C’est une des plus terribles sentences du Livre qu’il citait si souvent et dont la secrète douceur lumineuse ne le pénétra jamais. […] Mais il faut que la Vérité soit dite et c’est son art même qui lui a donné le secret de la dire sans violer le territoire des gardiens de la Parole. […] Au contraire, l’une et l’autre ont toujours aimé le secret et l’argot du mystère. […] Aussitôt qu’on commence à étudier cette histoire, le fameux secret se trouve inondé de lumière. C’est le secret de tous les diables et l’on découvre que ces ennemis du genre humain l’ont très mal gardé.
Quiconque a reçu une culture suffisante, quiconque est capable de réfléchir et de s’analyser, s’il descend dans l’intimité secrète de son être, y retrouvera presque toujours la marque plus ou moins accentuée de certaines dispositions mentales, dont on fait trop aisément l’apanage de déséquilibrés aussi rares qu’indifférents. […] Il en refoula l’expression jusqu’aux plus secrètes profondeurs de son être : jamais un mot ne lui échappa sur les terribles tragédies domestiques dont il fut témoin dans la maison familiale, et qui, il y a plusieurs mille ans, n’eussent pas été déplacées dans le palais d’Atrée. […] Mais, élève de Burnouf, grâce à ses études sur l’Inde, grâce à l’enthousiasme avec lequel il les avait conduites, il détenait quelques-uns des secrets d’une civilisation immense, séparée de la nôtre par des divergences fondamentales, et qui pourtant, depuis un siècle, semble tendre à s’infiltrer peu à peu dans notre monde gréco-latin. […] L’industrie, la science, l’art, la littérature, la religion, examinés et disséqués avec soin jusqu’en leurs profondeurs secrètes, ne sont que ramenés à leur exacte valeur et proportion dans cette suite de scènes si bizarres qu’on les y croirait bafoués et tournés à la charge. […] Un secret instinct l’avertissait qu’on ne réalise pas l’idéal du beau parce qu’on a prestement résolu des problèmes en apparence insolubles ou exécuté des travaux qui semblaient impossibles, et il n’était pas homme à confondre les puissants contournements de membres dans les statues d’un Michel-Ange avec les extraordinaires dislocations du plus souple des acrobates.
Mais il fallait faire rire le parterre. » Ceci est fort spirituel, mais bien faux, même en ne tenant point compte de cet orgueil d’Alceste dont j’ai parlé et qui prend « un secret plaisir à démêler la corruption des hommes », même en ne prenant Alceste que comme un pur et simple vertueux. […] La vertu a toujours quelque chose de comique et le « bon sens » est partagé — inégalement du reste — entre un secret penchant à la respecter et un assez vif désir de se moquer d’elle. […] Il vient de parler des devoirs et des qualités d’une maîtresse de maison ; il faut qu’elle comprenne et devine les plus secrets désirs et les plus secrètes pensées de ses invités, et ceci se rapporte à ses dons psychologiques ; puis, comme si ce qui suit se rattachait à ce don psychologique et en faisait partie et était tout aussi nécessaire, et l’on verra à la fin que c’est son avis, il ajoute : « Le même tour d’esprit qui fait exceller une femme du monde dans l’art de tenir maison fait exceller une coquette dans l’art d’amuser plusieurs soupirants. […] Placez un homme entre deux femmes avec chacune desquelles il aura des liaisons secrètes, puis observez quelle sotte figure il y fera. […] A quoi tient tout cet art ; si ce n’est à des observations fines et continuelles qui lui font voir à chaque instant ce qui se passe dans les cœurs des hommes et qui la disposent à porter à chaque mouvement secret qu’elle aperçoit la force qu’il faut pour le surprendre ou l’accélérer ?
Cette courte analyse achèvera de dévoiler le fond de l’âme de Sénèque, le secret de sa vie privée, et les principes qui servaient de base à sa philosophie spéculative et pratique. […] Ce n’était point un choix réfléchi ; je m’étais attaché je ne sais par quel instinct secret de la conformité. […] Ne soyons pas plus offensés de leurs injures, que nous ne serions flattés de leur éloge ; abandonnons le pervers à sa honte secrète. […] « Admirez, dit-il à Lucilius, combien je suis de bonne foi avec vous, par la nature du secret que je vais vous confier. […] Le secret et le silence sont les conditions d’un pacte entre le bienfaiteur délicat et son obligé ; et ces conditions sont également sacrées pour tous deux.
Je ne lui répondis qu’avec des larmes… « Cependant elle diminuoit toujours… » Le 30 juin 1673, Mme de La Fayette écrivait à Mme de Sévigné : « Il y a aujourd’hui trois ans que je vis mourir Madame : je relus hier plusieurs de ses lettres ; je suis toute pleine d’elle. » Au milieu de ce monde galant et brillant, durant dix années, Mme de La Fayette jeune encore, avec de la noblesse et de l’agrément de visage, sinon de la beauté, n’était-elle donc qu’observatrice et attentive, sans intérêt actif de cœur, autre que son attachement pour Madame, sans choix singulier et secret ? […] Pour moi, j’en aime des remarques de sentiment comme celle-ci, que Mme de La Fayette n’écrivait certainement pas sans un secret retour sur elle même : « Ah ! […] En 1672, quand Mme Scarron élevait en secret les bâtards de Louis XIV, au bout du faubourg Saint-Germain, près de Vaugirard, bien au delà de la maison de Mme de La Fayette, celle-ci était encore en liaison particulière avec elle ; elle recevait quelquefois de ses nouvelles ainsi que Mme de Coulanges ; elles durent même la visiter ensemble.
Accueilli dans leur compagnie, et flatté, car il était craint, il serait en secret dédaigné par les plus chétifs. […] Thiers peint les évolutions des différents corps constitués pour se prêter aux desseins secrets du maître, pour le devancer ou pour revenir sur leurs pas au signe souvent énigmatique de sa physionomie, n’est que l’histoire des bassesses des peuples, égales, hélas ! […] Mais tous les témoins n’étaient pas dans le secret des royalistes ; tous n’étaient pas préparés à revenir sur leurs premières dépositions, et il restait un nommé Roland, autrefois employé dans l’armée, qui répétait avec douleur, mais avec une persistance que rien ne pouvait ébranler, ce qu’il avait avancé dès le premier jour.
C’est là, selon nous, le secret de cette douleur sans proportions et sans bornes, dont l’expression dans ses mémoires excite presque la pitié à force d’exagération. […] Elle croyait que l’intention secrète de ce livre, cachée sous des commentaires littéraires, échapperait à la police inintelligente de l’Empire. […] Tout fait présumer qu’elle augurait alors une fortune plus haute encore pour cet ancien ami, transfuge de la république, ennemi caché de Napoléon, allié secret et bientôt allié avoué de ses ennemis, que le flot de la guerre avait porté sur le trône de Suède et qu’un autre reflux pouvait reporter sur le trône de France.
Cette introduction renferme et révèle l’élément mystique, toujours présent et toujours caché dans la pièce ; secret divin, ressort surnaturel, suprême loi de la destinée des personnages, et de la succession des incidents que nous allons contempler. Pour nous apprendre l’inénarrable puissance de ce secret, Wagner nous montre d’abord la beauté ineffable du sanctuaire, habité par un Dieu qui venge les opprimés, et ne demande qu’amour et foi à ses fidèles. […] Elle ne peut le saisir dans l’intégralité de son être, elle ne peut que le disséquer et, de là, elle ne saisit que le secret d’un être mort.
Le proconsul de Bithynie, Pline le Jeune195, dans sa lettre à Trajan sur les chrétiens, qu’il a interrogés par la torture et fait conduire à la mort quand ils refusaient d’abjurer, après avoir noté le secret de leurs assemblées et l’innocente sobriété de leurs repas, a soin d’ajouter, d’après leurs déclarations, qu’ils chantent en chœur un hymne au Christ, comme à un Dieu. […] À part même le service de l’autel, c’était presque toute la littérature du peuple chrétien, le lien des confréries secrètes ou publiques, l’encouragement des fidèles, le triomphe dans les délivrances, l’œuvre d’émulation poétique dans la lutte contre les écoles païennes après la persécution sanglante. […] On peut le croire : cette offrande du silence, cette résignation à l’obscurité, cet abandon si absolu de la gloire, mais aussi de l’apostolat, n’était pas sans repentir, sans désaveu secret, pour le brillant orateur si touché des grâces de la parole et si puissant par elles.
Mais ce n’était pas de bon goût à lui de venir ainsi étaler devant les courtisans, et pour la satisfaction d’une minute, son art et son secret d’économie domestique. […] Tel est au vrai Villars nous donnant son secret, et dictant spirituellement les paroles et les moyens les plus propres pour exalter et enlever Villars.
Je me suis plu, dans mon ancienne Étude, à donner dans des exemples déterminés le secret du mode de composition et d’imitation propre à Virgile, mode savant et ingénieux s’il en fut, qui consiste d’ordinaire à combiner plusieurs éléments en un et à leur donner sous cette dernière forme une valeur, une âme toute nouvelle. […] Mais n’allez point pour cela appeler Virgile un « compilateur de génie », comme je vois que l’a fait tout récemment un professeur de rhétorique, d’ailleurs fort estimable, et qui a cru bien dire ; tout mon sens critique se révolte contre une pareille appellation qui tend à confondre le vulgaire et le rare, le grossier et le délicat, l’engeance des Trublet et la famille des Virgile, et à méconnaître une des formes les plus fines, une des sources les plus secrètes de l’invention poétique.
Cette mort de la duchesse de Mazarin a fait une sorte de mystère, et la manière dont Saint-Évremond en parle dans une lettre à M. de Canaples n’est pas tout à fait en contradiction avec ce qu’une relation plus secrète est venue révéler. […] Je ne sais si je me trompai mais il me semble que, dans l’ancienne société, telle qu’elle était faite, le champ de l’amitié était plus étendu qu’aujourd’hui : il y avait plus de sujets réservés, plus de choses particulières dont on eût à s’entretenir, même en matière d’idées ; la publicité, comme aujourd’hui, n’avait pas tout pris, tout défloré : il y avait bien plus de place à la confidence et au secret.
Mais comme nous croyons aussi que, dans l’inventaire posthume, si les contemporains les plus immédiats et les mieux informés ne s’en mêlent promptement pour y mettre ordre, il s’introduit bien du faux qui s’enregistre et finit par s’accréditer, il nous semble qu’il y a lieu à l’avance, et sous les regards mêmes de l’objet, dans l’observation secrète et l’atmosphère intelligente de sa vie, d’exprimer la pensée générale qui l’anime, de saisir la loi de sa course et de la tracer dès l’origine, ne fût-ce que par une ligne non colorée, avec ses inflexions fidèles toutefois et les accidents précis de son développement. […] Sa littérature, très-étendue, très-fine, très-élaborée, surprend ceux même qui n’ignorent pas de quelles études secrètes l’artiste consommé a dû partir.
Ces affinités comme ces antipathies, quand elles s’adressent non pas à un individu, mais à des groupes, dénotent l’esprit secret et ne trompent pas. […] Si vous voulez que cela soit, il faut être secret et vous garder de faire connoître à M.
Voilà un poète, dit-on, qui, pour faire des chefs-d’œuvre, ne connaît qu’un secret : être bien raisonnable, bien sage, bien obéissant aux règles. […] Ce don naturel, cette faculté créatrice que donne « l’influence secrète du ciel », n’est-ce pas l’imagination ?
Ailleurs, veut-il se plaindre de l’indiscrétion des femmes, autre scène de comédie : dans un tableau très réaliste, un dialogue vif et fort de la femme et du mari, l’une par ruse, caresse, menace, dépit extorquant le secret qu’elle publiera, l’autre, pauvre niais ! […] De même, quoi qu’il doive à Alain de Lille, il a certainement vu d’une vision de poète, et rendu avec une fantaisie vigoureuse cette grande allégorie de la Nature travaillant en sa forge, taudis que l’Art à ses genoux s’efforce de lui dérober ses secrets et d’imiter son œuvre.
Il n’aurait pas été fâché de persuader à Louis XIV qu’il était capable d’être un excellent ministre des affaires étrangères : mais il ne marqua cette secrète espérance que par l’empressement de son service. Enfin, quand il fut tout à fait certain que sa vie était finie, il se démit du cardinalat : humilité que le public admira, et qui découvrit au malin Bussy le secret du personnage.
Coup sur coup, le voilà académicien513, historiographe du roi et gentilhomme de la chambre, poète officiel, rédacteur politique, négociateur secret : il va réaliser en France ce qui l’avait émerveillé en Angleterre. […] la lune de miel fut courte : en novembre, de secrètes angoisses le travaillent ; en décembre, il écrit à sa nièce « à côté d’un poêle, la tête pesante et le cœur triste » ; il se demande : « Pourquoi suis-je donc dans ce palais ?
Il s’ouvre à Sévéraguette de ce désir secret et, après quelque résistance, accepte l’aide de la bonne fille. […] L’ensemble d’idées et de sentiments que suppose leur profession agit toujours en eux, fût-ce à leur insu ; c’est un élément secret dont il faut toujours tenir compte dans l’appréciation de leurs actes, car il y est toujours présent, même quand ils agissent en apparence comme les autres hommes.
Il a peur d’être obligé de se dire : « Je m’emballais, j’ai rencontré un caillou. » Il se sent attiré vers sa beauté, mais une amertume secrète gâte tous ses plaisirs présents. […] Mais, dans son pur dédain, il l’a bientôt par tels Insolites secrets, à son néant rendu.
. — « Ceux qui étaient dans le secret de sa pensée, — rapporte Tacite, — disaient qu’en voyant de plus près les maux de la République, il avait voulu, par colère et par crainte, finir honorablement, respectable et respecté. » La toute-puissance ne défend pas les Césars de ce désenchantement mortel. […] Il va faire démolir les murs à coup de pioche, lorsqu’une porte secrète s’entr’ouvre et livre passage à madame de Rohan furieuse, frémissante, ivre de jalousie et de colère.
Le secret des lettres était, alors très peu observé, et l’intendant des Postes venait régulièrement chaque semaine apporter au roi et à Mme de Pompadour les extraits qu’on en faisait. […] Il tenait cette sournoiserie de sa première éducation sous le vieux cardinal de Fleury. — Enfin, elle s’écrie avec un sentiment secret de sa misère et une expression qui ne laisse pas d’étonner : « Ah !
Walckenaer, dans ses abondants et excellents Mémoires sur Mme de Sévigné, a remis tellement sur le tapis Bussy-Rabutin, qu’on le connaît comme on ferait un de nos contemporains mêmes, qu’on vit avec lui, qu’on est dans le secret de ses amours, de ses vanités, de ses faiblesses ; et comme Bussy, tout gentilhomme et grand seigneur qu’il se piquait d’être avant toute chose, est un bon écrivain, un de ceux qui ont aidé en leur temps à polir la langue, et que La Bruyère l’a placé en cette qualité à côté de Bouhours, nous en parlerons à ce titre aujourd’hui. […] [NdA] Il s’est toujours vanté de cette douceur naturelle, antérieure et secrète : Il est vrai, écrivait-il à Mlle de Scudéry (16 juillet 1672), que je suis naturellement doux et tendre ; aussi ai-je pris pour ma devise une ruche de mouches à miel, avec ce mot : Sponte favos, aegre spicula ; La douceur naturelle, et l’aigreur étrangère.
Sans entrer dans les secrets de l’action, il la juge sur sa portée visible et sur son développement. ; il l’applaudit, il la gourmande, il essaie de la contenir dans les voies de la morale et de la raison ; il se donne du moins à lui-même et à tous les honnêtes gens la satisfaction d’exprimer tout haut ses sentiments sincères, et, à certains moments plus vifs, il est entraîné, il s’avance et se compromet auprès des principaux personnages, jusqu’à mériter pour un temps prochain leur désignation et leur vengeance. […] Enfin, pour achever de dessiner cette noble figure d’un poète honnête homme et homme de cœur qui, dans la plus horrible révolution moderne, comprit et pratiqua le courage et la vertu au sens antique des Thucydide et des Aristote, des Tacite et des Thraséas, il ne faut que transcrire cette page testamentaire trouvée dans ses papiers, et où il s’est peint lui-même à nu devant sa conscience et devant l’avenir : Il est las de partager la honte de cette foule immense qui en secret abhorre autant que lui, mais qui approuve et encourage, au moins par son silence, des hommes atroces et des actions abominables.
Tout fanatisme, en secret, a dû passer par là. […] Nommé député à la Convention en septembre 1792, il court à Paris rejoindre Robespierre, vers lequel il s’était senti poussé dès longtemps par une affinité secrète, et à qui il avait écrit dès le 19 août 1790 : « Je ne vous connais pas, mais vous êtes un grand homme !
Le Génie de l’Espèce qui les possède leur promet un bonheur hors de proportion avec tous ceux qu’ils ont pu jusqu’alors imaginer, c’est par l’appât de cette promesse qu’il les contraint à réaliser son propre vœu qui est unique : assurer la vie de l’espèce, faire naître des êtres en abondance dont le type perpétue celui des êtres de la même espèce, de ces vivants qui vont mourir et qui, s’il n’y prend garde, emporteront avec eux dans la terre, où ils vont se dissoudre, le secret de cette forme particulière que la vie, au prix de tant d’efforts, et de tâtonnements, a créée. […] Une histoire de la médecine avec la suite de ses effets et des modifications qu’elle a apportées dans l’organisme humain, montrerait à nu, si elle pouvait être faite avec un pareil dessein, le mécanisme de cette secrète substitution d’une fin impersonnelle à un but intéressé.
À Paris, nous revenons au temps des exécutions secrètes. […] Soyons juste pourtant, l’exécution n’a pas été tout à fait secrète.
Depuis deux ans et demi, ils conquièrent leur majorité, leurs Croix de guerre et leurs épaulettes coude à coude, et se forment sur le même modèle ; ils s’initient aux règles de la discipline et de la hiérarchie, au secret de toute action coordonnée ; ils amassent un trésor de pensées graves et d’amitiés qui fourniront à l’étendue de toute leur vie. […] C’est le grand secret.
On pourrait facilement établir qu’Alexandre Dumas père, George Sand, Erckmann-Chatrian, Jules Verne, ont eu le secret de se faire entendre des masses, et comment, par le côté technique ou artistique, ils méritent d’être étudiés ; comment, d’autre part, la valeur morale est, chez eux, inférieure à la valeur littéraire, ou insuffisante, ou tout à fait absente. […] Je suis sûr que les artistes qui vivaient au moyen âge, Dante quand il écrivait sa Divine Comédie, les auteurs de nos poèmes nationaux et de ceux des nations voisines, les bâtisseurs d’églises, d’hôtels de ville, de maisons corporatives, les sculpteurs, les peintres, les musiciens, avaient présente à l’esprit cette idée fraternelle, et dédiaient en secret leur œuvre à tout le peuple chrétien.
Au fond, voyez-vous, c’est là ma prédilection secrète, mon courant caché ; et quand toutes mes digressions dans les bouquins me fournissent jour à un sonnet neuf, à un mot à bien encadrer, à un trait heureux dont j’accompagne un sentiment intime, je m’estime assez payé de ma peine ; et, en refermant mon tiroir à élégies, je me dis que cela vaut mieux après tout que tous les gros livres d’érudition, lesquels je veux pourtant faire de plus en plus profession d’estimer. — Mais, il faut en venir, mon cher Béranger, à l’objet de cette lettre.
Mais voici l’épisode le plus frappant sans doute de l’influence bizarre et secrète d’Oberman.
Dans la république de l’avenir où nous tendons, les raisons secrètes ou avouées, les motifs égoïstes, intéressés, philosophiques ou mystiques, pour lesquels les institutions vraiment libres seront acceptées et pratiquées d’un chacun, offriront sans doute, surtout au début, beaucoup de variété et de bigarrure ; mais il suffira qu’on se rallie en fait à trois ou quatre grands points jugés indispensables.
La vie, le sentiment de la réalité, y respirent ; de frais paysages, l’intelligence poétique symbolique de la nature, une conversation animée et sur tous les tons, l’existence sociale du xviiie siècle dans toute sa délicatesse et sa liberté, des figures déjà connues et d’autres qui le sont du moment qu’il les peint, d’Holbach et le père Hoop, Grimm et Leroy, Galiani le cynique ; puis ces femmes qui entendent le mot pour rire et qui toutefois savent aimer plus et mieux qu’on ne prétend ; la tendre et voluptueuse madame d’Épinay, la poitrine à demi nue, des boucles éparses sur la gorge et sur ses épaules, les autres retenues avec un cordon bleu qui lui serre le front, la bouche entr’ouverte aux paroles de Grimm, et les yeux chargés de langueurs ; madame d’Houdetot, si charmante après boire, et qui s’enivrait si spirituellement à table avec le vin blanc que buvait son voisin ; madame d’Aine, gaie, grasse et rieuse, toujours aux prises avec le père Hoop, et madame d’Holbach, si fine et si belle, au teint vermeil, coiffée en cheveux, avec une espèce d’habit de marmotte, d’un taffetas rouge couvert partout d’une gaze à travers la blancheur de laquelle on voyait percer çà et là la couleur de rose ; et au milieu de tout ce monde une causerie si mélangée, parfois frivole, souvent souillée d’agréables ordures, et tout d’un coup redevenant si sublime ; des entretiens d’art, de poésie, de philosophie et d’amour ; la grandeur et la vanité de la gloire, le cœur humain et ses abîmes, les nations diverses et leurs mœurs, la nature et ce que peut être Dieu, l’espace et le temps, la mort et la vie ; puis, plus au fond encore et plus avant dans l’âme de notre philosophe, l’amitié de Grimm et l’amour de Sophie ; cet amour chez Diderot, aussi vrai, aussi pur, aussi idéal par moments que l’amour dans le sens éthéré de Dante, de Pétrarque ou de notre Lamartine ; cet amour dominant et effaçant tout le reste, se complaisant en lui-même et en ses fraîches images ; laissant là plus d’une fois la philosophie, les salons et tous ces raffinements de la pensée et du bien-être, pour des souvenirs bourgeois de la maison paternelle, de la famille, du coin du feu de province ou du toit champêtre d’un bon curé, à peu près comme fera plus tard Werther amoureux de Charlotte : voilà, et avec mille autres accidents encore, ce qu’on rencontre à chaque ligne dans ces lettres délicieuses, véritable trésor retrouvé ; voilà ce qui émeut, pénètre et attendrit ; ce qui nous initie à l’intérieur le plus secret de Diderot, et nous le fait comprendre, aimer, à la façon qu’il aurait voulu, comme s’il était vivant, comme si nous l’avions pratiqué.
Condorcet, dans son bel éloge de Franklin, où perce toutefois une velléité de réticence, n’a pu s’empêcher de dire de ce dernier : « Il croyait à une morale fondée sur la nature de l’homme, indépendante de toutes les opinions spéculatives, antérieure à toutes les conventions ; il pensait que nos âmes reçoivent dans une autre vie la récompense de leurs vertus et de leurs fautes ; il croyait à l’existence d’un Dieu bienfaisant et juste, à qui il rendait dans le secret de sa conscience un hommage libre et pur. » Tel fut aussi Jefferson, tel Washington ; tels ont dû être, en effet, sur cette terre d’Amérique, en présence de cette vaste nature à demi défrichée, au sein d’une société récente, probe, industrieuse, où les sectes contraires se neutralisaient, tels ont dû être ces grands et stables personnages, nourris à l’aise, au large, sous un ciel aéré, loin du bagage des traditions, hors des encombrements de l’histoire, et dont pour quelques-uns, comme pour Washington, par exemple, l’éducation première s’était bornée à la lecture, l’écriture et l’arithmétique élémentaire, à laquelle plus tard il avait ajouté l’arpentage.
Dans un temps où nous sommes affligés de la plaie des Mémoires, où le vrai et le faux, l’authentique et l’apocryphe, se confondent de plus en plus et deviennent presque impossibles à discerner ; quand le moindre contemporain et témoin du drame impérial s’autorise de quelques souvenirs, qui tiendraient en peu de pages, pour recommencer la chronique générale et desserrer volume sur volume ; il est précieux de trouver un homme qui a vu longtemps et de près, qui a manié et surveillé les plus secrets ressorts, et qui raconte avec sobriété les seules portions dont il se juge bien instruit.
Loève-Veimars entre autres choses, c’est qu’il sait à merveille la langue, qu’il en observe les tours, le mouvement, le génie ; qu’il l’a étudiée dans ses différentes phases, dans ses sources larges et volontiers secrètes, dans ses curiosités et jusqu’en ses coquetteries légitimes.
Aujourd’hui que le Globe est placé plus qu’il ne l’a jamais été depuis la révolution de Juillet sur un terrain solide et nettement dessiné ; aujourd’hui que sa nouvelle position en politique, en économie, en philosophie, en art et en religion, devient de plus en plus appréciable et notoire ; aujourd’hui enfin, pour tout dire, que le Globe est le journal reconnu et avoué de la doctrine saint-simonienne ; nous, qui ne l’avons abandonné dans aucune de ses phases, nous qui avons assisté et contribué à sa naissance il y a sept ans, coopéré à ses divers travaux depuis lors, qui avons provoqué et produit plus particulièrement ses transformations récentes ; nous qui avons suivi toujours, et, dans quelques-unes des dernières circonstances, dirigé sa marche ; qui, sciemment et dans la plénitude de notre loyauté, l’avons poussé et mis là où il est présentement, nous croyons bon, utile, honorable de nous expliquer une première et dernière fois par devant le public, sur les variations successives du journal auquel notre nom est demeuré attaché ; de rendre un compte sincère des idées et des sentiments qui nous ont amené où nous sommes ; et de montrer la raison secrète, la logique véritable de ce qui a pu sembler pur hasard et inconsistance dans les destinées d’une feuille que le pays a toujours trouvée dans des voies d’honneur et de conviction.
Mais comme elle les lui a envoyés sans rien dire à son mari, et que, craignant d’être grondée, elle a recommandé le secret à son fils, il se tait par obéissance filiale, et se laisse mettre en prison, quoiqu’il ait beaucoup de confusion et de peur.
Les mécaniciens ont un mot, passé dans l’argot, pour désigner celui qui devine aisément le secret des rouages compliqués : « Il débine le truc », disent-ils.
Aujourd’hui, nous ne sollicitons plus la Nature : nous lui commandons, parce que nous avons découvert quelques-uns de ses secrets et que nous en découvrons chaque jour de nouveaux.
Il les accusait d’enchérir sur la Loi, d’inventer des préceptes impossibles pour créer aux hommes des occasions de péché : « Aveugles, conducteurs d’aveugles, disait-il, prenez garde de tomber dans la fosse. » — « Race de vipères, ajoutait-il en secret, ils ne parlent que du bien, mais au dedans ils sont mauvais ; ils font mentir le proverbe : « La bouche ne verse que le trop-plein du cœur 645. » Il ne connaissait pas assez les gentils pour songer à fonder sur leur conversion quelque chose de solide.