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1331. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIV. La littérature et la science » pp. 336-362

La langue d’abord en porte la marque indélébile. […] Nul ne songerait aujourd’hui à étudier les langues comme on faisait jadis. […] Scientifique, il l’a été encore et enfin par sa volonté de tout dire, par son intrépide emploi soit des vocabulaires techniques soit des nudités et des crudités de style, par la précision et l’ampleur de ses descriptions, par l’effacement de toute distinction entre la langue qui se parle et celle qui s’écrit, par le soin scrupuleux de laisser à chacun sa façon propre de s’exprimer.

1332. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 septembre 1886. »

Recréer exactement des émotions réelles au moyen d’une langue musicale instituée, ce fut l’objet de Lulli. Sa naïve langue nous est devenus incompréhensible ; mais peu gardèrent un si admirable souci de l’expression rigoureuse, Après lui Rameau, artiste bien moindre, acquit au vocabulaire musical des significations un peu rapides, tôt perdues. […] Il enrichit la langue musicale de timbres : mais il ne fit aucun usage artistique des termes qu’il créait.

1333. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Victor Hugo » pp. 106-155

La pensée comme la langue du poète se désagrègent par endroits. […] Il sait être grandiose simplement dans une langue sculpturale et biblique, en un style fauve et comme recuit aux beaux passages de la Légende des Siècles. […] Est-il maintenant son habitude de désigner les chapitres de ses livres, ses poèmes et ses recueils par les titres métaphoriques, qui ne donnent pas le contenu de l’œuvre ; son érudition qui comprend toutes les sciences verbales, la métaphysique, la théologie, la jurisprudence, la philologie, les nomenclatures, et aucune des sciences réalistes et naturelles ; sa réforme de la versification, qui a eu pour effet, par l’introduction de l’emjambement, de permettre d’exprimer une idée en plus de mots que n’en contient un vers ; le résultat même du romantisme qui, parti en guerre au nom de Shakespeare contre l’irréalisme classique, n’a abouti qu’à enrichir la langue française de nouveaux mots ; toute la vie du poète, la mission sacerdotale qu’il s’est assignée, son entrée en lice pour la « révolution » contre le « pape », sa haine des « tyrans » et sa philantropie générale ; tous ces traits résultent du verbalisme fondamental de son intelligence.

1334. (1940) Quatre études pp. -154

Dans toutes les langues européennes, on a chanté les paysages, lacs ou montagnes ; et les saisons, automnes ou printemps. […] Les vers de Paul Valéry sont traduits dans toutes les langues du monde : et il y a encore des gens pour hausser les épaules, quand on récite devant eux Le Cimetière Marin. […] Car la langue française n’a pas ici d’équivalent exact. […] Un sentiment de confiance succédait donc au pessimisme des jansénistes, ces ennemis de la joie, et au pessimisme des chrétiens en général, ces ascètes de la croyance ; de sorte qu’on bénissait, en diverses langues, un Dieu qui n’était plus foudres et vengeances, mais bienveillance et douceur. […] Hachette, I, 17 ; Essai sur l’origine des langues, I, 390, note ; Émile (livre IV), II, 238 ; ibid.

1335. (1910) Propos de théâtre. Cinquième série

Mais faites attention : il est d’un homme qui a appris sa langue en 1820. […] Tous les personnages de Shakespeare parlent, non une langue qui leur serait propre, mais toujours la langue de Shakespeare, cette langue imagée, artificielle, que non seulement ne pouvaient parler les personnages qu’il représente (M.  […] C’est le défaut de tous les grands poètes de ne pouvoir pas s’empêcher de donner, plus ou moins, à tous leurs personnages leur langue à eux, parce qu’elle est belle. […] De race et de langue, il était allemand ; civilement, il était sujet danois. […] Lenoir a enrichi la langue française d’un solécisme élégant.

1336. (1826) Mélanges littéraires pp. 1-457

Hume et Gibbon ont, dit-on, perdu le génie de la langue anglaise, en remplissant leurs écrits d’une foule de gallicismes ; on accuse le premier d’être lourd et immoral. […] Ce qui est beau, simple et naturel, l’est dans toutes les langues. […] Si l’auteur disait que, pour former une langue de cette sorte, il faudrait des millions d’années, et que J. […] Psyché signifie âme dans la langue grecque. […] La dernière, qui a souvent la force de l’hébreu, est du règne de Jacques Ier ; la langue dans laquelle elle est écrite est devenue pour les trois royaumes une espèce de langue sacrée, comme le texte samaritain pour les Juifs : la vénération que les Anglais ont pour l’Écriture en paraît augmentée, et l’ancienneté de l’idiome semble encore ajouter à l’antiquité du livre.

1337. (1899) La parade littéraire (articles de La Plume, 1898-1899) pp. 300-117

Il fallait réagir contre le mouvement funeste qui entraînait notre langue littéraire vers le pire galimatias, contre les théories stupides des décadents, contre les imitateurs de MM.  […] Quant à la langue, elle est parfois d’une gaucherie un peu prétentieuse, tantôt d’une souplesse étonnante, et elle nous révèle un rusé Athénien, expert aux roueries de la syntaxe, insouciant de toutes les perfidies grammaticales. […] En apportant une confusion fâcheuse entre l’art littéraire et l’art musical, en introduisant dans notre langue des constructions empruntées à des idiomes étrangers, il en a faussé la morphologie première et la structure logique. Je l’ai déjà dit : une langue prend naissance, se développe et meurt selon une marche régulière et des lois établies. […] Il n’y a pas une seule de mes combinaisons de pensée qui ne parle d’elle ou qui n’arrive à elle, elle forme un cercle dans lequel je suis bien heureux. » Comme on peut le voir, la langue de M. 

1338. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIe entretien. Cicéron » pp. 81-159

La littérature grecque était alors pour les jeunes Romains ce que la littérature latine a été depuis pour nous : la tradition de l’esprit humain, le modèle de la langue, le grand ancêtre de nos idées. […] Il publia en même temps des livres sur la langue, sur la rhétorique, sur l’art oratoire, qui décelaient la profondeur et l’universalité de ses études. […] XXXIV Les présages, langue divinatoire perdue aujourd’hui, qui annonçait, interprétait, solennisait tous les grands actes tragiques des citoyens ou des empires, avertirent et consternèrent, en abordant, les serviteurs de Cicéron. […] Mais Fulvie, femme d’Antoine, ne se contenta pas de cette vengeance ; elle se fit apporter la tête de l’orateur, la reçut dans ses mains, la plaça sur ses genoux, la souffleta, lui arracha la langue des lèvres, la perça d’une longue épingle d’or qui retenait les cheveux des dames romaines, et prolongea, comme les Furies, dont elle était l’image, le supplice au-delà de la mort : honte éternelle de son sexe et du peuple romain !

1339. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (2e partie) » pp. 81-159

Tous les autres se turent, car ils ne comprenaient pas la langue et la parlaient beaucoup moins encore. […] « Pour éviter un si grand péril, j’insinuai avec dextérité aux ministres qu’il y en avait beaucoup parmi nous qui ne savaient pas la langue, et qu’on ne pouvait pas minuter cette lettre à l’impromptu ; qu’il fallait d’abord combiner les opinions, et que, dans cette vue, on l’écrirait le matin suivant. […] Pour qu’on ne mît pas d’entraves à notre sortie, je fis valoir l’ignorance de la langue française constatée chez plusieurs et même chez le plus grand nombre. […] « Arrivés dans l’appartement du cardinal Mattei, où nous pouvions parler en toute liberté, je m’empressai de relever l’inconvenance, — pour ne rien caractériser davantage, — qu’il y aurait à souscrire ces formules, et je fis saisir à tous ceux qui ne savaient pas la langue qu’ils n’avaient pas compris la portée des mots.

1340. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1872 » pp. 3-70

C’était dans ces thés, que l’amant en titre prenait langue avec sa maîtresse, qu’on concertait les rendez-vous, qu’on passait en revue les scandales, qu’on minutait la correspondance, qu’on dressait le plan de la soirée. […] Je me demande, comment toutes les plumes, tous les talents, toutes les indignations ne sont pas soulevées contre cet axiome blasphématoire, comment toutes les idées de justice, semées dans le monde par les philosophies anciennes, le christianisme, la vieillesse du monde, n’ont pas protesté contre cette souveraine proclamation de l’injustice, comment il n’y a pas eu insurrection contre cette intrusion du darwinisme en la réglementation contemporaine, et peut-être future de l’humanité, comment enfin, toutes les langues de l’Europe ne se sont pas associées, dans un manifeste de la conscience humaine, contre ce nouveau code barbare des nations. […] En m’en allant, la belle-fille de Théo, qui fait route avec moi, m’apprend que son beau-père a eu, la veille, une paralysie de la langue, qui a duré trois quarts d’heure. […] Anna, la vieille bonne d’ici, a une langue qui enfonce tous les faiseurs de pittoresque.

1341. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre III. De la survivance des images. La mémoire et l’esprit »

Des souvenirs qu’on croyait abolis reparaissent alors avec une exactitude frappante ; nous revivons dans tous leurs détails des scènes d’enfance entièrement oubliées ; nous parlons des langues que nous ne nous souvenions même plus d’avoir apprises. […] Un mot d’une langue étrangère, prononcé à mon oreille, peut me faire penser à cette langue en général ou à une voix qui le prononçait autrefois d’une certaine manière. […] Plus on se rapproche de l’action, par exemple, plus la contiguïté tend à participer de la ressemblance et à se distinguer ainsi d’un simple rapport de succession chronologique : c’est ainsi qu’on ne saurait dire des mots d’une langue étrangère, quand ils s’évoquent les uns les autres dans la mémoire, s’ils s’associent par ressemblance ou par contiguïté.

1342. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — II. (Fin.) » pp. 254-272

Mais les circonstances les empêchent de paraître comme eux ; en attendant examinez l’esprit, la beauté de leurs yeux, la vivacité ou la noblesse même de leur langue grecque vulgaire. […] Il y discute des changements que la Révolution devra apporter dans les mœurs publiques et dans le goût : « Après tout ce qui est arrivé depuis quelque temps, toutes les idées doivent décidément se renouveler. » Et d’abord il croit que l’universalité de la langue française en souffrira ; que Paris ne sera plus comme auparavant la capitale intellectuelle et littéraire reconnue de l’Europe, les autres nations voulant se venger d’avoir si longtemps obéi à l’esprit venu de Paris.

1343. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — II. (Fin.) » pp. 20-37

Il semble, en plusieurs de ses sermons, y avoir songé et y avoir répondu : qu’on lise dans cette pensée le sermon Sur l’injustice du monde envers les gens de bien et celui surtout Sur la médisance : Les traits de la médisance, dit-il, ne sont jamais plus vifs, plus brillants, plus applaudis dans le monde que lorsqu’ils portent sur les ministres des saints autels : le monde, si indulgent pour lui-même, semble n’avoir conservé de sévérité qu’à leur égard, et il a pour eux des yeux plus censeurs et une langue plus empoisonnée que pour le reste des hommes. […] Il se le faisait lire à table, et cela ne le convertissait pas : Les Sermons du père Massillon, écrivait-il à d’Argental qui s’en étonnait un peu, sont un des plus agréables ouvrages que nous ayons dans notre langue.

1344. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — II. (Fin.) » pp. 62-79

Elle parlait beaucoup et parlait bien : elle aimait surtout à parler sa langue naturelle que près de cinquante années de séjour en France n’ont pu lui taire oublier ; ce qui était cause qu’elle était charmée de voir des seigneurs de sa nation et d’entretenir commerce de lettres avec eux. […] À mesure qu’on avance, et tandis que la délicatesse et la pureté des manières ou du langage se retirent de plus en plus dans le coin de Mme de Maintenon et vont par moments chercher un refuge à Saint-Cyr, Madame se tient à part à Saint-Cloud, puis encore à part au Palais-Royal, et de là, soit sur la fin de Louis XIV, soit sous la Régence, elle fait, la lance en arrêt, la plume sur l’oreille, de fréquentes et vaillantes sorties dans ce style brusque qui est à elle, qui a de la barbe au menton, de qui l’on ne sait trop, quand on l’a traduit de l’allemand en français, s’il tient de Luther ou de Rabelais, et qui en tout est certainement l’opposé de la langue des Caylus.

1345. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — II. (Fin.) » pp. 198-216

« En suivant les discours de Bossuet dans leur ordre chronologique, a très bien dit l’abbé Vaillant, nous voyons les vieux mots tomber successivement comme tombent les feuilles des bois. » Les expressions surannées ou triviales, les images rebutantes, les oublis de goût, qui sont encore moins la faute de la jeunesse de Bossuet que de toute cette époque de transition qui précéda le grand règne, disparaissent et ne laissent subsister que cette langue neuve, familière, imprévue, qui ne reculera jamais, comme il l’a dit de saint Paul, devant les « glorieuses bassesses du christianisme », mais qui en saura aussi consacrer magnifiquement les combats, le gouvernement spirituel et le triomphe. Appelé souvent à prêcher devant la Cour à dater de 1662, ayant à parler dans les églises ou dans les grandes communautés de Paris, Bossuet y acquit en un instant la langue de l’usage, tout en gardant et développant la sienne ; il dépouilla entièrement la province : celle-ci, dans un exercice et une discipline de six années, l’avait aguerri ; la Cour ne le polit qu’autant qu’il fallut.

1346. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Maucroix, l’ami de La Fontaine. Ses Œuvres diverses publiées par M. Louis Paris. » pp. 217-234

Tel était l’ami de La Fontaine, de celui qui disait sans doute un peu à cause de lui : Il n’est cité que je préfère à Reims… Et en vérité, quelle langue délicieuse que celle de ces lettres, cette langue fine et pure, et du meilleur terroir de la France !

1347. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — II » pp. 254-269

Vous êtes remplis encore de cette parole abondante, douce, affectueuse, onctueuse, fondée en raisons de physiologie et d’hygiène, solide à la fois et moralement persuasive, qu’Aulu-Gelle déclare cependant n’avoir pu reproduire qu’imparfaitement avec l’infériorité de son latin et de la langue romaine elle-même. […] À propos de certaines locutions de la langue française, à l’article faire croire ou faire accroire, Scipion Du Pleix, dans sa polémique contre les novateurs, disait : « Il me souvient que René Charron, Parisien (que j’ai connu familièrement en ma jeunesse, lui étant théologal à Condom), homme plus signalé par la pureté de son style que par celle de sa croyance, rejetait et condamnait ce verbe accroire et disait toujours faire croire.

1348. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Préface pour les Maximes de La Rochefoucauld, (Édition elzévirienne de P. Jannet) 1853. » pp. 404-421

Il met d’une certaine manière sa langue entre ses dents et s’écoute. […] Il est possible que les mots soient tous de la langue du xviie  siècle, mais les mouvements n’en sont point.

1349. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — I » pp. 20-38

Tel autre ne sera que le philologue, bon à posséder le sanscrit, le chinois, toutes les langues d’Asie, toutes les formes indépendamment des idées, tous les vocabulaires. […] Il y avait des moments où il se disait bien pourtant qu’il s’élevait d’autres gloires que la sienne, et que la poésie latine n’avait plus la faveur dont elle avait joui autrefois auprès des grands ; il sentait d’une manière confuse qu’en étalant sa denrée de vers latins à cette heure où tout présageait la grande saison de la langue française, il s’était fait, comme on dit, poissonnier la veille de Pâques.

1350. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — I » pp. 298-315

On ajoute qu’il méprisait les langues anciennes, latin et grec ; il était avide des choses plus que des mots. […] La langue est saine d’ailleurs, rarement éclairée de grands traits, mais pleine de sens, de gravité, et telle qu’il sied à un homme d’affaires qui va au fait et ne s’amuse point à l’accessoire.

1351. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — I » pp. 356-374

Cela tient, je l’ai déjà remarqué, à bien des causes : — à ce que la philosophie du xviiie  siècle, qui y est répandue et qui y donne le ton, n’est plus à la mode ; — à ce que la langue, cette langue française que Frédéric aimait et écrivait exclusivement, n’est pas sous sa plume des plus correctes et des plus pures, tellement que son faible même pour nous lui devient un titre de défaveur.

1352. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « La princesse des Ursins. Ses Lettres inédites, recueillies et publiées par M. A Geffrot ; Essai sur sa vie et son caractère politique, par M. François Combes » pp. 260-278

On peut faire, en lisant ces lettres, une singulière remarque qui touche à la langue et à la littérature. […] À l’électrice Sophie de Brunswick, elle écrivait en 1698 : «… Je différerais même encore de me donner l’honneur d’écrire à Votre Altesse électorale, si je ne trouvais une espèce de consolation à entretenir une grande princesse qui est plus propre qu’une autre à me compatir par la bonté de son cœur et par l’amitié dont elle m’honore. » — Ô pure langue française, que tu es donc une chose délicate et fugitive pour que Mme des Ursins elle-même ait pu t’oublier et t’offenser quelquefois !

1353. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — II » pp. 435-454

Bonstetten ne passa guère qu’une année dans ce curieux pays primitif où son ami Muller le vint voir et qu’ils explorèrent en tous sens pendant la belle saison : Bonstetten en fit une description intéressante, que Muller emporta avec lui pour la traduire en allemand (Bonstetten n’osant encore se risquer à écrire en cette langue), et qu’il publia deux ans après dans le Mercure allemand, dirigé par Wieland. […] Nous avons vu Bonstetten, dès le principe, écrire comme naturellement en français, et même en anglais ; il fallut bien pourtant qu’il se remît à l’allemand qu’il savait mal, qu’il ne savait plus ; il s’y appliqua durant cette période bernoise de sa vie, et il devint par la suite un auteur distingué dans les deux langues.

1354. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mémoires de Mme Elliot sur la Révolution française, traduits de l’anglais par M. le comte de Baillon » pp. 190-206

Quand Mme Elliott éprouvait toutes ses émotions, ses indignations, ses loyales colères, elle n’en allait pas demander l’expression à sa langue maternelle ; elle répondait à l’injure dans la même langue, elle avait son cri en français.

1355. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier (suite et fin.) »

À toutes ces invraisemblances de détail qu’on fait valoir, j’opposerai un petit signe qui fait plus, à mon sens, que les compenser, et qui est bien propre à Mme de Staël ; je crois qu’aucun de ceux qui ont vu beaucoup de ses lettres ne me démentira ; ce sont ces quelques mots anglais, my dear sir, jetés dans une lettre écrite en français : Mme de Staël, avec les gens avec qui elle n’était pas entièrement familière, aimait à faire cela, et à mettre sur le compte d’une autre langue cette sorte d’anticipation de tendresse. […] À l’Académie, lorsqu’on produit, à l’occasion d’un mot, les exemples tirés des principaux écrivains témoins de la langue, il est rare que l’exemple emprunté à Mme de Staël ne soulève pas d’objections, et qu’une phrase d’elle passe couramment.

1356. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite) »

Tel qu’il apparaît jusque dans son incomplet, et tout mal servi qu’il était par l’instrument insuffisant de la langue poétique d’alors, par cette versification solennelle qui, dans le noble, excluait les trois quarts des mots, presque toutes les particularités de la vie et tous les accidents de l’existence réelle, ce poète en Ducis éclatait assez pour se donner à tout instant la joie de l’air libre et de la grande carrière, tandis que le pauvre Deleyre avec son expression hésitante, ses nuances exquises, suivies d’empêchement et de mutisme, n’était qu’un malade, un romantique venu avant l’heure et cherchant sa langue.

1357. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset. »

Mais quelquefois il dépassait le bord et tondait d’une largeur de langue sur le pré du voisin. […] Écoutons la sagesse de Montesquieu : « Comme ils (les Romains) ne faisaient jamais la paix de bonne foi et que, dans le dessein d’envahir tout, leurs traités n’étaient proprement que des suspensions de guerre, ils y mettaient des conditions qui commençaient toujours la ruine de l’État qui les acceptait… Quelquefois ils abusaient de la subtilité des termes de leur langue.

1358. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise par M. Taine. »

Il comprit bientôt qu’on ne saurait être un vrai philosophe psychologue sans savoir d’une part la langue des mathématiques, cette logique la plus déliée, la plus pénétrante de toutes, et de l’autre l’histoire naturelle, cette base commune de la vie ; une double source de connaissances qui a manqué à tous les demi-savants, si distingués d’ailleurs, de l’école éclectique. […] Ni l’extase du Moyen-Age, ni le paganisme ardent du xvie  siècle, ni la délicatesse et la langue de la Cour de Louis XIV ne peuvent renaître.

1359. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Recueillements poétiques (1839) »

Ce banquet est destiné précisément à fêter la vieille race, la tribu, la famille, la langue distincte, le contraire, en un mot, des dîners de l’ancienne Revue encyclopédique sous M. […] Sujets, style, composition et détail, il a raison peut-être de tout lâcher ainsi au courant de l’onde, satisfait de son flot puissant ; car la génération qui nous jugera n’est pas la génération qui déjà finit : ceux qui auront le dernier mot sur nos œuvres auront appris à lire dans nos fautes ; ils brouilleront un peu tout cela, et nos barbarismes même entreront avec le lait dans le plus tendre de leur langue

1360. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Mathurin Regnier et André Chénier »

Né d’un savant ingénieux et d’une Grecque brillante, André quitta très-jeune Byzance, sa patrie ; mais il y rêva souvent dans les délicieuses vallées du Languedoc, où il fut élevé ; et lorsque plus tard, entré au collège de Navarre, il apprit la plus belle des langues, il semblait, comme a dit M.  […] Les styles d’André Chénier et de Regnier, avons-nous déjà dit, sont un parfait modèle de ce que notre langue permet au génie s’exprimant en vers, et ici nous n’avons plus besoin de séparer nos éloges.

1361. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VI. De la philosophie » pp. 513-542

Dans cette disposition de l’esprit humain, il y a des arguments pour tout, dans la langue même du raisonnement. […] « Dans le sein de l’homme vertueux, disait Sénèque, je ne sais quel Dieu ; mais il habite un Dieu. » Si ce sentiment était traduit dans la langue de l’égoïsme le plus éclairé, quel effet produirait-il ?

1362. (1892) Boileau « Chapitre VII. L’influence de Boileau » pp. 182-206

Français, trop de son siècle et de son monde pour sentir le charme et la grandeur intimes de l’antiquité : et s’il vante avec sa pétulance accoutumée trois ou quatre anciens, s’il célèbre la richesse et l’harmonie des langues grecque et latine, auprès desquelles nos langues modernes ne sont que des « violons de village », il ne prend et ne comprend là comme ailleurs que ce qui est conforme à ses préjugés littéraires ou autres.

1363. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre II. L’éloquence politique »

La langue est molle, pâteuse, diffuse, elle se défait jusque chez les plus vigoureux orateurs ; le vocabulaire n’est pas pur, et je ne parle pas des néologismes nécessaires, des noms d’institutions ou d’opinions nouvelles, des abréviations pratiques du jargon politique : je parle de l’emploi des termes courants et communs de la langue française.

1364. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre VI. Science, histoire, mémoires »

Il suivit les cours de l’Ecole des langues orientales et du Collège de France. […] Il fut nommé professeur d’hébreu au Collège de France (1861), puis destitué : il reprit sa chaire en 1870.Éditions :L’Avenir de la science, pensées de 1848, Calmann Lévy, 1890, in-8 ; Averroès et l’averroïsme, 1852, in-8 ; Histoire générale et système comparé des langues sémitiques, 1855, in-8 ; Études d’histoire religieuse, 1857, in-8 ; Essais de morale et de critique, 1859, in-8 ; les Origines du Christianisme, comprenant : Vie de Jésus (1863), les Apôtres (1866), Saint Paul (1869), l’Antéchrist (1873), les Évangiles (1877), l’Eglise chrétienne (1879), Marc Aurèle (1881) et un index général (1883) : 8 vol. in-8 ; Calmann Lévy.

1365. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Stéphane Mallarmé » pp. 146-168

Il se rendit à Londres pour se perfectionner dans cette langue et se faire un gagne-pain de son enseignement. […] Mais, d’autre part, il leur confère une fonction nouvelle à quoi personne n’avait pensé jusqu’alors : « Il faut, dit-il, que de plusieurs vocables, on refasse un mot total, neuf, étranger à la langue et comme incantatoire… qui nous cause cette surprise de n’avoir ouï jamais tel fragment ordinaire d’élocution en même temps que la réminiscence de l’objet nommé baigne dans une neuve atmosphère.

1366. (1890) L’avenir de la science « V »

À l’instant, la langue s’altère, on ne parle plus pour tout le monde, on affecte les formes mystiques, une part de superstition et de crédulité apparaît tout d’un coup, on ne sait d’où, dans les doctrines qui semblaient les plus rationnelles, la rêverie se mêle à la science dans un indiscernable tissu. […] Si vous élevez autel contre autel, on vous dira : « Nous aimons mieux les anciens ; ce n’est pas que nous y croyions davantage, mais enfin nos pères ont ainsi adoré. » On nous chargerait de l’éducation religieuse du peuple, que nous devrions commencer par son éducation dite profane, lui apprendre l’histoire, les sciences, les langues.

1367. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres inédites de la duchesse de Bourgogne, précédées d’une notice sur sa vie. (1850.) » pp. 85-102

La Société des bibliophiles (je reviens à elle) a donc été instituée « pour entretenir et propager le goût des livres, pour publier ou reproduire les ouvrages inédits ou rares, surtout ceux qui peuvent intéresser l’histoire, la littérature ou la langue, et pour perpétuer dans ses publications les traditions de l’ancienne imprimerie française ». […] Lisons donc du pur Louis XIV, ou mieux écoutons le grand roi causer et raconter : langue excellente, tour net, exact et parfait, termes propres, bon goût suprême pour tout ce qui est extérieur et de montre, pour tout ce qui tient à la représentation royale.

1368. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — III. (Suite et fin.) » pp. 128-145

Nous connaissons tous l’excellent style et l’excellent esprit de notre ami M. de Sacy des Débats : eh bien, le style de Carrel, quant au fond, diffère peu de celui de M. de Sacy, et ce n’est guère que cette même langue, plus animée de passion, plus trempée d’amertume et plus acérée. […] Si j’osais traduire cette impression dans une langue toute littéraire et pour des littérateurs, je dirais : Zumalacárregui, c’est son André Chénier : Il est des temps, disait-il (28 juin 1835), où avec de médiocres facultés on peut devenir rapidement fameux ; nous sommes, au contraire, une de ces époques où tout conspire contre le développement des grands caractères, et où le travail des sociétés n’amène à la surface que des natures dégradées.

1369. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Regnard. » pp. 1-19

Il était de ceux qui, à cette date, pouvaient se dire des plus éclairés dans le sens moderne ; il avait causé à Dantzig avec l’illustre astronome Hévélius et avait recueilli de sa bouche les notions les plus exactes de l’univers physique ; il avait acquis, chemin faisant, sur les différentes familles de langues et sur leur génération relative, des idées très justes aussi et qui n’étaient pas communes en ce temps. […] Les images sont vives, les expressions puisées au vrai fond de la langue.

1370. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — III. Franklin à Passy. (Fin.) » pp. 167-185

Franklin savait le français depuis longtemps ; il s’était mis à l’apprendre dès 1733, et lisait très bien les livres écrits en notre langue ; mais il la parlait avec difficulté, et ç’avait été un obstacle à ce qu’il connût mieux la société française dans ses voyages de 1767 et de 1769. […] Si j’étais ce que je ne suis réellement pas, suffisamment habile en votre excellente langue pour être un juge compétent de la poésie, l’idée que j’en suis le sujet devrait m’empêcher d’exprimer aucune opinion sur ce vers ; je me contenterai de dire qu’il m’attribue beaucoup trop, particulièrement en ce qui concerne les tyrans ; la Révolution a été l’œuvre de quantité d’hommes braves et capables, et c’est bien assez d’honneur pour moi si l’on m’y accorde une petite part.

1371. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Les Faux Démétrius. Épisode de l’histoire de Russie, par M. Mérimée » pp. 371-388

Arrivé aujourd’hui à la pleine maturité de la vie, maître en bien des points, sachant à fond et de près les langues, les monuments, l’esprit des races, la société à tous ses degrés et l’homme, il n’a plus, ce me semble, qu’un progrès à faire pour être tout entier lui-même et pour faire jouir le public des derniers fruits consommés de son talent. […] Mérimée dans l’étude si creusée de son brigand et de sa bohémienne, c’est que l’auteur, en homme d’esprit qui sait son monde, a jugé convenable d’encadrer son roman dans une sorte de plaisanterie et d’ironie : il voyageait comme antiquaire, il ne voulait que résoudre un problème d’archéologie et de géographie sur la bataille de Munda livrée par César aux fils de Pompée, lorsqu’il fait la connaissance du bandit qui lui racontera ensuite son histoire : et le roman finit par un petit chapitre où l’antiquaire reparaît encore et où le philologue se joue au sujet de la langue des bohémiens.

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