/ 1238
468. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, le 8 décembre 1885. »

… Quel était votre chemin, délicat artiste, subtil et charmeur, caressant, si moderne en vos sensualités et vos mysticismes attifés ; de vous sont les sensations mièvrement féminines, et très nôtres, très actuelles, très parisiennes : des rêveries, des poèmes d’un songe printannier, une chanson de passant, des poèmes d’amours, une fête napolitaine, un soir d’Alsace que vous avez rêvé en votre esprit d’affiné, des danses de bayadères-pierrettes, des soupirs de Madeleines en satins et soies, une sensation ; et quelque action imaginaire et impossible, que l’on suive, yeux demi clos, dans le confort d’une heure joyeuse ; quelque chimérique action où s’enrouleraient les chœurs et les belles cavatines, les marches, les ballets qui de votre pensée diraient mieux les gentillesses, — un moderne opéra, Papagena ou Manon, — les fines émotions d’une vie légère, légèrement créée, — et jamais Wotan, ni Tristan, ni Kundry. […] pécheresses sensations !

469. (1856) Cours familier de littérature. I « Digression » pp. 98-160

Il n’y a pas de langue humaine à la mesure de ces sensations produites par ces jeux de la toute-puissance divine : la masse d’un fleuve à qui son lit manque tout à coup ; la profondeur incommensurable de l’abîme qui l’engloutit ; la pulvérisation en écume par la seule résistance de l’air qu’il écrase en tombant ; la nappe transformée à vue en vapeurs qui se dispersent au vent de leur propre volatilisation, et qui fuient aux quatre coins du ciel comme une volée d’oiseaux gigantesques, ou qui se cramponnent aux flancs perpendiculaires de la montagne, comme des Titans précipités cherchant à se retenir aux corniches du firmament ; les transparences vertes ou azurées des langues d’eau que la rapidité, l’impulsion et le poids du fleuve arqué en pont sur l’abîme, au moment où elles rencontrent tout à coup le vide, semblent cristalliser ; la lumière du soleil levant qui les transperce, et qui s’y fond en mille éclaboussures avec tous les éblouissements du prisme ; le choc en bas, le bruit en haut, l’orage éternel, la transe sublime qui serre le cœur, et qui ne trouve pas même un cri pour répondre à ce foudroiement de l’esprit. […] VIII Et si l’on ajoute à ce spectacle de la cascade de Terni ce grand jour, cette sérénité d’un ciel d’Italie, ces teintes marbrées du rocher, cette atmosphère cristalline, cette douce tiédeur de l’air tournoyant, qui vous baigne voluptueusement de l’haleine des eaux, choses qui manquent toujours aux cascades des Alpes et même du Niagara ; si l’on considère qu’au lieu de se passer dans les gouffres ténébreux de précipices qui bornent la vue et qui l’attristent, la scène se passe en plein espace, en pleine lumière, en face d’un horizon sans bornes, d’un firmament limpide d’où le Créateur semble assister, derrière le cristal infini du ciel, à ce jeu des éléments en fureur, on n’aura plus seulement la sensation d’une catastrophe des eaux, mais celle d’une fête de la nature, à laquelle Dieu permet à l’homme d’assister en l’adorant. […] Il soutenait sa tête pensive ; sa main gauche, comme alanguie par l’excès des sensations, tenait un petit bouquet de pervenche et de fleurs des eaux noué par un fil, que les enfants lui avaient sans doute cueilli, et qui traînait, au bout de ses doigts distraits, dans l’herbe humide.

470. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — I » pp. 249-267

Le raisonneur prétend assigner des règles à la beauté du paysage : « pour qu’un paysage soit beau, il faut que toutes ses parties impriment une idée commune et concourent à produire une même sensation. » Il y a des paysages où, avec de grandes parties, l’impression totale est manquée ; il y en a où, avec les circonstances les plus vulgaires, les plus triviales, l’effet est produit. […] Toutes les réflexions tombent sous la sensation de l’immense, croupes monstrueuses qui s’étalent, gigantesques échines osseuses, flancs labourés qui descendent à pic jusqu’en des fonds qu’on ne voit pas.

471. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — II » pp. 18-34

Il a exprimé en mainte occasion cette sensation diffuse, errante ; il y avait des jours où, dans son amour du calme, il enviait « la vie forte et muette qui règne sous l’écorce des chênes » ; il rêvait à je ne sais quelle métamorphose en arbre ; mais cette destinée de vieillard, cette fin digne de Philémon et de Baucis, et bonne tout au plus pour la sagesse d’un Laprade, jurait avec la sève ardente, impétueuse, d’un jeune cœur. […] La galerie des antiques lui offrait ainsi des moules où il allait verser désormais et fixer sous des formes sévères ou attendries toutes ses sensations rassemblées des bruyères et des grèves.

472. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Émile Zola, l’Œuvre. »

Au fond, il y a de bons et de mauvais romanciers ; et, parmi les bons, il y en a qui expriment surtout le monde extérieur et les sensations, et d’autres qui analysent de préférence les sentiments et les pensées ; et ceux-ci ne sortent pas plus de la réalité que ceux-là. […] Il est très juste de dire que « physiologie, psychologie, cela ne signifie rien », qu’on ne saurait les séparer absolument, et que celle-ci est le prolongement de celle-là (le caractère dépendant du tempérament et quelquefois du milieu, et tout sentiment ayant son point de départ dans une sensation).

473. (1892) L’anarchie littéraire pp. 5-32

Ils ont supprimé tout le verbiage des vieilles littératures au profit de la Sensation et de l’idée : leurs livres sont des quintessences. […] Quoique cela semble incroyable aux reporters grossiers qui n’ont pas leur ténuité de sensation, ils affirment que la couleur des voyelles joue un rôle considérable dans la plupart des phénomènes psychiques.

474. (1874) Premiers lundis. Tome I « Hoffmann : Contes nocturnes »

En un temps où on est las de toutes les sensations et où il semble qu’on ait épuisé les manières les plus ordinaires de peindre et d’émouvoir, en un temps où les larges sentiers de la nature et de la vie sont battus, et où les troupeaux d’imitateurs qui se précipitent sur les traces des maîtres ne savent que soulever des flots de poussière suffocante, lorsqu’on avait tout lieu de croire que le tour du monde était achevé dans l’art, et qu’il restait beaucoup à transformer et à remanier sans doute, mais rien de bien nouveau à découvrir, Hoffmann s’en est venu qui, aux limites des choses visibles et sur la lisière de l’univers réel, a trouvé je ne sais quel coin obscur, mystérieux et jusque-là inaperçu, dans lequel il nous a appris à discerner des reflets particuliers de la lumière d’ici-bas, des ombres étranges projetées et des rouages subtils, et tout un revers imprévu des perspectives naturelles et des destinées humaines auxquelles nous étions le plus accoutumés.

475. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VI. De l’envie et de la vengeance. »

La France ne peut être sauvée que par ce moyen, et les partisans de la liberté, les amateurs des arts, les admirateurs du génie, les amis d’un beau ciel, d’une nature féconde, tout ce qui sait penser, tout ce qui a besoin de sentir, tout ce qui veut vivre, enfin, de la vie des idées, ou des sensations fortes, implore à grands cris le salut de cette France.

476. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dierx, Léon (1838-1912) »

Et le fait est que la sensation d’adieux, qu’éveille sa poésie, oppresse par sa mystérieuse intensité ; le sombre de ses Rimes et de ses Arbres, et de ses Femmes aussi, et de ses Cieux surtout !

477. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Heredia, José Maria de (1842-1905) »

Il a su réduire l’abondance de ses sensations aux strictes cadences d’où naît la splendeur classique.

478. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Merrill, Stuart (1863-1915) »

Presque toujours la construction de la phrase parallèlement à l’ordre des sensations, le rythme, les sonorités de voyelles et de consonnes, tout cela s’unit harmonieusement pour suggérer une image… Le Jeu des épées qui termine la première série des poèmes de M. 

479. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Silvestre, Armand (1837-1901) »

Armand Silvestre est surtout une musique ; comme la musique, elle est perceptible aux sens et à l’âme plutôt qu’à l’entendement ; on dirait que cet artiste s’est trompé sur l’espèce d’instrument que la nature avait préparé pour lui : il semblait fait pour noter ses sensations et ses rêves dans la langue de Schumann, et M. 

480. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre VII. L’Histoire de la Physique mathématique. »

La loi suivant laquelle cette force varie en fonction de la distance n’est peut-être pas la loi de Newton, mais c’est une loi analogue ; au lieu de l’exposant −2, nous avons probablement un exposant différent, et c’est de ce changement d’exposant que sort tout la diversité des phénomènes physiques, la variété des qualités et des sensations, tout le monde coloré et sonore qui nous entoure, toute la Nature en un mot.

481. (1912) L’art de lire « Chapitre VII. Les mauvais auteurs »

Elles donnent le goût du beau à ceux qu’elles ont intéressés, et ils ne songent plus qu’à retrouver des sensations d’art analogues à celles qu’ils ont éprouvées en lisant Horace, Virgile, Corneille et Racine, et c’est pour cela, disons-le en passant, qu’il faut toujours, au lycée, amener l’élève jusqu’aux auteurs presque contemporains, pour que, entre les grands classiques et les bons auteurs de leur siècle, il n’y ait pas une grande lacune qui les ferait désorientés en face des bons auteurs de leur siècle et qui les empêcherait de les goûter, par où ils seraient de ces humanistes qui ne peuvent entendre que les auteurs très éloignés de nous, gens respectables et peut-être même enviables, mais qui sont privés de grandes et saines jouissances.

482. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XVI »

Albalat aurait dû s’appuyer sur une base absolument psychologique pour ensuite tenter de nous montrer comment les sensations arrivent à s’incarner, visuelles quand même, à travers les sons du Verbe humain, groupés en tous sens au hasard des mots et des comparaisons.‌

483. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Les dîners littéraires »

Mais que nous le disions, nous, ici, que nous disions tristement, car c’est une chose fort triste, que l’intelligence de tout un pays est en danger de s’atrophier sous les sensations dont on l’enivre depuis trente années, et que déjà ce qu’il y avait dans cette intelligence de plus charmant, de plus fin et de plus sonore, — l’esprit, ce chant et ce coup de bec du colibri ! 

484. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paria Korigan » pp. 341-349

Il a réussi, comme réussiront toujours les livres vrais dans les sociétés décadentes qui meurent de leurs mensonges, chez qui la langue littéraire est usée à force d’avoir servi, et où les esprits, brûlés par les piments d’une littérature à ses dernières cartouches et à ses dernières balles mâchées, reviennent aux livres qui apportent la sensation rafraîchissante du naturel, du primitif et du simple… Bien avant Cladel, madame George Sand avait eu l’idée de cette littérature de terroir ; mais elle ne pouvait y entrer que comme un bas-bleu qu’elle était, un bas-bleu armé de toutes pièces prises à l’arsenal de toutes les bêtises philosophiques, philanthropiques et démocratiques de ce temps, et gâtant tout de son bas-bleuisme et de ses préfaces explicatives.

485. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — IV »

Taine, qui croyait que par un effort de l’intelligence individuelle on saisit les lois des choses, n’a fait que raisonner et organiser des sensations qui, des cénacles romantiques jusqu’aux brasseries de Montmartre, ont été éprouvées et exprimées par tous les artistes, par les plus minables et par les plus hauts, par les rapins de Murger et par le jeune Ernest Renan.‌

486. (1890) Les romanciers d’aujourd’hui pp. -357

Vous devez confondre avec la sensation dont il est le réflexe. […] Mais ici les distinctions s’établissent d’elles-mêmes, le fonds d’idées, de sentiments et de sensations, variant avec chacun. […] » C’est en effet là tout le livre : des sensations, des sentiments, des idées, passant, comme des ombres, en des paysages mystérieux et effacés, paysages de rêve, dont quelques-uns, pour la sobriété des lignes et l’infini des perspectives, sont littérairement incomparables. […] Quand le public est à bout d’une veine, disait Sainte-Beuve, il aime à en changer et il adopte vite les auteurs à qui il est redevable d’une série de sensations nouvelles. […] Enfin, pour exprimer ces sensations anormales, ces nuances infinies de la pensée et du sentiment, les mots usuels ne suffisent plus.

487. (1925) Comment on devient écrivain

Tout livre est susceptible de donner une sensation ; cette sensation diffère suivant les lecteurs. […] C’est la force de la sensation qui crée la force de l’expression. […] Les symbolistes s’efforçaient de traduire les infinies nuances de l’émotion ou de la sensation. […] Une copie sur nature ne doit être ni longue ni exagérée et donner la sensation exacte de la vie. […] Carlyle a donné le premier la sensation tumultueuse de la Révolution.

488. (1902) La poésie nouvelle

Plutôt encore, c’est l’expression très exacte de sensations complexes, intenses, toutes chaudes, si vivement rendues qu’elles semblent là frémissantes encore et non figées dans le déguisement de la phrase.‌ […] Le monde est, pour lui, l’agrégat de nos sensations, et il ne s’interroge pas sur le rapport de cette représentation avec la réalité, parce qu’il n’imagine pas d’autre réalité que celle de nos sensations. […] Mais le poète ne doit pas seulement accueillir l’incessant afflux des sensations ; il doit ensuite réagir, afin de ne point laisser s’éparpiller en vain les éléments divers de sa vision. […] La sensation, dans son intime spontanéité, n’est-elle pas le plus essentiel, le plus réel et par conséquent le plus général des phénomènes psychologiques ; il y a là, en quelque sorte, un absolu que nulle contingence ne détermine ou n’avilit. […] En effet, les commentaires ne peuvent que donner un caractère personnel à cette « sensation franche » qui, telle quelle, est largement humaine.

489. (1888) Études sur le XIXe siècle

Or, par sa nature même, elle est incapable de traduire les sensations et les sentiments autrement que dans leur essence la plus abstraite. […] Mais si des arts différents ne peuvent être confondus, ils ont tout intérêt à être réunis en vue d’effets communs : et cette réunion est surtout indiquée pour la musique et la poésie qui ont toutes deux pour but essentiel l’expression des sentiments et des sensations. Il va de soi que la fusion des deux arts aura pour premier résultat de les modifier l’un et l’autre, surtout quand leur moule commun sera le drame lyrique dans lequel les sensations et les sentiments qu’elles ont à exprimer sont incarnés en des personnages déterminés. […] » Cette soudaineté de la sensation, immédiatement suivie d’une résolution qui s’exécute aussitôt, n’est pas un trait de notre âge. […] La nature extérieure n’est pas pour lui comme elle est pour beaucoup d’autres, le grand Tout dont l’homme n’est qu’une parcelle, qui le domine, qui lui impose ses sensations, qui tyrannise sa volonté, — décor immense dans lequel se fond tout le théâtre.

490. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIe entretien. Sur la poésie »

III L’homme sensitif et pensant est un instrument sonore de sensations, de sentiments et d’idées. […] V Mais comment l’homme discerne-t-il, nous dit-on encore, ce qui doit être parlé ou ce qui doit être chanté dans les sensations ou dans les sentiments qui l’émeuvent ?

491. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre I. La littérature sous Henri IV »

Il a et il donne par le physique la sensation du moral : il saisit au vol le geste ou l’accent significatifs d’un caractère ou d’une profession. […] Réminiscence, hérédité, l’antiquité, l’Italie, la France, tout cela se mêle pour former la substance de ce sain et robuste talent, qui ne saura fausser ni forcer sa sensation.

492. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Jules de Glouvet »

. : a-t-on la sensation de la Loire ? Dans le Forestier, toute la forêt nous est expliquée, et les mœurs et les métiers de ses habitants : a-t-on la sensation de la forêt ?

493. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Doyen » pp. 178-191

Si vous eussiez consulté ces gens à petit goût raffiné qui craignent des sensations trop fortes, vous eussiez passé la brosse sur votre frénétique qui s’élance de l’hôpital, sur ce malade qui se déchire les flancs au pied de votre massif ; et moi j’aurais brûlé le reste de votre composition, j’en excepte toutefois la femme au chapelet, à qui que ce soit qu’elle appartienne. […] Voilà l’avantage de l’homme retiré dans la solitude, il se parle, il s’interroge, il s’écoute et s’écoute en silence, sa sensation secrète se dévelope peu à peu, et il trouve les vraies voix qui dessillent les yeux des autres, et qui les entraînent.

494. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Henri Heine »

C’est un livre éblouissant d’épigrammes et de sensations, — mais, puisqu’il s’agissait d’être historien et même juge dans ce coup d’œil jeté sur l’Allemagne, il fallait autre chose, on en conviendra, que des épigrammes au phosphore, pour faire oublier le livre de madame de Staël ! […] Deux négations valent une affirmation en grammaire, mais, métaphysiquement parlant, une affirmation et une négation combinées ne peuvent guère donner pour résultat que du scepticisme, et effectivement, sous les girandoles allumées de la brillante imagination de Heine et sous les sensations très vives qu’il exprime, on n’a conscience que d’un scepticisme de poète qui s’agite dans l’image et ne creuse pas jusqu’à l’idée.

495. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre II. De la philosophie. »

C’est là que le gouvernement de soi exige une main plus assurée ; mais dans la retraite, le philosophe n’a de rapports qu’avec le séjour champêtre qui l’environne, et son âme est parfaitement d’accord avec les douces sensations que ce séjour inspire, elle s’en aide pour penser et vivre.

496. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 1. Éléments et développement de la langue. »

Création spontanée du peuple, elle est à son image et pour son besoin : langue de la vie quotidienne, de l’usage pratique et de la sensation physique, langue de rudes soldats, de forts paysans, qui ont peu d’idées et ne raisonnent guère.

497. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre III. Buffon »

D’autres ont pu peindre quelques apparences de la nature ; ils ont offert à nos sensations quelques formes particulières, éparses dans l’immensité de l’espace et de la durée, et qui s’assortissaient à la qualité de leur âme.

498. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « George Sand. »

Leur manie d’analyse, leur peur d’être dupes, et peut-être un appauvrissement du sang les ont rendus incapables d’aimer et réduits à la recherche maladive des sensations rares.

499. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 372-383

La plupart des Grands, sans en excepter les Princes, semblables à ces arbres nés dans le silence, & accrus à l’ombre des forêts, vivent & meurent sans que leur existence & leur chute fassent une sensation & un vide dans le monde : il n’en est pas de même de l’homme qui a su se rendre utile par ses lumieres ou ses talens ; il est connu par-tout où ses Ouvrages pénetrent ; & plus ou moins honoré de ses Contemporains, selon qu’il s’est montré plus ou moins supérieur dans le genre qu’il a embrassé, il peut se flatter d’exister encore avec honneur dans la mémoire des générations futures.

500. (1898) Inutilité de la calomnie (La Plume) pp. 625-627

Une conception fantastique, des sensations souvent fausses, de dangereuses maximes répandues, me causèrent de l’antipathie.

501. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — Les inscriptions des monumens publics de France doivent-elles être écrites en Latin ou en François. » pp. 98-109

Mais en est-il une dans le monde, qui puisse exprimer toute la variété de nos idées & de nos sensations, toutes les nuances dont elles sont susceptibles ?

502. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 2, de l’attrait des spectacles propres à exciter en nous une grande émotion. Des gladiateurs » pp. 12-24

Voilà pourquoi la plûpart des hommes sont assujettis aux goûts et aux inclinations qui sont pour eux des occasions frequentes d’être occupez agréablement par des sensations vives et satisfaisantes.

503. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Léon Bloy »

… Seulement, s’ils en commencent la lecture et qu’ils se retournent de cette lecture vers les livres de cette époque de puéril et sot bibelotage, auront-ils la sensation de l’amincissement universel qui veut nous faire disparaître dans le néant, ce paradis des imbécilles… Et c’est toujours au moins cela pour le compte et la gloire de la vérité.

504. (1834) Des destinées de la poésie pp. 4-75

C’est à la fois sentiment et sensation, esprit et matière, et voilà pourquoi c’est la langue complète, la langue par excellence qui saisit l’homme par son humanité tout entière, idée pour l’esprit, sentiment pour l’âme, image pour l’imagination, et musique pour l’oreille ! […] Voilà pourquoi aussi l’homme ne peut ni produire ni supporter beaucoup de poésie ; c’est que le saisissant tout entier par l’âme et par les sens, et exaltant à la fois sa double faculté, la pensée par la pensée, les sens par les sensations, elle l’épuise, elle l’accable bientôt comme toute jouissance trop complète d’une voluptueuse fatigue, et lui fait rendre en peu de vers, en peu d’instants, tout ce qu’il y a de vie intérieure et de force de sentiment dans sa double organisation. La prose ne s’adresse qu’à l’idée ; le vers parle à l’idée et à la sensation tout à la fois.

505. (1856) La critique et les critiques en France au XIXe siècle pp. 1-54

Les philosophes de la sensation ne pouvaient rejeter une doctrine empirique. […] L’Angleterre elle-même, le pays de Bacon, semblait ne plus se contenter des théories littéraires fondées sur la sensation pure. […] Le beau, comme le vrai et le bien, n’est plus le produit d’une sensation individuelle et variable.

506. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre II. Le comique de situation et le comique de mots »

Et nous pourrons vérifier sur eux la loi que nos précédentes analyses nous laissaient prévoir, loi par laquelle nous définirons les situations de vaudeville en général : Est comique tout arrangement d’actes et d’événements qui nous donne, insérées l’une dans l’autre, l’illusion de la vie et la sensation nette d’un agencement mécanique. […] » nous donne la sensation très nette d’un ressort qui part. […] Nous pouvons aussi bien rester extérieurs à ce qui se passe, pourvu que nous conservions la sensation bien nette d’un agencement mécanique.

507. (1927) Approximations. Deuxième série

Mais dès ces deux premiers recueils la sensation manifestait une force de propulsion si tyrannique, si contagieuse, que nous oubliions dans l’émoi de la sensation elle-même l’image qui pourtant lui servait de héraut, — perdus et entraînés à la fois dans ce trouble bondissant auquel le génie de Mme de Noailles allait conférer de plus en plus une exceptionnelle valeur esthétique. […] Telles les images et les sensations dans les deux premiers livres de Gérard d’Houville. […] Ne croyez pas que pour préparer ces mets l’auteur ait cherché loin, ait forcé son esprit : aucun trajet intellectuel n’a été parcouru : simplement à vivre les unes avec les autres dans ce bain prolongé, telles sensations ont reconnu leurs affinités et les déclarent. […] Car cette sensation des hasards, les livres de Proust la communiquent au suprême degré. […] Pourtant il a maintenant la sensation d’une sorte d’échec, et qu’il ne pouvait rien faire pour éviter.

508. (1887) George Sand

C’est alors qu’elle devint tout à fait poète par la tournure de son esprit et par la sensation aiguë des choses extérieures, mais poète sans s’en apercevoir, sans le savoir. […] La jeune rêveuse ne put échapper à ce double péril : elle passa tour à tour de l’enthousiasme qui confond tout à l’enthousiasme qui s’attache exclusivement à une pensée ou à un nom, tout cela au gré de la sensation présente ou du caprice de l’imagination. […] On avait aperçu, parmi les premières lignes, quelques mots de funeste augure, je ne sais quelle théorie de la connaissance, de la sensation et de leur rapport qui est le sentiment, et l’on tremblait que M.P. […] Par cette communauté de sensations, elle s’était faite elle-même la sœur des petits paysans qui avaient été pendant de longs mois sa compagnie vagabonde et qui, depuis, avaient grandi. […] Mais une grande sagesse nous sauve ; nous savons nous dire : « Eh bien, quand nous ne serions absolument que des instruments, c’est encore un joli état et une sensation à nulle autre pareille que de se sentir vibrer… » Laissez donc le vent courir un peu dans vos cordes.

/ 1238