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1773. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Gabriel Naudé »

Ces onze ou douze années d’Italie et de Rome durent avoir grande influence sur lui et sur ses habitudes d’esprit ; mais on peut dire qu’il y était bien préparé par la nature. […] La nature, jouant de son reste, ramassait toutes ses forces pour produire ce dernier bouquet d’illumination et d’artifice. […] On la dirait innée en quelques individus et produite par la nature, tant elle se prononce chez eux de bonne heure ; et, bien qu’elle se mêle dans la jeunesse au désir de savoir et d’apprendre, elle ne s’y confond pas nécessairement. […] On les veut nouveaux et flatteurs à l’œil comme à la fantaisie ; on y cherche un peu la même beauté que dans la nature. […] Naudé qu’avec un attendrissement bien rare en cette caustique nature, et qui les honore tous deux : « Je pleure incessamment jour et nuit M. 

1774. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 octobre 1885. »

La conception dite pessimiste du monde ne doit nous sembler ici justifiée qu’à condition que nous supposions qu’elle se fende sur la critique de l’homme historique ; et elle subirait certainement de nombreuses modifications, si nous connaissions l’homme préhistorique suffisamment pour conclure des éléments de sa nature primitive à la décadence dans laquelle il est tombé par la suite, décadence qui ne résultait pas nécessairement de sa nature même. […] Une morale du bonheur humain, et non superficielle ou casuistique, mais reposée à la nature même de l’Humaine Vie. […] Wagner, par exemple, admet expressément, entre les éléments du bonheur, ces choses que recommande Tolstoï : la vie naturelle, et dans la nature : le travail ; le commerce libre et affectueux avec les hommes ; la santé physique. […] Par suite d’une nourriture qui ne convient pas à sa nature, il tombe en des maladies que nous observons chez lui seul. […] Autour de lui germera l’immense nature, fournissant aux fatals besoins physiques le trésor des aliments végétaux.

1775. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VII : Instinct »

Une petite dose de jugement ou de raison, ainsi que l’exprime Pierre Huber, entre souvent en jeu, même chez les animaux placés très bas dans l’échelle de la nature. […] Ainsi, les nids d’oiseaux varient, en partie, d’après leur situation particulière et selon la nature et la température de la contrée, mais souvent aussi par des causes qui nous sont complétement inconnues. […] Du reste, il n’était pas besoin que je vinsse confirmer de nouveau la réalité de l’instinct esclavagiste dans la nature ; assez d’autres l’avaient fait avant moi. […] Ayons encore ici recours au principe des transitions graduelles, et voyons si la nature ne nous révèle pas elle-même sa méthode de création. […] C’est, je pense, au moyen d’une sélection constante que la nature peut avoir effectué cette admirable répartition des fonctions dans les communautés de Fourmis.

1776. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 13, qu’il est probable que les causes physiques ont aussi leur part aux progrès surprenans des arts et des lettres » pp. 145-236

Les perses étoient sous Darius ce que sont aujourd’hui les persans qui habitent le même païs qu’eux, c’est-à-dire, des ouvriers très-patiens et très-habiles quant au travail de la main, mais sans génie pour inventer, et sans talent pour imiter les plus grandes beautez de la nature. […] La nature capricieuse, à ce qu’il semble, n’y fait naître ces grands artisans que lorsqu’il lui plaît. […] Enfin la nature que Louis le grand força tant de fois à plier sous ses volontez, a refusé constamment de lui obéïr sur ce point-là. […] On dessinoit alors scrupuleusement la nature, mais sans l’annoblir. […] Il semble que la nature ait une force dans la Grece qu’elle n’a pas dans les autres contrées, et qu’elle y donne plus de substance aux alimens et plus de malignité aux poisons.

1777. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIe entretien. Balzac et ses œuvres (2e partie) » pp. 353-431

Suivant la nature du commerce, les échantillons consistent en deux ou trois baquets pleins de sel et de morue, en quelques paquets de toile à voile, des cordages, du laiton pendu aux solives du plancher, des cercles le long des murs, ou quelques pièces de drap sur des rayons. […] Quand les enfants commencent à voir, ils sourient ; quand une fille entrevoit le sentiment dans la nature, elle sourit comme elle souriait enfant. […] Ignorant l’art de remanier dix fois une boucle de cheveux et d’en étudier l’effet, Eugénie se croisa tout bonnement les bras, s’assit à sa fenêtre, contempla la cour, le jardin étroit et les hautes terrasses qui le dominaient ; vue mélancolique, bornée, mais qui n’était pas dépourvue des mystérieuses beautés particulières aux endroits solitaires ou à la nature inculte. […] Ses réflexions s’accordaient avec les détails de ce singulier paysage, et les harmonies de son cœur firent alliance avec les harmonies de la nature. […] Naïve et vraie, elle se laissait aller à sa nature angélique sans se défier ni de ses impressions ni de ses sentiments.

1778. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVI. La littérature et l’éducation publique. Les académies, les cénacles. » pp. 407-442

Au lieu d’ouvrir les yeux, d’observer l’homme et la nature, de grossir le bagage scientifique transmis par les siècles, on jugeait de la vérité par ouï-dire, sur la parole d’un ancien. […] Se créer un style personnel et improviser sur n’importe quel sujet sont deux talents de nature différente et presque opposée. […] Toute institution permanente est conservatrice de sa nature ; elle aime la stabilité, par cela seul qu’elle est stable. […] Et dès 1889, il a pu entendre cet anathème à l’adresse des fidèles restés sous sa bannière : « Les jeunes Naturalistes — ils sont déjà bien vieux — copient patiemment la nature à peu près telle qu’un aveugle la verrait… Laboratoire et document ! […] Du temps où le réalisme était en faveur, j’ai connu de soi-disant réalistes qui étaient profondément idéalistes de nature.

1779. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1886 » pp. 101-162

Sa place n’est pas là, il me semble… Et dans le triste recueillement, je revoyais le cher garçon, avec sa bonne figure, ses yeux limpides d’enfant s’allumant de passion, quand on parlait d’individus ou de choses qu’il n’aimait pas : une nature un peu grosse d’apparence, mais avec des délicatesses, et des tendresses curieuses en dessous, — et un lettré apportant à ses amis des lettres tout son dévouement, et sans réserve et sans restriction aucune. […] Rodin fait tourner sur les selles, les terres, grandeur nature, de ses six otages de Calais, modelés avec une puissante accusation réaliste, et les beaux trous dans la chair humaine, que Barye mettait dans les flancs de ses animaux. […] Dimanche 9 mai J’ai acheté ces temps-ci une série de dessins japonais, représentant des poissons et des oiseaux, dont je n’ai vu aucun échantillon pareil dans nulle école, comme habileté, comme croquade spirituelle, rendant du premier coup la nature. […] Il s’y trouve un faisan aquarellé, grandeur nature, qui est une pure merveille, et où de vraies plumes sont collées tout autour du faisan, pour servir de point de comparaison, avec les tons de l’aquarelle. […] Corot perdant beaucoup, et montrant le procédé et la blague idyllique de la nature.

1780. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « L’abbé Fléchier » pp. 383-416

La nature de ces controverses avait même été telle, et l’on s’était attaqué si vivement à la personne de M.  […] On voit de l’autre les montagnes d’Auvergne fort proches, qui bornent la vue si agréablement, que les yeux ne voudraient point aller plus loin, car elles sont revêtues d’un vert mêlé qui fait un fort bel effet, et d’ailleurs d’une grande fertilité… Fléchier en chaque occasion aura de ces descriptions de la nature, descriptions un peu maniérées et qui empruntent volontiers aux choses des salons, au cristal, à l’émeraude, à l’émail, leurs termes de comparaison et leurs images : toutefois, sous l’expression artificielle, on retrouve un certain goût et un sentiment fleuri de la nature. […] Dure et ingrate nature humaine, pétrie au fond d’envie, bien plus que de bonté, qui ne sort guère d’un excès que pour un autre, et qui, dès qu’elle n’est plus foulée et à terre, a besoin de fouler quelqu’un : Si on ne leur parle avec honneur, nous dit Fléchier dans son récit, et si l’on manque à les saluer civilement, ils en appellent aux Grands Jours, menacent de faire punir, et protestent de violence. […] Mais voici ce qu’ajoute Fléchier, et qui est plus curieux que tout, car on y retrouve cette éternelle question des biens chez une race avare et âpre au partage : « Ils étaient encore persuadés que le roi n’envoyait cette compagnie que pour les faire rentrer dans leur bien, de quelque manière qu’ils l’eussent vendu, et sur cela ils comptaient déjà pour leur héritage tout ce que leurs ancêtres avaient vendu, remontant jusques à la troisième génération. » En n’ayant l’air que de sourire, le futur évêque de Nîmes se montre encore ici un connaisseur très clairvoyant et très expérimenté de la nature humaine, et ne versant d’aucun côté.

1781. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « MÉLEAGRE. » pp. 407-444

Au chant xiii de l’Odyssée, Ulysse, trop longtemps retenu à son gré chez les Phéaciens, a obtenu un vaisseau ; il doit partir le soir même, il assiste au dernier festin que lui donnent ses hôtes ; mais, impatient qu’il est de s’embarquer pour son Ithaque, il n’entend qu’avec distraction, cette fois, le chantre divin Demodocus, et il tourne souvent la tête vers le soleil comme pour le presser de se coucher : « Comme lorsque le besoin du repas se fait sentir à l’homme qui, tout le jour, a conduit à travers son champ les bœufs noirs tirant l’épaisse charrue : il voit joyeusement se coucher la lumière du soleil pressé qu’il est d’aller prendre son souper, et les genoux lui font mal en marchant ; c’est avec une pareille joie qu’Ulysse vit se coucher la lumière du soleil. » La passion de l’exilé sur le point de revoir sa patrie, comparée à celle du pauvre journalier pour son souper et son gîte à la dernière heure d’une journée laborieuse, ne se trouve point rabaissée en cela ; elle n’en paraît que plongeant plus à fond, enracinée plus avant dans la nature humaine ; mais rien n’est compris si cette circonstance naïve des genoux qui font mal en marchant est atténuée ou dissimulée ; car c’est justement cette peine qui est expressive, et qui aide à mesurer l’impatience même, la joie de ce simple cœur. […] Moschus a-t-il à déplorer la perte du célèbre bucolique Bion, et veut-il opposer à la fragilité mortelle cette immortalité de la nature si souvent mise en contraste depuis par des voix de poëtes : dans l’un des couplets de sa , il s’écrie : « Hélas ! […] les petites mauves, lorsqu’elles ont comme péri dans le jardin, et le vert persil, et le frais fenouil tout velu, revivent par la suite et repoussent à l’autre année ; mais nous autres hommes, les grands, les puissants ou les génies, une fois que nous sommes morts, insensibles dans le creux de la terre, nous dormons à jamais le long, l’interminable, l’inéveillable sommeil. » — Ce passage fait souvenir de l’ode d’Horace : Diffugere nives, dans laquelle le poëte exprime la mobilité des saisons, le printemps qui renaît et qui sollicite à jouir de l’heure rapide, car l’hiver n’est jamais loin : « Mais, ajoute-t-il en s’attristant également de la supériorité de la nature sur l’homme, les lunes légères ne tardent guère à réparer leurs pertes dans le ciel, tandis que nous, une fois descendus là où l’on rejoint le pieux Énée, le puissant Tullus et Ancus, nous ne sommes que poussière et ombre. » La pensée d’Horace est belle, elle est philosophique et d’une mélancolie réfléchie ; mais je ne sais quoi de plus vif et de plus pénétrant respire dans la plainte de Moschus. […] Mais non : ces phases analogues et ces récidives du goût tiennent à des lois générales de l’esprit humain ; on réinvente, à de certains âges et en de certains lieux éloignés, les mêmes défauts, comme quelquefois aussi on rencontre, sans s’être connus et à l’aide de la seule nature, les mêmes beautés. […] Ici, dans ce printemps de Phénicie comme dans ceux d’Ionie et de Sicile, le spectacle se déroulait au complet sous un seul et même regard, et l’heureux poëte n’a fait que copier la nature.

1782. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

Boileau, le législateur de la poésie française régulière, préside à la seconde moitié du xviie  siècle et à tout le xviii e, qui essaye bien, il est vrai, de se révolter à diverses reprises contre lui : Boileau ouvre donc le troisième volume ; mais le quatrième, qui appartient en entier aux modernes, présente à son frontispice le nom de Lamartine, de qui daté, en effet, le renouvellement de notre muse moderne, son affranchissement éclatant, et par qui la lyre française a pour la première fois trouvé des cordes nouvelles, inouïes, inaudita prius… Ces quatre divisions qui avaient, comme on voit, leur raison dans la nature des choses, ont dû être traitées un peu diversement. […] Au milieu de la grossièreté des mœurs, nous comprenons par là l’une des délicatesses de l’honneur féodal ; nous en sentons les nuances, et nous mesurons la force du nœud mieux que nous ne l’aurions pu par toutes les définitions ; nous saisissons aussi des accents de nature profonde et d’humanité : ces hommes à la rude écorce et au cœur de chêne avaient des fibres tendres et savaient pleurer. […] Il en sort un souffle parfois puissant, il y court une source d’âpre fraîcheur, et aussi elles renferment bien des traits saillants de vérité pittoresque, pris sur nature, des beautés éparses, franches, et dont un grand poète s’attachant à peindre et à ressusciter le moyen âge eût fait son profit. […] Rien ne montre mieux à quel point le mouvement poétique du xixe  siècle a été général, spontané, fécond ; toutes natures, aussitôt averties, ont donné ce qui était en elles. […] La Nature seule peut créer le génie : à celui qui doit venir et en qui noirs avons espérance, nous dirions : « Il n’y a plus de théories factices, de défenses étroites et convenues ; le champ entier de la langue et de la poésie est ouvert devant vous, depuis l’âpre simplicité des premiers trouvères jusqu’à l’habile hardiesse des plus modernes, depuis la Chanson de Roland jusqu’à Musset : langue de Villon, langue de Ronsard, langue de Régnier, langue de Voltaire, quand il est en verve, langue de Chénier (je ne parle pas des vivants), tout cela est votre bien, votre instrument ; le clavier est immense.

1783. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « De l’influence récente des littératures du nord »

Ce que Norah va chercher, Indiana le rencontre ; Indiana, épousant Ralph en présence de la nature et de Dieu, c’est Norah, après sa fuite, trouvant l’époux de son âme, le choisissant dans sa liberté  Et Lélia, c’est déjà Hedda Gabler. […] Quoi de plus triste dans leur sérénité que les maximes d’un Marc-Aurèle affirmant sa soumission aux lois inéluctables de la nature ? […] Ici encore relisez Madame Bovary : vous verrez que tous les actes, toutes les démarches, toutes les rêveries même d’Emma sont expliqués, d’abord par sa nature, puis par quelque excitation du dehors, une rencontre, un objet qu’elle voit, un mot qu’elle entend. […] Mais, d’abord, cet étonnement de vivre, cette sorte d’« horreur sacrée » ne comporte, par sa nature même, qu’une expression assez courte, ou qui ne s’allonge qu’en se répétant. […] le romantisme, ce n’est pas, seulement le décor moyen-âgeux ni, au théâtre, la suppression des trois unités ou le mélange du tragique et du comique : c’est le sentiment de la nature, c’est la reconnaissance des droits de la passion, c’est l’esprit de révolte, c’est l’exaltation de l’individu : toutes choses dont les germes, et plus que les germes, étaient dans la Nouvelle Héloïse, dans les Confessions et dans les Lettres de la Montagne… Dans cette circulation des idées, on sait de moins en moins à qui elles appartiennent.

1784. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Additions et appendice. — Treize lettres inédites de Bernardin de Saint-Pierre. (Article Bernardin de Saint-Pierre, p. 420.) » pp. 515-539

La nature y est meilleure. […] Je ne forme plus de projet, mais j’ai souvent désiré d’avoir une bonne femme comme j’imagine la vôtre, une petite terre agréable et la liberté de m’occuper, dans le voisinage d’un ami comme vous, de l’étude de la nature. […] J’ai fait imprimer l’année passée un ouvrage en 3 volumes, intitulé : Études de la nature. […] Denis Rougemont, banquier, rue Saint-Martin, dont j’ai pris un reçu ; 2º de l’arrivée de douze exemplaires de la 2e édition des Études de la nature, remis à Rouen au sieur Lezurier, lequel les a fait embarquer sur La Dame Sophie, vaisseau du port de 100 tonneaux commandé par le capitaine Gerrit Ziedzes, suivant le reçu dudit capitaine daté de Rouen du 3 juillet ; duquel envoi à Pétersbourg à votre adresse j’ai payé commission, emballage et port jusqu’à Rouen. […] [NdA] Ici nous pressentons l’auteur des Harmonies, et celui qui se pose des questions sur les procédés primordiaux et les contrastes symétriques de la nature.

1785. (1828) Préface des Études françaises et étrangères pp. -

Les Études de la nature, Paul et Virginie, le Génie du Christianisme, René, l’Itinéraire, sont des productions qui n’avaient pas leur germe dans notre langue ; et aujourd’hui même, parmi les écrivains exclusivement voués à la prose, quels sont les plus remarquables par la pensée et par l’expression, si ce n’est ceux qui se livrent à la haute étude des sciences philosophiques ou aux profondes recherches historiques : deux importantes matières que nos grands prosateurs des derniers siècles étaient loin d’avoir épuisées, et dans lesquelles les littératures étrangères nous ont devancés et surpassés. […] Villemain dont les brillantes improvisations rendent si étroites, les plus vastes salles, soit circonscrit lui-même, par la nature spéciale de son cours, dans l’examen critique de l’éloquence française. […] Soit que la nature ne l’ait pas doué de poésie au même degré que ces deux grands hommes, soit que, travaillant pour une époque excessivement spirituelle, mais peu artiste, il ait négligé, à dessein, la forme et la couleur poétiques, qui n’eussent été que médiocrement senties, pour se livrer tout entier aux combinaisons théâtrales et aux déclamations philosophiques qui étaient alors dans le goût du public ; il est certain qu’il a outré encore le défaut de localité et d’individualité qui est le péché originel de notre tragédie. […] Arrêtons-nous pour remarquer que le génie de nos trois grands tragiques s’est manifesté dans les proportions et avec les formes qui convenaient aux époques où ils ont écrit ; et que la nature de leurs beautés et même de leurs défauts n’a aucune analogie. […] La critique devrait donc apprendre à se montrer un peu indulgente pour certains défauts, et très difficile sur la nature des beautés.

1786. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Appendice. Discours sur les prix de vertu »

Plus d’une fois elle a porté la peine de son zèle et de ses pieux excès : après s’être dévouée à soigner des familles entières dans une épidémie de fièvre typhoïde qui sévit dans la contrée en 1839, elle tomba malade elle-même et faillit succomber : D’autres fois, après avoir surmonté toutes ses nausées auprès de certains malades, après avoir fait l’impossible en constance, en patience, en refoulement de toutes les délicatesses, la nature à la fin se révolte et se revanche ; il y a un lendemain ; et le devoir accompli, le malade soigné, le mort enseveli, la courageuse infirmière est demeurée des huit jours entiers le cœur soulevé, rassasié, sans pouvoir prendre presque aucune nourriture : elle a eu le contrecoup de son dévouement. […] Mais ce serait mal répondre au caractère d’une telle loi, à la nature des idées qu’elle fait naître et qu’elle remue, que de ne pas dire quelques mots de l’état des choses qui l’a rendue nécessaire et des intérêts élevés auxquels elle pourvoit. […] La nature qui crée un génie, un talent, le laisse libre, jusqu’à un certain point, de produire plus ou moins activement, plus ou moins fructueusement. […] Ferdinand Fabre, semble avoir étudié d’après nature ?

1787. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

C’est là, dans cette vallée qu’ont chantée les poètes, au milieu de la société d’amis de son choix, qu’il se recueillit de nouveau, fit son examen de conscience et se dit sans doute qu’il avait assez et trop dépensé de sa vie à des efforts infructueux, à des collaborations politiques sans résultat et sans issue : il résolut de redevenir une dernière fois ce que la nature l’avait surtout prédestiné à être, un observateur historique et un écrivain. […] Dans cette lettre caractéristique, nous faisons avec Tocqueville tout un voyage autour de ma chambre, une reconnaissance complète de son esprit : « Ce qui aurait le plus d’originalité et ce qui conviendrait le mieux à la nature et aux habitudes de mon intelligence, serait un ensemble de réflexions et d’aperçus sur le temps actuel, un libre jugement sur nos sociétés modernes et la prévision de leur avenir probable. […] Nous ne sommes d’ailleurs pas au bout de cette sorte de confession intellectuelle, la plus curieuse et la plus détaillée que je connaisse : « A cette première manière d’envisager le sujet, poursuis l’auteur, en a succédé dans mon esprit une autre que voici : il ne s’agirait plus d’un long ouvrage, mais d’un livre assez court, un volume peut-être ; je ne ferais plus, à proprement parler, l’histoire de l’Empire, mais un ensemble de réflexions et de jugements sur cette histoire ; j’indiquerais les faits sans doute et j’en suivrais le fil, mais ma principale affaire ne serait pas de les raconter ; j’aurais, surtout, à faire comprendre les principaux, à faire voir les causes diverses qui en sont sorties ; comment l’Empire est venu, comment il a pu s’établir au milieu de la société créée par la Révolution ; quels ont été les moyens dont il s’est servi ; quelle était la nature vraie de l’homme qui l’a fondé ; ce qui a fait son succès, ce qui a fait ses revers ; l’influence passagère et l’influence durable qu’il a exercée sur les destinées du monde, et en particulier sur celles de la France. […] Et puis, il y avait de lui à moi, de tout temps et bien avant les événements de dernière date, un certain nœud de séparation : il était de nature croyante, c’est-à-dire que, même dans l’ordre des idées, il portait une certaine religion, une certaine foi.

1788. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Par toute la grande Italie Où je marche le front baissé, De toi seul, lorsque tout m’oublie, Notre abandon est embrassé… L’image de ce platane à la fenêtre sans rideau, du moins dans les deux premiers vers de la strophe, est saisissante ; on sent que c’est pris sur nature, et que ce n’était pas une fiction du poète. […] Mme Valmore dans ses plaintes n’accusa jamais personne : elle était le plus éloignée par nature de toute récrimination comme de toute déclamation. […] Sa famille immédiate se composait de cinq êtres les plus chers : un mari, la probité et la droiture même, qui souffrait en homme de son inaction forcée, et qui ne demandait qu’emploi honnête et labeur73 ; trois enfants de rare nature, un fils né en 1820, et deux filles, Ondine née vers 1822, et Inès née vers 1826. […] Mais la réalité, nous la voyons, et la beauté morale de sa nature s’y montre à nu en toute sincérité : « (8 août 1847)… Mon bon frère, ton ami Devrez80, qui, va partir pour nos chères Flandres, se charge avec plaisir de nos t’adresses et d’un petit paquet pour toi.

1789. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — I »

I Les grands poëtes, les poëtes de génie, indépendamment des genres, et sans faire acception de leur nature lyrique, épique ou dramatique, peuvent se rapporter à deux familles glorieuses qui, depuis bien des siècles, s’entremêlent et se détrônent tour à tour, se disputent la prééminence en renommée, et entre lesquelles, selon les temps, l’admiration des hommes s’est inégalement répartie. […] Des changement secrets s’accomplissent en eux, au sein de leur génie, et quelquefois le transforment ; ils subissent ces changements comme des lois, sans s’y mêler, sans y aider artificiellement, pas plus que l’homme ne hâte le temps où ses cheveux blanchissent, l’oiseau la mue de son plumage, ou l’arbre les changements de couleur de ses feuilles aux diverses saisons ; et, procédant ainsi d’après de grandes lois intérieures et une puissante donnée originelle, ils arrivent à laisser trace de leur force en des œuvres sublimes, monumentales, d’un ordre réel et stable sous une irrégularité apparente comme dans la nature, d’ailleurs entrecoupées d’accidents, hérissées de cimes, creusées de profondeurs : voilà pour les uns. […] Il décelait déjà sa nature discrète, innocente et rêveuse, par de longues promenades, un livre à la main (et qu’il ne lisait pas toujours), dans ces belles solitudes dont il ressentait les douceurs jusqu’aux larmes. […] La nature elle-même ne le séduit que médiocrement : « Si le pays de soi avoit un peu de délicatesse, et que les rochers y fussent un peu moins fréquents, on le prendroit pour un vrai pays de Cythère » ; mais ces rochers l’importunent ; la chaleur l’étouffe, et les cigales lui gâtent les rossignols.

1790. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre II. Le théâtre du quinzième siècle (1450-1550) »

Jamais ils ne donnent la sensation d’un art qui s’efforce pour ne rien laisser du caractère ou de la beauté qu’il aperçoit dans la nature. […] Sans doute aussi des bourgeois, des artisans se firent affilier à la corporation : mais, comme il est naturel, vu la nature et l’objet de l’association, l’élément jeune, remuant, débauché et bohème dominait et donnait le ton. […] Évidemment cet auditoire-là — bourgeois aussi bien que vilains — se délecte dans l’ordure : les servitudes physiques de la nature humaine ont le privilège de l’égayer toujours sans jamais le lasser. […] L’auteur est inconnu : la nature du sujet fait conjecturer qu’il était basochien et voulait amuser les gens du Palais.

1791. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’expression de l’amour chez les poètes symbolistes » pp. 57-90

Tout de même, l’interdit de l’Église pèse peut-être moins dans leurs hésitations que la qualité de leur nature et une sorte d’orgueil propre à leur génération. […] C’est une étrange chose que la nature ait mélangé, comme dit Montaigne, nos ordures et nos plaisirs, et qu’un homme délicat ne puisse s’y exposer sans nausées. […] Il sait que la nature n’use de nous qu’à titre de ferments nourriciers et prolifiques afin d’assurer la perpétuité de l’espèce : Totus homo semen est, tota mulier in utero . […] Ils marchent à tâtons dans la nuit, faute d’avoir su identifier la force qui les pousse à « s’affranchir de la lourde nature ».

1792. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « André Chénier, homme politique. » pp. 144-169

Aujourd’hui, c’est un autre portrait que je voudrais montrer en regard, et d’une nature toute différente, d’un caractère non moins enviable et cher aux gens de bien. […] Par nature, par instinct et par vocation il n’était nullement un homme politique : il aimait avant tout la retraite, l’étude, la méditation, une société d’amis intimes, une tendre et amoureuse rêverie. […] On y voit, dans un rythme aussi neuf qu’harmonieux, le sentiment de la nature et de la solitude, d’une nature grande, cultivée et même pompeuse, toute peuplée de souvenirs de grandeur auguste et de deuil, et comme ennoblie ou attristée d’un majestueux abandon.

1793. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Études sur Saint-Just, par M. Édouard Fleury. (2 vol. — Didier, 1851.) » pp. 334-358

Quelques tableaux s’animent de détails plus vifs ; je remarque dans une suite de vers insipides ces deux vers coquets : Ses blonds cheveux, bouclés par la nature, D’un front d’ivoire agaçaient la blancheur. […] Je suis très jeune, j’ai pu pécher contre la politique des tyrans, blâmer des lois fameuses et des coutumes reçues ; mais, parce que j’étais jeune, il m’a semblé que j’en étais plus près de la nature. […] Il a gardé de son premier métier de poète la faculté des images : seulement les siennes sont sobres, d’une nature sombre et forte ; on dirait qu’il les a trempées dans le Styx : « Pour vous, s’écrira-t-il, détruisez le parti rebelle, bronzez la liberté !  […] Certes, il est des natures violentes et dures qui peuvent vigoureusement s’appliquer aux grandes mesures d’ordre et d’administration militaire ; témoin Louvois et Davout, qui, à ce que j’ai ouï dire, n’étaient pas tendres.

1794. (1856) Les lettres et l’homme de lettres au XIXe siècle pp. -30

Nous voyons bien à Jérusalem une classe spéciale, les prophètes et quelques autres hommes, deux rois, par exemple, qui, sans appartenir à la tribu sacerdotale, composent des poésies, des histoires, des sentences ; mais la nature de leurs écrits, presque tous religieux, et le soin qu’ils prennent de les déposer dans la bibliothèque du temple, soit comme un hommage, soit comme une garantie de durée, indiquent assez la subordination. […] La vapeur dirigée, les machines substituées aux bras, la vitesse des transports dépassant les rêves de l’imagination ; le fluide bruyant qui nous menaçait dans la foudre, devenu le docile messager de nos besoins et de nos caprices ; la lumière, rivale du pinceau, fixant sur le papier les images les plus fugitives ; toutes les forces de la nature venant l’une après l’autre, comme des géants domptés, s’asservir sous la main d’un enfant ; voilà les prodiges dont notre siècle a été et doit être le fortuné témoin. […] Qu’on nous pardonne de prendre le rôle de moraliste : nous espérons faire comme cet orateur sacré qui, assez peu dévot de sa nature, prêcha tellement la pénitence qu’il finit par se convertir. […] Dieu a fait l’homme à son image  : l’homme refait le monde à la sienne, et par conséquent à celle de Dieu ; il introduit la discipline parmi les forces de la nature, la justice dans la société.

1795. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre II. Le fond et la forme dans la littérature indigène. »

Tel autre, au contraire, à qui le succès de son compagnon a fait espérer même réussite, échoue dans une entreprise de même nature parce que ces qualités de cour lui font défaut. […] A citer encore : Le mutisme tenacement observé au milieu de provocations insultantes ou en présence d’événements de nature à faire rompre le silence ; cf. […] Cependant un rêve de cette nature semble plus conforme encore au tempérament des noirs qu’à celui de l’Indo-Européen65. […] Pas d’êtres minuscules de nature humaine.

1796. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vi »

Je crois qu’Alfred Salabelle me dénaturait dans son esprit, mais nous serions impardonnables si nous risquions de méconnaître sous de rudes paroles une nature profonde. […] Et les révolutionnaires, quand ils ont à faire la guerre, s’y mettent bravement parce que c’est la tâche du jour et qu’il est de leur nature de mettre leur amour-propre dans leur travail.‌ […] Il naît comme il peut, dans une patrie à grand effort défendue, à grand effort pacifiée, chargé cependant de l’inégalité corporelle et intellectuelle qui est dans la nature, des inégalités économiques et historiques qui sont dans la société.‌ […] » Vous savez quels soucis ils nous ont créés, quelle peine nous nous sommes donnée, à l’Instituteur français, organe antisyndicaliste, pour ramener au simple bon sens et à la plus élémentaire prudence ces enfants terribles de la grande famille primaire, que rien n’arrêtait, ni leur propre sécurité, ni le tort qu’ils faisaient à l’École et à ses maîtres, natures ardentes, mais, à la vérité, généreuses, ne pouvant supporter d’aucune façon l’arbitraire et l’injustice.‌

1797. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le buste de l’abbé Prévost. » pp. 122-139

Car plus on lit Manon Lescaut, et plus il semble que tout cela soit vrai, vrai de cette vérité qui n’a rien d’inventé et qui est toute copiée sur nature. […] Mais, même dans ces besognes obligatoires que la nécessité lui imposait, une fois la plume à la main, que ce soit la grande compilation de l’Histoire générale des voyages qu’il entreprenne (1746) que ce soit un simple Manuel lexique ou Dictionnaire portatif des mots français obscurs et douteux (1750), un de ces vocabulaires comme Charles Nodier en fera plus tard par les mêmes motifs ; que ce soit le Journal étranger, ce répertoire varié de toutes les littératures modernes, dont il devienne le rédacteur en chef (1755) ; de quelque nature de travail qu’il demeure chargé, remarquez le tour noble et facile, l’air d’aisance et de développement qu’il donne à tout ; il y met je ne sais quoi de sa façon agréable et de cet esprit de liaison qui est en lui. […] Sa mort, survenue brusquement le 25 novembre 1763, est restée enveloppée de mystère dans quelques-unes de ses circonstances, et ce qui s’est dit l’autre jour à Hesdin, dans la cérémonie même, n’est pas de nature à lever tous les doutes.

1798. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — II. (Fin.) » pp. 364-380

La nature humaine n’y est pas creusée assez avant ; on y voit du moins le faible de l’auteur et son goût pour ce genre de serviteurs officieux, voisins des maîtres. […] Dans La Mère confidente, qui sort de ses données habituelles et qui est d’un ordre à part dans son théâtre, il a touché des cordes plus franches, plus sensibles et d’une nature meilleure. […] » C’est qu’il y a un fonds chez Marivaux ; il a sa forme à lui, singulière en effet, et dont il abuse ; mais comme cette forme porte sur un coin réel et vrai de la nature humaine, c’est assez pour qu’il vive et pour qu’il reste de lui mieux qu’un nom.

1799. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — I. » pp. 279-295

Entre tous ceux qui l’ont loué, je prendrai le moins connu aujourd’hui, mais qui me semble avoir parlé de lui le plus naturellement et sans oublier de mêler aux couleurs quelques légères ombres : Avant de dire ce qu’il a fait pour la nature, disait le médecin Lafisse dans un éloge de Vicq d’Azyr prononcé en 1797, voyons ce qu’elle fit pour lui. […] Les sciences accessoires à la médecine, telles que la chimie, l’anatomie, l’histoire naturelle, y étaient surtout très négligées : mais on y savait tout ce que les Grecs, les Latins et les Arabes ont écrit sur ces divers sujets ; et, si l’on y avait connu la nature aussi bien que les livres, M.  […] Observons la nature : toujours jeune parce qu’elle renouvelle toujours ses productions, ne semble-t-elle pas nous dire : « Mortels, renouvelez donc aussi les vôtres, si vous voulez qu’elles conservent leur gloire avec leur existence ! 

1800. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — II » pp. 268-284

Qu’on me permette un exemple bien disproportionné quant à la splendeur, mais non pas quant aux circonstances essentielles : supposez que de la grande Histoire de Mézeray on n’ait conservé que les premiers âges à demi fabuleux des Mérovingiens, et puis les règnes de Jean, de Charles V, de Charles VI, et, si l’on veut même, de Charles VII, les guerres des Anglais, et qu’on ait perdu tout le xvie  siècle, où Mézeray abonde et excelle, ces tableaux des guerres civiles religieuses, où il est le compilateur le plus nourri, le plus naïvement gaulois et le plus indépendant à la française, où il se montre le mieux informé et le plus sensé des narrateurs ; aura-t-on, je le demande, du talent de Mézeray et de sa nature d’esprit une idée entière, et surtout pourra-t-on pousser cette idée et la définition de cet esprit jusqu’à la rigueur d’une formule, jusqu’à en extraire le dernier mot ? Le dernier mot d’un esprit, d’une nature vivante ! […] Est-ce à dire, parce que Tite-Live est éloquent par nature et cherche des sujets riches et féconds, des sujets propices au développement des talents qu’il a en lui, qu’il soit orateur en tout et partout dans son histoire, orateur au pied de la lettre, et orateur en quelque sorte dépaysé quand il fait autre chose que des discours, tellement que lorsqu’il peint, par exemple, des caractères, Annibal, Fabius, Scipion, Caton, Paul-Émile, s’il les conçoit d’une façon un peu plus noble et un peu plus adoucie qu’un autre ne les eût présentés, tout ce qu’on peut louer ou blâmer dans cette manière de traiter les portraits soit l’effet de l’esprit oratoire, un effet rigoureux, nécessaire, découlant de là directement comme un corollaire d’un principe ?

1801. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir a l’histoire de mon temps. Par M. Guizot »

Mais je m’aperçois que je rêve ; je demande aux hommes publics plus de patience et de sacrifices qu’ils n’en peuvent exiger eux-mêmes de leur nature. […] Entre ces deux hommes, d’ailleurs, qui se fussent si bien complétés, il y avait des différences profondes d’origine, de tempérament et de nature ; elles sautent aux yeux. […] Molé sans garanties suffisantes), à mes impressions personnelles, à l’insistance du roi, à l’urgence de la situation, et aussi à une disposition de ma nature qui est d’avoir trop de facilite à accepter ce qui coupe court aux difficultés du moment, trop peu d’exigence quant aux moyens et trop de confiance dans le succès. » Il est curieux, en le lisant, de remarquer comme ces formes de phrases se reproduisent involontairement sous sa plume : « J’ai la confiance de croire, etc.

1802. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Essai sur l’Histoire générale des sciences pendant la Révolution française. »

Littérateur correct et instruit, il établit dans cet article un principe qu’il pousse un peu loin, et sur lequel il ne varia jamais : c’est que les grands écrivains et les grands poètes du passé, Homère tout le premier et ensuite Virgile, lequel, dit-il, « avait plus de goût encore qu’Homère, » n’ont jamais rien dit, n’ont jamais employé pour peindre les choses un seul mot qui ne fût pris dans la nature : « On ne rencontre pas dans les Géorgiques une seule expression impropre, une seule épithète oiseuse ou inexacte. […] » C’est une imitation, une inspiration élégante d’après Jean-Jacques ou Bernardin de Saint-Pierre ; mais la nature particulière de l’Espagne, le caractère du paysage ne s’y peint par aucun de ces traits tout à fait distincts, et qu’on ne peut plus oublier. […] Mais les souvenirs, mais les nuances morales, mais les sympathies et les antipathies, mais la vie même, la clef secrète de cette nature si complexe et si pleine de curiosités et d’aptitudes, et d’envies et de préventions, de plis et de replis de toutes sortes, qui nous la rendra ?

1803. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Etienne-Jean Delécluze »

Ce perpétuel Étienne, qui revient sans cesse comme le nom de César dans les fameux Commentaires, fait un premier effet assez singulier, mais qui n’est pas désagréable, la nature de l’homme étant donnée. […] Si l’on peut trouver qu’il insiste un peu trop sur quelques élèves, dont les noms sont restés parfaitement inconnus, par exemple sur Gautherot « à la dartre vive », il résulte de cette suite de croquis d’après nature une impression totale pleine de vie et de mouvement. […] Par exemple, ayant à parler du grand prix de gravure (Journal des Débats du 21 septembre 1854), il dira : « Les élèves graveurs admis au concours sont tenus à dessiner d’abord une figure d’après l’antique, puis une académie d’après nature dont ils font la traduction avec le burin, et c’est d’après le mérite de cette triple étude que l’on apprécie leur mérite et qu’on leur décerne un prix quand ils le méritent.

1804. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Les Saints Évangiles, traduction par Le Maistre de Saci. Paris, Imprimerie Impériale, 1862 »

considérez comment croissent les lis des champs… etc. » Nous savons tous dès l’enfance ces belles paroles, nous sommes nourris de ces innocentes et virginales images ; l’idée pourtant qui y est exprimée ou plutôt touchée si légèrement, le conseil qui y est donné d’un air si aisé et d’un si engageant appel, n’est pas seulement un renchérissement sur la nature, c’est plutôt un renversement de cette nature humaine tout égoïste et du sens commun ordinaire, en vue d’une idéale et surnaturelle perfection. […] Et puis nous avons trop vu Raphaël, cette seconde nature, nous en sommes trop pleins pour pouvoir désormais l’oublier.

1805. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite.) »

Ce pauvre Don Quichotte, répétant les exploits des anciens chevaliers avec une si parfaite bonne foi et une candeur si unique, donne jour à une telle variété de rencontres et d’aventures, — l’écuyer Sancho, dès la seconde sortie, accompagne et double si grotesquement son maître, avec ce perpétuel contraste de demi-bon sens et de demi-bêtise qui ne feront que s’accroître et se solidifier en avançant, — l’auteur, par des stations ménagées à propos, sait si naturellement entremêler d’autres récits et nous intéresser, chemin faisant, par les côtés passionnés et romanesques de notre nature, — il profite si justement et avec une si légitime hardiesse des instants lucides de son héros qui n’extravague que sur un point, pour le faire noblement et fermement discourir des matières que lui-même avait le plus à cœur de traiter, — tout cet ensemble vit, marche, se déduit si aisément, d’un cours si large, si abondant, et avec une telle richesse de développements imprévus et d’embranchements inépuisables, qu’on est bien réellement en plein monde, en plein spectacle, en plein air sous le ciel, qu’on nage dans un courant de curiosité humaine de tous côtés excitée et satisfaite, et que rien ne sent ni ne rappelle l’application critique et satirique née dans le cabinet. […] Reconnaissons enfin, après plus de deux siècles d’injustice et d’erreur, dans toutes les proportions de sa gloire un grand homme qui fut un martyr ; qui tout le temps qu’il traversa cette terre resta étranger au bonheur ; dont le cœur fut pur de toute tache, à l’abri de ces petitesses dont souvent ne sont point exempts les grands écrivains ; dont le chef-d’œuvre porte à un si haut degré l’empreinte d’une nature si noble, si élevée et si humaine, et qui de tous les hommes est celui dont l’âme se montrerait le plus sensible à une réparation pour l’outrage fait à la portée de son génie. » Et moi je dis : Ainsi est fait l’esprit humain ; il a soif d’une légende morale ; il a un besoin perpétuel de refonte et de remaniement pour toutes ses figures. […] Je ne sais si je vais par trop le dégrader, mais, lui-même, il n’était qu’un homme du plus aimable génie, de la plus fertile imagination et de la plus belle humeur, dont les heureuses qualités ont jailli jusqu’à la fin, comme par un miracle de nature, du sein de la pauvreté extrême et de l’infortune.

1806. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Gisors (1732-1758) : Étude historique, par M. Camille Rousset. »

Le respect et la docilité sont des traits caractéristiques de cette nature, qui nous représente au sérieux, et sans nuance d’épigramme, un Télémaque ou un Grandisson dans les camps. […] Dans toute la première partie de la campagne, qui se termine à la victoire d’Hastenbeck, le maréchal d’Estrées lutte contre les difficultés qui naissent de la nature du pays, du défaut des subsistances, et du propre désordre de son armée, surchargée d’officiers généraux inutiles, d’équipages fastueux et parasites. […] Cette parfaite culture à laquelle rien n’avait manqué et qui avait si bien réussi, ce respect absolu pour son père, cette soumission, cette juste égalité de sentiments en tout, ou cette réserve qui était une vertu à son âge, ne laissent pas deviner quelle nature de génie particulière pouvait être en lui, et s’il avait du génie ou seulement un parfait mérite ; car, quand on a tant de bon sens à vingt-cinq ans, aura-t-on du génie à cinquante ?

1807. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres choisies de Charles Loyson, publiées par M. Émile Grimaud »

On dirait véritablement que l’histoire littéraire, comme la nature, à la veille d’une grande création, au moment où elle va enfanter et produire un grand individu nouveau, s’essaye et prélude par des ébauches moindres, par des moules préparatoires un peu indécis, mais approchants, qui donnent déjà quelque idée du prochain génie, mais qui, à son apparition, se brisent comme inutiles avant de s’achever et de s’accomplir. […] » — Il exprimait ainsi une contradiction qui est en plus d’une nature littéraire, et plus d’un d’entre nous, que la démangeaison de produire a trop détourné de la douceur d’étudier, pourrait dire en ceci comme Louis XIV : « Je connais ces deux hommes en moi132. » Il s’est engagé une sorte de polémique bien tardive sur Charles Loyson ; dans un livre intitulé Victor Hugo et la Restauration (1869), M.  […] Sainte-Beuve, écrivait-il de moi à ce propos, est de la nature des chauves-souris… Sa phrase molle et lâche, impuissante et couarde, côtoie les sujets… ; elle tourne dans l’ombre comme un chacal ; elle entre dans les cimetières… ; elle en rapporte d’estimables cadavres, qui n’ont rien fait à l’auteur pour être ainsi remués : des Loyson, etc. » 128.

1808. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre V. Premiers aphorismes de Jésus. — Ses idées d’un Dieu Père et d’une religion pure  Premiers disciples. »

Ainsi qu’il arrive souvent dans les natures très élevées, la tendresse du cœur se transforma chez lui en douceur infinie, en vague poésie, en charme universel. […] Jamais prêtre païen n’avait dit au fidèle : « Si, en apportant ton offrande à l’autel, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse-là ton offrande devant l’autel, et va premièrement te réconcilier avec ton frère ; après cela viens et fais ton offrande 258. » Seuls dans l’antiquité, les prophètes juifs, Isaïe surtout, dans leur antipathie contre le sacerdoce, avaient entrevu la vraie nature du culte que l’homme doit à Dieu. « Que m’importe la multitude de vos victimes ? […] Un sentiment exquis de la nature lui fournissait à chaque instant des images expressives.

1809. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Les Gaietés champêtres, par M. Jules Janin. » pp. 23-39

Janin, je me dis : Ce n’est pas un livre, c’est une nature. […] La vie humaine, l’histoire, la nature, sont plus larges assurément qu’on ne les voit quand on s’accoutume à les regarder seulement à travers la fente d’un créneau ou par l’embrasure où fume la mèche d’un canon. […] Ta Louise comme ta Denise est volage, et même un peu perfide, non parce qu’elle est du xviiie  siècle et qu’elle a vu dans le château de Fontenay je ne sais quel petit boudoir mystérieux, non parce qu’elle a lu dans je ne sais quelle bibliothèque défendue ; elle est volage, parce qu’elle l’est de nature, et que, de tout temps, elle l’eût été.

1810. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame la duchesse d’Angoulême. » pp. 85-102

La bonté, la droiture, toutes les qualités solides et vertueuses de son père se transmirent directement au cœur de Madame, et Marie-Antoinette, avec toute sa grâce, ne put même empêcher qu’un peu de cette rudesse de geste ou d’accent, qui couvrait les vertus de Louis XVI, ne se glissât jusque dans la nature toute franche de sa fille. […] Si elle semble, par sa nature, avoir tenu plus de son père que de sa mère, il est une vertu, du moins, qu’elle tint de celle-ci, et qui manqua au pauvre Louis XVI pour le sauver : je veux dire la fermeté, le courage d’agir dans les moments décisifs. […] C’est assez indiquer cette auguste physionomie que nul n’est tenté de méconnaître : solidité, bon sens, bonté, un certain fonds de gaieté, je l’ai dit, une simplicité parfaite, tels sont les traits dont se composait cette nature.

1811. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre III. Le Bovarysme des individus »

Voici des personnages que les circonstances de leur état, de leur caste, de leur sexe, de leur intelligence naturelle destinent à des manières d’être précises et qui excitent notre rire parce qu’un engouement les détermine à se concevoir autres que ne les a faits la nature et la société, à assumer un rôle où ils trébuchent, où leur inexpérience leur fait commettre mille bévues, où le milieu les dessert constamment. […] La mascarade, comme moyen classique du rire, est fondée sur cette loi : un corset, une crinoline, des paniers Watteau, un chapeau à plumes, un éventail, de la poudre et du fard, voici divers objets qui rentrent tous dans le concept de la parure ou de l’habillement féminins : qu’avec ces objets on costume et que l’on pare un homme mûr et aussitôt sa voix, ses gestes, sa démarche, tout ce qui, sous le déguisement, trahit sa vraie nature, va, par le contraste susciter le rire de tous. […] Le point d’honneur, tel que le fixe la coutume de chaque nation, prend sur la plupart des consciences individuelles un empire souverain et on y voit l’opinion, glus forte que la nature, déformer et façonner ce qu’il y a de plus intime dans un être, ses instincts.

1812. (1889) Méthode évolutive-instrumentiste d’une poésie rationnelle

C’est ainsi que l’un des livres générateurs est la mise en œuvre par descriptions de nature de cette proposition : Si l’homme n’était pas rien ne serait… Kant, Fichte, Hegel réclament. […] Seulement, comme étrange fut l’air de croire inventer cela : car de toute éternité de la matière en devenir le Symbole étant virtuel en la Nature et attendant qui l’en tirera, depuis qu’existent geste et langage n’en sort-il pas peu à peu ? […]   NATURE I DIRE DU MIEUX I. 

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