Elle a soutenu les idées absolues du vrai, du beau et du bien parce que c’est moral, l’existence de Dieu parce que c’est moral, la volonté libre parce que c’est le fondement de la morale. […] Cousin, la théorie de la volonté libre dans Maine de Biran, la théorie de l’ordre moral dans Jouffroy. […] Taine enseigne avec Hume que la volonté n’est elle-même qu’un phénomène et non une puissance, un effet et non une cause. […] Au troisième degré sont les êtres intelligents qui poursuivent le but avec réflexion et volonté. […] Les athées conçoivent la cause suprême comme une force aveugle, les panthéistes comme une vie instinctive et inconsciente, les théistes comme une pensée et une volonté.
Or, sous ce nouvel aspect, on ne peut méconnaître l’opposition radicale des deux ordres de conceptions, où les mêmes phénomènes sont tantôt attribués à des volontés directrices, et tantôt ramenés à des lois invariables. La mobilité irrégulière, naturellement inhérente à toute idée de volonté, ne peut aucunement s’accorder avec la constance des relations réelles. Ainsi à mesure que les lois physiques ont été connues, l’empire des volontés surnaturelles s’est trouvé de plus en plus restreint, étant toujours consacré surtout aux phénomènes dont les lois restaient ignorées. […] Il est vrai que l’esprit positif, parvenu à son entière maturité, tend aussi à subordonner la volonté elle-même à de véritables lois, dont l’existence est, en effet, tacitement supposée par la raison vulgaire, puisque les efforts pratiques pour modifier et prévoir les volontés humaines ne sauraient avoir sans cela aucun fondement raisonnable. […] Car une semblable prévision et la conduite qui en résulte exigent évidemment une profonde connaissance réelle de l’être au sein duquel les volontés se produisent.
Cette première difficulté levée, c’est, selon nous, dans la nature de la sensibilité et de la volonté qu’on doit chercher les raisons les plus profondes de la conception de la durée ; c’est par son rapport à la sensibilité et à l’activité motrice que chaque représentation, chaque idée est une force psychique, et c’est parce qu’elle est une force en ce sens qu’elle peut, nous allons le voir, produire la conscience du temps. […] S’il s’agit d’un objet agréable, il y a cette impression de manque qui se traduit par le regret, il y a l’attitude de la volonté qui voudrait retenir ce qui lui échappe. […] C’est, en définitive, la volonté qui crée en nous le temps. […] Les signes fournis par l’attention nous paraissent secondaires ; ceux que la volonté fournit sont primaires et essentiels. […] Cette idée, au contraire, enveloppe une tendance de la volonté dont elle est la forme, et à laquelle elle donne une direction vers l’avenir prévu, anticipé, actualisé.
Shakespeare I2 Dans le travail entrepris par François-Victor Hugo, à l’éternel honneur de sa jeunesse, ce qui m’étonne et ce que j’honore le plus, ce n’est pas l’enthousiasme qui l’a commencé, mais la volonté qui l’a continué. […] Cette traduction, qui demande dans celui qui l’a faite le don le plus rare, en ces temps de volonté molle et d’haleine courte, — la persistance, — est, de longueur et de largeur, un monument, et tout monument devient, tôt ou tard, le piédestal de celui qui l’a élevé. […] Seulement, entre la moralité de la pensée et la moralité de la vie, entre la moralité des œuvres et la moralité des actes, il y a l’abîme qui sépare la volonté de l’homme de son esprit, lesquels sont des puissances d’un ordre différent et incommutable. […] Mais reconstituer à coup sûr l’âme d’un poète et sa volonté, qui est une chose, avec les œuvres de son génie, qui en sont une autre, je cherche ici le même qui mène au même et le petit os de Cuvier. […] Pour simplifier le génie de Shakespeare, on le mutile dans ses facultés, on coupe les branches de cette tête de chêne ; et d’autre part, avec la même main qui vient d’accomplir ce grand meurtre, non pas seulement sur Shakespeare, mais sur l’esprit humain tout entier, voilà qu’on fait rentrer de force, et en cassant tout, la volonté libre et réfléchie dans la spontanéité involontaire, et que, par respect pour le génie, on supprime la seule chose qui soit plus auguste que lui : la moralité !