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752. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIe entretien. Molière et Shakespeare »

. — Venez, venez, esprits qui excitez les pensées homicides ; dépouillez-moi de mon sexe en cet instant, et remplissez-moi du sommet de la tête jusqu’à la plante des pieds, remplissez-moi de la plus atroce cruauté. […] Je vous ferai rappeler dans un instant. […] Viens sous la forme de l’ours féroce de la Russie, du rhinocéros armé, ou du tigre d’Hyrcanie, sous quelque forme que tu choisisses, excepté celle-ci, et la fermeté de mes nerfs ne sera pas un instant ébranlée ; ou bien reviens à la vie, défie-moi au désert avec ton épée : si alors je demeure tremblant, déclare-moi une petite fille au maillot. — Loin d’ici, fantôme horrible, insultant mensonge !

753. (1856) Cours familier de littérature. II « XIe entretien. Job lu dans le désert » pp. 329-408

La guerre éternelle entre tout ce qui respire, pour se disputer un atome d’espace, un instant de vie ! […] On pourrait faire plus aujourd’hui, on pourrait, en quelques instants, parcourir soi-même ces différents climats intellectuels du globe, et se rendre compte par sa propre sensation des sensations différentes des races et des peuples qui vivent ou qui meurent sous les différentes latitudes de la pensée, — « vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà », — s’écriait le religieux Pascal lui-même en sondant cet horrible mystère des opinions et des doutes des mortels ! […] XX Supposons en effet qu’un philosophe d’Europe pût confier son âme pensante tout entière, pour un instant, au fil du télégraphe électrique, qui fait le tour du globe en sept secondes.

754. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre X : De la succession géologique des êtres organisés »

Mais ce n’est pas de leur extinction même que nous pouvons être étonnés ; ce serait plutôt de notre présomption, lorsque nous nous imaginons un seul instant que nous savons quelque chose du concours complexe des circonstances accidentelles dont l’existence des formes vivantes dépend. […] Mais supposant pour l’instant, en ce cas et en quelques autres, que le témoignage de la première et de la dernière apparition de l’espèce soit juste, nous n’avons aucune raison pour supposer que les formes successivement produites se perpétuent nécessairement pendant des temps égaux et exactement correspondants. […] On ne saurait s’arrêter un instant à une pareille supposition.

755. (1891) Enquête sur l’évolution littéraire

Est-elle une erreur d’un instant ? […] Il y eut un instant de silence. […] Depuis, tous les instants de sa vie ont été consacrés à l’observation et à l’étude. […] Au bout d’un instant de silence, M.  […] Leconte de Lisle réfléchit un instant, et dit : — Eh !

756. (1891) Essais sur l’histoire de la littérature française pp. -384

Jean Savaron et les États de 1614 ne laissaient pas que d’avoir un instant occupé leur jeunesse. […] Poitou n’a pas un instant détourné les yeux en écrivant son livre. […] Il semble qu’il doive lui jeter aussitôt Eugénie à la tête, de peur que, l’instant d’après, celui-ci ne se dédise. […] L’économie de son livre, si bien ordonné dans l’ensemble, en est, à chaque instant, troublée dans le détail. […] Flaubert plaide à chaque instant contre elle !

757. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Eugène Gandar »

Dans sa jeunesse d’enthousiasme et son intégrité de convictions, il eut un instant l’idée de tout quitter, de renoncer à ce beau voyage d’Italie et de Grèce, et, au risque de briser sa carrière, de raccourir en France pour y remplir les devoirs civiques d’électeur et peut-être aussi d’écrivain, de soldat volontaire de la presse. […] « C’est aux instants de lassitude, c’est dans les soirées d’ennui, c’est dans les nuits d’insomnie que l’âme se berce de ces rêves ou caressants ou douloureux ; c’est quelquefois aussi durant les heures de contemplation muette et de recueillement religieux. […] About. » Et rendant compte de ses occupations, de ses promenades parmi les ruines, de ses paisibles lectures dans la petite bibliothèque de l’École, de tout ce qui ne lui laissait guère à désirer d’autres distractions : « Il me suffit, ajoutait-il, de quelques instants passés par intervalle chez M.  […] Je voulais comprendre cette grande énigme d’Hamlet, de toutes les œuvres de Shakespeare la plus puissante et la plus étrange, celle qui s’empare le plus fortement de l’imagination, celle qui par instants heurte le plus non seulement la délicatesse du goût, mais la délicatesse du sentiment.

758. (1879) À propos de « l’Assommoir »

Suivons-le un instant dans l’étude préparatoire de l’un quelconque de ses livres  de La Faute de l’abbé Mouret, par exemple. […] Il tint un instant, à la hauteur de sa poitrine, la patène contenant l’hostie, qu’il offrit à Dieu, pour lui, pour les assistants, pour tous les fidèles vivants on morts. […] L’auteur ne les quitte pas un instant. […] Il est bon de l’écouter un instant : « Il faut bien parler de M. 

759. (1925) La fin de l’art

Au milieu de tout cela, les gens, sans se douter un instant de leur incohérence, parlent ferme de la restauration des études latines. […] » Il n’apparaît pas, dois-je dire, qu’on la prenne désormais au sérieux, mais c’est peut-être trop de la laisser revivre, même pour un instant. […] J’en ai tenu un instant le manuscrit autographe. […] La vérité est que tout est dangereux et qu’il n’y a rien de plus dangereux que l’exercice même de la vie, mais aussi que moins on pense à ces dangers de tous les instants, et mieux cela vaut.

760. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre dixième. Le style, comme moyen d’expression et instrument de sympathie. »

En outre, un style qui, au lieu d’être simplement clair et impersonnel comme serait bien un filet d’eau, reflète une physionomie, nous fait comprendre et finalement partager (en une certaine mesure tout au moins) la façon de voir et d’interpréter les choses propre à un auteur ; un tel style nous rapproche de l’auteur par cela même, nous amène à vivre de sa vie pendant quelques instants, et de la remplit sorte, au plus haut point, le rôle social attribué au langage. […] Le style est poétique quand il est évocateur d’idées et de sentiments ; la poésie est une magie qui, en un instant, et derrière un seul mot, peut faire apparaître un monde. […] Selon le caractère du moment, elle prend l’allure du grave alexandrin ou celle des vers plus courts et plus variés : certes, le poète a toute liberté, en présence d’un changement marqué dans le sentiment ou l’émotion, de changer aussi de rythme ; mais en prose, c’est à chaque instant que la pensée se taille sa forme et sa mesure, chacun de ses mouvements se traduit aussitôt par le nombre des mots et la coupe des phrases. […] C’est ainsi qu’une statue, pour être véritablement œuvre d’art, ne communique pas à l’homme qu’elle représente l’immobilité, mais donne plutôt à un mouvement qui changeait avec l’instant, à une vie fuyante et fragile la durée et l’inaltérabilité des choses éternelles.

761. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre III. Variétés vives de la parole intérieure »

Si la passion entre en jeu, la parole intérieure devient plus forte ; l’articulation en est plus précise et plus ferme, l’intonation plus variée ; la parole intérieure est devenue vivante, accentuée, véhémente, émue, un peu plus lente aussi, chaque mot ayant alors un sens plus plein, et l’âme se plaisant, pour ainsi dire, à savourer un court instant chacune de ses idées. […] Enfin, toute contrainte disparaît ; on parle tout haut ; la parole, à peine audible un instant auparavant, est devenue vraiment extérieure. […] A l’instant, j’ai changé de visage et l’esprit tendu, je me suis mis à rechercher si les enfants utilisaient d’habitude dans tel ou tel genre de jeu une ritournelle semblable ; non aucun souvenir ne me revenait d’avoir entendu cela quelque part. […] De fait, il retourne auprès de son ami et tombe sur un verset de Saint Paul appelant à renoncer à la chair : « A l’instant, en effet, avec les derniers mots de cette pensée, ce fut comme une lumière de sécurité déversée dans mon cœur, et toutes les ténèbres de l’hésitation se dissipèrent » (p. 69)] 171.

762. (1892) Les idées morales du temps présent (3e éd.)

Il n’est plus, s’il m’est permis d’emprunter un instant le langage de Spinoza, une substance : il est un attribut. […] Voyons-la maintenant à la façon du physicien : rien de plus clair encore ; notre marche n’est, comme on le sait, qu’une chute incessamment arrêtée ; de même la vie de notre corps n’est qu’une agonie sans cesse arrêtée, une mort d’instant en instant repoussée ; enfin, l’activité même de notre esprit n’est qu’un ennui que nous repoussons de moment en moment. […] Quelle délicieuse pécheresse, quelle Madeleine sanctifiée par l’amour serait Mme de Sauve, sans cet instant de folie charnelle qui la jette aux bras d’un viveur ! […] D’ailleurs, il ne faudrait pas exagérer l’importance du second Lemaître : à chaque instant, à quelque spectacle qui l’éperonne, à quelque lecture qui le saisit, le premier se réveille et rentre en scène. […] Les hommes de la veille, élevés à une autre école et qui conservent leur foi première aux progrès de la science, ne voient là qu’un accident passager, qui n’arrêtera qu’un instant ce qu’ils appellent « la marche en avant de l’humanité ».

763. (1892) Sur Goethe : études critiques de littérature allemande

Dès l’instant où il commence de naître, tout ce qui l’a précédé devient secondaire ; la vie acquiert alors un nouveau prix, ou plutôt il semble qu’elle acquière pour la première fois son prix véritable. […] En un même instant il passe de la jeunesse à la maturité et il sent succéder aux premières atteintes de l’ennui une foi robuste dans le bonheur. […] Ces idées funèbres le dominent au point que déjà il n’est plus maître de l’instant qui va suivre ; et, pour les dissiper, il écrit Werther. […] En un instant, elle se trouve conquise et subjuguée par le contraste de cette philosophie aisée avec le christianisme raide et implacable du pasteur. […] Emma douta un instant si elle ne devait point se jeter à ses pieds pour implorer sa compassion.

764. (1874) Premiers lundis. Tome I « Ferdinand Denis »

Dans les premiers instants, c’est un tourment de l’enthousiasme qui travaille en vain à se produire au dehors, et qui se replie en cent façons sur lui-même avant d’atteindre l’effet cherché.

765. (1874) Premiers lundis. Tome II « Doctrine de Saint-Simon »

Inspirées de la doctrine, la doctrine s’en inspire elle-même chaque jour, et ces pensées se reproduisent à tout instant dans l’application, déduites, développées, élaborées à leur tour.

766. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre II. De l’amitié. »

Sans doute, l’homme qui s’est vu l’objet de la passion la plus profonde, qui recevait à chaque instant une nouvelle preuve de la tendresse qu’il inspirait, éprouvait des émotions plus enivrantes ; ces plaisirs, non créés par soi, ressemblent aux dons du ciel, ils exaltent la destinée ; mais ce bonheur d’un jour gâte toute la vie, le seul trésor intarissable, c’est son propre cœur.

767. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Grosclaude. »

C’est comme une convention allégeante et salutaire que l’écrivain nous demande d’admettre un instant. « Il n’y a rien… absolument rien… La douleur même est un pur néant quand elle est passée… L’univers n’existe que pour nous permettre de le railler par des assemblages singuliers de mots et d’images… » Voilà ce que nous admettons implicitement lorsque nous lisons une page de Grosclaude ; et de là cette impression de déliement, de détachement heureux, que nous font souvent éprouver ses facéties les plus macabres.

768. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Marcel Prévost et Paul Margueritte »

Comment, en cédant à l’officier brun, elle obéit à une volonté plus forte que la sienne ; comment cette première aventure et son cruel abandon éveillent en elle, par la douleur, la faculté d’aimer ; comment sa faute même la jette dans les bras de Louiset comme dans son refuge naturel ; comment le courage lui manque pour le détromper, justement parce qu’elle l’aime ; comment le ressouvenir même de sa souillure exaspère cet amour ; sa honte, ses terreurs, ses souffrances, son désespoir en sentant approcher l’instant inévitable où éclatera sa trahison… M. 

769. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vigny, Alfred de (1797-1863) »

Sans contester un instant le génie de l’auteur de la Nuit de mai et des Stances à Lamartine , j’ai souvent été, malgré moi, révolté de cette longue colère contre un impérissable souvenir, et je reconnaissais mal un poète à cette haine inutile.

770. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Jules Laforgue » pp. 36-47

poursuit Gustave Kahn, dans un jour saumâtre, fumeux, un matin jaunâtre et moite ; enterrement simple, sans aucune tenture à la porte, hâtivement parti à huit heures, sans attendre un instant quelque ami retardataire, et nous étions si peu derrière ce cercueil : Émile Laforgue, son frère, Th. 

771. (1899) Le monde attend son évangile. À propos de « Fécondité » (La Plume) pp. 700-702

Ils ont senti que l’instant était grave, que leur génie était quelque chose de sérieux, qu’ils possédaient une importance, qu’ils n’étaient point là pour sourire, et qu’ils ne devaient point le faire comme beaucoup d’autres.

772. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mes petites idées sur la couleur » pp. 19-25

Est-elle la même dans tous les instants d’une passion ?

773. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Michel Van Loo » pp. 66-70

J’ai un masque qui trompe l’artiste, soit qu’il y ait trop de choses fondues ensemble, soit que les impressions de mon âme se succédant très-rapidement et se peignant toutes sur mon visage, l’œil du peintre ne me retrouvant pas le même d’un instant à l’autre, sa tâche devienne beaucoup plus difficile qu’il ne la croyait.

774. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 18, reflexions sur les avantages et sur les inconveniens qui resultoient de la déclamation composée des anciens » pp. 309-323

Il faut faire plusieurs reflexions avant que de bien juger si un raisonnement qui roule sur des possibilitez est sensé, au lieu que l’experience met au fait dans l’instant.

775. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire des ducs de Normandie avant la conquête de l’Angleterre »

Le pinceau maigrelet d’un homme qui ne se doute ni de la taille et de la musculature de ses modèles, ni de la profondeur de leurs physionomies, ni du caractère des événements qui les éclairent et qui les colorent, et dont la petitesse de raison philosophique fausse à tout instant le sens même extérieur de l’histoire.

776. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Meurice » pp. 231-241

— dit-il — peut cependant être regardé par la pensée, comme par les yeux l’abime et le soleil. » Car ils ont beau se mettre un instant les pieds en l’air, comme Hérodiade dansant devant Hérode, ces culs-de-plomb, pour se faire légers !

777. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Avant-propos de la septième édition »

Eh bien, de cette pensée complexe qui se déroule, c’est là, à notre avis, ce que l’état cérébral indique à tout instant.

778. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XI. Des éloges funèbres sous les empereurs, et de quelques éloges de particuliers. »

Cette institution était conforme à l’esprit républicain ; mais quand le gouvernement vint à changer, quand le monde entier fut dans la main d’un empereur, et que cet empereur qui n’était presque jamais appelé au trône par droit de succession, craignant à chaque instant ou des rivaux ou des rebelles, eut l’intérêt funeste de tout écraser ; quand on vint à redouter les talents, quand la renommée fut un crime, et qu’il fallut cacher sa gloire, comme dans d’autres temps on cachait sa honte, on sent bien qu’alors il ne s’agissait pas de louer les citoyens : les grandes familles aimaient mieux la sûreté et l’oubli, que l’éclat et le danger.

779. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Camille Jordan, et Madame de Staël »

Je distingue dans les pages suivantes un beau mouvement encore à l’occasion de l’armée, car chez Camille c’est l’orateur à tout instant qui reparaît et palpite dans l’écrivain. […] C’est sans doute ce que fit Camille Jordan, et les réponses suivantes de Mme de Staël nous initient à cet instant de désaccord dans leur amitié, mais ce ne fut qu’un instant. […] de Narbonne, et l’instant d’après c’est Regnaud de Saint-Jean d’Angély. […] Mme de Staël, dans ce voyage de 1803, fit deux séjours chez Récamier, qui passait la saison à Saint-Brice, La première fois, elle y resta quelques jours, se croyait hors d’inquiétude ; la seconde fois, déjà relancée par son officier de gendarmerie, elle ne s’y arrêta que quelques instants en venant de sa campagne à Paris.

780. (1927) André Gide pp. 8-126

Mais par instants, ce livre, c’est aussi du Flaubert. […] On est par instants un peu dérouté. […] Très intelligent, il comprend malgré les cachotteries qu’il est le fils du vieux comte : celui-ci le reçoit, s’attendrit un instant, lui accorde une part d’héritage, mais l’exclut de la famille, selon la loi. […] Dans le faire même de ce beau récit, des grâces piquantes et des ironies légères rappellent un peu par instants la manière d’Anatole France. […] Lorsqu’il se contente de répudier les familles, les foyers, tous les obstacles à l’affranchissement et aux expériences vagabondes, on peut observer qu’au fond il s’exprime à peu près comme l’Evangile et recommande quelque chose d’analogue à l’ascétisme chrétien : « Si tu voulais, si tu savais, Myrtil, en cet instant, sans plus de femme ni d’enfants, tu serais seul devant Dieu sur la terre… A travers indistinctement toute chose, j’ai éperdument adoré. » Et cela n’a jamais été bien inquiétant, parce que la contagion de ce renoncement n’est pas à craindre.

781. (1889) Impressions de théâtre. Troisième série

(Mais je m’aperçois que, depuis quelques instants je trahis M.  […] Il ne fallait pas que Max fit songer un seul instant à Célimare. […] L’intérêt ne pourrait pas naître un seul instant. […] Le peuple ne saurait être méchant dans l’instant même où il s’offre un plaisir d’art, un plaisir de bourgeois ou de noble. […] Nous voulons, ne fût-ce qu’un instant, avoir été présents à la pensée (ou seulement aux yeux) de ceux qui sont présents à la pensée de tous.

782. (1910) Propos de théâtre. Cinquième série

Si nous jetons les yeux sur la vaste perspective du temps, alors, pour la première fois, nous sentons que nous ne figurons qu’un instant dans le monde. […] Si l’on est honnête homme, en feuilletant les sottises d’autrui, on se dit à chaque instant : « N’en pas dire autant, au moins. » Et cela mène à se dire : « N’en aurais-je pas dit autant ? […] Il s’arrache à un deuil personnel pour entrer dans le deuil général ; il fait taire un instant pour s’associer aux regrets de tous le douloureux égoïsme de son propre malheur. […] Ce ne fut pas un seul instant de sa vie l’opinion du jeune Hebbel. […] Il est impossible de dire à un drame : « Répétez-moi ça », ou « Attendez un instant ».

783. (1923) L’art du théâtre pp. 5-212

Qu’il ait payé ou non sa place, le spectateur tient à comprendre, et dans l’instant, les mots que profère l’acteur. […] La pièce n’est et n’est vraiment, ne vit et ne vit vraiment, toutes nuances mises à part, que lorsqu’elle vit dans l’être du public comme elle vit sur le théâtre et dans l’être du dramaturge, et dans l’instant, au moment même du contact. […] Pas un instant devant son écritoire, il ne sera tenté, comme Racine, d’écrire pour lui-même et quelques beaux esprits : sa troupe et son public l’attendent. — Il connaît sa troupe ; il l’a faite ; il sait de quoi elle est capable. […] Il n’aura pas de descendants, sinon pour un instant, Banville. […] Devant être parlé, il doit d’autant plus être écrit, d’autant plus fort, plus strict, plus chargé de sens et de vie : il porte dans l’instant et il n’admet pas de délai.

784. (1910) Rousseau contre Molière

Molière n’a pas cessé un instant de maintenir Alceste dans les limites de cette formule : le sincère poli, le bourru qui a du monde. […] Qu’on me le pardonne, je vais faire un instant comme Rousseau, peut-être perverti par son mauvais exemple. […] Cléante, du Tartuffe, n’agit pas ; il est vrai ; mais Molière, par instinct de bon dramatiste, a bien senti qu’il vaudrait mieux qu’il agît et il l’a rattaché à l’action un instant. […] Or, si cette femme leur témoignait la même confiance et prenait avec eux la même familiarité, comment seraient-ils un instant ses dupes ? […] Cette passion est si naturelle qu’on la trouve à tout instant dans le peuple.

785. (1855) Louis David, son école et son temps. Souvenirs pp. -447

Le jeune arrivant balança quelques instants avant d’ouvrir la porte qu’il franchit enfin pour entrer dans l’atelier des Horaces. […] Mais il avait affaire à une personne du monde, pourvue d’esprit et de tact ; aussi n’y eut-il pas un seul instant d’embarras. […] Mais les instants les plus affreux à passer étaient ceux de huit heures à minuit. […] « Vous avez choisi, ajouta le maître après quelques minutes d’attention et de silence, un autre instant que celui que je me propose de rendre. […] Mais à cet instant même, le major de la division Latouche arrive à Rome, chargé par Mackau, ministre à Naples, de faire placer les armes.

786. (1856) Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine. Tome I

Mais il y a des instants, bien que toujours physiologiques, où les choses ne se passent pas complétement ainsi. […] Son premier sommeil dura vingt-cinq jours, au bout desquels elle se réveilla pendant quelques instants, puis se rendormit le jour suivant, et resta onze jours dans un état complet d’hibernation. […] Je vous dirai dans un instant le but de cette addition de prussiate jaune de potasse. […] On constate, en second lieu, le sucre dans le tissu du foie comme dans les veines hépatiques ; ce sucre est versé à chaque instant dans le système circulatoire, où il disparaît peu à peu. […] Ce sont les conditions dans lesquelles nous avons opéré l’expérience tentée sur ce lapin ; nous allons voir dans un instant si elle a réussi.

787. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Saint-Arnaud. Ses lettres publiées par sa famille, et autres lettres inédites » pp. 412-452

À cet instant décisif, et dans le terrible étonnement qui succède, le colonel Combes, le commandant Bedeau, et lui, capitaine Saint-Arnaud après eux, s’écrient : « En avant, en avant ! […] Heureux qui ne meurt pas sans avoir vu l’instant sublime qui lui rend accompli et exaucé son plus noble désir ! […] Il agissait et vivait à tous les instants, la mort dans le cœur, le calme sur le front.

788. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Ampère »

Toute sa vie il sentit le besoin de l’amitié, d’une communication expansive, active, et de chaque instant : il lui fallait verser sa pensée et en trouver l’écho autour de lui. […] Mais ceux qui connaissent mieux le cœur humain, ceux qui auront étudié un peu le vôtre, ceux enfin dont l’opinion et l’amitié peuvent être quelque chose pour vous, sauront bien que votre âme expansive a besoin d’une âme qui réponde à chaque instant à la vôtre. […] Comptez-vous donc pour rien cette grande vassalité qui nous soumet et nous entraîne à chaque instant ?

789. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier »

Un littérateur, dans le sens vague et flottant où je le laisse, serait au besoin et à plaisir un peu de tout cela, un peu ou beaucoup, mais par instants et sans rien d’exclusif et d’unique. […] J’ajourne pour un instant les échappées politiques : littérairement on le possède dès ce moment-là, d’une manière complète et circonstanciée, dans quelques petits ouvrages de lui qui furent conçus sous ces coups de soleil ardents, sous ces premières lunes sanglantes et bizarres. […] J’ai souri toutefois en saisissant l’instant même où l’élève philologue s’est émancipé : comme dans toute émancipation, il y a eu un brin de révolte.

790. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CIXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (1re partie) » pp. 5-79

Je n’hésitai donc pas un seul instant sur la conduite que j’avais à tenir. […] On peut avancer très sincèrement que tout cela fut l’ouvrage de peu d’instants. […] Il alla les visiter l’un et l’autre quelques instants dans leurs chambres.

791. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Le maître est dans l’embarras ; son travers gâte à chaque instant ses affaires ; qui réparera le mal et renouera la pièce qui va finir ? […] Ce jeune homme sans cervelle, que son travers compromet à chaque instant, c’est déjà de la comédie. […] Le plus modéré, le sage de la pièce, Cléante, est toujours près de perdre patience ; Damis éclate dès le commencement ; Dorine, pour dire trop haut ce qu’elle a sur le cœur, risque à chaque instant de se faire chasser.

792. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VIII. La littérature et la vie politique » pp. 191-229

Il est frappé lui-même de la ressemblance ; les métaphores tirées de la vie du théâtre reviennent à chaque instant sous sa plume. […] Mais, de même qu’aux environs de 1661, la hiérarchie sociale un instant bouleversée se reforme plus sévère ; de même que les classes superficiellement mêlées se séparent, si bien qu’il se constitue deux Frances, l’une aristocratique, l’autre bourgeoise et populaire, ayant chacune ses mœurs et ses intérêts ; de même les mots de la langue se divisent en deux castes, ceux-ci nobles et réservés à une petite élite, ceux-là roturiers et abandonnés à la foule ; les genres littéraires un moment confondus s’écartent l’un de l’autre ; la comédie et la tragédie sont parquées dans deux domaines différents avec défense formelle de franchir les barrières qui les isolent ; le mélange des tons, accepté ou recherché comme quelque chose de piquant, répugne au goût nouveau ; le burlesque, où les deux faces de la vie étaient violemment confrontées de façon à faire rire aux dépens des choses graves et des grands de la terre et du ciel, tombe dans le mépris et l’oubli. […] Pour admirer un ouragan, pour en sentir l’épouvantable et sublime majesté, il ne faut pas être livré soi-même à sa fureur, forcé de combattre les vagues sans relâche, en danger de périr à chaque instant.

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