Quand on lit les auteurs du xiie siècle, la difficulté de la lecture vient moins de leur défaut de netteté et de clarté, que de notre manque d’habitude, et de ce que nous ne reconnaissons pas toujours immédiatement le mot latin sous le travestissement d’une orthographe à la fois chargée de lettres et incertaine. […] Si ce style manque de nerf, s’il n’est pas marqué de ces expressions de génie qui sont comme des pas que fait la langue vers sa perfection, c’est que la source unique de ces expressions est la raison découvrant les vérités générales, et se servant de l’imagination et de la sensibilité pour en donner des images qui demeurent. […] Ceux qui ont manqué de génie ont mérité d’être oubliés. […] Indiquer les causes des événements et les motifs des actions entre ces causes distinguer les véritables de celles qui n’ont été qu’apparentes ; entre ces motifs, discerner ceux qui ont déterminé les actions de ceux qui n’ont servi que de prétextes ; descendre dans le fond de l’homme et découvrir la pensée secrète sous le rôle enfin, par une réserve admirable, quand les événements ont été trop grands ou trop soudains pour que l’historien les puisse expliquer par des raisons humaines, y voir des effets de la sagesse et de la justice de Dieu voilà, ce semble une première ébauche de l’histoire assez belle si ce n’est pas encore l’histoire elle-même, c’est seulement parce qu’il y manque une dernière et suprême convenance, une langue mûre pour les choses de l’art.
Elle n’a manqué ni de partisans ni d’ennemis. […] Ceux qui ont reproché à ces tentatives d’émancipation, de manquer de fondement, qui ont dit à la morale et à la psychologie : « Il est antiphilosophique de chercher à vous passer d’une métaphysique préalable ; votre début est arbitraire, vos data sont affirmés, non discutés ; vous n’êtes point fixés sur les principes », comment n’ont-ils pas vu que c’était là une nécessité logique et que les sciences qui discutent tout ne résolvent rien, et que les débats sur les principes empêchent d’arriver jamais aux conséquences ? […] Ajoutez toutes les grandes vues d’ensemble que nous ne pouvons pressentir, tout ce que nous révéleront des sciences encore à naître : pense-t-on qu’alors la matière manquera aux esprits philosophiques, c’est-à-dire préoccupés du général. […] On a dit ingénieusement « que les métaphysiciens sont des poètes qui ont manqué leur vocation » 2.
Si elle est trop violente ou trop inattendue, elle se trouve en opposition trop forte avec le cours antérieur des sentiments et des mouvements ; elle produit donc un choc trop violent qui peut avoir son côté pénible : « La joie fait mal, la joie fait peur. » Mais ce sont là des effets dérivés du manque d’adaptation préalable et de la résistance que rencontre alors l’émotion de la joie ; cette résistance est une peine, qui s’oppose tout d’abord au plaisir et lui dispute l’entrée de la conscience. […] Souvent cet effort est spasmodique, il s’exerce irrégulièrement dans tous les sens, il est une prodigalité de la force, qui ne peut manquer d’amener bientôt la prostration. […] Par exemple, dans la comédie de la douleur, l’expression est presque toujours exagérée et hors de proportion avec les causes : le visage n’est point pâle, la peau conserve sa couleur normale, il n’y a pas d’harmonie dans la mimique, certaines contractions ou certains relâchements des muscles font défaut ; le pouls, tâté par le médecin, trahit le secret ; une surprise imprévue, une distraction subite fait disparaître tout d’un coup la mimique de la douleur ; enfin et surtout, l’expression est presque toujours centrifuge, elle manque presque absolument de ces formes concentriques qui accompagnent la douleur sincère : tout, comme on dit, reste en dehors. […] Après tout, c’était peut-être un Herder manqué.
Sifflé un vieux paquet de ficelles dont le portrait de mon père, les gants de ma fille, le domino de madame, le mari qui manque le train, sont les bouts les moins roussis et les moins usés ! […] La lecture terminée, d’abord un silence glacial… Puis le comique nous dit durement que la chose manque de couplets, nous tâte pour savoir si nous accepterions une collaboration, enfin nous demande de lui laisser la pièce une quinzaine de jours pour nous donner une réponse définitive. […] manquer aux meilleurs de l’heure présente : des comédies enfin où une myope Thalie ne serait plus cantonnée à regarder dans un petit coin avec une loupe. […] Avec l’évolution des genres qu’amènent les siècles, et dans laquelle est en train de passer au premier plan le roman, qu’il soit spiritualiste ou réaliste ; avec le manque prochain sur la scène française de l’irremplaçable Hugo, dont la hautaine imagination et la magnifique langue planent uniquement sur le terre-à-terre général ; avec le peu d’influence du théâtre actuel en Europe, si ce n’est dans les agences théâtrales ; avec l’endormement des auteurs en des machines usées au milieu du renouveau de toutes les branches de la littérature ; avec la diminution des facultés créatrices dans la seconde fournée de la génération dramatique contemporaine ; avec les empêchements apportés à la représentation de pièces de purs hommes de lettres ; avec de grosses subventions dont l’argent n’aide jamais un débutant ; avec l’amusante tendance du gouvernement à n’accepter de tentatives dans un ordre élevé que de gens sans talent ; avec, dans les collaborations, le doublement du poète par un auteur d’affaires ; avec le remplacement de l’ancien parterre lettré de la Comédie-Française par un public d’opéra ; avec… avec… avec des actrices qui ne sont plus guère pour la plupart que des porte-manteaux de Worth ; et encore avec des avec qui n’en finiraient pas, l’art théâtral, le grand art français du passé, l’art de Corneille, de Racine, de Molière et de Beaumarchais est destiné, dans une cinquantaine d’années tout au plus, à devenir une grossière distraction, n’ayant plus rien de commun avec l’écriture, le style, le bel esprit, quelque chose digne de prendre place entre des exercices de chiens savants et une exhibition de marionnettes à tirades.
Ça n’a rien de désagréable cette rédaction cursive, pour le post mortem, seulement la chose, une fois, écrite, n’est pas absolument plaisante à relire, sous le froid de la réflexion, et comme je ne mets des points sur les i qu’à la relecture, mes legs en manqueront. […] Lundi 6 mars Reprise aujourd’hui de notre ancien dîner des Cinq, où manque Flaubert, où sont encore Tourguéneff, Zola, Daudet et moi. […] Mais dès aujourd’hui, mon inquiétude est celle-ci : je me demande si l’espèce d’excitation spirituelle, que donne l’abus du tabac, ne manquera pas à mon inspiration ; puis j’ai même peur, que le mécanisme de mon travail, scandé par ces repos de rêverie, durant une seconde, ne soit plus aussi nerveux. […] Baron s’approche de lui, et avec la voix comique qu’on lui connaît, lui dit : « Toi, tu sais, nous t’avons oublié en 93, mais la prochaine fois, nous ne te manquerons pas !
Si cela lui est interdit, si le milieu social est hostile, c’est-à-dire si presque tous ses compatriotes ont la même âme contraire à la sienne, il pourra se faire qu’il acquière par gloriole, par intimidation, par conseils, la barbarie qui lui manque ; plus probablement, il devra se résigner à une vie de mépris, de pauvreté, d’incertitude, à mourir toi et à ne pas fonder de famille. […] Ce manque d’universalité dans les goûts est d’autant plus accusé que les admirations sont plus vives, fait dont le contraire paraîtrait à première vue plus vraisemblable, et qui s’explique seulement si l’on considère l’admiration comme formée par une sorte d’adhésion, de dévouement, par la reconnaissance de soi-même en autrui. […] Cette critique du déterminisme tainien n’est pas nouvelle ; elle remonte au moins à Sainte-Beuve, qui ne manqua pas d’émettre des réserves en 1864, lors sa recension de l’Histoire de la littérature anglaise : « vous avez tort, selon moi, de ne voir absolument, dans les délicatesses que vous admirez et que vous semblez si bien goûter, qu’un résultat et un produit des circonstances » (Pour la critique, éd. […] Brunetière, dans son compte rendu de La Critique scientifique (Revue des Deux Mondes, juillet-août 1888) ne manquera pas de contester un tel point de vue.
cria-t-il, « il n’y a qu’une infortune réelle, celle de manquer de pain. […] Le manque absolu est une chose affreuse, parce que l’inquiétude du lendemain empoisonne le présent ». […] La Décade philosophique (10 pluviôse an VII), après avoir constaté l’engouement pour les romans anglais, ajoutait, « nous pouvons affirmer que nous possédons en original et de notre propre cru des horreurs dont les plus difficiles peuvent se contenter, que nous ne manquons pas de personnages atroces, atrocement crayonnés, que nous avons des esprits corps, c’est-à-dire des fantômes qui n’en sont pas, heureuse invention par laquelle s’est éminemment distinguée mistress Radcliffe, que nous sommes riches en descriptions du soleil et de la lune, en sites romantiques, en événements romanesques, enfin que nous ne sommes pas moins experts que nos maîtres dans la science des longueurs et l’art de multiplier les volumes… On a réussi à naturaliser le spleen, on a essayé d’imiter l’humour ; mais il faut qu’il soit plus facile de faire du Radcliffe que du Sterne, je ne saurais du moins proclamer nos succès en ce genre, je dois me borner à dire que jusqu’ici on l’a seulement innocemment tenté ». […] Sainte-Beuve possédait l’exemplaire annoté de la main de l’auteur ; comme il manque mille occasions d’exercer sa malice habituelle, en exposant les faiblesses du héros, il est à présumer qu’il l’avait lu très inattentivement.
De plus, d’autres formes, qui manquent à notre Craie d’Europe, mais qu’on trouve dans les formations, inférieures ou supérieures, manquent également dans les dépôts de ces diverses contrées. […] Mais il faut dire que ces observations concernent seulement les faunes marines des diverses parties du monde ; nous manquons de documents suffisamment anciens pour juger si les productions des terres et des eaux douces se transforment suivant la même loi de parallélisme en des contrées aussi distantes. […] Elles ne peuvent donc guère manquer d’être à peu près intermédiaires en caractères entre les formes organiques des formations inférieures et supérieures.
Sans parler des récits fabuleux sur les origines de Rome, auxquels il n’a manqué, pour en faire un véritable poëme à la façon de l’Iliade, que le génie, la langue et les chants de la Grèce primitive, il faut voir Tite-Live raconter les guerres de Rome contre les cités latines et les peuples italiens ou étrangers, les luttes entre les classes et les partis sur le forum où au sénat. […] On comprend dès lors comment la conscience de la puissance individuelle devait contribuer à donner, aux personnages historiques de l’antiquité cette liberté d’allure, cette audace d’initiative, cette confiance dans le succès de leurs efforts personnels, qui manquent généralement aux personnages historiques des temps modernes. […] Qu’il s’agisse d’événements politiques ou d’œuvres d’art et de littérature, l’historien de nos jours ne détache jamais ses personnages du milieu dans lequel ils ont agi ou créé ; il ne manque pas de les étudier dans leurs rapports avec tout ce qui les précède et les entoure dans la manifestation de leurs actes ou la création de leurs œuvres, afin qu’on voie bien que tels personnages politiques ne sont que les ministres d’une nécessité sociale, et que tels auteurs ne sont que les organes d’idées et de sentiments généraux. […] Si César eût manqué à la servitude romaine, un autre maître se fût rencontré.
Quand on a lu cette partie des mémoires de Montluc et qu’on a surmonté l’impression d’horreur que causent et ses propres cruautés et celles qu’il prétend punir, on reconnaît mieux comment, en de pareils temps, les édits de L’Hôpital durent manquer leur effet ou en produire un qui, bientôt traduit et dénaturé au gré des passions, ne serait pas resté profitable et conforme à la pure idée de tolérancee. […] [1re éd.] les édits de L’Hôpital durent manquer leur effet ou en produire un qui, bientôt, au gré des passions, n'eût été profitable et conforme à la pure idée de tolérance.
Mais la musique, la lumière et le parfum manquent à cette invocation ; il n’y a rien de ravissant, rien d’harmonieux dans les images ni dans les syllabes. […] L’esprit, du moins, avec son jeu délicat, y fait les frais de ce qui y manque.
Il l’avertit sans cesse ; chaque lettre de lui a sa conclusion, son petit coup de cloche, tôt ou tard, qui ne manque jamais. […] Au fond, trop poète toujours pour la politique, il est désormais trop homme d’État et trop politique pour la retraite, pour l’innocent et studieux loisir du poète : il porte en lui l’inconciliable. — Lorsqu’il est renvoyé du ministère, en cette crise violente et décisive qui déchira en deux sa vie de royaliste, ses lettres à Mme Récamier manquent et font défaut ; elles n’ont pas été retrouvées, nous dit-on, avec les autres papiers ; elles devaient renfermer trop d’éclats de colère et de haine vengeresse, ce qui sans doute les aura fait dès longtemps supprimer.
L’abbé Le Dieu, ancien secrétaire de Bossuet, étant allé visiter Fénelon à Cambrai en septembre 1704, fut invité à dîner et à souper avec le prélat, et il nous a laissé un détail minutieux de tout ce dont il fut témoin en ce palais où régnait la politesse : « M. l’archevêque, dit-il, prit la peine de me servir de sa main de tout ce qu’il y avait de plus délicat sur sa table ; je le remerciai chaque fois en grand respect, le chapeau à la main, et chaque fois aussi il ne manqua jamais de m’ôter son chapeau, et il me fit l’honneur de boire à ma santé. » Du temps de M. de Luynes, il paraît que l’usage ordinaire de dîner le chapeau sur la tête subsistait encore, puisqu’il remarque qu’on se découvre quand on dîne avec le roi. […] C’est un joli tour de finances, un joli coup joué au profit de l’État76.On en peut tirer une leçon d’économie politique, et M. de Luynes n’y manque pas ; car il cite à ce propos la réponse du roi de Pologne, Auguste le Magnifique, à l’avare roi de Prusse, qui s’étonnait qu’il pût suffire aux dépenses de son camp de plaisance à Muhlberg, et qui lui demandait son secret.
Et de cette même ville de Trente, après des succès auxquels il ne manquait plus que la seconde expédition dans le Tyrol allemand pour atteindre à leur plein éclat, il écrivait à son père encore, plus ambitieux que lui et qui le poussait à tous les genres d’ambition : J’ai reçu votre lettre ; vous m’y supposez bien des qualités que je n’ai pas. […] Je me risquerai donc, à propos de cette singulière modestie de Joubert, à rappeler la pensée d’un moraliste de l’école de La Rochefoucauld : Une modestie obstinée et permanente est un signe d’incapacité pour les premiers rôles, car c’est déjà une partie bien essentielle de la capacité que de porter hardiment et tête haute le poids de la responsabilité ; mais de plus cette modestie est d’ordinaire l’indice naturel et le symptôme de quelque défaut, de quelque manque secret ; non pas que l’homme modeste ne puisse faire de grandes choses à un moment donné, mais les faire constamment, mais recommencer toujours, mais être dans cet état supérieur et permanent, il ne le peut, il le sent, et de là sa modestie qui est une précaution à l’avance et une sorte de prenez-y-garde.
Il n’y avait pas un moment à perdre pour les dispositions : on avait affaire à Souvarof, ce vieil et ardent guerrier, qui « avait l’âme d’un grand capitaine », s’il lui manquait la science et bien des parties du métier. […] Ce n’est pas en vain qu’on a été choisi, même pour manquer le rôle de César, et qu’en tombant au premier souffle du Destin, on est une preuve, un illustre pronostic de plus de la fortune de César.
Après de tels éloges, décernés solennellement, et qui ressemblaient à des avances marquées, il n’y avait plus pour l’Académie qu’à élire M. de Laprade à la première vacance : elle n’y manqua pas, et la mort d’Alfred de Musset fournit une triste et prochaine occasion, avec l’à-propos du contraste. […] je sais des esprits qui l’ont très-bon, et qui, en même temps, manquent de goût, parce que le goût exprime ce qu’il y a de plus fin et de plus instinctif dans le plusconfusément délicat des organes.
C’est l’œuvre d’un La Bruyère ligueur, voisin des halles, vengeur des paroisses, qui profite habilement de la languerévolutionnaire et s’en fait un ragoût de plus ; qui s’en donne à cœur-joie et à lèche-doigts ; qui, à défaut de Versailles où il n’est pas allé, se rabat et tombe sur la haute et basse bourgeoisie, sur la gent parlementaire, la gent écriveuse, grosse et menue, le fretin des journaux, la province ; mais qui, jusque dans le trivial et l’injurieux, dans ce qui dégoûte et repousse, a gardé l’art de l’imprévu, l’art de réveiller à chaque coup son lecteur par la variété des tons, le contraste des fragments, le brûle-pourpoint des apostrophes, tout ce qui supplée au manque de transitions. […] Il y eut donc un jour où il se dit qu’il manquait un journaliste véritable au parti catholique ; et il résolut de l’être.
On n’est pas journaliste pour mettre de temps en temps des articles dans les journaux ; on l’est, pour être prêt à y écrire n’importe sur quoi, à toute heure et à toute minute ; il faut tirer au vol et ne pas manquer : « Le talent du journaliste, dit-il, c’est la promptitude, le trait, avant tout la clarté. […] « Non-seulement il n’a pu trouver une pointe, mais même les mots, chose étrange, lui ont manqué… Les subjonctifs étaient rares, la phalange des adjectifs, d’ordinaire si docile et si abondante, n’arrivait pas. » Et cet autre, plus ou moins ministre aussi (M.
À peine arrivé à cette armée de Perpignan, Dagobert se trouve en désaccord avec ceux mêmes qui l’ont appelé ; sa montre n’est plus à l’heure, il y a du retard ; ce manque de bonne entente et d’ensemble amène la défaite sanglante de Trouillas (22 septembre). […] On sait les motifs de cette retraite fameuse : c’étaient des motifs analogues, le même désappointement du moins, qui ramenaient l’armée espagnole en arrière au pied des Pyrénées. » Dagobert signala son retour en Cerdagne par des coups de main audacieux ; pour un manqué, il en inventait dix ; il faisait rage en tous sens, il méditait et exécutait des percées et des pointes soudaines au cœur des vallées voisines, le long des rampes, par-delà les cols et les gorges, et les Espagnols ne l’appelaient plus que le Démon.
mais de la vérité, du comique même ; l’Architriclin, le Vatel au désespoir quand il voit que le vin manque ; Jésus averti tout bas par sa mère et réparant le mal sans bruit ; l’étonnement du maître d’hôtel quand il goûte ce vin de la fin qui se trouve le meilleur, tandis que, selon l’usage des noces de ce temps-là (et, m’assure-t-on, de quelques noces de campagne encore aujourd’hui), on donnait le meilleur vin au premier service, et le moins bon au dessert ; car il suffit que cela gratte, quand les palais, une fois, sont échauffés. — Ces noces de Cana seraient tout un tableau flamand, s’il y avait de la couleur. […] On le voit, la situation donnée par le sujet est belle, touchante, aussi touchante que possible ; mais, dans toute la première partie, l’exécution manque un peu.
Je l’aurais dû également pour d’autres : il y a des termes de comparaison et de contraste qui manquent à quiconque ne se tient pas dans tout le courant du genre, à qui ne vit pas en plein milieu. […] Si on ne lit pas tout, presque tout, dans cette quantité de productions qui ont chacune leur qualité, si l’on a manqué le moment où elles passent pour la première fois sous nos yeux, on est en peine ensuite pour rétablir le point de vue ; un mouvement si compliqué, si divers, si fécond, et dans un genre indéfini qui menace de devenir la forme universelle, demande à être suivi jour par jour ; faute de quoi l’on ne sait plus exactement les rapports, les proportions des talents entre eux, la mesure d’originalité ou d’imitation, le degré de mérite des œuvres, ce qu’elles promettent au juste et ce que l’auteur peut tenir.
. — Le bon Sosie ne manque pas de glisser de nouveau son proverbe et de pousser, selon son habitude, l’idée de son maître jusqu’à en faire une maxime : « C’était bien sage à lui, dit-il, d’en agir ainsi ; car, par le temps qui court, la complaisance engendre l’amitié, la vérité fait des ennemis. » — « Cependant, poursuit le père, voilà bien trois ans de cela, arriva ici dans le voisinage une femme d’Andros, sans parents, pauvre, belle, à la fleur de l’âge. » — « Aïe ! […] La fin du récit n’est plus que pour dire que le mariage de Pamphile étant manqué par l’éclat de cette scène, et le beau-père Chrémès ayant retiré sa parole, le bon père Simon dissimule encore vis-à-vis de son fils, afin de l’éprouver jusqu’au bout, et bien déterminé à toute extrémité à le gronder d’importance, s’il le trouve rebelle à sa volonté.
Il ne manquait pas de quelque talent ni de connaissances ; mais, avec un caractère vulgaire et sans principes, il avait une fatuité et une insolence qui allaient mal au pays où sa nouvelle destination l’appelait. […] Bignon, dans ses Souvenirs, a un avantage sur M. de Senfft dont il ne prévoyait pas les sévérités : il le réfute de la manière la plus propre à faire impression sur des lecteurs impartiaux ; il parle avec justice, et dans une parfaite mesure, de celui qui en a manqué à son égard : « M. de Sentit, dit-il, était en 1811 et est resté jusqu’à la fin de 1812 zélé partisan du système français (on le croyait, et il paraissait tel sans l’être au fond).
Si je vous ennuie, dites-le moi, mais je vous aime trop pour ne pas vous dire ce qui vous manque pour être heureuse : c’est la piété. […] Ces expressions à la Wordsworth, — à l’Oberman et à la Chateaubriand, — qui ont en elles je ne sais quelle magie de sons et de syllabes en harmonie avec l’esprit des choses et avec la nature rendue, manquent généralement sous la plume d’Eugénie de Guérin.
Mais auparavant, puisqu’il est question de Racine, je ne puis manquer de recommander la nouvelle édition de ses Œuvres qui se publie dans la collection des Grands Écrivains de la France, chez MM. […] Mais un autre abbé, l’abbé Testu, directeur de l’Académie, trouva à redire après coup à ce procédé et convoqua extraordinairement les Quarante pour se plaindre qu’on eût manqué à l’ordre établi en pareil cas, à savoir que, dans les solennités académiques, on ne lirait aucun ouvrage s’il n’était de quelqu’un de la Compagnie.
Cela fait, il s’empressa de quitter ce point éloigné de l’action sans veiller à l’exécution ultérieure d’une Convention ainsi bâclée, et il se rapprocha des opérations du centre, « courant, comme on dit, deux lièvres à la fois et devant les manquer tous deux. » C’est alors que M. de Soubise, que ses amis de cour avaient porté à la tête d’un corps particulier d’armée, et que le maréchal de Richelieu avait dû renforcer d’un détachement de vingt mille hommes, essuya la fatale déroute de Rosbach. […] Le caractère lui a manqué : il est resté en deçà de tout.
Je ne daignois parler, puisqu’il ne m’entendoit pas ; il me semble même que je ne pensois plus. » Notons ce dernier trait ; il rappelle le vers de Lamartine s’adressant à la Nature : Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé. […] Si elle a manqué plus d’un à-propos de destinée, elle a rencontré du moins celui de l’esprit, de la langue et du goût.
Les aliénistes n’ont qu’à rassembler les écrits de leurs malades ou à écrire sous leur dictée pour nous fournir là-dessus tout ce qui nous manque. […] Telle est aussi la position du linguiste et de l’historien vis-à-vis du psychologue ; C’est pourquoi ils ne peuvent manquer de s’entraider, soit que l’application mette sur la voie d’une théorie, soit que la théorie mette sur la voie d’une application.
Lemercier venait de manquer sa colossale Panhypocrisiade, quand Lamartine, du fond de sa province, apporta ses Méditations où l’on reconnut d’abord un grand poète (1820). […] Cette forte histoire est la démonstration historique d’un dogme : ce qui y manque le plus, c’est le sens historique.
Oui, certes, le Poème veut la musique ; mais, avec la musique qui lui manquait — et que l’inaptitude foncière de la plupart lui ménage encore non sans parcimonie — il faut lui donner tout ce que nos ainés lui conquirent. […] Le geste se multiplie à l’aise dans la plaine ensoleillée : son accent mâle s’y révèle avec maitrise tandis qu’est plus difficilement perçue son instabilité ; on y sent moins impérieusement le désir du définitif repos qui manque à M.
On songe au morphinomane à qui la drogue indispensable vient à manquer soudain. […] Le manque de charité chrétienne est le signe tellement distinctif des panégyristes de l’Église à cette époque que le Petit Bottin des Lettres et des Arts, paru chez Giraud en 1886, en traçait le schéma suivant au mot Catholiques : Charles Buet
Ils sentaient peut-être que ce qu’on appelait le style leur manquait et ils prétendaient pourtant, avec quelque raison, à un certain mérite d’expression dont le nom n’existait pas encore. […] Les grands créateurs négligent souvent l’écriture et c’est pourquoi les petits exigeants de leur temps leur reprochent de manquer de style.
On y pressent les fautes auxquelles ses alentours ne manqueront pas de la pousser, celles qu’on lui prêtera, et les armes qu’elle va fournir, sans y songer, à la malignité. […] Mandé auprès d’elle en 1778, lors du duel du comte d’Artois et du duc de Bourbon, M. de Besenval est introduit par Campan (secrétaire du cabinet) dans une chambre particulière qu’il ne connaissait pas, « simplement, mais commodément meublée. — Je fus étonné, ajoute-t-il en passant, non pas que la reine eût désiré tant de facilités, mais qu’elle eût osé se les procurer. » Cette simple phrase, jetée en courant, est pleine d’insinuations, et les ennemis n’ont pas manqué de la relever.
Le même jour où l’on a lu Childe-Harold ou Hamlet, René ou Werther, on lira Pascal, et il leur tiendra tête en nous, ou plutôt il nous fera comprendre et sentir un idéal moral et une beauté de cœur qui leur manque à tous, et qui, une fois entrevue, est un désespoir aussi. […] Il est bon qu’il y ait quelque part contrepoids ; que, dans quelques cabinets solitaires, sans prétendre protester contre le mouvement du siècle, des esprits fermes, généreux et non aigris, se disent ce qui lui manque et par où il se pourrait compléter et couronner.
Il remplit par là une lacune importante dans la science et ajouta plusieurs anneaux qui manquaient à la chaîne. […] Car de dire qu’il lui a manqué, au milieu de cette éducation si solide et si diverse, un bon maître de rhétorique qui réprimât en lui toute velléité de fausse rhétorique, ce n’est pas toucher le point juste.
Il y a d’abord la peine du manque, qui tend à produire un changement d’état ; en second lieu, il y a l’idée qui tend à se réaliser elle-même, principalement par contiguïté. […] Il se produit certainement dans l’être animé, surtout dans un être de constitution très élémentaire, des mouvements explicables par une pure transmission mécanique, par une simple réflexion de mouvements ; mais il est probable que, dès le début, ces mouvements sont accompagnés d’un état de conscience sourde, l’animal étant sensible ; et comme cet état de conscience a un ton agréable ou pénible, on ne comprendrait pas que, du côté psychique, manquât une réaction à l’égard du plaisir ou de la douleur.
Despréaux ayant été retenu, pour une extinction de voix, aux eaux de Bourbon, y manqua d’argent ; Boursault l’apprend, & lui fait accepter deux cent louis. […] Tu n’en fus pas ; pleure le tien, Passant, d’avoir manqué d’en être.
Au cours de mille ans, les tentatives de constituer un royaume d’Italie n’ont pas manqué ; j’en rappelle quelques-unes : les Lombards étaient à la veille du triomphe définitif, lorsque le Pape appela les Francs ; au xiiie siècle, Frédéric II eut certainement l’idée d’unifier l’Italie — il fut vaincu par Innocent IV ; Cola di Rienzi conçut une fédération italienne ; à l’époque de la Renaissance, plus d’un petit souverain, italien ou étranger, rêva d’être le « prince » invoqué par Machiavel ; les projets divers du Risorgimento sont bien connus… ; et toutes ces tentatives échouèrent par les intrigues du pape, devant les armées autrichiennes ou françaises. […] Cette littérature est donc moins riche en œuvres et moins nettement significative ; elle présente en outre ce phénomène particulièrement intéressant pour nous : les trois ères que j’ai distinguées en France ne sont qu’ébauchées en Italie ; elles débutent, normalement, par le lyrisme, elles atteignent à peine leur point culminant avec l’épopée, et manquent d’achèvement dramatique ; on dirait d’un fleuve qui par trois fois se perd dans le sable… L’explication est à chercher dans l’absence de vie nationale.
L’air manque, la vue se trouble ; on n’est plus en pays humain, on n’aperçoit d’abord qu’un entassement d’abstractions formidables, solitude métaphysique où il ne semble pas qu’un esprit vivant puisse habiter ; à travers l’Être et le Néant, le Devenir, la Limite et l’Essence, on roule, la poitrine oppressée, ne sachant si jamais on retrouvera le sol uni et la terre. […] Telle est cette philosophie ; le besoin oratoire de prêcher la morale y explique tout, le choix des doctrines, le manque d’invention et la faiblesse des preuves.
Si donc, en célébrant les grands hommes, vous voulez être mis au rang des orateurs, il faut avoir parcouru une surface étendue de connaissances ; il faut avoir étudié et dans les livres et dans votre propre pensée, quelles sont les fonctions d’un général, d’un législateur, d’un ministre, d’un prince ; quelles sont les qualités qui constituent ou un grand philosophe ou un grand poète ; quels sont les intérêts et la situation politique des peuples ; le caractère ou les lumières des siècles ; l’état des arts, des sciences, des lois, du gouvernement ; leur objet et leurs principes ; les révolutions qu’ils ont éprouvées dans chaque pays ; les pas qui ont été faits dans chaque carrière ; les idées ou opposées ou semblables de plusieurs grands hommes ; ce qui n’est que système, et ce qui a été confirmé par l’expérience et le succès ; enfin tout ce qui manque à la perfection de ces grands objets, qui embrassent le plan et le système universel de la société. […] C’est ce qui arrive toutes les fois que le sentiment est faux ; et il ne peut manquer de l’être, si on peint ce qu’on ne sent pas.