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625. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre troisième »

Des caractères généraux du calvinisme. […] C’est un débat qui n’est pas de mon sujet ; mais s’il est vrai que les catholiques du seizième siècle, secoués par le mouvement général des esprits, et réveillés par cette renaissance des lettres et des arts qui rendit bientôt toute ignorance ignominieuse, se seraient enfin arrachés d’eux-mêmes aux puérilités de la scolastique et aux langueurs de l’autorité ; s’il est vrai qu’ils auraient enfin retrouvé par la science la philosophie chrétienne ; il ne l’est pas moins, et avec l’avantage d’un fait accompli sur un fait probable, que la Réforme seule a provoqué et consommé cette restauration. […] Caractères généraux du calvinisme. […] Que de vérités, que de rapports généraux, qui n’avaient point encore pris place dans l’esprit français ; et quelle nouveauté que cette forme sérieuse forte, proportionnée sous laquelle les présentait Calvin ! […] Calvin ne perfectionna pas seulement en l’enrichissant, la langue générale ; il créa une langue particulière dont les formes très-diversement appliquées n’ont pas cessé d’être les meilleures parce qu’elles ont été tout d’abord les plus conformes au génie de notre pays, je veux dire, la langue de la polémique.

626. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Bussy-Rabutin. » pp. 360-383

Mais il s’aliénait vite par ses médisances et par son caractère les généraux qu’il était le plus fier d’avoir pour ses juges. […] De tous les généraux sous lesquels il servit, il n’en est aucun avec qui Bussy s’entendît si bien qu’avec le prince de Conti, frère du Grand Condé. […] Tel était le prince sous qui Bussy voulait aller servir en Catalogne pendant la campagne de 1654 ; il s’accommodait très bien de ce général qui aimait la raillerie, et qui mêlait le badinage et le bel esprit jusque dans les ordres de service qu’il donnait. Mais le prince de Conti n’était qu’un généralissime manqué : les vrais généraux et les hommes d’État ne purent jamais passer à Bussy ce tour d’esprit si contraire à l’ordre et au commandement, et qui déjouait le respect dans les choses sérieuses. […] Et là-dessus Bussy ayant écrit à son ancien général une lettre de compliment et de reconnaissance, Turenne lui avait répondu par une lettre qui, « dans sa manière courte et sèche (c’était son genre), était peut-être une des plus honnêtes qu’il ait jamais écrites ». — Je crois maintenant en avoir assez dit, mais il m’était resté comme un remords de n’avoir caractérisé qu’imparfaitement ce portrait de Turenne par Bussy, lequel portrait, d’ailleurs, est en soi l’une des pièces les plus nettes et les plus achevées de notre littérature : c’est un simple dessin sans couleur aucune, mais des plus expressifs et des plus parlants.

627. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1861 » pp. 361-395

De cette folie générale, de cette manie partout répandue dans le bas de la société de jeter ses enfants par-dessus soi, de les porter au-dessus de son niveau, comme on porte les enfants au feu d’artifice, il s’élève une France de plumitifs, d’hommes de lettres et de bureau, une France où l’ouvrier ne sortant plus de l’ouvrier, le laboureur du laboureur, il n’y aura bientôt plus de bras pour les gros ouvrages d’une patrie. […] Lagier, elle, cherche à définir l’odeur sui generis du théâtre, cette odeur générale faite de l’odeur particulière du gaz mêlé à l’odeur de bois échauffé des portants, à l’odeur de poussière poivrée des coulisses, à l’odeur de la peinture à colle des décors, qui fait une atmosphère entêtante de toutes ces senteurs d’un monde factice, une atmosphère, qui, selon son expression, fait hennir, à pleins naseaux, l’actrice entrant en scène. […] Quant à une restitution morale, le bon Flaubert s’illusionne, les sentiments de ses personnages sont les sentiments banaux et généraux de l’humanité, et non les sentiments d’une humanité particulièrement carthaginoise, et son Mathô n’est au fond qu’un ténor d’opéra dans un poème barbare. […] Maintenant très original dans sa façon de s’exprimer, il l’est assez peu dans sa façon de penser, n’ayant une impression de la beauté et du caractère des choses, que lorsqu’il en est averti par un livre bon ou mauvais, croyant, à la façon d’une intelligence inférieure, à l’imprimé, et par cette servitude assez soumis dans le fond à l’opinion générale. […] Comme nous lui parlions de son portrait du roi Louis-Philippe, il nous dit qu’il sait que le général Dumas envoya, au mois d’août 1848, une lettre du Roi à M. de Montalivet, où Louis-Philippe écrivait à l’Assemblée pour garder ses biens, comme le plus ancien général datant de la Révolution.

628. (1890) Nouvelles questions de critique

Magistrat ou avocat, dans l’une comme dans l’autre occasion, chacun d’eux prêtait sa voix à des intérêts plus généraux que lui-même, et dont on peut dire que l’importance sociale se subordonnait, effaçait, absorbait la personnalité du défenseur ou du procureur général. […] Mais je parle de ces causes où se trouvent parfois enveloppés des intérêts plus généraux qu’elles-mêmes. […] Pellissier, Buffon la formule expressément, était de nommer les choses par les termes les plus généraux. » C’est ce que M.  […] Becq de Fouquières, dans son Traité général de versification française, l’avait dit avant lui. […] Elle importe à l’histoire générale.

629. (1905) Propos de théâtre. Deuxième série

Le premier il a dit : la vraisemblance dramatique consiste à connaître l’opinion générale du public et à s’y conformer. […] C’est un relâchement général. […] Mais ne voyez-vous pas que c’est surtout une marque singulière de l’état général des esprits et des âmes ? […] Marmontel, qui n’est pas général, a précisément l’idée contraire. […] Très malin, le vieux général.

630. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre III. La critique et l’histoire. Macaulay. »

La règle générale est indubitablement que lorsqu’un ouvrage d’imagination a réussi, on ne doit pas le refondre. […] Son principe est qu’un fait particulier a plus de prise sur l’esprit qu’une réflexion générale. […] Après l’explication générale vient l’explication particulière ; après la théorie, l’application ; après la démonstration théorique, la démonstration pratique. […] Il ne supporte pas l’examen, si on le juge d’après des principes généraux solides. […] La persécution continue à être la règle générale ; la tolérance est l’exception.

631. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

Écoutez son nom ; c’est un homme d’état, c’est un général d’armée à qui l’auteur prête ironiquement la démarche et les discours d’un valet. […] On a fait injustement de l’un de mes portraits généraux une application particulière, très injurieuse à un jeune littérateur avec qui je n’ai jamais eu de relations. […] Le premier naquit des circonstances particulières à la démocratie d’Athènes ; le second, d’une imitation générale des mœurs humaines sous tous les gouvernements. […] Les personnages de la scène eurent des noms et des attributs généraux, comme les portraits de Théophraste. […] Ainsi Molière imprime toujours à la comédie une utilité générale, en redressant par la moquerie les torts les plus communs de la société.

632. (1894) La bataille littéraire. Sixième série (1891-1892) pp. 1-368

Pour simplifier mon analyse, je dirai que c’est tout simplement l’histoire du terrible krach de l’Union générale que M.  […] Tel est le ton général de l’ouvrage de M.  […] Ainsi le mot malencontreux, comme une traînée de poudre, circulait de travée en travée, salué par une hilarité contagieuse d’abord, puis générale. […] Préfet, procureur général, etc., toutes les herbes de la Saint-Jean. […] C’est à l’aide de documents de cette valeur que M. le général Thoumas a écrit son livre, le meilleur et le plus complet qui ait été publié sur Lannes.

633. (1887) Études littéraires : dix-neuvième siècle

Ses idées générales. […] Voici les traits généraux de la question. […] Tournure générale de son esprit. […] Ses idées générales. […] Ses idées générales.

634. (1853) Portraits littéraires. Tome II (3e éd.) pp. 59-300

Il est donc naturel qu’il cherche hors du cercle des sentiments généraux le thème de ses méditations. […] Il me semble que cette méthode, en éliminant les sonnets, n’aurait pu qu’ajouter à la valeur générale du Pianto. […] Guizot pour la diffusion, et le professeur a dépassé l’historien dans son dédain pour les formes du style et pour la légitimité des idées générales. […] Ramenées à leur expression générale, la plupart des comédies de M.  […] Delavigne répondent parfaitement à l’opinion générale de la bourgeoisie.

635. (1925) Promenades philosophiques. Troisième série

Bouglé, « la rigueur de la règle générale qui isole les castes et les ferme éternellement l’une à l’autre ». […] Voici le témoignage, d’un groupe important d’observateurs désintéresses membres de l’Institut général psychologique. […] Leur nom général est « plaisirs », qu’il ne faut pas confondre avec « plaisir ». […] Des assassinats se peuvent justifier ; le mot assassinat ne peut changer de signification générale. […] Salomon Reinach, Orpheus, histoire générale des religions, Paris, Alcide Picard, 1909.

636. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VIII » pp. 70-76

Il la recommande aux Romains ; la politesse exquise de son esprit en avait conçu les lois : mais la chose était hors des mœurs générales ; le mot décence n’existait même pas ; pour l’en tenir lieu, Cicéron emploie cette locution : quod decet . […] Suivant cette doctrine, la bienséance ne serait qu’un voile bon à jeter sur le dérèglement des mœurs, ou tout au plus un palliatif de l’incontinence générale.

637. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre viii »

Metternich et Haller ont vu qu’il y a des vérités générales providentielles qu’on ne changera pas. […] Il affirme la même vérité générale : il n’y a pas de justice.

638. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXIII. Des panégyriques en vers, composés par Claudien et par Sidoine Apollinaire. Panégyrique de Théodoric, roi des Goths. »

On conçoit comment il put louer Stilicon, qui n’était pas à la vérité un citoyen, mais qui était à la fois et un ministre et un général ; mais Honorius, qui toute sa vie fut, comme son frère, un enfant sur le trône ; qui, mené par les événements, n’en dirigea jamais aucun ; qui ne sut ni ordonner, ni prévoir, ni exécuter, ni comprendre ; empereur qui n’avait pas même assez d’esprit pour être un bon esclave ; qui, ayant le besoin d’obéir, n’eut pas même le mérite de choisir ses maîtres ; à qui on donnait un favori, à qui on l’ôtait, à qui on le rendait ; incapable d’avoir une fois du courage, même par orgueil ; qui, dans la guerre et au milieu des périls, ne savait que s’agiter, prêter l’oreille, fuir, revenir pour fuir encore, négocier de loin sa honte avec ses ennemis, et leur donner de l’argent ou des dignités au lieu de combattre ; Honorius, qui, vingt-huit ans sur le trône, fut pendant vingt-huit ans près d’en tomber ; qui eut de son vivant six successeurs, et ne fut jamais sauvé que par le hasard, ou la pitié, ou le mépris ; il est assez difficile de concevoir comment un homme qui a du génie, peut se donner la peine de faire deux mille vers en l’honneur d’un pareil prince. […] Cet assassinat de la part d’un lâche qui veut faire périr l’objet de sa haine, et qui n’ose le faire ouvertement, était bien digne de la cour de Byzance, où de tout temps l’esprit général fut un mélange de cruauté et de faiblesse.

639. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

Défiance à l’égard des idées générales. […] Faguet ne manque pas d’idées générales. […] Lors de l’élection récente du général actuel, le P. […] Mais ce dont il s’agit, c’est d’une tendance générale. […] J’ai voulu seulement donner quelques indications générales.

640. (1891) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Quatrième série

Il a déterminé les conditions générales de l’art dramatique, et il en a fixé le caractère essentiel. […] Rigal, et de cette connaissance, nous avons essayé de montrer le profit que tirerait l’histoire générale du théâtre français. […] Il excelle aussi, dans ses vers, à donner, des sentiments les plus particuliers, une expression générale qui nous les fait accepter. […] Sa volonté éternelle est que le bien soit préféré au mal, et le bien général au bien particulier. […] La physionomie générale du xviie  siècle en est sensiblement modifiée.

641. (1885) L’Art romantique

Malheur à celui qui étudie dans l’antique autre chose que l’art pur, la logique, la méthode générale ! […] La négation du péché originel ne fut pas pour peu de chose dans l’aveuglement général de cette époque. […] G. connaît non seulement le cheval général, mais s’applique aussi heureusement à exprimer la beauté personnelle des chevaux. […] Ledru-Rollin — trouble général des esprits, et vive préoccupation publique relativement à la philosophie de l’histoire.) […] Je racontais cette anecdote à un général qui y trouva un motif pour admirer la prodigieuse intelligence du soldat français.

642. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre deuxième. Troubles et désagrégations de la conscience. L’hypnotisme et les idées-forces »

De là une diminution générale des processus « métaboliques », des échanges dans tout l’organisme, y compris le cerveau. […] Selon nous, la loi générale des idées-forces, dont la « suggestion » n’est qu’une conséquence particulière, explique psychologiquement les phénomènes caractéristiques de l’hypnose. […] Les excitations uniformes des sens émoussent la sensibilité ; c’est une loi générale : une sensation d’odeur uniforme et répétée finit par user l’odorat ; de même pour le goût. […] Nouvelle preuve que ce qui est aboli dans l’hypnotisme n’est pas la volonté au sens général du mot, mais l’idée de choix possible pour la volonté, l’idée de liberté. […] Au-dessus des images particulières, une sorte d’image générale se forme, but de toutes les autres, centre de leur commune orientation.

643. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (1re partie). Littérature scientifique » pp. 221-288

Le groupe des îles Canaries était devenu pour lui un livre instructif d’une richesse infinie, dont la variété, quoique dans un cercle étroit, devait conduire un génie comme celui de Humboldt à l’intelligence de choses plus étendues, plus générales. […] Il reconnut la vérité du principe qu’il avait déjà suivi précédemment dans ses recherches : de ne considérer les faits isolés que comme une partie de la chaîne des grandes causes et des grands effets généraux qui sont en rapports intimes et découlent les uns des autres, dans les seuls laboratoires de la nature ; il reconnut qu’il faut trouver le fil conducteur dans cette sorte de labyrinthe d’une variété infinie, et que, partant, il ne faut pas regarder avec indifférence le fait isolé et ce qui nous paraît petit, mais plutôt apprendre à voir le grand dans le petit, le tout dans la partie. C’est dans cet esprit que le volcan de Ténériffe fut pour Humboldt la clef des grands mystères de la vie générale ; il découvrit les différents moyens que la nature emploie pour créer et pour détruire, il apprit ainsi à faire d’un fait isolé la mesure des faits généraux. […] Ce fut avec un sentiment de sympathie et de vénération générale que Berlin apprit, ce jour-là, que la mort avait fini ses souffrances. […] Mais partout où il se montre, il reçoit les témoignages de la considération générale ; souvent le passant s’écarte avec précaution, dans la crainte de troubler les pensées de cet homme vénéré ; l’homme vulgaire lui-même le regarde attentivement, et dit à l’autre : “C’est Humboldt qui passe.”

644. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Additions et appendice. — Treize lettres inédites de Bernardin de Saint-Pierre. (Article Bernardin de Saint-Pierre, p. 420.) » pp. 515-539

Je suis bien sensible au souvenir de M. le général Dubosquet. […] Le commandant général est rappelé. […] Vous aurez donc la bonté de m’envoyer une quittance générale pour toutes ces dettes et pour celle de M.  […] Mesnard de Conichard, adjoint intendant général des Postes, en son hôtel à Paris. […] Mesnard de Conichard, adjoint intendant général des Postes à Paris.

645. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — II. (Suite.) » pp. 155-174

Monté sur ce courtaud et en assez méchant équipage, Rosny chercha alors à s’orienter à travers la plaine, lorsqu’il vit venir à lui un groupe d’ennemis au nombre de sept, dont l’un portait la cornette blanche et générale de M. de Mayenne. […] Au siège de La Fère (1596), Rosny eut à remplir l’office d’intendant général de l’armée, puis à régler les comptes avec les fournisseurs qui avaient intéressé dans leur marché plusieurs ministres et membres du Conseil. […] Durant son voyage, les membres du Conseil des finances lui détachèrent de Paris mille crocs-en-jambe et mille obstacles : il ne se rebuta de rien, prit à partie les officiers qu’il inspectait, de gré ou de force se fit représenter les comptes de l’année courante et des trois précédentes, examina de près toutes les prétendues dettes et les arrérages, les titres et obligations de tous genres, tondit à son tour sur le vif au profit du roi, et fit tant qu’il rassembla bien cinq cent mille écus : De toutes lesquelles sommes ainsi par vous recouvertes vous fîtes dresser quatre petits bordereaux pour vos quatre généralités, où étaient spécifiées par recettes et natures de deniers toutes les sommes par vous voiturées, et iceux signés par les huit receveurs généraux des deux années dernières comme leur ayant été mis ès mains par les receveurs particuliers ; lesquels bordereaux vous portâtes toujours sur vous, et vous vinrent bien à propos… Vous aviez un équipage de soixante et dix charrettes chargées, pour ce que vous aviez été contraint de prendre quantité de monnaie ; à la suite desquelles étaient les huit receveurs généraux, accompagnés d’un prévôt et de trente archers pour l’escorte.

646. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — I. » pp. 234-253

Ce goût du jeune prince de Ligne pour les armes est quelque chose de plus que l’instinct brillant de la valeur : il a beaucoup écrit sur la guerre ; il a beaucoup étudié et médité sur toutes les parties de ce sujet ; il a analysé les actions et les mérites des grands capitaines des guerres précédentes et des généraux de son temps. […] Si l’on allait plus au fond, même sans prétendre au technique, on trouverait les caractères des divers généraux vivement dessinés d’après leurs actions mêmes : le maréchal Daun, prudent, circonspect, méthodique, à qui il arrive un jour de galoper pour la première et la dernière fois de sa vie, et qui, après la victoire de Hochkirch, se met à écrire à Marie-Thérèse pour sa fête de sainte Thérèse la relation de la victoire, au lieu de donner les derniers ordres pour la poursuivre ; il s’appuie sur une pierre pour écrire : « Cette pierre-là fut notre pierre d’achoppement », dit le prince de Ligne qui aimait les jeux de mots, surtout si dans ces gaietés sur le mot il y avait de l’imagination. […] Lacy et Laudon sont bien plutôt les généraux de son goût et de son admiration : il est glorieux et fier de se dire de loin leur élève35. […] alors on porte le bonheur dans la société où l’on vit, et l’on est sûr d’un succès général.

647. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — I. » pp. 262-280

Aujourd’hui, le genre de talent de Bourdaloue nous semble bien loin de prêter à de telles vivacités de couleurs, et, pour mieux essayer d’y pénétrer, je dirai d’abord l’effet assez général que cette éloquence produit à la lecture, et par quel effort, par quelle application du cœur et de l’esprit il est besoin de passer pour revenir et s’élever à la juste idée qu’il convient d’avoir de sa grandeur, de sa sobre beauté et de sa moralité profonde. […] D’Aguesseau a très bien loué en Bourdaloue « la beauté des plans généraux, l’ordre et la distribution qui règnent dans chaque partie du discours, la clarté et, si l’on peut parler ainsi, la popularité de l’expression 66, simple sans bassesse et noble sans affectation ». […] Il lui a appliqué très ingénieusement, pour la savante disposition des plans et la distribution des diverses parties, le mot de Quintilien qui compare cette sorte d’orateur tacticien à un général habile qui sait ranger ses troupes dans le meilleur ordre. Bourdaloue a donc, comme on dit, l’imperatoria virtus, cette qualité souveraine de général qui fait que tout marche en ordre et à son rang ; que rien ne s’ébranle sans le mot du chef.

648. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — I » pp. 93-111

Issu d’une ancienne maison, fils d’un père noble et généreux qui s’était ruiné dans l’ambassade de Venise et qui vivait en Touraine, né dans Venise même où il avait eu pour marraine la République, et salué en naissant d’une lettre complimenteuse de Balzac, il fut d’abord et pendant des années simple lieutenant général du bailliage d’Angoulême : c’est là que dans une tournée de Grands Jours, vers 1691, il fut en quelque sorte découvert par M. de Caumartin, qui se prit aussitôt d’enthousiasme pour lui et le mit en relation étroite avec M. de Pontchartrain, contrôleur général et depuis chancelier. […] Houllier (son grand-père maternel) vivait encore et était lieutenant général du bailliage d’Angoulême… Il proposa de résigner sa charge à mon père. Cela choquait qu’un homme comme mon père fût lieutenant général d’un bailliage, quoique ce soit un des beaux ressorts du royaume ; mais son âge était passé de servir (à la guerre), il trouvait à cela une subsistance et de l’occupation.

649. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — I » pp. 395-413

Je ne fais qu’indiquer un portrait du général ministre Grumbkow, persécuteur odieux de Frédéric et de sa sœur : dans son duel avec le prince d’Anhalt, elle le montre effaré et tremblant, et rappelle toutes les autres preuves qu’il avait données de la même disposition, soit à la bataille de Malplaquet, où il était resté dans un fossé pendant tout le temps de l'action, soit au siège de Stralsund, où il s’était démis fort à propos une jambe dès le commencement de la campagne, ce qui le dispensa d’aller à la tranchée : « Il avait, conclut-elle, le même malheur qu’eut un certain roi de France, qui ne pouvait voir une épée nue sans tomber en faiblesse61 ; mais, excepté tout cela, c’était un très brave général. » Et ailleurs, montrant le roi son père qui ne s’accommodait pas des manières polies et réservées du prince héréditaire de Bareith, tout en le lui donnant pour mari : « Il voulait un gendre, dit-elle, qui n’aimât que le militaire, le vin et l’économie. » Certes, dans une société idéale où l’on se figure réunis les Caylus, les Hamilton, les Grammont, les Sévigné, les Coulanges, les Saint-Simon, les Staal de Launay, les Du Deffand, la margrave n’eut pas été hors de sa place ni dans l’embarras ; elle eût trouvé bien vite à payer son écho par maint trait d’esprit et de raillerie bien assénée, qui eût été applaudi de tous et de toutes, de même que son frère, en causant, n’était en reste de mots excellents ni avec Voltaire, ni avec personne ; mais à la lecture, et eu égard au genre et à la nature des tableaux, elle garde sa couleur étrange et son accent exotique. […] Quand elle l’a obtenu, il lui donne le moyen sûr pour le garder près d’elle autant qu’elle le voudra, et même pour entreprendre un voyage s’il le lui ordonne : c’est que le margrave envoie au roi quelques grands hommes pour son régiment favori ; moyennant cette « galanterie de six pieds » faite au roi, tout ira bien ; « deux ou trois grands hommes envoyés à propos seront des arguments vainqueurs62. » — Le général ministre Grumbkow, qui a tant persécuté Frédéric et sa sœur, meurt un an avant son maître, laissant une mémoire généralement exécrée. […] [NdA] On lit chez un autre écrivain français de Berlin, chez Ancillon, cette pensée, qui n’est que celle de Frédéric sous une forme plus générale : Il y a des âmes tellement riches, que, dans leurs développements successifs et graduels, elles semblent pouvoir remplir l’éternité : ces âmes prouvent l’immortalité de notre être.

650. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. »

Louvois, entre autres établissements utiles et durables, a fondé le Dépôt de la Guerre ; c’est dans ce Dépôt que sont conservées toutes les lettres, toutes les dépêches, qui émanent des ministres et secrétaires d’État de la Guerre ou qui s’adressent à eux, les lettres et rapports des généraux, des intendants, etc. […] Les historiens s’étaient donc contentés jusqu’à présent de parler de Louvois d’une manière assez générale, rendant plus ou moins de justice à son administration, mais insistant avant tout sur les vices et les défauts de son caractère. […] Cette histoire, telle qu’il a su l’établir et la bâtir, est tout à fait le contraire de ces histoires générales, systématiques, où l’auteur prête de ses intentions et de son parti pris aux personnages et aux événements eux-mêmes, tellement qu’en les lisant le vulgaire des esprits qui aime à être mené croit tout comprendre et se déclare charmé, tandis que tout esprit politique et qui a tâté des affaires humaines sent aussitôt que ce n’est pas ainsi que les choses ont dû se passer. […] De plus il a sous lui toute une élite d’hommes secondaires que cette histoire nous découvre et qui prennent figure et vie à nos yeux : — en première ligne, Martinet, lieutenant-colonel du régiment du Roi, mort maréchal de camp, officier modèle, dont le nom devient proverbial dans l’armée, et qui est l’instrument de la réforme, le parfait instructeur, le praticien de la discipline nouvelle dans l’infanterie ; — après lui, le chevalier de Fourilles, qui rend des services pareils, et qui est un autre Martinet pour la cavalerie ; — des intendants comme Chaniel, agent zélé, ferme, intelligent, dont les plus grands généraux redoutent les écritures, qui ne paraît pas en avoir abusé toutefois, et que Louvois, fidèle au principe de la séparation des pouvoirs, soutient sans broncher dans ses contestations avec les maréchaux victorieux, après la conquête.

651. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite et fin.) »

La reine, dans ce cercle resserré qu’elle parcourt d’un coup d’œil juste, se rend compte désormais de tous les périls : du premier jour elle s’est mise à la raison par nécessité ; c’en est fait de toutes ses vivacités passées : « Le seul moyen, pense-t-elle, de nous tirer d’ici est la patience, le temps, et une grande confiance qu’il faut leur inspirer. » Elle se fait d’ailleurs bien peu d’illusions ; après les premiers mois écoulés, elle ne voit qu’accroissement de dangers autour d’elle et sombres présages pour l’avenir ; de faibles et rares retours de l’opinion, des fluctuations d’une heure en sens favorable ne l’abusent point ; le courant général est trop fort ; les violents et les ardents entraînent les faibles. […] Mirabeau a fait remettre au roi des mémoires d’un très bon esprit… Après la lecture de plusieurs mémoires de Mirabeau, un surtout très fort, on a trouvé qu’il serait à propos qu’il me vît pour prendre des instructions générales. […] Mirabeau voulait que le roi sortît de Paris en roi, en plein jour, non déguisé ni, certes, en domestique, sans rien de ce qui avilit aux yeux d’une nation ; il voulait aussi l’appui d’un général, de M. de Bouillé ; la guerre civile peut-être, non la guerre étrangère… La reine, cependant, commençait à reconnaître qu’il y aurait eu avantage et peut-être salut à suivre plus tôt cette voie de conciliation et d’intelligence avec quelques-uns des hommes influents de l’Assemblée. […] Elle n’a pas d’elle-même de plan général de politique, et eût-elle eu la capacité d’en concevoir un, elle n’aurait pas été assez influente auprès du roi pour l’y fixer.

652. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Exploration du Sahara. Les Touareg du Nord, par M. Henri Duveyrier. »

« On aura une idée approximative de l’aspect général des dunes en se figurant une mer en courroux qu’un miracle aurait instantanément solidifiée. Les Gouv seraient les pointes de rochers montrant leurs têtes au milieu des eaux ; les Ghourd, les Zemla et les Sif, les vagues que les vents auraient soulevées et dressées au-dessus du niveau général ; les Theniya, les Ouâd, les Douriya, les Haoudh et les Sahan, les dépressions houleuses séparant les vagues. […] La transmission du pouvoir n’a lieu ni d’après la loi musulmane, ni d’après la coutume générale des autres peuples, en ligne directe, du père au fils, mais par voie indirecte, du défunt au fils aîné de sa sœur aînée. […] L’usage du voile, soit du voile noir, soit du blanc, est, en effet, général chez eux, et ils ne le quittent jamais ni en voyage ni au repos, ni même pour manger, ni pour dormir.

653. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DISCOURS DE RÉCEPTION A L’ACADÉMIE FRANÇAISE, Prononcé le 27 février 1845, en venant prendre séance à la place de M. Casimir Delavigne. » pp. 169-192

Une qualité générale frappe au premier coup d’œil, en parcourant l’ensemble de cette vie bien courte et pourtant si remplie : quand je dis que cette qualité frappe, j’ai tort, il serait plus juste de dire qu’elle repose et satisfait : sa destinée a tout à fait l’harmonie ; et je n’en veux pour preuve que le sentiment universel qu’elle inspire, cette sorte d’admiration affectueuse et douce dont il est l’objet. […] Je ne sais si sa domination à la longue ne s’en affaiblit pas quelque peu au centre, il ne perdit rien du moins sur ses frontières ; Marino Faliero, Louis XI, surtout les Enfants d’Édouard, un des plus grands succès dramatiques de ces onze dernières années, ne sauraient être considérés que comme des victoires ; les généraux habiles savent en remporter, même dans les retraites. […] Je ne veux pas tracer de cette seconde manière un trop long dessin, qui pourrait paraître à quelques-uns comme un portrait de fantaisie, et où s’inscrirait pourtant plus d’un nom : elle est d’autant plus vraie d’ailleurs qu’elle n’est pas précisément une manière, un procédé général, et qu’elle se décrit moins. […] Il avait gravé au fond du cœur l’antique programme d’Horace : « Quem tu, Melpomene, semel… Celui, ô Melpomène, que tu as regardé d’un œil d’amour au berceau, celui-là, il ne sera ni lutteur aux jeux de Corinthe, ni vainqueur aux courses d’Élide, ni général triomphateur au Capitole ; mais il aimera les belles eaux de Tibur, et il trouvera la gloire par des vers nés à l’ombre des bois. » Et dans le cas présent d’ailleurs, il y avait mieux, il y avait de quoi tenter et retenir toute l’ambition d’une âme de poëte.

654. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre II. Les privilèges. »

. — Quant aux nobles, ne pouvant se réunir, avoir des représentants, agir par voie publique, ils ont agi par voie privée, auprès des ministres, des intendants, des subdélégués, des fermiers généraux et de toutes les personnes revêtues d’autorité ; on a pour leur qualité des égards, des ménagements, des complaisances. […] Tels sont, en Auvergne, en Flandre, en Hainaut, dans l’Artois, dans la Picardie, l’Alsace et la Lorraine, les droits de poursoin ou de sauvement qu’on lui paye pour sa protection générale ; ceux de guet et de garde qu’il réclame pour sa protection militaire ; l’afforage qu’il exige de ceux qui vendent de la bière, du vin et autres boissons en gros ou en détail ; le fouage, en argent ou en grains, que, dans plusieurs coutumes, il perçoit sur chaque feu, maison ou famille ; le pulvérage, fort commun en Dauphiné et en Provence, sur les troupeaux de moutons qui passent ; les lods et ventes, droit presque universel, qui est le prélèvement d’un sixième, parfois d’un cinquième ou même d’un quart sur le prix de toute terre vendue et de tout bail qui excède neuf ans ; le droit de rachat ou relief, équivalent à une année de revenu et qu’il reçoit des héritiers collatéraux, parfois des héritiers directs ; enfin un droit plus rare, mais le plus lourd de tous, celui d’acapte ou de plaît-à-merci, qui est un cens double ou une année des fruits, payable aussi bien au décès du seigneur qu’à celui du censitaire. […] Ils peuvent être justifiés par des services locaux et généraux. […] Procès-verbaux et cahiers manuscrits des États généraux de 1789.

655. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre III. La poésie : V. Hugo et le Parnasse »

Hugo n’a pas d’idées originales : il n’en sera que plus apte à représenter pour la postérité certains courants généraux de notre opinion contemporaine. […] Hugo, la poésie se transforme et suit le mouvement général de la littérature. […] Vers 1850, la poésie est devenue moins personnelle, elle s’est imprégnée d’esprit scientifique ; elle veut rendre les conceptions générales de l’intelligence, plutôt que les accidents sentimentaux de la vie individuelle. […] Son dégoût d’être ne paraît pas un produit de mésaventures biographiques : il se présente comme une conception générale, supérieure à l’esprit qui se l’applique885.

656. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XI. L’antinomie sociologique » pp. 223-252

Considérons en elles-mêmes et pour ainsi dire in abstracto les lois sociologiques les plus générales que nous avons trouvées jusqu’ici impliquées dans les principales relations économiques, politiques, juridique ?. […] Car il est interdit au fonctionnaire de traduire ses chefs hiérarchiques devant les tribunaux pour un acte administratif (article 13 de la loi du 16-24 août 1790). — Ainsi, voilà un cas où un homme, relevant de deux organisations politiques : comme citoyen, de l’organisation judiciaire, et, comme fonctionnaire, de l’organisation administrative, se trouve mis dans l’impossibilité d’opposer ces deux organisations l’une à l’autre et de recourir à l’une contre l’autre. — D’une manière générale, on peut dire que le fait d’appartenir à plusieurs cercles sociaux ne protège pas toujours ni nécessairement l’individu contre la tyrannie, la malveillance ou l’hostilité d’une de ces sociétés et ne lui permet pas toujours de pratiquer contre elles le divide ut liber sis. […] On ne peut décemment faire partie à la fois de la Confédération générale du Travail et d’une ligue pour la protection du capital ; de la Ligue des droits de l’Homme et de l’Action française. […] Les mythologies sociales dont on vient de parler ont un caractère abstrait et très général.

657. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre IV. Ordre d’idées au sein duquel se développa Jésus. »

Ne séparant pas le sort de l’humanité de celui de leur petite race, les penseurs juifs sont les premiers qui aient eu souci d’une théorie générale de la marche de notre espèce. La Grèce, toujours renfermée en elle-même, et uniquement attentive à ses querelles de petites villes, a eu des historiens admirables ; mais avant l’époque romaine, on chercherait vainement chez elle un système général de philosophie de l’histoire, embrassant toute l’humanité. […] Tant pis pour l’homme pieux qui tombait à une époque d’impiété ; il subissait comme les autres les malheurs publics, suite de l’impiété générale. […] Tantôt la résurrection était générale 165, tantôt réservée aux seuls fidèles 166.

658. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

Il s’attache à montrer que cet amour-propre, auquel on a affecté de tout réduire, n’existe pas à ce point de raffinement dans tous les hommes, n’y existe que comme un amour général de nous-même qui est inséparable de toute nature vivante et qui ne peut lui être imputé à vice : Il y a des semences de bonté et de justice dans le cœur de l’homme. […] Telle est l’inspiration générale de Vauvenargues, celle par laquelle il rompt avec les moralistes du siècle précédent comme avec ceux de son siècle, et qui lui arrachera cette belle parole digne d’un ancien : « Nous sommes susceptibles d’amitié, de justice, d’humanité, de compassion et de raison. […] On ne voit pas qu’il ait été occupé des femmes dans les années où il écrit, et le peu qu’il en dit nous montre un homme revenu : « Les femmes ne peuvent comprendre, dit-il, qu’il y ait des hommes désintéressés à leur égard. » Il semble que, brisé avant l’âge par les maladies, il se soit retranché sur ce point jusqu’aux regrets stériles : « Ceux qui ne sont plus en état de plaire aux femmes et qui le savent, s’en corrigent. » Sans être insensible aux lumières de son temps et sans y fermer les yeux, il était loin de s’en exagérer l’importance, et il se préoccupait du perfectionnement moral intérieur, bien plus que de cette perfectibilité générale à laquelle il est si commode de croire et de s’abandonner. […]  » Cet abaissement général est ce qu’il craint avant tout, et il veut qu’à tout prix on le conjure : « Il faut permettre aux hommes de faire de grandes fautes contre eux-mêmes, pour éviter un plus grand mal, la servitude. » Il y a des commencements de révolution dans ce mot-là.

659. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — III. (Suite et fin.) » pp. 242-260

On citait une lettre du contrôleur général, M. de Calonne, à Beaumarchais, par laquelle ce ministre lui annonçait que le roi agréait sa justification. […] En rabattant de l’exaltation bien naturelle à un vieillard, plein d’imagination, qui se souvient de son plus beau moment de gloire, on sent en plus d’un passage l’accent de la conviction et d’une sincérité persuasive Beaumarchais, dans ses souvenirs, oubliait sans doute bien des détails qui eussent apporté de l’ombre au tableau, mais il avait raison en parlant de cet intérêt public, de cet aspect patriotique et général sous lequel avait toujours eu soin de placer et de voir même son intérêt particulier. […] Un vertige s’est emparé de la tête de tout le monde. » Il aurait pu ajouter : « Et de la mienne aussi. » Sourd comme il l’est devenu, il ne paraît pas même se rendre très bien compte de la situation générale. […] « Ce qui m’anime en tout objet, dit Beaumarchais, c’est l’utilité générale. » — « À chaque événement important, disait-il encore, la première idée qui m’occupe est de chercher sous quel rapport on pourrait le tourner au plus grand bien de mon pays. » Dans le courant de la guerre d’Amérique, il conçut plus d’une fois de telles idées et les mit en circulation avec bonheur ; comme, par exemple, le jour (1779) où, pour relever le courage des négociants et armateurs, il proposa au ministre de déclarer les protestants désormais admissibles dans les chambres de commerce, d’où ils étaient jusqu’alors exclus ; ou comme ce jour encore où, après la défaite navale de M. de Grasse (1782), il eut l’idée que chaque grande ville offrît au roi un vaisseau de ligne, portant le nom de la cité qui lui en ferait hommage.

660. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — I. » pp. 186-205

Simple ouvrier dans une œuvre si générale, je continuerai donc, comme par le passé, cette espèce de cours public de littérature que j’ai entrepris depuis plus de trois ans. […] Nous touchons là au genre de talent et aussi à ce qui sera le défaut général de l’abbé Barthélemy dans Anacharsis : un peu trop d’assaisonnement dans l’érudition, et un affaiblissement élégant de l’Antiquité par les grâces mondaines. […] Lors de la disgrâce du duc de Choiseul, et quand on retira à cet ancien ministre la charge de colonel général des Suisses, Barthélemy envoya sa démission de secrétaire général ; il la maintint malgré les efforts qu’on fit pour l’amener à se rétracter, et on lui laissa encore, sans qu’il le demandât, une pension de 30 000 livres sur cette place à laquelle il renonçait. […] Lorsque, arrivé à l’âge de soixante-dix ans, on lui conseilla de ne plus différer de publier son Jeune Anacharsis, l’ouvrage de toute sa vie, il hésita longtemps, et, lorsqu’il se décida enfin à le laisser paraître, en décembre 1788, c’est-à-dire à la veille des États généraux, son espoir était que l’attention publique, occupée ailleurs, ne se porterait que peu à peu et insensiblement sur le livre, et qu’il n’y aurait lieu ainsi ni à un succès ni à une chute : « Je voulais, dit-il, qu’il se glissât en silence dans le monde. » En tout ce qui précède, je n’ai voulu présenter l’abbé Barthélemy que dans l’ensemble de son existence et dans la distinction tempérée de son caractère : il nous en sera plus facile de parler de l’ouvrage même.

661. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — II. (Fin.) » pp. 476-495

L’orgueil national pourtant finira par se décider à l’admiration, et la joie générale éclatera à la seconde victoire. […] Une autre amitié d’une autre nuance, mais également sincère et fidèle, est celle que Frédéric voua jusqu’à la fin à son vieux compagnon d’armes et général le baron de La Motte-Fouqué. […] On a comparé la série de billets que celui-ci adresse à son vieux général à la correspondance de Trajan et de Pline ; j’aime mieux ne comparer cette correspondance gracieuse et unique en son genre qu’à elle-même. […] Il veut que, pour ce vieux général réduit à l’inaction, et en dédommagement des fatigues et privations de sa vie passée, la vie de chanoine désormais soit complète.

662. (1897) Préface sur le vers libre (Premiers poèmes) pp. 3-38

Le tort ne fut point à qui s’avisa qu’une tragédie pouvait gagner à être resserrée en mêmes lieu, temps et espace, mais au pédant qui en fit une règle générale, de même qu’un pédant du drame aurait tort de proscrire une action rapide et vraisemblable en une seule journée. […] Pratiquement, par l’exemple, il orientait contre le naturalisme, et vers l’idée d’une poésie pure ; on ne trouverait point trace de son voisinage chez les meilleurs d’entre nous, à tel ou tel vers, mais peut-être dans des tenues générales d’un livre. […] Cette poétique possède sa valeur et la conserve en tant que cas particulier, de la nouvelle comme celle-ci est destinée à n’être plus tard qu’un cas particulier d’une poétique plus générale ; l’ancienne poésie différait de la prose par une certaine ordonnance ; la nouvelle voudrait s’en différencier par la musique, il se peut très bien qu’en une poésie libre on trouve des alexandrins et des strophes en alexandrins, mais alors ils sont en leur place sans exclusion de rythmes plus complexes… » IV Qu’ajouterai-je à ce trop bref et ancien exposé ? […] Il y a donc un accent général qui, dans la conversation ou la déclamation, dirige toute une période, ou toute une strophe, y fixe la longueur des valeurs auditives, ainsi que les timbres des mots.

663. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIII. Des tragédies de Shakespeare » pp. 276-294

Shakespeare commence une littérature nouvelle ; il est empreint, sans doute, de l’esprit et de la couleur générale des poésies du Nord : mais c’est lui qui a donné à la littérature des Anglais son impulsion, et à leur art dramatique son caractère. […] Les Anglais cependant se soumettront le plus tard possible au bon goût général ; leur liberté étant fondée sur l’orgueil national plus encore que sur les idées philosophiques, ils repoussent tout ce qui leur vient des étrangers, en littérature comme en politique. […] Je n’ai pas cité les ouvrages anglais qui traitent de la littérature anglaise, et en particulier la Rhétorique du docteur Blair, parce que le but et les idées de ces écrivains n’avaient aucun rapport avec le plan général que je m’étais proposé dans cet ouvrage, ni avec l’indépendance que je voulais porter dans mes jugements sur les écrivains étrangers.

664. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre I. Les mémoires »

Page, archer, capitaine, mestre de camp, gouverneur de Sienne, colonel général de l’infanterie, lieutenant du roi en Guyenne, maréchal de France, au bout de près de cinquante ans de guerres, il fallut une terrible arquebusade qui lui enleva la moitié du visage, pour le contraindre au repos. […] Capitaine incomparable plutôt que bon général, il est le type de ces officiers solides, sur qui les chefs comptent pour les entreprises impossibles : malade, presque mourant, on le charge de défendre Sienne ; ce fut l’époque héroïque de sa vie, et sa plus pure gloire. […] Avocat général à la Cour des comptes en 1585, il était à la fois attaché au roi Henri III et aux Guises, ennemi de la sédition et de la guerre civile : la Ligue emprisonna sa femme, et il ne put rentrer à Paris qu’avec Henri IV.

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