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1684. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 105-106

Son théatre comique, qui forme huit volumes, annonce dans presque toutes les Pieces un génie égal quelquefois à celui de Moliere, & capable d’en approcher plus constamment, si la trop grande facilité de Dancourt ne l’eût souvent jeté dans la négligence & l’incorrection.

1685. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 6-7

Cet habile Critique lui reconnoissoit encore autant de génie pour réussir dans la Poésie sublime, que dans la Poésie simple : Tout Chantre ne peut pas, sur le ton d’un Orphée, Entonner en grands Vers la Discorde étouffée, Peindre Bellone en feu, tonnant de toutes parts, Et le Belge effrayé fuyant sur ses remparts.

1686. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 78-80

On seroit tenté de croire que son génie tient du naturel de la Salamandre, qui subsiste, dit-on, au milieu des flammes sans en être échauffée, & vient à bout de les éteindre.

1687. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 322-324

De la vivacité dans le génie, de la facilité dans l'expression, de la hardiesse dans les pensées, mais très-souvent un défaut de goût & d'exactitude dans le style ; voilà le caractere de ce Poëte, que ses aventures fâcheuses ont rendu aussi célebre que ses Ouvrages.

1688. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — II. (Fin.) » pp. 452-472

Il excelle à analyser et à déduire les parties compliquées de son sujet, mais il ne les rassemble jamais sous un point de vue soudain et sous une expression de génie. […] Loin de brusquer sa fin, Gibbon se plaît à la prolonger : il achève cette longue carrière presque comme une promenade, et, au moment de poser la plume, il s’arrête à considérer les derniers alentours de son sujet ; il s’y repose. — Il n’a rien du cri haletant de Montesquieu abordant le rivage ; il n’en avait pas eu non plus les élans, les découvertes d’idées en tous sens et le génie. […] Ceux encore aujourd’hui qui auront vécu par la lecture dans cette intimité tempérée et ornée, n’y eussent-ils passé comme moi qu’une quinzaine, comprendront que Gibbon, sans être de l’ordre des génies, sans être même de ceux qui avec du talent troublent ou passionnent les hommes, ait eu ses fidèles et ses pèlerins affectueux.

1689. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — II » pp. 316-336

Le ton change, les brouillards cessent, les drapeaux s’arborent ; on y sent à chaque pas l’avantage des situations nettes et des génies qui sont dans leur voie. […] L’honneur de Richelieu est de l’avoir senti avec une énergie ardente et un indomptable génie d’exécution : le malheur de Rohan, celui de sa position, est de n’avoir pu le sentir, d’avoir été l’allié naturel et comme nécessaire de l’étranger, de quiconque était alors l’ennemi de la patrie, d’avoir continué de penser là-dessus comme un seigneur féodal en retard, devenu républicain par rencontre, et qui, en vue d’une conviction religieuse particulière, usait de tous les moyens de défense, sans se douter de ce qu’il allait choquer au sein de cet autre sentiment moral et religieux aussi, de ce sentiment patriotique, tout à l’heure universel. […] Richelieu tout le premier montra qu’au fond il jugeait mieux de Rohan lorsqu’il lui confia ensuite le corps d’armée destiné à entrer dans la Valteline, et que, dans une lettre de lui adressée à ce général victorieux, il lui dit « qu’il sera toujours très volontiers sa caution envers le roi que lui, Rohan, saura conserver les avantages acquis et ne perdra aucune occasion de les augmenter. » Mais, en ce moment de la guerre civile, ce sont deux génies, deux âmes rivales et antagonistes qui sont aux prises, et tous les défauts, toutes les complications et enchevêtrements de la conduite et du rôle de Rohan lui apparaissent : il les impute à son caractère, et il les exprime avec excès, avec injustice sans nul doute, mais avec discernement du point faible et en des termes qui ne s’oublient pas.

1690. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Maine de Biran. Sa vie et ses pensées, publiées par M. Ernest Naville. » pp. 304-323

La pomme qui tombe paraît chose toute simple au commun des hommes, elle ne le semble pas à Newton. « La première réflexion, a dit quelque part Maine de Biran, est, en tout, le pas le plus difficile : il n’appartient qu’au génie de le franchir. […] Ils ont confiance dans leurs idées et leurs sentiments, précisément parce qu’ils ne se les approprient pas comme l’ouvrage de leur esprit, comme le produit de leur activité proprex, mais qu’ils les attribuent à Dieu ou à quelque bon génie… » C’est précisément le génie dont il manque, le bon démon, celui de la facilité, la muse, comme on dirait en d’autres sujets.

1691. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Vie de Maupertuis, par La Beaumelle. Ouvrage posthume » pp. 86-106

Il n’a pas la grossière maladresse de Fréron, qui va toujours niant le talent et le génie de quiconque le méprise. […] La Beaumelle a un peu de ce génie (un triste génie) de fabrication et de simulation.

1692. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire de l’Académie française, par Pellisson et d’Olivet, avec introduction et notes, par Ch.-L. Livet. » pp. 195-217

Car Richelieu, rendons-lui à notre tour et après tant d’autres ce public hommage, avait en lui de cette flamme et de cette religion des lettres qu’eurent dans leur temps à un si haut degré les Périclès, les Auguste, les Mécènes ; il croyait que les vraiment belles et grandes choses ne seront cependant tenues pour telles à tout jamais, qu’autant qu’elles auront été consacrées par elles, et que le génie des lettres est l’ornement nécessaire et indirectement auxiliaire, la plus magnifique et la plus honorable décoration du génie de l’État. […] Il l’aurait voulu avoir sur le Génie du christianisme le lendemain de la publication ; plus tard, sur les grandes œuvres poétiques qui ont fait schisme (je suppose toujours un Richelieu permanent et immortel) ; il aurait exigé, en un mot, que les doctes parlassent, n’attendissent pas l’arrêt du temps, mais le prévinssent, le réglassent en quelque sorte, et qu’ils donnassent leurs motifs ; qu’ils fendissent le flot de l’opinion et ne le suivissent pas.

1693. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. De Pontmartin. Causeries littéraires, causeries du samedi, les semaines littéraires, etc. »

Cette jeune enfant de dix à onze ains, amenée un matin au pensionnat par une mère belle, superbe, au front de génie et à la démarche orageuse ; le peu d’empressement de la maîtresse de pension à la recevoir, la froide réserve de celle-ci envers la mère, son changement de ton et de sentiment quand elle a jeté les yeux sur le front candide de la jeune enfant, les conditions qu’elle impose ; puis les premières années de pension de la jeune fille, ses tendres amitiés avec ses compagnes, toujours commencées vivement, mais bientôt refroidies et abandonnées sans qu’il y ait de sa faute et sans qu’elle se rende compte du mystère ; l’amitié plus durable avec une seule plus âgée qu’elle et qui a dans le caractère et dans l’esprit plus d’indépendance que les autres ; tout cela est bien touché, pas trop appuyé, d’une grande finesse d’analyse. […] Vous voulez être son bon ange ; vous seriez son mauvais génie... » Et avec cette antithèse de bon ange et de mauvais génie, avec cette métaphore qu’il paraît prendre tout à fait au pied de la lettre, le magistrat brise le rêve de bonheur des deux jeunes gens ; et la jeune fille, acceptant à l’instant cette solution extrême et s’y résignant, ne pense plus qu’à aller au plus vite chercher son père, qui vit retiré depuis des années dans une terre en Dauphiné, et qu’elle se reproche d’avoir méconnu jusque-là dans son ingratitude, comme si, ignorant tout, elle était en rien coupable.

1694. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin »

Après d’excellentes études littéraires, sa famille le dirigeait vers la magistrature ; il était avocat, et presque déjà docteur en droit, si je ne me trompe, quand le génie de la couleur l’a séduit. […] Fromentin se déclare contre, par la raison, dit-il, « que les hommes de génie ont toujours raison, et que les gens de talent ont souvent tort » : « Costumer la Bible, ajoute-t-il, c’est la détruire ; comme habiller un demi-dieu, c’est en faire un homme. […] Mais le sommet, en quelque sorte, du livre, le point culminant, c’est la station du peintre sur la hauteur, au pied de la tour de l’Est : l’aspect grandiose du pays, dans sa sévérité majestueuse et toute-puissante, y est exprimé en des traits qui se transmettent et qu’on n’oublie plus ; le génie du climat y apparaît, s’y révèle tout entier et s’y fait comprendre.

1695. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. (Les Pleurs, poésies nouvelles. — Une Raillerie de l’Amour, roman.) » pp. 91-114

Hugo, a dit avec bonheur : Il est aussi, Victor, une race bénie Qui cherche dans le monde un mot mystérieux, Un secret que du ciel arrache le génie, Mais qu’aux yeux d’une amante ont demandé mes yeux. […] Beaucoup de ce qui nous frappe dans le cadre et le vêtement ne sera pardonné que pour le génie qui rayonnera, pour l’âme qui palpitera derrière. […] Elle et lui, Lamartine et Mme Valmore, ont de grands rapports d’instinct et de génie naturel ; ce n’est point par simple rencontre, par pure et vague bienveillance, que l’illustre élégiaque a fait les premiers pas au-devant de la pauvre plaintive ; toute proportion gardée de force et de sexe, ils sont l’un et l’autre de la même famille de poëtes.

1696. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre III. Montesquieu »

Quand la satire sociale se substitue à la satire des mœurs mondaines, le ton se fait plus âpre ; Montesquieu développe, et cette fois avec la supériorité de son génie, ce qui était seulement en germe dans quelques parties du livre de La Bruyère. […] De là est sortie, au milieu de la lente et laborieuse préparation de l’Esprit des Lois, cette analyse profonde et subtile du génie politique de Rome, et de son évolution historique. […] C’est encore un défaut des Considérations — et une fâcheuse tendance du génie de l’auteur — que cet amour des généralisations qui conduit à ériger témérairement en lois des phénomènes aperçus une fois dans l’histoire.

1697. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre IV »

Les Anciens, avec ce génie du symbole qui était en eux, représentaient la Jeunesse armée d’un arc, appuyée d’une main sur une lyre, et, de l’autre, répandant quelques grains d’encens sur le brasier d’un autel. […] Elle ne rêve pour lui ni le génie ni la gloire — les chances en sont trop vagues et trop hasardeuses — mais un riche mariage, une position acquise moins par le talent que par le savoir-faire. […] Sa femme lui a persuadé qu elle a le génie de la trouvaille et du bon marché : il a la foi du tapissier ; c’est la foi qui perd.

1698. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon. » pp. 270-292

C’est ici que commence chez Saint-Simon un tableau qui surpasse tout ce qu’on peut imaginer de la sagacité d’observation et du génie d’expression en matière humaine. […] Dès sept heures du matin il est debout : « Mais il faut l’avouer, remarque-t-il, de telles insomnies sont douces, et de tels réveils savoureux. » La seconde scène que je recommande à ceux qui veulent prendre sur le fait le génie pittoresque et la passion inextinguible de Saint-Simon, est celle du Conseil de régence et du lit de justice où fut dégradé le duc du Maine (26 août 1718). […] Si Saint-Simon n’a pu faire rendre si tard à la noblesse française une influence politique et aristocratique qui n’était point sans doute dans les conditions de notre génie national et dans nos destinées, il a fait pour elle tout ce qu’il y a de mieux après l’action, il lui a donné, en sa propre personne, le plus grand écrivain qu’elle ait jamais porté, la plume la plus fière, la plus libre, la plus honnête, la plus vigoureusement trempée et la plus éblouissante, et ce duc et pair dont on souriait alors se trouve être aujourd’hui, entre Molière et Bossuet (un peu au-dessous, je le sais, mais entre les deux certainement), une des premières gloires de la France27.

1699. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Diderot. (Étude sur Diderot, par M. Bersot, 1851. — Œuvres choisies de Diderot, avec Notice, par M. Génin, 1847.) » pp. 293-313

Son génie, car il en avait, et on ne saurait donner un autre nom à une telle largeur et à une telle puissance de facultés diverses, s’y plia si bien, qu’on ne sait aujourd’hui s’il eût été propre à un autre régime, et qu’on est tenté de croire qu’en se dispersant ainsi et en se versant de toutes parts et à tous venants, il a le mieux rempli sa destinée. […] Pourtant c’est bien à lui que revient l’honneur d’avoir introduit le premier chez nous la critique féconde des beautés, qu’il substitua à celle des défauts ; et, en ce sens, Chateaubriand lui-même, dans cette partie du Génie du christianisme qui traite éloquemment de la critique littéraire, ne fait que suivre la voie ouverte par Diderot. […] Combien, avant d’avoir lu Diderot, auraient pu dire avec Mme Necker : « Je n’avais jamais vu dans les tableaux que des couleurs plates et inanimées ; son imagination leur a donné pour moi du relief et de la vie ; c’est presque un nouveau sens que je dois à son génie. » Ce sens nouveau et acquis s’est fort développé chez nous depuis lors ; espérons qu’il nous est devenu tout à fait naturel aujourd’hui29.

1700. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Théodore Leclercq. » pp. 526-547

En se dépouillant aujourd’hui, pour le juger, de toute prévention et comme de tout ressouvenir personnel, on ne peut au moins s’empêcher de voir qu’il méconnaissait sur des points essentiels le génie du temps, celui même de la nation, et qu’il blessait la fibre française. […] Ce sont de petits génies pleurant tout bonnement sur leur torche renversée, mais si bien faits, d’un fini si précieux, qu’on pourrait les regarder à la loupe. […] Mme de Verna, mariée à un officier du génie, aime son intérieur, son mari, son enfant, et tous deux s’amusent, tout en causant, à faire à leur petit Gabriel un château de cartes, mais un château qui ne ressemble pas à un autre, et dont son père a dressé le plan en ingénieur consommé.

1701. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Michaud, de l’Académie française. » pp. 20-40

Deux brochures qu’il publia en 1800, sous le titre d’Adieux à Bonaparte, montrent combien il eut peine à entrer dans l’esprit et le génie de l’époque consulaire. […] Augustin Thierry, qu’on a pu appeler « un traducteur de génie des anciens chroniqueurs », et qui a porté dans cette mise en œuvre le sentiment simple de l’épopée. […] Ils n’osent se livrer à leur mauvais génie ; on voit qu’ils sont contenus ; mais le bout de l’oreille perce… J’entends que les journaux servent le gouvernement, et non contre.

1702. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — I. » pp. 287-307

Il y avait sur Jean-Jacques, l’auteur récent du Devin du village, un mot d’éloge avec un trait piquant : « Un homme, disait le Génie, dont je fais ce qu’il me plaît, encore qu’il regimbe contre moi… » Récalcitrant et quinteux jusque dans son génie, c’était bien Jean-Jacques, même dès Le Devin du village. Si Grimm disait aux Français bien des vérités dures sur la musique, il en disait d’autres très agréables sur la littérature ; la Voix ou le Génie, parlant de la France en style prophétique et en se supposant dans les temps reculés, s’exprimait ainsi : Ce peuple est gentil ; j’aime son esprit qui est léger, et ses mœurs qui sont douces, et j’en veux faire mon peuple, parce que je le veux, et il sera le premier, et il n’y aura point d’aussi joli peuple que lui.

1703. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre VI. Des Livres qui traitent de la Rhétorique. » pp. 294-329

Il les attribue au peu de liberté qu’ont les Orateurs, à la modicité des récompenses qu’ils espérent, à la multitude des affaires qui les accablent, au peu de soin qu’ils prennent de s’instruire, au défaut de génie, à la suite du travail. […] On y donne de grands éloges à des saillies de bel esprit, plûtôt qu’aux vraies productions de génie. […] Personne ne peut ignorer que le talent de l’éloquence dans ce degré éminent, où s’éléve un assez petit nombre d’hommes privilégiés, ne soit un present de la nature, comme tous les dons du génie.

1704. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre I. »

2° Le merveilleux ordinaire où jouent leur rôle tous les êtres fabuleux créés par l’imagination des noirs : génies, hafritt, taloguina, nains, ogres, animaux-génies, etc. […] Les génies seuls assurent le respect des principes. […] Les animaux des contes sont, soit des génies travestis, soit de véritables animaux-génies.

1705. (1888) Poètes et romanciers

Tous ces grands noms sont salués d’apostrophes très vives et tout à fait neuves : Génie ! […] Ce sera pour nous une excellente occasion d’étudier une des formes les plus curieuses du génie de M.  […] Il dut à M. de Chateaubriand d’entrevoir la poésie biblique et de se sentir attiré vers les sources mystérieuses où ce grand écrivain puisait alors son génie et sa foi. […] C’est la marque et le secret des grands artistes, d’avoir ainsi, même dans le crépuscule de leur génie, de ces lumineuses échappées qui éclairent encore l’horizon. […] Déjà Lamartine, Victor Hugo, l’avaient retrempée à des sources intérieures, découvertes par leur génie d’écrivain ; elle en était sortie avec une souplesse et un éclat nouveaux.

1706. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française, par M. D. Nisard. Tome iv. » pp. 207-218

Nisard flatte peut-être l’esprit français dans la définition générale qu’il en donne, il ne flatte nullement les auteurs français en particulier ; et, tout au contraire, en les comparant, en les confrontant sans relâche un à un avec ce premier idéal qu’il s’est proposé et qu’il a dressé comme une figure grandiose au vestibule de son livre, il leur fait subir la plus périlleuse des épreuves, le plus sévère des examens : plus d’un, et des plus célèbres, y laisse une part de lui-même, la partie caduque, éphémère et mensongère ; et, comme après un jugement de Minos ou de Rhadamanthe, c’est l’âme immortelle, c’est l’esprit dans ce qu’il a eu de bon, de pur, dans ce qu’il a de durable, de moral, de salutaire, de conforme et de commun avec le génie français (une des plus belles représentations de l’esprit humain), c’est cela seul qui survit, qui se dégage et qui triomphe. […] André Chénier, mort bien plus jeune que ce dernier, n’a pas été seulement un aimable et poétique génie, ç’a été un caractère.

1707. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — I » pp. 219-230

Nous vivons dans le climat et dans le siècle de la philosophie et de la raison ; les lumières de toutes les sciences semblent se réunir à la fois pour éclairer nos yeux et nous guider dans cet obscur labyrinthe de la vie humaine ; les plus beaux génies de tous les âges réunissent leurs leçons pour nous instruire ; d’immenses bibliothèques sont ouvertes au public ; des multitudes de collèges et d’universités nous offrent dès l’enfance l’expérience et la méditation de quatre mille ans ; l’immortalité, la gloire, la richesse et souvent les honneurs sont le prix des plus dignes dans l’art d’instruire et d’éclairer les hommes : tout concourt à perfectionner notre entendement et à prodiguer à chacun de nous tout ce qui peut former et cultiver la raison : en sommes-nous devenus meilleurs ou plus sages ? […] Sa figure, comme celle de tous les puissants mortels qui ont excité enthousiasme et colère, ainsi aperçue de loin à travers un nuage de lumière et de poussière, se transformerait à nos yeux : nous le ferions trop grand, trop beau ou trop laid, trop génie ou trop monstre.

1708. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, romans (1832) »

La maturité vint à son génie comme à son humeur, du moins une maturité relative ; dès lors le roman s’ouvrit véritablement pour lui, non pas le roman, sans doute, pris dans le milieu de l’expérience habituelle, dans le courant ordinaire des mœurs, des passions et des faiblesses, non pas le roman familier à la plupart, mais le sien, un peu fantastique toujours, anguleux, hautain, vertical pour ainsi dire, pittoresque sur tous les bords, et à la fois sagace, railleur, désabusé : Notre-Dame de Paris put naître. […] Bref, Notre-Dame est le fruit d’un génie déjà consommé pour le roman, et qui, tout en produisant celui-ci, achevait de mûrir encore.

1709. (1874) Premiers lundis. Tome I « Alexandre Duval de l’Académie Française : Charles II, ou le Labyrinthe de Woodstock »

Mais quoique la critique en pareil cas ne soit nullement tenue de susciter le génie d’un trait de plume et de l’exhiber à l’heure précise, quoique ce soit là l’affaire du génie lui-même, et de Dieu qui l’a fait naître, on ne serait pas embarrassé, si on l’osait, de compter d’avance et de nommer par leur nom un bon nombre des soutiens et des ornements de cet art nouveau ; tant l’œuvre a déjà mûri dans l’ombre, et tant les choses sont préparées.

1710. (1874) Premiers lundis. Tome II « Chronique littéraire »

Quoi qu’il en soit, il est bien sûr pour nous, en ce moment, que le siècle va grand train, qu’une étrange activité l’accélère dans tous les sens ; qu’à lui tâter le pouls chaque matin, sa vie semble une fièvre, et que, si dans cette fièvre il entre bien des émotions passagères, de mauvais caprices, d’engouements à la minute, il y a aussi là-dedans de bien nobles palpitations, une sérieuse flamme, des torrents de vie et de génie, et toute la marche d’un grand dessein qui s’enfante. […] Voilà des questions que personne ne peut s’empêcher de s’adresser à soi-même, avec un sentiment intime de respect pour le poëte de génie qui les suscite.

1711. (1874) Premiers lundis. Tome II « Chronique littéraire »

Il y a en ce temps-ci un certain nombre d’esprits ardents, studieux, intelligents, qui, jeunes, après avoir passé déjà par des phases diverses, et avoir joint à un enthousiasme non encore épuisé, une maturité commençante, savent assez de quoi il retourne dans ces mouvements douloureux de la société, ressentent l’enfantement d’un ordre nouveau, y aident de grand cœur, mais ne croient pas qu’il soit donné à une formule unique et souveraine de l’accomplir : car le temps de ces découvertes magiques est passé ; un fiat lux social n’est possible qu’à l’aurore ; et aujourd’hui le progrès humain se fait sous le soleil, avec force sueurs, par tous, moyennant, il est vrai, quelques guides de génie, dont aucun pourtant n’a le droit de se croire indispensable. […] Les choses se sont passées comme elles se passeront toutes les fois qu’on confrontera le génie, défenseur d’une liberté, face à face avec le pays.

1712. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Préface de la seconde édition » pp. 3-24

L’on peut remarquer aujourd’hui, parmi les littérateurs français, deux opinions opposées, qui pourraient conduire toutes deux, par leur exagération, à la perte du goût ou du génie littéraire. […] Mais le talent consiste à savoir respecter les vrais préceptes du goût, en introduisant dans notre littérature tout ce qu’il y a de beau, de sublime, de touchant, dans la nature sombre, que les écrivains du Nord ont su peindre ; et si c’est ignorer l’art que de vouloir faire adopter en France toutes les incohérences des tragiques anglais et allemands, il faut être insensible au génie de l’éloquence, il faut être à jamais privé du talent d’émouvoir fortement les âmes, pour ne pas admirer ce qu’il y a de passionné dans les affections, ce qu’il y a de profond dans les pensées que ces habitants du Nord savent éprouver et transmettre.

1713. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XV. De l’imagination des Anglais dans leurs poésies et leurs romans » pp. 307-323

Les poètes anglais abusent souvent néanmoins de toutes les facilités que leur accordent, et leur langue et le génie de leur nation. […] La Nouvelle Héloïse est un écrit éloquent et passionné, qui caractérise le génie d’un homme, et non les mœurs de la nation.

1714. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « José-Maria de Heredia.. »

Ils avaient du génie, c’est bien, et cela sauve tout. […] Elle exprime d’abord l’exaltation d’une âme tendue à jouir superbement de toute la beauté éparse dans le monde et dans l’histoire et de toutes les œuvres où l’humanité a le plus joyeusement épanché son génie.

1715. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « La Plume » pp. 129-149

Les imitateurs de Jean Richepin, sans avoir l’excuse du génie, abusaient de la langue verte. […] ô miracle du Génie !

1716. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre V. Chanteuses de salons et de cafés-concerts »

Car il avait le signe qui, chez le poète comme chez le savant ou le philosophe, est la première marque du génie : l’égale absence d’esprit d’imitation et d’esprit de contradiction, la non-attention à la galerie, l’incurie du public, la superbe et souriante et presque inconsciente insouciance de plaire ou déplaire : Il disait à lui-même et à son amie : Quant au monde, qu’il soit envers nous irascible           Ou doux, que nous feront ses gestes ? […] Coppée pourtant ne fut pas dépourvu de tout génie.

1717. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — L’abbé d’Aubignac, avec Ménage, Pierre Corneille, Mademoiselle de Scudéri et Richelet. » pp. 217-236

Cette triste expérience dut apprendre à l’abbé d’Aubignac que le génie fait tout, que du moins sans lui les règles ne sont rien. […] Elle a vêcu jusqu’à quatre-vingt quinze ans, favorisée de plusieurs graces de la cour, reçue de toutes les académies dont son sexe ne l’excluoit point, considérée des plus beaux génies de l’Europe, avec lesquels elle étoit en commerce de lettres.

1718. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XX. Mme Gustave Haller »

L’amitié est un sentiment trop viril pour subsister jamais dans une âme de femme ; et quand même, entre hommes, éclate cette chose rare et sublime, il n’y a qu’un homme du plus mâle génie, qui, comme Otway dans Venise sauvée, puisse en montrer toute la beauté et la grandeur. […] Humiliante Fourche Caudine pour le génie qui s’y heurte et y courbe sa lumineuse tête, le feuilleton est une forme littéraire, très commode pour les esprits sans hauteur et débiles qui n’ont pas la force d’organiser un livre, avec ses développements et ses difficiles transitions… et Mme Haller est, malheureusement, un de ces esprits.

1719. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXV. Mme Clarisse Bader »

Mais elles, dont le génie n’est que sensibilité et finesse, n’ont ni assez de sang-froid, ni assez d’étendue et de force de coup d’œil dans l’esprit, pour embrasser et étreindre ce vaste brouillamini de l’Histoire et pour voir clair dans ces ténèbres, coupées de jours trompeurs, qui la constituent. […] Ainsi, elle traite résolûment Villemain de « critique de génie ».

1720. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme et l’Enfant » pp. 11-26

Heureusement, Jobez est de cette race d’économistes, et il faut l’en féliciter, qui va du vieux Sully, homme de génie à force de bon sens, au vieux Mirabeau, qui n’eut de bon sens qu’à force de génie, et dont, à distance et à la hauteur où il se tenait de tout, était aussi le vieux Bonald.

1721. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Montmorency » pp. 199-214

L’impérieux génie de Richelieu a traité la gloire comme la France. […] Le génie chrétien de sa race assista Montmorency à son heure suprême, et lui communiqua une idéale beauté morale dont le beau superficiel ne se doutait pas !

1722. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Horace Walpole »

Du cailletage, moins aimable que celui de Madame de Sévigné, cette perruche inouïe, qui a un style de génie dans sa petite tête de perruche ! C’est ce ton dandy, c’est ce fumet si particulièrement anglais, qui permet à Walpole de se passer impunément de tout ce qu’il n’a pas ; car, outre la chaleur absente, il n’a ni le mouvement, ni la rondeur, ni l’abandon, ni le flou, ni les grâces relevées ou tombantes, ni les flamboiements d’imagination qu’a, par exemple, le prince de Ligne, qui était un épistolier comme lui, un auteur comme lui, un châtelain comme lui, un jardinier comme lui, et qui eut le génie des lettres, quoiqu’il n’en ait pas écrit autant que lui.

1723. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame de Sabran et le chevalier de Boufflers »

La correspondance est, en effet, le génie même du xviiie  siècle. […] » mais le mot de Madame de Sabran est plus beau encore d’humilité divine et de tremblement… L’amour d’une pauvre petite femme qui aime dans l’obscurité a rencontré mieux que le génie du grand Shakespeare.

1724. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Christophe »

Un allemand positif, chose rare, Léopold Ranke, l’a écrite en observateur et presque en physiologiste, avec cette espèce de génie qui se préoccupe, par exemple, des grains de sable de Cromwell. […] Mais les temps à flétrir et à maudire sont peut-être plus inspirateurs que les siècles à admirer, pour les écrivains qui ont en eux le génie de l’histoire.

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