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1008. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

De Dieu, de la morale, on ne leur disait mot. […] Beaucoup de gens l’avaient pris au mot, et le sommaient de réaliser, au moins pour eux, ses utopies. […] S’il ne préside pas à l’accouchement, il n’est pas loin, et il y dit son mot. […] Je me sens une âme qui peut se montrer. » C’est, aux mots près, le début des Confessions. […] Dans tous les débats entre sa conscience et son orgueil, sa conscience n’a jamais le dernier mot.

1009. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1887 » pp. 165-228

Jeudi 24 mars Daudet parlait, ce soir, d’un garçon de la littérature auquel il a fait quelquefois la charité, et dont la spécialité était de fabriquer des mots d’enfants, des mots de bébé, et qui lui disait : « J’ai fait aujourd’hui un bébé de trois francs !  […] Mardi 26 juillet Le beau mot ! […] À propos du qualificatif doux, Daudet dit que le mot vient des troubadours, qui ont dénommé la femme « une douce chose » et que c’est curieux que la douceur soit ce qu’il y a de plus recherché, comme qualité et mérite de la femme, pendant la période révolutionnaire ; et comme bientôt nous nous préoccupons de l’expansion du mot chose en littérature, de son emploi à tout bout de champ, il fait la remarque que le mot d’origine espagnole ou italienne, a été adopté par le romantisme, et surtout affectionné par Hugo, qui en a senti tout le charme diffus et vague. […] Car en dehors de l’éloignement de son tempérament, pour l’aigu, le mot violemment vrai, la coloration barbare, il y avait chez lui une déplorable soumission aux exigences de l’éditeur : témoin l’Hamlet russe, que je lui ai entendu avouer, sur les observations de Buloz, avoir amputé de quatre ou cinq phrases, faisant son caractère. […] Et comme je lui dis un mot du désir, que j’aurai un jour de lui voir illustrer : Venise la Nuit, il me fait observer, qu’il est un homme du nu et non de draperies.

1010. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Véritable Josaphat de cercueils, onze siècles de monarchie catholique se levèrent de leurs sépulcres et dirent à la Réforme les mots de Dieu aux flots de la mer : « Tu n’iras pas plus loin !  […] En peu de mots on a rarement dit autant de choses. […] Elle croit avoir répondu à tout quand elle a parlé de bigoterie et de papisme (ces mots essentiellement de fabrique anglaise), comme au temps de lord Bolingbroke. […] Après avoir écrit le mot Civilisation avec la béate confiance d’un moderne, il en place l’idée dans le développement des lettres et des arts, et la diffusion des connaissances. […] Il était, au contraire, sympathique et infatigable ; mais il n’aimait pas les fracas de l’esprit, quoiqu’il en eût, dans le sens incisif et brillant qu’on donne en France à ce mot-là.

1011. (1885) Le romantisme des classiques (4e éd.)

Voltaire entend par ces mots « la soumission qui suit aveuglément les ordres d’un supérieur ». […] Adieu : ce mot lâché me fait rougir de honte. […] Le Roi avec toute sa cour, survient avant que Don Sanche ait pu placer un mot pour la détromper. […] Voici en deux mots l’imbroglio, assez banal, de la pièce. […] Deux mots seulement sur sa vie et son caractère.

1012. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Cromwell » (1827) »

Certes, celui qui a dit : les français n’ont pas la tête épique, a dit une chose juste et fine ; si même il eût dit les modernes, le mot spirituel eût été un mot profond. […] dira-t-il au premier mot. […] C’est de cette façon que des idées s’éteignent, que des mots s’en vont. […] Qui voudrait y retrancher un mot ? […] Un dernier mot.

1013. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — Post-scriptum » pp. 154-156

Il s’agit du garde des sceaux d’Argenson tel qu’il était en province dans sa jeunesse : Voici le vrai texte : Au reste, il était gaillard, d’une bonne santé, donnant dans les plaisirs sans crapule ni obscurité ; la meilleure compagnie de la province le recherchait ; il buvait beaucoup sans s’incommoder, avait affaire à toutes les femmes qu’il pouvait, séculières ou régulières, un peu plus de goût pour celles-ci… Il disait force bons mots à table, il était de la meilleure compagnie qu’on puisse être. […] Là où d’Argenson qui aime le mot énergique, fût-il trivial, dit, en parlant des réunions à huis clos de l’Entresol : « Nous frondions tout notre soûl », on lui fait dire : « Nous frondions parfois bien ouvertement » : ce qui n’a pas le même sens. […] Un dernier mot pourtant sur une question de principes qu’il ne faut pas abandonner.

1014. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Stéphane Mallarmé »

Stéphane Mallarmé a mis en tête de sa traduction des poèmes d’Edgar Poe8 ce sonnet préliminaire : LE TOMBEAU D’EDGAR POE Tel qu’en Lui-même enfin l’éternité le change Le Poète suscite avec un glaive nu Son siècle épouvanté de n’avoir pas connu Que la Mort triomphait dans cette voix étrange Eux comme un vil sursaut d’hydre oyant jadis l’ange Donner un sens plus pur aux mots de la tribu Proclamèrent très haut le sortilège bu Dans le flot sans honneur de quelque noir mélange Du sol et de la nue hostiles ô grief Si notre idée avec ne sculpte un bas-relief Dont la tombe de Poe éblouissante s’orne Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur Que ce granit du moins montre à jamais sa borne Aux noirs vols du Blasphème épars dans le futur Qu’est-ce que cela veut dire ? […] Sa conversation se distingue par un tour imprévu et charmant ; il y emploie du reste les mêmes mots que tout le monde, et dans le même sens, ou à peu près. […] « La foule, qui d’abord avait sursauté comme une hydre en entendant cet ange donner un sens nouveau et plus pur aux mots du langage vulgaire, proclama très haut que le sortilège qu’il nous jetait, il l’avait puisé dans l’ignoble ivresse des alcools ou des absinthes.

1015. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Art français » pp. 243-257

La peinture est-elle en un mot un art spiritualiste ? […] Et il y avait entre eux deux une émulation pour définir en une phrase, pour faire dire à un mot, le cela presque inexprimable qui est dans un objet d’art. […] Il éprouvait pour le plus jeune de nous deux une sorte d’affection paternelle ; et la solitude du Point-du-Jour s’ouvrait à notre visite avec cet aimable mot d’accueil : « Mes enfants, vous êtes la joie de ma maison ! 

1016. (1888) Impressions de théâtre. Deuxième série

Le voici en deux mots. […] Je n’en retiens qu’un mot. […] qu’y a-t-il donc dans ce mot ? […] Je rappelle la donnée en quelques mots. […] les mots soulignés !

1017. (1890) Dramaturges et romanciers

Encore un mot. […] Pour nous résumer d’un mot, M.  […] Feuillet nous l’a révélé par un mot étrange et profond. […] Ce mot prépare le dénouement du livre, et en donne au lecteur la complète intelligence. […] Un mot sur le caractère de Mme de Tècle.

1018. (1898) Impressions de théâtre. Dixième série

On flaire dans tout le drame un cynique — ou très naïf — abus de mots. […] Et des mots ! des mots ! […] Il a même le mot pour rire. […] Il a des « mots de nature » tant qu’il veut et tant qu’on veut.

1019. (1866) Nouveaux essais de critique et d’histoire (2e éd.)

Que de mots semblables à ceux-ci ! […] Là est sa dernière tristesse et son dernier mot. […] Elles ont des mots d’auteur. […] On entendait rouler dans ses moindres mots des chevaux et des voitures. […] Quelle fin et quel mot !

1020. (1901) Figures et caractères

Il y a dit son dernier mot d’homme, de poète et de philosophe. […] Chaque mot a sa valeur fixe, unique et chaque fois la même. […] Le mot pullule sous sa plume. […] Les mots deviennent des êtres ; le poète les aime pour eux-mêmes. […] Sa phrase s’agrémentait d’un tri de mots judicieux.

1021. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Conduite de l’action dramatique. » pp. 110-232

Une résolution subite et généreuse, une victoire sur soi-même, un mot sublime, devient aussi un coup de théâtre. […] Les premiers mots du principal personnage doivent peindre son caractère, et d’une manière attachante. […] Un mot qui échappe du cœur, peint mieux que les menaces directes les plus violentes. […] Cette réponse serait bien plus sublime, sans ce mot de seigneur, qui la dépare. […] Ce mot, appliqué au genre de la comédie, est relatif.

1022. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVI. La littérature et l’éducation publique. Les académies, les cénacles. » pp. 407-442

C’est elle qui paraît avoir doté la langue française du mot d’ergoteur. […] Mais ce n’était certes pas un système propre à former des écrivains, à leur apprendre la sobriété, l’art de composer un ouvrage, de choisir leurs mots, de surveiller l’expression de leurs idées. […] Vers 1750 commencent à retentir en France des mots qu’on n’y entendait plus depuis longtemps. […] Par cela seul que Ronsard et ses amis, au collège de Coqueret, se sont plongés dans Pindare, Anacréon, les tragiques athéniens, aussitôt les sujets de leurs poèmes, leur style, les mots qu’ils forgent attestent ce retour à l’hellénisme. […] En notre siècle, sous l’action des idées démocratiques, le purisme a été vaincu ; les mots nouveaux ont fait en foule irruption.

1023. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « M. DE LA ROCHEFOUCAULD » pp. 288-321

Si Balzac et les académistes de cette école n’ont jamais l’idée que par la phrase, La Rochefoucauld lui-même, le strict penseur, sacrifie au mot. […] Je ne dirai qu’un mot de ses Maximes à elle, car elles sont imprimées ; elles peuvent servir à mesurer et à réduire ce qui lui revient dans celles de son illustre ami. […] Par un sens profond, le mot innocence, qui littéralement veut dire qu’on ne fait pas le mal, signifie qu’on ne le sait pas. […] — C’est la même que le mot habituel du plus antique des chantres : Δειλοῑσι βροτοῑσιν. […] C’est en pleine Fronde qu’il lui échappa un mot souvent cité, et qui révélait en lui le futur auteur des Maximes.

1024. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (4e partie) » pp. 429-500

Et pourquoi ne pas dire un mot de la parure sexuelle, des brillantes couleurs, des appendices qui distinguent les mâles ? […] L’homme qui prétend tout expliquer par un seul mot n’est pas digne d’en comprendre deux. […] Aucun, si ce n’est ce mot qui fait incliner toute tête : Mystère ! […] Il a seul le mot du Cosmos ! […] Il nous a apporté le mot, non de la science, mais de la conscience.

1025. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VIII, les Perses d’Eschyle. »

Ni répits ni trêve, ni reprise d’haleine : la foudre, en un coup, dit son dernier mot. […] D’un mot, il va l’en retirer mort ou vif. — « Malheureuse ! […] On y démêle, avec des mots orientaux, des formules d’incantation liturgique. […] C’est à peu près le mot final de Darius : — « A quoi peut servir la richesse aux morts ?  […] » — Cette fois le sarcasme ne se déguise plus et frappe à vif dans un mot cruel. — « L’Ionien ne manque donc pas de courage ? 

1026. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Edgar Allan Poe  »

Sans gradations et sans pause, par un mot sinistre ! […] Dans les poèmes, de mystérieuses doubles ententes entr’ouvrent sous le vague des mots, des dessous infiniment caves, courant abstrait de mysticisme qui sourd opulemment dans la dernière strophe du Corbeau. […] De la marche du conte, de son intrigue, mot impropre à des œuvres glaciales et dénuées de toute tendresse amoureuse comme l’Eurêka, les romans judiciaires et cryptographiques, tout l’intérêt procède. […] Des rythmes subtils, de musicales allitérations, la magie des mots, conduisent aux poèmes. […] Que ce mot soit le signal de notre séparation, oiseau ou malin esprit, hurlai-je en me dressant.

1027. (1913) La Fontaine « I. sa vie. »

Vous connaissez déjà, car ils sont bien connus, les mots échangés en ces circonstances. […] Il se retira donc chez M. d’Herwart, et vous savez le mot parfaitement inauthentique qui se rattache à cette circonstance. […] » Le mot est, très probablement, de la fabrication de Marmontel, un siècle après. Des mots de ce genre ne comptent pas. […] Ce mot-ci s’interprétera Des Jeannetons ; car les Clymènes Aux vieilles gens sont inhumaines.

1028. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Taine » pp. 305-350

Il était peut-être né léger, dans l’acception française et spirituelle du mot, mais l’étude, le travail acharné, l’ambition scientifique, l’ont fait lourd. […] Pour l’expliquer en deux mots, c’est l’assimilation de l’Histoire aux sciences naturelles, rien de plus. […] Taine, avec une douceur plus méprisante et plus cruelle que les mots les plus cruels et les plus méprisants de Tacite. […] Ici, le mot de Michelet, menteur où il est, devient vrai. […] Deux ou trois fois peut-être, dans cet épouvantable récit, dans ce fleuve de citations qui roule le Jacobinisme et ses cadavres, quelques mots vengeurs — des mots à la Tacite — lui échappent.

1029. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SUE (Jean Cavalier). » pp. 87-117

En un mot, la gamme du roman moderne est très au complet chez lui, et en même temps aucun ton trop prédominant n’y étouffe les autres. […] Certes, ni le mot ni la chose n’existaient et n’avaient cours sous Louis XIV. […] Sue a droit de répéter le mot ; il le pourrait mettre pour épigraphe à la première partie de ses Mystères. […] Deleytar, recueil de contes, du mot espagnol qui signifie amuser. […] demandait-on. — Voulez-vous savoir le fin mot ?

1030. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — I »

Il resterait toujours à savoir si ce procédé attentif et curieux, employé à l’exclusion de tout autre, est dramatique dans le sens absolu du mot ; et pour notre part nous ne le croyons pas : mais il suffisait, convenons-en, à la société d’alors, qui, dans son oisiveté polie, ne réclamait pas un drame plus agité, plus orageux, plus transportant, pour parler comme madame de Sévigné, et qui s’en tenait volontiers à Bérénice, en attendant Phèdre, le chef-d’œuvre du genre. […] Quoi qu’il en soit, le but moral de Phèdre est hors de doute ; le grand Arnauld ne put s’empêcher lui-même de le reconnaître, et ainsi fut presque vérifié le mot de l’auteur « qui espéroit, au moyen de cette pièce, réconcilier la tragédie avec quantité de personnes célèbres par leur piété et par leur doctrine. » Toutefois, en s’enfonçant davantage dans ses réflexions de réforme, Racine jugea qu’il était plus prudent et plus conséquent de renoncer au théâtre, et il en sortit avec courage, mais sans trop d’efforts. […] Il rapporte dans sa préface un mot sanglant de Tacite sur Agrippine : Quae, cunctis malae dominationis cupidinibus flagrans, habebat in partibus Pallantem, et il ajoute : « Je ne dis que ce mot d’Agrippine, car il y auroit trop de choses à en dire. […] Il est vrai que ce gracieux épisode de la Bible s’encadre entre deux événements étranges, dont Racine se garde de dire un seul mot, à savoir le somptueux festin d’Assuérus, qui dura cent quatre-vingts jours, et le massacre que firent les Juifs de leurs ennemis, et qui dura deux jours entiers, sur la prière formelle de la Juive Esther. […] Avec cette facilité excessive aux émotions, et cette sensibilité plus vive, plus inquiète de jour en jour, on explique l’effet mortel que causa à Racine le mot de Louis XIV, et ce dernier coup qui le tua ; mais il était auparavant, et depuis longtemps, malade du mal de poésie : seulement, vers la fin, cette prédisposition inconnue avait dégénéré en une sorte d’hydropisie lente qui dissolvait ses humeurs et le livrait sans ressort au moindre choc.

1031. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. Le théâtre romantique »

La Préface de Cromwell nous dit la même chose en plus de mots. […] La plus complète inintelligence — le mot n’est pas trop fort — de la vérité et de la vie y éclate. […] Lorenzaccio, la plus symbolique de toutes ces comédies, et qui contient peut-être le dernier mot de la philosophie de Musset, est une œuvre délicate, touchante, parfois puissante. […] Rien de plus anodin que sa Petite Ville (1801), délayage d’un mot de La Bruyère : et quant aux trop fameux Ricochets (1807), le ressort « psychologique » joue avec la précision d’un jouet mécanique : il n’y a pas là ombre de vie ni de vraisemblance. […] Dumas, Un mot en tête de Henri III) ; Préface de Charles VII chez ses grands vassaux.

1032. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

Il convient aujourd’hui de rendre au mot de morale l’extension large qu’il doit avoir. […] Des mots, des mots, dira-t-on ! […] La bravoure ne se traduit pas seulement par des actes qui sont hors du vraisemblable ; elle éclate en mots héroïques, cornéliens. […] Ils sont pillés, rançonnés, maltraités, sans que jamais un mot de commisération soit prononcé à leur adresse. […] On connaît aussi le mot de Ferdinand le Catholique ; Louis XII disait avec humeur : « C’est la seconde fois qu’il me trompe. — Il en a menti, s’écria Ferdinand.

1033. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XIV, l’Orestie. — Agamemnon. »

Ce qui est bien sera raffermi ; si le mal s’est mis quelque part, nous le retrancherons avec le fer et le feu. » Clytemnestre se sent atteinte par ce mot sévère, par cet œil de juge fixé peut-être sur elle. […] Son dernier mot est un acte de bonté et de compassion. […] La voilà en proie aux épreintes de l’Esprit qui gonfle son sein ; elle rejette en fumée la flamme dont il la remplit ; elle rend par mots convulsifs la divination qui l’oppresse. […] « Horreur sacrée. » Ce grand mot de la langue antique peut seul traduire l’inexprimable angoisse de cette scène. […] Tout y est inspiré ; dans le sens immédiat du mot ; tout y respire l’égarement divin.

1034. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Malesherbes. » pp. 512-538

En un mot, j’ai beaucoup voyagé et je n’ai jamais rapporté un sentiment aussi profond. […] » — « Les choses deviennent plus graves ; je vais à mon poste ; le roi pourrait avoir besoin de moi. » J’ai voulu citer ce mot pour montrer qu’il y eut préméditation ou du moins prévision dans son dévouement. […] C’est par ces subterfuges (je ne sais pas un autre mot) que Malesherbes essayait de désarmer et de tranquilliser la reine, qui répondait en riant « que l’on ne pouvait pas mieux défendre une mauvaise cause ». […] Il avait, en un mot, cru à la Terre promise avant le passage de la mer Rouge. […] Ces mots prétentieux lui étaient échappés, en effet, à propos des persécutions contre l’Encyclopédie.

1035. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin »

Il dessine et colore avec son pinceau ; il voudrait colorer aussi dans sa prose, mais avec des mots abstraits si l’on peut dire, et en demandant des nuances, quand il le faut, non plus à la sensation seule, mais à la sensibilité elle-même : de l’école directe en cela de Bernardin de Saint-Pierre, de laquelle nous avons vu récemment un autre aimable et heureux exemple dans Maurice de Guérin. […] Je serais désolé qu’on s’emparât du mot, car on a déjà trop abusé de la chose ; le mot d’ailleurs est brutal ; il dénature un ton de toute finesse et qui n’est qu’une apparence. […] Il nous donne, dès la seconde étape, la description d’un bal arabe qui se forme peu à peu aux feux du bivouac ; cette peinture de nuit qui commence par ces mots : « Ce n’était pas du Delacroix, toute couleur avait disparu pour ne laisser voir qu’un dessin tantôt estompé d’ombres confuses, tantôt rayé de larges traits de lumière… », est du Fromentin déjà excellent. […] Sénancour, le grand paysagiste triste, est plein de ces mots trouvés qui peignent avec profondeur la physionomie des lieux. […] Je me pénètre ainsi, par tous mes sens satisfaits, du bonheur de vivre en nomade… » Il a, en toute occasion, de ces définitions du silence, lequel sous un seul mot (comme celui de l’ombre) sous-entend et comprend tant de nuances à tous les degrés imaginables, depuis la douceur et l’atténuation fugitive des sons jusqu’à l’absence totale des bruits28.

1036. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Le frère de son père, Constant Desbordes, fut, dans toute l’acception du mot, un bon peintre de portraits, ami de Gérard, estimé de M. de Forbin. […] Étienne, l’auteur dramatique qui vers la fin passait presque pour un grand citoyen, et auquel elle semblait si étonnée qu’on pût trouver quelque chose d’élevé dans le caractère ; ceux-là et bien d’autres, elle les touchait d’un mot fin en passant. […] Je ne sais pas un autre mot : on va en juger. […] N’écris pas ces doux mots que je n’ose plus lire : Il semble que ta voix les répand sur mon cœur ; Que je les vois brûler à travers ton sourire ; Il semble qu’un baiser les empreint sur mon cœur. […] Ce mot les fit rire, tout fut fini par là.

1037. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « GRESSET (Essai biographique sur sa Vie et ses Ouvrages, par M. de Cayrol.) » pp. 79-103

Le joli mot ! […] Desfontaines, plus judicieux, concluait, après bien des éloges : « Ce sont de jolis riens qui ne conduisent à rien. » A les relire aujourd’hui, en effet, presque tous ces vers de Gresset ne nous offrent plus guère qu’une interminable enfilade de rimes entre-croisées dans lesquelles chaque mot ne marche qu’invariablement escorté de son épithète : pur babil, ramage, une sorte de loquacité poétique qui prouve de la facilité plutôt que de la verve, facilitas potius quam facultas. […] On a dit qu’il était très-aimable dans l’intimité, et je le crois volontiers ; mais, d’après les échantillons mêmes qu’on donne de sa conversation et des ingrédients qu’il y faisait entrer, j’y trouve tout un train de bons mots, anecdotes et historiettes, accusant ce tour d’esprit un peu futile dont le dix-huitième siècle ne se payait qu’en de certains moments. […] Quelques mots épars, quelques indices recueillis par M. de Cayrol, semblent indiquer que les jouissances de cœur ne manquèrent pas à Gresset dans ces années mondaines ; mais la discrétion du poëte n’a rien laissé percer sur l’objet aimé, et, dans un monde où tout s’affichait, il sut couvrir d’un voile mystérieux le nom de sa Glycére. […] Le succès en effet répondit à la méthode, et, « dès les premier mots, c’est encore Garat qui nous le dit, les applaudissements furent si bruyants, si universels, si continus, que Gresset lui-même ne put se méprendre à leur intention38. » Qu’est-ce donc que cette chose légère qu’on appelle le goût, l’urbanité, qui est si en danger de s’évaporer sitôt que l’on s’éloigne d’un certain centre et qu’on ne respire plus en un certain lieu ?

1038. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « DU ROMAN INTIME ou MADEMOISELLE DE LIRON » pp. 22-41

Il nous reste, pour rendre un complet hommage à Mlle de Liron, à dire quelques mots des deux opuscules touchants, desquels nous avons souvent rapproché son aventure. […] C’est un trésor, en un mot, pour ces bons esprits et qui connaissent les entrailles, dont Mlle Aïssé parle en un endroit. […] Ceux qui feront attention à la date de cet article (juillet 1832) remarqueront que c’est la première fois peut-être qu’il était question de ce genre et de ce mot Roman intime, dont on a tant abusé depuis. […] « Toutes les histoires de l’Astrée ont un fondement véritable, « mais l’auteur les a toutes romancées, si j’ose user de ce mot. » C’est Patru qui dit cela (Œuvres diverses, tome II) dans ses curieux éclaircissements sur l’ouvrage de D’Urfé. Le sens qu’il donne à ce mot est celui d’idéalisation, d’ennoblissement, de quintessence des choses réelles ;… leur traduction au clair de lune, en quelque sorte.

1039. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse esthétique »

Les mots « sensation du beau » sembleront donc désigner cette situation d’esprit : excitation intense d’un ou plusieurs sentiments ordinaires ; absence des images positivement c’est-à-dire personnellement douloureuses, qui accompagnent et timbrent d’habitude cette excitation intense ; en d’autres termes, le transport, le heurt de la douleur, sans son amertume ou sa terreur. […] La syntaxe de ces mots pourra affecter une certaine rigidité ou une grâce négligée avec d’imprévues trouvailles. […] Ici l’examen des effets émotionnels demeurant le même, celui des particularités de style devra être complété par des considérations sur le rythme, et approfondi à la mesure de l’importance de la forme, des mots, des idées verbales dans les œuvres de cette sorte. […] Appliquée à un grand nombre de monuments de chaque art et de chaque genre, l’analyse artistique telle que nous la concevons, fournira des matériaux précieux aux généralisations de l’esthétique expérimentale, éclairera la technique, le développement historique, la morphologie en un mot et la dynamique de l’œuvre d’art. […] Les mots de « suggestion » et de « symbole » sont bien évidemment à rattacher au contexte de toute une époque qui médite, en contrepoint du positivisme, sur les formes du langage indirect.

1040. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Émile Zola » pp. 70-104

Zola n’est pas un styliste, dans le sens très moderne de ce mot. […] Zola assemble ses mots en phrases est extrêmement simple, commode, apte à tout. […] En opposition au procédé classique qui décrit en quelques mots généraux, et au procédé romantique, qui décrit en quelques mots particuliers, conformément à l’acte, de la vision qui est une synthèse de mille perceptions élémentaires, M.  […] Cesser tout à coup de penser les choses réelles, en détacher un caractère extrêmement compréhensible et ne plus concevoir les individus qu’en tant qu’ils participent de cet attribut métaphysique est le fait soit d’une intelligence spéculative et savante, soit parfois d’un styliste émérite, d’un homme au tour d’esprit verbal qui emploie inconsciemment la synthèse que les mots ont faits de nos idées générales. […] Il vaut mieux %99 %faire observer qu’un précepte de facture reste une simple recette, que peindre d’une certaine façon ne veut jamais dire peindre bien de cette façon, que l’important est de peindre bien et que la façon n’y est pour rien, que Velasquez et Rubens se valent, que toutes les querelles et les gros mots sur les procédés manuels de l’art ne signifient rien, que la seule chose nécessaire est d’avoir du génie, que les procédés même de Cabanel, de Bouguereau, de Tony Robert Fleury, de Delaroche et d’Horace Yernet donneraient de magnifiques œuvres s’ils étaient employés par des artistes ayant le don, qu’enfin la formule du plein air est la dernière qu’il faille défendre, puisque, à l’heure actuelle, elle n’a pas encore donné un seul chef-d’œuvre ?

1041. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « X. Ernest Renan »

» Quand l’Allemagne elle-même, si longtemps nommée la douce et religieuse Allemagne, mais qui a dernièrement recommencé le dix-huitième siècle en mettant de grands mots et des obscurités d’école où le dix-huitième avait émis de petites phrases claires comme de l’eau (car il ne faut pas profaner ce mot de lumière), quand l’Allemagne elle-même attaque Dieu, elle n’y va pas de main morte. […] « Dites aux simples, dit-il de son ton protecteur, de vivre d’aspiration à la vérité, à la beauté, à la bonté morale, ces mots n’auront pour eux aucun sens. […] et dont la Critique littéraire est encore à chercher le mot ! […] Renan garde le salut sans le rendre, et dans l’ordre intellectuel, n’est, je l’ai dit déjà, qu’un poltron d’idées qui, comme le lièvre chez les grenouilles, ne fera jamais peur qu’à de plus poltrons que lui… Telle est, en deux mots, l’histoire de M.  […] Et nous disons systématique, en pesant sur le mot, car le manque de clarté dans M. 

1042. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Nouveaux voyages en zigzag, par Töpffer. (1853.) » pp. 413-430

Au xviie  siècle donc, il y eut la grande et originale école de paysagistes qui rendirent tour à tour la beauté italienne dans ses splendeurs et son élégante majesté, et la nature rustique du Nord dans ses tranquilles verdures, ses rangées d’arbres le long d’un canal, ses chaumines à l’entrée d’un bois, en un mot dans la variété de ses grâces paisibles, agrestes et touchantes. […] Impossible, c’était le mot consacré. […] Ses courts et brusques dessins, ses récits, sont une suite de jolis tableaux flamands, relevés tout aussitôt d’une saveur alpestre, de quelque chose de fruste (pour employer un de ses mots favoris) et d’un caractère sauvage : en même temps, il n’oublie jamais le côté humain, familier, vivant, qui doit animer le paysage, et qui lui ôte tout air de descriptif. […] Tobie Morel, tout en frappant de son bâton et de ses souliers ferrés les dalles de la chaussée, rencontre Töpffer et sa troupe d’écoliers, et en homme communicatif, au premier mot échangé, il se met à raconter son histoire ; il le fait en des termes pleins de force et de naïveté ; d’où Töpffer en revient à son axiome favori : Tous les paysans ont du style . […] En France, au contraire, où il y a une Académie française et où surtout la nation est de sa nature assez académique, où le Suard, au moment où on le croit fini, recommence ; où il n’est pas d’homme comme il faut, dans son cercle, qui ne parle aussitôt de goût ; où il n’est pas de grisette qui, rendant son volume de roman au cabinet de lecture, ne dise pour premier mot : C’est bien écrit, on doit trouver qu’un tel style est une très grande nouveauté, et le succès qu’il a obtenu un événement : il a fallu bien des circonstances pour y préparer.

1043. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — I. » pp. 19-35

En un mot, l’esprit si fin et si pénétrant, si athénien et si chrétien tout ensemble, de Fénelon, jugeant le talent des autres, même lorsque ce talent était le plus solide et le mieux établi, y voyait tous les défauts qu’un goût délicat peut seul ressentir, et il les eût voulu éviter. […] En un mot, il a surtout les qualités qui devaient agir de près quand il entretenait quelque âme en peine et tourmentée de scrupules dans le petit entresol de la duchesse de Beauvilliers, ou, comme il le dit, « auprès de la petite cheminée de marbre blanc ». […] Depuis que la nature physique est plus connue et que la science en observe et en expose successivement les lois, il serait à craindre que la pensée de Dieu, même auprès de ceux qui ne cessent de l’admettre et de s’incliner devant elle, ne reculât en quelque sorte aux confins de l’univers et ne s’éloignât trop de l’homme, jusqu’à ne plus être à son usage et à sa portée ; il serait à craindre que ce Dieu, tel qu’on a reproché à Bolingbroke de le vouloir établir, Dieu plus puissant que bon, plus souverainement imposant que présent et que juste, Dieu qu’on admet en un mot, mais qu’on n’adore point et qu’on ne prie point, il serait à craindre que ce Dieu-là ne prît place, et seulement pour la forme, dans les esprits, si la pensée chrétienne ne veillait tout à côté, si le Dieu du Pater ne cessait d’être présent matin et soir à chaque cœur, et si la prière ne maintenait cette communication invisible et continuelle de notre esprit borné avec l’Esprit qui régit tout. […] On devrait inventer un mot comme marivauder pour saint François de Sales, mais un mot sans blâme et sans injure : je dirai de lui qu’il séraphise. […] [NdA] Ainsi, dans le Sermon pour la fête de l’Épiphanie, on trouve ce mot souvent cité : « L’homme s’agite, mais Dieu le mène. » Et dans le second point du même sermon, dans cette seconde partie qui est d’une grande beauté morale, il y a sur la corruption des mœurs et sur la décadence de la foi, de ces traits de vigueur qui sembleraient appartenir à Bossuet : Les hommes gâtés jusque dans la moelle des os par les ébranlements et les enchantements des plaisirs violents et raffinés ne trouvent plus qu’une douceur fade dans les consolations d’une vie innocente : ils tombent dans les langueurs mortelles de l’ennui dès qu’ils ne sont plus animés par la fureur de quelque passion.

1044. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — I. » pp. 180-197

En un mot, Bossuet se conduisit comme un jeune lévite militant qui, au lieu d’accepter tout d’abord un poste agréable au centre et dans la capitale, aime mieux aller s’aguerrir et se tremper en portant les armes de la parole là où est le devoir et le danger, sur les frontières. […] Après avoir apostrophé en face l’hérétique Marcion (avec les paroles de Tertulliend) : « Tu ne t’éloignes pas tant de la vérité, Marcion… », entrant alors dans son sujet, il établit que cette miséricorde et cette justice subsistent l’une et l’autre, mais ne se doivent point séparer ; il va s’attacher à représenter dans un même discours le Sauveur miséricordieux et le Sauveur inexorable, le cœur attendri, puis le cœur irrité de Jésus : « Écoutez premièrement la voix douce et bénigne de cet Agneau sans tache, et après vous écouterez les terribles rugissements de ce Lion victorieux né de la tribu de Juda : c’est le sujet de cet entretien. » Dès cet exorde on sent un feu singulier, une imagination ingénieuse et exubérante, une érudition un peu subtile qui se prend dès l’abord à une hérésie bizarre ; selon le mot de Chateaubriand, on voit « l’écume au mors du jeune coursier ». Le premier point du discours où l’orateur glorifie la bonté de Jésus, toute conforme à sa vraie nature, est marqué par des bonds et des élans, des termes vifs et impétueux, des mots significatifs qui enfoncent la pensée ; un peu d’archaïsme s’y mêle dans l’expression : Et à ce propos (de la miséricorde), il me souvient, dit l’orateur, d’un petit mot de saint Pierre par lequel il dépeint fort bien le Sauveur à Corneille : Jésus de Nazareth, dit-il, homme approuvé de Dieu, qui passait bien faisant et guérissant tous les oppressés : Pertransiit benefaciendo… Ô Dieu ! […] » Ce sont les mots de mon texte ; et y a-t-il une seule parole qui ne semble y avoir été mise pour dépeindre cette circonvallation, non de lignes, mais de murailles ? […] Ailleurs, c’est plutôt dans l’emploi de certains mots rudement concis, et dans le tour presque latin, qu’on sent le contemporain de Pascal : Car enfin ne vous persuadez pas que Dieu vous laisse rebeller contre lui des siècles entiers : sa miséricorde est infinie, mais ses effets ont leurs limites prescrites par sa sagesse : elle qui a compté les étoiles, qui a borné cet univers dans une rondeur finie, qui a prescrit des bornes aux flots de la mer, a marqué la hauteur jusqu’où elle a résolu de laisser monter tes iniquités.

1045. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal du marquis de Dangeau — I » pp. 1-17

Saint-Simon rappelle le mot de La Bruyère et en donne hautement la clef, si on l’avait pu ignorer : C’était un plaisir, dit-il, de voir avec quel enchantement Dangeau se pavanait en portant le deuil des parents de sa femme et en débitait les grandeurs. […] Il y revient en toute occasion, et toujours avec jubilation et délices ; il l’appelle en un endroit une « espèce de personnage en détrempe » : « C’était un grand homme, fort bien fait, devenu gros avec l’âge, ayant toujours le visage agréable, mais qui promettait ce qu’il tenait, une fadeur à faire vomir. » Lui reconnaissant des qualités mondaines, des manières, de la douceur, de la probité même et de l’honneur, il cite de nouveau et commente ce mot de Mme de Montespan sur lui, qu’on ne pouvait s’empêcher de l’aimer ni de s’en moquer : Saint-Simon aimait donc assez Dangeau, mais quelle manière d’aimer ! […] Il m’écrit quatre mots fort galants : il y a longtemps que je n’avais ouï parler de la beauté de mes yeux… Dangeau, qui touchait à quatre-vingts ans, trouvait encore à faire son compliment galant à une autre octogénaire ; c’est bien de l’homme. […] Pour mon compte, sans être un M. de Saint-Germain, c’est l’illusion que je me fais quelquefois, quand les yeux fermés je rouvre les scènes et les perspectives de ma mémoire : car enfin ce temps qui a précédé notre naissance, ce xviiie  siècle tout entier, nous le savons, avec un peu de bonne volonté et de lecture, tout autant que si nous y avions assisté en personne et réellement vécu : Mme d’Épinay, Marmontel, Duclos, tant d’autres nous y ont introduits ; nous pourrions entrer à toute heure dans un salon quelconque et n’y être pas trop dépaysés ; et même, après quelques instants de silence pour nous mettre au fait de l’entretien, nous pourrions risquer notre mot sans nous trahir et sans être regardés en étrangers. […] Saint-Simon dans une note commente, explique ; Dangeau rapporte le mot purement et simplement, et passe outre.

1046. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — I » pp. 417-434

Et en parlant ainsi, je n’abuse pas des mots, comme on le fait trop souvent. […] Flourens, Sénèque s’y est surpassé : « Je suis vieux, écrivait-il à son jeune ami Lucilius, je suis plus que vieux, ce mot de vieillesse est lui-même trop jeune pour moi, pour ce que je suis avec cette machine usée et délabrée ; mais l’injure de l’âge que je sens dans le corps, je ne la ressens point dans l’esprit. […] Ces quelques mots nous indiquent déjà le tour d’esprit de Bonstetten et un léger défaut dont son talent plus tard se ressentira. […] Je crois que Gray n’avait jamais aimé, c’était le mot de l’énigme ; il en était résulté une misère de cœur qui faisait contraste avec son imagination ardente et profonde qui, au lieu de faire le bonheur de sa vie, n’en était que le tourment. […] En regard du Bonstetten de vingt-quatre ans que Gray vient de nous montrer dans toute sa fougue et sa gentillesse, et dont il a peur en même temps qu’il en est charmé, représentons-nous celui que Zschokke a dépeint à bien des années de là, « d’une taille un peu au-dessous de la moyenne, mais fortement constitué, trahissant par la grâce et la noblesse de ses manières l’habitude d’une société choisie, le visage plein d’expression, d’un coloris frais et presque féminin, le front élevé et d’un philosophe, les yeux pleins d’une souriante douceur, tout à fait propre à captiver, et tel, en un mot, qu’après l’avoir vu une fois, on ne l’oubliait plus ».

1047. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Essai sur l’Histoire générale des sciences pendant la Révolution française. »

En un mot, M.  […] À chaque relais venaient des gendarmes pour demander des papiers ; un simple mot du jeune homme les satisfaisait, et l’on passait. […] » — « J’ai bien osé davantage, répondit-il, quand, j’ai mis mon nom au bas du Rapport. » Le mot, dans son genre, est sublime. […] Toute la Germanie entendit retentir dans l’air le fracas des armes ; les Alpes ressentirent des tremblements de terre inaccoutumés… insolitis tremuerunt molibus Alpes , » il insistait sur le mot insolitis : « Ne croyez pas, disait-il, que Virgile l’ait mis au hasard ; insolitis ! […] En un mot, le tout est sensé, judicieux et fin, bien analysé, bien dit, mais aussi (et voici les défauts) diffus, un peu prolixe, sans saillie, sans relief, sans rien qui pénètre ni qui marque, ni qui se grave, sans rien qu’on retienne et qu’on emporte avec soi, malgré soi.

1048. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourg, par M. Michelet. (suite.) »

Ce n’était nullement un génie dans le vrai sens du mot, ce n’était qu’un élève, le plus brillant des élèves ; il eût été le premier au collège dans toutes les facultés, humanités, rhétorique, philosophie, et même plus tard un des premiers en théologie, s’il avait composé avec les élèves du séminaire. […] Il faut du nerf dans l’esprit, et une autorité efficace… » Fénelon écrivait cela au duc de Chevreuse, quinze jours avant la mort du prince qui était dans sa trentième année ; c’est un dernier mot, et qui revient à dire que le duc de Bourgogne a besoin de coup d’œil, de dominer sa matière, de ne pas s’y perdre et s’y noyer. […] « J’entends dire que M. le Dauphin fait beaucoup mieux » ; c’est le plus grand éloge que Fénelon lui donne dans l’intimité ; mais il ajoute (et chaque mot, à le bien comprendre, est significatif) : « La religion, qui lui attire des critiques, est le seul appui solide pour le soutenir. […] Il lui écrit le mot biblique : « Combattez et soyez vaillant. » Mais ne l’est pas qui veut. […] Il ne dit pas un mot sur le point essentiel, le défaut d’activité, et l’inertie mobile qui tourne sans avancer.

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