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1674. (1920) Action, n° 3, avril 1920, Extraits

Ecrire quatre pages sur les mathématiques en les qualifiant de jeunes vierges n’est pas la preuve d’une insignifiante personnalité, envoyer Dieu écorcher un adolescent dans un « lupanar » et faire raconter cette « atrocité » par un cheveu oublié ne serait peut-être pas venu à l’esprit de Leconte de Lisle, mais n’importe quel gilet-rouge français, avant 1830, avait employé Satan à arracher les yeux d’un nombre long de pâles jeunes filles, et écouté leur âme bianchissime lamenter cette abusive exophtalmie, Lautréamont, le premier, raya Satan et âme, et écrivit au-dessus Dieu et cheveu. […] Comme autrefois pour juger toute conception ou théorie nouvelle on se demandait tout d’abord si elle était faite pour condamner l’homme à la perte de son âme, ainsi, en jugeant les conceptions et théories modernes, il serait utile de se poser la question si elles sont capables ou non de condamner l’homme à la perte de sa raison. […] Le paradoxe des prophètes trouve sa justification dans l’âme de Saint-Louis : le lion sommeillait à côté de l’agneau. […] Toulet (Emile Paul). — Rien de savoureux comme les romans gaillards perpétrés par des littérateurs à l’âme un tant soi peu tabellionneac. […] Il ressemble physiquement aux humains et peut se confondre avec eux, mais son âme pacifique, logique, humaine, se débat au milieu des absurdités qui sont la trame même de la vie guerrière.

1675. (1896) Les époques du théâtre français (1636-1850) (2e éd.)

mais c’est aussi qu’à vrai dire, n’y ayant pas de « terrain », si je puis ainsi parler, ou de milieu plus favorable au développement des passions que l’âme des grands de ce monde, il n’y a donc pas non plus d’âmes plus tragiques. […] Là encore, dans l’âme d’une Cléopâtre, d’un Mithridate ou d’une Agrippine, — et là seulement peut-être, — l’ambition se déchaîne en toute liberté. […] Ils ne manquaient pas, remarquez-le bien, dans Horace ni dans Cinna, ou plutôt ils en faisaient l’âme ! […] de quel souvenir viens-tu frapper mon âme ! […] Ou bien encore, si nous faisions lutter, dans l’âme de notre hypocrite, ses intérêts et sa sensualité, sa politique et ses appétits ?

1676. (1857) Réalisme, numéros 3-6 pp. 33-88

Mais il a voulu faire une âme ! […] ô prés, nature où tout s’absorbe en un, le parfum de la fleur est votre petite âme, et l’âme de la femme est votre grand parfum. » (Où est Dorat ?) […] Aucun souci, aucune mauvaise pensée ne troublent leurs âmes. […] la versification, si c’est cela que vous entendez par poésie, et non cette fleur de l’âme qui s’épanouit en gerbe dans notre esprit de la vingtième année, oh ! […] pour le poète des Harmonies qui abreuva notre âme de volupté !

1677. (1903) La vie et les livres. Sixième série pp. 1-297

Cette déposition d’un diplomate volontiers psychologue, jette parfois une vive lumière en des âmes obscures, que nous connaissons mal. […] A-t-on assez disserté sur l’âme douloureuse des cathédrales ! […] Mais la population de l’Alsace-Lorraine dépasse de 750 000 âmes la population de la Savoie et du comté de Nice ! […] L’air salubre des grands espaces leur a nettoyé l’âme et les a prédisposés à des occupations dignes de leur âge. […] Mais je suis sûr qu’un de nos grands écrivains découvrira l’âme d’une race inconnue et d’une patrie inexplorée.

1678. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Parny poète élégiaque. » pp. 285-300

à un certain moment, si vous la lisez avec attention, un étrange sentiment se laisse apercevoir : Elle me confondait avec sa propre vie, Voyait tout dans mon âme ; et je faisais partie De ce monde enchanté qui flottait sous ses yeux… Avant moi cette vie était sans souvenir… Et la comparaison développée du beau cygne qui trouble une onde pure dans un bassin, ne voyez-vous pas comme il la caresse ? Ainsi, quand je partis, tout trembla dans cette âme ; Le rayon s’éteignit ; et sa mourante flamme Remonta dans le ciel pour n’en plus revenir… Ce sentiment qui se trahit dans le détail et qui respire dans tout l’ensemble, c’est une singulière complaisance du poète à décrire le mal qu’il a causé, et cette complaisance, à mesure qu’on avance dans la lecture, l’emporte visiblement sur la douleur, sur le regret, au point de choquer même la convenance. […] Que devenir en effet, que faire, en avançant dans la vie, quand on a mis toute son âme dans la fleur de la jeunesse et dans le parfum de l’amour ?

1679. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Rodolphe Topffer »

Ainsi, heureux et sage, la célébrité n’avait introduit aucune agitation étrangère dans sa vie, aucune ambition dans son âme. […] Ce qui redoublait son zèle en réjouissant son âme, c’était de voir que la nouvelle école de paysage, florissante à Genève, marchait hardiment dans cette voie dont il avait été, lui, comme un pionnier infatigable : cette haute couronne alpestre si belle de simplicité, de magnificence et de grandeur, il lui semblait qu’un art généreux, en la reproduisant, allait en doter deux fois sa patrie. […] Mais bientôt cette dernière diversion cessa ; et dès lors, durant les mois et les semaines du rapide déclin, il n’y aurait plus à noter que les délicatesses de son âme toujours ouverte et sensible à tout, les soins tendrement ingénieux d’une admirable épouse, la sollicitude unanime de tout ce qui l’approchait, jusqu’à ce qu’enfin à son tour, accompagné de la cité tout entière qui lui faisait cortége, ce qui restait de lui sur la terre s’achemina, le 11 juin, vers cette dernière allée de grands hêtres qui mènent au Champ du repos .

1680. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — II »

Or l’humanité, dans le sens où il l’entend, l’humanité, collection et succession de tous les individus humains, n’a pas d’âme, n’a pas de vie antérieure, n’a pas de vie ultérieure ; elle n’a qu’un développement historique ; ce qu’on peut entendre par sa destinée ne saurait signifier relativement à elle ce que signifie le mot de destinée appliqué à l’homme. C’est nous donner le change et se payer de mots, que d’identifier le problème de la destinée de l’humanité avec celui de la destinée du moi ; la métaphysique et la psychologie ne détermineront pas l’histoire ; l’individu quelconque, s’observant isolément d’après la méthode expérimentale appliquée aux faits de conscience, n’atteindra que certaines formes constantes de sa nature, certains éléments abstraits de son esprit ; il n’acquerra que des probabilités éloignées sur l’immortalité de son âme, et il ne sera nullement en droit ni en mesure de conclure de là au développement de l’espèce à travers les siècles, à l’explication de sa perfectibilité croissante, de son émancipation progressive, de ses conquêtes au sein de la nature ; à la prédiction de son avenir sur cette terre ; pas plus que le chimiste habile qui aurait décomposé et analysé une portion du lobe gauche ou droit du cerveau humain, qui aurait vu certains gaz se sublimer et certains sels se déposer, ne serait en mesure ni en droit de conclure de cette décomposition morte à la loi physiologique du règne animal et de ses évolutions organiques. […] Quand elle se hasarde à des inductions sur l’avenir de l’homme, ce ne sont que des inductions sur l’avenir du moi, et ces inductions supposent toujours que la dernière grande évolution sociale est accomplie en ce monde ; c’est toujours d’après cette hypothèse que la psychologie s’enquiert des conséquences probables de destinée personnelle auxquelles l’individu est sujet, et dans cette recherche elle ne sort pas un seul instant du point de vue chrétien ; elle se pose l’âme comme substance distincte de la matière, Dieu comme un pur esprit, et l’autre vie comme n’étant pas de ce monde.

1681. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre premier. De la première époque de la littérature des Grecs » pp. 71-94

Elles autorisaient la vengeance, la colère, tous les mouvements impétueux de l’âme. […] Tous les hommes, sans doute, ont connu les douleurs de l’âme, et l’on en voit l’énergique peinture dans Homère ; mais la puissance d’aimer semble s’être accrue avec les autres progrès de l’esprit humain, et surtout par les mœurs nouvelles qui ont appelé les femmes au partage de la destinée de l’homme. […] Il aimait la liberté, comme assurant à tous les genres de plaisirs la plus grande indépendance ; mais il n’avait pas cette haine profonde de la tyrannie, qu’une certaine dignité de caractère gravait dans l’âme des Romains.

1682. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre I. Origine des privilèges. »

Au pain du corps ajoutez celui de l’âme, non moins nécessaire ; car, avec les aliments, il fallait encore donner à l’homme la volonté de vivre, ou tout au moins la résignation qui lui fait tolérer la vie, et le rêve touchant ou poétique qui lui tient lieu du bonheur absent. […] Légende divine, d’un prix inestimable sous le règne universel de la force brutale, quand, pour supporter la vie, il fallait en imaginer une autre et rendre la seconde aussi visible aux yeux de l’âme que la première l’était aux yeux du corps. […] En fait d’œuvres littéraires modernes, l’état de l’âme croyante au moyen âge a été parfaitement peint par Henri Heine dans le Pèlerinage à Kevlaar, et par Tourguenef dans les Reliques vivantes.

1683. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre III. Poésie érudite et artistique (depuis 1550) — Chapitre I. Les théories de la Pléiade »

Beaucoup cherchèrent alors à traduire dans des vers les hautes conceptions de leurs intelligences, les inquiétudes profondes de leurs âmes : à leur raffinement, à leur obscurité, à leur laborieuse aversion du vulgaire naturel, on serait tenté de ne voir en eux que la « queue » des grands rhétoriqueurs. […] Donc il ne la formera pas sur le goût d’un public ignorant et léger : il bravera, s’il le faut, le ridicule ; mais il écrira ce qu’il doit écrire, conformément aux grands modèles et au sentiment de son âme. […] De là vient cette stupéfiante Préface de la Franciade, où, précisant le retentissant appel de Du Bellay, il enseigne à faire le pillage méthodique des trésors de l’antiquité, à mettre les Grecs et les Romains en coupe réglée ; où l’imitation se fait un décalque servile, matériel, irraisonné ; où sans plus regarder la nature, sans entrer non plus en contact avec l’âme des anciens, on leur arrache ce qu’ils ont d’extérieur, de relatif, de local.

1684. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre II. La critique »

Ces Lundis sont une incohérente collection d’âmes individuelles : Sainte-Beuve ne s’emprisonne pas dans la littérature ; il suffit qu’un homme ou une femme ait écrit quelques lettres, quelques lignes, pour lui appartenir : le général Joubert aussi bien que Gœthe, et Marie Stuart avec Mlle de Scudéry ; généraux, ministres, gens de lettres et gens du monde, français, anglais, allemands, toutes sortes d’individus l’arrêtent ; il extrait de leurs accidents biographiques toutes les particularités psychologiques et physiologiques qui les définissent en leur unique caractère. […] Sainte-Beuve a donné — rien de plus, rien de moins — d’étonnantes biographies d’âmes. […] Il y a des morceaux de toute la nature, et je ne sens pas la nature, la vie de la nature, comme les apportent parfois les impressions irraisonnées d’une âme.

1685. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Joséphin Soulary »

Nous apprenons que les plaintes du cuivre « font courir un frisson qui tient l’âme debout »  et « qu’en vain nous déplaçons l’amer levain du souci notre hôte ». […] L’âme, le corps et la mort, tout simplement. L’âme et le corps se chamaillent en style familier et bourgeois, comme pourraient faire M. et Mme Denis sur l’oreiller conjugal.

1686. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXVI » pp. 279-297

Le nouveau bienfait qu’elle recevait, la confiance et l’estime dont ce bienfait était le témoignage, ne durent pas affaiblir la reconnaissance qu’elle avait gardée du premier, et le roi n’eut pas besoin de donner à ses paroles un accent d’affection extraordinaire pour accroître ce tendre sentiment dans l’âme de madame Scarron. […] Un directeur était un parasite, « jaloux d’obtenir le secret des familles, aimant à trouver les portes ouvertes dans les maisons des grands, à manger souvent à de bonnes tables, à se promener en carrosse dans une grande ville, et à faire de délicieuses retraites à la campagne, à voir plusieurs personnes de nom et de distinction s’intéresser à sa vie, à sa santé, et à ménager pour les autres et pour lui-même tous les intérêts humains…, couvrant tous les intérêts du soucieux et irrépréhensible prétexte du soin des âmes ». […] C’était pourtant au fond une âme assez basse, et pleine de vénération pour les grandeurs humaines ; d’ailleurs tracassier et processif.

1687. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre II. Le cerveau chez les animaux »

C’est dans ce chant que le grand poète expose les rapports de l’âme et du corps, la dépendance où l’une est de l’autre, l’influence de l’âge, des maladies, de toutes les causes extérieures sur les progrès, les changements, les défaillances de la pensée. […] L’âge, en fortifiant les membres, mûrit l’intelligence et augmente la vigueur de l’âme. […] N’est-il pas naturel que l’âme se décompose alors, et se dissipe comme une fumée dans les airs, puisque nous la voyons comme le corps naître, s’accroître et succomber à la fatigue des ans ? 

1688. (1873) Molière, sa vie et ses œuvres pp. 1-196

quelle âme grande et pure ! — Oui, c’est là le vrai mot que l’on doit dire sur lui : c’était une âme pure ! […] Il emprunta, pour répéter encore le mot, les costumes, mais il inventa et donna l’âme à ces personnages. […] Âme pure, s’écriait Goethe, et Goethe caractérisait d’un mot cette grande âme altérée d’amour et accablée de douleur. […] Pour de telles âmes, le mépris des hommes est d’ailleurs la plus grande des souffrances.

1689. (1856) À travers la critique. Figaro pp. 4-2

que d’efforts pour retenir les émotions de l’âme ! […] De ce rayon intangible, — l’âme humaine, — cette école ferait volontiers un bloc de pierre, afin de lui ciseler patiemment une immortalité visible et palpable. […] Théophile Gautier, comme écrivain et chef d’école, consiste à donner un corps à l’idée abstraite et, par contrecoup, une âme ou tout au moins une forme vivante à la matière. […] , sur le relâchement de la pieuse sollicitude dont on aurait pu enlacer, même de loin, cette âme égarée et vagabonde. […] Chaste anniversaire, fêté par deux âmes sous le regard attendri de Dieu !

1690. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre III. La Révolution. »

Car ils entendent et ils lisent ; la prière faite en langue vulgaire, les psaumes traduits en langue vulgaire, peuvent entrer à travers leurs sens jusqu’à leur âme. […] Voilà les âmes timorées et passionnées qui fournissent matière à la religion et à l’enthousiasme. […] On sort de là l’âme remplie de sentiments énergiques ; on a vu les objets eux-mêmes, tels qu’ils sont, sans déguisement ; on se trouve froissé, mais empoigné par une main vigoureuse. […] Sherlock, appliquant la psychologie nouvelle, invente une explication de la Trinité, et suppose trois âmes divines, chacune d’elles ayant conscience de ce qui se passe dans les deux autres. Stillingfleet réfute Locke, qui pensait que l’âme, à la résurrection, quoique ayant un corps, n’aura peut-être pas précisément le corps dans lequel elle aura vécu.

1691. (1923) Critique et conférences (Œuvres posthumes II)

et encore une fois, je vous le présente, ce « numéro », comme autrefois dans ce petit journal de combat, mort en pleine brèche, Lutèce, de tout mon cœur, de toute mon âme et de toutes mes forces. […] » Quelques bonnes âmes allèrent jusqu’à « croire que c’était arrivé », et il y eut même des critiques naïf ( ?) […] Mon âme aux quatre vents ne s’est pas défleurie. […] Barbey d’Aurevilly ne trouve dans tout cela que fatras, ennui, fausse érudition et manque d’âme. […] D’autant plus qu’il sait où et quand ce livre, où j’ai essayé de mettre toute mon âme et que la totalité des compétents a considéré comme tel, fut pleuré, souffert !

1692. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIIe entretien. Littérature politique. Machiavel (2e partie) » pp. 321-414

C’est le compelle intrare mal entendu de l’Évangile ; c’est le glaive fauchant comme une ivraie du monde tout ce qui adore Dieu autrement qu’elle ; c’est la foudre du pape-pontife lancée sur toute âme qui s’insurge contre l’autorité de sa foi. IV Dans cette disposition naturelle des premiers fidèles d’une religion révélée et militante pour conquérir l’Orient ou l’Occident, puis la terre entière, il est tout simple que les néophytes de cette religion, persécutés eux-mêmes, se soient dit : Le pouvoir est une force non-seulement sur les corps, mais sur les âmes ; rangeons les âmes sous la loi de notre culte par la force qui vient de Dieu ; donnons l’empire de la terre à ce chef de notre foi, qui dispose de l’empire du ciel. […] Un homme, digne par son caractère du nom de Washington vénitien, Manin, la gouverna pendant cette tempête par la seule autorité morale d’une âme plus grande que sa destinée. […] Le dictateur et le général inspirèrent leur âme aux Vénitiens ; ils combattaient pour l’honneur de la liberté plus que pour la victoire. […] Une commission militaire jugea rigoureusement les officiers coupables ; le roi Victor-Emmanuel confirma son abdication ; son frère, le duc de Génevois, devenu roi sous le nom de Charles-Félix, régna appuyé sur l’Autriche, plein de défiance contre le prince de Carignan son neveu, dont l’ingratitude ou la légèreté avait profondément aigri son âme ; il voyait en lui le premier conspirateur du royaume.

1693. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VII »

(252) D’au juste châtiment votre âme est trop émue ; Mais, croyez-moi, sur l’heure envolez-vous, Abandonnez la déesse déchue, Si vous voulez éviter mon courroux. (266) Il y a pas, en le voit, le moindre effort à créer en français quelque chose d’analogue au style de l’original. […] « Son image, en mon âme attendrie, éveille encore un vague émoi » (22)48. […] Naturellement, il est toujours question de « sainte majesté », de « femmes divines », d’« iniques sentences », de « laver l’outrage », de la « glace des âmes », des « plaines d’azur du ciel »… Nous retrouvons aussi tout le bataillon de nos vieux amis : l’heure d’ivresse, qui rime avec tendresse, les saphirs et les zéphirs, courroux et jaloux, les flammes et les âmes, les armes et les alarmes… Quant aux changements de sens qu’a subis le texte de Wagner en passant par les mains de M.  […] C’est Siegmund qui a l’âme attendrie et de vagues émois. […] Maintenant, Seigneur, prends mon âme !).

1694. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VII, seconde guerre médique. »

L’orgueil hellénique redressa son âme avilie, et le traître fit cette noble réponse : « Ô roi ! […] Cependant cette crainte aurait dû vous paraître indigne, à vous qui connaissez l’âme d’Athènes. […] On peut se figurer Eschyle si profondément oriental de nature et d’âme, plus aryen d’instinct que les Perses mêmes, ajoutant de nouveaux hymnes au Zend-Avesta, au lieu de faire pleurer Électre et blasphémer Prométhée. […] On peut convaincre par le raisonnement ou par l’enthousiasme l’âme d’une multitude intelligente et mobile ; aucune parole ne saurait percer la surdité d’une idole royale, invisible et inaccessible, dont l’arbitraire est l’unique loi. […] Le mot d’Homère sur l’homme, disant que « quand les Dieux le réduisent en esclavage, ils lui enlèvent la moitié de son âme », se serait étendu sur une race entière.

1695. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1864 » pp. 173-235

On aurait cru voir, en même temps, l’apothéose lumineuse de l’Action et le cadavre glacé de la Gloire sur cette toile tendue, dans ce champ de bataille éteint, où il semblait qu’on finissait par entendre germer le bruit d’une armée d’âmes, et par apercevoir comme un pâle chevauchement d’ombres, à l’horizon du trompe-l’œil. […] La peur m’était venue qu’il n’y eût, pour peupler les siècles, qu’un certain nombre déterminé d’âmes, — comparses défilant et repassant de monde en monde, ainsi que les soldats des armées du Cirque, de coulisse en coulisse. […] Comment la lâcheté de son âme saute-t-elle aux yeux des plus bêtes ? […] On dirait que le mensonge, dont leur mère a été obligée d’envelopper sa faute, leur est descendu dans l’âme. […] On est, comme si on avait jeté en avant de soi, de son âme et de sa cervelle.

1696. (1885) La légende de Victor Hugo pp. 1-58

On ne tint nul compte de la demande si pressante et si motivée du fidèle serviteur, qui pour se consoler, épancha son désappointement, dans une pièce de vers, où il traita Charles X de « roi-soliveau » et ses ministres de malandrins, qui « vendraient la France aux cosaques et l’âme aux hiboux ». […] En exil, pour plaire à son entourage, il pérora sur la liberté de la presse, de la parole et bien d’autres libertés encore ; cependant il ne détestait rien plus que cette liberté, qui permet « aux démagogues forcenés, de semer dans l´âme du peuple des rêves insensés, des théories perfides… et des idées de révolte ». […] Et cependant une foi ardente s’éveille subitement dans son âme, le jour même que le trône et l’autel, l’un supportant l’autre, sont replacés sur leurs pieds. […] « Il n’y a pas d’œuvre plus sublime, peut-être, que celle que font ces âmes (les religieuses). […] « Ajoutons que celui des testaments de Victor Hugo qui contient la clause d’un don de cinquante mille francs aux pauvres de Paris est tout entier écrit de sa main, qu’il est terminé et daté, mais non signé. » Donner 50 000 francs aux pauvres, même après sa mort, dépassait ce que pouvait l’âme généreuse et charitable de Victor Hugo.

1697. (1767) Salon de 1767 « Peintures — La Grenée » pp. 90-121

Et tu ne vois pas l’yvresse d’amour qui s’empare de cette jeune innocente, et tu n’ajoutes pas au désordre de son âme et de ses sens, le désordre de ses vêtemens ; et tu ne t’élances pas sur elle, dieu des filoux ! […] J’ai vraiment l’âme chagrine de voir un si beau faire, un moyen aussi rare, aussi prétieux, si propre à de grands effets, et réduit à rien. […] Il n’a ni âme ni entrailles. […] Point d’âme, point de goût, point de vie. […] C’est dans ce siècle et sous ce règne que la nation épuisée ne forme aucune grande entreprise, aucuns grands travaux, rien qui soutienne les esprits et élève les âmes.

1698. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre II. De la multiplicité des états de conscience. L’idée de durée »

Il n’en est plus de même si nous considérons des états purement affectifs de l’âme, ou même des représentations autres que celles de la vue et du toucher. […] Poser l’impénétrabilité de la matière, c’est donc simplement reconnaître la solidarité des notions de nombre et d’espace, c’est énoncer une propriété du nombre, plutôt que de la matière. — Pourtant on compte des sentiments, des sensations, des idées, toutes choses qui se pénètrent les unes les autres et qui, chacune de son côté, occupent l’âme tout entière ? […] D’autre part, on conçoit que les choses matérielles, extérieures les unes aux autres et extérieures à nous, empruntent ce double caractère à l’homogénéité d’un milieu qui établisse des intervalles entre elles et en fixe les contours : mais les faits de conscience, même successifs, se pénètrent, et dans le plus simple d’entre eux peut se réfléchir l’âme entière. […] Mais en réalité il n’y a ni sensations identiques, ni goûts multiples ; car sensations et goûts m’apparaissent comme des choses dès que je les isole et que je les nomme, et il n’y a guère dans l’âme humaine que des progrès. […] Un amour violent, une mélancolie profonde envahissent notre âme : ce sont mille éléments divers qui se fondent, qui se pénètrent, sans contours précis, sans la moindre tendance à s’extérioriser les uns par rapport aux autres ; leur originalité est à ce prix.

1699. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome II

Et qui peut avoir suggéré cette fausseté, cette déloyauté à une âme aussi noble que celle d’Andromaque ? […] Est-ce parce qu’ils ont tous deux l’âme assez noble, assez forte pour immoler à l’honneur et au devoir la plus violente des passions ? […] seigneur, est-ce ainsi que votre âme attendrie Plaint le malheur des Grecs et chérit la patrie ! […] Comment un littérateur aussi éclairé a-t-il pu fermer les yeux sur la nécessité de ce caractère sublime, l’âme de la pièce ! […] Ô grande puissance de la fable, qui change en un moment une âme insensible et dénaturée en un prodige de piété filiale !

1700. (1828) Introduction à l’histoire de la philosophie

Sans doute les idées sont obscures aux sens, à l’imagination et à l’âme : les sens ne voient que les objets extérieurs auxquels ils se prennent ; l’imagination a besoin de représentations, l’âme de sentiments. […] C’est là l’analyse appliquée à l’âme, c’est-à-dire d’un seul mot, l’analyse psychologique. […] Ce serait de votre part un idéalisme un peu extraordinaire ; j’imagine que vous croyez avec tout le monde que l’âme est distincte, mais non pas absolument indépendante du corps. […] L’âme tout entière passe dans l’action avec ses puissances les plus diverses. […] Qu’est-ce alors que l’âme ?

1701. (1805) Mélanges littéraires [posth.]

Je m’explique ; le mot douleur, par exemple, s’applique également dans notre langue aux peines de l’âme et aux sensations désagréables du corps : cependant la définition de ce mot ne doit pas renfermer deux sens à la fois, c’est là ce que j’appelle le sens vague, parce qu’il renferme à la fois le sens primitif et le sens par extension : le sens précis et originaire de ce mot désigne les sensations désagréables du corps, et on l’a étendu de là aux chagrins de l’âme, voilà ce qu’une définition doit faire bien sentir. […] Pourquoi ces mêmes vers ont-ils ensuite été employés à exprimer les sentiments d’une âme contente ? […] Être éloquent, comme je l’ai dit ailleurs, c’est faire passer avec rapidité et imprimer avec force dans l’âme des autres, le sentiment profond dont on est pénétré. […] La persuasion intime de la vérité qu’on veut prouver, est alors le sentiment profond dont on est rempli, et qu’on fait passer dans l’âme de l’auditeur. […] Nul discours ne sera éloquent s’il n’élève l’âme : l’éloquence pathétique a sans doute pour objet de toucher : mais j’en appelle aux âmes sensibles, les mouvements pathétiques sont toujours en elles accompagnés d’élévation.

1702. (1895) Nouveaux essais sur la littérature contemporaine

Quel de l’existence de votre âme ? […] Cette âme qui a pénétré dans la mienne par ses sentiments ? […] Avons-nous une âme ? […] C’est qu’il avait l’âme noble et naturellement haute. […] Paul Bourget mêle ensemble la description des lieux et l’analyse aiguë des états d’âme de ses personnages.

1703. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) «  Essais, lettres et pensées de Mme  de Tracy  » pp. 189-209

M. de Tracy perdit Mme de Tracy le 27 octobre 1850, et, dans son culte pieux pour sa mémoire, il a cru devoir recueillir, selon qu’elle l’avait désiré, quelques-uns des écrits où elle mettait de sa pensée et de son âme : c’est un portrait de plus, et le plus vivant, qu’il a voulu que les siens eussent toujours présent devant les yeux. […] Ma première pensée en me livrant à l’étude des Pères de l’Église après le mariage de mes filles, a été la curiosité de savoir ce qu’ils avaient dit de l’âme, eux qui ne cherchaient point avec les mains cette âme dont l’existence immortelle rend l’homme excusable de croire que le monde tout entier a été créé exprès pour lui. […] Dans la société, dans la haute société surtout, qui a ses habitudes impérieuses et ses exigences, beaucoup de choses se sont envolées des âmes, la sincérité, la candeur, la joie, l’imagination, le sentiment vif de la vérité : Mme de Tracy avait gardé en elle quelque chose de ces trésors.

1704. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid (suite.) »

Va-t’en, honte de mon sang. » Mais lorsqu’il en vient à Rodrigue à qui il fait plus que de serrer la main, puisqu’il lui mord un doigt, voyant le rouge lui monter au front et sa douleur s’exhaler par la menace et la colère, il l’appelle « le fils de son âme », et lui confie le soin de sa vengeance ; il croit devoir lui expliquer en même temps, par manière d’excuse, pourquoi il s’est adressé à ses cadets avant lui : « Si je ne t’ai pas appelé le premier, c’est que je t’aime le mieux. […] La musique seule serait capable de bien rendre ce qui se passe, à ce moment, d’orageux, de contradictoire et de déchirant dans l’âme de Rodrigue. […] Privilège d’une belle âme pure restée jeune ! […] Restée seule avec Elvire, ou se croyant seule, Chimène ouvre alors toute son âme et exhale toute sa peine : « La moitié de ma vie a mis l’autre au tombeau ! 

1705. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Essai de critique naturelle, par M. Émile Deschanel. »

Combien y aura-t-il dorénavant de ces âmes, comme celle de M.  […] Ses yeux vous en diront plus que ces pages, dans lesquelles cependant j’ai recueilli pour vous la fleur de l'âme des plus doux génies. […] Votre âme se fond à son sourire. […] On lui donne la naissance, et il vous la rend ; car il fait renaître votre âme de ses cendres, de ses débris… Il la ranime, il la recrée, il la transporte… Avec ses petits cris d’oiseau joyeux, il semble lui donner des ailes.

1706. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le Général Franceschi-Delonne : Souvenirs militaires, par le général baron de Saint-Joseph. »

Je ne crois rien m’exagérer, mais ce récit naturel, qui d’une part nous montre des populations exaspérées, fanatisées, sauvages, des chefs et des gouverneurs timides et obligés de hurler avec la populace, de peur de la voir se déchaîner ; qui, d’autre part, nous fait entrevoir des âmes humaines comme il s’en rencontre partout, des cœurs pétris d’un meilleur limon et qui s’attendrissent au spectacle des peines et des souffrances de leurs semblables ; ce récit, sans y viser, a quelque chose de pathétique et de tout à fait virgilien : « Au coucher de la lune, l’obscurité devint profonde ; les guérillas perdirent toute trace de chemin et nous surveillèrent de plus près. […] Le crayon fut offert au général qui, revenant à ses premiers goûts, se mit à tracer aussitôt sur les murs de sa chambre des dessins pleins d’âme et de talent. […] Ces mots brisèrent mon âme, ma joie disparut ; il me sembla que je ne partais plus, et je n’éprouvai d’autre émotion de plaisir, en lisant la lettre de ma sœur, écrite de Saragosse, que celle d’avoir des nouvelles de ma famille et d’apprendre qu’elles étaient satisfaisantes, J’essayerais en vain de décrire les combats continuels qui, pendant les deux jours que je restai encore dans l’Alhambra, s’élevaient dans mon cœur. […] Avant tout, le hasard et la bizarrerie des destinées ; cette fatalité « qui préside aux événements de notre vie, qui paraît dormir dans les temps calmes, mais qui, dès que le vent s’élève, emporte l’homme à travers l’air comme une paille légère » ; les premiers succès, l’entrain du début, les heures brillantes de la vie, les espérances déjà couronnées ; puis les revers, les lenteurs, les mécomptes, les difficultés tournant à la ruine ; la prison, la souffrance, une épreuve sans terme ; une longue agonie dans l’âge de la force ; une nature d’élite écrasée, victime et martyre des persécutions ; les haines aveugles des foules, les sauvages préjugés des races ; l’horreur des guerres injustes ; toujours et partout, çà et là, quelques âmes bienfaisantes et compatissantes ; notre pauvre humanité au naturel et à nu, en bien et en mal ; une belle mort enfin, délicate et magnanime.

1707. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Pierre Corneille »

Avec les années, il deviendra peut-être plus calme, plus reposé, plus mûr ; mais aussi il perdra en naïveté d’expression, et se fera un voile qu’on devra percer pour arriver à lui : la fraîcheur du sentiment intime se sera effacée de son front ; l’âme prendra garde de s’y trahir : une contenance plus étudiée ou du moins plus machinale aura remplacé la première attitude si libre et si vive. […] Corneille s’en montra reconnaissant au point de donner à son jeune ami le nom touchant de père ; et certes s’il nous fallait indiquer, dans cette période de sa vie, le trait le plus caractéristique de son génie et de son âme, nous dirions que ce fut cette amitié tendrement filiale pour l’honnête Rotrou, comme, dans la période précédente, ç’avait été son pur et respectueux amour pour la femme dont nous avons parlé. […] Le bon Corneille y manqua de mesure et de convenance ; il insista lourdement là où il devait glisser ; lui, pareil au fond à ses héros, entier par l’âme, mais brisé par le sort, il se baissa trop cette fois pour saluer, et frappa la terre de son noble front. […] Il avait mis toute sa vie et toute son âme au théâtre.

1708. (1887) Discours et conférences « Rapport sur les prix de vertu lu dans la séance publique annuelle de l’Académie française »

En 1870, elle revint à Lyon, rêvant d’une œuvre qui eût certainement fait reculer un esprit moins décidé et une âme moins vigoureusement trempée. […] Madame Gros profite de ce moment pour faire pénétrer dans cette âme inculte un germe d’amour-propre et un peu de honte sur sa tenue plus que négligée. […] Remercions madame Gros d’avoir fait revivre dans notre âge, devenu étranger aux grands secrets de l’âme, les merveilles de conversion qui semblaient réservées aux temps où la grâce vivante se promenait sur la terre avec ses trésors d’indulgence et de pardon. […] Je l’ai regretté ; peut-être, en nous entendant avec M. le curé de Saint-Germain-des-Prés pour la condition du catholicisme, aurions-nous pu mettre en repos l’âme de la pauvre fille et l’assurer que son petit ménage, auquel elle tenait tant, passerait entre les mains d’une personne partageant toutes ses idées et toutes ses vertus.

1709. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VII »

Caractère rigide, âme aimante ; la bonté tempère son austérité. […] C’est là un sentiment tiré du fond même de la « caverne », comme un philosophe a appelé l’âme humaine. […] Il y a même quelque chose de choquant dans l’idée sinistre du suicide conçu par une âme presque virginale. […] Tant il y a que le jésuite tient l’escroc de bonne compagnie, qu’il en fait son complice et son âme damnée, et le force de s’allier à lui pour marier l’héritière à son élève Adhémar.

1710. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE XIV »

Que nous importent les opinions de ce drôle sur Dieu et sur l’âme ? […] Tu nies l’âme, maraud ténébreux… et tu as raison, car tu n’en as pas. […] Octave est un garçon amolli par la paresse, dépravé par la vanité, naïvement vicieux et sans âme ; pas plus d’idée du devoir et de sens moral que dans la tête d’un brochet. […] N’ont-ils pas déjà charge de cette jeune âme que Dieu semblait leur avoir confiée ?

1711. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Huet, évêque d’Avranches, par M. Christian Bartholmèss. (1850.) » pp. 163-186

On avait peu de secours à attendre autour de soi ; il fallait de grands efforts et une rare vigueur d’esprit pour surmonter les obstacles, pour conquérir la science ; il fallait jusqu’à un certain point être inventeur, avoir le zèle et le génie de la découverte, pour devenir savant : Dans ces premiers temps d’obscurité et de ténèbres, ces grandes âmes (comme Huet appelle les savants de cette date primitive) n’étaient aidées que de la force de leur esprit et de l’assiduité de leur travail… Je trouve, disait-il spirituellement, la même différence entre un savant d’alors et un savant d’aujourd’hui, qu’entre Christophe Colomb découvrant le Nouveau Monde et le maître d’un paquebot qui passe journellement de Calais à Douvres. […] Huet naquit à Caen, en 1630, d’un père déjà vieillard, qui lui communiqua peut-être de ce tempérament rassis et de cette égalité d’âme qui le distingua dans toute sa longue vie ; d’une mère jeune, spirituelle, « d’une humeur charmante, d’un entretien enjoué, d’un esprit délicat et pénétrant, qui savait remarquer finement le ridicule des choses et des personnes ». […] Suivent quelques autres traits que je relève comme tenant au ton de l’homme et au caractère : Vous avez l’âme bonne à l’égard de Dieu, et vous êtes pieux sans être fort dévot. La bonté de votre âme est pour les autres aussi bien que pour Dieu, car vous êtes commode, point critique, et si peu porté à juger mal, que je crois que votre bonté pourrait même quelquefois duper votre esprit.

1712. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Gil Blas, par Lesage. (Collection Lefèvre.) » pp. 353-375

Du fond de cette province énergique et rude, d’où nous sont venus de grands écrivains, des novateurs plus ou moins révolutionnaires, les Lamennais, les Broussais, et un autre René, Alain-René Lesage nous arriva, mûr, fin, enjoué, guéri de tout à l’avance, et le moins opiniâtre des esprits : on ne trouverait quelque chose du coin breton en lui que dans sa fierté d’âme et son indépendance de caractère. […] On se dit « qu’une grande âme doit contenir plus de douleurs qu’une petite » ; et on ajoute tout bas qu’on pourrait bien être cette grande âme. […] C’est une ironie qui atteste encore une âme saine, une ironie qui reste, si l’on peut dire, de bonne nature.

1713. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « L’abbé Galiani. » pp. 421-442

Il est donc démontré que la très grande partie des hommes (et surtout des femmes, dont l’imagination est double) ne saurait être incrédule, et pour ceux qui peuvent l’être, ils n’en sauraient soutenir l’effort que dans la plus grande force et jeunesse de l’âme. Si l’âme vieillit, quelque croyance reparaît. […] » Par une contradiction qui n’est pas rare, cet épicurien, qui ne veut d’aucun des ressorts généreux en eux-mêmes et qui les décompose, a pour son propre compte l’âme noble, élevée, et toute la fierté de l’honnête homme. […] Je sais à présent quelles sont les personnes qui m’ont le plus intéressé à Paris ; dans les premières années je ne les distinguais pas. » Le jour où il perd Mme d’Épinay, ce jour-là seulement son âme se brise, sa vie parisienne est close ; le Galiani parisien meurt avec elle, le Galiani napolitain continue de végéter.

1714. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Condorcet, nouvelle édition, avec l’éloge de Condorcet, par M. Arago. (12 vol. — 1847-1849.) » pp. 336-359

cet homme dont Mlle de Lespinasse disait : « La figure de M. de Condorcet annonce la qualité la plus distinctive et la plus absolue de son âme, c’est la bonté » ; celui dont Grimm disait encore : C’est un très bon esprit, plein de raison et de philosophie ; sur son visage résident le calme et la paix ; la bonté brille dans ses yeux : il aurait plus de tort qu’un autre de n’être pas honnête homme, parce qu’il tromperait davantage par sa physionomie, qui annonce les qualités les plus paisibles et les plus douces… ; quoi ! […]  » Et il déclare ne pas avoir trop bonne idée « de ces gens qui font de grandes choses aux dépens de la justice. » Le point en quoi Condorcet se sépare de Turgot est ici très net et très sensible : nous touchons à l’anneau par lequel devra se briser entre eux la ressemblance et la similitude des âmes. […] On se demande ce qu’aurait ressenti à un pareil spectacle, à cette vue de son ami dégénéré, l’âme intègre et généreuse de Turgot. […] André Chénier, témoin des mêmes actes, et jugeant Condorcet dans la mêlée comme un transfuge de sa cause, de la cause des honnêtes gens, s’écriait : C…, homme né pour la gloire et le bien de son pays, s’il avait su respecter ses anciens écrits et su rougir devant sa propre conscience ; homme dont il serait absurde d’écrire le nom parmi cet amas de noms infâmes, si les vices et les bassesses de l’âme ne l’avaient redescendu au niveau ou même au-dessous de ces misérables, puisque ses talents et ses vastes études le rendaient capable de courir une meilleure carrière ; qu’il n’avait pas eu besoin, comme eux, de chercher la célébrité d’Érostrate, et qu’il pouvait, lui, parvenir aux honneurs et à la fortune, dans tous les temps où il n’aurait fallu pour cela renoncer ni à la justice, ni à l’humanité, ni à la pudeur.

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