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1043. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre II. Les bêtes »

Par amour du raisonnement et de la discipline, on mettait tout l’homme dans l’âme, et toute l’âme dans la raison. […] Encore a-t-il, à la place de notre raison, cette sagesse innée qu’on appelle instinct, et qui souvent le conduit aussi loin par une autre voie. […] Ils sont affranchis de la forme, comme la plante est affranchie de la pensée, comme l’animal est affranchi de la raison. […] Buffon est là pour donner raison à La Fontaine. « Sa colère est noble, son courage magnanime, son naturel sensible. […] Ce n’est pas là une raison pour lui ôter son titre.

1044. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre I. Polémistes et orateurs, 1815-1851 »

On dirait qu’il a peur de séduire : il s’attache à saisir chaque idée par la face paradoxale ou choquante ; nous ne pouvons le lire sans nous sentir constamment taquiné, bravé, dans toutes les affirmations de notre raison. […] Ce dur logicien était un très bon homme, doux, aimable, le plus respectable et le plus tendre des pères, qui écrivait à ses enfants des lettres charmantes, pleines de fine raison et de sensibilité délicate. […] Il y combattait avec une âpre éloquence, à grands coups de logique et d’imagination, l’athéisme politique, celui qui fait de la religion un instrument de despotisme pour lier le peuple, le déisme, qui croit fonder une religion dite naturelle sur la seule raison, le protestantisme et toutes les doctrines latitudinaires, qui, reconnaissant une révélation, croient avoir le droit de choisir parmi les dogmes, de rejeter ceux-ci et de prendre ceux-là. […] Guizot698 fut un grand caractère, énergique, autoritaire, un puissant esprit, étroit, dogmatique, d’une certitude sereine et inébranlable : les idées utiles à sa classe lui apparurent toujours dans une lumineuse évidence, comme la forme même de la raison ; et il ne les trouva jamais réalisées suffisamment dans la politique gouvernementale que par lui-même. […] Il estimait la religion nécessaire à l’ordre et à la conservation de la société ; elle était partie intégrante de sa raison : il voulait des Églises fortement organisées, Église catholique, Église calviniste, Église spiritualiste, excluant ou matant les têtes ardentes ou indisciplinées, les ultras de toute couleur, unies entre elles par une bonne confraternité administrative et par une coopération journalière.

1045. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Mme Desbordes-Valmore » pp. 01-46

Rivière a bien raison. […] Je constatais qu’à travers tout une joie intérieure l’illuminait, et que le secret optimisme de cette martyre était renversant, et j’en cherchais les raisons… Mais il y en a d’autres que celles que je vous ai déjà dites ; et ce n’est pas seulement de l’excès même et de la continuité de sa déveine que lui vint son extrême sérénité. […] Favre est un homme très droit et très simple ; son âme seule est exaltée, mais son imagination ne plane jamais qu’en dessous de sa raison. » — « Cet illustre prisonnier (le prince Louis) est, dit-on, très bon par le cœur ; il s’amuse à faire du bien pour se désennuyer des tristes barreaux qui sont élevés entre la vie et lui… » — « Hier mardi, M.  […] Ne te semble-t-il pas, mon ange, que la raison vacille plus devant ces prodiges humains que devant les merveilles incompréhensibles de l’Auteur éternel ? […] La littérature, le latin, la poésie anglaise, un même dédain des « extériorités » (Sainte-Beuve était encore dans la période religieuse de sa vie)… que de raisons de s’entendre !

1046. (1894) Propos de littérature « Chapitre IV » pp. 69-110

La raison d’être du mètre fixe est d’objectiver le vers ; il le distingue dès l’abord du langage quotidien et donne à la parole l’aspect de la chose définitive et invariable. […] On peut regretter que chez eux, comme chez M. de Régnier, le vers ne semble pas avoir en lui-même sa raison d’être ; cependant ce n’est pas à proprement parler un défaut et, je l’ai déjà dit, il est plus que légitime d’user à la fois de rythmes et de mesures. […] Tel ce poème exquis, la Dame qui tissait, dont j’extrais un fragment ; l’attitude, appuyée sur de douces harmonies, domine encore le geste, mais déjà apparaissent maints rythmes comme des vers libres fondus dans l’alexandrin qui lui-même se désagrège et semble n’avoir plus de raison d’être. […] Le rapport du rythme au geste et de ceux-ci à la mesure de la phrase n’est soumis qu’à la critique du poète lui-même, et cette critique ne cherchant sa raison que dans le tact-puisque l’artiste ne s’est véritablement imposé aucune règle — l’ouïe plus ou moins bonne et l’instinct de la beauté restent les seuls critères. […] Il semble naturel que son caractère — car cela ne tient-il pas de l’instinct plutôt que de la raison ? 

1047. (1772) Éloge de Racine pp. -

Racine, Boileau, Molière, pouvaient se glorifier, avec raison, d’être protégés par Louis XIV, quand un mot de sa bouche était le prix le plus flatteur pour les Condé, les Luxembourg et les Villars. […] J’en développerai les raisons et les preuves : je les trouverai dans l’amour-propre et les intérêts de la médiocrité ; dans cet esprit des sectes littéraires, qui, comme toutes les autres, ont leur politique et leur secret ; enfin dans le petit nombre des hommes doués de ce sens exquis qu’on appelle le goût. […] C’est de la nature que tu reçus cette sensibilité prompte qui réfléchit tous les objets qui l’ont frappée, ce tact délicat, ces vues justes et fines, ce discernement si sûr, ce sentiment des convenances, ce goût enfin cultivé par les leçons de port-royal, nourri par le commerce assidu des anciens, fortifié par les conseils de Boileau ; ce goût, qualité rare et précieuse, qui peut-être est au génie ce que la raison est à l’instinct, s’il est vrai que l’instinct soit le mobile de nos actions, et que la raison en soit le guide ; ce goût qui attache aux productions vraiment belles le sceau d’une admiration éclairée et durable ; qui sépare, par un intervalle immense, les Virgile, les Cicéron, les Horace, des Lucain, des Stace et des Sénèque ; qui seul enfin élève les ouvrages de l’homme à ce degré de perfection qui semblait au dessus de sa foiblesse. […] Indépendamment des inimitiés personnelles qui avaient pu nuire à l’auteur, ne pourrait-on pas trouver dans la nature même de l’ouvrage les raisons de ce succès tardif que le temps seul a pu établir ? […] Vous vous écrierez alors dans votre juste admiration : quel art que celui qui me domine si impérieusement, que je ne puis y résister sans démentir mon propre coeur ; qui force ma raison même d’approuver des fictions qui m’arrachent à elle ; qui avec des douleurs feintes, exprimées dans un langage harmonieux et cadencé, m’émeut autant que les gémissemens d’un malheur réel ; qui fait couler, pour des infortunes imaginaires, ces larmes que la nature m’avait données pour des infortunes véritables, et me procure une si douce épreuve de cette sensibilité dont l’exercice est souvent si amer et si cruel !

1048. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Alphonse Daudet »

L’auteur, dans sa dédicace à Flaubert, son maître et son ami, dit-il, l’appelle « un livre de colère et de pitié », et il a raison, c’est bien cela… Seulement, la colère et la pitié n’y sont pas comme elles y pourraient être. […] Alphonse Daudet est du très petit nombre d’écrivains qui ont à eux une manière qui ne ressemble à celle de personne, et c’est même la raison pour laquelle il échappe souvent à l’esprit de système et à des admirations dangereuses. […] À quelque moment que ce fût la Critique compterait avec Alphonse Daudet ; mais, cette fois, elle a une autre raison pour s’occuper de son Nabab que le mérite prouvé de l’auteur de tant de choses charmantes, et le mérite à prouver du roman qu’il publie. […] Le génie de Balzac ressemble au Pantagruel et au Gargantua de ce Rabelais qu’il aimait, et qu’il avait raison d’aimer, comme un fils aime son père, il a la grandeur presque monstrueuse et la puissance dévorante de ces êtres qui sont des chimères, tandis que lui, Balzac, est une réalité ! […] Alphonse Daudet, dont l’esprit aurait toujours raison s’il n’avait pas d’amis littéraires, a très bien su voir qu’il y avait un magnifique roman qui dormait, enveloppé dans une grande question d’histoire agitée souvent par des penseurs, mais laissée là par des artistes… et il l’a traitée dramatiquement.

1049. (1909) Nos femmes de lettres pp. -238

Être différent, voilà une raison suffisante de fixer l’attention. […] En vérité, n’avais-je pas raison de l’écrire ? […] Si, comme poète, elle est sans doute plus chatouilleuse que de raison sur son originalité, comme femme, je la vois qui s’abandonne. […] Je tiens seulement à souligner les raisons pour quoi Mme Marcelle Tinayre est la plus virile des plumes féminines d’aujourd’hui. […] il n’est pour elles nulle autre raison d’exister.

1050. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Appendice. »

car ni moi, ni vous, ni personne, aucun ancien et aucun moderne, ne peut connaître la femme orientale, par la raison qu’il est impossible de la fréquenter. […] » La raison en est bien simple : ils haïssent les Mercenaires ; ceux-là leur tombent sous la main ; ils sont les plus forts et ils les tuent. […]  » Oui, cher maître, vous avez raison et plus même que vous ne croyez, — mais pas comme vous le croyez. […] Vous avez peut-être raison dans vos considérations sur le roman historique appliqué à l’antiquité, et il se peut très-bien que j’aie échoué. […] Je ne regrette plus d’avoir fait ces articles, puisque je vous ai amené à sortir ainsi toutes vos raisons.

1051. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite et fin.) »

« Je ne sais si c’est l’âge ou la raison qui cheminent ; peut-être sont-ce tous les deux à la fois ; mais, ce qui est certain, c’est que je pense plus sérieusement que je ne me croyais susceptible de le faire, et que je fais de grands progrès du côté de la gravité. » Lettre écrite de Russie, du 3 mars 1843. […] Lequel a raison ? » Le grand-père pouvait avoir raison en principe, et pourtant le père ne s’est pas trompé. […] De ce que tu te reconnais en eux à première vue, de ce que tu les aimes d’instinct, de ce que, toi et eux, vous vous entendez sans apprentissage et sans effort, de ce qu’ils sont de la maison enfin, ce n’est pas du tout une raison pour les moins considérer et les faire descendre dans ton estime. […] Je ne donne, raison ni tort à personne : j’essaye, à mes risques et périls, de faire connaître les hommes et de les prendre sur le fait dans la vivacité et jusque dans la pétulance de leurs impressions et de leur accent.

1052. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — I. » pp. 166-193

Ceux-ci à leur tour, aisément restrictifs et négatifs dans leur prudence, n’hésitant pas au besoin, dans leur système complexe, à limiter, à entamer le droit par la raison d’État, le rendent bien en inimitié aux esprits de nature girondine, que tantôt ils ont l’air de mépriser comme de pauvres politiques, et que tantôt ils confondent en une commune injure avec la secte jacobine pour les montrer dangereux. […] Dans une lettre de décembre même année à Brissot, résumant ses conseils : « Des comptes et de la raison ! […] Regrettant qu’on ait arrêté Louis XVI fugitif à Varennes, elle donne pour raison que, sans cette fâcheuse capture, la guerre civile devenant immanquable, la Nation allait forcément à cette grande école des vertus publiques. […] Les derniers événements l’ont alimenté ; les lumières de la raison se sont unies à l’instinct du sentiment pour l’entretenir et l’augmenter… Je finirai de mourir quand il plaira à la nature, mon dernier souffle sera encore le souffle de la joie et de l’espérance pour les générations qui vont nous succéder. » Les jugements de Mme Roland sur La Fayette en particulier ont lieu de nous frapper par le contraste qu’ils offrent avec l’unanime respect dont nous avons entouré cette patriotique vieillesse. […] Quant au reste, vérité, évidence, limpidité parfaite ; pas une tache, pas un voile à jeter ; regardez aussi avant que vous voudrez dans sa maison de verre, transparente comme avait souhaité ce Romain : la lumière de l’innocence et de la raison éclaire un intérieur bien ordonné, purifiant.

1053. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVe entretien. Chateaubriand, (suite) »

Il a quelque raison de se dire : « Mon chagrin même, par sa nature extraordinaire, portait avec lui quelque remède : on jouit de ce qui n’est pas commun, même quand c’est un malheur. » Et plus loin : « Je ne sais ce que le ciel me réserve, et s’il a voulu m’avertir que les orages accompagneraient partout mes pas. » Plus loin encore, M.  […] Un véritable grand homme qui eût paru alors, le glaive dans une main, la modération dans l’autre, pouvait lui apporter la raison, la force et la paix ; c’était une de ces époques où la dictature des soldats et la dictature des législateurs peuvent s’unir pour reconstituer un grand peuple ; mais, il faut le reconnaître, la France, qui est le pays des armes, du génie et de la gloire, n’est pas le pays de la raison. […] C’était la raison ramenée au service d’une monarchie nécessaire. […] M. de Villèle penchait visiblement du côté de l’inaction, M. de Chateaubriand entraîna tout vers la guerre, et le dieu des projets généreux lui donna raison ; la dernière grande action de la race de Louis XIV fut son ouvrage. […] La raison des choses est la tristesse, parce que la souffrance et la mort sont le chemin et le but final de tout dans ce monde.

1054. (1824) Observations sur la tragédie romantique pp. 5-40

Puisque vous aspirez encore à la gloire, changez de route ; méprisez des règles surannées qui contrarient la nature, qui offensent la raison : élancez-vous dans la carrière que Shakespeare et Schiller, Otway et Goethe ont illustrée, sans la fermer. […] Par leurs chefs-d’œuvre, par l’influence de ceux de Molière sur un genre si voisin du sien, et par les immortelles leçons de Boileau, la tragédie française est devenue classique, c’est-à-dire régulière et terrible, correcte et pathétique, vraie et sublime ; d’autant plus admirable, qu’elle unit la grâce à la force, la bienséance à l’audace, la raison enfin, puisqu’il faut le dire, à la poésie. […] Mais certes, c’est bien pis à Londres, quand la scène reste vide, quand les personnages la désertent par la seule raison que le poète n’a plus de paroles à leur souffler, quand ils s’échappent par l’une de ces deux portes de l’avant-scène qui ne disparaissent jamais, pas même en avant d’une rase campagne. […] Un poème épique, et à plus forte raison une tragédie, n’est pas un livre d’histoire : il s’agit de recueillir dans les annales ce qui est dramatique, et de rendre tel ce qui ne l’est pas de soi-même. […] Pourquoi donc aurai-je aussi perdu ma raison ?

1055. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre IV. Racine »

Contre la mode, contre les délicatesses mondaines, Racine fit régner la raison, c’est-à-dire la vérité, dans sa tragédie. […] Cette façon de juger les forces respectives de l’instinct et de la raison pousse le drame aux dénouements funestes : où la passion domine, le crime et le malheur doivent suivre. […] Racine a peint admirablement les âmes féminines, avec une finesse singulière, il en a marqué toutes les nuances les plus délicates, mais surtout la forme et le mouvement caractéristiques : le sentiment faisant office de raison, l’extrême violence sortant de l’extrême faiblesse. […] Racine ne s’est pas borné à l’amour, où il voyait, non sans raison, « la route la plus sûre pour aller au cœur ». […] La raison n’a pas assez de place dans leur vie ; et l’instinct naturel, primitif, les conduit.

1056. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre septième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie. »

Vous qui vous croyiez un pur savant, un chercheur désabusé ; voilà que vous aimez et que vous avez pleuré comme un enfant ; et votre raison proteste, et elle a raison, et elle ne vous empêche pas de pleurer. […] son idée est la raison de l’être, L’œuvre de l’univers n’est que de la connaître. […] Les idées de Rousseau sur la religion naturelle viennent s’ajouter aux inspirations chrétiennes et platoniciennes : La raison est le culte et l’autel est le monde. […] Mais quand cela ne lui suffit plus, qu’il est poussé à bout, ce ne sont plus des raisons d’espérance qu’il se forge, c’est un acte de foi qu’il prononce ; il espère, non parce qu’il se croit en droit de le faire, mais parce qu’il n’est pas en son de ne pouvoir point espérer. […] Elle a raison, elle veut dire :            Pauvre petit, A ton insu, ton cœur respire,            Et t’avertit Que le peu de sang qui l’anime            Est ton seul bien, Que tout le reste est pour la rime            Et ne dit rien.

1057. (1809) Quelques réflexions sur la tragédie de Wallstein et sur le théâtre allemand

Je pense donc que c’est sagement et avec raison que nous avons refusé à nos écrivains dramatiques la liberté que les Allemands et les Anglais accordent aux leurs, celle de produire des effets variés par la musique, les rencontres fortuites, la multiplicité des acteurs, le changement des lieux, et même les spectres, les prodiges et les échafauds. […] La raison, sans doute, ne peut l’expliquer. […] Nous n’envisageons l’amour que comme une passion de la même nature que toutes les passions humaines, c’est-à-dire ayant pour effet d’égarer notre raison, ayant pour but de nous procurer des jouissances. […] Nous en aurions été choqués, dis-je, et nous aurions eu raison : un tel enthousiasme est une chose qu’il est impossible d’approuver en principe. […] Cela tient à ce que les Allemands prennent le sentiment pour base de la morale, tandis que pour nous cette base est la raison.

1058. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIX. M. Cousin » pp. 427-462

c’est là justement ce qu’il importe de dire, nous croyons que le succès de Mme de Longueville, succès qui, du reste, vaut le livre, peut s’expliquer très bien par des raisons qui ne sont nullement les mérites de M.  […] Il est une raison plus puissante encore du succès que nous voulons juger : c’est la réaction, en pleine poussée, de l’école du bon sens, comme on dit assez impertinemment pour les autres et par trop poliment pour soi, contre ce qu’on appelle l’école de la fantaisie, autre désignation sans justesse. Enfin, si nous ajoutons à ces deux raisons de notre temps la raison de tous les temps, qui fait si dur le métier des hommes de génie, à savoir, hélas ! […] Il est évident que, s’il jouissait de toute la plénitude de sa raison philosophique, M.  […] Lui qui se permettait de tout dire, il devait réussir pour les mêmes raisons, et il ne réussira pas !

1059. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Michelet » pp. 167-205

À cela près de la page 206 (nous l’avons notée), qu’il faut couvrir avec tous les voiles de femmes que Michelet fait rougir et qui rappelle… l’Amour, on pourrait tout citer de la Femme et le dégoût serait assez heureux pour avoir sa preuve et son appui, mais la raison de cela n’est pas le livre, qui a trahi Michelet. […] Imagination forte, sensibilité exaltée, mais raison débile, Michelet, ce pauvre moraliste-législateur, était aussi goulu de spectacles pour le compte du peuple français que le peuple romain tout entier, dont ce fut la dépravation… Et cependant, chrétien encore, Michelet, l’homme du Cours de 1847, s’est souvenu — n’en doutez pas !  […] Au lieu de Jésus-Christ, le crucifié des Juifs et le bafoué de Voltaire, le peuple concret s’adorait dans la raison abstraite, symbolisée dans de la chair de courtisane. […] Risum teneatis… Guenille de Christianisme quand il parle de la nécessité d’un « médiateur » entre les hommes, — mot et idée de la langue chrétienne, plus forte que la bouche qui la parle sans la comprendre, — mais, presque au même instant, guenille de paganisme aussi quand il ajoute que le « médiateur » des temps modernes c’est le jeune homme, et uniquement parce qu’il est un jeune homme, et non pour une raison plus haute que son éphémère juvénilité ! […] Pour les imaginations trop sensibles et les raisons infirmes comme la sienne, il en a peut-être encore trop dans ce Cours, dont on a fait un livre malgré la vacuité du professeur.

1060. (1890) L’avenir de la science « Sommaire »

Quoi qu’il en soit, les critiques ont raison. […] Le souverain de droit divin, c’est la raison. La majorité ne fait pas la raison.

1061. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « VII »

On ne veut pas s’en occuper ; on le laisse, dans son mystère », et il faut renoncer à le connaître, par la raison que nous ne sommes pas des Grecs. […] Il est douteux qu’on ait raison quand, pour avoir raison, il faut donner tort à tant de grands écrivains.

1062. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre II. Mme Le Normand »

C’est, sans doute, pour cette raison que Mme Le Normand, la nièce de Mme Récamier, s’est crue un peu la nièce de Mme de Staël, et qu’elle l’a traitée identiquement comme sa tante, en publiant une correspondance dont nous parlions au chapitre précédent, qui déshonorerait Mme de Staël comme femme d’esprit, si nous n’avions pas ses livres. […] … Et lorsque nous n’en aurions pas, ce ne serait pas une raison pour être tranquilles : nous aurions celles de nos amies ! […] Schiller a dit une bêtise d’Allemand (et ce sont les meilleures), quand il a écrit cette phrase d’apothéose : « Tout ce que le flambeau de la Raison ne peut éclairer n’existe pas pour elle. » Que Schiller aille se promener avec son flambeau !

1063. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIII. Mme Swetchine »

Telle était cette Sophie Swetchine qui, dans la hiérarchie des Saints, embrassant comme on le sait, toutes les fonctions et tous les états de la terre, pourrait être, à ce qu’il semble, la patronne des femmes du monde, lesquelles, j’imagine, n’en ont pas eu beaucoup jusqu’ici… C’était l’amabilité, la bonté, la raison pratique, faites saintes et revêtues du calme du ciel… Moraliste chrétienne de bonne humeur, quand les moralistes, même chrétiens, sont plus ou moins moroses, elle introduisit la gaieté dans la foi, qui ne s’y voit guère, et c’est elle qui a pu écrire, en se rappelant son pays : « Je suis avec le bon Dieu comme les femmes russes sont avec leurs maris. […] … Il y avait naturellement, en Mme Swetchine, bien avant que le Catholicisme la prît pour lui baptiser le cerveau dans sa nappe de lumière, il y avait dans cette tête, au visage un peu kalmouck, une régularité de raison qui démentait l’angle facial, et dans l’imagination de cette Russe, quelque chose de doux et de savoureusement sage que n’ont pas d’ordinaire ses compatriotes, l’opposé de leurs neiges, dont J. de Maistre nous a dit : « Qu’ils feraient sauter en l’air les citadelles, si on les bâtissait sur leurs désirs ! » De cette raison, de cette sagesse, de cette harmonie spontanée qui furent tout de suite Mme Swetchine, y avait-il de quoi faire un jour cette nuée électrique d’une âme d’artiste, qui parfois lance de si folles foudres ?

1064. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Maintenon » pp. 27-40

Seulement, si complet qu’il continue d’être, nous ne croyons pas que la seconde partie, qui nous est inconnue, ait pour personne l’intérêt si vif et si incessamment attisé de la première, et cela en vertu d’une foule de raisons. […] L’historien de la maison qu’elle a fondée est trop près d’elle, il a trop touché à son œuvre, — aux débris de son monument, — pour ne pas rendre justice à la hauteur de sa raison, à la fermeté de son esprit, à toutes les qualités décisives et souveraines dont elle était douée. […] Madame de Maintenon l’emportait trop par la raison, par le caractère, par la dignité dans la vie, par le sentiment religieux qui planait perpétuellement sur son âme, et teignait ses mots et ses actes de ses reflets les plus graves et les plus solennels, pour avoir ce que l’on appelle de la grâce, ce joli mouvement des natures légères… Littérairement, il est resté d’elle des choses d’une beauté rare, une correspondance qu’aucune femme d’aucun temps ne recommencerait.

1065. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Lettres d’une mère à son fils » pp. 157-170

Ne serait-ce pas plutôt une forme ingénieuse toute trouvée pour un petit et joli livre de morale dans les nuances mondaines, un prétexte, un honnête prétexte pour esquisser, d’une plume qui ne manque ni de sagacité, ni de raison, ni même de grâce, quelques observations bien faites ? […] L’auteur est un charmant et facile esprit, d’une plume limpide, qui a de la raison et de la distinction dans le langage, chose assez rare dans ce temps d’esprits hâves, incorrects, troublés. […] C’est un moraliste de petit salon, qui épingle des observations assez fines, sur le métier à dentelles d’une femme… La femme, avec sa simplicité, sa raison dans les petites choses, son expression fluide et gracieuse, a été assez bien jouée par lui.

1066. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Collé »

Ce n’est, il est vrai, qu’un fragment bien court de l’Histoire du xviiie  siècle, mais ce fragment est supérieur à sa manière aux diverses histoires écrites par les contemporains, et par l’excellente raison que Collé est aussi peu un contemporain que possible. […] Et je crois bien que voilà tout uniment la raison pour laquelle son éditeur, qui en est trop, lui ! […] Honoré Bonhomme, qui fait précisément une édition très soignée des irrévérences du maraud, transforme Collé, pour l’excuser de son audacieuse raison, en enfant terrible, en malin, en plaisant, et en vingt autres personnages, tous plus ou moins tortillés et tirés par les cheveux, mais tous rentrant toujours dans le chansonnier.

1067. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXXII. L’Internelle Consolacion »

Quelles que soient les raisons d’affirmer la personnalité de l’auteur de l’Imitation, elles ne sont pas telles cependant qu’on puisse les admettre en toute certitude, et cet inconnu que quelques-uns appellent : Jean Gerson, d’autres A Kempis, d’autres encore Jean Gersen, abbé de Verceil, n’en est pas moins toujours un anonyme de l’histoire. […] Le monde, puisqu’il s’agit de son goût pour une œuvre qui ne fut jamais faite pour lui, lit avec avidité l’Imitation, et ne veut pas lire l’Évangile, et les raisons de cela ne viennent pas de l’Imitation. […] Telles sont, en fait, les raisons de cette popularité mondaine d’un livre qui a sa valeur sans aucun doute, mais que l’opinion a exagérée.

1068. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Charles De Rémusat »

Ces idées-là, qui jonchent tant de livres à cette heure et qui doivent périr, car ce qui périt le plus vite, d’une génération à une autre, ce sont les idées générales, qui ne sont pas plus grandes que l’esprit de tous et que, pour cette raison, les esprits inférieurs, c’est-à-dire la majorité des esprits, trouvent à leur portée. […] La qualité de son esprit est la finesse, la moins honorable de toutes les qualités, et pour cette raison généralement la plus estimée. […] Seulement, la raison du jugement surprenant que Rémusat a osé porter de cet homme, ce n’est pas autre chose que sa haine pour la Révolution française.

1069. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « La Bible Illustrée. Par Gustave Doré »

Mais, quoique je n’aie jamais cru aux traducteurs ou aux illustrateurs à la douzaine, quoique la puissance de s’incorporer à un génie, déjà très rare, n’implique nullement la puissance de s’incorporer avec tous ou avec plusieurs, et qu’interpréter à merveille les Contes drolatiques de Balzac, par exemple, ne soit pas une raison pour bien interpréter Shakespeare, cependant la difficulté de traduire les différents génies qui concourent à cette grande œuvre de la Bible, à cette Babel sans confusion de langues qui ne menace pas le ciel, mais qui le fait descendre sur la terre, cette difficulté tient encore plus à la grandeur des scènes et des personnages qu’on y trouve qu’à la diversité des génies qui les ont exprimés, et ici la question du surnaturalisme revient par un autre côté, car bien évidemment l’Histoire, la stature de l’Histoire et de l’homme, sont ici dépassées. […] Elle ne l’a pas été, mais souvenons-nous qu’elle ne pouvait pas l’être, et j’en ai montré les raisons impersonnelles et absolues. […] Doré, qui en art a une bravoure de héros, n’a pas craint d’y toucher, et, selon moi, c’est une raison de plus pour qu’on n’y touche plus… C’était Turgot qui disait, je crois, à propos de la découverte de l’Amérique : « J’admire moins Colomb d’avoir découvert l’Amérique que d’être parti la chercher. » Doré aurait l’admiration de Turgot, — et, jusqu’à un certain point, il a la mienne.

1070. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Milton »

Edmond de Guerle, l’auteur du livre sur Milton dont je cherche la raison d’être, est, si je ne me trompe, d’excellente race de traducteur. […] Il reste donc, ce livre, dans les circonstances extérieures de la publicité, absolument sans raison d’être. […] L’irrésistibilité de la vocation du génie est toujours en raison directe de son originalité… La vocation poétique de Milton fut révélée par ses premières œuvres de jeunesse, mais elle fut arrêtée et suspendue par toute une vie de travaux et de préoccupations contraires.

1071. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Eugène Sue » pp. 16-26

Eugène Sue lu de tous les cochers et de tous les ouvriers de son temps avec ivresse, et dans l’ivresse, et pour des raisons qui n’ont rien de littéraire, à coup sûr. […] Il n’avait pas grande foi en lui, et il avait raison ; mais enfin, il tenta l’aventure ! […] Pour cette raison suprême et péremptoire, il ne restera donc rien de ce romancier qui a rempli vingt années de notre temps de sa renommée.

1072. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XII. »

Dans le philosophe et dans le poëte, en effet, ce n’est pas seulement la même élévation morale, le même mélange de raison et d’enthousiasme ; c’est, sur un grand point, le gouvernement des sociétés, le même amour de la justice, le même dégoût de la tyrannie sans pudeur et de l’anarchie sans frein. […] À son atteinte, toutes les choses de la nature ont frissonné ; et par lui tu établis le niveau de la raison commune qui réside dans tout, se mêlant aux grandes et aux petites intelligences, raison si puissante qui est le suprême roi partout.

1073. (1902) La formation du style par l’assimilation des auteurs

N’y cherchez pas d’ornements : il n’y a que des raisons. […] Les raisons qu’elle en donne sont contestables. […] et l’était-il pour les raisons qu’on nous donne ? […] Si nous n’avons pas écouté notre raison, vos miracles en sont cause. […] Est-ce raison de craindre si longtemps chose de si brief temps ?

1074. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre III. La Révolution. »

Sans raison ni direction, au cri de à bas les papistes ! […] Macheath, et votre belle raison est que vous l’aimez ? […] La raison oratoire avait formé le théâtre régulier et la prédication classique ; la raison oratoire produit la Déclaration des Droits et le Contrat social. […] Ce n’est pas l’esprit de société qui l’a faite, c’est le sens moral, et la raison en est que l’homme là-bas est autre que chez nous. […] L’athéisme n’est pas seulement contre notre raison, il est encore contre nos instincts.

1075. (1922) Gustave Flaubert

Flaubert se reconnaît là avec enthousiasme, — et avec raison. […] En voici peut-être la raison, autant qu’il peut y avoir de raison dans ses cris. […] Connaître l’amour, ce sera la raison de sa première chute ; se donner à celui qu’on aime, ce sera la raison de la seconde79. » C’est évidemment ici Brunetière qui a raison. […] Robin en a peut-être découvert la raison. […] Pour plusieurs raisons, il n’eût pas convenu à Flaubert de traiter un épisode de la vie de Jésus.

1076. (1881) Le roman expérimental

Elle est la raison de la souveraineté qu’il a exercée et qu’il exerce encore. […] Il y a, en outre, à cette impersonnalité morale de l’œuvre, une raison d’art. […] Pour moi, sa raison d’être est surtout là. […] Elle n’est pas largement assise sur la vérité, elle n’a aucune raison d’être. […] M. de Goncourt, avec raison, ne veut pas d’élèves.

1077. (1913) Les idées et les hommes. Première série pp. -368

Une raison sociale se refait. […] Frédéric Masson n’accepte pas ce reproche : il a raison. […] C’est ce que dit la raison pratique. » Et, substituant la raison pratique à la raison pure, Emmanuel Kant restaura tout ce qu’il avait saccagé. […] Il l’est avec l’assurance qu’il a raison de l’être. […] Où trouver, se disaient-ils, une raison d’être ?

1078. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — II » pp. 112-130

Sans se croire précisément des droits, il voyait toutes sortes de raisons en sa faveur. […] Il y a de lui une page bien naturelle, où il pense tout haut, et qui est toute l’histoire du Pot au lait : Le 28 avril 1737. — J’ai été nommé par le roi ambassadeur en Portugal ; tout mon dessein, en acceptant pareil emploi, a été de me rendre digne et de me mettre à portée des places du ministère, où mon ancienneté au conseil pouvait naturellement m’élever dès que je ne démériterais pas, à plus forte raison si je montrais du mérite et du courage. […] Ce génie, il le lui refuse expressément ailleurs et par de très bonnes raisons, et il se borne à lui accorder beaucoup d’esprit : Ses mérites consistent véritablement dans beaucoup d’esprit, mais nul génie (on entend par esprit la facilité à entendre et à rendre) ; la hardiesse, le courage, la tranquillité devant les grands objets, ce qu’on prend pour force d’âme et qui ne l’est que de cœur ; un goût porté au grand et à l’élevé pour soi-même. […] Une des raisons pour lesquelles il n’y a plus, selon lui, de bonne conversation (qu’il y a longtemps qu’on a dit cela !) […] Quand le siècle lui paraîtra, en avançant, présenter quelques meilleurs symptômes, il sera le premier à les noter et à nous en faire part, avec la joie d’un homme qui ne désespère pas des hommes et qui aime à croire au progrès de la raison publique.

1079. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. (suite et fin) »

Nous ne nous attachons en tout qu’à la raison et au talent, à ce qui compte. […] quelle que fût, au point de vue de la théorie parlementaire, la valeur spécieuse des arguments développés par M. de Villèle, devenu vers la fin de la session le meneur et le tacticien habile du parti, la sincérité et la raison n’étaient pas de son côté et ne résultaient pas de tous ses beaux raisonnements : que me fait la rectitude des formes, si elle ne sert qu’à couvrir et à protéger la tortuosité des intentions ! […] Pasquier s’y était refusé par des raisons de convenance politique, et où il s’autorisait même de son avenir d’homme public pouvant être utile au roi ; ce refus avait un peu étonné et piqué Louis XVIII, qui avait dit : « Concevez-vous M.  […] Il savait, en chaque discussion, les raisons appropriées qui pouvaient agir le plus sur les adversaires, et il les employait au bon moment. […] C’est ainsi encore qu’il déduit toutes les raisons qu’on a de marquer historiquement d’une note funeste cette première Chambre élective, et il hésite, dans sa conclusion, à la qualifier de Chambre de malheur, pour avoir si mal inauguré un régime qu’il aime et qui méritait de recommencer sous de meilleurs auspices.

1080. (1900) Poètes d’aujourd’hui et poésie de demain (Mercure de France) pp. 321-350

En cela il eut raison. […] Au Romantisme d’inspiration, ils firent succéder un Romantisme de raison. […] Il eut raison ; son livre n’eût pas trouvé, en 1880, par exemple, un public approprié. […] N’était-elle pas désormais un art d’initiés, un art ésotérique, comme on disait alors, et elle avait raison de s’en attribuer les privilèges. […] La raison en est qu’il porte son sens en lui, non pas d’une façon apparente, mais d’une manière secrète, de même que l’arbre porte en sa graine le fruit qui en naîtra.

1081. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Huet, évêque d’Avranches, par M. Christian Bartholmèss. (1850.) » pp. 163-186

que le sage Huet avait raison quand il démontrait presque géométriquement quelle vanité et quelle extravagance c’est de croire qu’il y a une réputation qui nous appartienne après notre mort ! […] Huet, selon moi, et ceux qui se préoccupent comme lui de la faiblesse de l’esprit humain, n’ont pas si tort qu’on le dit dans les écoles de l’Université, et Descartes, en philosophie, n’a pas si évidemment raison qu’il plaît à nos maîtres de le proclamer. […] Il donne très bien les raisons de cette décadence, de ce rabaissement graduel des lettres, qui consiste précisément dans leur vulgarisation plus facile et leur diffusion plus élémentaire. […] Un autre jour, comme Perrault lisait à l’Académie française son poème du Siècle de Louis le Grand, où l’Antiquité est sacrifiée au présent, et qui commença cette longue guerre des anciens et des modernes, Boileau, outré, ne se pouvait contenir pendant la lecture, et Huet le calmait de son mieux en lui disant, non sans un grain d’ironie : « Monsieur Despréaux, il me semble que cela nous regarde encore plus que vous. » Huet, en parlant ainsi, avait raison et tort. […] Il eût mieux aimé pourtant l’exposition au nord, et il nous en dit les raisons, non sans grâce : Tous les orages, les grands vents, les grêles et les pluies violentes viennent du midi.

1082. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Goethe et de Bettina, traduites de l’allemand par Sébastien Albin. (2 vol. in-8º — 1843.) » pp. 330-352

. — Bettina sait toutes ces choses des commencements mieux que Goethe lui-même ; c’est à elle qu’il aura recours dans la suite, quand il voudra les retrouver pour les enregistrer dans ses Mémoires, et elle aura raison de lui dire : « Quant à moi, qu’est-ce que ma vie, sinon un profond miroir de ta vie ?  […] À la seconde rencontre qui eut lieu à Wartbourg, à quelques mois d’intervalle, comme la voix manquait à Bettina pour s’exprimer, Goethe lui posa la main sur la bouche et lui dit : « Parle des yeux, je comprends tout. » Et quand il s’aperçut que les yeux de la charmante enfant, de l’enfant brune et téméraire, étaient remplis de larmes, il les lui ferma, en ajoutant avec grande raison : « Du calme ! […] Quand une revue anglaise l’attaqua, il le défendit et par toutes sortes de raisons auxquelles Manzoni n’avait certes pas songé. […] Elle-même, en ces moments, s’adressant au poète et se plaignant de n’être pas aimée comme elle aime, a raison de s’écrier : « Ne suis-je pas l’abeille qui s’en va volant et qui te rapporte le nectar de chaque fleur ?  […] Dans le sang répandu des héros tyroliens, il n’a vu encore qu’un parfum de poésie : « Tu as raison, écrivait-il à Bettina, de dire que le sang des héros répandu sur la terre renaît dans chaque fleur. » Encore un coup, l’héroïsme n’est pas le côté supérieur de Goethe.

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