Vous étudiez avec anxiété son geste, son sourire, l’inflexion de sa voix ; puis, à certains moments inespérés, vous vous retournez avec un murmure approbateur, et vous dites à votre ami : — Comme elle ressemble à son maître, mademoiselle Mars ! […] L’Agnès en question était maigre et pâle ; elle avait les coudes rouges et les mains comme les coudes, la démarche embarrassée, et la voix très voilée. […] L’enfant joua peu à peu tous les petits rôles de Molière ; peu à peu l’esprit lui vint, puis sa main blanchit, puis son coude et le bras se remplit, puis la jambe ; un jour le voile tomba de cette voix éclatante, sonore, et touchante. […] Il abandonne à ses ennemis ses ouvrages, sa figure, ses gestes, sa parole son ton de voix, sa façon de réciter, mais il demande en grâce qu’on lui laisse le reste !
On dirait que des voix descendent du haut des cieux, s’élancent de la cime des rochers, retentissent dans les torrents ou dans les forêts agitées, sortent des profondeurs des abîmes. […] Quel est celui qui, lorsqu’un grand intérêt l’anime, ne prête pas en tremblant l’oreille à ce qu’il croit la voix de la destinée ? Chacun, dans le sanctuaire de sa pensée, s’explique cette voix comme il le peut ; chacun s’en tait avec les autres, parce qu’il n’y a point de paroles pour mettre en commun ce qui jamais n’est qu’individuel. […] Sa voix si douce, à travers le bruit des armes ; sa forme délicate, au milieu de ces hommes tout couverts de fer ; la pureté de son âme, opposée à leurs calculs avides ; son calme céleste qui contraste avec leurs agitations, remplissent le spectateur d’une émotion constante et mélancolique, telle que ne la fait ressentir nulle tragédie ordinaire.
Tous les détails de cette soirée, la présentation de Bénédict aux orgueilleux parents de Valentine, l’invitation à la danse, l’embarras du baiser, l’aisance de bel air de M. de Lansac, fiancé de Valentine, tout cela est délicieusement conduit ; et le départ ensuite, le retour, la manière dont Valentine s’égare, la rencontre des deux jeunes gens près des buissons fleuris de l’Indre ; cette voix limpide et nerveuse de Bénédict, qui le précède et l’annonce, et dont Valentine a de loin admiré le chant ; cette arrivée à la ferme par les jardins de derrière et à travers les haies, leurs deux haleines se confondant au passage dans les fleurs ; cette visite nocturne de Valentine à Louise, à sa sœur aînée, si longtemps perdue, si merveilleusement retrouvée, et qu’une faute amère, déjà bien ancienne, avait bannie d’un lieu qu’elle a voulu revoir ; — oui, tout, jusqu’à cette façon naturelle et rusée d’éconduire M. de Lansac, tout, dans cette première partie du récit, captive, enchante et satisfait. […] La visite de Bénédict au château trois jours après, cette voix mélodieuse et virile par laquelle il s’annonce encore, son apparition brusque et légère au tournant du ravin, les scènes du piano, et de si gracieux subterfuges opposés à la hauteur sèche de la comtesse et à la familiarité cynique de la vieille marquise, composent une suite de préludes amoureux, un enchaînement romanesque, que les visites de Valentine à la ferme, durant le voyage de sa mère, achèvent de dérouler et de resserrer.
Ballanche, le jeune homme, qui, plein de nobles et de sincères affections, repousse d’abord le temps présent, comme incomplet et aride, qui résiste aux destinées sociales encore incertaines, et se réfugie de désespoir dans un passé chimérique ; ce jeune homme, type fidèle de bien des âmes tendres de notre âge, finit par se réconcilier avec cette société nouvelle mieux comprise, et par reconnaître, à la voix du vieillard initiateur, c’est-à-dire à la voix de la philosophie et de l’expérience, que nous sommes dans une ère de crise et de renouvellement, que ce présent qui le choque, c’est une démolition qui s’achève, une ruine qui devient plus ruine encore ; que le passé finit de mourir, et que cette harmonie qu’il regrette dans les idées et dans les choses ne peut se retrouver qu’en avançant.