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571. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 janvier 1886. »

Wagner lui-même a toujours qualifié Lohengrin d’opéra ; en 1851 pour la première fois, et à propos de l’Anneau du Nibelung, il a dit : « Je n’écris plus d’opéras : ne voulant pas inventer un nom arbitraire pour mes travaux, je les appelle des drames. » (IV, 417) (Plus tard, Wagner a protesté énergiquement contre la dénomination de « drame musical », qu’il trouve absurde, IX, 365.) […] Le travail ne put être repris qu’un an plus tard, et la partition exigea une année et demie environ (Glasenapp, Tappert). […] En 1847, Wagner écrit à un ami : « je doute de mes forces, bien plus que je ne me les exagère, et mes travaux actuels ne sont à mes yeux que des essais pour voir si l’opéra est possible » (Glasenapp, I, 232). […] Si l’harmonie est une science fermée, c’est-à-dire une science où les règles, posées une fois pour toutes, ont la valeur d’axiomes et ne sauraient être transgressées, Wagner doit être regardé comme un pitoyable harmoniste ; si, au contraire, elle a le droit d’étendre son domaine, et, sans gâter pour cela le plaisir exigé par l’oreille, de s’enrichir de conquêtes nouvelles, Wagner offre en ses travaux une matière digne d’intérêt. […] L’œuvre du Maître s’est depuis longtemps imposée à l’admiration des peuples voisins : notre Revue donnera une série de travaux sur le Wagnérisme en Allemagne, en Angleterre, en Belgique, en Russie, en Italie, aux États-Unis.

572. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « I »

Ainsi, sans interrompre aucunement nos travaux théoriques et historiques, nous promettons à nos lecteurs une critique assidue et hautement impartiale des grands faits wagnériens imminents, en même temps que des manifestations artistiques qui directement ou indirectement relèvent de la rénovation Wagnérienne. […] C’est un travail bibliographique qu’on nous présente sous ce titre, et il est fort intéressant, sans d’ailleurs faire double emploi avec aucun autre ouvrage relatif à Wagner. […] Quelques-uns de nos compatriotes venus l’été dernier à Bayreuth avec le dessein de rapporter de là un buste du maître, se heurtant à cette double difficulté, désespérèrent de rien trouver de satisfaisant, et c’est, paraît-il, dans ces conditions qu’ils demandèrent à M. de Egusquiza pourquoi il n’essaierait pas le même travail. M. de Egusquiza avait connu Richard Wagner ; il possédait ou put se procurer de nombreux documents photographiques : de retour à Paris il se mit à l’ouvrage, et si jamais travail fut fait avec amour, ce fut certes celui-là. […] Il fallait, pour accomplir ce travail, être l’habile et sérieux artiste et l’absolu wagnériste qu’est M. de Egusquiza.

573. (1863) Le réalisme épique dans le roman pp. 840-860

Il faut bien l’avouer cependant, le réalisme, comme le romantisme, est né d’un travail d’idées étranger à notre pays, et que nous avons plutôt dénaturé qu’élargi ou continué. […] Ce sujet étudié avec tant de soin, ce dessein obstinément suivi, ces travaux, ces recherches, ces voyages, ces lectures, tout cela ne se concilie guère avec le délire ou le charlatanisme. […] Ce n’est pas de la poésie, c’est un rapport officiel, un travail de statistique. […] A-t-il consulté directement ou par ses amis les travaux de l’érudition allemande ? […] Flaubert en ses mystiques litanies : « Selon que tu croîs et décroîs, s’allongent ou se rapetissent les yeux des chats » ; mais je sais, grâce aux travaux de Movers, qu’elle était bien la déesse de la lune, la reine des astres, la dominatrice des étoiles ; c’est à ce titre, Hérodien nous l’apprend, qu’elle fut mariée dans Rome même, et en grande pompe, sous les auspices de l’empereur Héliogabale, avec le dieu du soleil apporté de la Syrie.

574. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1870 » pp. 321-367

J’ai compris le secret de cette rage de travail, pendant les mois d’octobre et de novembre, et pourquoi je ne pouvais alors le faire lever de cette chaise, où, du matin à la nuit, sans relâche et repoussant le repos, la main à la plume, il peinait sur le dernier livre qu’il signerait. […] * * * Son métier, dont il a été longtemps préoccupé après sa cessation de travail, ne l’occupe plus ; ses livres sont pour lui, comme s’il ne les avait pas écrits. […] * * * M’interrogeant longuement, j’ai la conviction qu’il est mort du travail de la forme, à la peine du style. […] oui, c’est convenu, après cette vie de travail et de lutte, la paix du repos, c’est bien le moins qui lui soit dû ! […] C’est sur ce lit, pendant ses derniers mois de souffrance, de faiblesse, de maladresse, que je l’ai souvent aidé à s’habiller et à se déshabiller… Sur la table de nuit a été laissé le volume de Bescherelle, mis sous son oreiller, pour exhausser sa triste tête de mort ; les fleurs dont j’ai entouré son agonie sont séchées dans la cheminée, mêlées aux enveloppes bleues des bougies allumées sur sa bière ; et sur la table de travail, au milieu de lettres et de cartes de visite de la première heure, sont jetés pêle-mêle les livres de prières de Pélagie.

575. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1877 » pp. 308-348

« J’ai d’abord posé un clou, et d’un coup de marteau, je l’ai fait entrer d’un centimètre dans la cervelle du public, puis d’un second coup, je l’ai fait entrer de deux centimètres… Eh bien mon marteau, c’est le journalisme, que je fais moi-même autour de mes œuvres. » * * * — Chez quelques chirurgiens, leur travail de tous les jours, dans le muscle, dans la chair, leur apporte quelquefois le dégoût de la viande. […] » * * * — Un volume qui est sous presse, et qui n’a point encore paru, laisse son auteur, dans un état vague, dans une résolution singulière de l’activité et du travail. […] C’est la mèche de cheveux, que se coupe la femme turque, en son travail à la maison, le jour tombant, pour à défaut d’autre marque, arrêter et se remémorer la tâche de sa journée. […] Voici cinq mois qu’il travaille depuis quatre heures du matin jusqu’à huit heures, de neuf heures à midi, de deux heures à six heures, de huit heures à minuit : en tout vingt heures de pioche, auxquelles il faut ajouter trois heures de travail de sa femme. […] » * * * — Le boire et le manger me sont indifférents, le reste seulement plaisant, et il n’y a plus pour moi, en ces jours énervés comme des lendemains de migraine, il n’y a plus pour moi d’attachant dans la vie que le travail de la cervelle : l’architecture d’un morceau ou la ciselure d’une phrase.

576. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Sainte-Beuve » pp. 43-79

., ils valent infiniment moins sans doute aux yeux de la Critique qui, comme la Politique, ne voit que les faits accomplis ; mais les masses du travail de Sainte-Beuve sont si bien liées entre elles dans l’unité d’un même dessin que, quoiqu’elles ne soient pas toutes sorties, l’imagination de la Critique poursuit et discerne sans peine le contour de leur achèvement. […] Toute cette partie du travail de Sainte-Beuve est empreinte d’une grandeur morale qu’on est moins accoutumé à rencontrer en cet écrivain que ses qualités d’un autre ordre, précieuses aussi, mais moins relevées, et elles prouvent merveilleusement à quel point cette organisation, qu’on ne croyait que fine, pourrait devenir large et forte quand elle touche à des sujets grands. […] Seulement, pendant que l’on trifouille encore de partout la vie, le testament, les petits papiers de ce Tallemant des Réaux de la Critique, qui a mis au monde et à la mode les critiquaillons à petits faits et à petites histoires qui vont le montrer à la pointe de leurs aiguilles comme un insecte des plus curieux, nous voulons placer ici un mot définitif et littéraire et un jugement d’ensemble sur son esprit et ses travaux. […] refaisant, raturant, savetant, ajoutant de nouvelles impressions aux anciennes, à ses notes d’autres notes, fourmi de travail entassant fétus sur fétus, grains de poussière sur grains de poussière… Cela peut être intéressant à voir faire, mais assurément ce n’est pas là de la Critique, cette grande chose de mesure et de poids, de principes et de certitude. […] C’était là que la fourmi du travail aimait à piquer, mais pas pour sauver des colombes !

577. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Du docteur Pusey et de son influence en Angleterre »

Haïssables autant que jamais, dangereuses comme au premier jour, car la passion, éternelle comme l’homme, s’empare de l’erreur et s’en fait une arme dans la brutalité de ses desseins, elles ne sont plus cependant, ainsi qu’elles l’étaient autrefois, nécessaires de cette nécessité providentielle dont parle l’Évangile quand il dit ces graves paroles citées par saint Augustin : « Il faut qu’il y ait des hérésies (oportet hæreses esse), parce que ce sont les hérésies qui forcent la vérité à des démonstrations nouvelles. » Au contraire, ces filles de l’orgueil semblent avoir terminé le travail de contradiction que Dieu impose quelquefois à l’homme révolté dans l’intérêt de la vérité méconnue. […] Nous reviendrons dans ce travail sur la polémique qui s’engagea alors de tous les côtés, et, pour en faire apprécier l’esprit cruellement envenimé, nous en éclairerons quelques phases. […] Ces travaux curieux, ces espèces de statistiques, fort importantes, selon nous, en matière de prosélytisme, car on ne sait pas assez quelle influence la personnalité humaine exerce sur la personnalité humaine, et quelle puissante fascination c’est que l’exemple, nous n’avons point à les exposer. […] Les hommes comme Newman et Pusey ont, par leurs travaux théologiques, diminué les préjugés anglicans, et ils les diminuent encore : l’un par le magnifique exemple de sa conversion, l’autre par la pureté et la vertu de toute sa vie. […] Les travaux de Wesley se closaient en Angleterre en 1755, puisqu’alors il partait pour la Géorgie.

578. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XIII. »

Mais, nous le dirons, dans un tel travail, l’inégalité des œuvres est, pour ainsi dire, en proportion de leur ressemblance affectée : l’éclat éblouissant devient obscurité semée d’éclairs, la hardiesse, bizarrerie, et la grandeur, monstruosité. […] Dans les sciences qui dépendent surtout de l’observation et du temps, les esprits avancèrent, depuis Euclide et depuis Conon divinisant par une flatterie astronomique la chevelure de la reine Bérénice, jusqu’aux grands travaux d’Hipparque et de Ptolémée. […] Le second n’est pas seulement une surcharge lyrique du premier : on y sent aussi ce travail anonyme de la pensée morale dans un peuple. […] Plus tard, ce problème reviendra et s’éclaircira dans la pensée humaine, qui, sans faire Dieu l’auteur du mal, comprendra qu’il a dû le permettre sous ses deux formes extrêmes, la douleur et le vice ; car, sans cette double épreuve, les deux lois et les deux grandeurs de l’homme, le travail et la vertu, n’auraient plus où se prendre ici-bas. […] Et cependant les peuples en paix sont occupés de leurs travaux.

579. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

C’est là le travail de l’Esthétique. […] Quel sera donc le mobile de ces travaux exécutés en dehors de toute croyance, de toute émotion profonde ? […] Dès sa jeunesse, et tandis qu’il était encore à la tête de son établissement d’imprimerie, il avait fait des travaux de mécanique. […] N’est-ce pas dans cette division nécessaire des facultés et du travail qu’est la cause légitime de l’inégalité entre les hommes ? […] C’est vers ce but intellectuel que se dirigeait tout le travail de l’époque, comme il se dirigeait, dans l’ordre des faits, vers la Révolution.

580. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (3e partie) » pp. 5-96

Il se livre de nouveau à ses travaux de naturaliste : il parle avec un grand éloge du talent transcendant de M.  […] Le travail est un excellent moyen de triompher de la douleur. […] Il me dit : « Je me force au travail ; il le faut pour que je conserve le dessus, et que je supporte cette séparation subite. […] Nous étions contents, et nous parlâmes de divers travaux et projets. […] Dîné seul avec Goethe dans son cabinet de travail.

581. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « L’abbé de Bernis. » pp. 1-22

Et puis l’ambition lui est venue : du moment qu’il n’est plus un simple particulier, jouissant à son gré des douceurs et des agréments de la société, il n’y a plus qu’à être un homme public occupé et utile ; il résume en termes parfaits cette alternative : « Être libre et maître de son loisir, ou remplir son temps par des travaux dont l’État puisse recueillir les fruits, voilà les deux positions qu’un honnête homme doit désirer ; le milieu de cela ressemble à l’anéantissement. » De Versailles, certains ministres, qui craignaient son retour, lui tendaient des pièges ; on employait toutes sortes de manèges dont le détail nous échappe, pour l’immobiliser là-bas dans ses lagunes : « Je vois clairement, disait-il, que, par ces artifices, on trouvera le secret de me faire rester les bras croisés dans mon cul-de-sac. » Duverney le conseillait et le calmait dans ces accès d’impatience, qui sont toujours tempérés de philosophie chez Bernis, et qui ne vont jamais jusqu’à l’irritation : Tout ici-bas dépend des circonstances, lui écrivait Duverney, et ces circonstances ont des révolutions si fréquentes, que ce que l’on peut faire de plus sage est de se préparer à les saisir au moment qu’elles tournent à notre point. […] Frédéric, à la fin d’une épître au comte Gotter, où il décrit les détails infinis du travail et de l’industrie humaine, avait dit : Je n’ai pas tout dépeint, la matière est immense, Et je laisse à Bernis sa stérile abondance. […] Cette nature, qui semblait surtout épicurienne et paresseuse, a comme trouvé son élément : « Nous sommes dans la crise de la grande décision, écrit-il à Duverney, le 13 octobre 1756 ; ma santé est bonne, malgré le travail qui augmente et va augmenter de jour en jour. » Sa seule plainte, c’est de n’avoir pas tout à faire, c’est de n’avoir pas sur lui tout le fardeau : Les derniers ordres sont arrivés (Fontainebleau, 5 novembre 1756) ; je travaille actuellement au plus grand ouvrage qui ait jamais été fait. […] [NdA] « Dans sa jeunesse, l’abbé de Bernis avait langui dans la misère, ne vivant que du produit du travail qu’il faisait pour un libraire dont la femme lui était chère, et recevant quelquefois de ses amis ou de ses amies de quoi payer son fiacre. » (Tiré d’une notice manuscrite qui est en tête du Recueil des lettres de Bernis à Choiseul, dont il sera parlé ci-après.)

582. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De l’état de la France sous Louis XV (1757-1758). » pp. 23-43

On n’aurait pas la clef de cette révolution ministérielle et le secret qui, dès le principe, est dans l’état moral de Bernis, si on ne lisait les lettres véritablement désespérées qu’il adressait coup sur coup à Mme de Pompadour pour qu’on lui donnât le successeur et le collaborateur désiré : en voici quelques passages : Je vous avertis, madame, et je vous prie d’avertir le roi que je ne puis plus lui répondre de mon travail. […] En un mot, je ne réponds plus de mon travail si le roi n’a la bonté de me promettre de me soulager promptement. […] Ce n’est plus un ministre ni un homme d’État, c’est un malade qui écrit et qui nous énumère les symptômes dont il est atteint : coliques d’estomac qui durent dix heures, étourdissements fréquents et qui augmentent, insomnies opiniâtres : « Mon visage est quelquefois comme celui d’un lépreux, parce que la bile arrêtée s’est portée à la peau. » Son cri perpétuel est qu’il n’en peut plus, et que son moral même est ébranlé : Je vous en avertis, ma tête est malade (septembre 1758) : avec du repos et l’espérance de ne me pas déshonorer, je me rétablirai ; sans cela, je tomberai dans un état où il ne me sera plus possible de faire aucun travail… Mais qu’on me sauve du déshonneur si on veut conserver ma tête et ma vie ! […] Avec cela, il continua d’y mêler sa chimère, laquelle consistait à rester dans le Conseil après avoir résigné son portefeuille à M. de Choiseul, à chercher à compléter le nouveau ministre et à se laisser compléter par lui : « Il peut se concerter avec moi, j’ai des choses qu’il n’a pas, il en a qui me manquent : tout cela ensemble ne peut produire qu’un bon effet. » Louis XV mécontent ne répondit pas sur cet article : il consentit à la démission de Bernis en faveur de M. de Choiseul par une lettre datée de Versailles (9 octobre 1758), qui commence ainsi : « Je suis fâché, monsieur l’abbé-comte, que les affaires dont je vous charge affectent votre santé au point de ne pouvoir plus soutenir le poids du travail… » Il y marquait nettement son système personnel en ces mots : « Je consens à regret que vous remettiez les Affaires étrangères entre les mains du duc de Choiseul, que je pense être le seul en ce moment qui y soit propre, ne voulant absolument pas changer le système que j’ai adopté, ni même qu’on m’en parle. » Choiseul n’avait plus qu’à arriver de Vienne.

583. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — I. » pp. 473-493

Quant aux autres érudits qui travaillaient aux éditions à l’usage du Dauphin, plusieurs n’arrivèrent avec leur contingent que depuis le mariage de Monseigneur : « Et l’on voit bien, dit Bayle, qui ne perd aucune occasion de s’égayer, que la plupart de ces commentaires seront moins pour le père que pour les enfants. » Un travail plus marquant que se donna à elle-même Mlle Le Fèvre fut une édition grecque et latine des Hymnes, épigrammes et fragments de Callimaque (1675), qu’elle mit sur pied en moins de trois mois. […] C’est par tous ces travaux utiles, agréables à leur heure et qui étaient d’une élégance relative, qu’elle préludait à son œuvre véritable, qui a été la traduction d’Homère. […] Dans les divers travaux que publia M.  […] Cette personne honnête et probe croit à son lecteur, à son public, à l’affection qu’elle leur inspire, à l’intérêt que le monde témoigne pour la continuation et l’achèvement de son travail, à la compassion qu’il aura d’une interruption venue d’une cause si douloureuse ; elle se souvient de Cicéron pleurant sa fille Tullia, de Quintilien déplorant la perte d’un fils plein de promesses, et, tout en les imitant, elle verse de vraies larmes ; puis, en finissant, la mère chrétienne se retrouve et se soumet115.

584. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN DERNIER MOT sur BENJAMIN CONSTANT. » pp. 275-299

Le travail publié dans cette Revue 85 sur la jeunesse de Benjamin Constant et ses relations avec madame de Charrière a produit son effet, l’effet que permettaient d’en attendre la quantité et la qualité des documents intimes versés pour la première fois dans le public. […] Je suis, grâce à mon bavardage sur moi-même, tellement décrié que je n’ai pas besoin de l’être plus ; et si mes lettres, qui nagent dans vos appartements, échouaient en quelques mains étrangères, cela donnerait le coup de grâce à ma mourante réputation… » Je n’avais pas jugé utile dans le premier travail de faire entrer ce fragment, qui en dit plus que nous ne voulons, qui en dit trop, car certainement Benjamin Constant valait infiniment mieux que la réputation qu’il s’était faite alors ; mais enfin il se l’était faite, comme lui-même il en convient : étais-je donc si en erreur et si loin du compte quand j’insistais sur certains traits avec précaution, avec discrétion ? […] Était-ce donc la peine, en débutant, de venir intenter un procès en forme contre un travail par lequel, M.Gaullieur certainement, et moi peut-être après lui (puisqu’on veut m’y mêler), nous pouvions croire avoir bien mérité de l’histoire littéraire contemporaine et des futurs biographes de Benjamin Constant en particulier ? […] La publication de ce petit volume m’a dispensé de recueillir dans ces Portraits mon travail sur Benjamin Constant : je l’ai encadré à la suite de Caliste, à côté de tout ce qui peut s’y rapporter et l’éclairer.

585. (1887) Discours et conférences « Réponse au discours de M. Louis Pasteur »

Vous répudieriez nos éloges, habitué que vous êtes à n’estimer que les jugements de vos pairs, et, dans les débats scientifiques que soulèvent tant d’idées neuves, vous ne voudriez pas voir des appréciations littéraires venir se mêler au suffrage des savants que rapproche de vous la confraternité de la gloire et du travail. […] Parmi ceux qui s’adonnent aux autres parties du travail de l’esprit, qui peut avoir la même assurance ? M. de Maistre peint quelque part la science moderne « sous l’habit étriqué du Nord…, les bras chargés de livres et d’instruments, pâle de veilles et de travaux, se traînant souillée d’encre et toute pantelante sur la route de la vérité, baissant toujours vers la terre son front sillonné d’algèbre ». […] Si plus tard le travail amena pour lui la fortune, ce fut à son insu, sans qu’il l’eût voulu et presque malgré lui.

586. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre I : La loi d’évolution »

Dans l’industrie, de même ; la subdivision du travail est une vérité évidente. […] II Un long travail sur l’hypothèse de la nébuleuse a pour objet de rattacher l’hypothèse de Laplace à la doctrine de l’évolution, en la défendant des objections élevées contre elle par la science. […] N’y a-t-il point des analogies entre des protozoaires presque sans structure, comme les rhizopodes, les amibes, les foraminifères, les vorticelles, qui forment des agrégats de cellules, sans subordination de parties, sans organisation ; et des races inférieures comme les Bushmen, où la société est quelquefois réduite à deux ou trois familles, où la division de travail n’existe qu’entre les sexes ? La division physiologique du travail apparaît chez le polype commun ; c’est un progrès.

587. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre IX, les mythes de Prométhée »

Les faisceaux pacifiques des instruments du travail sortent en même temps de l’enclume qui sonne l’ère du monde transformé : le soc d’où le blé va jaillir, la bêche qui va féconder la glèbe, le marteau qui façonnera l’ustensile, le frein qui domptera le cheval attelé au char ou monté par le cavalier. […] C’est dans la Théogonie et dans les Travaux et les Jours d’Hésiode, que le Prométhée grec apparaît pour la première fois. […] C’est dans la Théogonie qu’il est raconté ; mais sa place serait plutôt dans les Travaux et les Jours, ce poème de sueur et de peine, dont chaque vers semble creuser un sillon. […] On voit aussi sur un bas-relief Prométhée astis devant sa plinthe de travail : il achève de modeler un enfant impatient de rejoindre trois autres figurines déjà descendues de leur socle.

588. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Œuvres de Barnave, publiées par M. Bérenger (de la Drôme). (4 volumes.) » pp. 22-43

La vie publique de Barnave est connue, et ce n’est pas sur la suite des travaux et des actes mémorables qui la composent que nous avons ici à insister. […] À un autre endroit, il convient plus explicitement d’avoir dévié de sa ligne, lorsque, redevenant assidu aux séances publiques de l’Assemblée, d’où ses travaux dans les Comités l’avaient quelque temps éloigné, il s’aperçut que sa popularité avait notablement baissé, et que les attaques du dehors avaient agi. […] Bérenger, dans l’estimable et intéressante Notice qu’il a placée en tête des présents volumes, n’ait point abordé et discuté ce point délicat pour le fixer avec précision ; c’est là une lacune fâcheuse dans un travail qui pourrait autrement passer pour définitif. […] L’honneur domestique et la religion de la famille respirent dans ces recommandations affectueuses à ses sœurs : Avant tout, n’épousez que des hommes dont la conduite et les sentiments puissent aller avec les vôtres ; eussent-ils peu de fortune, pourvu qu’ils y suppléent par un état ou une capacité de travail, ne vous arrêtez pas à cet obstacle.

589. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Fontenelle, par M. Flourens. (1 vol. in-18. — 1847.) » pp. 314-335

Flourens, l’un des deux secrétaires perpétuels de l’Académie des sciences, a eu l’idée heureuse d’écrire avec quelque détail l’histoire de ses devanciers, non pas leur biographie, mais l’histoire de leurs travaux et de leurs vues. […] En tout, le travail de Fontenelle est comme celui de cet orfèvre : il s’attache à dépouiller chaque objet de la couche d’illusion qui l’enveloppe et qui trompe. […] Son travail se composa de deux parties : les extraits et analyses des travaux académiques, et les éloges des académiciens.

590. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — II. (Fin.) » pp. 63-82

Quelquefois le geste est plus grand, moins familier ; l’orateur se lève : « C’est ici qu’il faut se donner le spectacle des choses humaines… » Et il énumère dans un mouvement digne de Bossuet tout ce travail du peuple romain et du Sénat, tant de guerres entreprises, tant de sang répandu, tant de triomphes, tant de sagesse et de courage, le tout pour arriver finalement « à assouvir le bonheur de cinq ou six monstres ». […] Cela formera trois heures de lecture ; mais je vous assure que cela m’a coûté tant de travail, que mes cheveux en sont blanchis. […] Mais, si vous ne voulez point adoucir la rigueur de mes travaux, cachez le travail même : faites qu’on soit instruit et que je n’enseigne pas ; que je réfléchisse, et que je paraisse sentir ; et, lorsque j’annoncerai des choses nouvelles, faites qu’on croie que je ne savais rien, et que vous m’avez tout dit… Toute cette Invocation est pleine de beauté, et le sentiment de jouissance de la raison, qui y est définie « le plus parfait, le plus noble et le plus exquis de nos sens », y est élevé jusqu’à la poésie.

591. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre II : Rapports de l’histoire de la philosophie avec la philosophie même »

Au reste, ce travail de restauration, qui consiste à retrouver et à préserver la tradition philosophique, à sauver cet héritage successivement accru par les âges, mais trop souvent renversé et détruit par les révolutions et les réactions, les révoltes et les coups d’État, les anarchies et les dictatures (car les écoles passent par les mêmes crises que les États), ce travail conservateur et réparateur ne doit pas être confondu avec ce que l’on a de nos jours appelé l’éclectisme. Je ne parle en ce moment que de ce travail conciliateur qui recueille dans les systèmes les vérités indépendantes du système lui-même, et qui sont bonnes pour toutes les écoles : ces vérités courent plus risque de se perdre en philosophie que dans les autres sciences. […] Cependant, lorsque l’on a ainsi dégagé de chaque philosophie la part de vérité que l’on a cru y découvrir, on a devant soi un travail bien autrement difficile : c’est de concilier, de joindre ensemble toutes ces parcelles de vérité, d’en faire un tout systématique et régulier.

592. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre v »

J’ai lu de lui une analyse de la thèse de Pinès sur la « littérature judéo-allemande », analyse écourtée, bien sèche, qui fait regretter un travail plus considérable « trop subjectif, trop personnel », nous dit-on, qu’il avait consacré au même sujet. […] J’y suis comme sous un réflecteur, je m’y vois dans une clarté toute crue, avec une lucidité qui mieux que n’importe quel bureau de travail facilite l’analyse… Je lis peu, j’ai plus de plaisir à voir autour de moi, à essayer de démêler et de coordonner mes impressions ; travail de prolongement et d’approfondissement, ce que mes hommes font pour les boyaux, je le fais en moi-même.‌ […] » Au moment de l’attaque même, le devoir vous impose suffisamment de travail pour que l’on ne puisse penser qu’aux ordres reçus et aux moyens de les exécuter pour le mieux.

593. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 518-522

La Commission exprime donc le vœu que, dans l’avenir, il soit apporté en ce sens à la rédaction de l’arrêté ministériel une modification qui laissera plus de liberté et permettra plus de justesse au travail des Commissions futures. […] Pour parer, d’ailleurs, à une difficulté qu’elle a rencontrée dans la pratique et qui l’a arrêtée plus d’une fois, et toujours en vue d’aider au travail des Commissions futures, la Commission exprime le vœu. monsieur le ministre, que dorénavant la totalité des sommes destinées aux primes restant la même, il soit permis d’en opérer et d’en graduer la répartition selon le mérite des ouvrages qui sortiront de l’examen avec honneur.

594. (1874) Premiers lundis. Tome I « Deux révolutions — I. De la France en 1789 et de la France en 1830 »

Quand la société est morale, avancée, et se tient volontiers dans le bon sens et le travail, quand les passions et les haines publiques n’ont plus d’objet, les théories absolues et les prestiges quelconques peu de séduction, les conséquences les plus nombreuses et les plus vraies de la liberté n’ont aucun péril ; car elles garantissent ce travail, exercent et développent ce bon sens, préviennent le retour des passions politiques, ou en dirigent le cours vers le bien général, et ferment la bouche aux théories des rêveurs.

595. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre II. De la philosophie. »

Le philosophe, qui doit cette paix au travail de sa pensée, aime à jouir de lui-même dans la retraite. […] L’idée qui la domine, laissée stationnaire par les événements, se diversifie de mille manières par le travail de la pensée, la tête s’enflamme et la raison devient moins puissante que jamais.

596. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Préface »

Que de temps, que d’études, que d’observations rectifiées l’une par l’autre, que de recherches dans le présent et dans le passé, sur tous les domaines de la pensée et de l’action, quel travail multiplié et séculaire, pour acquérir l’idée exacte et complète d’un grand peuple qui a vécu âge de peuple et qui vit encore ! […] Mais son organisation n’est plus la même : par un sourd travail intérieur, un nouvel être s’est substitué à l’ancien.

597. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre premier. Des signes en général et de la substitution » pp. 25-32

Je remplace mes premiers ouvriers par le chiffre quatre, leur premier travail par le chiffre douze, tous mes ouvriers ensemble par le chiffre dix, l’ouvrage inconnu qu’ils me feront par le signe X, et j’écris la proportion suivante : À partir d’aujourd’hui, sauf accident ou ivrognerie, si les nouveaux ouvriers travaillent comme les anciens, si tous ensemble travaillent comme les premiers ont travaillé d’abord, mes dix ouvriers feront chaque jour trente mètres de mon mur. — Rien de plus commun qu’une pareille opération ; tous les calculs pratiques se font de même. […] Au lieu de ce cas si réduit, considérez le travail d’un algébriste qui écrit des équations sur un tableau pendant une heure.

598. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre VI. De l’emploi des figures et de la condition qui les rend légitimes : la nécessité »

Où le travail de l’esprit fait éclore une métaphore, c’est qu’elle est plus propre en ce lieu que le mot propre : comment cela se peut-il faire ? […] Le défi de Rodrigue, dans son exagération insensée, n’est que la traduction dramatique de ce que Corneille écrit ailleurs d’après l’Imitation de Jésus-Christ : Rien ne pèse à l’amour, rien ne peut l’arrêter ; Il n’est point de travaux qu’il daigne supputer ; Il veut plus que sa force ; et quoi qui se présente, L’impossibilité jamais ne l’épouvante : Le zèle qui l’emporte au bien qu’il s’est promis Lui montre tout possible, et lui peint tout permis.

599. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 1. Éléments et développement de la langue. »

Il a fallu, pour produire cette pauvre forme d’embryon, il a fallu que la population gallo-celtique de la Gaule fût réduite sous la loi de Rome, qu’elle prît les mœurs, la culture, la langue de ses vainqueurs, que l’empire romain et la culture latine, formes vénérables et vermoulues, tombassent en poussière au contact, non hostile, mais brutal, des barbares, et que les Francs, fondus dans la masse gallo-romaine, y déterminassent cet obscur travail, d’où sortirent ces deux choses, une race, une langue française. […] Dès lors le travail de la formation du français se fait au grand jour.

600. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre III. Buffon »

A neuf heures et demie, il se remet au travail jusqu’à deux heures ; à deux heures, il dine. […] Puis il s’occupe (le physique et d’agriculture, et ses travaux lui ouvrent l’Académie des sciences.

601. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Pronostics pour l’année 1887. »

Tous les travaux des champs y seront décrits, et le Manuel du parfait laboureur y passera tout entier. […] Mais vous ne m’avez point dit si quelque jeune homme apportera dans le roman ou au théâtre une « formule nouvelle », pour parler la belle langue d’aujourd’hui, ni s’il sortira quelque chose d’intelligible du travail ténébreux des bons poètes symbolistes….

602. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Contre une légende »

Par la nature de ses travaux, il semblait destiné à n’être connu que d’un groupe d’hommes assez restreint. […] Puis, au lieu de le considérer dans les plus sérieux de ses travaux (qu’ils n’avaient point lus), et notamment dans toute la partie de son œuvre antérieure aux Dialogues philosophiques, les badauds l’ont jugé presque uniquement sur certaines fantaisies, délicieuses d’ailleurs, où il avouait lui-même que son imagination s’était donné carrière.

603. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre IV. Personnages des fables. »

Toujours serviable, du moment qu’il ne s’agit pas de fournir un travail qui le fatiguerait, mais simplement de donner un malin conseil ou de suggérer une heureuse idée, absolument désintéressé, et ne réclamant pas de récompense pour ses bons offices, comment ne lui souhaiterait-on pas réussir dans ce qu’il entreprend ? […] Je l’ai dit, il ne montre pas une ardeur immodérée pour le travail.

604. (1907) L’évolution créatrice « Introduction »

Nous verrons que l’intelligence humaine se sent chez elle tant qu’on la laisse parmi les objets inertes, plus spécialement parmi les solides, où notre action trouve son point d’appui et notre industrie ses instruments de travail, que nos concepts ont été formés à l’image des solides, que notre logique est surtout la logique des solides, que, par là même, notre intelligence triomphe dans la géométrie, où se révèle la parenté de la pensée logique avec la matière inerte, et où l’intelligence n’a qu’à suivre son mouvement naturel, après le plus léger contact possible avec l’expérience, pour aller de découverte en découverte avec la certitude que l’expérience marche derrière elle et lui donnera invariablement raison. […] Dans le présent travail, nous faisons application de ces mêmes idées à la vie en général, envisagée d’ailleurs elle-même du point de vue psychologique.

605. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre III. Combinaison des deux éléments. »

. — D’abord on ignorait l’histoire ; l’érudition rebutait parce qu’elle est ennuyeuse et lourde ; on dédaignait les doctes compilations, les grands recueils de textes, le lent travail de la critique. […] On n’imaginait pas la structure de son esprit encore primitif, la rareté et la ténacité de ses idées, l’étroitesse de sa vie routinière, machinale, livrée au travail manuel, absorbée par le souci du pain quotidien, confinée dans les limites de l’horizon visible, son attachement au saint local, aux rites, au prêtre, ses rancunes profondes, sa défiance invétérée, sa crédulité fondée sur l’imagination, son incapacité de concevoir le droit abstrait et les événements publics, le sourd travail par lequel les nouvelles politiques se transformaient dans sa tête en contes de revenant ou de nourrice, ses affolements contagieux pareils à ceux des moutons, ses fureurs aveugles pareilles à celle d’un taureau, et tous ces traits de caractère que la Révolution allait mettre au jour. […] Ce qu’on peut dire de mieux en faveur « d’une nation policée394 », c’est que ses lois, coutumes et pratiques se composent « pour moitié d’abus, et pour « moitié d’usages tolérables »  Mais sous ces législations positives qui toutes se contredisent entre elles et dont chacune se contredit elle-même, il est une loi naturelle sous-entendue dans les codes, appliquée dans les mœurs, écrite dans les cœurs. « Montrez-moi un pays où il soit honnête de me ravir le fruit de mon travail, de violer sa promesse, de mentir pour nuire, de calomnier, d’assassiner, d’empoisonner, d’être ingrat envers son bienfaiteur, de battre son père et sa mère quand ils vous présentent à manger. » — « Ce qui est juste ou injuste paraît tel à l’univers entier », et, dans la pire société, toujours la force se met à quelques égards au service du droit, de même que, dans la pire religion, toujours le dogme extravagant proclame en quelque façon un architecte suprême  Ainsi les religions et les sociétés, dissoutes par l’examen, laissent apercevoir au fond du creuset, les unes un résidu de vérité, les autres un résidu de justice, reliquat petit, mais précieux, sorte de lingot d’or que la tradition conserve, que la raison épure, et qui, peu à peu, dégagé de ses alliages, élaboré, employé à tous les usages, doit fournir seul toute la substance de la religion et tous les fils de la société. […] Rien ne justifiait son attentat, ni son industrie, ni sa peine, ni la valeur qu’il a pu ajouter au sol. « Il avait beau dire : C’est moi qui ai bâti ce mur, j’ai gagné ce terrain par mon travail. Qui vous a donné les alignements, pouvait-on lui répondre, et en vertu de quoi prétendez-vous être payé d’un travail que nous ne vous avons point imposé ?

606. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque. Deuxième partie. » pp. 225-303

Rousseau, dans son Contrat social et dans ses Plans de constitution pour la Pologne ; L’abbé de Saint-Pierre, dans sa Paix universelle ; Robespierre et Saint-Just, dans leur système d’égalité et de nivellement démocratique à tout prix, qui auraient décapité la société jusqu’à la dernière unité vivante, pour que l’un ne dépassât pas l’autre d’une faculté, d’une obole ou d’un cheveu ; Babeuf, dans sa communauté des biens ; Saint-Simon, de nos jours, dans sa proportion algébrique entre les aptitudes et les fonctions ; Fourrier, dans son cauchemar d’industrie, réduisant toute la société physique et morale à une association en commandite dont Dieu est le commanditaire, et promettant à l’homme jusqu’à des organes naturels de plus, pour jouir de félicites plus matérielles ; Cabet, dans son Icarie indéfinissable, chaos d’une tête vague, qui ne savait pas même rêver beau ; Tel autre, dans son égalité des salaires, charité idéale inspirée de l’Évangile sans doute, mais qui deviendrait la souveraine injustice envers le travail et le talent, et la prime réservée à l’oisiveté et aux vices, système des frelons qui pillent la ruche ; Tel autre, enfin, dans ses sentences de philosophie suicide, expropriant la famille, cette unité triple, qui enfante, nourrit, moralise et perpétue seule l’humanité, pour assouvir l’individu qui la tue : maximes folles, mais comminatoires, qui firent écrouler d’effroi toute démocratie progressive devant la démagogie des idées ; sophiste néfaste, mille fois plus funeste à la République que tous les poètes chassés de la République par Platon : Voilà ce qu’on entend par utopiste : ce sont les sophistes de la politique. […] Et ainsi de tous les autres…, etc. » « Et si jamais, ajoute-t-il, un homme habile dans l’art d’exercer divers rôles venait dans notre République et voulait nous réciter ses poèmes, nous lui rendrions honneur comme à un être divin, privilégié, enchanteur ; mais nous lui dirions qu’il n’y a pas d’homme comme lui dans notre République, et, après avoir répandu des parfums sur sa tête et l’avoir couronné de fleurs, nous le proscririons de l’État. » Si cette division des facultés et des professions ne vient pas de l’Inde, par une servile imitation des castes, elle prélude à cette division moderne du travail, mutilation tout industrielle des facultés de l’homme, qui fait d’excellents ouvriers machines, et de détestables hommes pensants. […] En sorte encore qu’il veut le travail et l’habileté avec la récompense inverse de l’habileté et du travail ! […] Croyons-nous que les femelles des chiens doivent veiller comme eux à la garde des troupeaux, aller à la chasse avec eux, et faire tout en commun, ou bien qu’elles doivent se tenir au logis, comme si la nécessité de faire des petits et de les nourrir les rendait incapables d’autre chose, tandis que le travail et le soin des troupeaux seront le partage exclusif des mâles ? […] La division du peuple en professions arbitraires et infranchissables ; La suppression de la propriété, seule responsabilité de l’homme rétribué héréditairement par son travail ; La communauté des biens, c’est-à-dire de la misère ; La communauté des femmes et des enfants, qui supprime du même coup les trois amours dont se perpétue l’espèce humaine : l’amour conjugal, l’amour maternel, l’amour filial, et toutes les vertus aussi humaines que divines qui émanent de ces trois sources d’amour ; L’impudeur, aussi flagrante que l’impudicité, dans cette gymnastique des femmes de tout âge s’exerçant nues devant le peuple à des luttes dégoûtantes d’obscénité ; Le meurtre des enfants mal conformés, punissant le tort de la nature par la mort de ses victimes ; La population maintenue, au moyen d’une loi révoltante, au même nombre par l’immolation des hommes nés en dépit de la loi ; Les arts, proscrits de cette démocratie des métiers, de peur que l’esprit ne se corrompe par ses plus belles manifestations intellectuelles ; Enfin, on ne sait quel gouvernement de vieillards, écoliers jusqu’à cinquante ans dans des gymnases de sophistes, et n’arrivant au gouvernement qu’à l’âge où les passions généreuses meurent généralement dans l’homme en même temps que les passions fougueuses, c’est-à-dire un gouvernement d’eunuques sur un troupeau de brutes esclaves : Voilà, encore une fois, ce délire d’un philosophe que l’on continue à appeler le divin Platon !

607. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIe entretien. Biographie de Voltaire »

Madame du Châtelet s’élevait au-dessus des occupations de son sexe par ses travaux sur l’astronomie et par son Commentaire sur Newton ; mais elle n’avait ni le pédantisme, ni la sécheresse qu’on attribue aux femmes savantes ; l’envie seule cherchait à la défigurer pour se consoler d’une supériorité de cœur, de charmes et d’esprit qu’on ne pouvait atteindre. […] Cet attachement, décent aux yeux du monde et autorisé par les mœurs du temps, était alors dans toute sa force : travail, plaisirs, sciences, amusement, société, maison même, tout était commun entre l’amie et l’ami. […] La mort de cette compagne de sa jeunesse, de ses travaux, de sa gloire, à laquelle il avait consacré sa vie, le plongea, sinon dans un désespoir, au moins dans un vide éternel. […] Il passa quelques mois d’hiver à Colmar, enfermé dans sa chambre, occupé à rédiger les annales de l’empire germanique, travail ingrat et sans gloire, qu’il s’était imposé pour complaire à une princesse, sœur de Frédéric II. […] La composition de tragédies, de comédies, de romans philosophiques, tels que Candide, Zadig, et d’épîtres, de satires, de contes plus chastes et plus spirituels que ceux de Boccace et de La Fontaine, enfin une correspondance immense et qui s’étendait à tous les sujets et à toute l’Europe, remplissaient les jours et les nuits de travail, d’amusements, de bruit, d’amitié et de félicité.

608. (1828) Introduction à l’histoire de la philosophie

Le monde primitif n’est qu’une matière au travail de l’homme : c’est le travail qui donne à cette matière sa forme et son prix. […] Richesse des travaux particuliers. […] Son ouvrage a été la base de tous les travaux contemporains du même genre. Ces travaux manquant de caractère propre ne nous occuperont point ici. […] Ainsi va la science ; elle marche de travaux partiels en résumés, et de résumés en travaux partiels : décomposition, recomposition, tel est son mouvement perpétuel.

609. (1774) Correspondance générale

Puisque l’étude et la pratique de la justice ont été le travail de votre vie, soyez juste. […] Je fais ici un travail immense, et en même temps deux ou trois indigestions les unes sur les autres. […] À ce début, vous vous attendez à quelque chose de grand, et c’est la montagne en travail. […] Qui est-ce qui parlera de votre travail et en parlera dignement ? […] Mais quand me mettrai-je à ce travail et quand en sortirai-je ?

610. (1927) Les écrivains. Deuxième série (1895-1910)

Keunan nous dit leurs noms, leurs origines, leurs travaux, leurs espérances, la forme de leur esprit ; il nous les fait connaître et aimer. […] … Ç’a été un travail de toutes les minutes, une héroïque tension, une activité prodigieuse de tous ses mauvais instincts… Aujourd’hui, il est payé ! […] Si, pénible écrivain, un article de journal exige deux mois de mon travail obstiné, je calculai, orateur laborieux, qu’un discours pour la Chambre, me demanderait au moins six mois… Et puis, M.  […] Le sujet de Travail est simple, comme toutes les grandes choses. […] André Hélie, dont j’ignore, d’ailleurs, les travaux précédents, et s’il a fait d’autres travaux que celui-là, qui suffit bien à la gloire éternelle d’un homme, publie, chez un éditeur de livres à vingt-cinq centimes, les Contes drolatiques, du même Balzac, mais traduits, par lui André Hélie, en français moderne !

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