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662. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface d’« Angelo, tyran de Padoue » (1835) »

Dresser sur cette pensée, d’après les données spéciales de l’histoire, une aventure tellement simple et vraie, si bien vivante, si bien palpitante, si bien réel, qu’aux yeux de la foule elle pût cacher l’idée elle-même comme la chair cache l’os. […] Il n’a qu’un regret, c’est que cette pensée ne soit pas venue à un meilleur que lui. Aujourd’hui, en présence d’un succès dû évidement à cette pensée et qui a dépassé toutes ses espérances, il sent le besoin d’expliquer son idée entière à cette foule sympathique et éclairée qui s’amoncelle chaque soir devant son ivre avec une curiosité pleine de responsabilité pour lui.

663. (1899) Préfaces. — Les poètes contemporains. — Discours sur Victor Hugo pp. 215-309

La pensée humaine est affirmative sans doute, mais elle a ses heures d’arrêt et de réflexions. […] Jamais la pensée, surexcitée outre mesure, n’en était venue à un tel paroxisme de divagation. […] La pensée surabonde nécessairement dans l’œuvre d’un vrai poète, maître de sa langue et de son instrument. […] La pensée qu’ils expriment participe nécessairement de leur vague confusion. […] On répond : Les grandes pensées viennent du cœur, la vraie poésie est un cri du cœur, le génie réside tout entier dans l’émotion cordiale ressentie et communiquée.

664. (1932) Le clavecin de Diderot

Que chaque pore soit débarrassé de son point noir, la pensée, les pensées dont la nuit, mauvaise conseillère, truffe les insomnieux. […] L’être s’identifie à la pensée et dans sa pensée voit, avant tout, sa raison d’être. […] D’où sanguinolents complexes d’actes et de pensées. […] Elle avait, au préalable, lu et jugé mes plus intimes pensées. […] On a prétendu ceux de la pensée, les attributs mêmes de la mort.

665. (1881) Études sur la littérature française moderne et contemporaine

C’est mon unique pensée, je ne fais pas un pas qui ne s’yrapporte. […] Armand Silvestre, a restitué sa vraie forme à la pensée du poète. […] Une telle insinuation est bien loin de ma pensée. […] La pensée sans les mots n’est rien ; les mots sans la pensée ne sont que de vains bruits. […] Lors son cœur entrait en une pensée douce et amoureuse.

666. (1896) Études et portraits littéraires

Son style est le geste franc de sa pensée. […] Par une pente comme celle des fleuves, sa pensée y court. […] La pensée même ne la traverse que par accident. […] La pensée est le signe d’une vie plus haute. […] sa pensée à elle ne me quitte guère non plus.

667. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

Impuissant à la guerre des boulets contre elle, il lui déclare la guerre de l’argent, la ruine commerciale au lieu de la dévastation par les armes ; pensée gigantesque qui aurait exigé pour être accomplie la possession incontestée du continent tout entier, et qui, pour tuer le commerce d’une île, tuait d’abord le commerce du continent lui-même. […] « À peine une telle pensée s’était-elle laissé entrevoir que Napoléon, prenant la parole avec l’autorité qui lui appartenait et avec la confiance, non pas feinte, mais sincère, que lui inspirait l’étendue de ses ressources, exposa ainsi la situation. […] Ce même homme, deux années auparavant revenu d’Autriche, ayant réfléchi un instant à la leçon d’Essling, avait songé à rendre la paix au monde et à son empire, à donner à son trône la stabilité de l’hérédité, à son caractère l’apparence des goûts de famille, et dans cette pensée avait contracté un mariage avec l’Autriche, la cour la plus vieille, la plus constante dans ses desseins. […] Thiers, tant doué par la nature sous le rapport de l’intelligence, de la justesse, de la délicatesse du coup d’œil, de l’aptitude à tout, de l’esprit, n’a pas été doué au même degré de la faculté d’exprimer, en écrivant, sa pensée ; ce qui est juste, c’est d’avouer que M.  […] et trop souvent nudité de grandiose dans la pensée.

668. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre I. Des poëtes anciens. » pp. 2-93

Je ne parle point du faux éclat qu’ils ont prêté à des pensées communes, je parle des vices que la Poésie a embellis & des crimes qu’elle a canonisés. […] Son coloris est celui d’un grand Maître, & son expression prend toujours la couleur de sa pensée. […] Enfin il a étendu ou resserré les pensées du Poëte, suivant le besoin des transitions, & les contraintes de la rime. […] Quel enjouement dans les pensées ! […] C’étoient pensées sur pensées, de l’esprit à chaque mot, par conséquent peu de sentiment & de passion.

669. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Jouffroy »

quelle promptitude, quelle ouverture de pensée ! […] Nul, s’il l’avait voulu, n’aurait eu plus que lui, au service de sa pensée, de ces grandes images agrestes et naturelles. […] La lutte étroite, la joute de la pensée et du style ne lui va pas. […] On le conçoit ; dans ses habitudes de pensée et de parole, il a besoin d’espace et de temps pour se dérouler, et de silence en face de lui. […] L’idée de devoir préside à cette noble partie de l’âme que nous peignons ; si le premier mouvement s’échappe quelquefois, la seconde pensée répare toujours.

670. (1863) Cours familier de littérature. XV « XCe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (3e partie) » pp. 385-448

terrible et unique pensée de ta sœur. » Le 20 août. […] J’ai recueilli cette pensée sur l’amour de Dieu, qu’on aime sans le connaître : Le cœur a ses raisons que la raison ne comprend pas. […] Souffrances de Jésus, saints désirs de la mort, uniques pensées et méditations. […] Là je m’arrête ; à cette pensée s’attache un million de pensées mortes et vives, mais surtout mortes ; mon mémorandum, commencé pour lui, continué pour vous au même jour, daté de quelque joie l’an dernier et maintenant tout de larmes. […] Tout me devient d’une même couleur triste, toutes mes pensées tournent à la mort.

671. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Appendices de, la deuxième édition »

Mais, du point de vue de la théorie de la Relativité, l’immobilité dépend d’un libre décret : est immobile le système où l’on se place par la pensée. […] Attribuer aux deux systèmes des vitesses de sens opposés consisterait, au fond, à se placer par la pensée dans un troisième système de référence, alors qu’on ne s’est donné que S et S′. […] Il faut d’ailleurs toujours rester en garde contre la tentation de se placer par la pensée, en même temps, dans les systèmes S″, S‴, etc. […] Mais, justement parce que sa pensée peut se poser n’importe où et se déplacer à chaque instant, il aime à se figurer qu’elle est partout, ou qu’elle n’est nulle part. […] C’est du haut de ce système S″ qu’il opère en réalité — même si sa pensée se croit partout ou ne se croit nulle part — quand il distribue l’univers en systèmes animés de tels ou tels mouvements.

672. (1924) Critiques et romanciers

Scribe, son art et sa pensée. Mais, la pensée de M.  […] … » Fantasio badine sur les plus tristes pensées. […] et vous n’êtes pas sûr que votre pensée soit si neuve ! […] Il était un extraordinaire ouvrier de littérature et de pensée.

673. (1915) Les idées et les hommes. Deuxième série pp. -341

Leur plus belle pensée, ils la tiennent en réserve dans leur âme. […] Noble poésie, celle qui n’est pas l’ornement de la pensée, mais la pensée elle-même ; et celle à qui la pensée n’a pas eu de sacrifice à consentir ; et celle qui, n’altérant pas la pensée, la consacre ! […] Même il emploie peu de musique, au service de sa pensée. […] Ni l’art n’est le même, ni la pensée. […] Mais, dans la pensée de M. 

674. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Appendice — II. Sur la traduction de Lucrèce, par M. de Pongerville »

Sainte-Beuve n’eût été occupé désormais que de la pensée philosophique. […] Si vous l’ignorez, lecteur, le voici : « On avait cru jusqu’à ce jour en France, et depuis Gassendi jusqu’à MM. de Fontanes et Villemain, que Lucrèce, esprit rêveur et mélancolique, jeté dans le monde à une époque d’anarchie et de discordes civiles, troublé de doutes et de terreurs philosophiques à la manière de Pascal et de Boulanger, voyant l’État s’abîmer dans les crimes, et ne sachant où la destinée humaine poussait l’homme ; on avait cru que pour échapper au vertige et ne pas glisser misérablement de ces hauteurs où l’avait emporté sa pensée, il s’était jeté en désespoir sur la solution d’Épicure, s’y attachant avec une sorte de frénésie triomphante, et que de là, dans quelques intervalles de fixité et de repos, il avait voulu enseigner à ses contemporains la loi du monde, la raison de la vie, et leur montrer du doigt le sentier de la sagesse. […] « Tout le vers : que d’épurer un cœur, etc., est à la fois une faute grossière de style, car il n’y a nulle analogie pour l’image entre filets, épurer et rendu coupable ; et un contresens formel, car il n’entre nullement ici dans la pensée de Lucrèce de dire que l’amour souffle le cœur ; le poète n’entend parler que des douleurs et des tortures que cause la passion. […] À voir même le soin particulier avec lequel il en efface toutes les indications essentielles, on pourrait croire souvent qu’amusé autour des objets de détail, il n’a pas saisi le mouvement général de la pensée ni les rapports des diverses parties entre elles. […] « Découvre qui pourra cette pensée dans les vers suivants : En vain il (le méchant) se confie au secret protecteur !

675. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « JULES LEFÈVRE. Confidences, poésies, 1833. » pp. 249-261

L’œuvre du poëte, comme la maison du Romain, doit être de cristal, afin que rien n’y dérobe jamais la pensée. — Ce livre des Confidences, dont il s’agit, est un des livres de poésie les plus substantiels que je connaisse ; l’auteur, malgré la science qu’il déploie, habite véritablement dans sa passion ; il y est, pour ainsi dire, en plein milieu ; mais il y est tantôt dans un brouillard épais, tantôt dans un marais sans rivage, quelquefois comme enchaîné dans un bloc immense ; ce qui lui manque essentiellement, c’est le style, selon l’acception la plus large du mot, le style qui choisit, qui détermine, qui compose, qui figure et qui éclaire. Je voudrais rendre toute ma pensée, sans diminuer en rien l’expression de l’estime que je fais du livre de M. […] Avant d’arriver, en effet, à l’expression directe du sentiment qui l’émeut, le poëte érudit fait volontiers le grand tour ; il se souvient de tout ce qu’il a lu en diverses langues de plus ou moins analogue à ce qu’il sent ; il traverse laborieusement cette infinité de réminiscences ; il y réfracte mainte et mainte fois sa pensée primitive, et elle ne nous parvient, quand il l’exprime, que déjà détournée de sa route et dépouillée de son rayon. […] Il aura beau dire que les épigraphes ne sont choisies qu’après sa pièce composée, et comme un simple enjolivement du titre, je reconnais souvent, dans le cours même du poëme, la traduction des vers et des pensées que m’avait offerts la petite préface anthologique. […] Il me semblait si doux, pour une âme oppressée, De pouvoir dans une autre envoyer ma pensée, Que, d’une ingratitude eussé-je dû périr, J’aurais, pour tout donner, voulu tout conquérir.

676. (1875) Premiers lundis. Tome III « M. Troplong : De la chute de la République romaine »

On trouve bien çà et là dans les auteurs quelques pensées philosophiques, quelques réflexions morales propres à guider le lecteur dans la recherche des causes qui amenèrent la chute de la République ; mais ce ne sont que des aperçus partiels, des données incomplètes, des systèmes vagues et quelquefois superficiels. […] Il n’en est pas moins vrai que le génie romain, tout en professant pour elle le respect religieux qu’il eut toujours pour l’antiquité, ne tarda pas à comprendre que son mouvement était captif dans cette citadelle du droit strict ; de sorte que l’équité, modifiant peu à peu tous les rapports de la propriété, de la famille et des obligations civiles, substitua au système de la loi décemvirale des pensées plus conformes à la liberté, à l’égalité et à la bonne foi. […] Son portrait de Lucain est sévère et juste : il caractérise l’ensemble de ce poëme de la Pharsale avec l’impatience que ces enflures et ces ambitions de pensée donnent à tout esprit net et sain. […] nous ne nous plaignons plus de rien ; les crimes mêmes et les attentats à ce prix nous sont agréables. » Voilà de ces pensées à la Lucain et qui compromettent tout. […] Dès les premiers mots, il a déclaré sans détour toute sa pensée : « Soyons sans pitié pour la gloire ! 

677. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre I. Vue générale du seizième siècle »

Quelques tentatives s’étaient produites pour élargir la pensée, ou renouveler la littérature : mystiques, hérétiques, philosophes et curieux de toute sorte avaient, avec plus ou moins de succès individuel, essayé de rompre le réseau du dogme. […] Aux Latins, toujours présents et vénérés, elle avait, dans le cours du xve  siècle, ajouté les Crées : si superficiellement que soit hellénisée la Renaissance, si clairsemés qu’aient toujours été les vrais hellénistes, en Italie et ailleurs, cependant l’action des Grecs fut immense et heureuse : de Platon découvert et d’Aristote mieux compris, d’Homère et de Sophocle, sont venues les plus hautes leçons de libre pensée et d’art créateur, et ils ont peut-être le principal mérite de l’heureuse évolution par laquelle la Renaissance, échappant aux creux pastiches et aux grâces bâtardes, atteignit l’invention originale et la sérieuse beauté. […] Mais partout, dans l’aise élégante de la vie comme dans l’élan hardi de la pensée, une sensation esthétique se dégageait : dans la politique, l’amour, la philosophie, la science, le besoin s’enveloppait d’art, et l’activité humaine, s’affranchissant des fins particulières qu’elle poursuivait, les dépassant, se complaisait dans la grâce de son libre jeu, ou se réalisait en formes d’une absolue beauté. […] Despériers sert la Réforme, la libre pensée et la poésie. […] L’art s’élimine aussi, par la tendance essentielle de l’esprit français, des autres ouvrages de la pensée.

678. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Anatole France, le Lys rouge »

Pour vous avoir trouvée belle, un soir, sur ce canapé, j’ai été assailli d’une nuée de pensées violentes. […] Thérèse exprime continuellement des pensées délicates, ingénieuses et profondes, puisque ce sont les pensées mêmes de M.  […] L’auteur nous les donne tels qu’ils se répercutent dans sa pensée, où ils s’éclaircissent et s’enrichissent à la fois. […] La piété de son imagination grandissait dans la même mesure que l’impiété de sa pensée.

679. (1888) Demain : questions d’esthétique pp. 5-30

Sourds aux sollicitations du monde qui leur demande des beautés harmonieuses à l’idéal enfantin, ils passent, doux et graves, déléguant aux parvis célèbres les solliciteurs, et traversent dans l’exil de leur pensée les joies et les douleurs tumultueuses. […] Son génie l’emportait naturellement aux œuvres absolues où tout l’homme peut se réaliser dans ses pensées, dans ses sentiments, dans ses sensations  à Salammbô et surtout à la Tentation. […] Mis à part des génies tout puissants comme Pascal et Balzac qui reflétèrent dans le flot profond de leur pensée tout l’art et toute la vie, et des esprits infiniment subtils et délicieux comme Joubert et Stendhal qui se datèrent de l’avenir, tous nos grands ancêtres ont donc coopéré à cette vaste analyse humaine qu’enfin voilà conclue. […] La sculpture elle-même s’émeut de son immémoriale immobilité, se soucie moins, désormais, de forme que de physionomie, se préoccupe de pensées et fait parler de vives prunelles dans ces orbites que la statuaire grecque laissait creux. […] Quant à nos pensées, plus elles seront selon la nature, moins elles resteront accessibles aux générations qui grandiront sur des vélocipèdes à l’ombre de la Tour Eiffel...

680. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXVIII. Caractère essentiel de l’œuvre de Jésus. »

Il a créé le ciel des âmes pures, où se trouve ce qu’on demande en vain à la terre, la parfaite noblesse des enfants de Dieu, la pureté absolue, la totale abstraction des souillures du monde, la liberté enfin, que la société réelle exclut comme une impossibilité, et qui n’a toute son amplitude que dans le domaine de la pensée. […] De même, avant Jésus, la pensée religieuse avait traversé bien des révolutions ; depuis Jésus, elle a fait de grandes conquêtes : on n’est pas sorti, cependant, on ne sortira pas de la notion essentielle que Jésus a créée ; il a fixé pour toujours l’idée du culte pur. […] On chercherait vainement une proposition théologique dans l’Évangile Toutes les professions de foi sont des travestissements de l’idée de Jésus, à peu près comme la scolastique du moyen âge, en proclamant Aristote le maître unique d’une science achevée, faussait la pensée d’Aristote. […] Un état où l’on dit des choses dont on n’a pas conscience, où la pensée se produit sans que la volonté l’appelle et la règle, expose maintenant un homme à être séquestré comme halluciné. […] En supposant que sa pensée à cet égard puisse prêter à quelque équivoque, la direction générale du christianisme après lui n’en permet pas.

681. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VIII. Quelques étrangères »

Si cette « chère âme » était belle de quelque générosité native ou acquise, nous serions — malgré le néant de la pensée, malgré l’enfantillage des constructions et le manque de vie des personnages — payés un peu de notre effort à suivre les longues divagations. […] Tout comme Néron chante dans sa joie délirante de vers qu’il n’a point faits et déshonore Homère de sa bave impériale, Annunzio clame, bacchant écumant, des images volées à Shelley, des chansons cambriolées dans Maeterlinck, des « pensées » prises à tous, à ceux qui pensent et à ceux qui ne pensent pas. […] Et déjà la pensée ici est bafouée dans le personnage d’Homais, comme elle le sera tout le long de Bouvard et Pécuchet. […] [Thomas Hardy] Thomas Hardy est un esprit singulier, intéressant et troublant, riche en observations de détails, fécond en pensées générales et en hypothèses ingénieuses, mais auquel manque cruellement le don d’harmonie. […] Pour conter rapidement en restant intelligible, mon analyse a dû supprimer tout ce qui est le plus incohérent dans les événements, dans les sentiments, dans les pensées et, malgré moi, elle a simplifié et organisé le reste.

682. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VII. Le langage et le cerveau »

Trousseau essaye d’expliquer ce fait en disant que ce malade a conservé la mémoire de l’acte et qu’il a perdu celle du signe ; mais l’acte lui-même est un signe, et ce malade ne l’emploie pas au hasard, il s’en sert parfaitement et correctement pour exprimer sa pensée, ce qui est le caractère essentiel du signe. […] Bouillaud : « Matériellement, la main est aussi assurée qu’elle l’était en état de santé55 ; les lettres sont bien tracées, mais les lettres ne forment point de mots, et ne peuvent rendre une pensée quelconque…, et cependant, ayant pris un papier rayé, le malade se mit à composer quelques lignes, que sa femme exécuta sur le piano, toute stupéfaite de l’exactitude de la composition, exempte de toute toute ou erreur musicale. […] On peut rapprocher des cas précédents ce que l’on appelle la substitution de mots, un malade ne trouvant pour s’exprimer que des mois absolument opposés à la pensée qu’il veut rendre : « Une dame disait les choses les plus inconvenantes, les injures les plus grossières, en faisant le geste gracieux d’une personne qui invite quelqu’un à s’asseoir ; et c’était en effet ce qu’elle voulait qu’on fit. » Quelquefois il y a un désaccord absolu entre la pensée et le vocabulaire, et, quoiqu’il soit assez impropre d’appeler aphasie ce genre de désordre, puisque ces sortes de malades parlent et parlent beaucoup, le fait n’en est pas moins curieux et assez voisin des précédents. […] Quelque intéressants que soient par eux-mêmes les faits que nous venons de rapporter, il est difficile d’en tirer une théorie générale, et c’est assez arbitrairement qu’on désigne des phénomènes si différents sous le nom général d’aphasie, à moins qu’on ne convienne que c’est là une étiquette purement arbitraire, qui sert à dénommer tous les troubles, de quelque nature qu’ils soient, qui peuvent affecter les rapports du langage et de la pensée.

683. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre premier. Astronomie et Mathématiques. »

De quelque côté qu’on envisage le culte évangélique, on voit qu’il agrandit la pensée, et qu’il est propre à l’expansion des sentiments. […] « Notre connaissance, dit-il, étant resserrée dans des bornes si étroites, comme je l’ai montré, pour mieux voir l’état présent de notre esprit, il ne sera peut-être pas inutile… de prendre connaissance de notre ignorance, qui… peut servir beaucoup à terminer les disputes… si, après avoir découvert jusqu’où nous avons des idées claires… nous ne nous engageons pas dans cet abîme de ténèbres (où nos yeux nous sont entièrement inutiles, et où nos facultés ne sauraient nous faire apercevoir quoi que ce soit), entêtés de cette folle pensée que rien n’est au-dessus de notre compréhension 153. » Enfin, on sait que Newton, dégoûté de l’étude des mathématiques, fut plusieurs années sans vouloir en entendre parler ; et de nos jours même, Gibbon, qui fut si longtemps l’apôtre des idées nouvelles, a écrit : « Les sciences exactes nous ont accoutumés à dédaigner l’évidence morale, si féconde en belles sensations, et qui est faite pour déterminer les opinions et les actions de notre vie. » En effet, plusieurs personnes ont pensé que la science entre les mains de l’homme dessèche le cœur, désenchante la nature, mène les esprits faibles à l’athéisme, et de l’athéisme au crime ; que les beaux-arts, au contraire, rendent nos jours merveilleux, attendrissent nos âmes, nous font pleins de foi envers la Divinité, et conduisent par la religion à la pratique des vertus. […] Supposons qu’une pensée soit représentée par A et une autre par B : quelle prodigieuse différence n’y aurait-il pas entre l’homme qui développera ces deux pensées, dans leurs divers rapports moraux, politiques et religieux, et l’homme qui, la plume à la main, multipliera patiemment son A et son B en trouvant des combinaisons curieuses, mais sans avoir autre chose devant l’esprit que les propriétés de deux lettres stériles ? […] Vous remplissez cette jeune tête d’un fracas de nombres et de figures qui ne lui représentent rien du tout ; vous l’accoutumez à se satisfaire d’une somme donnée, à ne marcher qu’à l’aide d’une théorie, à ne faire jamais usage de ses forces, à soulager sa mémoire et sa pensée par des opérations artificielles, à ne connaître, et finalement à n’aimer que ces principes rigoureux et ces vérités absolues qui bouleversent la société.

684. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le colonel Ardant du Picq »

Mais, en fin de compte, tout livre, quel qu’il soit, donne après tout l’esprit d’un homme dans le plus pur de sa substance, à quelque chose qu’il l’ait appliqué, et c’est par l’esprit et la forme qu’il imprime toujours et forcément à la pensée que ce livre appartient à la critique générale telle qu’on s’efforce d’en faire ici… En critique, il ne s’agit jamais que de prendre la mesure d’un homme, et les livres ne servent guères qu’à cela. […] Comme tous les hommes d’idées, et que leurs idées mènent ou entraînent, le colonel Ardant du Picq ne verse jamais dans l’utopie, ce mal ordinaire des penseurs enivrés de leurs propres pensées. […] Quand la mécanique, l’abominable mécanique, s’empare du monde et le broie sous ses bêtes et irrésistibles rouages, quand la science de la guerre a pris des proportions de destruction inconnues, par le fait d’engins nouvellement découverts et perfectionnés qui ne font plus d’elle qu’un épouvantable massacre à distance, voici une tête assez maîtresse de sa pensée, dans ce tapage du monde moderne bouleversé, pour ne pas se laisser opprimer par ces horribles découvertes, qui rendent, à ce qu’il semble, les Frédéric de Prusse et les Napoléon impossibles, et qui dépravent jusqu’au soldat ! […] Il retient sa pensée, la ramasse et la bloque toujours dans une phrase serrée comme une cartouche, et, quoi qu’il exprime, son style a la rapidité et la précision de ces armes à longue portée qui empêchent les balles d’être des folles, comme les appelait Souwarow, et qui ont détrôné la baïonnette… L’auteur des Études sur le Combat aurait été partout un écrivain. […] je ne crois pas, pour ma part, qu’au fond de son âme et de sa robuste pensée ce grand spiritualiste de la guerre puisse accepter sans trouble que la guerre, qui sort de l’âme de l’homme et qui se fait avec l’âme de l’homme, ne soit pas éternelle comme l’homme et sa race, et qu’un jour elle doive disparaître, comme un fétu dans les airs, sous le souffle omnipotent des démocraties.

685. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire des Pyrénées »

Les esprits qui se disent positifs et qui, le plus souvent, ne sont que grossiers, parlent beaucoup des faits, — et c’est même la dernière malhonnêteté du matérialisme contre la pensée, — mais les faits, quelque respect qu’on ait pour eux, ne sont, après tout, que le côté accidentel ou pittoresque de l’histoire, c’est-à-dire, en soi, une chose nécessaire, mais inférieure. […] L’amour du pays a pu passionner sa pensée. […] Personne, au contraire, ne les aurait mieux que lui, s’il voulait s’abandonner au mouvement de sa pensée et la faire intervenir davantage. […] Or, cette espèce d’histoire-là, ce ne sont pas les renseignés, les savants, les attachés et les attelés aux faits qui la composent, tous ces gens qui, voulant faire un livre exact et impartial, n’ont qu’à barrer leurs portes et rester assez indifférents pour ne jamais mentir ; mais bien ceux plutôt qui impriment leur pensée et leurs doctrines sur la face brute de l’Histoire. Car tout fait important a été déjà exprimé une fois, comme toute idée pensée déjà, — a dit Goethe, — et pour leur redonner cours dans le monde, il faut reproduire l’un et repenser l’autre, sous la forme la plus propre à la personnalité qu’on a.

686. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIII. M. Nicolardot. Ménage et Finances de Voltaire » pp. 297-310

Évidemment nous ne pouvions manquer à cette obligation de notre pensée. […] Prenez, si vous voulez, tous les écrits politiques que notre siècle a vus, toutes les élucubrations quelconques de ces penseurs à répétition qui se donnent pour sonner leur propre pensée, et vous verrez si un seul de ces écrits peut échapper à l’une ou à l’autre de ces deux et fatales origines, ou la théorie de Rousseau ou la théorie de Montesquieu ! […] On lui avait appliqué une espèce de faux axiome qu’il avait inventé : c’est que la vie des hommes célèbres est dans leur pensée et qu’on ne doit la chercher que dans leurs écrits. […] le livre du Ménage et Finances de Voltaire n’a pas seulement dans la pensée de son auteur le but de polémique que nous avons signalé. […] Louis Nicolardot, saisissant Voltaire bien plus dans tous les jours de la vie que dans les choses de la pensée et dans ses contemplations d’écrivain, nous oblige à le regarder dans ce qui convenait le mieux à sa nature positive et enflammée, les relations, les influences et les intérêts.

687. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « II. Jean Reynaud »

Jean Reynaud, ils n’ont pas moins apprécié les trois grandes puissances sur la tête humaine qui se trouvent dans ce livre de Terre et Ciel, et qui en protègent actuellement, la fortune, à savoir : l’appareil des mots scientifiques pour cacher le vide de la pensée, l’effronterie gratuite de l’hypothèse et la majesté de l’ennui ! […] Esprit physiologiquement religieux, tourné de tendance primitive et de tempérament vers les choses de la contemplation intellectuelle, métaphysicien et presque mystique, l’auteur de Terre et Ciel n’était point, par le fait de ses facultés, destiné aux doctrines de la philosophie moderne, mais pour des raisons qu’il connaît mieux que nous, et qu’il retrouverait s’il faisait l’examen de conscience de sa pensée, il n’a pu cependant y échapper. […] pour exprimer notre pensée), un perpétuel coq-à-l’âne sur les relations du temps à l’éternité. […] Sa pensée ne domine pas tous ces divers langages et ne les fait pas tourner autour d’elle, avec leurs clartés différentes, dans la convergence de quelque puissante unité. […] Seulement cette haine entortillée, insidieuse, nous fait payer par un ennui à nous déformer la figure, les embarras de la pensée de l’auteur.

688. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIX. M. Eugène Pelletan »

Elle pourra lui servir, à lui, car l’esprit gagne toujours à se mettre bien en face de sa pensée, en l’exprimant. […] Eux sont, avant tout, des anatomistes de la pensée. […] Pelletan a-t-il vu ailleurs que dans les arrangements de sa pensée, ou sur l’échiquier idéal dans lequel il encastre les événements et ploie l’histoire du monde à sa fantaisie, que l’homme fut chasseur avant d’être pasteur, que ce fut le troupeau qui lui donna l’idée de la famille ; la chasse et les partages de la proie, l’idée de la propriété ? […] C’est un coup manqué dans l’ordre de la pensée. […] C’est la seule explication qu’on puisse donner de ce triste phénomène : un homme si bien doué, produisant un système qui répond si peu aux ambitions de sa pensée !

689. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Christophe »

L’orthodoxie, en effet, donne à la pensée une sûreté, une élévation sans vertige et sans trouble, plus nécessaire qu’ailleurs dans l’appréciation de l’esprit de l’Église et de son action, même humaine. […] Et l’intérêt qu’elle inspire, pour toutes ces raisons, est si grand, que partout où l’on prend cette histoire, partout où l’on coupe une tranche dans ce splendide morceau intellectuel qu’on appelle l’histoire de l’Église, il y a des régals inouïs, je ne dis pas seulement pour la foi, mais pour la pensée. […] Mais le : Écrivons nous-mêmes notre histoire, est peut-être revenu à la pensée du prêtre et lui a affaibli la main, quand il aurait fallu la faire sentir davantage. […] À l’optimisme de sa nature s’ajoute, du moins pour l’expression de sa pensée, la modération d’un tempérament plus équilibré qu’énergique. […] V Telles sont les pensées que fait naître l’histoire de l’abbé Christophe sur le xve  siècle.

690. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules De La Madenène » pp. 173-187

Ils sont esthétiquement moins beaux, et par conséquent ils s’adressent moins à l’imagination que les pâtres de Miréio, ces figures de bas-reliefs qui vivent, mais ils parlent plus à la pensée. […] Chez lui l’habitude de la contemplation a tranquillisé immensément la pensée. […] La douceur de M. de La Madelène n’a rien de béat, ni d’optimiste, ni de sympathique à côté, ni de dupe, comme bien des talents qui n’en sont pas plus doux pour cela ; et sa lumière est faite d’une chaleur et d’une flamme, dont les rayons peuvent se velouter en passant par le milieu de sa pensée, mais n’y perdent pas de leur pénétrante intensité ! […] Elle est l’industrie et l’art en enfance, dans la pensée et sous la main de cet homme plongé encore dans la gaine du paysan, mais qui s’en détire comme le lion de Milton de son argile, et qui respire à pleines narines la civilisation qui s’en vient vers son pays et pour laquelle il est plus fait que les autres hommes qui l’entourent. […] Ils l’appellent l’esprit de la lune, l’espérit des ciales, et même l’évêque des cigales, les jours où ils l’aiment davantage, car ils l’aiment, cet homme qui en sait plus long qu’eux, par les seules forces mystérieuses de sa pensée, sans avoir comme eux rien appris !

691. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 7172-17709

Les uns sont d’une verité immuable & d’un usage universel ; ils tiennent à la nature de la pensée même ; ils en suivent l’analyse ; ils n’en sont que le résultat. […] Pour rendre la pensée sensible par la parole, on est obligé d’employer plusieurs mots, auxquels on attache les sens partiels que l’analyse démêle dans la pensée totale. […] L’office de la Syntaxe est d’expliquer tout ce qui concerne le concours des mots réunis, pour exprimer une pensée. […] Il ne s’agit pas du fond de la pensée, qui est de faire entendre que César n’avoit exercé aucune cruauté dans la ville de Rome ». […] Leur pensée revient à la mienne ; mais nous employons diverses dénominations.

692. (1886) Le roman russe pp. -351

Je voudrais montrer comment tout a contrarié cette pauvre pensée et retardé sa maturité. […] De rigoureux, d’interminables hivers accablent l’homme, interrompent son travail, attristent sa pensée. […] Toute sa force de pensée se tend sur cette idée fixe. […] C’est bien là le son que rendait cette âme harmonieuse quand une pensée la touchait. […] Quelquefois une hirondelle vient voleter sous le hangar, c’est un gros événement, de la pensée pour plusieurs semaines.

693. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre deuxième »

Au reste, il ne faut pas plus chercher dans Villehardouin la profondeur des pensées que l’art du récit. […] Il n’en a que plus de mérite à avoir relevé la pensée poétique d’Horace, par un sentiment chrétien, bien supérieur au développement descriptif du poète. […] Elle est restée aussi loin de la grâce et du naturel d’une femme, que de la force de pensée d’un homme. […] Elle a péri dans ses efforts : mais la pensée même qui les lui fit faire lui a survécu. […] La langue de Comines n’est pas mûre, parce que toutes ces pensées dont nous le louons sont plutôt entrevues et indiquées, qu’envisagées d’une vue claire et exprimées pleinement.

694. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 novembre 1885. »

C’est dans cette pensée qu’il conçut son Parsifal. […] Si nous sondons la pensée secrète de l’œuvre, nous y trouvons le disciple de Schopenhauer. […] —Esquisses, Pensées, Fragments (I vol. in-8° de 7 fr. 50, à Leipzig). […] Nous avons, maintenant, toute la pensée théorique écrite de Wagner, par la singulièrement bonne fortune de cette publication posthume. […] Il mêle la connaissance musicale à la pensée ésotérique sans tomber dans les travers fantasques de Péladan.

695. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Première série

Il est certain qu’il a plus pâti de sa pensée que de la fortune. […] La pensée solitaire et continue le prit alors dans son engrenage. […] (Je trahis peut-être sa pensée en la traduisant ; tant pis ! […] Renan ne recule d’ailleurs devant aucune des conséquences de sa pensée. […] Il a la pensée triste et l’esprit plaisant.

696. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre II. Le mouvement romantique »

« Les passions de l’âme et les affections du cœur, disait Hegel, ne sont matière de pensée poétique que dans ce qu’elles ont de général, de solide, et d’éternel. » Aussi le grand, le puissant lyrisme n’est-il pas celui par où le poète se distingue de tout le monde, mais celui qui en fait le représentant de l’humanité. […] L’Italie introduisait avant nous la révolte contre les unités classiques, et Manzoni publiait en 1820 son Comte de Carmagnola : mais l’Italie surtout avait Dante, toute la pensée et toute l’âme du moyen âge ramassées dans la Divine Comédie. […] Sainte-Beuve, venu au romantisme en 1827, s’attachait à deux idées principalement dans son Tableau de la poésie au xvie siècle 728 et dans ses Pensées de Joseph Delorme 729. […] La religion, jadis, drainait, canalisait dans la vie individuelle et dans le domaine littéraire, l’émotion et la pensée métaphysiques : quand, par le progrès de la philosophie, elle a cessé de faire son office pour les classes supérieures de la nation, alors tous les sentiments qu’elle enfermait dans certains actes de la vie et certains genres de littérature, ont inondé toute la vie et toute la littérature. Le classique s’inquiète de sa destinée à l’église, ou bien en lisant ou faisant un sermon ; le romantique mêle cette inquiétude dans tous ses actes (d’où il perd vite la faculté d’agir), et ne peut exprimer aucune pensée qui ne la contienne (d’où la pente rapide vers le lyrisme).

697. (1890) L’avenir de la science « XII »

C’est une pensée d’une effroyable tristesse que le peu de traces que laissent après eux les hommes, ceux-là mêmes qui semblent jouer un rôle principal. […] Les vingt volumes de ses œuvres complètes restent comme un développement nécessaire de sa pensée fondamentale. […] Toute cette dépense de force intellectuelle n’est pas perdue, si ces controverses ont fourni un atome à l’édifice de la pensée moderne. […] Nous ne sommes pas des écrivains qu’on étudie pour leur façon de dire et leur touche classique ; nous sommes des penseurs, et notre pensée est un acte scientifique. […] Nous, de même, nous chercherons à enrichir l’esprit humain par nos aperçus, bien plus qu’à faire lire l’expression même de nos pensées.

698. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Saint Anselme, par M. de Rémusat. » pp. 362-377

Il avait l’imagination tendre et vive ; enfant, sa pensée se tournait naturellement aux choses célestes, et, dans ce pays de montagnes, il s’était accoutumé à les considérer comme les colonnes qui portaient le palais du Roi des mondes ; il ne s’agissait que de gravir pour y atteindre : Comme cette pensée roulait sans cesse dans son esprit, nous dit M. de Rémusat, qui se fait ici le traducteur excellent et l’humble interprète du premier biographe, il arriva qu’une nuit, il crut la réaliser. […] Et il ajoute dans une note, en développant un peu la pensée de Descartes : « Il faut avouer que tous ces raisonnements abstraits sont assez inutiles, puisque la plupart des têtes ne les comprennent pas. » Il est heureux, au point de vue religieux et moral, que la croyance en Dieu trouve des appuis plus naturels et plus sentis dans le cœur de l’homme. […] Anselme, qui a de beaux mots et des paroles heureuses pour exprimer sa pensée, disait en écrivant à Baudouin, roi de Jérusalem : « Il n’est rien qui soit plus cher à Dieu en ce monde que la liberté de son Église. » Ç’a été comme la devise et la maxime des seize dernières années de sa vie, et l’opinion catholique universelle lui en a su gré avec une solennelle reconnaissance. […] Je voudrais que M. de Rémusat n’eût à cet égard aucun respect humain, et qu’il nous dît au net ce qu’il pense de tout cela, et à la française, ce qui dans ma pensée ne signifie pas du tout à la légère. […] Évitons ces retours, du reste bien naturels, de l’humeur, et mettons notre pensée plus haut, reprenons notre influence dans une sphère plus sûre, j’entends celle des lettres sérieuses et pratiquées dans leur véritable esprit.

699. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre I : Rapports de cette science avec l’histoire »

Sans doute les événements extérieurs ont un éclat qui frappe tous les yeux ; mais pour ceux qui aiment la pensée, quel plus grand événement qu’une grande idée, une vue originale sur la nature des choses ? […] On dit que les choses sont plus intéressantes que les livres ; mais qui ne voit que les livres sont eux-mêmes des choses, et la plus noble des choses, le vêtement visible de l’incorporel et de l’impalpable, c’est-à-dire de la pensée ? On dit encore que la nature est le livre de Dieu ; mais la pensée humaine n’est-elle pas aussi le livre de Dieu, et en quelque sorte son verbe mortel ? On est bien aise de savoir quelles sont les fonctions de l’estomac ou du foie ; mais les opérations de la pensée, étudiées dans les plus grands de ses représentants, ont une bien autre valeur. Ainsi, à aucun point de vue, les livres ne sont inférieurs aux choses ; je parle des grands livres, qui ne sont pas de purs accidents, mais qui sous une forme particulière expriment quelques-unes des lois générales de la pensée.

700. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXIV » pp. 294-298

Saint-Marc Girardin, vers la fin de son discours, avait assez délicatement touché cette situation en disant : « Et pardonnez-moi, messieurs, si le souvenir de nos jeunes princes50me ramène naturellement vers ces écoles d’où ils sont sortis, vers ces lieux où j’ai mes plus doux devoirs, où il m’est donné de vivre avec les jeunes gens, et d’observer l’avenir de la patrie à travers le leur ; là aussi je vois la jeunesse toujours favorable aux bons sentiments et aux nobles pensées, toujours aisément émue quand on lui parle des saintes obligations de la famille ou de la gloire de la France ; bienveillante, j’ai droit de le croire, pour ceux qui l’instruisent, pour ceux même qui l’avertissent. […] A mesure que leur point de vue se hausse, leur pensée monte. […] Ils ignorent tout sentiment qui pourrait troubler la paix inaltérable de leur pensée.

701. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Appendice — Début d’un article sur l’histoire de César »

Cette ambition unique, qu’ils se sont proposée et inculquée dès la jeunesse, et qu’ils n’ont abdiquée à aucun moment, cette éducation qu’ils se sont donnée, si exclusive, si incomplète, mais si perpétuellement tendue vers un seul point, leur a réussi ; ils ont élevé leur esprit et leur pensée jusqu’à la hauteur du but, invraisemblable pour tous et certain pour eux seuls, qu’ils contemplaient toujours et auquel ils visaient sans trêve. […] L’esprit, à les vouloir servir, perdrait ses peines ; ils ont des côtés fermés ; ils sont sourds à tout ce qui n’est pas eux et l’écho de leur propre pensée. […] Et cela, jusqu’à un certain point, est vrai : car, même avec tous ces défauts, avec toutes ces lacunes et ces creux qui se révèlent dans leurs pensées habituelles et dans la forme de leur caractère, la société ébranlée est encore trop heureuse de les avoir rencontrés un jour et de s’être ralliée à deux ou trois des qualités souveraines qui sont en eux : elle doit désirer de les conserver le plus longtemps possible, et tant qu’il porte et s’appuie sur leurs épaules même inégales, il semble que l’État dans son penchant ait encore trouvé son meilleur soutien.

702. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bouchor, Maurice (1855-1929) »

. — Vers la pensée et vers l’action (1899). […] Art et philosophie : les vers, savants et froids, ne chantent pas ; les pensées, niant, ne créent pas. […] Voici qu’il édite maintenant chez Hachette un livre de poèmes au titre courageux : Vers la pensée et vers l’action.

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