sentait qu’il n’était pas né pour la Russie, que ni lui ne convenait aux Russes, ni les Russes à lui, et qu’il était persuadé qu’il périrait en Russie. » Les Anciens avaient personnifié l’imprudence et l’aveuglement des hommes sous la figure d’une déesse aussi terrible que Némésis, aussi inévitable que la Destinée elle-même : Atè, c’était son nom. […] Une fois mère d’un fils, d’un héritier du trône, et se sentant des droits, se voyant néanmoins toujours tenue en suspicion, en butte aux mauvais procédés et à l’espionnage des Schouvaloff, favoris de l’Impératrice, séparée de Soltikoff qu’elle aime (le premier qu’elle ait aimé), privée de voir son fils28, elle résolut de changer de méthode et de ne plus affecter tant de douceur, et de soumission : « Comme dans ma solitude (après ses couches) j’avais fait mainte et mainte réflexion, je pris la résolulion de faire sentir à ceux qui m’avaient causé tant de divers chagrins, autant qu’il dépendait de moi, qu’on ne m’offensait pas impunément, et que ce n’était pas par de mauvais procédés qu’on gagnait mon affection ou mon approbation. […] — Le style, non pas étranger, mais un peu vieux, en est encore plus gaulois que français : « Du reste, mon parti était pris, et je regardais mon renvoi ou non-renvoi d’un œil très-philosophique ; je ne me serais trouvée, dans telle situation qu’il aurait plu à la Providence de me placer, jamais sans ces ressources que l’esprit et le talent donnent à chacun selon ses facultés naturelles, et je me sentais le courage de monter ou descendre, sans que par là mon cœur et mon âme en ressentissent de l’élévation ou ostentation, ou, en sens contraire, ni rabaissement, ni humiliation. […] Naturellement indulgente, je m’attirais la confiance de ceux qui avaient affaire avec moi, parce que chacun sentait que la plus exacte probité et la bonne volonté étaient les mobiles que je suivais le plus volontiers.

865. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  second article  » pp. 342-358

On l’a dit, après créer et enfanter des œuvres de génie, il reste encore quelque chose de digne et de beau, c’est de les sentir et de les faire admirer. […] Lorsqu’on lit l’Iliade, on sent à chaque instant qu’Homère a fait la guerre, et n’a pas, comme le disent les commentateurs, passé sa vie dans les écoles de Chio ; quand on lit l’Énéide, on sent que…, etc., etc. » Je supprime le reste comme par trop irrévérencieux. […] Sa Junon aux blanches épaules se sent un peu trop de la nudité moderne.

866. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Le Brun »

Peut-être, si la fortune lui eût permis d’y arriver, s’il eût pu se fonder ainsi, loin d’un monde où il se sentait déplacé, une vie grande, simple, auguste ; s’il avait eu sa tour solitaire au milieu de son parc, ses vastes et majestueuses allées, pour y déclamer en paix et y raturer à loisir son poëme de la Nature ; si rien autour de lui n’avait froissé son âme hautaine et irritable, peut-être toutes ces boutades de conduite, toutes ces sorties colériques d’amour-propre eussent-elles complètement disparu : l’on n’eût pu lui reprocher, comme à Buffon, que beaucoup de morgue et une excessive plénitude de lui-même. […] La nature de France, les bords de la Seine, les îles de la Marne, tout ce paysage riant et varié d’alentour se mire en sa poésie comme en un beau fleuve ; on sent qu’il vient de Grèce, qu’il y est né, qu’il en est plein : mais ses souvenirs d’un autre ciel se lient harmonieusement avec son émotion présente, et ne font que l’éclairer, pour ainsi dire, d’un plus doux rayon. […] On se souviendra qu’il l’aima longtemps, qu’il le prédit, qu’il le goûta en un siècle de peu de poésie, et qu’il sentit du premier coup que ce jeune homme faisait ce que lui-même aurait voulu faire. […] Il serait dur, mais pas trop invraisemblable, de conjecturer qu’en écrivant les vers suivants (voir l’édition d’Eugène Renduel), Chénier a pu songer au jour où il se sentit déçu et blessé dans son admiration première pour Le Brun : Ah !

867. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — II »

Aux époques où l’humanité brise les liens qui l’unissaient sympathiquement à ce qui l’entoure, et où ses propres parties éparses luttent et se dévorent entre elles, quand la plus grande ardeur de destruction est calmée, une anxiété profonde succède ; le malaise moral et la misère matérielle rongent le corps social par sa double extrémité ; un vague et confus besoin d’association se fait sentir et s’exhale en gémissements mal définis, en mouvements désordonnés ; les uns ont faim de pain, les autres ont soif de parole ; tous sont malades et aspirent à la vie. Alors l’homme élu. dans les entrailles duquel toutes les souffrances de l’humanité doivent retentir ; qui doit sentir en son sein s’amasser douloureusement un amour immense ; qui doit concevoir en sa tête féconde la forme nouvelle, plus large et plus heureuse, de l’association humaine ; cet homme vraiment divin, ce poëte, cet artiste, ce révélateur fils de Dieu, est déjà né ; que ce soit Moïse, Orphée, Jésus, Confucius ou Mahomet, il grandit, se développe miraculeusement, se perfectionne avant tous ses contemporains ; véritable fruit providentiel, il mûrit et se dore sous un soleil encore voilé pour d’autres, mais dont la chaleur lui arrive déjà, à lui, parce qu’il est au foyer de l’univers, et qu’il ne perd pas un seul des rayons de Dieu. […] Du moment que Dieu n’est plus conçu comme un être à part et hors du monde, du moment qu’il est inséparable de la nature et de l’humanité, et qu’il se manifeste uniquement en elles et par elles, du moment enfin que le mal cesse d’être un principe positif ennemi du bien, dès lors l’homme n’a plus peur de Satan, de même qu’il n’a plus besoin de médiateur pour entrer en rapport avec Dieu ; la communication est directe, immédiate ; il sent l’influence divine dans chacune de ses relations avec les hommes et avec les choses ; il ne s’imagine aucunement devoir recourir à des envoyés mystérieux, à des anges ; et les anges, les envoyés mystérieux, les démons ne lui viennent pas. […] La conception du révélateur est alors soumise par les disciples qui la recueillent, à un travail d’élaboration et de réalisation plus éclairé que dans les temps passés où l’instrument divin se sentait confirment sans se comprendre ; mais dans aucun cas une religion ne se fait toute seule ; un homme la conçoit et la produit ; la conception primitive ainsi produite se crée d’autres hommes qui la transforment encore et la réalisent ; les religions font les hommes et les hommes les font.

868. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre II. De l’ambition. »

L’homme ambitieux sans doute, alors qu’il a atteint ce qu’il recherche, ne ressent point ce désir inquiet qui reste après les triomphes de la gloire, son objet est en proportion avec lui ; et comme, en le perdant, il ne lui restera point de ressources personnelles, en le possédant il ne sent point de vide en lui. […] Quel que soit le parti qu’on ait embrassé, la faction est démagogue dans son essence, elle est composée d’hommes qui ne veulent pas obéir, qui se sentent nécessaires, et ne se croient point liés à ceux qui les commandent ; elle est composée d’hommes prêts à choisir de nouveaux chefs chaque jour, parce qu’il n’est question que de leur intérêt, et non d’une subordination antérieure, naturelle ou politique : il importe plus aux chefs de n’être pas suspects à leurs soldats, que redoutables à leurs ennemis. Des crimes de tout genre, des crimes inutiles aux succès de la cause, sont commandés par le féroce enthousiasme de la populace ; elle craint la pitié, quel que soit le degré de sa force, c’est par de la fureur, et non de la clémence qu’elle sent son pouvoir. […] on voit si bien les bornes de son pouvoir, on sent si souvent qu’on obéit alors même qu’on a l’air de commander ; les passions des hommes sont tellement mises en dehors dans un temps de révolution, qu’aucune illusion n’est possible ; et la plus magique des émotions, celle que fait éprouver les acclamations de tout un peuple, ne peut plus se renouveler pour celui qui a vu ce peuple dans les mouvements d’une révolution.

869. (1842) Essai sur Adolphe

Ma paupière ne s’abaissera pas devant ces mères orgueilleuses qui parlent bas à l’oreille de leurs filles en me voyant passer ; je marcherai près d’elles d’un pas ferme ; je sentirai la rougeur monter à mon front, mais je retiendrai mes larmes, et je les accumulerai pour les verser à flots dans le cœur de mon bien-aimé. […] En vue des années qui vont suivre, il sentira défaillir son courage, et regrettera l’extase qu’il avait à peine espérée. […] Il se remettait en marche, et commençait un nouveau pèlerinage ; il sent tout à coup se poser sur son épaule une main autrefois amie, qu’à peine il eût sentie, tant elle était légère, et qui aujourd’hui lui pèse et l’accable.

870. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Journal de la campagne de Russie en 1812, par M. de Fezensac, lieutenant général. (1849.) » pp. 260-274

Mais, en même temps que le cœur saigne et que l’imagination se flétrit, on est consolé pourtant de se sentir pour compagnon et pour guide un guerrier modeste, ferme et humain, en qui les sentiments délicats dans leur fleur ont su résister aux plus cruelles épreuves. […] Si sobre qu’il soit de considérations générales, il est aisé avec lui de sentir, dès le début de cette expédition gigantesque, que les bornes de la puissance humaine sont dépassées, et que le génie d’un homme, cet homme fût-il le plus grand, ne saurait prétendre à contenir et à diriger dans son cadre une organisation aussi exorbitante. […] On sent, en lisant M. de Fezensac, que, jusque dans les moments les plus désespérés de l’épouvantable épreuve, il y eut encore quelques âmes de cette trempe énergique et exquise, et c’est ce qui console : Au milieu de si horribles calamités, dit le colonel du 4e, la destruction de mon régiment me causait une douleur bien vive. […] Xavier de Maistre, j’imagine, en présence de semblables scènes, ne les aurait pas senties autrement.

871. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Ce que tout le monde sait sur l’expression, et quelque chose que tout le monde ne sait pas » pp. 39-53

Si l’âme d’un homme ou la nature a donné à son visage l’expression de la bienveillance, de la justice et de la liberté, vous le sentirez, parce que vous portez en vous-même des images de ces vertus, et vous accueillerez celui qui vous les annonce. […] Il n’a rien qui sente l’effronterie ni la honte. […] Sentir ce qu’il en faut prendre, ce qu’il en faut laisser ; connaître les passions douces et fortes, et les rendre sans grimace. […] Voulez-vous sentir, mon ami, cette différence ?

872. (1912) L’art de lire « Chapitre IX. La lecture des critiques »

Vous sentez qu’il vous fait réfléchir, qu’il renouvelle en vous vos sensations et impressions de lecteur, qu’il éveille en vous des curiosités de lecteur, qu’en épousant ou en contrariant vos jugements, il fait que vous les révisez, à quoi sans doute votre goût s’exerce et s’affine ; qu’en vous dirigeant du côté de nouvelles lectures, il vous ouvre des pays nouveaux auxquels vous songiez vaguement, ou ne songiez point, et qui peuvent être d’une grande beauté on d’une étrangeté captivante. […] Le lecteur ne doit savoir ni comment il juge ni s’il juge ; ni comment il sent, ni s’il sent. […] D’autre part, lire l’historien littéraire avant l’auteur est à peu près indispensable ; mais il ne l’est plus de lire l’historien littéraire après avoir lu l’auteur ; ce n’est plus qu’un peu utile, quelquefois, selon les cas, pour vérifier telle concordance, le plus souvent pour se rappeler tel renseignement, donné par l’historien, que l’on sent qui nous fuit.

873. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Jules Janin » pp. 137-154

Avant ce nouveau venu qui arrivait sans se débotter, Diderot était peut-être le seul écrivain qui eût porté dans la Critique autant d’imagination qu’on en pouvait montrer avec les habitudes didactiques du xviiie  siècle ; mais il y avait, dans l’imagination de Diderot, quelque chose d’exagéré et de déclamatoire qui sentait son bourgeois et son pédant, tandis que l’imagination qu’y porta Janin était naturelle et légère. […] Il avait cette familiarité avec les inventeurs de se servir de leurs inventions dans son intérêt d’écrivain : sans cérémonie de grand seigneur, qui partout se sent un peu chez soi ! […] Cet homme, heureux dès sa jeunesse, qui n’eut jamais, comme les bohèmes de son temps — qui fut le temps de la Bohème — de déchirure à son coude, n’eut pas non plus pour s’en venger le luxe momentané de Balzac, aux boutons d’or pur, chez la princesse de Belgiojoso… Il ne se sentait aucun goût pour ces somptuosités d’artiste, — quoique pourtant il en fût un ! […] à un homme qui ne devait connaître aucun des malheurs de la vie, qui ne devait pas avoir d’enfants, dont les seuls enfants furent ses livres, ses livres aimés d’Apollon et qui n’en sentirent jamais les flèches !

874. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XV. M. Dargaud » pp. 323-339

C’est la poésie même du passé racontée par un homme qui sent la poésie partout où elle est, et elle est partout ! […] Il est chrétien comme on est sauvage ; mais son parti qui n’est pas chrétien, lui, et qui ne veut pas qu’on le soit, à quelque degré que ce puisse être, a bien senti qu’il l’était profondément, jusque dans cette Histoire de la Liberté religieuse, et voilà pourquoi il s’en est détourné en silence, trompé sans doute dans l’espérance qu’il avait de ne pas trouver dans ce livre cet accent qui en fera la gloire et en assurera la durée. […] L’homme, sa personnalité libre, sa moralité, son intellectualité, partout où ces choses-là sont belles, il les sent avec un tressaillement profond, infaillible, qui ne se dément ni ne se blase jamais, et il les exprime avec une émotion presque géniale de vérité et quelquefois presque sainte. […] Dargaud, et qui sentaient que leur pouvoir politique allait tomber avec le pouvoir religieux, s’ils ne défendaient pas ce pouvoir religieux comme un commandant de place, sa forteresse ; mais qu’importent au catholicisme les moyens de défense qu’on employait pour le défendre !

875. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Madame Paul de Molènes »

Marcelin, le plus fin des fins, — même sans crayon, — sentait bien que le bijou le plus précieux de son écrin de la Vie Parisienne était cette plume qui donnait, sans inconvénient, de petites palpitations à ses abonnées vertueuses, et arrêtait à temps ces palpitations après avoir mis au front des liseuses une rougeur qui les embellissait… Embellir ses abonnées, quelle bonne fortune pour un directeur de journal ! […]  » Et plus loin : « L’influence de la femme chef de famille se sent encore et d’une façon funeste après plusieurs générations. […] C’est délicieux et au fond poignant ; c’est du pathétique et du génie là où il n’y en a presque jamais : c’est du pathétique et du génie dans la finesse… IV Il faut lire… Mais à cela près des connaisseurs, qui font pour moi le seul succès dont on puisse avoir la fatuité, la supériorité d’un talent comme celui de madame de Molènes sera-t-elle sentie ? […] Elle été sentie pourtant à la Vie Parisienne ; mais elle l’a été précisément pour ce qui manque à l’Orpheline, — la gaîté du trait et son risque heureux.

876. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — I » pp. 143-149

La Motte qui demeurait rue Guénégaud, près du quai Conti, très froid, comme on sait, et exposé au nord, sentait le besoin de chaleur et de soleil en même temps que de conversation ; le quai d’en face les lui offrait ; il avait à lui sa chaise, c’était alors le luxe des demi-fortunes : « Il se faisait porter, nous dit Voltaire, autre bon témoin, depuis dix heures du matin jusqu’à midi, sur le pavé qui borde la galerie du Louvre, et là il était doucement cuit à un feu de réverbère. » Louvre et café Gradot, cela se touchait. […] Comme ceux qui sentent en eux un aiguillon secret de douleur et qui ont la vie rapide, l’abbé de Pons se prenait plus activement qu’un autre aux choses du jour, à la circonstance qui passe, et s’y jetait avec une vivacité et un feu qui faisaient de lui un excellent journaliste : ce n’est pas une raison pour nous de le mépriser. […] L’abbé de Pons, au moment où il s’en prévalait et s’en décorait, ne l’a-t-il pas senti ?

877. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française. IXe et Xe volumes »

Chez lui, cette portion de notre histoire politique, jusqu’à présent si ténébreuse et si compliquée, s’éclaircit, se dénoue d’elle-même ; tout y devient simple et lucide ; ici encore on sent l’historien qui est toujours placé au cœur de son sujet, c’est-à-dire au cœur de la France. […] Barras, lâche à son ordinaire, dès qu’il sentit où était la force, abandonna ses collègues. […] « Elle n’est pas venue, dit-il : elle viendra. » Espérons-le avec lui : il est de ceux qui ont le plus droit de la promettre ; car il la sert, il en hâte le triomphe ; et certes, lorsqu’à la lecture de son livre nous voyons ce que nos pères ont souffert pour elle, et que nous sentons en nos cœurs ce que nous serions prêts à souffrir nous-mêmes, quand il nous semble qu’à travers les larmes, le sang et d’innombrables douleurs, tout a été préparé par une providence attentive pour son mystérieux enfantement, nous ne pouvons imaginer que tant de mal ait été dépensé en pure perte, que tant de souffrances aient été vainement offertes en sacrifice ; et dût-il nous en rester encore quelque part à subir, nous croyons plus fermement que jamais au salut de la France.

878. (1874) Premiers lundis. Tome I « Diderot : Mémoires, correspondance et ouvrages inédits — I »

Diderot, bon qu’il était par nature, prodigue parce qu’il se sentait opulent, tout à tous, se laissait aller à cette façon de vivre ; content de produire des idées, et se souciant peu de leur usage, il se livrait à son penchant intellectuel et ne tarissait pas. […] C’est un plaisir singulier de l’entendre librement discourir sur tout ce qu’il voit et ce qu’il sent, avec abandon, naïveté, complaisance, et quelquefois, s’il en a le temps, et si le caprice lui vient, avec art et curiosité. […] Et pour ne prendre ici que l’amour, quel homme l’a senti et ne sera touché jusqu’aux larmes des pensées suivantes, que nous détachons presque au hasard ?

879. (1875) Premiers lundis. Tome III « Profession de foi »

Dans ce grand travail de recherche et d’analyse, le besoin de règle et de plan se faisait à chaque instant sentir. […] Mais c’était un tour de force, un équilibre de jour en jour plus instable ; l’association qu’un principe purement négatif unissait se relâchait à chaque instant davantage ; le chef lui-même se lassait à la peine : aussi dès que le triomphe du principe arriva, dès que le drapeau de liberté, reprenant ses vraies couleurs, flotta par toute la France, le chef actif sentit le besoin du repos, et l’association politique se rompit. […] Ce n’était plus dans une fermentation lente et obscure qu’on pouvait couver au fond de sa pensée un rêve d’organisation à venir ; on en était déjà à sentir le besoin de préciser les doctrines, et à prévoir le moment de les appliquer.

880. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre II. Utilité de l’ordre. — Rapport de l’ordre et de l’originalité »

N’ayant pas rapporté chaque partie au tout et aux autres parties, il ne taillera point chacune de ses pensées à la convenance du sujet, il leur laissera trop de largeur ou trop peu : il n’y touchera pas avec précision le point par lequel elles tiennent à sa matière ; elles garderont du vague et de l’incertitude : elles resteront plus ou moins à l’état de simulacres flottants et sans consistance, de silhouettes lumineuses parfois et vives, mais où l’on ne sentira point le solide soutien des muscles et des os. […] « Quiconque ne sent pas la beauté et la force de cette unité et de cet ordre n’a encore rien vu au grand jour : il n’a vu que des ombres dans la caverne de Platon. Que dirait-on d’un architecte qui ne sentirait aucune différence entre un grand palais dont tous les bâtiments seraient proportionnés pour former un tout dans le même dessein, et un amas confus de petits édifices, qui ne feraient point un vrai but, quoiqu’ils fussent les uns auprès des autres ?

881. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XI. Trois bons médanistes : Henry Céard, Joris-Karl Huysmans, Lucien Descaves » pp. 145-156

« Au moins c’est de la tristesse qu’on connaît. » Ceux qui, mal contents de leur lot, l’échangèrent contre un autre, ne trouvèrent pas mieux, et sentirent par surcroît l’amertume des déménagements. […] Je ferai sentir grossièrement cette manière en rappelant combien de fois M.  […] Et il en est, nécessairement, qui sentent un peu le manuel Roret ; elles sont rares.

882. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre V. Des trois ordres de causes qui peuvent agir sur un auteur » pp. 69-75

Pour dire la même chose en d’autres termes, un être humain se développe dans trois milieux : l’un, le milieu psycho-physiologique, est l’ensemble des éléments qui composent sa constitution corporelle et mentale ; le second, le milieu terrestre et cosmique, est l’ensemble de la nature environnante ; le troisième, le milieu social, est l’ensemble de la civilisation humaine, qui, de toutes les parties de la terre et du passé, peut faire sentir et pénétrer son action . […] Les cas de ressemblance physique entre père et fils, oncle et neveu, grand-père et petit-fils sont des plus fréquents : de même aussi goûts et façons de sentir se transmettent d’une génération à une autre ; un ancêtre revit et agit tout à coup dans quelqu’un de ses descendants. […] Qui sait si les fanfaronnades de force et d’adresse, dont Byron fut coutumier, si même son irritation contre la société n’avaient pas une de leurs origines dans la souffrance d’amour-propre qu’il éprouvait à se sentir pied-bot de naissance ?

883. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Corneille, et le cardinal de Richelieu. » pp. 237-252

Il se vantoit d’avoir eu quatre portiers tués à une de ses pièces, & disoit : « Je ne le céderai à Corneille que lorsqu’on en aura tué cinq au Cid ou aux Horaces. » Ce même homme, hors d’état de faire, de sentir, un seul beau vers de Corneille, eut la présomption de se porter pour son juge, & publia des observations sur le Cid. […] La compagnie sentit combien la chose étoit délicate. […] Horace , dit-il, fut condamné par les duumvirs, mais il fut absous par le peuple : Le peuple, qui ne raisonne point, mais qui sent, fut en effet presque toujours pour Corneille, contre tous les traits de la satyre & de la malignité.

884. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le marquis de Grignan »

Je crois même sentir en le lisant qu’il a peut-être du goût pour cette société qui n’est plus, et qui sait ? […] Il ne peut pas se passer d’elle, et son haleine — l’haleine de son style — a l’haleine de cette femme aimée, comme cette autre femme qui sentait par la bouche le bouquet de violettes de Parme qu’elle avait, une seule fois, respiré ! […] Elle sentait que toute cette magnifique maison des Adhémar allait crouler, et que ni la faveur du roi, ni les cordons bleus ni les gouvernements de province ne la sauveraient de sa ruine.

885. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Lefèvre-Deumier »

Il avait senti, sans nul doute, qu’elles étaient l’expression définitive, ardemment cherchée, de sa maturité poétique, que passé ce niveau il ne s’élèverait plus, et qu’au contraire, image de la vie, son expression baisserait sous sa plume au lieu d’y monter. […] Avec une telle manière de sentir et de concevoir la beauté poétique, l’auteur du Couvre-feu, qui, nous devons en convenir, a, pendant ces dix dernières années, accompli un rude travail de lime sur lui-même, a eu beau se polir, se dépouiller, s’élever, — et qui s’élève se simplifie ! […] Mais n’y a-t-il pas dans cette poésie antithétique, dure, noueuse, qui heurte, dans un rapprochement si imprévu, l’idée de la vallée de Josaphat contenant le monde ressuscité à la fin des temps et l’idée du champ de la mémoire contenant aussi l’univers et son passé dans la tête de chaque homme en particulier, n’y a-t-il pas quelque chose de cherché, d’efforcé, d’insolite, qui sent l’alchimie d’un cerveau plus ou moins puissant, mais qui n’est pas l’originalité franche des grands poètes, — qui n’est pas le sang pur et si facilement jaillissant de la véritable originalité ?

886. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Roger de Beauvoir »

Dès les premiers mots, on sent qu’il y a là dedans de l’Alfred de Musset, comme dans Alfred de Musset on sent qu’il y a du Voltaire : Dans mon panier tiennent déjà Pastèques, oranges, grenades, Des sonnets et des sérénades, Force vers à la Maruja Et des sifflets pour les alcades ! […] Il avait fait déjà sentir son doigt lors de Colombes et Couleuvres, et c’est sous le premier coup de ce doigt qu’avait jailli un talent qui nous étonna.

887. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Le Conte de l’Isle. Poëmes antiques. »

L’ennui n’est peut-être pas senti aux Indes, dans ce pays d’immobilité, d’yeux ouverts pendant que l’esprit dort, de cerveaux fermés sous les parasols ! Mais ici on le sent, et si on ne le sent pas aux Indes, il peut en venir.

888. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Gères. Le Roitelet, verselets. »

Il n’imite pas pour imiter, mais il rappelle les poètes de son temps, et il les rappelle parce qu’au lieu de s’isoler d’eux il s’y associe ; parce que vivant intellectuellement avec eux, il les sent trop, les connaît trop et trop les aime. […] Nous l’avons senti et éprouvé souvent, il faut un grand espace pour rendre compte d’un poète et d’un poète inconnu, pour le faire comprendre, accepter… ou repousser. […] Mais, jeune ou non, éprouvé par le travail ou caressé par l’inspiration facile, qu’il se souvienne du conseil que nous lui donnons en toute sympathie et dans l’intérêt de ses œuvres futures ; il y a deux hommes en lui, — l’homme de la veine et l’homme de la culture ; l’homme de la poésie sentie et l’homme de la poésie ressouvenue.

889. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Paul Bourget »

d’autres rapports avec son poète que ceux qui viennent de l’analogie des natures et des manières de sentir. […] Les poètes sentent ces impondérables… II L’auteur de La Vie inquiète, qui n’a pas pris pour sa Muse l’anxiété, car on ne choisit pas sa Muse, quand on est un poète : on la subit, comme le cœur subit son vautour, n’était encore qu’un lyrique dont les poésies sont toujours belles quand elles sont marquées de cette personnalité byronienne avec laquelle il est né et qu’il ne doit à aucune imitation volontaire et servile. […] Ils travaillent pour nous, mais nous sentons pour eux.

890. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VIII. De Platon considéré comme panégyriste de Socrate. »

Nous suivons Socrate de l’œil ; nous ne perdons pas un de ses mouvements, pas un de ses discours ; nous le voyons quand on lui amène ses deux enfants, quand il donne ses derniers ordres pour sa maison, quand il fait éloigner les femmes ; quand ses amis mesurent avec effroi la course du soleil, qui bientôt va se cacher derrière les montagnes, et quand la coupe fatale arrive, et lorsqu’avant de la prendre, il fait sa prière au ciel pour demander un heureux voyage, et l’instant où il boit, et les cris de ses amis dans ce moment, et la douceur tranquille avec laquelle il leur reproche leur faiblesse, et sa promenade en attendant la mort, et le moment où il se couche sur son lit dès qu’il sent ses jambes s’appesantir, et la mort qui monte et le glace par degrés, et l’esclave qui lui touche les pieds que déjà il ne sent plus, et sa dernière parole, et son dernier, et son éternel silence au milieu de ses amis qui restent seuls. […] Je voudrais que sur la pierre noire et brute on eût gravé : « Ici il prit la coupe ; là, il bénit l’esclave qui la lui portait ; voici le lieu où il expira. » On irait en foule visiter ce monument sacré ; on n’y entrerait pas sans une sorte de respect religieux, et toute âme courageuse et forte, à ce spectacle se sentirait encore plus élevée.

891. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Tailhède (Raymond de la) = La Tailhède, Raymond de (1867-1938) »

Ce que j’ai dit des odes, je le dirai mêmement pour les hymnes, n’y ajoutant que ceci : c’est qu’on sent dans ces derniers un souffle plus pindarique encore, et que les clameurs triomphales y retentissent superbement, telles dans ces vers (Hymne pour la Victoire). […] Charles Maurras Je crois qu’on sentira dans ce livre profond et clair : De la métamorphose des fontaines, les deux traits essentiels du génie de M. de La Tailhède : c’est la force lyrique, d’une part, et, d’autre part, un sentiment d’admiration et d’étonnement religieux devant le secret de la nature des choses.

892. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XVI. Consultation pour un apprenti romancier » pp. 196-200

À la vérité, mon maître et ami Oscar Méténier méprise le baccalauréat, mais ne sentez-vous pas une pointe de mélancolie dans son irrespect ? […] Ainsi je me féliciterais que la nature vous ait créé — non seulement narrateur, soit enclin à formuler, pour les sentir plus largement et mieux en détail, les légendes écloses en votre imagination — mais encore, et auparavant, et éminemment voyeur (pour ne pas dire sensuel ou sensible, mots dont la signification s’est trop épandue), oui, regardeur, écouteur, gourmet, nez fin, avec toutes ces particularités compliquées de mémoire (souvenir des paysages, gestes, odeurs, etc.), à seule fin que se manifestent en réalités immédiatement reconnaissables lesdites cérébrales éclosions.

893. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre III. Partie historique de la Peinture chez les Modernes. »

On sent qu’il n’est pas de notre sujet de faire l’histoire complète de l’art. […] Or, il est aisé de prouver trois choses : 1º que la religion chrétienne, étant d’une nature spirituelle et mystique, fournit à la peinture un beau idéal, plus parfait et plus divin que celui qui naît d’un culte matériel ; 2º que, corrigeant la laideur des passions, ou les combattant avec force, elle donne des tons plus sublimes à la figure humaine, et fait mieux sentir l’âme dans les muscles, et les liens de la matière ; 3º enfin, qu’elle a fourni aux arts des sujets plus beaux, plus riches, plus dramatiques, plus touchants, que les sujets mythologiques.

894. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre V. Moralistes. — La Bruyère. »

» La Bruyère dit encore : « Il n’y a pour l’homme que trois événements : naître, vivre et mourir ; il ne se sent pas naître, il souffre à mourir, et il oublie de vivre. » Pascal fait mieux sentir notre néant : « Le dernier acte est toujours sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste.

895. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Paul Nibelle »

Les Légendes de la Vallée 5 se recommandent précisément par ce naturel et cette simplicité qui firent de Sterne un si grand modèle, et il faut remercier le hasard de ce que nous pouvons placer à côté de ce roi des conteurs mélancoliques6 les essais d’un jeune homme qui sent sa vocation littéraire l’entraîner du côté des récits rêveurs et touchants. […] Mais tout cet archaïsme coûte plus qu’il ne vaut même à ceux qui savent y porter des facultés supérieures, et, malgré le succès de ses expériences, on sent la déperdition des forces colossales que le magnétisme du Génie doit employer, comme l’autre magnétisme, pour faire vivre ce qui ne vit plus.

896. (1897) Aspects pp. -215

Il renforcerait son programme de déclarations bien senties. […] Il sent la nature. […] D’autres fois, nous ne le sentons pas agir. […] Quant à ceux qui ne les sentent pas — eh ! […] Elle sent bon la jeunesse.

897. (1896) Les Jeunes, études et portraits

Rien qui sente son pédant. […] Il se sentait différent et supérieur. […] Il s’y sent au surplus mal à l’aise. […] On sent qu’on est en belle compagnie. […] Il sent en lui l’âme de la race.

898. (1913) Le mouvement littéraire belge d’expression française depuis 1880 pp. 6-333

Ils sentaient le besoin d’affiner leurs moyens d’expression ! […] Nous le sentons gêné, incommodé par les turpitudes dont il nous entretient. […] En eux seuls il sent des amis, pour eux seuls il réserve sa tendresse. […] Elle n’entend, ne voit, ne sent autour d’elle que le désir. […] Son œuvre sent bon la vie simple, loyale, fervente.

899. (1899) Arabesques pp. 1-223

Ce furent des instants de lucidité profonde, grâce auxquels je me sentais meilleur et plus fort, — confirmé dans l’idéal que j’ai conçu. […] Il a plu, et l’atmosphère, imprégnée d’humidité, sent le bois pourri. […] Le petit homme sentait bien que ses grisailles faisaient piteuse mine à côté des fresques lumineuses de Michelet. […] Il faut sentir battre son cœur selon le cœur de tous les opprimés. […] La plupart se croient perdus dès qu’ils ne se sentent plus tenus en lisière par les maîtres qu’ils se donnent.

900. (1864) Études sur Shakespeare

De quelque manière qu’il l’ait fait sentira l’offenseur alors en son pouvoir, les besoins de vengeance devinrent réciproques. […] Par quelle atteinte l’ébranlement se fit-il sentir à Shakespeare ? […] Supérieur à tout par la raison, accessible à tout par la sympathie, il ne voit rien qu’il ne le juge, et il le juge parce qu’il le sent. […] Le besoin de la vie de famille s’est-il fait sentir à lui ? […] C’est à l’homme que, malgré les habitudes de son temps, Shakespeare sentit qu’il fallait demander ce grand effet.

901. (1898) La poésie lyrique en France au XIXe siècle

Le jeune homme enthousiaste et la jeune femme se sentirent attirés l’un vers l’autre. […] Mais il aime les lieux communs : il pense, il sent, il s’indigne en commun. […] Ils sentent plus vivement que les autres, ils ont les impressions d’une manière plus aiguë ; mais aussi, au moment même où ils ont les impressions, ils sentent qu’elles leur échappent, ils ont comme le tact immédiat de ce qu’il y a de décevant dans toutes les choses d’ici-bas. […] Si un poète ne sent rien, c’est donc qu’il n’a rien à nous dire, il faut qu’il se taise. L’impassibilité, ce n’est pas la même chose que l’impersonnalité : on peut sentir très vivement, mais sentir, pour ainsi parler, d’une façon générale et sans l’appeler, comme c’était le fait des romantiques, les incidents particuliers de sa biographie.

902. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre III. La Révolution. »

Un homme ayant dit de mon temps : Je crois cela comme article de foi, tout le monde se mit à rire. » En effet, la phrase était provinciale et sentait son vieux temps. […] Il a recours au Christ, le médiateur unique ; il le supplie, il le sent présent, il se trouve par sa grâce justifié, élu, guéri, transformé, prédestiné. […] John Haime a des visions, hurle et croit sentir le diable. […] Chacun sent que « sa maison est son château », et que la loi veille à sa porte. […] Si Pitt sent son droit, il sent aussi celui des autres ; c’est avec cette idée qu’il a remué et manié l’Angleterre.

903. (1846) Études de littérature ancienne et étrangère

On y sent renaître par intervalle le beau génie de la Grèce antique. […] Sénèque et Pétrone se ressemblent : on sent qu’ils datent tous deux du règne de Néron. […] On y sent l’épuisement d’idées, l’espèce d’appauvrissement intellectuel qui caractérise cette époque de l’histoire. […] Milton se sentait inspiré en écoutant l’ami du Tasse. […] Pope méritait et sentait l’amitié.

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