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2242. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mémoires de Mme Elliot sur la Révolution française, traduits de l’anglais par M. le comte de Baillon » pp. 190-206

On n’a pas à craindre cet inconvénient avec Mme Elliott ; M. de Bâillon s’est borné à la traduire, et il l’a fait en homme d’esprit sans doute et en homme de goût, mais en la laissant d’autant plus elle-même, d’autant plus naturelle, tellement que ce livre a l’air d’avoir été écrit et raconté sous sa forme originale en français. […] Mais en ce qui concerne la personne du duc d’Orléans, Mme Elliott nous dit presque dans les mêmes termes que le correspondant de Mirabeau : Ce prince était un homme de plaisir, qui ne pouvait supporter ni embarras ni affaire d’aucun genre ; il ne lisait jamais et ne s’occupait de rien que de son amusement. […] Mme Elliott, la belle compatriote de Marie Stuart et de Diana Vernon, est de la race la plus opposée à celle de ces hommes de peur (chickenhearted) au cœur amolli. […] Elle est de la religion politique de Burke qui ne concevait pas que dans une nation de galants hommes, dans une nation d’hommes d’honneur et de chevaliers, dix mille épées ne sortissent pas de leurs fourreaux à l’instant, pour venger une noble reine de l’insulte, ne fût-ce que de l’insulte d’un seul regard. […] Je jetai dehors tout ce qu’il m’avait donné, tout ce que j’avais dans mes poches et dans ma chambre, n’osant pas garder près de moi rien de ce qui lui avait appartenu. — Telle était en ce moment, la répulsion que j’éprouvais à l’égard d’un homme pour lequel quelque temps auparavant j’aurais donné ma vie.

2243. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid. »

Desjardins n’a pas prétendu, dit-il, faire un ouvrage, mais un essai ; il a pris un sujet de thèse historique, comme il était naturel de le concevoir à un homme qui s’est particulièrement occupé de cet immense et incommensurable champ de l’histoire. […] Si nous avions un seul homme, un seul génie dramatique à déléguer dans ce congrès universel, ce ne serait pas Corneille, ce serait Molière qu’il faudrait y députer. […] Un peu d’attention, quand on est homme de lettres véritable, est la seule récompense qu’on ambitionne. […] « Les inventeurs ont le premier rang à juste titre dans la mémoire des hommes. » C’est Voltaire qui l’a dit à son sujet. […] Il n’est pas nécessaire d’être poète pour la juger ; il suffit de connaître les hommes et les choses, d’avoir de l’élévation et d’être homme d’État. » Et s’animant par degrés : « La tragédie, disait-il, échauffe l’âme, élève le cœur, peut et doit créer des héros.

2244. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Fontaine »

Or, ceci bien posé, il est aisé de rétablir en leur vraie place et de voir en leur vrai jour les hommes originaux du temps, qui, dans leur conduite ou dans leurs œuvres, ont fait autre chose que remplir le programme du maître. […] Il y a des hommes qui, tout en suivant le mouvement général de leur siècle, n’en conservent pas moins une individualité profonde et indélébile : Molière en est le plus éclatant exemple. […] C’est parmi les hommes de cet ordre que nous rangeons La Fontaine : nous l’avons déjà dit ailleurs21, il a été, sous Louis XIV, le dernier et le plus grand des poëtes du xvie  siècle. […] L’intimité surtout avait mille grâces avec lui : il y portait un tour affectueux et de bon ton familier ; il s’y livrait en homme qui oublie tout le reste, et en prenait au sérieux ou en déroulait avec badinage les moindres caprices. […] Puis, quand on avait épuisé les désordres, les erreurs, et qu’on revenait à la vérité suprême, on trouvait un asile tout préparé, un confessionnal, un oratoire, un cilice qui matait la chair ; et l’on n’était pas, comme de nos jours, poursuivi encore, jusqu’au sein d’une foi vaguement renaissante, par des doutes effrayants, d’éternelles obscurités et un abîme sans cesse ouvert : — je me trompe ; il y eut un homme alors qui éprouva tout cela, et il manqua en devenir fou : cet homme, c’était Pascal.

2245. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Des lectures publiques du soir, de ce qu’elles sont et de ce qu’elles pourraient être. » pp. 275-293

J’ai causé d’ailleurs avec quelques-uns de ces hommes distingués qui s’honorent du simple titre de lecteurs, et, à mon tour, je me permettrai de discourir un peu sur ce sujet, en soumettant mes idées aux leurs et en me hâtant de reconnaître que je leur emprunte beaucoup à eux-mêmes dans ce que je vais exprimer. […] La vie des hommes célèbres, de ceux qui ont percé et qui sont fils de leurs œuvres, de ces hommes dont Franklin offre le type, serait une des lectures les plus profitables. […] La biographie bien comprise et bien maniée est un instrument sûr pour initier à l’histoire des hommes et des temps, même les plus éloignés de nous. […] Un jour, dans une traversée à bord d’un vaisseau, un Grec, homme du peuple, écoutait depuis longtemps des gens instruits, des sages, causer des choses de l’esprit : tout à coup il se précipita dans la mer. […] On me dit que les hommes éclairés du ressort de qui elles dépendent à l’Instruction publique songent à les développer et à les perfectionner.

2246. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « L’abbé Gerbet. » pp. 378-396

Ici, toutefois, ils avaient affaire dans l’abbé Gerbet à un homme qui connaissait les Pères, qui les lisait et les possédait à fond selon l’esprit, et ne manquait pas à son tour de textes puisés aux sources pour appuyer cette méthode plus libre et plus généreuse. […] La charité n’entre pas dans le cœur de l’homme sans combat : car elle y trouve un éternel adversaire, l’orgueil, premier-né de l’égoïsme et père de la haine. […] Mais cette consistance n’en est pas moins un progrès de la destruction : ccs ossements d’homme tournent à la pierre. […] Voilà la fin de l’histoire de l’homme en ce monde. […] L’abbé Gerbet, s’il voulait s’y appliquer, et si sa nature physique le lui permettait avec suite, eût composé sans doute plus d’un de ces dialogues heureux : il a en lui ce qu’il faut pour être l’homme des Tusculanes chrétiennes.

2247. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — La banqueroute du préraphaélisme »

Imprégnez-vous de ces quelques lignes de l’esthéticien, prises au hasard : « Ces caractères de Beauté que Dieu a mis dans notre nature d’aimer, il les a imprimés sur les formes qui, dans le monde de chaque jour, sont les plus familières aux yeux des hommes…. […] Non seulement l’action puissante de nos sociétés modernes ne signifie rien à ses yeux pour la grandeur ou la beauté d’un monde futur, mais l’impiété lui paraît régner sans conteste sur les hommes de son temps.‌ […] Et lorsqu’il s’agit d’un homme tel que Carlyle, qui ne comprend l’étrange anomalie d’un tel procédé ?‌ […] En nous bornant à l’école elle-même, nous pouvons constater qu’elle n’a pas produit un grand homme, à proprement parler. « L’école sèche » disait Delacroix, c’est-à-dire contraire à l’art véritable, vivant, fécond et large. […] de même pour tous ceux qui se refuseront à conclure le loyal pacte définitif, l’alliance sacrée qui défie les défaites, entre l’intelligence, la fantaisie, la pensée de l’homme et la réalité de la nature.

2248. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIV : De la méthode (Suite) »

Est-il impossible qu’il soit homme comme le reste, semblable aux autres et pourtant souverain des autres ? […] Voici un animal, un chien, un homme, un corbeau, une carpe ; quelle est son essence ou sa cause ? […] L’homme, qui n’allaite pas, a des mamelles. […] Les os de l’épaule et l’hyoïde, qui soutiennent les membres antérieurs de l’homme et son larynx, sont remontés dans la tête chez les poissons et servent à la respiration. […] Il reste des définitions de l’homme, de l’animal, de la plante, du corps chimique, des lois physiques, du corps astronomique, et il ne reste rien d’autre.

2249. (1915) Les idées et les hommes. Deuxième série pp. -341

« Il faut être orgueilleux avec les hommes » : il nous traite en hommes. […] Ils font aussi l’homme qui pense. […] Quel homme ! […] Il est un pauvre homme en chemin. […] Tuez donc en vous le vieil homme !

2250. (1856) Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine. Tome II

C’est dans la salive de l’homme que je les ai rencontrées en plus grande abondance ; elles sont dans la proportion de 1,64 sur 4,84 de résidu sec donné par 1000 parties de salive de l’homme (Jacubowitsch). […] C’est chez l’homme que je les ai toujours rencontrés en beaucoup plus grande proportion. […] GEORGE WIRSUNG trouva le premier sur l’homme le conduit qui porte son nom. […] Ainsi Santorini avait déjà décrit parfaitement les deux conduits pancréatiques chez l’homme. […] 1° Chez l’homme.

2251. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De l’état de la France sous Louis XV (1757-1758). » pp. 23-43

Ce qui manque évidemment à Bernis dans toute cette carrière purement politique, c’est le caractère et la trempe d’un homme d’État supérieur ; n’en ayant ni le fond ni l’apparence, il ne sut point conquérir sur ses alentours cet ascendant qui ne s’accorde jamais à ceux à qui on peut le refuser. Appréciant d’ailleurs en homme de sens toutes les difficultés et les causes de ruine, il ne voit d’autre remède que de renoncer promptement à ce qui a été entrepris si à la légère. […] Dans cette suite de confidences lamentables, un trait de ces lettres me fait sourire ; j’y vois comme le cachet et la couleur de l’époque, et aussi un reste de cette frivolité qui, chez Bernis, continuait encore de s’attacher même à l’homme public. […] Ce n’est pas nous qui ferons un reproche à Bernis d’une si honorable susceptibilité : mais il est évident que son moral était plus affecté qu’il ne convient à un homme chargé de conduire de grandes affaires, et que la responsabilité ministérielle était désormais trop forte pour lui. […] En homme humain et excellent, il s’inquiète avant tout de la position qu’on fera à ses secrétaires et à ceux qui l’ont servi.

2252. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

Venez ici, vous qui pressez vos lits d’édredon et qui n’y dormez pas ; voyez-le, l’homme de peine, suant au-dessus de son pain avant de le manger. […] C’est ainsi que son premier chant, que nous avons vu commencer par ces gentillesses et presque ces mièvreries ingénieuses sur le sopha, se termine par cette tirade ou par ce couplet rural et patriotique tout ensemble : Dieu fit la campagne, et l’homme a fait la ville. […] Il n’est plus de chair qui palpite dans le cœur endurci de l’homme ; il ne sent plus rien pour l’homme : le lien naturel de la fraternité est tombé, comme le chanvre qui tombe brin à brin au toucher du feu. L’homme trouve son compagnon coupable, — coupable d’une peau autrement colorée que la sienne, etc… Il continue d’énumérer toutes ses douleurs et ses blessures comme Anglais, comme chrétien, et comme homme. […] Il répondait, quand on regrettait qu’il n’entreprit plus rien de son propre fonds : « L’esprit de l’homme n’est pas une fontaine, mais une citerne ; et le mien, Dieu le sait, est une citerne brisée. » Mais il trouvait encore des inspirations courtes et vives, et des jaillissements du cœur.

2253. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Mémoires ou journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guetté. Tomes iii et iv· » pp. 285-303

Dieu soit loué de toutes choses, et qu’il lui plaise de donner un bon conseil à un homme si sage ! […] Pour être grand homme, on n’en est pas moins homme. […] D’ailleurs pas un mot de regret, d’affection sentie, d’admiration ni de culte pieux pour le grand homme dont il passait pour être l’Élisée. […] Le maître d’hôtel me parut homme de bonne mine, entendu et autorisé dans la maison. […] Entre ces deux grands hommes, la division et la rupture furent entières et de tout point irréparables jusqu’à la fin.

2254. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance »

Sismondi est plus connu de la plupart comme nom que comme homme. […] On va voir qu’il y a profit à faire connaissance chez lui avec l’homme encore plus qu’avec l’auteur. […] Avec Mme d’Albany, tout en étant vrai, il reste plus dans les termes d’homme du monde et de société. […] Les hommes se figurent souvent que l’orage qui est dans leur cœur est excité par l’objet de leurs affections, et qu’ils se calmeront s’ils s’attachent à un être apathique. […] Dupont (de Nemours) que tous les hommes distingués qu’il avait connus avaient eu des mères de mérite et d’esprit. » C’est De Candolle qui dit cela dans ses Mémoires.

2255. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « GRESSET (Essai biographique sur sa Vie et ses Ouvrages, par M. de Cayrol.) » pp. 79-103

Après quoi nous nous empressons de l’oublier, car elle nous conduirait à être sévère, c’est-à-dire injuste envers un homme et un ouvrage dont le mobile et l’objet sont faits pour intéresser. […] Un écrivain a fleuri et brillé en son temps ; il est mort ; le goût public a changé ; sa renommée a vieilli et a pâli ; on le cite encore à la rencontre, on a de lui une ou deux pièces qui seules survivent au reste des œuvres oubliées ; il semble que tout soit dit sur son compte : et voilà subitement qu’un homme arrive, littérateur ou non de métier, mais ayant au cœur je ne sais quelle étincelle littéraire, et cet homme un matin se consacre à cette mémoire défunte, la réchauffe, la restaure, s’applique de tout point à la rehausser. […] Je dis que cela est touchant, parce que cela est désintéressé ; et c’est l’honneur éternel des lettres, de ce que les Anciens appelaient studia, d’entretenir en ceux qui les aiment de ces piétés qu’on appellera, si l’on veut, des manies : les hommes qui ne visent qu’au présent et à user à leur profit des circonstances sont incapables, je l’avoue, de telles illusions, qui supposent le rêve d’immortalité, et c’est pourquoi, avec toute sorte de considération pour ces hommes utiles, je préfère les autres. […] Quelques hommes distingués avaient perfectionné cet art misérable, qui était devenu leur fonds de nature, et la jeunesse, comme toujours, s’y portait à leur suite par imitation et singerie. […] Ce sont là de ces faiblesses telles qu’il en arrive aux gens honnêtes un peu amollis par la vie domestique ; mais on se demande ce qu’est devenu l’homme d’esprit.

2256. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Boileau »

Disons, à la louange de l’homme bon, dont en ce moment nous jugeons le talent avec une attention sévère, disons qu’il fut sensible à l’amitié plus qu’à toute autre affection. […] Boileau, depuis la mort de Racine, ne remit pas les pieds à Versailles ; il jugeait tristement les choses et les hommes ; et même, en matière de goût, la décadence lui paraissait si rapide, qu’il allait jusqu’à regretter le temps des Bonnecorse et des Pradon. […] Ce très-noble me paraît un peu trop fort. » C’est là qu’en étaient ces grands hommes en fait de théorie et de critique littéraire. […] Permettez-moi de vous dire que vous avez en cela l’oreille un peu prosaïque, et qu’un homme vraiment poëte ne me fera jamais cette difficulté, parce que de Styx et d’Achéron est beaucoup plus soutenu que du Styx, de l’Achéron. […] Il y a peu de livres qui aient plus agréablement exercé la mémoire des hommes, et il n’y en a certainement point qu’il fût aujourd’hui plus aisé de restituer, si toutes les copies et toutes les éditions en étoient perdues. »

2257. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre I : La loi d’évolution »

On confond le progrès en lui-même avec ce qui l’accompagne avec les bénéfices et les résultats utiles qu’il apporte à l’homme. […] Un homme peut assembler une machine ; il ne peut faire une machine qui se développe elle-même. […] N’explique-t-on pas de même l’histoire par des interventions surnaturelles, par l’action prépondérante des grands hommes ; au lieu de comprendre que le grand homme ne peut que troubler, retarder ou aider l’évolution générale, mais que, prise dans sa totalité, elle reste en dehors de son atteinte. […] On a dû remarquer de bonne heure que quand deux hommes, deux animaux, deux objets quelconques sont près l’un de l’autre, l’inégalité devient plus visible. […] On peut sur ce point lire Vogt, Leçons sur l’homme, ch. 

2258. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Essai sur Amyot, par M. A. de Blignières. (1 vol. — 1851.) » pp. 450-470

Ces quatre ou cinq années environ qu’Amyot passa en Italie, à Venise et à Rome, lui furent grandement profitables, tant pour l’étude des textes que pour le commerce des hommes et aussi pour la connaissance des affaires. […] Ce n’était à aucun degré un homme d’État qu’Amyot, c’était un homme d’étude, plein de diligence, de curiosité, de patience, et admirable par la façon étendue, agréable et ingénue avec laquelle il présentait les fruits de son labeur. […] Rien ne peint mieux la morale d’une époque et d’une cour qu’une telle publication de la part d’un homme d’Église, précepteur en titre des fils du roi, une licence de cette force et qui paraît chose toute simple. […] En procès avec son chapitre, menacé et insulté, le pistolet au poing, par cet odieux cordelier ligueur, maître Trahy, et par ses paroissiens, placé entre les crimes de Blois et les avanies d’Auxerre, il put faire la différence des grands hommes de Plutarque aux misères et au fanatisme de son temps. […] L’homme dont nous parlions ainsi, M. 

2259. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VII. Mme de Gasparin »

C’est là deux mérites où un homme n’en aurait mis qu’un. […] Toujours Ève sortant du flanc d’un homme, la femme, cette réceptivité, comme ils disent en allemand, la femme n’est jamais que la réverbération de quelque chose, l’écho et le reflet de quelqu’un, et l’auteur des Horizons prochains n’a pas échappé à cette destinée. […] Vous n’y trouverez que ce sujet où il s’en va du tout, disait cet imbécile de Pascal, et qui n’est pour les nombreux hommes de génie de ce temps-ci qu’une assez piètre rêverie. […] « Dieu, dit intrépidement Mme de Gasparin, veut l’homme armé de toutes pièces. […] (Voir le Ier volume des Œuvres et des Hommes, Philosophes et Écrivains religieux, Ire série.)

2260. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Appendice à l’article sur Gabriel Naudé »

Mais je vous proteste, monsieur, que, telle satisfaction que me donne ledit Père, je ne le tiendrai jamais pour autre que pour un homme plus étourdi qu’une mouche, et moins sensé ès-affaires du monde qu’un enfant ; et si d’aventure il s’obstine de ne vouloir entendre à tant de voies d’accord que je lui fais présenter par mes amis en rongeant mon frein le plus qu’il m’est possible, et qu’il veuille toujours persister en ses menteries ordinaires et en ses impostures, j’en ferai une telle vengeance à l’avenir que, s’il a évité les justes ressentiments du maître du palais de Rome en s’enfuyant à Paris sous prétexte d’être poursuivi des Espagnols qui ne pensoient pas à lui, il n’évitera pas pourtant les miens. […] Je suis tellement animé contre la méchanceté de cet homme, laquelle je connois mieux que homme du monde, pour l’avoir expérimenté sur moi et vu pratiquer en tant d’autres occasions, que je ne me lasserois jamais d’en médire. C’est pourquoi je vous prie, monsieur, de pardonner si je vous en parle si longtemps : Ipse est catharma, carcinoma, fex, excrementum,  — de tous les hommes de lettres auxquels il fait honte et déshonneur… » Le reste de la lettre est sur d’autres sujets ; elle est datée de « Riète, ce 30 juin 1636. » On y peut joindre cette note que Guy Patin écrivait vers le même temps dans son Index ou Journal : « 1635. — Le 19 mai, un samedi après midi, ai visité aux Jacobins réformés du faubourg Saint-Honoré un Père italien, réputé fort savant homme, nommé Campanella, avec lequel j’ai parlé de disputes plus de deux heures.

2261. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires du marquis d’Argenson, ministre sous Louis XV »

Ce qui le caractérise homme profondément original, c’est son bon sens ; il en fait preuve à chaque ligne dans ces feuilles naïves qu’il écrivait au jour le jour, pour son usage propre ou tout au plus pour celui de sa famille ; l’un des premiers apôtres du sens commun, il le proclame entre toutes les qualités la seule essentielle et suffisante à un ministre. […] Il fut même compétiteur de ce dernier à l’Académie de Dijon, pour le sujet de l’inégalité des conditions entre les hommes ; il avait déjà été ministre alors, et c’est ainsi qu’il ennoblissait sa disgrâce. […] De plus, ce qui n’est pas une moindre louange, son opinion saine et droite devance celle de l’avenir, et pourtant alors, pour plusieurs de ces grands hommes, le présent était à peine venu. […] Mais il y a un certain charme à louer les hommes honnêtes et utiles ; si ces hommes ont été puissants en restant bons, il y a devoir à le faire ; et quant à celui dont nous parlons, la postérité & tous ces titres lui doit bien un ressouvenir.

2262. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Les legs de l’exposition philosophie de la danse »

L’homme y est mêlé et y joue son rôle. […] Ces deux tableaux : une almée qui tortille ses hanches pour distraire un homme à turban étendu sur des tapis  et un couple de valseurs où la femme est enlacée par l’homme et tourne en s’appuyant sur lui  sont deux symboles des plus instructifs. […] Et, jusque dans ce frivole divertissement, l’homme traite la femme comme une égale et comme une associée. […] Allez sur le boulevard extérieur, dans un éden que signale aux passants un moulin lumineux aux ailes de pourpre flamboyante : vous y verrez valser une aimable fille dont le sobriquet exprime un appétit sans mesure, et un homme d’aspect sévère qui porte le même nom que le frère infortuné de Marguerite.

2263. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Philosophie du costume contemporain » pp. 154-161

Autre remarque : le costume grec ou latin est le même, dans son principe, pour l’homme et pour la femme. […] Les habits des hommes se drapent aussi largement que ceux de leurs compagnes. […] * * * Passons au vêtement des hommes. […] La démocratie a aidé à cette évolution, en supprimant, surtout pour les hommes, les différences de costume entre les classes. — Aujourd’hui, il n’y a plus que les femmes qui se parent de « jabots », de « petites oies », de rubans, de dentelles et de fanfreluches, et qui arborent de beaux tissus aux couleurs éclatantes. […] L’uniformité pratique de la mode virile, s’opposant au bariolage, à la diversité superficielle et aux artifices contraignants de la mode féminine, signifie aux yeux que l’homme est né pour agir et la femme pour plaire, et nous suggère cette idée que l’extrême différenciation des costumes entre les sexes est peut-être une des marques de l’extrême civilisation.

2264. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Casuistique. » pp. 184-190

L’homme qui l’aimait, ancien officier, et qui semble avoir été un assez brave homme et d’une moralité au moins moyenne, s’est tué pour échapper à un procès déshonorant. […] Ce qu’avaient fait cette jeune femme qui est morte et cet homme qui s’est suicidé, est qualifié de crime et par la morale religieuse et par le Code. […] C’est un meurtre, oui, mais dont on peut douter s’il tue de la vie, et quelle espèce de vie : car les médecins ne savent pas à quel moment le germe de ce qui sera un homme devient en effet une créature humaine, et les théologiens ne savent pas à quel moment il reçoit une âme. […] Il serait seulement souhaitable que les hommes qui parlent à la foule prissent à tâche d’incliner du moins l’opinion publique à certaines rigueurs, — et aussi à certaines générosités.

2265. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 169-178

DIDEROT, [Denis] de l’Académie de Berlin, né à Langres en 1714, Auteur plus prôné que savant, plus savant qu’homme d’esprit, plus homme d’esprit qu’homme de génie ; Ecrivain incorrect, Traducteur infidele, Métaphysicien hardi, Moraliste dangereux, mauvais Géometre, Physicien médiocre, Philosophe enthousiaste, Littérateur enfin qui a fait beaucoup d’Ouvrages, sans qu’on puisse dire que nous ayons de lui un bon Livre. […] Nous ne craignons d’être accusés de partialité, que par ceux qui sont plus zélés pour la Philosophie actuelle, que pour la raison & la saine Littérature, espece d’hommes qu’on peut diviser en deux classes : les uns ressemblent à ces peuples imbécilles qui croyoient leurs Oracles infaillibles, pour quelques prédictions justifiées par le hasard : les autres ressemblent aux Prêtres de ces mêmes idoles, qui profitoient de l’ignorance & de la crédulité publique, pour accréditer les mensonges les plus extravagans. […] Diderot ait pu parvenir à se faire regarder comme un homme rare ?

2266. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Joseph Scaliger, et Scioppius. » pp. 139-147

Il leur prodigua plus ou moins les épithètes de fou, de sot-orgueilleux, de bête, d’opiniâtre, de plagiaire, de misérable esprit, de rustique, de méchant pédant, de grosse bête, d’étourdi, de conteur de sornettes, de pauvre homme, de fat, de sot, de fripon, de voleur, de pendard. […] Une si grande déraison dans un homme qui faisoit dire qu’ assurément le diable étoit auteur de l’érudition , méritoit qu’il rencontrât quelqu’un encore plus emporté que lui, & qui vengeât la cause commune des gens de lettres. […] Nous apprenons dans cette généalogie, que Scioppius eut pour père un homme qui fut successivement fossoyeur, garçon libraire, colporteur, soldat, meunier, enfin brasseur de bière. […] La femme, long-temps entretenue, & délaissée enfin par un homme débauché qu’elle avoit suivi en Hongrie, fut obligée de revenir avec son mari, qui la traita durement, jusqu’à condamner son épouse aux plus viles occupations de servante, & faire de sa servante son épouse. […] Le même Baillet observe que dieu, qui pouvoit faire succomber ce critique épouvantable à ses veilles continuelles, au travail excessif de ses études, permit qu’il vécut une vingtaine d’olympiades, & davantage, pour l’exécution de quelque grand dessein, & l’expiation des péchés des hommes.

2267. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Troisième faculté d’une Université. Faculté de droit. » pp. 506-510

Il prendra pour guides : L’ouvrage de Puffendorff intitulé des Devoirs de l’homme et du citoyen, de Officio hominis et civis ; ou revenir sur Le Droit naturel de Burlamaqui. […] Sa Majesté Impériale assistera à ces exercices ou y nommera des députés qui seront les hommes du sénat les plus capables de la représenter. Lorsque les mêmes hommes sont chargés de l’enseignement et donnent l’attestation d’habileté à posséder des charges et à remplir les places de la magistrature, maîtres d’accorder le signe de la science, les lettres, les diplômes et autres pancartes, ils négligent d’instruire de la chose ; les étudiants, leurs protecteurs ou leurs parents amollissent leur sévérité ou les corrompent par les sollicitations, par l’intérêt ou par la crainte. […] Un des privilèges honorifiques de l’émérité en droit, ce serait, par exemple, d’entrer et de siéger dans les différents tribunaux de la magistrature, distinction flatteuse pour le professeur, avantageuse pour le tribunal, qui, par cette police, continuerait de se recruter sans cesse d’hommes qui auraient fait leurs preuves de probité et de lumières dans la science des lois. Quel homme plus propre à servir dans le département des affaires étrangères que l’émérite dans le droit naturel et le droit des gens ?

2268. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 3, que le merite principal des poëmes et des tableaux consiste à imiter les objets qui auroient excité en nous des passions réelles. Les passions que ces imitations font naître en nous ne sont que superficielles » pp. 25-33

Voilà d’où procede le plaisir que la poësie et la peinture font à tous les hommes. Voilà pourquoi nous regardons avec contentement les peintures dont le merite consiste à mettre sous nos yeux des avantures si funestes, qu’elles nous auroient fait horreur si nous les avions vûës veritablement, car comme le dit Aristote dans sa poëtique : des monstres et des hommes morts ou mourants que nous n’oserions regarder ou que nous ne verrions qu’avec horreur, nous les voïons avec plaisir imitez dans les ouvrages des peintres. […] Nous écoutons donc avec plaisir les hommes les plus malheureux quand ils nous entretiennent de leurs infortunes par le moïen du pinceau d’un peintre, ou dans les vers d’un poëte ; mais, comme le remarque Diogene Laerce, nous ne les écouterions qu’avec repugnance s’ils déploroient eux-mêmes leurs malheurs devant nous. […] On dit bien encore qu’on a vû des hommes se livrer de si bonne foi aux impressions des imitations de la poësie, que la raison ne pouvoit plus reprendre ses droits sur leur imagination égarée. […] Il est bien rare de trouver des hommes qui aïent en même tems le coeur si sensible et la tête si foible ; supposé qu’il en soit veritablement de tels, leur petit nombre ne merite pas qu’on fasse une exception à cette regle generale : que notre ame demeure toujours la maîtresse de ces émotions superficielles que les vers et les tableaux excitent en elle.

2269. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Renan — II »

« J’ai profité largement de ce qu’avaient accumulé les hommes, et en cela je fis mon devoir : mais leur ai-je été profitable à mon tour ?  […] Nourri jusqu’à en pâlir des philosophes et des savants, entraîné au grand air par le lyrisme des Lamartine et des George Sand, mais encore bien âpre et livresque et provocant comme un curé breton, Renan eut tout pour séduire son siècle dès cet instant où Sainte-Beuve le fit homme de goût.‌ […] Oui, ce grand homme ne se contenta pas d’approcher le plus près que sa nature lui permettait de la perfection entrevue par les grands esprits ; il ne se contenta pas de se dévouer à la recherche de la vérité, d’être désintéressé et respectueux chez tous de la dignité humaine.‌ […] Renan d’être un croyant (au sens philosophique) et un critique, un homme de foi et un analyste, de mêler enfin la notion du divin aux méthodes de nos laboratoires ?‌ […] Renan, qui eut un énorme succès, il nous a paru intéressant d’avoir son opinion sur l’homme qu’il avait si spirituellement raillé.

2270. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

L’enfance est gaie ; mais combien d’hommes, combien de poètes ont su conserver ou rappeler les joyeux celais de rire de l’enfance ? […] Disons mieux, elle s’adresse à l’homme tout entier et complet, c’est-à-dire pas plus aux hallucinés qu’aux esprits purs. […] Et quel rare génie poétique, c’est-à-dire créateur, faut-il donc pour reproduire sur la scène les hommes et les choses que nous voyons tous les jours ? […] On y voit un amant déguisé en valet, un fils prodigue épris de la prétendue de son père, un cocher qui est aussi cuisinier, une femme d’intrigues, un homme qui prête sur gages, un homme qui a de l’argent caché, un vieil avare amoureux et, pour couronner tout, une reconnaissance. Il y a, ai-je dit, dans cette comédie, un usurier, un homme qui a de l’argent caché, et un vieil avare amoureux.

2271. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxiiie entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff »

— Vous allez être obéi, répondit le gros homme, et il disparut. […] C’est vraiment un homme d’administration ; vous pourrez vous en convaincre. […] — Son mari est-il un brave homme ? […] C’était un homme d’une taille élevée, carré des épaules, et bâti comme on en voit peu. […] On appelle ainsi, en Russie, un homme taciturne, et qui vit seul.

2272. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 451-455

Vous verrez dans le monde des milliers de personnes qui en sont persuadées de bonne foi, & qui regarderoient comme le plus téméraire de tous les hommes, celui qui oseroit en douter. […] « Ensuite, si vous lisez ce petit Ouvrage, vous serez étonné de n’y trouver qu’un homme raisonnable, humain, philosophe même, qui combat un préjugé, qui pourroit avoir tort dans le fond, sans qu’il fût possible de lui faire le moindre reproche dans la forme ; enfin, qui n’a point cherché à justifier cette abominable catastrophe dont on le suppose le panégyriste, qui a tenu, à ce sujet, le langage d’un cœur compatissant & d’un esprit éclairé. […] Et c’est l’homme qui parle ainsi, que l’on déclare l’Apologiste de la S. […] Linguet dans une note ; je ne l’ai jamais vu ; je n’ai jamais eu avec lui de liaison d’aucune espece, & n’en aurai jamais vraisemblablement ; mais javoue que, sur la dénonciation authentique qui a été faite à l’Europe de ses opinions & de son Livre, j’ai été long-temps, comme beaucoup de ses ennemis sans doute, à le croire, sans l’avoir lu, un homme & un Ecrivain détestable.

2273. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Appendice. — Un cas de pédanterie. (Se rapporte à l’article Vaugelas, page 394). »

Le critique, un docteur Joulin, que ses amis appellent un homme d’esprit, me dénonçait pour ce discours comme faisant honte à l’Académie française, comme ne sachant pas un mot de français, sinon à la réflexion et à tête reposée, comme ne pouvant écrire couramment deux lignes sans pataquès ; et il notait dans ce seul discours jusqu’à cinquante-trois fautes de langue et de goût. […] Médecin et praticien à Paris, il se plaisait à réunir chez lui des hommes distingués que retenaient le charme et l’intelligence de Mme Paulin : c’était le docteur Lallemand, Andral, Jouffroy, Jean Reynaud, Stourm, Littré, beaucoup d’autres. […] Né en 1792, enfant d’une génération qui a produit des hommes supérieurs ou distingués en tout genre, élève de l’École normale dans la première ferveur de la création, il eut aussi, à sa manière, le souffle et le feu sacré ; il marqua de bonne heure, entre ses jeunes camarades, par des qualités qui étaient bien à lui. […] Durant ces années heureuses où sa franche nature se déployait avec expansion, et avant les mécomptes, il fut admirablement secondé par une femme distinguée, son égale par le cœur, qui réunissait à son modeste foyer dans des conversations vives bien des hommes alors jeunes, et dont plusieurs étaient déjà ou sont devenus célèbres. […] Homme excellent, qui a beaucoup aimé, beaucoup souffert, qui a de tout temps servi ses semblables jusqu’à en vouloir mourir, le repos enfin lui est venu.

2274. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « La poésie »

Et n’apprennent-ils pas aussi, les hommes de ce temps, une autre égalité et moins lointaine ? […] Michelet, l’homme qui sait, qui voit, qui sent si admirablement les choses d’autrefois, a dit en quelques lignes ce qui se passa alors dans les âmes : « Cette trompette libératrice de l’archange, qu’on avait cru entendre en l’an mil, elle sonna un siècle plus tard dans la prédication de la croisade. […] Cet homme impitoyable, qui ne descendait de son nid de vautour que pour dépouiller ses vassaux, les arma lui-même, les emmena, vécut avec eux, souffrit avec eux ; la communauté de misères amollit son cœur. […] Cet enseignement prépare des compagnes aux hommes instruits et éclairés qui aimeront à trouver avec qui causer, au logis, de leurs études et de leurs travaux. […] Paul Albert n’a pas dû appuyer sur les poètes et peintres à la Juvénal, ces effrontés qui prêchent la pudeur d’un ton à faire reculer même des hommes.

2275. (1874) Premiers lundis. Tome I « Ferdinand Denis »

L’idée qui a présidé à l’ouvrage est celle-ci ; La poésie tire son premier charme des images qu’elle emprunte à la nature ; dans nos tièdes contrées, au sein d’une civilisation toute-puissante, cette nature a peine à se faire jour et n’est pas à l’aise pour se déployer : là seulement où un climat de feu la féconde sans relâche, et où le voisinage de l’homme ne la met point à la gêne, pleine de vie et de jeunesse, elle éclate dans toute sa solennité. […] De nos jours, trois hommes qui ont écrit dans des genres et avec des mérites divers, mais toujours avec une grande richesse d’imagination, ont dû à de tels voyages la poésie neuve et brillante dont leur prose étincelle. […] La situation de l’auteur est celle d’un homme sensible Transporté devant un grand spectacle. […] C’est un polype élégant, et la nature semble avoir été dans l’indécision quand elle le fit naître. » Et ailleurs, à l’occasion des déserts de l’Arabie et de l’Amérique : « L’amour dans ces pays brûlants devient un sentiment dont rien ne peut distraire ; c’est le besoin le plus impérieux de l’âme ; c’est le cri de l’homme qui appelle une compagne pour ne pas rester seul au milieu des déserts. » Certes Bernardin de Saint-Pierre n’eût pas mieux dit. […] Pourquoi s’imposer cette tâche pénible de faire dignement parler un grand homme ?

2276. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Balzac, et le père Goulu, général des feuillans. » pp. 184-196

On doit le compter sans doute parmi le petit nombre des écrivains originaux, quoique son genre soit bien insupportable à tout homme de goût & de bon sens. […] Le stile épistolaire est l’opposé de ce goût, & néanmoins ce fut dans ce genre qu’il s’acquit tant de réputation ; ce furent ses lettres qui le firent appeller le seul homme éloquent de son siècle. […] Goulu, homme violent & despotique dans l’ordre, en prit la défense. […] Ces deux hommes d’un caractère si opposé devinrent amis. […] Cet homme éloquent est le premier qui ait fondé un prix d’éloquence.

2277. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre sixième. »

La nature est ainsi faite chez les tortues et chez les hommes. […] Mais j’ai déjà observé que la morale de la résignation est toujours excellente à prêcher aux hommes, bien entendu que le mal est sans remède. […] Ce défaut vient de ce qu’il est dans la nature qu’un autour mange une allouette, et qu’il n’est pas dans la nature bien ordonnée qu’un homme nuise à son semblable. […] Chez l’animal qu’on appelle homme, On la reçut à bras ouverts. Bonne satire de l’humanité en général ; puis vient la satire de la société, de l’homme civilisé qui n’a fait, par les conventions sociales, que multiplier les sujets de discorde.

2278. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre III. Suite des Époux. — Adam et Ève. »

À travers leurs regards divins, brillent les attributs de leur glorieux Créateur : la vérité, la sagesse, la sainteté rigide et pure, vertu dont émane l’autorité réelle de l’homme. […] Fille du Péché, Pudeur impudique, combien n’avez-vous point troublé les jours de l’homme par une vaine apparence de pureté ! […] Ainsi passe, en se tenant par la main, le plus superbe couple qui s’unit jamais dans les embrassements de l’amour : Adam, le meilleur de tous les hommes qui furent sa postérité ; Ève, la plus belle de toutes les femmes entre celles qui naquirent ses filles. […] Ainsi parla la Mère des hommes. […] Adam, quoiqu’à peine né et sans expérience, est déjà le parfait modèle de l’homme : on sent qu’il n’est point sorti des entrailles infirmes d’une femme, mais des mains vivantes de Dieu.

2279. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mes petites idées sur la couleur » pp. 19-25

Un grand intérêt fait éclore subitement un homme éloquent ; quoi qu’en dise Helvétius, on ne ferait pas dix bons vers, même sous peine de mort. […] L’homme qui peint répugnera à introduire dans son tableau les effets qui le blessent dans la nature. […] Mais pourquoi le caractère, l’humeur même de l’homme n’influeraient-ils pas sur son coloris ? […] C’est comme l’homme taciturne et muet qui élève une fois la voix. […] C’est que l’homme n’est pas Dieu ; c’est que l’atelier de l’artiste n’est pas la nature.

2280. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Alexandre Dumas fils » pp. 281-291

Est-il possible d’être moins homme que cet homme, qui a été chaste dans sa jeunesse, la force des forces pour qui connaît le cœur humain, et qui, après avoir été trompé, berné, humilié, trahi et raillé par sa femme, dont il se sépare, en redevient l’amant une dernière fois, et, pour s’achever, se cocufie lui-même ; car de telles bassesses, de telles abjections, rappellent les vieux mots bannis qui ne faisaient pas peur à nos ancêtres ! […] … Est-ce enfin (car les voilà tous), est-ce enfin et cela peut-il s’appeler un caractère que cette Iza, épousée pour sa beauté seule par cet homme chaste et réfléchi, dont elle fait, en un tour de reins, une marionnette voluptueuse, le polichinelle de l’amour ? […] je ne m’étonne nullement, à cette heure, qu’il ait été lié avec Girardin, l’homme d’une idée par jour, qui, lui, plus heureux, les attrape ! […] Dans L’Affaire Clémenceau, il y a tout un côté Girardin qui touchera probablement jusqu’aux larmes l’homme avec qui Alexandre Dumas fils s’est brouillé, pour cause de paternité partagée… et qui le ramènera peut-être à Alexandre Dumas fils, en vertu d’un attendrissement intellectuel et généreux ! […] Le croiriez-vous jamais de cet homme de sobriété de manière et d’impitoyabilité d’observation ?

2281. (1903) Le problème de l’avenir latin

A cet égard le Français, l’Italien ou l’Espagnol contemporain, pense comme l’homme antique et l’homme de la Renaissance : sa conception n’a guère progressé. […] L’homme doit vivre son premier âge, comme l’humanité l’a vécu, dans la nature. […] C’est cet enseignement vivant qui pourrait justement prétendre à former des hommes, des hommes vivants, non des pleureurs ou des parleurs, des impuissants ou des atrophiés. […] On agit envers un malade autrement qu’envers un homme sain. […] Tant qu’il y aura des hommes, il y aura comme une lueur de salut.

2282. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Appendice à l’article sur Joseph de Maistre »

Cet homme de bien et de bon conseil, que nous ne nommions pas, venait précisément de mourir le 16 juillet dernier, et aujourd’hui un écrivain lyonnais, bien connu par ses utiles et honorables travaux, M.  […] Déplace, né à Roanne en 1772, était de ces hommes qui, pour n’avoir jamais voulu quitter le second ou même le troisième rang, n’en apportent que plus de dévouement et de services à la cause qu’ils ont embrassée. […] C’est pour avoir supprimé ce second rôle, celui du conseiller, du critique sincère et de l’homme de goût à consulter, c’est pour avoir réformé, comme inutiles, l’Aristarque, le Quintilius et le Fontanes, que l’école des modernes novateurs n’a évité aucun de ses défauts. […] Nous ne saurions rien, de l’auteur anonyme des Soirées de Rothaval, sinon, qu’il nous semble un esprit droit, scrupuleux et lent, un homme religieux et instruit ; mais une petite brochure publiée en 1839, et qui a pour titre : M. le comte Joseph de Maistre et le Bourreau, nous indique M.  […] A lire les dernières pages des Soirées de Rothaval, je crois voir un homme qui a entendu durant plus de deux heures une discussion vive, animée, étincelante de saillies et même d’invectives, soutenue par le plus intrépide des contradicteurs, et qui, prenant son voisin sous le bras, l’emmène dans l’embrasure d’une croisée, pour lui dire à voix basse : « Vous allez peut-être me juger bien hardi, mais je trouve que cet homme va un peu loin. »  — L’épigraphe qui devrait se lire en toutes lettres au frontispice des écrits de M. de Maistre est assurément celle-ci : A bon entendeur salut !

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