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875. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIVe entretien. Cicéron (3e partie) » pp. 257-336

« Dans mes quatre livres Académiques, je leur ai montré quelle sorte de philosophie me semblait la moins arrogante, la plus positive et la plus propre à former le goût. […] « Car enfin j’opinais, je haranguais encore dans mes livres, et l’étude de la philosophie me semblait une nouvelle charge qui remplaçait pour moi le gouvernement de la république. […] La meilleure forme de gouvernement lui semble en définitive celle qui, en combinant ces trois modes, a les avantages de tous sans avoir les inconvénients de chacun. […] Lorsque je pus me recueillir : Quelle est donc, demandai-je à mon père, quelle est cette harmonie si puissante et si douce au milieu de laquelle il me semble que nous soyons plongés ? […] Mais, si la terre te semble petite, comme elle l’est en effet, relève tes yeux vers ces régions célestes, méprise toutes les choses humaines.

876. (1890) L’avenir de la science « III » pp. 129-135

Il sera nécessairement étroit, s’il ne semble contradictoire. […] On ne tardera point, ce me semble, à reconnaître que la trop grande précision dans les choses morales est aussi peu philosophique qu’elle est peu poétique. […] Il semble donc plus commode de chercher et à la connaissance et à la morale et à la politique une base extérieure à l’homme, une révélation, un droit divin. […] L’histoire semble élever contre la science, la critique, le rationalisme, la civilisation, termes synonymes, une objection qu’il importe de résoudre. […] Il semble qu’on admette tacitement que l’humanité primitive vivait sous d’autres lois que les nôtres.

877. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1884 » pp. 286-347

Son âme me semble aussi sèche que sa prose. […] Et tard, bien tard, très tard, quand je me lève pour aller manger, mal éveillé, quelque chose dans un restaurant quelconque de Paris, il me semble à moi-même, que je suis un somnambule qui dîne. […] Les années de choléra, j’ai été frappé par un certain bleu neutralteinte, bleu violacé, qu’il me semble retrouver dans le ciel, cet an. […] J’arrive à cette triste habitation, à cette maison qui m’a toujours semblé une maison de malheur. […] C’est curieux, le côté laidement vieux de ces petites filles, elles semblent avoir été conçues dans l’ivresse du vin, les batteries de l’amour, la folie bestiale d’un rut alcoolisé.

878. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1886 » pp. 101-162

Un pastiche du plus grand talent, presque de génie, son plafond de la Païva, qui semble le plafond de la « Venise Triomphante » copié par un Lemoine. […] La rue, qui mène chez un mort, ne semble plus la rue, que vous preniez pour aller chez lui, quand il était vivant, elle n’a plus le même aspect. […] » Et Daudet ajoute : « Cet homme sans tenue, se livrant à ce débordement canaille, était superbe. » Puis un moment, absorbé dans le souvenir de la beauté du jour, de la grandeur du paysage, de la sérénité des choses, Daudet dit, qu’au milieu de cela, ces deux êtres, avec leurs mouvements désordonnés pour se tuer, lui semblaient tragiquement comiques. […] Hier les acteurs troublés par la présence de Mme Daudet, ont très mal joué, et la scène de Mme Bourjot avec son amant, et la scène du père Mauperin avec Denoisel, ont paru longues, si longues, que tout le monde semblait désespéré, et Porel plus que les autres. […] Cette humanité peinte me semblait une figuration d’hommes et de femmes, ayant la jaunisse dans la demi-nuit d’une cave.

879. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

La Justice, le Bonheur, les deux plus hautes aspirations de l’âme humaine, et dont la Nature semble s’inquiéter le moins, voilà ce qu’il a chanté, — et parfois un peu trop étudié en vers. […] Le propre de la pensée vraiment poétique, c’est, en quelque sorte, de déborder le vers, dont la mesure ne semble lui avoir été imposée que pour limiter en elle ce qui seul peut l’être, la forme, non le fond. […] La sienne en a la pureté de lignes et l’immobile majesté ; ses strophes semblent se détacher sur un fond que rien n’émeut ; ainsi la lumière fait ressortir la blancheur dure et lisse du marbre. […] Cette description, savante et précise dans ses moindres détails, semble d’abord n’avoir d’autre but qu’elle-même ; vous la croiriez faite uniquement pour montrer le talent du peintre, qui, certainement, s’y oublie. […] Voir à travers le souvenir, c’est voir à travers un rayon de lumière : tout semble devenir transparent, s’éclaire, se transfigure ; pourtant rien n’est changé à la réalité, rien, sinon peut-être qu’on en saisit mieux le vrai sens.

880. (1889) La bataille littéraire. Première série (1875-1878) pp. -312

Elle semblait jouer avec lui pour l’amuser. […] Sa tête lui semblait à la fois lourde et vide. […] Le barine semblait se dire : « Ah ! […] Tous ces gens semblaient en vouloir au duc de sa mort comme d’un abandon. […] Il me semble qu’il y a de très belles pages.

881. (1895) Les mercredis d’un critique, 1894 pp. 3-382

Faire de l’art un commerce lui semblait indigne de l’art. […] “À une autre… La tumeur… vite…” La pendule même semble pressée. […] Elle semblait contente. […] La main tremble de plus en plus et semble commencer à refuser de se prêter plus longtemps à l’exercice. […] Il me semble que je lui manque, en étant autrement, que je lui dérobe quelque chose de ce qui lui revient.

882. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome I

Au premier regard, de telles rencontres semblent incohérentes. […] Son masque est plus fouillé, ou, du moins, nous semble tel. […] Ces constats vous semblent poser un problème ? […] Ils semblent contradictoires, mais, à l’expérience, ils coexistent. […] Cela semble impossible.

883. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Histoire littéraire de la France. Ouvrage commencé par les Bénédictins et continué par des membres de l’Institut. (Tome XII, 1853.) » pp. 273-290

Ellies Du Pin, lequel avait fait des compilations honorables et commodes, mais où il y avait du léger et de l’inexact plus qu’il ne semblait. […] Dom Rivet employait à un travail, qui eût semblé ingrat et aride à d’autres que lui, de longues heures, régulièrement commencées, interrompues et terminées par la prière. […] Un inconvénient, en effet, d’une histoire littéraire ainsi composée, c’est que le caractère personnel des rédacteurs, leur talent doit s’effacer pour ne laisser paraître et se développer que leur savoir, leurs recherches, et les résultats qui en ressortent : tout ce qui serait une vue un peu vive, une idée neuve un peu accusée, tout ce qui aurait un cachet individuel trop marqué semblerait jurer avec la circonspection et la méthode de l’ensemble. […] Au premier abord, le Roman de Renart ne semble guère autre chose qu’une fable de La Fontaine en plusieurs volumes ; mais il y a plus et mieux, il y a pis. […] On a beaucoup discuté pour en retrouver les origines et les premières rédactions en diverses langues : l’Allemagne du Nord et la Flandre semblent avoir des droits ; la France du Nord pourrait aussi soutenir des prétentions.

884. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — II. (Fin.) » pp. 364-380

Au moment où le roman semble tourner au drame, on n’a encore que de l’analyse. […] Les pièces de Marivaux semblent faites pour tenter ainsi et susciter, de temps à autre, des acteurs et des actrices qui cherchent la distinction, et qui sont destinés aux caractères fins et de bonne compagnie. […] c’est ce que toute l’action semble dire. […] Tout va à merveille tant que les deux sincères ne le sont qu’à l’égard d’autrui et non vis-à-vis l’un de l’autre : mais Ergaste se hasarde trop en croyant qu’il peut, sur les questions de la marquise, lui avouer qu’il a aimé Araminte presque autant qu’elle, et convenir qu’Araminte, à la vérité, lui semble plus belle, bien que la marquise plaise davantage ; il ne réussit lui-même qu’à déplaire. […] Ce prélat parla, ce me semble, assez bien de Marivaux ; il le loua d’abord, non pas tant pour ses écrits que pour son caractère : « Ce n’est point tant à eux, dit-il, que vous devez notre choix, qu’à l’estime que nous avons faite de vos mœurs, de votre bon cœur, de la douceur de votre société, et, si j’ose le dire, de l’amabilité de votre caractère. » En venant aux ouvrages, il s’exprime plutôt comme par ouï-dire, afin de n’avoir point, lui homme d’Église, à se prononcer directement en ces matières légères de roman et de théâtre : « Ceux qui ont lu vos ouvrages racontent que vous avez peint sous diverses images, etc.

885. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Eugénie de Guérin, Reliquiae, publié par Jules Barbey d’Aurevilly et G.-S. Trébutien, Caen, imprimerie de Hardel, 1855, 1 vol. in-18, imprimé à petit nombre ; ne se vend pas. » pp. 331-247

Ce morceau capital, intitulé Le Centaure, révélait une nature de talent si neuve, si puissante, si vaste, que le mot de génie semblait naturellement s’y appliquer. […] Il me semble voir un Océan couvert de vaisseaux démâtés, dévoilés, faisant eau de toutes parts : ainsi m’apparaît le monde. […] Je veux que mon frère guérisse ; c’est là mon fonds, mais un fonds de confiance et de foi, et de résignation, ce me semble. […] Il me semble que je vous aime, disait le timide Pierrey ; — mais pas comme Jean, qui s’endormait sur votre cœur. […] Il me semble que je vous aime, comme disait le timide Pierre ; z.

886. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — II » pp. 231-245

Après quelques instants de contemplation, il tourne par hasard les yeux vers le ciel, et à cet aspect qui lui est si familier et qui pour l’ordinaire le frappait si peu, il reste saisi d’admiration, il croit voir pour la première fois cette voûte immense et sa superbe parure… Ici toute une description encore : spectacle des cieux, le couchant enflammé, la lune qui se lève à l’orient, les astres innombrables qui roulent en silence sur nos têtes, l’étoile polaire qui semble le pivot fixe de toute la révolution céleste ! […] Il a cru ce jour-là par le cœur, et il n’a rien voulu ajouter qui démentît ou affirmât cet acte de foi et d’effusionz. — Telle est du moins mon impression, qui s’accorde assez bien, ce me semble, avec l’interprétation de M.  […] » À l’instant saisissant la statue, il la renversa sans effort, et montant sur le piédestal avec aussi peu d’agitation, il semblait prendre sa place plutôt qu’usurper celle d’autrui. […] Il n’a pas écrit (même page) : « Mes travaux passés me semblent tellement étrangers à moi que, quand j’en retire la prise, il me semble que je jouis du travail d’un autre. » C’est le prix qu’il faut lire.

887. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Les Saints Évangiles, traduction par Le Maistre de Saci. Paris, Imprimerie Impériale, 1862 »

On reprochait à Aristote d’avoir secouru un homme qui ne le méritait pas : « Ce n’est pas l’homme que j’ai secouru, répondit-il, c’est l’humanité souffrante. » L’imagination de Platon avait fait plus et semblait s’être portée spontanément au-devant du christianisme : on le voit, dans un de ses dialogues, se plaire à figurer en face du parfait hypocrite, honoré et triomphant, le modèle de l’homme juste, simple, généreux, qui veut être bon et non le paraître : « Dépouillons-le de tout, excepté de la justice, disait un des personnages du dialogue, et rendons le contraste parfait entre cet homme et l’autre : sans être jamais coupable, qu’il passe pour le plus scélérat des hommes ; que son attachement à la justice soit mis à l’épreuve de l’infamie et de ses plus cruelles conséquences et que jusqu’à la mort il marche d’un pas ferme, toujours vertueux, et paraissant toujours criminel… Le juste, tel que je l’ai représenté, sera fouetté, mis à la torture, chargé de fers ; on lui brûlera les yeux à la fin, après avoir souffert tous les maux, il sera mis en croix… » C’est une vraie curiosité que ce passage de Platon, et même, à le replacer en son lieu et à n’y chercher que ce qui y est, c’est-à-dire une supposition à l’appui d’un raisonnement, sans onction d’ailleurs et sans rien d’ému ni de particulièrement éloquent, ce n’est qu’une curiosité. […] Et pour revenir à notre objet d’aujourd’hui, à la lecture d’un des Évangiles, je rappellerai l’excellente remarque de Pascal jugeant des paroles et discours de Jésus : « Jésus-Christ a dit les choses grandes si simplement qu’il semble qu’il ne les a pas pensées ; et si nettement néanmoins, qu’on voit bien ce qu’il en pensait. […] Il me semble que sur ce terrain on est d’accord avec tous ; et après avoir dit ce qui est hors de contestation, on me permettra de citer ici un portrait de Jésus qui, tout apocryphe qu’il est, doit être ancien et qui résume du moins l’idée que la tradition avait transmise de cette vénérable figure. […] L’arbre du christianisme et particulièrement de la Catholicité, planté au centre sur l’une des collines de Rome, et qui semblait hériter dès lors d’une première éternité, s’accrut entre tous, s’étendit dans tous les sens et domina : les ouragans même, les bouleversements politiques qui semblaient devoir l’ébranler et le renverser, le fortifièrent, et la barbarie le consolida.

888. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Poésies, par Charles Monselet »

Il semble qu’en avançant dans la vie, le poète ait renoncé à souffrir ou qu’il en ait honte ; lui-même il nous le dit : J’aurais pu souffrir davantage ; Mais, de bonne heure, plein d’orgueil, J’eus toujours le rare courage De cacher les pleurs de mon œil. […] Sa lutte avec Voltaire, j’en conviens, semble aujourd’hui, et à la voir d’un peu loin, son plus beau côté ; elle suppose un certain courage. […] Il a fait de Fréron le fils, le proconsul, le roi de la jeunesse dorée, l’amoureux évincé d’une future princesse, une esquisse vivante, rapide, et qui semble une page arrachée d’un Gil Blas moderne. […] Berchoux y est remis à sa place pour ce poëme trop vanté de la Gastronomie, qui semble avoir été « composé en face d’un verre d’eau sucrée. » Il n’y a guère, en effet, que la forme de gastronomique dans ce badinage. […] Le goût des livres et de l’érudition semble vouloir prendre le dessus en lui avec les années ; c’est bon signe : qu’il ait un jour le plat du milieu, le livre solide et de résistance, tous ses hors-d’œuvre y gagneront19.

889. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LE COMTE MOLÉ (Réception à l’Académie.) » pp. 190-210

Ils appartiennent, au moins depuis quelques années, à des systèmes opposés et qui se sont combattus ; l’origine de leurs idées semblait les destiner à se combattre bien plus nettement encore. […] « Mais il me semble, répliqua M. d’Andilly un peu fièrement, qu’il n’avait pour cela qu’à parler la langue de sa maison. » A la modestie de M. […] Dupin, j’aime à me rappeler un mot qui aurait semblé parfait, s’il avait été moins accompagné : « Vous avez fait comme nous, monsieur, vous avez commencé. » — Cependant les temps étaient devenus meilleurs ; la société entière renaissait. […] Molé, il me semblait reconnaître une teinte marquée de cette époque qui se réfléchissait dans son discours ; c’était un certain accent de doctrines religieuses, sociales, conservatrices, réparatrices. […] Il semblait que la société voulût refaire par lui sa rhétorique.

890. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — II »

La douleur est superstitieuse ; l’âme, en ses moments extrêmes, a de singuliers retours ; elle semble, avant de quitter cette vie, s’y rattacher à plaisir par les fils les plus déliés et les plus fragiles. […] La poésie de Racine élude les détails, les dédaigne, et quand elle voudrait y atteindre, elle semble impuissante à les saisir. […] Il résulte de cette perpétuelle nécessité de noblesse et d’élégance que s’impose le poëte, que lorsqu’il en vient à quelques-unes de ces parties de transition qu’il est impossible de relever et d’ennoblir, son vers inévitablement déroge, et peut alors sembler prosaïque par comparaison avec le ton de l’ensemble. […] Du temps de Racine, Fénelon, son ami, son admirateur, et qui semble un de ses parents les plus proches par le génie, écrivait de Molière : « En pensant bien, il parle souvent mal. […] En somme, et ceci soit dit pour dernier mot, il y aurait injustice, ce me semble, à traiter Racine autrement que tous les vrais poëtes de génie, à lui demander ce qu’il n’a pas, à ne pas le prendre pour ce qu’il est, à ne pas accepter, en le jugeant, les conditions de sa nature.

891. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Millevoye »

De tous les jeunes poëtes qui ne meurent ni de désespoir, ni de fièvre chaude, ni par le couteau, mais doucement et par un simple effet de lassitude naturelle, comme des fleurs dont c’était le terme marqué, Millevoye nous semble le plus aimé, le plus en vue, et celui qui restera. […] Les Discours en vers de Millevoye, ses Dialogues rimés d’après Lucien, ses tragédies, ses traductions de l’Iliade ou des Églogues selon la manière de l’abbé Delille, nous semblent, chez lui, des thèmes plus ou moins étrangers, que la circonstance académique ou le goût du temps lui imposa, et dont il s’occupait sans ennui, se laissant dire peut-être que la gloire sérieuse était de ce côté. […] Les poëtes particulièrement (notons ceci) sont très-sujets à rencontrer d’honnêtes personnes, d’ailleurs instruites et sensées, mais qui ne semblent occupées que de les détourner de leur vrai talent. […] En refaisant le Poète mourant dans de grandes proportions lyriques et avec le souffle religieux de l’hymne, l’auteur des secondes Méditations semble avoir pris soin lui-même de manifester toute notre idée et de consommer la comparaison. […] Millevoye s’était marié dans son pays vers 1813 ; époux et père, sa vie semblait devoir se poser.

892. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre 2. La littérature militante »

Si quelque partie de la littérature devait souffrir de l’ardeur des discordes civiles, c’était, semble-t-il, la poésie, et pourtant il est vrai qu’elle leur doit quelques-unes de ses meilleures œuvres. […] Voici que pour la première fois l’éloquence politique semble se constituer chez nous, par la coïncidence heureuse du retour à l’antiquité, qui offre les grands modèles, et d’un demi-siècle de discordes, qui, affaiblissant le pouvoir central, ouvrent aux divers corps de l’État la liberté de la parole218. […] Il concevait la tolérance religieuse, en bon Français comme une nécessite politique, en bon chrétien comme un commandement de l’Évangile : les événements du siècle lui semblaient en donner la démonstration expérimentale, et il ne cessa de la prêcher, aux Rois, aux États, aux Parlements : c’était l’unique moyen de rétablir la paix sociale et de maintenir l’unité du royaume, disait-il quarante ans presque avant l’édit de Nantes. […] Les troubles des minorités sembleront réveiller l’éloquence politique : ils seront trop vite apaisés pour qu’elle ait le temps de renouer sa tradition et de produire des chefs-d’œuvre ; nous ne la retrouverons qu’au bout de deux siècles, quand la royauté absolue croulera. […] Mais il dut son succès précisément à ce qu’il vint à son heure, lorsque tout le monde était disposé à le goûter, à ce qu’il exprimait des idées qu’il commençait à être inconvenant de ne pas partager : il plaidait une cause gagnée, mais si récemment gagnée qu’un plaidoyer ne semblait pas encore superflu.

893. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre III. Madame de Staël »

Les Suisses, en contact avec la France, avec l’Italie, avec l’Allemagne, qui les conduit à l’Angleterre, semblent avoir des facilités et des aptitudes particulières pour comprendre les formes d’esprit de ces quatre nations : ils ont l’intelligence naturellement cosmopolite. […] Necker devient le héros de la Révolution française, le centre où tout se ramène ; et quand elle veut raconter son rôle, elle se trouve conduite à faire l’histoire de l’Europe, de Louis XVI à Napoléon : cette substitution de sujets lui semble nécessaire. […] Nous voici conduits au principe nouveau, large, fécond, dont Mme de Staël a voulu donner la démonstration par son livre, et qui contient tout le développement postérieur de la critique : « Je me suis proposé, dit-elle, d’examiner quelle est l’influence de la religion, des mœurs, des lois sur la littérature, et quelle est l’influence de la littérature sur la religion, les mœurs et les lois… Il me semble que l’on n’a pas suffisamment analysé les causes morales et politiques qui modifient l’esprit de la littérature… En observant les différences caractéristiques qui se trouvent entre les écrits des Italiens, des Anglais, des Allemands et des Français, j’ai cru pouvoir démontrer que les institutions politiques et religieuses avaient la plus grande part à ces diversités constantes. » Il semble qu’elle ne tienne pas trop, pour la poésie, à sa doctrine du progrès, et qu’elle se contente de constater des différences : si c’est sa pensée, la correction est heureuse. […] Dès lors, la rupture est certaine quoique dans sa Littérature (1800) elle semble mêler encore les avances aux allusions malignes.

894. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les deux Tartuffe. » pp. 338-363

Et, à sa deuxième rencontre, quand il veut lever les scrupules d’Elmire, la jolie leçon de casuistique, leçon qui semble une dérision préméditée et presque une « blague » de la casuistique même ! […] La question eût semblé étrange à Molière. […] Enfin il semble qu’il ait voulu surtout nous rendre sensible cette idée, que Tartuffe se perd parce qu’il aime. […] Vous irez visiter, pour votre bienvenue, Madame la Baillive et Madame l’Élue Qui d’un siège pliant vous feront honorer… Bref, c’est du hobereau peut-être autant que du saint homme que le bourgeois Orgon semble s’être entiché ; et cette croyance à la « qualité » de Tartuffe achève d’expliquer l’ascendant que Tartuffe a pris sur lui. […] Quant au petit cours de casuistique que Tartuffe fait à Elmire, dans leur second tête-à-tête, pour lever les scrupules qu’elle lui laisse voir, il n’est point si étrange, ni si propre à estomaquer cette jeune femme, qu’il semblerait au premier moment.

895. (1899) Le préjugé de la vie de bohème (article de la Revue des Revues) pp. 459-469

Il nous semble étrange, certes, de voir à la fin du xixe  siècle une telle mascarade affirmer impudemment sur les tréteaux la prétention de représenter la vie d’artiste ; il nous peine de voir ces rires cinglant le ridicule suspect de fantoches qui n’ont aucun droit à incarner un si noble rôle, et nous pensons avec amertume et colère à la superbe pauvreté de d’Aurevilly, de Baudelaire, de Villiers de l’Isle-Adam, de Henry Becque, de Verlaine, à cette sainte pauvreté héroïque compromise par un médiocre sentimental, par un malencontreux phraseur. […] Il y a, de par elle, un préjugé indélébile sur la moralité et la tenue de l’artiste, et une partie même des artistes de talent semblent en subir la fatalité, se cramponner à des marques extérieures d’originalité, à des costumes singularisés, à des attitudes : même avec la vie la plus régulière et l’usage du monde le plus averti, ils gardent des traces de ce romantisme d’habillement dont la bourgeoisie stigmatisait leur caste. […] Au lieu que vous n’imaginerez jamais Schaunard ou Rodolphe autrement qu’ils ne sont, sinon qu’en vieillissant, avec leurs scies et leurs perruques, ils sembleront grimaçants et pénibles. […] Il semble qu’ils aient cru à l’esprit corporatif des artistes nécessitant une tenue particulière, un uniforme. […] En tous cas ils eussent dû depuis longtemps battre les mondains et les gens « de bon sens » sur leur propre terrain en se montrant plus corrects, plus élégants et plus rangés qu’eux-mêmes, en leur donnant là encore une leçon de beauté, en les contraignant à l’admiration ; et s’ils s’étaient voulu permettre une singularité, analogue aux tenues de Schaunard, et peut-être inhérente à la puérilité secrète qui semble compenser chez certains la gravité exceptionnelle de l’âme, elle eût dû être tellement raffinée, rare, étudiée par un dandysme précautionneux, que son impeccabilité fût supérieure à toute attaque, comme la toilette d’une femme luxueuse qui décide un soir de ne pas suivre la mode.

896. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. James Mill — Chapitre I : Sensations et idées. »

Les causes qui renferment l’association semblent se résoudre à deux : la vivacité des sentiments associés et la fréquence de l’association. […] II Avant d’aborder l’imagination et la mémoire qui sembleraient devoir suivre immédiatement, nous rencontrons une étude sur les mots, les parties du discours, l’acte de dénommer en général (naming), qui nous paraît la partie la plus vieillie du livre. […] De même la théorie courante de l’affirmation, considérée à la lumière d’une science de plus en plus profonde de l’organisme du discours, semble attacher une importance exagérée à une puissance d’affirmation, présumée inhérente aux verbes, et particulièrement aux verbes de l’existence. […] « Le fait de se rappeler, c’est-à-dire d’avoir une idée combinée avec la croyance que la sensation correspondante a été actuellement sentie par moi, cela semble être le fait vraiment élémentaire du moi, l’origine et la base de cette idée. » Nous passons maintenant aux opérations qui nous donnent les notions abstraites et générales : la classification et l’abstraction. […] Ils semblent avoir eu une très inexplicable et très antiphilosophique aversion pour admettre cette loi, dans son sens large ; comme si cette simplicité en vertu de laquelle on trouve qu’une loi est renfermée dans une plus haute, et celle-ci dans une plus haute, et ainsi de suite, jusqu’à un petit nombre qui paraissent tout renfermer, ne devait pas se retrouver dans le monde de l’esprit, comme dans celui de la matière39.

897. (1785) De la vie et des poëmes de Dante pp. 19-42

On se demande, après l’avoir lu, comment un homme a pu trouver dans son imagination tant de supplices différents, qu’il semble avoir épuisé les ressources de la vengeance divine ; comment il a pu, dans une langue naissante, les peindre avec des couleurs si chaudes et si vraies, et, dans une carrière de trente-quatre chants, se tenir sans cesse la tête courbée dans les Enfers. […] Dante parlait à des esprits religieux, pour qui ses paroles étaient des paroles de vie, et qui l’entendaient à demi-mot : mais il semble qu’aujourd’hui on ne puisse plus traiter les grands sujets mystiques d’une manière sérieuse. […] La Genèse, en disant que Dieu fit l’homme à son image, semble indiquer aussi cette première portion de l’homme. […] Rousseau dit quelque part : « L’univers ne serait qu’un point pour une huître, quand même une âme humaine informerait cette huître. » Enfin c’est de là que semble venir la persuasion générale, que l’homme montre au dehors ce qu’il est au dedans, et que le visage est le miroir de l’âme. […] On verra, par quelques citations de cet éloquent misanthrope, qu’il était bien digne de faire l’Enfer, et que peut-être celui de Dante lui eût semblé trop doux.

898. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — II. (Fin.) » pp. 206-223

Avec son jeune Grec élégant, poli, et qui nous semble aujourd’hui si froid, l’abbé Barthélemy eut un succès à la Bernardin de Saint-Pierre. […] On aurait voulu qu’au lieu de décrire minutieusement les constitutions et le gouvernement d’Athènes et des anciennes républiques, Barthélemy fît mieux sentir les différences tranchées qu’elles ont avec la société moderne, l’esclavage qui en était le fondement, l’oppression des races vaincues, les droits de citoyen exclusivement réservés à un petit nombre d’habitants, là même où il semble que la multitude domine. […] Il semble qu’il faille que tout talent, tout génie nouveau entre ainsi dans les sujets l’épée à la main, comme Renaud dans la forêt enchantée, et qu’il doive frapper hardiment jusqu’à ce qu’il ait rompu le charme : la conquête du vrai et du beau est à ce prix. […] J’applaudis de grand cœur à ces importations quand elles sont consciencieuses et fidèles, en me disant toutefois qu’elles sembleraient annoncer, en récidivant, une certaine disette originale, et qu’il ne les faut point prolonger. […] Cependant les ressorts de la vie étaient usés chez lui ; on a remarqué que le désir de plaire, « qui fut peut-être sa passion dominante », l’abandonnait insensiblement ; un deuil habituel enveloppait son âme ; la Révolution lui semblait, comme il l’appelait, une révélation qui déconcertait les idées modérément indulgentes qu’il s’était formées jusque-là de la nature humaine.

899. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse psychologique »

L’interprétation des émotions sera simple et directe s’il s’agit d’œuvres évidemment et franchement passionnées ; il faudra recourir à des détours quand, par impassibilité, par ironie ou par toute autre cause, l’auteur semble s’efforcer d’empêcher que l’on aperçoive quelles émotions il a voulu suggérer, ou même que l’on en ressente une. […] C’est de même une difficulté plus apparente que réelle que semble présenter l’étude des artistes qui en imitent d’autres. Ils empruntent en effet à celui dont ils sont les disciples leurs moyens d’expressions, les émotions dont ils jouent et il semblerait qu’appliquée ainsi à des doubles d’autrui qui peuvent être cependant des peintres éminents, comme les maîtres secondaires des écoles italiennes, de grands poètes, comme le romantique Swinburne, de grands romanciers, comme M. Zola, notre méthode d’analyse soit impuissante ; car les données que l’on peut recueillir de ces œuvres de seconde main, ne semblent pouvoir fournir de renseignements que pour l’organisation mentale des artistes modèles, qui ont employé les premiers les moyens et les effets que leurs disciples se sont appropriés. […] La psychologie semble donc suivre une marche doublecz : elle émet, grâce à l’introspection, des hypothèses extrêmement probables qu’elle vérifie ensuite sur des cas provoqués par la maladie ou l’expérimentation.

900. (1906) L’anticléricalisme pp. 2-381

Eux-mêmes semblent en avoir eu besoin pour leurs œuvres et non pour leurs cœurs. […] Il me semble ainsi, ou j’en ai peur. […] C’était, ce semble, son droit ; et s’il y avait péril, il était facile à conjurer. […] Il voulait, semble-t-il, faire ce qu’on a spirituellement appelé un « concordat congréganiste ». […] Il semble qu’il vive de cela.

901. (1892) Essais sur la littérature contemporaine

Comment donc se fait-il qu’il semble l’avoir épuisé, ce domaine ? […] Tout au plus semble-t-il que cette impassibilité dont on faisait jadis un reproche à M.  […] Comme les choses leur viennent, elles leur semblent bonnes, puisqu’elles sont leurs ; et qu’en résulte-t-il ? […] Il n’y a rien encore qui semble manquer davantage à nos jeunes auteurs. […] C’est ce que semblait s’être proposé M. 

902. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

Empêché de remuer les jambes, il semblait néanmoins sain quant au reste. […] Il me semble que l’auteur lui-même refuse de soutenir toute la rigueur de ses arguments. […] Vigny semble outré de cette représentation qu’il appelle furtive et déloyale. […] Il semblait timide et téméraire à la fois. […] Il semble avoir manqué sa tentative par faiblesse.

903. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Soumet, Alexandre (1788-1845) »

Philarète Chasles Poète des derniers temps, qui semble enivré de sons et de lumière, de pensées métaphysiques qu’il transforme en images et de créations gigantesques qui le séduisent et le ravissent, nul ne ressemble plus à […] Il semble qu’il veuille se charmer l’oreille en versant à flots les vocables inconnus : « L’Avonis, le Mélantès, l’Osmonde, le Méloflore, l’Avira, le Cymophane, l’Argyrose, l’Amphisbène, le Lophire, l’Aurone, L’Æstiale, le Coldor ».

904. (1835) Critique littéraire pp. 3-118

Il veut brusquer un dénouement qui semble fuir devant lui, comme l’Italie des Troyens. […] Si j’avais à personnifier quelques-uns des grands siècles de l’histoire de l’humanité, il me semble que je ne chercherais pas longtemps. […] Personnifier le dix-neuvième siècle, cela me semble donc difficile. […] Comme ce rapprochement lui donne un air étrange et dépaysé ; comme il semble que sa physionomie s’efface, que sa verve s’éteint, que son style se décolore ! […] Il semblait pressé d’entrer en matière ; mais j’appelai mon maître d’hôtel pour m’apporter un verre d’eau sucrée, ce qui fut long à préparer.

905. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — II » pp. 454-475

Mais il y a un écrit de lui, le dernier imprimé de son vivant, et sa dernière production peut-être, que je regrettais de n’avoir pu me procurer, et qui me semblait devoir contenir le dernier mot de son esprit et de son expérience : L’Émigré, roman en quatre volumes, imprimé en 1797 à Brunswick, ne se trouve à Paris dans aucune bibliothèque publique ; je ne connaissais personne qui l’eût jamais lu ni vu, lorsqu’un ami a eu la bonne fortune de le rencontrer à Berlin et l’obligeance de me l’envoyer. […] M. de Meilhan semble s’être divisé à plaisir entre ces deux personnages qui souvent se combattirent en lui, l’homme d’État et l’épicurien. […] Il prédit, il dessine à l’avance un futur rival romantique de Racine et de Corneille ; nous aussi nous le croyons possible, mais nous l’attendons toujours : Les tragédies de Corneille, de Racine, de Voltaire (en nommant Voltaire à côté des précédents, il paie tribut au siècle) semblent devoir durer éternellement ; mais si un homme de génie donnait plus de mouvement à ses drames, s’il agrandissait la scène, mettait en action la plupart des choses qui ne sont qu’en récit, s’il cessait de s’assujettir à l’unité de lieu, ce qui ne serait pas aussi choquant que cela paraît devoir l’être, ces hommes auraient un jour dans cet auteur un rival dangereux pour leur gloire. […] Il accorde trop d’avenir à La Henriade ; il me semble qu’il réduit trop la part définitive de La Bruyère. […] Il lui fait l’effet d’être plus jeune qu’il ne l’était, et M. de Meilhan passa longtemps dans le monde pour être plus jeune que son âge : elle le plaint et elle compatit à le voir ainsi désabusé comme un vieillard, et il semble qu’en mettant son propre désenchantement en commun avec le sien, elle ait quelque désir de le consoler : « Vous êtes destiné, monsieur, lui disait-elle au début, à passer une vie douloureuse : vous voyez le jeu des machines, et alors plus de bonheur.

906. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire du règne de Henri IV, par M. Poirson » pp. 210-230

C’est une jolie estampe à sujet bucolique à mettre entre deux pages de Sully : L’idée qui me reste encore de ces choses-là, nous dit le naïf abbé au commencement de ses Mémoires, me donne de la joie : je revois en esprit, avec un plaisir non pareil, la beauté des campagnes d’alors ; il me semble qu’elles étaient plus fertiles qu’elles n’ont été depuis ; que les prairies étaient plus verdoyantes qu’elles ne sont à présent, et que nos arbres avaient plus de fruits. […] Partout on voyait saillir des sources de pleurs ; partout on entendait les cris et les gémissements du peuple : il semblait qu’on l’eût assommé, tant la violence de la douleur l’avait étourdi et éperdu. […] Autant qu’on le peut conjecturer, il semble qu’on aurait eu un peu plus tôt ce qu’on obtint plus tard dans la politique extérieure par l’abaissement de la maison d’Autriche, et que les résultats de la paix de Westphalie eussent été avancés. […] Louis XIV, après la Fronde, revint de même à corriger les excès ; il semble avoir voulu en abolir jusqu’à la pensée et en couvrir la mémoire en poussant plus qu’on ne l’avait jamais fait le ressort monarchique à l’extrême. […] Si la France s’était assise et établie sous Henri IV et sur les bases de la société d’alors, si elle y avait acquis son ciment qui l’eût fixée sous la forme qu’elle semblait affectionner de 1600 à 1610, l’élément prédominant, je l’ai dit, eût été le gentilhomme rural, disséminé dans le pays, le cultivant, mais aussi le possédant ; prenant volontiers la charrue après l’épée, mais ayant aussi seul le droit de porter l’épée, ayant le droit de justice sur le paysan, etc.

907. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. (suite et fin) »

Royer-Collard le désavouait, le répudiait hautement, et dans des termes mêmes qui pouvaient sembler excessifs et cruels ; mais l’explication sur ce point entraînerait à trop de détail45. […] Royer-Collard, dans deux mémorables discours contre le droit que voulait s’arroger la Chambre, professa une théorie qu’il modifia et parut contredire plus tard dans le cours de sa carrière publique : il refusait alors, en effet, à la Chambre élective un droit inhérent à elle et lui appartenant, qui est dans l’essence du régime parlementaire et qu’il semble, quelques années plus tard, lui avoir expressément accordé. […] M. de Serre, ce jour-là, semblait se jouer dans les tempêtes ; son argumentation n’en était pas un seul instant ébranlée et déconcertée ; et quand il arriva au fond même, au corps de la loi qu’il attaquait, il redoubla de vigueur et de puissance. […] Certes, la pensée de dissolution alors n’était pas décidée ni formulée, comme on dit, et le germe seul en était déposé dans l’esprit de Louis XVIII ; mais l’orateur semblait la présager, la prédire, la promener à l’avance sur toutes les têtes, et il faisait entendre à cette Chambre, au moment de se séparer, les considérants, pour ainsi dire, de son Arrêt de condamnation ; il en faisait planer la menace et briller l’éclair avant-coureur pour qui l’aurait su comprendre. […] Celui-ci le prit alors de très-haut, et me montrant un fauteuil près de la fenêtre dans son cabinet, il me dit un jour : « Il était assis là, Monsieur, et je l’ai fait pleurer. » A ces termes de « mépris » qu’il employait contre Jouffroy, je me permis, malgré mon peu de familiarité avec le haut personnage, de lui dire qu’il me semblait plus que sévère pour une faute de jeunesse, déjà si ancienne.

908. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Jean-Bon Saint-André, sa vie et ses écrits. par M. Michel Nicolas. (suite et fin.) »

Il semble qu’un rideau y soit tiré sur tout le passé. […] Haag, la France protestante, à l’article Jean-Bon Saint-André, je trouve cette remarque sur la Relation qu’il a donnée de sa captivité : « Elle n’est pas sans intérêt, y est-il dit ; elle renferme des détails curieux sur le caractère et les mœurs des Turcs ; mais il nous semble qu’un homme tel que Jean-Bon, qui avait traversé sans sourciller le règne de la Terreur, aurait dû être plus endurci aux contrariétés et aux privations. […] Je ne réponds point toutefois qu’il soit allé jusqu’au bout dans cet examen de conscience, car rien ne l’indique, et le cœur humain est bizarre et peu logique en soi ; il a des habiletés et des adresses sans pareilles pour oublier ou pour sembler ignorer ce qui l’importune. […] L’exécution de ces grands travaux est aussi nécessaire à l’intérêt de mes peuples qu’à ma propre satisfaction… Les fonds ne manquent pas ; mais il me semble que tout cela marche lentement, et cependant les années se passent. […] pour le groupe montagnard auquel il appartint, de faire en lui la part de l’exaltation et celle de l’honnêteté ; car Jean-Bon, pour parler sans rhétorique, m’a semblé, malgré ses erreurs, malgré son emportement révolutionnaire, constituer un bon Français et, en définitive, ce qu’on peut appeler un brave homme dans sa nature foncière, dans son intime et dernière forme.

909. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (6e partie) » pp. 129-176

L’ombre voisine de l’échafaud semblait relever sa beauté. […] Son âme héroïque semblait se taire alors et laisser son cœur de femme s’affaisser et se briser en tombant de l’enthousiasme sur la réalité. […] Il se carrait sur l’échafaud et semblait y prendre la mesure de son piédestal. […] Il semblait lui dire par son attitude : “Regarde-moi bien, tu n’en verras pas qui me ressemblent.” […] Les dernières lignes de ce portrait cependant me semblent bien définir ce monstre de sophisme.

910. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIIe entretien. Fénelon, (suite) »

Tout commençait à sourire à Fénelon : le cœur de madame de Maintenon semblait lui ouvrir celui de la cour. […] La paix semblait tellement cimentée entre ces deux oracles de la foi, en France, que Bossuet voulut présider lui-même, comme pontife consécrateur, à l’élévation ecclésiastique de son disciple et ami. […] Il avait fini par écrire à l’évêque de Tarbes des lettres dans lesquelles il semblait confesser des relations coupables avec madame Guyon. […] Rien ne lui semble au-dessous de ses soins, mais rien ne le surcharge. […] Ses forces et ses ressources semblent intarissables.

911. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chansons de Béranger. (Édition nouvelle.) » pp. 286-308

Voilà bien des genres, et il semble que tout soit épuisé : on assure pourtant que Béranger garde encore en portefeuille une dernière forme de chanson plus élevée, presque épique : ce sont des pièces en octave sur Napoléon, sur les diverses époques de l’Empire. […] Le Roi d’Yvetot par où il débuta en mai 1813, me semble parfait ; pas un mot qui ne vienne à point, qui ne rentre dans le rythme et dans le ton ; c’est poétique, c’est naturel et gai ; la rime si heureuse ne fait, en badinant, que tomber d’accord avec la raison. […] L’habileté, l’art, la ruse du talent de Béranger a été de faire croire à sa grandeur ; il a fait des choses charmantes, et il semble que, pour la grandeur, il n’y ait que l’espace qui lui ait manqué. […] Mais il a pris trop souvent, ce me semble, le mot peuple dans un sens étroit, il l’a pris dans un sens qui est celui de l’opposition et du combat des classes ; il s’est vanté d’être du peuple quand il suffisait de ne pas se vanter du contraire. […] Mais cette observation se marque-t-elle assez dans ses œuvres, et ne semble-t-il pas souvent, à le lire, que toute la sagesse, toute la raison soit d’un côté, le tort et la déraison de l’autre ?

912. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Gil Blas, par Lesage. (Collection Lefèvre.) » pp. 353-375

À partir de ce temps, il mène la vie de ménage et de labeur, une existence assujettie ; et c’est de la rue du Cœur-Volant, faubourg Saint-Germain, et ensuite de la rue Montmartre où il demeure, ou de quelque autre logis obscur, que vont sortir ces écrits charmants qui semblent le miroir du monde21. […] Le juge le plus compétent en pareille matière, Walter Scott, a très bien caractérisé l’espèce de critique vive, facile, spirituelle, indulgente encore et bienveillante, qui est celle de Gil Blas : « Cet ouvrage, dit-il, laisse le lecteur content de lui-même et du genre humain. » Certes, voilà un résultat qui semblait difficile à obtenir de la part d’un satirique qui ne prétend pas embellir l’humanité ; mais Lesage ne veut pas non plus la calomnier ni l’enlaidir ; il se contente de la montrer telle qu’elle est, et toujours avec un air naturel et un tour divertissant. […] « C’était commencer le métier d’intendant par où l’on devrait le finir. » Le troisième volume, publié en 1724, et qui est le plus distingué de tous, nous montre Gil Blas montant par degrés d’étage en étage ; et, à mesure que la sphère s’élève, les leçons peuvent sembler plus vives et plus hardies. […] À son tour, Lesage semble avoir été peu favorable à ce qu’on appelle la grande et haute littérature de son temps, qu’il trouvait guindée. […]  » il semblait s’être appliqué ce mot d’un ancien : « Que je rentre en vieillissant dans ces rangs obscurs dont je suis un moment sorti ! 

913. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame Émile de Girardin. (Poésies. — Élégies. — Napoline. — Cléopâtre. — Lettres parisiennes, etc., etc.) » pp. 384-406

Et en général recueil, le malheur de Mme de Girardin comme écrivain, ça été qu’une organisation aussi forte, qui semble même puissante par accès, et qui, dans tous les cas, est si pleine de ressources, s’est jouée toujours dans un cercle artificiel et factice duquel, plume en main, ou lyre en main, elle n’est point sortie. […] Ce que je dis là, Mme de Girardin elle-même semble l’avoir senti, et elle l’a exprimé à sa manière bien mieux que moi. […] Tandis que le poète désabusé observe ainsi et raille, Napoline aime encore et croit : voilà le piquant de ce petit poème, qui n’a pas été, ce me semble, assez compris ni goûté. […] Elle continue de s’amuser, et pas si à faux, ce me semble. […] Si elle semble apporter, au début de la conversation, quelques plaisanteries préméditées et qui font comme partie de sa mise du jour, elle en a d’autres qui lui sortent à l’improviste à chaque instant, et ce ne sont pas les moins bonnes.

914. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « L’abbé de Choisy. » pp. 428-450

Pour l’abbé de Choisy, qui n’est certes pas exempt de coupables désordres, le travestissement toutefois semble être encore la chose principale, l’attrait le plus vif ; il aime le miroir pour le miroir, la toilette pour elle-même, la bagatelle pour la bagatelle. […] Vers 1684, il était venu à Louis XIV une ambassade de Siam, de laquelle il semblait résulter qu’il suffisait d’envoyer au roi siamois un ambassadeur et quelques missionnaires pour le convertir au christianisme, lui et ses sujets. […] Il courut chez M. de Seignelay, ministre de la marine, pour solliciter l’ambassade apostolique ; la place était déjà donnée à un officier de marine, homme de religion et de vertu, le chevalier de Chaumont ; Choisy ne put obtenir que la coadjutorerie de l’ambassade, terme bizarre et qui semblait fait pour lui. […] Sa première vie ne l’a point dépravé autant qu’il semble qu’elle aurait dû faire il devient évident qu’il y a eu dans son fait plus de frivolité que de débauche ; il est resté très naturel, très capable de bonnes impressions ; il suffit qu’il soit entouré de bons exemples : il les imite et les réfléchit. […] Son esprit et sa plume semblent avoir gardé l’âge de Chérubin.

915. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — II. (Fin.) » pp. 411-433

Voilà l’éternelle morale qui avant et depuis Salomon, jusqu’à Sophocle, jusqu’à Cicéron, jusqu’à nous tous, se peut tirer du spectacle changeant des choses humaines, et il semble que, sauf le rajeunissement de l’expression, toujours possible à une âme sincère, les ruines de la ville de Zénobie, dévastée à la suite d’une guerre par l’empereur Aurélien, n’étaient guère de nature à inspirer d’autres pensées. […] Dans ces études que je poursuis sur les écrivains du règne de Louis XVI (Barthélemy, Necker, Volney), j’aboutis souvent au nom de Chateaubriand, et je le fais avec intention : c’est, en effet, pour avoir repris plus tard avec bonheur ce que d’autres avaient pressenti et en partie manqué, c’est pour avoir trouvé et fondu sous ses pinceaux ce que des devanciers qui semblent quelquefois ses adversaires avaient cherché avec peine, que Chateaubriand a eu ce prompt succès. […] S’élevant contre les Casca et les Brutus de club ou de carrefour dont la race foisonnait alors, il dit énergiquement : « On tue les hommes, on ne tue point les choses, ni les circonstances dont ils sont le produit. » Il semble pressentir par avance que le moment approche où l’on aura besoin d’un César. […] Dureau de La Malle, et il y avait fait mettre cette inscription philosophique, qui semblait protester à demi contre ces honneurs que pourtant il ne répudiait pas : en 1802 le voyageur volney devenu sénateur, peu confiant dans la fortune, a bâti cette petite maison plus grande que ses désirs. […] Nous touchons, ce me semble, dans tous les sens la tendance prononcée et les limites de cet esprit net et vigoureux.

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