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1883. (1886) Le naturalisme

Ses romans sont pleins de théories, de réflexions et de déclamations : vertu, sensibilité, amitié et tendresse y sont comme chez elles. […] Tout en adorant la vertu, son héros, Saint-Preux séduisait une jeune fille dont les parents lui confiaient l’éducation. […] Fiévée, narrateur agréable, amusa le public avec des historiettes, et Ducray-Duminil conta à la jeunesse des évènements pathétiques, des romans où la vertu persécutée triomphait toujours en dernier ressort. […] L’opinion générale est que la moralité d’une œuvre consiste à montrer la vertu récompensée et le vice puni : doctrine insoutenable devant la réalité et devant la foi.

1884. (1925) Portraits et souvenirs

Voici la Vertu. […] Il crut à la vertu des mots. […] Ce n’est pas seulement le palmier tropical qui ombrage au cimier le blason littéraire du fils des Conquistadors, une rose de France y fleurit aussi, odorante et délicate, dont les racines n’ont rien perdu de leur vertu à se nourrir à un terrain plus chaud et plus ardent. […] Il leur en fait une vertu professionnelle.

1885. (1853) Portraits littéraires. Tome II (3e éd.) pp. 59-300

Eugène Sue ; mais il paraît que la réputation de romancier est loin de suffire au philosophe, et nous sommes dûment avertis par la préface de Latréaumont, que l’auteur, sans renoncer d’une façon irrévocable au système qu’il a professé jusqu’ici, croit cependant devoir suspendre ses hostilités contre les esprits candides qui confondent l’idée de bonheur et l’idée de vertu. […] Cette ignoble trahison, toutes ces têtes livrées au bourreau pour punir l’orgueilleuse vertu d’une jeune fille, font tache dans le récit, et compliquent tristement la marche de la tragédie. […] Si serein et si pur que soit le jour au milieu duquel nous apparaît l’avenir, nous pouvons nous abstenir de nous adorer ; la modestie n’a plus rien de messéant ni de pusillanime ; la conscience de notre mérite ne nous prescrit pas d’entonner un cantique en l’honneur de nous-mêmes ; tout en admirant dans un saint respect la splendeur de nos vertus, nous ne sommes pas forcés de fermer les yeux pour n’être pas éblouis. […] Guizot a raison, l’ambition est une belle et grande chose, une noble passion, une passion nécessaire ; c’est, pour les hommes d’État, un devoir, une vertu. […] Pour assister sans ennui à l’antithèse perpétuelle de la laideur corporelle et de la beauté morale, de la débauche et du dévouement, de la reine et du bourreau, de la prostitution et de la vertu, il faut ne pas aimer les sérieuses pensées, ou redevenir enfant, et l’oubli des ans n’est pas toujours facile.

1886. (1891) Esquisses contemporaines

Le centre du soleil n’est pas de la lumière, Le fond de nos vertus n’est pas de la vertu ! […] Ce n’est pas son stoïcisme qui lui permet de finir comme un stoïcien, c’est sa vertu. […] Les romantiques avaient conçu l’âme excessive et superbe, ils avaient jeté sur elle d’amples et flottantes draperies, ils l’avaient parée de vertus royales, ils l’avaient dotée d’inspirations héroïques et grandioses. […] Corrompue et affaiblie, la société s’écroule sous d’immenses catastrophes ; la herse de fer des révolutions brise les hommes comme les mottes d’un champ ; dans les sillons sanglants germent les générations nouvelles ; l’âme éplorée croit de nouveau ; elle reprend foi à la vertu ; elle retrouve le langage de la prière.

1887. (1922) Le stupide XIXe siècle, exposé des insanités meurtrières qui se sont abattues sur la France depuis 130 ans, 1789-1919

La fabrication du pain est une science, et qui implique une connaissance approfondie de la fermentation et de ses vertus, bien avant Pasteur. […] Un laid moyen lui paraît plus utile, donc plus souhaitable, que le beau véritable, et ses hardiesses philosophiques (vertu et vice comparables au sucre et à l’alcool, etc.,) sont à pleurer. […] L’auteur du Demi-monde, de Monsieur Alphonse, de Francillon, etc., ne se rend pas compte du mauvais service qu’il rend à la vertu (d’un abord déjà assez difficile, par la surveillance de soi qu’elle exige) en la faisant, par-dessus le marché, involontairement comique. […] C’est en raison même de cette vertu qu’il a été tenu sous le boisseau par toute l’école historique révolutionnaire triomphante, avec une vigilance unique. […] Il ignore résolument l’humilité, cette vertu suprême et qui tend à ses rares adeptes la clé des deux univers, l’intime et l’extérieur.

1888. (1878) Nos gens de lettres : leur caractère et leurs œuvres pp. -316

. — La vertu de Célimène. — Casuistique féminine […] Il est gardé par la vertu de Célimène. Vous la connaissez, cette étrange vertu, faite de distinctions mille fois plus subtiles et spécieuses que les distinguo de l’ancienne scolastique. […] Mais il demeure sans paroles, fou de surprise et de douleur, devant la « vertu » de cette femme qui ne pourrait se réhabiliter que d’une façon : en ayant le courage de l’adultère. […] Le dénouement de la Vertu de Célimène serait-il une concession, une caresse au public qu’a formé Scribe ?

1889. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — II. (Suite.) » pp. 346-370

Il faudrait voir, en bien d’autres détails, comme il était réellement épris et enthousiaste de la gloire, de la vertu du premier consul à cette époque, comme il luttait de toutes ses forces et avec passion contre l’influence de Fouché en laquelle il dénonçait un danger, et, qui pis est, une souillure pour la réputation immaculée du jeune chef d’empire.

1890. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. NISARD. » pp. 328-357

On a dit de quelqu’un : Il a toutes les vertus qu’il affecte.

1891. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « PENSÉES FRAGMENTS ET LETTRES DE BLAISE PASCAL, Publiés pour la première fois conformément aux manuscrits, par M. Prosper Faugère. (1844). » pp. 193-224

Écoutez Pindare sur la richesse : à la manière dont il la célèbre, dont il la proclame l’astre glorieux et la vraie lumière des humains 67, on ne sait en vérité s’il n’en fait pas non-seulement l’accompagnement naturel et le cadre brillant des vertus, mais encore la condition et le moyen direct de la sagesse et de la félicité après la vie.

1892. (1892) Boileau « Chapitre IV. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » » pp. 89-120

De l’amour de la nature, le respect de l’antiquité tire à la fois son meilleur sens et sa plus salutaire vertu.

1893. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre II. La jeunesse de Voltaire, (1694-1755) »

Dans ces fameuses lettres se mêlent tous les éléments divers dont le voltairianisme se compose : revendication de la liberté de penser et d’écrire, souci de la prospérité matérielle et des commodités de la vie, curiosité littéraire, irréligion hardie, philosophie rationaliste, critique historique ou théologique, ironie qui exalte ici les vertus singulières d’une secte hérétique pour faire une niche à l’orthodoxie, et là crible indifféremment hérétiques et orthodoxes de traits meurtriers.

1894. (1868) Alexandre Pouchkine pp. 1-34

Le comte est avantageux, la dame très ennuyée de la vie solitaire qu’on l’oblige à mener : naturellement le diable vient les tenter ; mais la vertu triomphe, et le comte Nouline ne gagne, à vouloir faire le Tarquin, que quelques égratignures.

1895. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre douzième »

Un magistrat préside chaque école, et l’inspection générale de toutes les écoles est confiée, à titre gratuit, à un grand seigneur « des plus qualifiés. » Pour inciter la jeunesse à la vertu, Bernardin de Saint-Pierre voudrait qu’un Élysée fût créé dans une des îles de la Seine, plantée d’arbres exotiques.

1896. (1890) L’avenir de la science « XVIII »

L’esclave des comédies antiques est crapuleux et infâme ; il n’a que la bassesse pour se consoler ; il n’est pas susceptible de vertu.

1897. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre X. La littérature et la vie de famille » pp. 251-271

Je crois pourtant nécessaire de ne point passer outre sans ajouter qu’elle développe chez ceux qui s’y complaisent le goût d’une certaine simplicité de manières et de langage, la propension au ton moral et aux vertus bourgeoises, l’habitude d’exprimer ses sentiments intimes sans apprêt et sans crainte du détail terre à terre.

1898. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XIV, l’Orestie. — Agamemnon. »

Alors, Clytemnestre se laissa corrompre ; sa vertu se retira d’elle avec la Muse harmonieuse qui l’avait gardée.

1899. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — I. (Dialogues inédits.) » pp. 1-28

Nulle crainte, nulle honte ne troublera notre félicité : au sein des vrais plaisirs de l’amitié, nous pouvons parler de la vertu sans rougir.

1900. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre I. Le Bovarysme chez les personnages de Flaubert »

Mais, tandis que la faculté de se concevoir autre, exagérée en quelques individus, faisait de ceux-ci des personnages de drame ou de comédie et nous montrait des êtres que l’on pouvait croire exceptionnels, elle apparaît maintenant comme le mécanisme même en vertu duquel l’Humanité se meut, comme le principe funeste et indestructible qui la fonde et constitue son essence.

1901. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre VI. Le Bovarysme essentiel de l’humanité »

Mais cela ne leur suffit pas et ils veulent avoir encore le mérite de leur vertu et de leur bonheur.

1902. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préface des « Derniers Jours d’un condamné » (1832) »

Loin d’édifier le peuple, il le démoralise, et ruine en lui toute sensibilité, partant toute vertu.

1903. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre II. Des poëtes étrangers. » pp. 94-141

Le Tasse paroît sur-tout supérieur à Homere dont il semble avoir suivi les traces, par l’art de nuancer les couleurs, & de donner aux différentes espêces de vertus & de vices les traits qui leur sont propres & qui les distinguent le plus.

1904. (1913) La Fontaine « IV. Les contes »

Bien est-il vrai qu’auprès d’une beauté Paroles ont des vertus non pareilles ; Paroles font en amour des merveilles : Tout coeur se laisse à ce charme amollir… Une petite dissertation qui est initiale, qui commence le récit, plus frappante encore, plus nette, si vous voulez, au commencement, encore, de cet autre conte : Le jeune Amour, bien qu’il ait la façon D’un dieu qui n’est encor qu’à sa leçon, Fut de tout temps grand faiseur de miracles : En gens coquets il change les Catons, Par lui les sots deviennent des oracles, Par lui les loups deviennent des moutons.

1905. (1868) Curiosités esthétiques « IV. Exposition universelle 1855 — Beaux-arts » pp. 211-244

C’est là que ma conscience philosophique a trouvé le repos ; et, au moins, je puis affirmer, autant qu’un homme peut répondre de ses vertus, que mon esprit jouit maintenant d’une plus abondante impartialité.

1906. (1899) Le roman populaire pp. 77-112

Dégagés des coteries, des modes, des influences de clans, vous serez portés à regarder de plus vastes horizons ; vous sentirez renaître en vous la grande vertu de l’humanité, devenue votre inspiratrice et la marque de votre originalité. » Au commencement de novembre dernier, je me trouvais dans l’oasis de Damas, et le jour déclinait.

1907. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre III. De la nature du temps »

La mesure d’une chose est parfois révélatrice de sa nature, et l’expression mathématique se trouve justement ici avoir une vertu magique : créée par nous ou surgie à notre appel, elle fait plus que nous ne lui demandions ; car nous ne pouvons convertir en espace le temps déjà écoulé sans traiter de même le Temps tout entier : l’acte par lequel nous introduisons le passé et le présent dans l’espace y étale, sans nous consulter, l’avenir.

1908. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre III. La complication des sociétés »

Des divisions simultanées, en vertu desquelles un même citoyen appartient en même temps, par des côtés différents, à différents groupes, y sont la conséquence naturelle des divisions successives qu’elles ont supportées : leur complication résulte de leurs révolutions.

1909. (1938) Réflexions sur le roman pp. 9-257

Certes « elle s’enorgueillit d’être demeurée fidèle », mais aussi, continuant d’être la sage Pénélope, « comme elle était encore plus triste qu’avant le retour d’Ulysse, on croyait que cette tristesse lui venait de sa piété et qu’elle était convenable à sa vertu ». […] C’est presque un lieu commun que de dire que l’Anglais est un homme et l’Angleterre une nation pour lesquels la durée existe, possède une vertu propre, crée un droit, une vérité, une beauté. Il n’en a sans doute pas été toujours ainsi, mais la psychologie de l’Angleterre moderne, telle qu’elle ressort par exemple de ce pharisien de Macaulay (au moins aussi typique de l’autre côté du détroit que Thiers et que Michelet chez nous) et telle aussi que Taine l’a éprouvée poétiquement dans sa matinée d’Oxford, comporte comme une vérité la croyance à la durée et comme une vertu la soumission à la durée. […] Chevalley, « solidement assis la vertu du roman ». […] C’est une vertu nationale, à ne jamais sacrifier.

1910. (1890) Nouvelles questions de critique

La première vertu que l’on exige d’un menuisier n’est pas de savoir jouer du violon, c’est de connaître à fond son état de menuisier. […] Ils ont beau dire, ils ont beau croire peut-être eux-mêmes, ils en aiment surtout ce qu’elle a de moins littéraire, et ils l’admirent surtout pour ses imperfections, qu’ils appellent sa naïveté : novitas tum florida mundi  ; ou encore, d’un mot ingénieusement trouvé pour lui faire autant de vertus de ses défauts eux-mêmes, sa spontanéité. « Le moyen âge est une époque essentiellement poétique. […] Pour que Sainte-Beuve s’aliénât de lui-même, — ce qui n’est pas, il l’a lui-même plusieurs fois reconnu, la moindre des vertus du critique, — pour qu’il distinguât ses intérêts et ses idées, sa personne et sa fonction, il attendit que son nom fût devenu le rival des grands noms dont l’éclat plus vif avait jadis éclipsé le sien. […] En leur empruntant donc cette simplicité, cette profondeur, et cette universalité de sympathie qui les caractérisent, « l’art, comme on l’a dit, de faire aimer ce que l’on imite » ; et les vertus littéraires qui, de cette sympathie même, découlent comme de leur source, on fera seulement attention de ne pas les suivre jusqu’au bout ; de réserver, par exemple, jusque dans la fidélité de l’imitation, les droits au moins de la composition ; ou encore, de ne pas verser comme eux dans le sentimentalisme, et du sentimentalisme jusque dans le mysticisme.

1911. (1896) Les idées en marche pp. 1-385

Ce sont là vertus indispensables au polémiste. […] Il ne les a pas eus aussi soutenus et complets que son admirable talent le méritait, par cette ânerie bien connue des esprits étroits et que multiplient les assemblées ; ânerie qui consiste à douter qu’on puisse être poète et homme de gouvernement : « J’ai l’instinct des masses, écrivait Lamartine, voilà ma seule vertu politique. […] On devine l’intérêt qui s’attache à ces témoignages de jadis, frêles épaves parfumées que la vague du temps dépose à notre rive, la joie de retrouver à l’horizon du passé nos vertus et nos vices, nos attitudes, nos manies. […] Pour la première fois on nous offrait un ensemble de renseignements clairs et méthodiques sur ces contrées mystérieuses, ces sociétés si durables et caractérisées, ce puissant organisme qu’est le Céleste Empire ; un aussi grand corps vit en harmonie et en santé sur notre planète, à quelque distance de nous, alors que les maladies nationales, l’usure et la mort, paraissent la règle universelle : et nous n’irions point étudier le phénomène, profiter de ses secrets si simples, voir comme il se nourrit, comme il se vêt, comme il se reproduit et comment la somme des vertus l’emporte sur la somme des vices, ce qui garantit la durée !

1912. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VI : Difficultés de la théorie »

Lorsque nous observons un organe quelconque parfaitement adapté pour quelque habitude particulière, tel que l’aile d’un oiseau pour le vol par exemple, il faut nous rappeler sans cesse que les diverses formes organiques, qui ont servi de degrés de transition entre cet état de haute perfection et un état antérieur moins parfait, ne peuvent que par exception avoir subsisté jusqu’aujourd’hui ; car elles doivent, en général, avoir toutes été supplantées en vertu même du procédé de perfectionnement par sélection naturelle. […] D’après tout cela, on ne peut douter que les phénomènes lumineux observés chez certains animaux, de même que les phénomènes électriques constatés chez d’autres, ne soient le résultat des lois ordinaires et fondamentales des fonctions de la vie, et qu’ils peuvent être arrivés à se localiser avec une plus grande intensité dans certains états ou dans certains organes spéciaux de certaines espèces, par la vertu de la loi de sélection naturelle.

1913. (1888) Études sur le XIXe siècle

Aussi bien, le patriotisme n’est-il pas, comme la justice, la vertu, la gloire, une de ces « chimères sublimes et surhumaines » que les dieux avaient envoyées aux hommes pour les consoler de leur ennui, et dont l’influence bienfaisante a cessé depuis que les hommes leur ont « imprudemment préféré la Vérité ?  […] À son arrivée sur la terre il choisit les cœurs les plus tendres et les plus aimables des hommes généreux et loyaux entre tous, il pénètre pour quelques instants dans ces cœurs élus, les remplissant par sa présence d’une douceur si étrange et si délicieuse, leur inspirant des sentiments si élevés, une vaillance et une vertu telles, que ses favorisés éprouvent, pour un instant, chose inconnue jusque-là au genre humain, la réalité même et non l’apparence du bonheur. […] Il est vie, esprit, germe, ouragan, vertu, feu ; Car le mot, c’est le Verbe, et le Verbe, c’est Dieu. […] Elle les suit, les poursuit, les embrasse, les tourmente, se place sur leur chemin, couche devant leur porte, — et toujours en conservant sa vertu, quand bien même quelques-uns, gens peu délicats, auraient volontiers oublié, en faveur de sa beauté, qu’elle n’avait plus sa raison. […] Il faut faire de nécessité vertu, et se résigner à n’être toute sa vie qu’un honnête et paisible bourgeois de Turin.

1914. (1932) Les idées politiques de la France

La vertu de Fontaine, c’était, dans la lucidité paisible d’un technicien et l’intellectualisme méthodique d’un cartésien, un souci moral, une idée, une pratique du bien, et une sorte de religion sans dogme, mettons celle de la rue Visconti. […] Cette pensée qu’il y a une vertu propre dans la durée, que chaque génération apporte son ferment et son message, et que tout n’est pas dit, elle a été condamnée par l’Église lorsque le modernisme a voulu l’appliquer aux dogmes. […] Le mouvement de l’Avenir a, pour la première fois je crois, posé devant la hiérarchie, dans toute son étendue, ce problème de la jeunesse, de sa vertu et de sa fonction sociales : de jeunes clercs, mêlés au monde laïque, pris dans la fermentation d’une grande époque, prétendirent alors accorder l’Église à cette époque, l’appeler à un rôle et à des devoirs nouveaux, représenter une génération qui sait et fait ce que les générations antérieures ne savaient ni ne faisaient. […] Mais en le comparant aux Politiques et Moralistes de Faguet, livre d’ailleurs éminent, au Proudhon de Faguet si l’on veut, on saisit la différence entre cette vertu de sympathiser par le dedans, proche parente de l’histoire naturelle et du roman, chez l’auteur de Port-Royal, et la descente sans sympathie (voyez Lemaître chez Verlaine) de certaine critique d’en haut (du haut comme on disait à Genève) chez les irréguliers.

1915. (1929) Critique et conférences (Œuvres posthumes III)

. — Mais, c’est encore un de vos mérites, une de vos vertus, exclusives à vous, mais je vous aime et voilà mon rachat devant Dieu. […] Ici l’auteur déploie la même étonnante facilité pleine d’une savoureuse maîtrise, il n’y a pas moyen d’en disconvenir dès le premier charme éprouvé pour goûter les plus littéraires vertus de ces vers infiniment plus complexes, tout en restant exquisement naturels et mieux que naturels, qu’un lecteur superficiel n’en conviendrait. […] Sa charité était inépuisable et l’égale de ses autres vertus. […] Il est vrai qu’il mourut encore jeune, à cinquante-deux ans, enrichi par son dur labeur, rasséréné, après avoir reconquis, malgré les désordres de son existence, sa véritable personnalité, sa dignité, toutes les vertus qui devaient infailliblement être siennes, voué qu’il était, ou destiné, à cette même gloire que François Villon, poète moins marquant peut-être, mais déjà grand, conquit après une existence encore plus désordonnée.

1916. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre IV. Le mécanisme cinématographique de la pensée  et l’illusion mécanistique. »

Mais qu’un principe logique tel que A = A ait la vertu de se créer lui-même, triomphant du néant dans l’éternité, cela me semble naturel. […] Ce qui y paraît de nouveau sort d’une poussée intérieure qui est progrès ou succession, qui confère à la succession une vertu propre ou qui tient de la succession toute sa vertu, qui, en tous cas, rend la succession, ou continuité d’interpénétration dans le temps, irréductible à une simple juxtaposition instantanée dans l’espace.

1917. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite et fin). »

Vous avez l’accent du remords et de l’amour, du crime et de la vertu. » Talma avait fort à gagner, et surtout à lutter encore.

1918. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite et fin.) »

Les qualités morales d’Horace Vernet pourraient gagner à être observées à ce demi-jour des dernières années et du déclin ; mais le public, en général, demande moins à l’artiste des vertus que des preuves de talent, et l’instant est venu d’ailleurs de nous séparer de lui.

1919. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Son talent est comme sa vertu, sans une tache.

1920. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Mémoires »

Il la suivait, cette Sylphide, par les prairies, sous les chênes du grand mail, sur l’étang monotone où il restait bercé durant des heures ; il lui associait l’idée de la gloire. « Elle était pour lui la vertu lorsqu’elle accomplit les plus nobles sacrifices ; le génie, lorsqu’il enfante la pensée la plus rare. » Il y a à travers cela d’impétueux accents sur le désir de mourir, de passer inconnu sous la fraîcheur du matin. « L’idée de n’être plus, s’écrie-t-il, me saisissait le cœur à la façon d’une joie subite ; dans les erreurs qui ont égaré ma jeunesse, j’ai souvent souhaité de ne pas survivre à l’instant du bonheur.

1921. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre III »

Pour des gens qui veulent contrôler le pouvoir et abolir les privilèges, quel maître plus sympathique que l’écrivain de génie, le logicien puissant, l’orateur passionné qui établit le droit naturel, qui nie le droit historique, qui proclame l’égalité des hommes, qui revendique la souveraineté du peuple, qui dénonce à chaque page l’usurpation, les vices, l’inutilité, la malfaisance des grands et des rois   Et j’omets les traits par lesquels il agrée aux fils d’une bourgeoisie laborieuse et sévère, aux hommes nouveaux qui travaillent et s’élèvent, son sérieux continu, son ton âpre et amer, son éloge des mœurs simples, des vertus domestiques, du mérite personnel, de l’énergie virile ; c’est un plébéien qui parle à des plébéiens  Rien d’étonnant s’ils le prennent pour guide, et s’ils acceptent ses doctrines avec cette ferveur de croyance qui est l’enthousiasme et qui toujours accompagne la première idée comme le premier amour.

1922. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (4e partie) » pp. 81-143

Et le monde vous laissera mourir et tomber, parce que le monde laisse tomber et mourir tout ce qui n’est que l’égoïsme, tout ce qui ne représente pas pour le genre humain une vertu ou une idée.

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