Montesquieu était de force à concevoir tout seul la pensée de son livre. […] Pour la seconde, peu s’en faut qu’il ne l’ait développée, à l’enlever à jamais même aux esprits de la force de Montesquieu. […] Montesquieu nous fait plutôt des confidences à voix basse sur des choses supérieures, curieuses, rares, qu’il ne veut nous amener de force à des opinions contentieuses. […] un esprit de cette application et de cette force, si profond observateur et si fin, qui, par l’art de diriger son génie vers les études où il était le plus propre, sa vie vers le genre de bonheur dont il était le plus capable, a paru si bien prouver qu’il se connaissait, Montesquieu aurait ignoré quelque chose de l’homme ! […] Il s’agit de ce principe, non pas supérieur au principe de liberté, mais apparemment plus nécessaire aux nations, puisqu’il ne souffre pas d’interruption ; il s’agit de cette force protectrice des sociétés, qui se forme de leur consentement intelligent et qui pourrait être le dernier progrès de la liberté dans ceux qui obéissent.
Il avait dans l’esprit de la délicatesse et de la force, de la gaieté et de l’enjouement. […] Il avait le génie admirable, et particulièrement pour la guerre : le jour du combat, il était fort doux à ses amis, fier aux ennemis ; il avait une netteté d’esprit, une force de jugement et une facilité sans égale. […] Pour commenter en quelque sorte, et démontrer cette supériorité distinctive du talent de Turenne, qui consistait à tirer bon parti d’une affaire déjà compromise, et à la rétablir à force d’habileté de détail, de ténacité et de prudence, Bussy, dans ses Mémoires, se plaît à exposer en ce sens les opérations de la campagne de Flandre de 1656, pendant laquelle Turenne fit preuve de toutes ces qualités combinées qui caractérisent sa première manière militaire. […] Il pouvait avoir sa force et son cachet marqué de virilité dans l’observation et dans cette manière, qu’on a louée en lui, de laisser voir tout d’un coup sa pensée, et de ne laisser voir qu’elle uniquement ; mais il n’avait pas cette source vive de grâce et d’imagination qui rafraîchit et fertilise à jamais le fonds d’où elle sort. […] Il y a, dans chaque époque, des espèces de maladies morales et d’affections régnantes qui atteignent généralement les âmes : il faut une grande force et une grande santé d’esprit pour y résister.
Il me semble donc que M. de Tocqueville s’est privé d’une grande force en laissant de côté la question de droit, pour ne s’occuper que du fait. […] Il est très-vrai sans doute que la démocratie, en détruisant les pouvoirs moyens, les privilèges locaux, les corporations, les titres personnels, a laissé l’individu seul et désarmé en face de l’État ; mais en même temps qu’elle le prive des points d’appui, des forces artificielles de l’ancien régime, elle le protège à son tour par des libertés générales, qui, à la vérité, ne s’appliquent pas à tel individu en particulier, mais à tous. […] Ici, à la vérité, je me rencontre précisément sur le terrain où M. de Tocqueville croit sentir le plus clairement la main toute-puissante de l’État. — Le progrès de l’industrie, dit-il, amène le développement de la puissance publique de trois manières : d’abord l’industrie, en réunissant un grand nombre d’hommes dans des cités populeuses, appelle des lois de police, une surveillance compliquée et coûteuse, la crainte des révolutions et par conséquent l’augmentation de la force publique ; en second lieu, un pays où l’industrie prospère a besoin de routes, de ponts, de ports, de canaux : de là un immense déploiement des travaux publics, et par suite de la puissance de l’État. […] Aura-t-il la force de la défendre contre tout ce qui l’envahit et la menace ? […] « Une pareille doctrine, dit-il, est particulièrement dangereuse à l’époque où nous sommes : nos contemporains ne sont que trop enclins à douter du libre arbitre, parce que chacun d’eux se sent borné de tous côtés par sa faiblesse ; mais ils accordent encore volontiers de la force et de l’indépendance aux hommes réunis en corps social.
Et, si quelques traits de ce poëme furent le prétexte ou la cause de l’accusation de sacrilège intentée contre Eschyle et repoussée par son frère Aminyas, au nom de leurs blessures communes, jamais l’instinct de la conscience contre un culte faux, jamais le cri de l’humanité contre la force n’aura été plus poétique ni plus grand. […] Était-ce une apothéose du Pouvoir par la clémence, un triomphe du génie sur la force, l’inauguration d’un âge nouveau de la Grèce affranchie des invasions barbares et embellie de monuments immortels ? […] Par ses maximes sur l’éternelle justice, la providence divine, la pitié pour les faibles, la punition des méchants, Eschyle est, avec Pindare et Sophocle, le poëte le plus moral de l’antiquité, le poëte ami du droit et de la vertu contre la force et le vice. […] « Ô Reine de la ville de Pallas132, toi qui protèges cette terre sacrée supérieure à toutes, et par la guerre, et par les poëtes, et par la force, viens à nous ; et, ayant pris avec toi dans les camps et les batailles notre alliée, la victoire, qui se plaît à nos chansons et nous sert à mettre en fuite l’ennemi, apparais-nous ici ; car il faut que tu donnes la victoire à ces hommes aujourd’hui, si jamais. » Nulle part, on le sait, cette fantaisie lyrique du poëte comique d’Athènes n’a plus libre carrière que dans ses pièces fabuleuses, les Nuées, les Oiseaux. […] Nous a qui portons par derrière cette trompe aiguë, nous et sommes les seuls Attiques, les vrais nobles et les indigènes du pays, race belliqueuse et qui servit puissamment Athènes dans la guerre, quand vint le barbare, étouffant de fumée la ville et brûlant les campagnes, dans sa rage de nous enlever de force les rayons de la ruche.
Il n’y trouve que des gouttes de cette force, qui ne tueront personne : « Qui examinera les livres saints ? […] Eh bien, Diderot est aussi cynique que Rousseau ; il l’est même davantage, car il est plus matérialiste que le sentimental inconséquent qui se prit dans la glu de ce déisme mou dont il n’était pas de force à se tirer ! […] C’est sa force de critique qu’il nous faut juger. […] Il n’était pas de force à refaire d’ensemble ce qui avait été manqué en détail. […] … S’il en était mort, cela prouverait qu’il n’était bœuf que par la lenteur et non par la force, ce pauvre tardigrade d’Assézat !
Tantôt il me semble qu’une force irrésistible m’entraîne dans un gouffre sans fond ; tantôt je vois des taches noires devant mes yeux ; mais, pendant que je les examine, elles se croisent avec la rapidité de l’éclair, elles grossissent en s’approchant de moi, et bientôt ce sont des montagnes qui m’accablent de leur poids. D’autres fois aussi je vois des nuages sortir de la terre autour de moi, comme des flots qui s’enflent, qui s’amoncellent et menacent de m’engloutir ; et lorsque je veux me lever pour me distraire de ces idées, je me sens comme retenu par des liens invisibles qui m’ôtent les forces. […] l’envie se glissa pour la première fois dans mon cœur : jamais l’image du bonheur ne s’était présentée à moi avec tant de force. […] Ma sœur, ma compagne n’est plus, mais le ciel m’accordera la force de supporter courageusement la vie ; il me l’accordera, je l’espère, car je le prie dans la sincérité de mon cœur. […] Le manuscrit s’échappa de mes mains et je n’eus pas la force de le relever.
L’homme, pour être vraiment religieux, doit avoir à la fois le sentiment de sa faiblesse et de sa force, le sentiment de l’infini et du fini, de Dieu et de l’Humanité. […] A-t-il de la force, il résiste à cette effroyable tempête de scepticisme absolu ; mais il n’y résiste qu’en sortant religieux de la lutte. […] On voudrait à toute force voir le développement de l’Humanité, comme Bossuet, dans l’histoire hébraïque. […] Toujours abîmé dans la contemplation de la force divine, les êtres finis ne lui apparaissent que sous des traits peu arrêtés, comme des ondulations de la Vie générale. […] L’autre prend l’Humanité comme un spectacle varié et infini, comme un théâtre pour faire briller la force de son génie.
Le héros s’informe de la naissance de cet enfant dont la force rappelle l’Hercule indien Rustem. […] Les traditions ajoutent que le poète postérieur Valmiki, auteur ou compilateur du poème le Ramayana sur le même sujet, ayant découvert un jour ces fragments de poésie gravés sous les eaux sur les rochers, tomba dans une mélancolie mortelle, par le désespoir d’égaler jamais dans son poème, qu’il composait alors, la force et la beauté de ces fragments antiques. […] VIII Cette littérature a eu ses époques d’enfance robuste et inculte comme les nôtres ; puis de perfection, où la simplicité s’unit au goût, à la richesse et à la force ; puis de décadence, où l’ornement et la manière efféminent le sentiment ou l’idée. […] Je vais vous servir de guide… Le soleil, en ce moment, échauffe le ciel de ses rayons les plus ardents, et force à venir se réfugier sous l’ombrage les chantres silencieux de la clairière. […] » On voit, à ces pittoresques descriptions de la nature opulente et majestueuse de l’Inde, des arbres, des ondes, des animaux, que le sentiment du paysage dans la poésie, et de la mélancolie dans l’âme, ne sont point, comme on le dit, des inventions récentes de notre poésie, mais que la plus haute antiquité sentait et exprimait avec la même force l’œuvre de Dieu et le cœur de l’homme.
Point du tout ; s’il parle ainsi, ce n’est point par choix, c’est par force ; la métaphore n’est pas le caprice de sa volonté, mais la forme de sa pensée. […] Toutes les forces de son esprit se concentrent sur l’image ou sur l’idée présente. […] Car cette force de haïr, dans un grand cœur, est la même que la force d’aimer. […] Il les trouve en lui ; il ne se force pas, il n’a qu’à s’abandonner à lui-même. […] Ce que son imagination lui ôte, c’est le sang-froid et la force d’aller tranquillement et après réflexion mettre une épée dans une poitrine.
L’équilibre de ces deux forces fait la stabilité sociale. […] Ce n’est point par l’œuvre de sa force mouvante, mais par l’œuvre de sa force résistante. […] Puis il y faut mettre le pied, les genoux, les épaules, toutes les forces. […] Au règne de la force, le règne de la ruse a succédé ; un idéal se détériore, un autre se prépare. […] Il a eu la force de dire ce qu’il a vu.
La force de la routine est telle que Victor Hugo, qui se glorifiait de pouvoir dire : J’ai disloqué ce grand niais d’alexandrin, n’avait pas osé déplacer la césure. […] * * * Pour l’hiatus qui horripile force gens, il faut bien convenir qu’il n’est que le plus absurde des préjugés.
Leur nombre croissant pourrait faire craindre que le français fût en train de perdre son pouvoir d’assimilation, jadis si fort, si impérieux ; il n’en est rien, mais la demi-instruction, si malheureusement répandue, oppose à cette vieille force l’inertie de plusieurs sophismes. […] Ce n’est donc pas là un doublet véritable ; mais si le vieux français avait tiré un mot de unionem (unir), nous dirions, sans rire : L’oignon fait la force.
On ne reproche point à l’homme d’avoir manqué de génie ; on reproche à tous d’avoir manqué de force et de vertu. […] Mais l’être rare par excellence, c’est celui qui réunit la force qui fait agir et le génie qui fait dire grandement, celui à qui j’obéissais en remplissant cette tâche.
Une imagination qui a quelquefois l’éclat de celle d’Homère, des expressions de génie, de la force quand il peint, de la précision toutes les fois qu’il est sans images ; assez d’étendue dans ses tableaux, et surtout la plus grande richesse dans ses couleurs ; voilà ses beautés. Peu de goût, souvent une fausse grandeur, une majesté de sons trop monotone, et qui, à force d’être imposante, fatigue bientôt et assourdit l’oreille ; enfin trop peu d’idées, et surtout aucune de ces beautés douces qui reposent l’âme : voilà ses défauts.
La religion est une de ces forces, de ces influences. […] On peut l’expliquer par la supériorité de force et de sève de son génie. […] Ils l’animent, le font vivre et rebondir, y font circuler une force vive. […] La sûre manifestation de ce qu’il a de substance et de force véritables, d’aptitude à la durée, commence ici. […] Il attestait quelque chose d’étrange : la vigueur, une espèce de force écrasante dans l’infertilité.
Son imagination riche et intense évoquait avec une force supérieure. […] Et notez que si Stendhal était indifférent à la célébrité, Balzac y aspirait de toutes les forces de son âme. […] À force d’effiler la pointe du crayon, Flaubert la brisa. […] Sans doute elles changent : elles ne disparaissent jamais et s’imposent avec tant de force que je ne sache pas qu’aucun écrivain les ait jamais renversées. […] En Angleterre, la force sociale du roman est reconnue.
Il s’est élevé avec force contre toutes les mesures oppressives. […] C’est le seul moment où leur propre sûreté les force à reconnaître quelque subordination. […] Il est vrai qu’en général cette imagination a plus de force que de souplesse, et plus de grandeur que de grâce. […] Il recueille toutes les forces de son âme. […] Tout est poids et contrepoids, force et levier, action et réaction.
La moelle de chaque siècle, ajoutée à la leur, accroît leur force, leur puissance et leur joie. […] Il commença alors une vie de chef de bande, dans laquelle il finit par gagner, à force d’audace et de ruse, la souveraineté de Valence, où il mourut, à soixante-treize ans environ. […] Ces aveux que lui arrache la force de la vérité, malgré le vif désir qu’elle a de ne point déplaire au Cardinal, n’en ont que plus de prix. […] Mais, en revanche, le poète supplée par la grandeur des sentiments et la force des caractères à l’insuffisance de l’action. […] Malheureusement, il s’en faut de beaucoup qu’elle soit partout d’égale force.
Toute personnification intense des forces de la nature, par la pente naturelle de la rêverie, devient donc anthropomorphique. […] Mais nous aurons beau nous ingénier, par la force des choses nous reviendrons toujours à des procédés d’invention analogues. […] Si la valeur d’un art se mesurait à la force des émotions qu’il peut produire, l’art dramatique tiendrait sans concurrence possible le premier rang. […] Ou bien il faudra que le poète réussisse à nous émouvoir sans être ému lui-même, et cela est possible à force d’art. […] Elle leur rend la force et la vie.
je sais aussi tous les secrets des cieux, Et vous m’avez prêté la force de vos yeux. […] Il sanglotait et n’avait que la force de baiser les mains des deux amis. […] « Dans tous les cas il tuera une partie de lui-même ; mais, pour ces demi-suicides, pour ces immenses résignations, il faut encore une force rare. […] John Bell ouvre la porte de sa femme avec force. […] j’avais bien raison de t’adorer, mais je n’avais pas la force de te conquérir. — Je sais que tes pas seront lents et sûrs.
Ils rêvent qu’à force d’entrechats, ils vont se brûler au lustre. […] Nous amassons, moitié de gré, moitié de force, la solitude autour de nous, tout à la fois contents de n’être pas blessés par le contact des autres, tout à la fois tristes de n’être qu’avec nous. […] * * * — En ce moment nous achetons force mémoires, correspondances, autobiographies, tous documents d’humanité : — le charnier de la vérité. […] On est frappé dans cet effort de la force, d’une rondeur ronflante qui n’existe jamais dans la sculpture antique, dans la chair de marbre d’Apollonius. […] Cette force masquée, une force étrange, mystérieuse, différente de toutes les forces que nous avons vues à l’ouvrage, une force qui part comme un ressort et qui, en ses deux petites mains gantées de noir, pétrit un torse et des flancs, comme avec des mains d’acier.
Ouvrons-le donc ; il console, à force d’être criagrin comme nous ; il amuse. […] Cette première édition, sans nom d’auteur, mais où il est assez désigné, renferme un Avis au Lecteur très-digne du livre, un Discours qui l’est beaucoup moins, qu’on a attribué à Segrais, qui me semble encore trop fort pour lui, et où l’on répond aux objections déjà courantes avec force citations d’anciens philosophes et de Pères de l’Église. […] S’il paraît oublier dans l’homme le roi exilé que Pascal relève, et les restes brisés du diadème, qu’est-ce donc que cet insatiable orgueil qu’il dénonce, et qui, de ruse ou de force, se veut l’unique souverain ? […] Il dit : « Nous n’avons pas assez de force pour suivre toute notre raison. » Ce que Mme de Grignan retournait ainsi : « Nous n’avons pas assez de raison pour employer toute notre force. » Il dit : « On pardonne tant que l’on aime. » On pourrait dire aussi bien : « On ne pardonne pas tant que l’on aime. » Hermione s’écrie : Ah ! […] L’inquiétude chatouilleuse où il est de chacun le force de s’ingénier aux nuances : plus calme, il ferait moins153.
Au milieu de la grossièreté des mœurs, nous comprenons par là l’une des délicatesses de l’honneur féodal ; nous en sentons les nuances, et nous mesurons la force du nœud mieux que nous ne l’aurions pu par toutes les définitions ; nous saisissons aussi des accents de nature profonde et d’humanité : ces hommes à la rude écorce et au cœur de chêne avaient des fibres tendres et savaient pleurer. […] Pour mesurer toute l’étendue de la chute depuis le haut moyen âge jusqu’au dernier tiers du xve siècle, on n’a qu’à se rappeler le point de départ, cette noble figure du Lohérain Bégon le balafré, debout, adossé à son arbre et le pied sur son sanglier tué, entouré de ses chiens, défendant sa vie contre de misérables forestiers ; et, comme pendant, cet autre Lorrain manqué, le bon René, se promenant à Aix dans sa cheminée pour se réchauffer au soleil, — dans sa cheminée, c’est-à-dire sur un étroit parapet exposé au midi et abrité de tous les autres côtés (aprici senes). — Voilà le contraste, et il ne saurait être plus frappant, entre la force adulte et virile de ce puissant régime féodal et son extrême caducité et sénilité. […] Les savants critiques qui ont essayé de frayer un sentier et de tracer une voie dans la presse des détestables rimeurs et rhétoriqueurs qui encombrent la fin du XVe siècle ont bien du mérite, et il ne faut pas moins que leur autorité pour que je me sente la force de les y suivre. […] Ce qui manquait à Marot et à sa gentille école, c’estla force, la vigueur, la couleur, l’élévation, la grande imagination. […] Chez Ronsard, on sent du mieux ; il suit son texte plus près, il serait de force à lutter, et il l’a fait avantageusement ailleurs ; mais cette fois, tout considéré, il n’a que médiocrement réussi.
En ce pays de raison raisonnante, elle ne rencontre plus les rivales qui l’étouffaient de l’autre côté de la Manche, et tout de suite elle acquiert, non seulement la force de sève, mais encore l’organe de propagation qui lui manquait. […] Des coups d’une force et d’une portée extraordinaires sont lancés, en passant et comme sans y songer, contre les institutions régnantes, contre le catholicisme altéré qui, « dans l’état présent où est l’Europe, ne peut subsister cinq cents ans », contre la monarchie gâtée qui fait jeûner les citoyens utiles pour engraisser les courtisans parasites466. […] — Prenons-y garde pourtant : la gaieté est encore un ressort, le dernier en France qui maintienne l’homme debout, le meilleur pour garder à l’âme son ton, sa résistance et sa force, le plus intact dans un siècle où les hommes, les femmes elles-mêmes, se croyaient tenus de mourir en personnes de bonne compagnie, avec un sourire et sur un bon mot475. […] Il y prend le dé de la conversation, conduit l’orgie, et par contagion, par gageure, dit à lui seul plus d’ordures et plus de « gueulées » que tous les convives476 Pareillement, dans ses drames, dans ses Essais sur Claude et Néron, dans son Commentaire sur Sénèque, dans ses additions à l’Histoire philosophique de Raynal, il force le ton. […] Il a dit tout sur la nature477, sur l’art, la morale et la vie478, en deux opuscules dont vingt lectures successives n’usent pas l’attrait et n’épuisent pas le sens : trouvez ailleurs, si vous pouvez, un pareil tour de force et un plus grand chef-d’œuvre ; « rien de plus fou et de plus profond479 ».
Et c’est cette conception qui lui donne la force de vivre à l’écart, dans sa « tour d’ivoire », de rechercher la gloire peut-être, jamais le succès ni la popularité, de n’écrire que pour dire quelque chose et, par suite, de n’imprimer que tous les dix ou vingt ans : irréprochable vie d’écrivain, et à laquelle on ne peut comparer que celle d’un Flaubert ou d’un Leconte de Lisle. […] Dans son orgueil, enfin, il puise la force de supporter, avec une tenue parfaite, les longues tortures d’un cancer de l’estomac… « Puisqu’il faut vous parler de moi, sachez donc qu’il n’y a pas de martyre comparable au mien. […] Il lui eût été facile de produire, lui aussi, des systèmes ; d’expliquer, par exemple, tout le développement d’une littérature par deux ou trois idées directrices, et de l’enfermer de gré ou de force (et si c’est de force, c’est plus beau) dans le cadre ingénieusement contraignant d’une histoire philosophique. […] À cause de cela, et parce qu’il me semble avoir plus d’imagination et plus de sensibilité feinte ou vraie que de précision dans les idées ou de force dans le raisonnement, M. […] Il est vrai qu’alors ce ne serait plus proprement le miracle… Ou bien n’y a-t-il point des phénomènes qui, tout en restant « naturels », — tels que l’hallucination de Jeanne d’Arc ou de Bernadette, — ne s’expliquent pourtant que par quelque chose d’inexplicable, par une force divine cachée dans une âme ?
Quand Polyphonte la force de choisir entre sa main et la mort d’Égisthe, je regrette qu’elle n’ait rien de l’innocente habileté d’Andromaque, faisant servir au salut de son fils la passion qu’elle inspire à Pyrrhus. […] Des écoliers bien appris pouvaient se tirer agréablement de rôles qui ne dépassent pas pour la plupart la force d’une composition de rhétorique. […] La crème fouettée est un petit plat qui, offert à la fin du dîner, a son prix, et dans le gros vin il y a la force. […] On trouve dans les tragédies de Voltaire des exemples de toutes les qualités du style : force, douceur, délicatesse, coloris poétique ; on y cherche un style. […] Le vernis a été mis d’ailleurs par une main habile, et bon nombre de beaux vers, comme il en survient aux poètes qui le sont à force d’esprit, font lire avec plaisir certains passages heureusement imités de Tacite.
depuis quand calcule-t-on les forces de deux armées par leurs blessés et leurs infirmes ? Laissez-nous compter nos forces effectives, les talents véritables qu’on a tour à tour traités de romantiques depuis vingt-cinq ans ; nous laisserons les noms classiques en blanc, vous les remplirez-vous mêmes. […] Vous tous, qui avez la science, le jugement et l’imagination, ne formez qu’une ligue en faveur de l’ordre et de la civilisation ; tournez vers le bien et vers le beau toutes les facultés que vous avez reçues du Ciel, mettez en commun tous vos trésors et toutes vos forces pour faire avancer le grand œuvre du 19e siècle, et laissez les versificateurs continuer en paix leur innocent métier. […] Croit-on que Virgile même et Racine soient parfaits Il y a quelquefois dans leurs ouvrages, défaut de force, défaut d’invention, défaut d’originalité, comme les défauts de Shakespeare et de Dante sont le mauvais goût, l’inconvenance et l’irrégularité. […] Une juste défiance de mes forces m’a retenu.
Ensuite, parce que ce style ne s’applique plus à un sujet comme celui de Madame Bovary, qui, tout odieux qu’il fût, était vrai, brutalement vrai, rencontré dans le plain-pied et les hasards de la vie ; car, s’il ne l’eût pas rencontré, Flaubert n’était pas de force à le trouver par la seule conception de son esprit. […] Les amis de Flaubert, qui ne sont pas des sauvages, mais des apprivoisés très aimables et très doux, pratiquent un peu le même système… Pour délivrer leur ami de sa grossesse intellectuelle, ils font du bruit, autour du livre qu’il porte, tout le temps de sa laborieuse gestation, croyant par là l’exciter et lui donner la force de le pousser et finalement de le pondre : Ce sera superbe, disent-ils, ce nouveau livre de Flaubert, mais il y met le temps, car de pareilles œuvres ne sortent pas aisément d’un homme. […] de ce grand homme, de sa force, de ses combats contre des passions grandes comme lui, et des interrègnes de ses batailles avec la nature humaine déchue, grondant toujours et révoltée quelquefois en son âme, surnaturalisée par la pénitence et par la sainteté. […] Et, de vrai, le caractère du lion (littérairement ou non) c’est la force, c’est l’impétuosité, c’est le bond ! […] comme force morale de haine et de mépris contre le bourgeois, il y a peut-être là un mérite pour Flaubert l’implacable, mais le mérite intellectuel d’un livre n’y est pas.
Un fou n’est pas un morceau de bois de forme plus ou moins bizarre : c’est une « force oblique ». […] Ce qui est présent à l’esprit du joueur, c’est une composition de forces, ou mieux une relation entre puissances alliées ou hostiles. […] Force nous est donc bien d’admettre que le tout s’offre comme un schéma, et que l’invention consiste précisément à convertir le schéma en image. […] Mais ni cet accompagnement affectif ni cet indéfinissable supplément de force n’expliqueront en quoi et pourquoi l’effort intellectuel est efficace. […] Les forces qui travaillent dans les deux cas ne diffèrent pas simplement par l’intensité ; elles diffèrent par la direction.
Heureuse jeunesse qui se poursuivit avec toute sa force et toute son intégrité dans l’âge mûr ! […] Mais ces exemples, trop tôt interrompus, n’avaient pas eu force de loi, et il fallut en effet le règne de Bourdaloue, durant plus de trente ans, pour inaugurer et établir dans le sermon la véritable et juste éloquence, digne en tout de l’époque de Louis XIV. […] — Comprenez ceci. — Écoutez-en la preuve. — Appliquez-vous toujours. » Ce sont les formes ordinaires de ce démonstrateur chrétien qui, de ces trois choses proposées à l’orateur ancien, instruire, plaire, émouvoir, ne songe qu’à la première, méprise la seconde, et est bien sûr d’arriver à la troisième par la force même de l’enseignement et la nature pénétrante de la vérité. […] Je sentais, au contraire, reparaître présente et vivante cette idée formidable de la mort au sens chrétien, idée souverainement efficace si on la sait appliquer à toutes les misères et les vanités, à toutes les incertitudes de la vie : ce fondement solide et permanent de la morale chrétienne m’apparaissait à nu et se découvrait dans toute son étendue par l’austère exposition de Bourdaloue, et j’éprouvais que, dans le tissu serré et la continuité de son développement, il n’y a pas un instant de pause où l’on puisse respirer, tant un anneau succède à l’autre et tant ce n’est qu’une seule et même chaîne : « Il m’a souvent ôté la respiration, disait Mme de Sévigné, par l’extrême attention avec laquelle on est pendu à la force et à la justesse de ses discours, et je ne respirais que quand il lui plaisait de finir… » À peine s’il vous laissait le temps de s’écrier, comme cela arriva un jour au maréchal de Grammont en pleine église : « Morbleu !
L’analyse, ce n’est pas Michel qui l’apporterait d’abord, il s’en passerait bien ; c’est la dame, la noble dame, désignée simplement sous le nom de Marie, qui va l’introduire à toute force et obliger Michel à cet exercice imprévu, à cette escrime où il se trouvera maître. […] A force de remuer les choses dans la pensée, elles changent de valeur et on éprouve cette lassitude de l’intelligence qui ne la fait se reposer que dans le paradoxe ; et il arrive que parfois le distingué vous devient si commun, l’esprit vous paraît si bête, et qu’enfin tout ce qu’on préconise vous est si peu, qu’on irait volontiers boire au cabaret avec des charbonniers pour trouver quelque distinction, — et qu’on y va plus ou moins. » Tantôt il y met plus de tendresse et un accent ému, éloquent, qui élève et passionne le regret : « Oh ! […] si vous le voulez à toute force, — vous voyez que je n’y tiens pas, pourvu qu’il ait un peu de malice et qu’il soit tout nu et bien gentil. » Je ne voudrais pas abuser du plaisir de citer parmi ces pages, déjà si nombreuses, d’un livre inachevé ; mais cette finesse de sentiment et d’analyse, cette délicatesse d’expression sous forme écrite, jettent certainement un jour sur le talent de Gavarni, et nous expliquent les distinctions secrètes de son crayon, même lorsque ensuite il ira, comme il dit, au cabaret. […] Car un des secrets de l’amour, il le lui dira au dernier moment, « c’est qu’il faut toujours qu’un homme domine une femme, — par la force, par l’intelligence, par l’orgueil, par la fierté, par tout ce qui est mâle en lui ; — et c’est pour cela, ajoute-t-il, qu’on n’aime jamais bien une femme qu’on ne comprend pas, qu’on craint de blesser en frappant autour d’elle des choses qu’on ne saisit pas bien… Que voulez-vous qu’un homme fasse de l’orgueil d’une femme ?
Il me semble qu’il y a lieu de tout maintenir, de ne rien sacrifier, et en rendant plein hommage et entière révérence aux grandes forces humaines qui, semblables aux puissances naturelles, éclatent comme elles avec quelque étrangeté et quelque rudesse, de ne cesser d’honorer ces autres forces plus contenues qui, dans leur expression moins semblable à une explosion, se revêtent d’élégance et de douceur. […] pour la force à tout prix, fût-ce la violence ! […] Le critique philosophe, ayant porté toutes ses forces sur les parties difficiles et comme sur les hauts plateaux, descend un peu vite ces pentes agréables, si riches toutefois en accidents heureux et en replis ; il dédaigne de s’y arrêter, oubliant trop que c’eût été pour nous, lecteurs français, la partie la plus accessible et une suite d’étapes des plus intéressantes par le rapprochement continuel avec nos propres points de vue.
. — En sorte qu’au commencement de la psychologie nous sommes obligés, ce semble, de poser un nombre très grand de données mutuellement irréductibles, comme les corps simples en chimie, comme les espèces animales en zoologie, comme les espèces végétales en botanique, mais avec ce désavantage particulier qu’en chimie, en botanique, en zoologie, les différences et les ressemblances sont constituées par des éléments homogènes et précis, le nombre, la force et la forme, tandis que, dans les sensations, nul élément pareil ne pouvant être isolé, nous sommes réduits à l’affirmation brute de quelques ressemblances grossières et à la constatation sèche de différences indéfinissables en nombre indéfini. […] Le même sol chanté avec la même force par une clarinette, une flûte, un violon, un cor, un basson, s’empreint, selon les divers instruments, d’un caractère spécial ; il est plus perçant dans le violon, plus éclatant dans le cor, plus doux dans la flûte, plus mordant dans la clarinette, plus étouffé dans le basson. […] Les divers degrés de force ou d’intensité de la même sensation de son sont les divers degrés par lesquels elle passe de son minimum à son maximum, et l’on sait que ces degrés ont pour condition suffisante et nécessaire les divers degrés de condensation de l’onde aérienne. […] En sorte que ces différences de la sensation, jusqu’ici irréductibles et notées par des métaphores lâches, se réduisent à l’intervention de petites sensations subsidiaires et complémentaires de la même espèce, qui, se collant sur la sensation principale, lui donnent un caractère propre et un aspect unique, sans que la conscience, qui voit le total et seulement le total, puisse démêler ces faibles auxiliaires, ni partant reconnaître que, inférieurs en force à la sensation principale, ils sont les mêmes en nature, et que, tous semblables entre eux, ils ne diffèrent, de timbre à timbre, que par le nombre et l’acuité.
Vitellius, comme on sait, fut le plus gourmand des empereurs : quelquefois on rassemblait pour sa table, de tous les points de l’empire, force gibier de toute espèce, et de chaque animal on prenait seulement la cervelle, ou quelque autre partie délicate, pour offrir dans un seul plat à cet empereur gastronome un extrait de tout ce que la voracité humaine peut désirer. […] Force est donc que nous nous contentions de fragments, de petites parties détachées ; heureux encore qu’il se rencontre çà et là quelque chose à notre usage dans ce favori des Allemands, et que, ne pouvant le suivre comme eux avec une fidèle admiration dans le labyrinthe de ses pensées, nous puissions du moins l’aborder quelquefois hors de ces routes mystérieuses dont l’accès nous est interdit. […] Delécluze, mais par une force intérieure de développement, et par une sorte de croissance naturelle. […] Je ne sais si je m’abuse, mais il me semble que cette force de représenter tout en emblèmes, exagérée jusqu’au point de ne pouvoir souffrir l’abstraction, est le trait caractéristique de la poésie de M.
Et Mme de Lespinasse était de cette seconde moitié du siècle dans laquelle entrait à toute force le roman. […] Mme Du Deffand en était là, aveugle, ayant un appartement dans le couvent de Saint-Joseph. rue Saint-Dominique (quelques chambres du même appartement qu’avait occupé autrefois Mme de Montespan, la fondatrice) ; elle avait soixante-huit ans ; elle vivait dans le très grand monde, comme si elle n’était pas affligée de la plus triste infirmité, l’oubliant tant qu’elle le pouvait, et tâchant de la faire oublier à tous à force d’adresse et d’agrément ; se levant tard, faisant de la nuit le jour ; donnant à souper chez elle ou allant souper en compagnie, ayant pour société intime le président Hénault, Pont-de-Veyle, le monde des Choiseul dont elle était parente, les maréchales de Luxembourg et de Mirepoix, et d’autres encore dont elle se souciait plus ou moins, lorsque arriva d’Angleterre à Paris, dans l’automne de 1765, un Anglais des plus distingués par l’esprit, Horace Walpole : ce fut le grand événement littéraire et romanesque (pour le coup, c’est bien le mot) de la vie de Mme Du Deffand, celui à qui nous devons sa principale correspondance et tout ce qui la fait mieux connaître. […] Je ris, je dis ce qui me passe par la tête, et je les force de m’écouter. […] « Bref, dit-il, son âme est immortelle, et force son corps à lui tenir compagnie. » Il y a deux traditions sur Mme Du Deffand : la tradition purement française, qui nous est arrivée à travers ceux qu’elle avait jugés si sévèrement, à travers les gens de lettres et les encyclopédistes ; il y a autre chose encore, la tradition directe et plus vraie, plus intime, et c’est chez Walpole qu’il faut l’aller puiser comme à sa source.
Quant aux lettres de Frédéric, on leur a rendu plus de justice ; en lisant dans la correspondance de Voltaire celles que le roi lui adressait, entremêlées à celles qu’il recevait en retour, on trouve que non seulement elles soutiennent très bien le voisinage, mais qu’à égalité d’esprit, elles ont encore pour elles une supériorité de vue et de sens qui tient à la force de l’âme et du caractère. […] Souvent battu, souvent en faute, sa grandeur est d’apprendre à force d’écoles, c’est surtout de réparer ses torts ou ceux de la fortune par le sang-froid, la ténacité et une égalité d’âme inébranlable. […] Si cette grande entreprise avait manqué, le roi aurait passé pour un prince inconsidéré, qui avait entrepris au-delà de ses forces : le succès le fit regarder comme habile autant qu’heureux. […] Au sortir de cette guerre où coula tant de sang, et après laquelle toutes choses furent remises en Allemagne sur le même pied que devant, sauf les dévastations et les ruines, Frédéric se plaît à faire sentir la faiblesse et l’inanité des projets humains : Ne paraît-il pas étonnant, dit-il, que ce qu’il y a de plus raffiné dans la prudence humaine jointe à la force soit si souvent la dupe d’événements inattendus ou des coups de la fortune ?
Voici en ce sens quelques vers qui ne me semblent nullement méprisables : À former les esprits comme à former les corps, La Nature en tous temps fait les mêmes efforts ; Son Être est immuable, et cette force aisée Dont elle produit tout ne s’est point épuisée : Jamais l’astre du jour qu’aujourd’hui nous voyons N’eut le front couronné de plus brillants rayons ; Jamais dans le printemps les roses empourprées, D’un plus vif incarnat ne furent colorées : Non moins blanc qu’autrefois brille dans nos jardins L’éblouissant émail des lis et des jasmins, Et dans le siècle d’or la tendre Philomèle, Qui charmait nos aïeux de sa chanson nouvelle, N’avait rien de plus doux que celle dont la voix Réveille les échos qui dorment dans nos bois : De cette même main les forces infinies Produisent en tout temps de semblables génies. […] Racine, plus contenu et plus ironique, félicita Perrault de son tour de force, en lui disant qu’on voyait bien qu’il n’avait voulu, par ce jeu d’esprit, que rendre parfaitement le contraire de ce qu’il pensait. […] En ce sens, Perrault applique expressément la méthode de Descartes à l’examen de la littérature et des arts ; il la proclame hardiment un des premiers, et avec pleine conscience de ce qu’il fait : L’autorité, dit-il, n’a de force présentement et n’en doit avoir que dans la théologie et la jurisprudence… Partout ailleurs la raison peut agir en souveraine et user de ses droits.
Pendant que Madame Louise, nommée régente du royaume, montrait de la force et du courage, on peut suivre les pensées de Marguerite dans la série des Lettres qu’elle écrit à son frère, et que M. […] Son premier mot est pour consoler le captif, pour le rassurer : « Madame (Louise de Savoie) a senti si grand redoublement de forces que, tant que le jour et soir dure, il n’y a minute perdue pour vos affaires ; en sorte que de votre royaume et enfants ne devez avoir peine ou souci. » Elle se félicite de le savoir aux mains d’un aussi bon et généreux vainqueur que le vice-roi de Naples Charles de Lannoy ; elle le supplie, au nom de sa mère, de songer à sa santé : Elle a entendu que voulez entreprendre de faire ce carême sans manger chair ni œufs, et quelquefois jeûner pour l’honneur de Dieu. […] Ce sage monarque de la littérature, ce véritable empereur de la latinité à son époque, choisissant pour consoler Marguerite le moment où elle était sous le coup du désastre de Pavie, lui écrivait : Il y a longtemps que j’ai admiré et aimé en vous tant de dons éminents de Dieu, une prudence digne même d’un philosophe, la chasteté, la modération, la piété, une force d’âme invincible, et un merveilleux mépris de toutes les choses périssables. […] Il est très vrai que Marguerite, ouverte à tous les sentiments littéraires et généreux de son temps, se comporta comme une personne qui, aux abords de 89, aurait favorisé de toutes ses forces la liberté, sans vouloir ni prévoir la Révolution.
L’art et la science I Force gens, de nos jours, volontiers agents de change et souvent notaires, disent et répètent : La poésie s’en va. […] Où il n’y avait que la force, la puissance se révèle. […] Or, le besoin de lire étant une traînée de poudre, une fois allumé il ne s’arrêtera plus, et, ceci combiné avec la simplification du travail matériel par les machines et l’augmentation du loisir de l’homme, le corps moins fatigué laissant l’intelligence plus libre, de vastes appétits de pensée s’éveilleront dans tous les cerveaux ; l’insatiable soif de connaître et de méditer deviendra de plus en plus la préoccupation humaine ; les lieux bas seront désertés pour les lieux hauts, ascension naturelle de toute intelligence grandissante ; on quittera Faublas et on lira l’Orestie ; là on goûtera au grand, et, une fois qu’on y aura goûté, on ne s’en rassasiera plus ; on dévorera le beau, parce que la délicatesse des esprits augmente en proportion de leur force ; et un jour viendra où, le plein de la civilisation se faisant, ces sommets presque déserts pendant des siècles, et hantés seulement par l’élite, Lucrèce, Dante, Shakespeare, seront couverts d’âmes venant chercher leur nourriture sur les cimes. […] Elle a la volonté, la précision, l’enthousiasme, l’attention profonde, la pénétration, la finesse, la force, la patience d’enchaînement, le guet permanent du phénomène, l’ardeur du progrès, et jusqu’à des accès de bravoure.
L’école décadente, négative de sa nature, n’existait que comme force de destruction. […] « Le nombre de mes collaborateurs, la variété de leurs connaissances, leur talent était une force qui, utilisée dans le sens de la destruction, eût miné dans sa base l’édifice social. […] Après cette première scission, voici quelles étaient leurs forces et celles des Décadents : Décadents : Paul Verlaine, Ernest Raynaud, Maurice du Plessys, Arthur Rimbaud, Jules Laforgue, Moïse Renault, Pillard d’Arkaï, Stuart Merrill, Albert Aurier, Valère Gille, Louis Villatte, Louis Dumur, Boyer d’Agen, Martial Besson, Léo Trézenik, Rachilde, Paul Vorsin, Fabien Colonna, André de Bréville, Paul Pradet, Georges Fourest. […] Sous la peau blanche et fine, le sang afflue et fait éclater dans toute leur force la vie et la santé.
On s’imaginait tout connaître de cette intelligence profonde et grave, et dont l’éclat est d’autant plus vif et plus dardant que son bloc, comme celui du diamant, est plus massif et plus solide, quand, bien du temps après sa mort, on s’est avisé de publier sa Correspondance avec sa fille, qui étonna tout à la fois et qui ravit, et modifia, pour la plupart des lecteurs, qui n’ont pas vu le lion quand il aime, la physionomie de ce lion-ci, qui avait la grâce au même degré que la force, car il ne pouvait pas l’avoir davantage ! […] Et si c’est vrai, — ce que j’ose hasarder, — si les hommes de force absolue n’ont pas, comme je le crois, dans leur vie, de vol tes et de contre-voltes, ne tâtonnant pas, ne battant pas le buisson et ne changeant pas leur fusil d’épaule, comme on dit, ainsi que la plupart d’entre nous ; s’ils poussent toujours du même côté, tirant leurs coups toujours dans la même ligne, c’est qu’ils portent en eux un principe interne qui ne fléchit pas plus que le principe qui fait du chêne un chêne et qu’on appellera du nom qu’on voudra, mais que je me permettrai d’appeler le principe du génie. […] C’est cet homme que nous retrouvons, en ces Quatre chapitres inédits sur la Russie, dans toute la pureté, la beauté et la douceur de son esprit ; car il faut en finir avec les vieilles vulgarités qui traînent : — puisque l’on ne conteste plus que Joseph de Maistre soit un grand esprit chrétien, il doit avoir la douceur, la douceur de la force chrétienne dans la pensée, et l’on dit une sottise quand on en fait un penseur dur et inflexible. […] Quoique, par le titre qu’ils portent, les Quatre chapitres puissent donner à penser que l’auteur avait eu l’intention d’écrire une histoire de cette Russie dans laquelle il avait vécu et qu’il connaissait bien, ce ne sont pourtant que des lettres confidentielles à un haut fonctionnaire russe, sur des questions qui importaient alors à la prospérité et à la force de l’Empire.