L’imagination recule devant les prodigieuses difficultés qu’un grand acteur ou une grande actrice ont à vaincre pour se transfigurer ainsi à volonté dans le personnage qu’ils sont chargés de revêtir, depuis la physionomie jusqu’à la passion et à l’accent. […] La nature, qui se révoltait souvent en lui contre cette abstention de la scène ; son talent, qui avait mûri et qui ne demandait qu’à porter des fruits plus consommés dans la maturité de ses années ; la passion de complaire au roi, qui était sa dernière et sa plus grande faiblesse ; le désir de mériter la faveur de Mme de Maintenon, dont il estimait l’esprit et dont il vénérait la piété ; sa fortune à consolider à la cour par des triomphes poétiques qui retentiraient plus loin que Saint-Cyr ; enfin la satisfaction de conscience qu’il éprouvait à mettre son génie dans sa foi, sa foi dans son génie, et à faire son salut pour le ciel en faisant sa grandeur pour ce monde : tous ces motifs combinés tendaient son âme jusqu’à l’exaltation et concentraient toutes ses facultés déjà si puissantes en un de ces efforts suprêmes qui produisent les miracles de la volonté et du génie.
Ici comme plus haut, et à toutes les époques de ses travaux historiques, c’est toujours le pamphlétaire rétrospectif contre l’histoire de France, et principalement contre les hommes qui honorent plus que leur pays, en honorant, par leur effort de volonté ou de génie, ces choses que les âmes basses méprisent : le Pouvoir, le Gouvernement, l’Autorité. […] Les plus forts, les plus gigantesques de ses chefs apparents, qu’il poussait devant lui sous le coup de fourche de son inflexible volonté, ne furent, entre ses mains de Briarée, que d’énormes pantins qu’il fît jouer et qu’il brisa.
La nouveauté, sans doute, pour des citadins surtout ; l’aspect si rapproché de la mort, de la solitude, de l’éternel silence ; notre existence si frêle, si passagère, mais vivante et douée de pensée, de volonté et d’affection, mise en quelque sorte en contact avec la brute existence et la muette grandeur de ces êtres sans vie, voilà, ce semble, les vagues pensers qui attachent et qui secouent l’âme à la vue de cette scène et d’autres pareilles.
Alors, Geoffroy de Villehardouin, le maréchal de Champagne, prit la parole par l’accord et par la volonté des autres, et commença à dire en telle manière : « Seigneurs, les barons de France les plus hauts et les plus puissants nous ont vers vous envoyés, et vous crient merci pour qu’il vous prenne pitié de la cité de Jérusalem, qui est en servage des mécréants, et pour que vous vouliez, en honneur de Dieu, les aider à venger la honte de Jésus-Christ ; et par ce motif vous ont-ils choisis qu’ils savent bien que nulle nation, ni gent qui soit sur mer, n’ont si grand pouvoir comme vous avez, et en partant nous commandèrent que nous eussions à en tomber à vos pieds, et de ne point nous en relever que vous ne l’ayez accordé. » « Et alors les six députés s’agenouillèrent, pleurant beaucoup ; et le doge et tous les autres commencèrent à pleurer de la pitié qu’ils en eurent, et s’écrièrent tous d’une voix, et tendant les mains en haut : « Nous l’octroyons !