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458. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Connaissait-on mieux la nature humaine au XVIIe siècle après la Fronde qu’au XVIIIe avant et après 89 ? »

Indépendamment des grands seigneurs et des gens de qualité qui occupaient la scène et tramaient intrigue sur intrigue, taillant sans pitié dans la chose publique, il y avait des bourgeois malins, sages et prudents, restés dans leur coin à observer. […] Patru, vieilli et mort dans l’indigence, était un peu comme ces gens d’esprit dont on disait, dans notre jeunesse, qu’ils avaient donné dans la Révolution. […] Dès le milieu du règne de Louis XIV, tout était tourné à la règle étroite, à la dévotion, et le profit moral, la dose de connaissance morale dont on parle, et qui d’ailleurs n’était propre qu’à un petit nombre d’individus d’élite dans une génération à peu près parue, étaient dès longtemps épuisés ; la révocation de l’Édit de Nantes, et l’approbation presque entière qu’elle reçut dans les régions élevées et de la part de quelques-uns de ceux même qui auraient dû être des juges, l’inintelligence profonde où l’on fut à la Cour de la révolution anglaise de 1688 et de l’avènement de Guillaume, montrent assez que les lumières étaient loin et que les plus gens d’esprit en manquaient. […] Non ; si inférieurs aux Retz et aux La Rochefoucauld pour l’ampleur et la qualité de la langue et pour le talent de graver ou de peindre, ils connaissaient la nature humaine et sociale aussi bien qu’eux, et infiniment mieux que la plupart des contemporains de Bossuet, ces moralistes ordinaires du xviiie  siècle, ce Duclos au coup d’œil droit, au parler brusque, qui disait en 1750 : « Je ne sais si j’ai trop bonne opinion de mon siècle, mais il me semble qu’il y a une certaine fermentation de raison universelle qui tend à se développer, qu’on laissera peut-être se dissiper, et dont on pourrait assurer, diriger et hâter les progrès par une éducation bien entendue » ; le même qui portait sur les Français, en particulier ce jugement, vérifié tant de fois : « C’est le seul peuple dont les mœurs peuvent se dépraver sans que le fond du cœur se corrompe, ni que le courage s’altère… » Ils savaient mieux encore que la société des salons, ils connaissaient la matière humaine en gens avisés et déniaisés, et ce Grimm, le moins germain des Allemands, si net, si pratique, si bon esprit, si peu dupe, soit dans le jugement des écrits, soit dans le commerce des hommes ; — et ce Galiani, Napolitain de Paris, si vif, si pénétrant, si pétulant d’audace, et qui parfois saisissait au vol les grandes et lointaines vérités ; — et cette Du Deffand, l’aveugle clairvoyante, cette femme du meilleur esprit et du plus triste cœur, si desséchée, si ennuyée et qui était allée au fond de tout ; — et ce Chamfort qui poussait à la roue après 89 et qui ne s’arrêta que devant 93, esprit amer, organisation aigrie, ulcérée, mais qui a des pensées prises dans le vif et des maximes à l’eau-forte ; — et ce Sénac de Meilhan, aujourd’hui remis en pleine lumière40, simple observateur d’abord des mœurs de son temps, trempant dans les vices et les corruptions mêmes qu’il décrit, mais bientôt averti par les résultats, raffermi par le malheur et par l’exil, s’élevant ou plutôt creusant sous toutes ; les surfaces, et fixant son expérience concentrée, à fines doses, dans des pages ou des formules d’une vérité poignante ou piquante.

459. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français, et de la question des anciens et des modernes, (suite et fin.) »

Et je prendrai tout d’abord pour exemple cette Anthologie même qui paraît aujourd’hui traduite au complet : il y a certes du mélange dans ce nombre si considérable d’épigrammes ; mais, en général, et à n’en prendre que la meilleure partie, tous les érudits gens de goût en ont fait leur régal ; Grotius les a traduites, d’après le recueil de Planude, en vers latins élégants ; les poètes de tout pays s’en sont inspirés, et souvent une seule goutte de cette liqueur exquise, tombée dans leur coupe, a suffi pour aiguiser le breuvage. […] Ceux-ci, gens positifs, disaient d’abord Salve ; les autres disaient X, et on répondait : [caracteres grecs illisibles]. Cette idée de grâce, les Grecs la portaient en tout ; pour dire les gens comme il faut, les gens bien élevés, les honnêtes gens, même au sens politique, les Conservateurs, ils avaient ce mot charmant : et [caracteres grecs illisibles] , comme qui dirait : les gracieux, les agréables.

460. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VI. Pour clientèle catholique »

Ils suivent une route toute faite et le flambeau que d’un jeune effort ils allumèrent à un esprit plus élevé, ils le portent ensuite très bas, à leur hauteur et à celle des gens qui applaudissent utilement. […] J’aime d’admiration « le mendiant ingrat », énergie invaincue, noble d’une noblesse rugueuse qui ne ressemble pas à celle que je voudrais réaliser, mais qui est assez étonnante pour dépasser la compréhension des gens de maintenant. […] Ils ne savent jamais être eux-mêmes sincèrement, tranquillement, ignorer en toute innocence que des gens se sont permis de formuler des règles morales universelles. » Je n’aurai pas la cruauté de juger après sa chute un esprit dont j’aimai le départ hésitant. […] La préposition « pour » avoue opportunisme et mercantile actualisme et la première étiquette nous informe que les gens pratiques qui font ce commerce sont des catholiques.

461. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Regnard. » pp. 1-19

Les gens occupés et ambitieux n’ont pas le temps d’être gais, et ils ont des fils qui leur ressemblent : on a tant d’examens à passer avant l’âge de vingt ans, que cela coupe la veine. La nature, je le sais, fait des exceptions encore : nous avons eu Désaugiers ; sans trop chercher, nous trouverions après lui d’aimables gens qui mènent légèrement la vie et portent avec eux la joie. […] Lui, il n’était guère connu des gens du voisinage que par les récits de son valet de chambre, et comme un grand voyageur qui avait eu bien des aventures. […] Un chevalier bel esprit y fait solennellement appel au bon sens du siècle à venir et à la postérité ; le comédien répond humblement : « Quelque succès qu’ait notre pièce, nous n’espérons pas, monsieur, qu’elle passe aux siècles futurs ; il nous suffit qu’elle plaise présentement à quantité de gens d’esprit, et que la peine de nos acteurs ne soit pas infructueuse. » Et encore, à toutes les minauderies et aux scrupules grimaciers d’une comtesse très équivoque, M. 

462. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « La Fontaine. » pp. 518-536

Ce Phèdre que d’habiles gens ne veulent nullement reconnaître pour être du siècle d’Auguste, mais qui est classique du moins par son exacte pratique du genre conçu dans toute sa simplicité et son élégance, est un auteur qu’il est permis de ne pas rouvrir quand on a une fois fini sa quatrième. […] Cette anecdote nous peint assez bien, d’une part, les sentiments naturels de La Fontaine, et de l’autre, sa facilité dans la discussion ; quand il avait exprimé en poésie ce qu’il pensait, ce qu’il avait de plus cher, il se souciait assez peu de le maintenir en prose devant les gens qui voulaient le contredire. […] Ses Deux Amis sont le chef-d’œuvre en ce genre ; mais, toutes les autres fois qu’il a eu à parler de l’amitié, son cœur s’entrouvre, son observation railleuse expire ; il a des mots sentis, des accents ou tendres ou généreux, comme lorsqu’il célèbre dans une de ses dernières fables, en Mme Harvey, Une noblesse d’âme, un talent pour conduire         Et les affaires et les gens, Une humeur franche et libre, et le don d’être amie Malgré Jupiter même et les temps orageux. […] Voltaire, voulant expliquer le peu de goût de Louis XIV pour La Fontaine, a dit : Vous me demandez pourquoi Louis XIV ne fit pas tomber ses bienfaits sur La Fontaine comme sur les autres gens de lettres qui firent honneur au grand siècle.

463. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre III. Zoïle aussi éternel qu’Homère »

Cet homme de génie n’avait pas d’esprit ; comme cela caresse les innombrables gens d’esprit qui n’ont pas de génie ! […] Dans les publications supprimées au siècle dernier par arrêt du parlement, on remarque un document imprimé par Quinet et Besogne, et mis au pilon sans doute à cause des révélations qu’il contenait et que le titre promet : L’Arétinade, ou Tarif des Libellistes et Gens de lettres Injurieux. […] Tant pis pour ces gens de la vieille mode et de la vieille Rome. […] Les gens d’à présent entendent être de leur temps, et même de leur minute.

464. (1730) Discours sur la tragédie pp. 1-458

Il ne faut que penser à cette politesse délicate qui regne entre les gens d’un certain ordre. […] N’étoient-ils pas gens à se tenir toûjours sur leurs gardes ? […] La parodie l’a dit ; le trait a fait rire : et dès-là pour certaines gens, la chose est prouvée. […] On fut touché ; on pleura ; bien des gens ne laisserent pas de la condamner tout en pleurant. […] Or il y a bien des gens pour qui les vers sont trop chers à ce prix.

465. (1930) Physiologie de la critique pp. 7-243

Bien des gens lèveront les bras au ciel, et diront que voilà beaucoup de temps perdu et de papier gâché. Ces gens auront tort. […] Il y a les journaux, c’est-à-dire les gens qui expriment, en frappant fort, les opinions les plus opposées. […] Ils ont d’ordinaire plus d’indépendance dans l’esprit que les autres hommes… Ce que Voltaire entend ici par gens de lettres, ce ne sont pas, comme on voit, des gens qui créent, mais des gens qui lisent, qui jugent, qui parlent des livres et qui en écrivent, c’est-à-dire, en somme, des critiques. […] Ce n’est pas la critique qui les a déclassés auprès des gens de goût : elle n’existait pas.

466. (1891) La bataille littéraire. Quatrième série (1887-1888) pp. 1-398

que je les connais, mes gens du Midi ! […] Le portrait, d’ailleurs, était au fond si peu ressemblant que beaucoup de gens s’y reconnurent, et que M.  […] J’allai à lui ; il sortit de sa rêverie et nous nous serrâmes la main en gens qui se connaissent depuis vingt ans. […] Fabre ne sait mettre en scène et faire agir les gens de ce pays. […] J’admis cet acte comme une compensation accordée au droit de vol que tant de gens sont tentés de s’attribuer, dans les conjonctures favorables.

467. (1863) Histoire de la vie et des ouvrages de Molière pp. -252

Le reste du monde nous regarde comme des gens perdus, et nous méprise. […] Il n’allait pas, comme certaines gens qui affectaient une sotte et orgueilleuse austérité, disant du mal de lui. […] Mais, plus que tout cela, que deviendront ces pauvres gens que j’ai amenés de si loin ? […] C’était alors une politesse que les gens de cour prodiguaient aux personnes qu’ils connaissaient le moins. […] On dirait à coup sûr que nous l’aurions fait la nuit comme des désespérés ou comme des gens ivres.

468. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires du marquis d’Argenson, ministre sous Louis XV »

se plaît-il à dire ; de bons Flamands, des Hollandais renforcés, gens de peu d’esprit, de nulle imagination, mais à idées saines et correctes, ne s’en départant jamais. » Lui-même, pour le distinguer des autres ministres, les habitués de Versailles lui donnaient le surnom de d’Argenson la bête, et il dut s’en faire gloire. […] Qu’il nous peigne Sully et ses Mémoires, Retz et les siens, MM. de Vendôme et la cour du Temple, qu’il compare entre eux, comme gens de lettres et du monde, Fontenelle, Hénault et Montesquieu, tous trois vivants et le dernier n’ayant pas produit l’Esprit des lois, qu’il juge Voltaire dès 1736, et Rousseau dès 1755, toujours sa façon est la même ; c’est le jugement qui le mène à l’esprit ; il ne s’y élève pas, mais y semble porté, et pour ainsi dire y descend.

469. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre VIII. De la clarté et des termes techniques »

Il y a une autre sorte de propriété du langage qui consiste non plus dans le rapport en quelque sorte théorique de l’idée et du mot, mais dans le rapport du mot à l’intelligence des gens auxquels on s’adresse. […] Il ne s’agit plus de parler en homme de métier, puisqu’on ne parle plus à des gens de métier.

470. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Casuistique. » pp. 184-190

* * * La vérité, d’ailleurs, c’est que l’acte en question est toléré par la « morale » commune, même par celle des gens « comme il faut », — à condition de demeurer secret. […] Et il faudrait être sans pitié aussi pour toute une catégorie des clientes de ces gens-là, pour leurs clientes riches, pour les perruches et les poupées sans cœur qui ne veulent pas être mères, parce que cela gâte la taille et interrompt le plaisir.

471. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 181-190

Sa conversation rouloit sur les mêmes matieres que ses Livres : seulement, pour ne pas trop effaroucher la plupart des gens, il tâchoit de la rendre un peu moins chrétienne, mais il ne relâchoit rien du philosophique : on la recherchoit beaucoup, quoique si sage & si instructive….. […] Les compatriotes de cet homme illustre sentoient aussi ce qu’il valoit, & un assez grand nombre de gens de mérite se rassembloient autour de lui.

472. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Platon, et Aristote. » pp. 33-41

Une foule de gens apostés pour être témoins de la scène, entre avec lui. […] Sa mémoire doit être chère aux gens de lettres.

473. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 20, de quelques circonstances qu’il faut observer en traitant des sujets tragiques » pp. 147-156

On ne trouve personne qui ait vêcu mille ans avant lui, mais on rencontre tous les jours des gens qui ont vêcu dans ce païs éloigné de mille lieuës, et leurs recits nuisent à la veneration qu’on prétend nous donner pour ces hommes devenus des heros en passant la mer. […] Il est vrai que les défauts qui resultent de cet embarras ne sont remarquez que par un petit nombre de personnes assez instruites pour les connoître ; mais il arrive que, pour faire valoir leur érudition, elles exagerent souvent l’importance des défauts, et il ne se trouve que trop de gens qui se plaisent à repeter leur critique.

474. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres mêlées de Saint-Évremond »

Mais, indépendamment de ces monuments écrits qui marquent, il y a la société d’alentour, dans laquelle se retrouve plus ou moins la même langue, et qui compte des gens d’esprit non écrivains de profession, et maîtres pourtant dans leur genre, maîtres à leur manière, sans y viser et sans le paraître. […] Il savait la littérature latine, peu ou point de grec ; il avait du goût pour les lettres, de la curiosité pour la philosophie, et aimait la conversation des gens d’esprit et de pensée. […] Les exilés, gens d’esprit, écrivains, qui sortent de leur pays pour n’y plus rentrer et qui vivent encore longtemps, représentent parfaitement l’état du goût et la façon, le ton de société ou de littérature qui régnaient au moment de leur sortie. […] entre Saint-Évremond et La Rochefoucauld, entre gens de cette sorte et natures de cette qualité, les questions de priorité n’existaient pas. […] Elle n’a jamais eu d’affaires qu’avec des gens considérables ou par leur naissance ou par leur mérite.

475. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Victor Hugo, Toute la Lyre. »

Des gens ont voulu me persuader, l’an dernier6, que je lui avais manqué de respect. […] Ces poètes, qui ont un don que je n’ai pas, sont après tout des gens comme moi, de ma société et de mon temps, avec qui il m’eût été possible de converser… L’âme de Hugo (et c’est tant pis pour moi) est par trop étrangère à la mienne. […] Il y a encore de braves gens qui disent : « Oh ! […] (De bonne foi, ce ne sont pas les ouvriers ni les petits bourgeois, ce sont les gens de maison du Faubourg Saint-Germain et du quartier du parc Monceau que l’on eût dû appeler à cette cérémonie. […] Mais il est immoral d’honorer les gens parce qu’ils ont de la chance et qu’ils enterrent tout le monde.

476. (1890) L’avenir de la science « XVIII »

Quelles gens que ces chrétiens, gens qui fuient la lumière, insociables, plèbe, rebut du peuple 167. […] Ces gens sont dangereux. […] Mihir Nerseh, dans une proclamation adressée aux Arméniens pour les détourner du christianisme, leur demande comment ils peuvent croire des gueux mal habillés, qui préfèrent les gens de petit état aux gens de bonne maison et sont assez absurdes pour faire peu de cas de la fortune.

477. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

Pour beaucoup de gens, immoral signifie ce qui blesse la pudeur. […] La vie débraillée, hasardeuse, débauchée se rencontre plus fréquemment parmi les nobles, les peintres, les gens de lettres que dans un milieu de commerçants qui ont un intérêt trop puissant à être prudents et rangés. […] Le danger est alors qu’elle introduise cette préoccupation de moraliser les gens dans des genres qui ne s’y prêtent pas ; qu’elle dénature les faits pour les accommoder au but qu’elle poursuit ; qu’elle fausse la vérité historique pour soutenir une thèse ; qu’elle fausse, au théâtre ou dans le roman, la vérité psychologique, en vue d’aboutir à tel dénouement, dans l’intention de rendre sympathique ou antipathique telle opinion ou tel personnage. […] Parfois tout un parti, toute une école, toute une secte crie son admiration pour une œuvre ou un écrivain ; quand des gens se proclament calvinistes, byroniens, stendhaliens, tolstoïstes, que sais-je encore, ils avertissent qu’on doit chercher sur eux l’empreinte d’un maître ; et de fait, dans leur conduite et leur pensée, si l’on connaît bien ce maître, on retrouve aisément les traces de l’ascendant qu’ils ont subi. […] Une scène, une page, une ligne peuvent ainsi contenir une essence subtile qui monte à la tête des gens.

478. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — I. (Dialogues inédits.) » pp. 1-28

Dès le début, elle paraît s’inquiéter de l’idée qu’on a pu donner d’elle à Mirabeau, et elle se peint naturellement à son tour dans cette existence monotone à laquelle elle est condamnée : Je sais tous les ridicules que l’on m’a donnés dans cette ville, mais il y a des gens qui ne mettent point en colère. […] Pourtant des bruits vagues commencent à se répandre parmi les gens de la maison, et il devient urgent de lui chercher un autre asile. […] Un jour, un soir d’hiver, Mirabeau devait pénétrer chez la marquise et y arriver juste pendant le souper des gens. […] Il avait pris l’heure du souper de nos gens pour s’introduire dans la maison, afin de n’avoir aucun domestique dans sa confidence. […] Elle ne l’avait point reconnu ; l’alarme avait été donnée, et il s’était vu poursuivi et découvert par tous nos gens.

479. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préface des « Derniers Jours d’un condamné » (1832) »

Ce qu’il a eu dessein de faire, ce qu’il voudrait que la postérité vît dans son œuvre, si jamais elle s’occupe de si peu, ce n’est pas la défense spéciale, et toujours facile, et toujours transitoire, de tel ou tel criminel choisi, de tel ou tel accusé d’élection ; c’est la plaidoirie générale et permanente pour tous les accusés présents et à venir ; c’est le grand point de droit de l’humanité allégué et plaidé à toute voix devant la société, qui est la grande cour de cassation ; c’est cette suprême fin de non-recevoir, abhorrescere a sanguine , construite à tout jamais en avant de tous les procès criminels ; c’est la sombre et fatale question qui palpite obscurément au fond de toutes les causes capitales sous les triples épaisseurs de pathos dont l’enveloppe la rhétorique sanglante des gens du roi ; c’est la question de vie et de mort, dis-je, déshabillée, dénudée, dépouillée des entortillages sonores du parquet, brutalement mise au jour, et posée où il faut qu’on la voie, où il faut qu’elle soit, où elle est réellement, dans son vrai milieu, dans son milieu horrible, non au tribunal, mais à l’échafaud, non chez le juge, mais chez le bourreau. […] Comment donc les gens du roi comprennent-ils le mot civilisation ? […] Il paraît qu’il y a des gens qui vivent de cette vente. […] Nous savons qu’il y a des gens qui prennent l’excellence de la peine de mort pour texte à paradoxe comme tout autre thème. […] Que les gens du roi ne viennent donc plus nous demander des têtes, à nous jurés, à nous hommes, en nous adjurant d’une voix caressante au nom de la société à protéger, de la vindicte publique à assurer, des exemples à faire.

480. (1913) La Fontaine « IV. Les contes »

Voyez, par exemple, ce commencement de conte : Beaucoup de gens ont une ferme foi Pour les brevets, oraisons et paroles. […] Bien est-il vrai qu’auprès d’une beauté Paroles ont des vertus non pareilles ; Paroles font en amour des merveilles : Tout coeur se laisse à ce charme amollir… Une petite dissertation qui est initiale, qui commence le récit, plus frappante encore, plus nette, si vous voulez, au commencement, encore, de cet autre conte : Le jeune Amour, bien qu’il ait la façon D’un dieu qui n’est encor qu’à sa leçon, Fut de tout temps grand faiseur de miracles : En gens coquets il change les Catons, Par lui les sots deviennent des oracles, Par lui les loups deviennent des moutons. Il fait si bien que l’on n’est plus le même, Témoin Hercule et témoin Polyphème, Mangeurs de gens… L’un, sur un roc assis, Chantait au vent ses amoureux soucis, Et, pour charmer sa nymphe joliette, Taillait sa barbe, et se mirait dans l’eau ; L’autre changea sa massue en fuseau Pour le plaisir d’une jeune fillette. […] La fin d’une des fables de La Fontaine est celle-ci : « Belle leçon pour les gens chiches. » Un conte, le Calendrier des vieillards, se termine ainsi : Belle leçon pour gens à cheveux gris !

481. (1899) Le roman populaire pp. 77-112

L’un vendait des journaux et soufflait dans une corne de cuivre, l’autre poussait une de ces petites charrettes que les gens de la profession nomment des « balladeuses », et où il y avait de la mercerie, des bonnets de tulle, des pièces d’étoffe, des miroirs, des lanternes de fer-blanc, et celui-ci, pour appeler ses clients répandus dans l’immensité des blés, portait à ses lèvres, de temps en temps, la pointe d’un grand coquillage rose, qui s’évasait en forme de trompe. […] Les gens de la ville, employés, ouvriers, petits rentiers et bourgeois, sont plus friands encore de cette littérature, et elle agit davantage sur eux, à cause de la souplesse et de la vivacité plus grande de l’esprit citadin. […] Je cherche cette fraternité de cœur, cette tendresse dans l’œuvre naturaliste, et je trouve un parti pris de dénigrement, voisin de l’orgueil, une manière dure de parler de la misère, une brutalité de touche dans le portrait des pauvres gens, toujours représentés comme des êtres d’impulsion, esclaves des instincts, des hérédités et des passions, une tendance à considérer l’ouvrier comme une machine à boire et à faire des révolutions, qui dérivent d’un mépris foncier de l’espèce humaine, à moins qu’ils ne révèlent la plus certaine des incompréhensions. […] Nous ressemblons à ces gens naïfs qui essayent de toucher un arrérage de rente sans présenter un certificat de vie. […] Croyez bien, en outre, que si les gens du peuple perdent quelques-unes des finesses d’esprit ou de style que les lettrés goûteront, ils ne les perdront pas toutes ; qu’il y aura des qualités maîtresses, les qualités d’âme et de cœur qui ne leur échapperont pas.

482. (1913) Les idées et les hommes. Première série pp. -368

Les gens disaient qu’il n’atteindrait pas l’autre rive. […] La même sensibilité, ne la remarque-t-on pas chez beaucoup de gens qui ne tombent pas du haut mal ? […] Ces Ropart d’Anay sont des gens de vieille croyance et de vie profonde. […] Il a conscience d’appartenir à une équipe de gens — l’armée — qui ont une tâche en ce monde. […] Le soir, on m’enseigna qu’elle avait raison de haïr ces gens qui n’ont pas de domicile.

483. (1903) La vie et les livres. Sixième série pp. 1-297

Il a interrogé les gens dont la mémoire est encore hantée par la tradition de ces images tragiques. […] les braves gens !  […] Tous, ou presque tous, ils étaient de braves gens ; mais ils étaient incapables de longs espoirs et de vastes pensées. […] « Que font là ces gens ?  […] d’une longue angoisse, cette « légion de gens à tout faire ».

484. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mars 1886. »

Quelques gens, désireux de tout concilier, ont inventé cette monstruosité : — « Mais c’est la Ville qui subventionne les concerts !  […] Les soixante-dix mille braves gens dont j’ai parlé plus haut seront là ; mettons-en seulement cinquante mille, car il y aura dans la foule un minimum de vingt mille désœuvrés et de braillards toujours prêts à faire ce qu’ils appellent du boucan, à tout propos et sans que la cause repose autrement sur leur conviction. […] Une farce patriotique que jouent au détriment du public calme et impartial des gens assoiffés de réclame, affolés contre le génie, eux qui n’en ont pas pour un liard : poètes sans talent, mais amplement vêtus ; bas-bleus sur le retour, compositeurs conduits du théâtre et versés dans la gymnastique, etc. […] Les gens qui sont résolus à faire tout ce qu’ils pourront pour empêcher la représentation de Lohengrin sont extrêmement nombreux ; ils se comptent par milliers. […] Aussi, en présence de l’exaspération qui s’est emparée de beaucoup de gens lorsque ceux-ci ont vu que le directeur de l’Opéra-Comique ne tenait pas compte de leurs plaintes, ai-je résolu de me tenir à l’écart.

485. (1855) Préface des Chants modernes pp. 1-39

Resterons-nous comme d’impassibles spectateurs, commodément assis derrière la barrière et jugeant les coups, sans nous jeter, en gens de cœur, à travers la bataille ? […] Ô gens de lettres ! […] Les gens de lettres sont moins coupables qu’ils ne le paraissent de cette désunion et de cette indifférence absolue d’eux-mêmes. […] Il y a un an ou deux, je ne sais quel petit banquier parvenu s’avisa de distribuer quelques faveurs à des gens de lettres de ses amis. […] Ô gens de lettres, ne me blâmez pas d’avoir le courage de vous dire ces vérités cruelles dont je mérite ma part, plus que tout autre.

486. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — P.-S. » pp. 38-40

Mais la paroisse a bien des gens de qualité et des gens riches, au lieu que Saint-Étienne n’en a que peu en comparaison et qu’il a le désavantage de la situation.

487. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Andrieux »

Il était érudit, studieux avec friandise, intimement versé dans Horace, dont il donnait d’agréables et familières traductions, sachant tant soit peu le grec, et par conséquent beaucoup mieux que les gens de lettres ne le savaient de son temps : car de son temps les gens de lettres ne le savaient pas du tout, et, quelques années plus tard, la génération littéraire suivante, dite littérature de l’Empire, et dont était M. de Jouy, sut à peine le latin.

488. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre II. De la sensibilité considérée comme source du développement littéraire »

Mais soyez sûrs que le cœur des gens d’esprit a seul de ces trouvailles-là. […] Saint Vincent de Paul, sainte Thérèse, tous les héros de l’amour de Dieu et de la charité qu’on a vus avant et depuis eux, étaient gens d’esprit, croyez-le bien Beaucoup furent des simples d’esprit : cela ne veut pas dire des bêtes.

489. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 3. Causes générales de diversité littéraire. »

Cet esprit français dont j’ai essayé de marquer les principaux traits, est né comme la patrie, comme la langue, entre Loire et Meuse, dans ce que Michelet appelle les « plaines décolorées du centre6 » : presque aucune particularité n’en modifie la définition générale dans cet ancien duché de France, qui en donne comme l’exacte moyenne, dans ce Paris surtout, qui, comme la première des bonnes villes, doit à ses marchands, ses étudiants, et, bientôt ses gens de palais, de paraître la propre et naturelle patrie de l’esprit bourgeois. […] Le long de ces provinces s’échelonnent, apportant une note plus originale, à mesure qu’elles sont plus excentriques, la Picardie ardente et subtile, l’ambitieuse et positive Normandie, hardie du bras et de la langue, le Poitou tenace, précis et délié, pays de gens qui voient et qui veulent, la molle et rieuse Touraine, enfin la terre des orateurs et des poètes des imaginations fortes ou séductrices, l’« aimable et vineuse Bourgogne », d’où sont parties, à diverses époques, « les voix les plus retentissantes » de la France.

490. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « La réforme prosodique » pp. 120-128

Sans s’embarrasser d’une barrière inutile, il donna au vers ternaire le droit de cité : Il a vaincu — la Femme belle — au cœur subtil… Néoptolème — âme charmante — et chaste tête… Et sur mon cœur — qu’il pénétrait — plein de pitié… Ces braves gens — que le Journal — rend un peu sots… Quoi que j’en aie — et que je rie — ou que je pleure… Rien de meilleur — à respirer — que votre odeur… Pour supporter — tant de douleur — démesurée… Pour, disais-tu, —  les encadrer — bien gentiment… Cette coupe nouvelle de vers, d’où l’on allait tirer des effets si imprévus, offrait toutes les garanties d’une réforme née viable, puisqu’elle était l’épanouissement naturel d’une idée lentement mûrie et qu’elle avait subi le contrôle à la fois du Génie et du Temps. […] * *   * Pour l’hiatus qui horripile force gens, il faut bien convenir qu’il n’est que le plus absurde des préjugés.

491. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre III » pp. 30-37

Aussi Boileau lui-même y reconnaît-il « une narration également vive et fleurie, des fictions très ingénieuses, des caractères aussi finement imaginés qu’agréablement variés et bien suivis Il fut fort en estime même des gens du goût le plus exquis17 ». […] Les gens de lettres doivent bien se persuader que la littérature de tous les temps reçoit des directions inévitables des mœurs régnantes dans la nation, et que c’est une des lois du mouvement en politique et en morale, d’amener à la suite d’une longue période de dissolution, une période de réserve affectée et de pruderie.

492. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VIII » pp. 70-76

. — Ton et langage de la bonne compagnie des gens peints par Corneille, dans sa comédie de Mélite. — Ton et langage de la société dissolue a la même époque. — Distinction entre différents genres de naïveté. […] Celle-ci (Mélite) a fait son effet par l’humeur enjouée de gens, d’une condition au-dessus de ceux qu’on voit dans les comédies de Plaute et de Térence. » En effet, dans cette pièce, l’auteur ne se bornait pas à produire des personnages décents, au lieu des bouffons de fantaisie : il leur donna, dit-il, un style naïf qui faisait une peinture de la conversation des honnêtes gens .

493. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 17, quand ont fini les représentations somptueuses des anciens. De l’excellence de leurs chants » pp. 296-308

Mais, ajoûte-t’il, tandis qu’on chassoit les sçavans comme bouches inutiles, et qu’on leur prescrivoit même un temps fort court pour sortir, on ne dit mot aux gens de théatre ni à tous ceux qui voulurent bien se mettre à l’abri de ce beau titre. […] Qu’on juge par-là combien étoit prodigieux le nombre des gens de théatres qui pouvoient être à Rome aux temps de Diocletien et du grand Constantin.

494. (1901) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Deuxième série

Mais c’est un sophisme singulièrement irritant que celui des gens qui affectent de s’effrayer du fantôme qu’ils ont eux-mêmes barbouillé. […] La meilleure définition serait celle où pourraient entrer le plus de gens d’une moyenne valeur intellectuelle et d’une culture générale médiocre. […] Avec le temps, nous parviendrons très bien à nous persuader qu’il est beau, et nous nous fâcherons même contre les gens sincères qui continuent à porter sur lui notre jugement d’autrefois. […] Car il reprochait à son ami, le poète Bouilhet, de ne pas soigner sa gloire, et il lui écrivait : « Tu ne sais pas assez l’importance des petites choses dans le pays des petites gens. […] D’autre part, les gens qui écrivent bien sont légion aujourd’hui.

495. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre premier. » pp. 15-203

Malheureuse condition des gens de bien qui vivent à côté d’un prince vicieux ! […] Mais les censeurs ne sont pas gens à se contenter de présomptions lorsqu’il s’agit de croire le bien. […] J’en atteste les gens de cour. […] Un méchant dont la fonction habituelle est de faire des gens de bien ! […] et quelquefois des gens éclairés, joindre leurs voix à la sienne, et répéter ses discours ?

496. (1889) Derniers essais de critique et d’histoire

Les bravi assassinent moyennant finance et les gens de justice font pis que les bravi. […] D’ailleurs il est à peine besoin de le combattre ; tous les gens réfléchis sont d’accord pour le traiter de jonglerie. […] Voilà les gens qui vont voter : sur 20 votants, 10 paysans, 4 ouvriers, 3 demi-bourgeois, 3 hommes cultivés, aisés ou riches. […] Les gens du pays lui apportaient un peu de riz ; il les payait en médicaments ; on le prenait pour un santon. […] Mais avec cela il avait de l’honneur à l’excès, et ses chefs, gens expérimentés, promettaient toujours à ma mère qu’il serait un jour excellent.

497. (1898) Ceux qu’on lit : 1896 pp. 3-361

Ces gens-là font reculer l’idée politique qui avancerait sans eux. […] Des gens s’étaient battus pour cet homme, des gens étaient morts pour lui, et sa propre couronne semblait beaucoup moins l’intéresser en ce moment que celles des monarques de pique ou de trèfle, de cœur ou de carreau, étalés sur le tapis du trente et quarante. […] Il donnerait sa vie, au théâtre, pour sauver les braves gens qu’il voit persécuter dans les pièces de l’Ambigu. […] — D’embêter les gens ! […] Bouviers et gens de plaza l’excitent de leur « olé ! 

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