Fauriel, plus circonspect, dit également : « Il y eut, à ce qu’il paraît, entre le milieu du xiie siècle et les commencements du xiiie , un grand mouvement dans la littérature française. » Ce fut le beau moment des trouvères. […] Elle rappelle, en chaste épouse, le premier jour de ses noces : « À Ham (et ceci indique bien la France du Nord pour lieu de la scène), le premier jour d’avril, au temps de Pâques, il y eut dix ans qu’Ysengrin me prit. » Les noces furent belles et plénières ; toutes les bêtes y vinrent, et remplissaient tellement les fossés et les louvières qu’à peine eût-on pu trouver place « où une oie pût couver ». […] Du côté de ma mère j’eus quatre sœurs, tant poules vierges que jeunes dames ; elles étaient de bien belles glaines40. […] Mais la guérison du Loup obtient peu de créance, et Rooniax a beau témoigner, le miracle cette fois passe pour faux.
Et ce n’est qu’ainsi qu’on s’explique aussitôt et pleinement, dit-il, pourquoi « l’on voit si souvent le paysagiste, qui est donc au fond un chercheur de choses à exprimer bien plus qu’il n’est un chercheur de choses à copier, dépasser tantôt une roche magnifique, tantôt un majestueux bouquet de chênes sains, touffus, splendides, pour aller se planter devant un bout de sentier que bordent quelques arbustes étriqués ; devant une trace d’ornières qui vont se perdre dans les fanges d’un marécage ; devant une flaque d’eau noire où s’inclinent les gaulis d’un saule tronqué, percé, vermoulu… C’est que ces vermoulures, ces fanges, ces roseaux, ce sentier, qui, envisagés comme objets à regarder, sont ou laids ou dépourvus de beauté, envisagés au contraire comme signes de pensées, comme emblème des choses de la nature ou de l’homme, comme expression d’un sens plus étendu et plus élevé qu’eux-mêmes, ont réellement ou peuvent avoir en effet tout l’avantage sur des chênes qui ne seraient que beaux, que touffus, que splendides ». […] Mais cette poésie, il faut un maître pour l’extraire de là, belle, vivante et vraie tout à la fois ; sans quoi vous aurez ou bien une Estelle à liserés, qui ne rappelle que romances et fadeurs, ou bien une vilaine créature, qui ne remue que d’ignobles souvenirs. […] Et ne croyez pas que ce dernier mot soit une épigramme ; car tout aussitôt, dans une page très belle et pleine d’onction, tout en réservant son principe de foi, il va rendre hommage à ce trait d’ingénue et d’absolue soumission qui est obtenue plus facilement par la religion catholique et qui procède du dogme établi de l’autorité même ; il y reconnaît un vrai signe de l’esprit religieux sincère : Et en effet, dit-il, être chrétien, être vrai disciple de Jésus-Christ, c’est bien moins, à l’en croire lui-même, admettre ou ne pas admettre telle doctrine théologique, entendre dans tel ou tel sens un dogme ou un passage, que ce n’est assujettir son âme tout entière, ignorante ou docte, intelligente ou simple, à la parole d’en haut, pas toujours comprise, mais toujours révérée. […] Tout humble qui prie lui paraît son coreligionnaire plus sûrement que tout raisonneur et tout petit docteur qui discute, il a beau être de Genève, il se retrouve encore du diocèse et de la paroisse de saint François de Sales par un côté.
J’inclinerais pour le premier, pour le salon de Mme de Tencin à son plus beau moment. […] Ce paysan, ce fils de fermier, arrivé de son village, beau garçon de dix-neuf ans, entré comme domestique chez son seigneur, une espèce d’enrichi ; puis rencontré sur le Pont-Neuf par la dévote Mlle Habert, beauté de plus de quarante-cinq ans, dont il devient le mari après quatre ou cinq jours, passe presque aussitôt à l’état d’homme comme il faut, à qui il ne reste qu’un peu de gaucherie et de rouille provinciale ; et encore la secoue-t-il bien lestement. […] Tout va à merveille tant que les deux sincères ne le sont qu’à l’égard d’autrui et non vis-à-vis l’un de l’autre : mais Ergaste se hasarde trop en croyant qu’il peut, sur les questions de la marquise, lui avouer qu’il a aimé Araminte presque autant qu’elle, et convenir qu’Araminte, à la vérité, lui semble plus belle, bien que la marquise plaise davantage ; il ne réussit lui-même qu’à déplaire. […] 81. » Il mêlait aux éloges, aux beaux noms de La Bruyère et de Théophraste qu’il ne craignait pas d’appliquer à notre auteur, quelques réserves et quelques censures morales, en priant son nouveau confrère de les lui passer et de les mettre sur le compte du ministère saint dont il était chargé.
Cependant, au fond, et quand on suit l’enchaînement des faits chez Villehardouin, on voit assez clairement que la plupart de ceux qui affichent ces beaux motifs, et qui se rangeaient derrière les rigoristes scrupuleux, ne désiraient que rompre la promesse jurée et se dégager de leur vœu en faisant avorter toute grande action et conquête trop périlleuse. […] L’émotion fut grande parmi le peuple et les pèlerins, d’autant que ce digne chef avait toute raison de demeurer chez soi s’il l’eût voulu : Car il était vieil homme, et, bien qu’il eût de beaux yeux en la tête, il n’y voyait pas, ayant perdu la vue autrefois par le fait d’une blessure. […] Ce vieillard, avec sa colère, avec sa rude menace aux siens de faire justice de leurs corps s’ils ne le mettent en plein péril, est beau et sublime de ton comme le Cid vieilli ; il est beau comme le jeune Condé à Rocroi jetant son bâton dans les rangs ennemis : lui, il fait mettre en avant le gonfanon de Saint-Marc et le compromet hardiment pour forcer les siens à la victoire.
« Vous faites, mon cher ami, l’arrière-garde de la belle littérature française, et il faut que vous ayez été aussi paresseux de corps que peu paresseux d’esprit pour n’avoir pas été de l’Académie. […] Dans les Pensées de M. de Meilhan, il y a des traits de feu qui éclairent toujours, et des fusées qui vont plus haut qu’elles ne font de bruit ; le tout est toujours terminé par une belle décoration. […] La tête est fort belle, la physionomie vive, animée, parlante, la figure assez longue ; on n’y prend nullement l’idée que donnerait de M. de Meilhan le duc de Lévis, lorsqu’il a dit : « Sa figure, quoique expressive, était désagréable ; il était même complètement laid, ce qui ne l’empêchait pas d’ambitionner la réputation d’homme à bonnes fortunes. » Cette idée de laideur ne vient pas à la vue de ce portrait ; mais on y reconnaît avant tout ce bel œil perçant, plein de feu, ces « yeux d’aigle pénétrants » dont le prince de Ligne était si frappé.
Deux grosses passions avaient en lui subjugué toutes les autresi : l’une était celle de s’instruire, et l’autre de se distinguer… Vicq d’Azyr avait gardé, même au milieu de ses succès académiques, un vif sentiment de ces premiers cours qu’il avait professés dans sa jeunesse et dans lesquels il s’était épanoui tout entier : « C’est un bel art, disait-il, que celui de l’enseignement. […] Une nuée de pamphlets et de pasquinades, dignes des beaux temps de la guerre autrefois déclarée par Gui Patin et consorts contre le gazetier Renaudot, sortit de toutes parts, et, à cette heure la plus sereine du xviiie siècle, rappela les âges les plus poudreux du Quartier latin. […] Au-dessus de Vicq d’Azyr était un puits sur lequel on avait placé en écusson une massue (à cause des immolations de bestiaux) avec un couteau en sautoir, appuyé sur un bel échantillon de mine d’argent. […] Vicq d’Azyr, qui en était le plus bel ornement, y attirait une foule élégante par ses éloges.
On ne sait précisément à quelle époque il vint à Rome ; il est probable qu’il y vint après la victoire d’Actium, âgé d’environ trente ans ; il commença son histoire dans ces belles années d’Auguste, et quand le temple de Janus était fermé pour la troisième fois depuis la fondation de la ville. […] Tite-Live, ne l’oublions jamais, avait conçu son histoire et commença de l’exécuter sous le plus beau rayon du règne et de l’heure d’Auguste. […] Telle qu’elle est dans son magnifique débris, et plus mutilée qu’un temple de Paestum, son histoire nous apparaît encore la plus digne qui se puisse concevoir du peuple-roi, et quand Scipion l’Africain, s’adressant à son petit-fils dans ce beau songe, lui dit que « de tout ce qui se fait sur la terre, rien n’est plus agréable à ce Dieu suprême qui régit tout cet univers que les réunions de mortels associés par les lois et que l’on nomme cités », il lui désigne en effet l’empire romain, la merveille de cette république et de cet empire tel que Virgile l’a rassemblé en idée sur le bouclier divin de son héros, et tel que le seul Tite-Live le décrira. […] Les chapitres sur Machiavel, sur Montesquieu, sont très beaux, très vrais.
M. de Pontmartin a beau dire aujourd’hui qu’il est visible à tout le monde que ce rôle de M. […] Delécluze, recueille dans sa vieillesse ses Souvenirs, les publie alors, dépeigne à ses contemporains de ce temps-là les gens avec qui il a dîné trente ou quarante ans auparavant, cherche même à les montrer en laid et à se donner le beau rôle, il n’y aurait rien à cette façon de faire que d’assez simple, d’assez conforme à la loi des amours-propres et d’assez reçu, en effet, dans cette libre et babillarde république des Lettres. […] Il faut que ses admirateurs, qui remplissent les Revues de province et qui, hier encore, injuriaient en son nom l’univers, que ses coryphées qui se faisaient écho de Quimper à Suze-la-Rousse, d’un bout de la France à l’autre, renoncent à dire : « Lisez les volumes de M. de Pontmartin, et sous l’influence de cette lecture vous sentirez grandir en vous l’amour du beau, du vrai et du bien ! […] Veuillot franc, violent, fin pourtant, âpre non moins qu’adroit à l’attaque, riant ou mordant à belles dents, et sachant choisir sur le prochain les endroits vulnérables et tendres ; ayant rompu avec la moitié et plus de la moitié de ses confrères, et seul contre tous s’en faisant craindre.
Il n’était pas de ces génies qui acceptent la force des choses comme solution commode ; il n’était pas du tout persuadé qu’une bataille de plus ou de moins, gagnée ou perdue deux mois auparavant, un ennemi de plus ou de moins, repoussé, tout cela revenait à peu près au même, que sa situation en 1815 était de prime abord comme désespérée, que les plus heureux efforts et la plus belle entrée de jeu n’auraient pu en réparer le vice radical ; que Waterloo même gagné n’eût été qu’un répit. […] Qu’on veuille songer à ce qu’on doit de reconnaissance à celui qui, dans une publication continue de vingt années, nous a initiés à ce degré, tous tant que nous sommes, à l’esprit et au détail politique, administratif, militaire, de la plus grande époque et la plus invoquée dans les entretiens de chaque jour ; qui, sans que nous soyons hommes d’État ni politiques de métier, nous a fait assister, par le dépouillement des pièces les plus secrètes et les plus sûres, aux conseils et aux débats diplomatiques d’où sont sorties les destinées de l’Europe et de la France pendant l’ère la plus mémorable ; qui, sans que nous soyons financiers, nous permet, avec un peu d’attention, de nous rendre compte des belles et simples créations modernes en ce genre ; sans que nous soyons administrateurs, nous montre par le dedans ce que c’est que le mécanisme et les rouages de tout cet ordre civil et social où nous vivons ; sans que nous soyons militaires, nous fait comprendre la série des mouvements les mieux combinés, et par où ils ont réussi, et par où ils ont échoué en venant se briser à des causes morales et générales plus fortes. […] Et dans ce tome vingtième que nous avons sous les yeux, si c’était l’heure de citer, nous aurions beau jeu. […] … Ce sont là des pages élevées, fermes, vigoureuses de ton, philosophiques de fond, irréprochables, à offrir aux amis comme aux ennemis ; je n’en sais pas en français de plus belles.
Sa maison seule, qui est fort belle, ses escaliers ornés de statues d’un goût parfait, la beauté de ses tableaux, la profusion des dessins qu’on trouve jusque dans ses antichambres, et les raretés de toute espèce et de tous les siècles qu’on rencontre à chaque pas, auraient suffi pour m’apprendre que j’entrais chez le prince de la littérature allemande. […] Il embrassa toute la littérature allemande, passée et présente ; il y marcha à pas de géant, peignant tout à grands traits, d’une manière rapide, mais avec une touche si vigoureuse et des couleurs si vives, que je ne pouvais assez m’étonner ; il parla de ses ouvrages peu et avec modestie, beaucoup des chefs-d’œuvre en tout genre de la France, des grands hommes qui l’avaient honorée, du bonheur de sa langue, des beaux génies qui l’avaient maniée, des littérateurs présents, de leur caractère et de celui de leurs productions ; enfin, j’étais un Français qui était allé pour rendre hommage au plus beau génie de l’Allemagne, et je m’aperçus bientôt que M. […] Sa santé altérée et sa fin prochaine l’empêchèrent d’exécuter ce beau dessein ; mais il laissa à son fils des notes nombreuses, des souvenirs vivants, l’esprit même de la tradition.
En regard, une belle soirée : Et le soir s’abaissait. […] Sa lutte avec Voltaire, j’en conviens, semble aujourd’hui, et à la voir d’un peu loin, son plus beau côté ; elle suppose un certain courage. […] La Harpe, dans sa chétive personne, presque aussi exiguë que celle de Pope, sous cette enveloppe petite et frêle, que tous ces hommes gros et gras lui reprochaient grossièrement, avait des qualités vives, des susceptibilités fines, des nerfs délicats ; il sentait en lui un principe supérieur, une flamme, ce qui est devenu à certain jour un flambeau, ce qui lui a fait entreprendre et mener à bien les belles parties de son Cours de Littérature. […] Selon moi, il n’a pas tiré un parti assez sérieux de Linguet et de ses nombreux écrits ; Linguet le paradoxal, si éloquent lorsqu’il a raison ; celui de qui Voltaire écrivait dans une lettre à Condorcet (24 novembre 1774) : « Si ce Linguet a d’ailleurs de très-grands torts, il faut avouer aussi qu’il a fait quelques bons ouvrages et quelques belles actions » ; celui dont Mme Roland, qui l’avait vu à Londres en 1784, a parlé comme d’un homme « doux, spirituel, aimable », corrigeant dans sa personne et dans sa conversation ce que sa plume pouvait avoir d’âpre et d’amer, et en particulier (chose rare chez un exilé) ne s’exprimant sur la France et les Français qu’avec circonspection, réserve et modestie17.
Je pleurais avec elle… et mon cœur dans sa vie Te doit son plus beau jour ! […] « Les eaux du torrent remontent à leur source avec les nuages du ciel pour s’épancher de nouveau dans les vallées ; les arbres fleurissent tous les printemps ; le soleil ne se lasse point d’éclairer et de féconder la terre ; les oiseaux qui partent avant l’hiver reviennent avec les beaux jours ; mais, hélas ! […] La situation étant donnée, la pièce est noble et fort belle. […] Là, comme un prisonnier qui ne doit plus sortir, Il fut pris dans son cœur d’un amer repentir ; L’éternelle patrie, à ses yeux pleins de larmes, Apparaissait alors belle de tous ses charmes ; Son ami le cherchait, en pleurant, dans les airs, Et sa place était vide aux célestes concerts !
Même dans les plus beaux jours du passé académique, de bien illustres, il est flatteur de se le dire, sont entrés tard et bien tard : Boileau, La Fontaine, Voltaire : Et j’avais cinquante ans quand cela m’arriva. […] Un des hommes qui ont caché et enterré le plus d’esprit sous le plus d’érudition, Gabriel Naudé, assistant à la fondation des Académies d’Italie et de France, a dit qu’elles étaient des bals, que les bons esprits y allaient comme les belles femmes au bal, pour y passer leur temps agréablement et pour s’y montrer. […] Il imagina, à son entrée (1640), d’adresser un si beau remercîment à la Compagnie, qu’on obligea tous ceux qui furent reçus depuis, d’en faire autant. […] Perrault, qui mettait les modernes si fort au-dessus des anciens, comptait parmi les plus beaux avantages de son siècle cette cérémonie académique dont il était le premier auteur : « On peut assurer, dit-il, que l’Académie changea de face à ce moment : de peu connue qu’elle étoit, elle devint si célèbre qu’elle faisoit le sujet des conversations ordinaires. » Les Grecs avaient les jeux olympiques, les Espagnols ont les combats de taureaux, la société française a les réceptions académiques.
Cependant ce pays n’offre rien de bon en ce genre, tandis que la France peut se glorifier des plus grands et des plus beaux talents dans cette carrière. […] Consacrer la littérature au récit ou à l’invention des beaux faits de chevalerie, était l’unique moyen de vaincre la répugnance qu’avaient pour elle des hommes encore barbares. […] Cependant, en examinant le sens de ces paroles, on n’y trouve rien de sublime : c’est comme grand musicien que le Tasse vous fait trembler dans cette strophe ; et les beaux airs de Iomelli produiraient sur vous un effet à peu près semblable. […] La belle femme expire, et l’on dirait qu’elle dort.
Il y avait alors, dit une personne qui a subi cette éducation298, une manière de marcher, de s’asseoir, de saluer, de ramasser son gant, de tenir sa fourchette, de présenter un objet, enfin une mimique complète qu’on devait enseigner aux enfants de très bonne heure, afin qu’elle leur devînt par l’habitude une seconde nature, et cette convention était un article de si haute importance dans la vie des hommes et des femmes de l’ancien beau monde que les acteurs ont peine aujourd’hui, malgré toutes leurs études, à nous en donner une idée ». — Non seulement le dehors, mais encore le dedans était factice ; il y avait une façon obligée de sentir, de penser, de vivre et de mourir. […] À la reprise du Père de famille, l’on compte autant de mouchoirs que de spectateurs, et des femmes s’évanouissent. « Il est d’usage, surtout pour les jeunes femmes, de s’émouvoir, de pâlir, de s’attendrir, et même en général de se trouver mal en apercevant M. de Voltaire ; on se précipite dans ses bras, on balbutie, on pleure, on est dans un trouble qui ressemble à l’amour le plus passionné308. » — Quand un auteur de société vient lire sa pièce dans un salon, la mode veut qu’on s’exclame, qu’on sanglote, et qu’il y ait quelque belle évanouie à délacer. […] « Toutes ces belles dames et ces beaux messieurs qui savaient si bien marcher sur les tapis et faire la révérence ne savaient pas faire trois pas sur la terre du bon Dieu sans être accablés de fatigue.
Il a passé sa vie à forger de belles phrases, comme on n’en avait jamais fait en notre langue. […] Il a très bien compris, et très bien dit — et dit à Scudéry même, — que le Cid est beau, en dépit des règles, et que l’objet de la poésie est le plaisir par la beauté ; il a très finement écrit — et à Corneille même — sur la prétendue vérité historique de Cinna. […] Chapelain Ce beau monde, dont Balzac faisait l’éducation, était assez disposé, tant par ignorance que par suffisance, à prendre son seul plaisir pour critérium de la valeur des œuvres littéraires : principe séduisant, mais dangereux. […] L’esprit classique manifeste donc encore ici sa concordance avec le cartésianisme, lorsqu’il fait de la vérité l’objet suprême de l’œuvre littéraire, et pose comme identiques le vrai et le beau.
Ce sont surtout les jours où on lit des chants inédits de Jeanne, de la trop fameuse Jeanne (et on les lit dans la chambre mystérieuse des bains), ce sont ces jours de demi-licence qui font les belles heures de Mme de Graffigny ; nous verrons dans un instant qu’elle les paiera cher : On a fait du punch, écrit-elle à son ami Devaux après une de ces lectures ; Mme du Châtelet a chanté de sa voix divine : on a beaucoup ri sans savoir pourquoi, on a chanté des canons ; enfin le souper a été à peu près comme ceux que nous avons tant faits ensemble, où la gaieté ne sait ce qu’elle dit ni ce qu’elle fait, et rit sur la pointe d’une aiguille. […] Le fait est que la belle dame rend au poète la vie un peu dure. […] — Il aime à en faire avec passion, ajoute Mme de Graffigny, et la belle dame le persécute toujours pour n’en plus faire. […] madame, criait-il de plus belle, il faut de la bonne foi, quand il y va de la vie d’un pauvre malheureux comme moi !
La personne de l’homme, si noble de prestance et si vénérable qu’elle pût être au premier aspect, devait par instants s’animer et se réjouir aux mille saillies de ce génie intérieur, de cette belle humeur irrésistible qui s’était jouée dans son roman, ou plutôt dans son théâtre. […] Dolet y fait parler un pendu qui avait eu l’honneur, après son exécution, d’être disséqué dans l’amphithéâtre public de Lyon par Rabelais en personne, ou qui du moins lui avait fourni le sujet d’une belle leçon d’anatomie : En vain la Fortune ennemie a voulu me couvrir d’outrages et d’opprobre, disait le pendu dans les vers de Dolet ; il était écrit qu’il en serait autrement. […] Lucien, dans un dialogue entre Vénus et Cupidon, avait fait demander par la déesse à son fils pourquoi il respectait tant les muses, et l’enfant avait répondu quelque chose de ce que Rabelais va reprendre, amplifier en ces termes et embellir : Et me souvient avoir lu que Cupido, quelquefois interrogé de sa mère Vénus pourquoi il n’assailloit les Muses, répondit que il les trouvoit tant belles, tant nettes, tant honnêtes, tant pudiques et continuellement occupées, l’une à contemplation des astres, l’autre à supputation des nombres, l’autre à dimension des corps géométriques, l’autre à invention rhétorique, l’autre à composition poétique, l’autre à disposition de musique, que, approchant d’elles, il débandoit son arc, fermoit sa trousse et éteignoit son flambeau, de honte et crainte de leur nuire. […] que j’aurais voulu, par un beau jour de Pâques, assister à sa messe ; contempler sa majestueuse et sereine figure, lorsque, entendant chanter autour de lui : Quemadmodum desiderat cervus ad fontes aquarum, il repensait, avec un divin sourire de satisfaction, à cette soif infinie de son Pantagruel !
» Ce trait paraissait égal aux plus beaux traits de Corneille ; mais il était pris lui-même de Shakespeare dans Macbeth, et appliqué à cette imitation de Dante introduite dans Roméo. […] Mais, en choisissant chez Ducis et, en coupant les citations à temps, combien l’on trouverait ainsi de ces belles et douces pensées ! […] Malgré ces coins d’humeur et ces instants irrités, Ducis était assez habituellement calme pour que sa figure de vieillard, en ces années, ait bien de l’expression antique, et que nous la trouvions de plus en plus noble et belle. Voici quelques pensées que j’extrais des lettres écrites par lui dans sa vieillesse : Je suis auprès de mes consolateurs, de vieux livres, une belle vue et de douces promenades.
Mais Mme Sand n’est point une lady Tartuffe… de naïveté, qui se mette à la torture pour nous persuader qu’elle n’est qu’une innocente, — une Agnès littéraire qui se contente seulement d’être belle (dans ses Œuvres), car elle ne se nie pas, elle ne se refuse pas ce genre de beauté ! […] Elle lui a tant et tant répété qu’elle avait du génie, que cette âme modeste a fini par le croire et même qu’elle avait le plus beau des génies, le génie qui n’a sa raison d’exister dans aucun effort de facultés, et n’est, comme Dieu, simplement que parce qu’il est. […] Elle ne dira jamais, elle est incapable de dire : « Ce sabre est le plus beau jour de ma vie ! […] (Et encore elle aurait pour excuse les beaux cuirassiers de l’Empire.
Il avait défendu contre la critique d’Hoffman des Débats le beau poëme des Martyrs, et plus tard, en 1826, il attaqua M. de Chateaubriand pour son discours sur la liberté de la presse. […] Collombet ; ces deux somptueux volumes in-8°, de polémique et de discussion polie, ont pour objet de faire contre-partie et contre-poids aux Soirées de Saint-Pétersbourg, à ce beau livre de philosophie élevée et variée duquel l’auteur écrivait : « Les Soirées sont mon ouvrage chéri ; j’y ai versé ma tête : ainsi, monsieur, vous y verrez peu de chose peut-être, mais au moins tout ce que je sais. » — Rothaval est un petit hameau dans le département du Rhône, probablement le séjour de l’auteur en été. […] Il entend, il comprend, était le mot de passe, faute de quoi on était exclu à jamais de la sphère supérieure des belles et fines pensées.
Un dernier caractère de la langue des précieux est à remarquer : ils parlent comme les livres, en belles phrases littéraires. […] On cause dans le style des maîtres français et italiens, qui sont des modèles de beau langage. […] Les esprits fins et secs se réjouissaient : le bel ordre de la langue, sa netteté, sa précision qui la rendaient si commode et si claire, les consolaient de toutes les pertes : « La langue, disait le P.
C’est que, nous avons beau faire effort pour nous affranchir, il est des cas où, en vertu de notre éducation, nous fixons malgré nous des limites à la liberté d’esprit, et nous sommes tout prêts à la nommer autrement quand elle insulte à certains sentiments que nous jugeons sacrés et hors de discussion. […] Il constate çà et là qu’il était bien habillé (et il décrit son costume), qu’il a été beau, brillant, spirituel, profond ; qu’il est original et qu’il a du génie. […] Savourez, je vous prie, la belle candeur de ces confidences (Beyle avait alors vingt ans) : « Quel est mon but ?
C’était un homme de qualité, un homme d’esprit, de belle figure, un homme de cour, mais non un de ces courtisans de profession, qui bornant leur ambition à obtenir une parole ou un regard du prince, se pâmaient de joie en s’entendant nommer pour un voyage de Mari y ou Ce Fontainebleau. […] Orpheline depuis l’âge de 5 ans, élevée par un oncle respectable, instruite par Ménage, mariée à 18 ans, veuve à 26, retirée pendant deux années qu’elle emploie à l’éducation de ses enfants et à l’arrangement de leur fortune, sachant le latin, l’espagnol, l’italien et la littérature, ses premiers pus dans la société se tournent vers l’hôtel de Rambouillet ; la marquise, âgée, isolée par le mariage de sa fille, désolée de la mort de son mari et de celle d’un fils de 31 ans arrivées à un an de distance, fut la première personne dont madame de Sévigné, belle, brillante de jeunesse, d’esprit et de savoir, rechercha la société et ambitionna la confiance. […] Il lui écrivait le 30 juillet 1654 : « Mon Dieu, que vous avez d’esprit, ma belle cousine, que vous écrivez bien, que vous êtes aimable !
On n’aime plus sa traduction de Tacite, surnommée la belle infidelle. […] Il se prévaut beaucoup d’une expérience qu’il dit certaine ; c’est l’ennui que cause une lecture de moins de demie heure des longs ouvrages en vers François, & surtout en vers Alexandrins, quelques beaux qu’ils soient d’ailleurs. […] Ce langage ne convient qu’aux mauvais versificateurs & à ceux qui n’ont pas assez d’enthousiasme, & peut-être de goût, pour sentir les charmes de la belle poësie.
J’ai lu de près ce que ce prosateur a laissé d’excellent, et je m’offre à prouver quand on voudra qu’il y a dans Bernardin tout le vocabulaire descriptif de Chateaubriand, non pas même sa langue, mais son style, ses plus belles épithètes, ses procédés de peinture écrite, ce qui ne m’empêche pas de distinguer aussi bien qu’un autre en quoi ces deux écrivains diffèrent et combien Chateaubriand dépasse son modèle par le génie de son style et la supériorité de ses images. « Il ne faut, dit M. de Gourmont, s’en laisser imposer ni par l’unanimité ni par la singularité. » Je suis de cet avis, et c’est pourquoi, m’étant fait une opinion personnelle, M. de Gourmont ne trouvera pas mauvais que sa « singularité » ne m’en « impose pas ». […] Le plaisir d’écrire, c’était de vivre avec une pensée, de la mûrir, de la vêtir, de la faire forte et belle … Autrefois, on faisait un livre comme on élève un enfant, avec diligence, avec patience 28. » Quoi qu’on dise, Louis Veuillot n’eût donc pas désapprouvé une méthode comme la nôtre, qui enseigne, comme il en exprimait le désir, à méditer, à corriger, à produire avec labeur, avec diligence, avec patience. […] Donc, forcément, les célèbres protestations sont insignifiantes, comme vous trouvez si judicieusement, sans remarquer toutefois la contradiction des deux adjectifs. » J’ai beau écarquiller les yeux, je ne vois point là de contradiction.
Pour un esprit comme le sien, pour un esprit jeune alors, animé, plein de sève, et par-dessus tout cela poétique (il venait de publier un volume de vers), c’était une charge, mais non une charge d’âme, que de continuer Sismondi, — Sismondi, l’historien érudit, si l’on veut, mais l’historien sans vie réelle, sans mouvement, sans chaleur, et l’un des écrivains de cette belle école grise de Genève qui, pour le gris, le pesant et le froid, a remplacé avantageusement Port-Royal ! […] Quand on aime les rois et qu’on a mieux pour eux que des larmes, quand on croit que les plus belles choses qu’il y ait encore sur la terre ce sont les pouvoirs qui conduisent les sociétés ou qui les défendent, on doit avoir réellement peur de toucher au cadavre décapité de Louis XVI à travers la pourpre de son sang répandu, plus inviolable à la postérité que ne le fut à ses contemporains sa pourpre royale. […] Il y a enfin les hommes de mer, l’honneur de ce règne de Louis XVI à qui la terre faisait si peu d’honneur, d’Estaing, de Grasse et Suffren, l’audacieux bailli, que voilà bien revenu des Indes où sa gloire était trop engloutie, ramené par Renée dans un beau livre et mis sous les yeux de la France.
, sur toutes ces choses et pour les couronner, elle pondait ce bel œuf de cygne, la conversation. […] Alors on comprend la tristesse, encore plus comique que le respect, de l’historien quand il s’aperçoit qu’il ne sait pas plus exactement le moment où commencèrent que celui où se terminèrent de si belles choses. […] Parmi ces figures grimaçantes, il en est deux pourtant qui se détachent, je ne dirai pas en beau, mais en moins laid, sur la grisaille de toutes les autres.
Le livre qu’Ernest Semichon a publié sous ce beau titre : La Paix et la Trêve de Dieu 21, est une tentative de justice rendue au Moyen Âge par un esprit qui croit aimer le Moyen Âge dans l’Église, qui comprend la grandeur du rôle que l’Église a joué alors, — et même qui la comprend trop, car ce rôle-là, il l’exagère, et c’est le vice profond et dangereux de son travail. […] la plus belle part, la part qui revenait au directeur moral de la société au Moyen Âge, — il a été exclusif et injuste. […] Idée vulgaire et fausse que Thierry a traînée toute sa vie à la queue de son beau talent, et qu’il en aurait détachée pour la fouler à ses pieds s’il avait vécu davantage.
Henri IV, qui a laissé dans l’histoire deux paroles à travers lesquelles on l’a vu jusqu’ici, — et pas très beau : — « Je vais faire, ma mie, le saut périlleux ! […] L’une des plus belles discussions de ce livre de Segretain est celle-là, dans laquelle il démontre la fausseté de la thèse de l’émancipation de la pensée et de l’homme esclave brisant ses fers, que des écrivains de parti ont toujours soutenue avec succès à propos de la Réforme, et fait admettre à l’ignorance, non pas gobe-mouche, mais gobe-montagne de ceux qui les lisent. […] Même humainement, toute cette poésie de haillons, comme il dit, nous a toujours semblé très belle ; mais religieusement, c’est une pourpre.
C’est sans nul doute à ces reines de l’opinion, à ces belles affligées, veuves de sa parole, qu’il a dédié l’ouvrage intitulé : Les Femmes de la Révolution 9. […] et ce fut ainsi que se réalisa une fois de plus le beau mot de Balzac l’ancien sur la France : « La France est un vaisseau qui a pour pilote la tempête. » Évidemment, en présence de ces événements et de ces immensités, l’écrivain peut se tenir dispensé du maigre travail des biographies, ou, s’il lui plaît d’en faire encore, ce ne doit pas être pour mesurer la grandeur des hommes, mais pour montrer leur petitesse, et la montrer avec l’implacable exactitude d’un niveau. […] Elle l’a flétrie dans ses plus belles pages, elle l’a foulée sous ce pied que Rivarol, toujours magnifique, même quand il s’abaissait jusqu’au calembour, appelait avec flatterie : un piédestal.
pas l’étendue de ce Rabelais qui est aussi un historien à sa manière, et qui, à force de génie, est parfois aussi beau sur son fumier que Sardanapale sur ses fleurs ; mais il en a pourtant quelque chose. […] Il est biblique, protestant, puritain, prédicateur comme les Caméroniens d’Old Mortality de Walter Scott, et, par-dessus le marché, universitaire, — universitaire anglais, — barbouillé de mythologie, bourré de souvenirs classiques, roulé dans les loques pédantesques que nous trouvons dans les plus modernes et qui traînaillent encore, en Angleterre, dans leurs plus beaux discours de Parlement. […] — puis Vendémiaire, qui finit tout comme les Révolutions finissent ; car il n’y a que le canon pour les faire finir… Telle la dernière fresque de Carlyle, l’une des plus belles à peindre pour un homme si préoccupé, j’oserais même dire si affolé, si timbré de réalité et de vie.
C’était alors un beau, aux cheveux noirs, tel qu’on se représente le fougueux pasteur de l’Oaristys d’André Chénier. […] IV Il n’était que cela, — et je m’en doutais bien un peu, mais je ne l’avais pas vu avec cette évidence que je dois à M. d’Héricault… On a beau se rappeler le mot d’Oxenstiern sur la médiocrité de ceux qui gouvernent les hommes pour s’expliquer la toute-puissance et la popularité de Robespierre et l’écrasement de tous ses rivaux de pouvoir, qui avaient des facultés d’esprit dix fois plus éclatantes que les siennes et des âmes vingt-cinq fois plus hautes, on a peine à croire que le monde ait été — ne fût-ce qu’une heure ! […] Les plus belles, les plus nobles imaginations de ce siècle furent ébranlées et éblouies par le sang, — cette pourpre qui éblouit quand il s’agit de juger celui qui le verse, — et qui fut versé par ce lâche et ce sot.
Mettons pour Hegel, qui est le plus fort de tous ces Allemands, mettons quelque chose comme quatre-vingts à cent ans d’influence malsaine sur le monde, quelque chose comme la beauté de Ninon qui, vieille, fit des conquêtes, jusqu’à l’épée dans le ventre, car on se tua pour ses beaux vieux yeux chargés de tant d’iniquités. […] Dans son Introduction, trop courte, et dans ses belles notes, dont il a presque doublé les beaux volumes de la Logique, il rapporte tout, explique tout et consent tout, avec une docilité et une fidélité égales.
II Jamais on n’a été tenté… et trahi par un plus beau sujet : l’Histoire de l’intelligence. […] rien de plus simple et de plus beau. […] Taine, dans l’intérêt de son esprit et de sa renommée, de retourner à cette traduction de Shakespeare dont il nous a donné un jour de si beaux fragments.
Mais, si majestueuse qu’elle ait été, cette sécurité, elle pourrait bien être trompée, et même voilà précisément ce qui la rend si belle, c’est d’être trompée ! Qu’y a-t-il de plus beau, en effet, que d’écrire bravement ce qu’on croit être la vérité, et de l’écrire pour soi et pour elle, sans se préoccuper de ce que les autres en penseront ? […] Une des plus belles parties du livre en question est l’histoire de ce sens commun et moral que l’auteur appelle : « la philosophie de tout le monde », mais qui n’est la philosophie de tout le monde que quand nulle autre philosophie ne l’a dépravé.
Tous livres auxquels on peut dire : « Vous n’êtes pas de bien beaux masques, mais c’est égal, je vous connais ! […] Hector Malot, qui est la Leone Leoni en femme, a-t-elle sur sa figure, morale ou physique, un signe quelconque, grand comme une mouche, qui la distingue de toutes ces plates drôlesses qui sont partout et pour lesquelles on s’est épuisé d’invention quand on a dit qu’elles étaient belles comme Antiope, dans leur crinoline ? […] Mais si le Don Quichotte, malgré le génie de Cervantès et les épisodes qui sont la plus belle partie de son livre, est un livre monotone, d’une gaieté de muletiers, ayant toujours le même goût d’ail et de proverbe, que dire de la grosse plaisanterie du Docteur Mathéus, bien moins acre et bien moins renouvelée ?
cet Athénée, vieillard aujourd’hui, se meurt ; mais au lieu de mourir de sa belle mort et en vieillard du xviiie siècle qu’il est, il a recours aux charlatans. […] Et tous les lundis, quand il n’y a pas concert ou même entre deux musiques, devant de belles dames auteurs, on voit monter en chaire quelqu’un comme M.
Montausier est sans contredit le plus beau caractère qui ait jamais étonné une cour corrompue. […] Boileau regardait son suffrage comme le plus honorable qu’il pût obtenir ; Molière a emprunté son caractère plusieurs des beaux traits de son Misanthrope.
On connaît la belle allégorie de Schopenhauer : « Deux choses étaient devant moi, deux corps pesants, de formes régulières, beaux à voir.
Aussi faut-il suivre dans le récit, ses ripailles perpétuelles, ses incessantes invitations à la coupe, « ha buvons », ses festins de gros mangeur quand il a conquis à la guerre un château et des biens : « Il se ruinait en mille petits banquets joyeux et festoyements, ouverts à tous venants, mêmement à tous bons compagnons, jeunes fillettes et mignonnes galloises, abattant bois, prenant argent d’avance, mangeant son bled en herbe. » Ces belles bombances ne ressemblent ni au fastes de Timon d’Athènes, ni aux réceptions du vieux Capulet. Panurge a beau s’être frotté aux nobles et aux écoliers, il est resté bohême de petite race, de probité variable, avec la lâcheté égayée d’impudence des Scapin, et rancunier par surcroît, comme le démontre l’épisode de Dindenaut et de ses moutons, « lesquels tous furent pareillement en mer portez et noyez misérablement. » Mais sous cet air d’aigrefin, Panurge cache l’âme la plus libre et la plus railleuse.