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1110. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VI. Les romanciers. » pp. 83-171

Ce fut une apparition étrange et comme la voix d’un peuple enseveli sous terre, lorsque, parmi la corruption splendide du beau monde, se leva cette sévère pensée bourgeoise, et que les polissonneries d’Afra Behn, qui divertissaient encore les dames à la mode, se rencontrèrent sur la même table avec le Robinson de Daniel de Foe. […] Par-dessus les éclats de sa voix, on entend les clameurs furieuses du fils, sorte de bouledogue sanguin et trop nourri, enfiévré de rapacité, de jeunesse, de fougue et d’autorité prématurée ; les cris aigres de la fille aînée, laideron grossière et rougeaude, inexorablement jalouse, haineuse, et qui, dédaignée par Lovelace, se venge de la beauté de sa sœur ; le grondement hargneux des deux oncles, vieux célibataires bornés, vulgaires, entêtés par principes de l’autorité masculine ; les instances douloureuses de la mère, de la tante, de la vieille bonne, pauvres esclaves timides, réduites, une par une, à devenir des instruments de persécution […] » Puis, lorsqu’on lui rappelle qu’il y a trois mois elle ne trouvait point Lovelace si méprisable, elle suffoque de fureur ; elle veut battre sa sœur, elle ne peut plus parler, elle crie à sa tante d’une voix sifflante : « Partons, madame, laissons la créature s’enfler jusqu’à ce qu’elle crève de son venin1052 !  […] Nous n’avons pas envie qu’on fasse la grosse voix pour nous faire peur ; nous n’avons pas besoin qu’on inscrive la leçon à part et en majuscules pour la démêler. […] Devant ces lions de Rubens, dont les voix profondes montent comme un tonnerre vers la gueule de l’antre, devant ces croupes colossales qui se tordent, devant ces mufles qui remuent des crânes, l’animal en nous frémit par sympathie, et il nous semble que nous allons faire sortir de notre poitrine une clameur égale à leur rugissement.

1111. (1896) Impressions de théâtre. Neuvième série

Magda a été demoiselle de compagnie ; puis, comme elle avait une fort belle voix, elle est entrée au théâtre. […] et de quelle voix ! […] les « bruits de coulisses » du deuxième tableau, la clameur qui s’élève de la rue, grondante comme une mer qui déferle ; les voix qui hurlent la Carmagnole, et les autres voix, les voix des nonnes chantant leur cantique ! […] les douces, les expressives voix que celles de la viole d’amour, de la viole de gambe, de la vielle et du clavecin ! […] Le piano, c’est du bruit, — modulé, rythmé, haché ou roulant, mais du bruit : le clavecin, c’est une voix.

1112. (1898) Impressions de théâtre. Dixième série

De sa voix orageuse, la trompette enfiévrait toute cette ardeur. […] Guiches a ramené un gredin de lettres, un pâle envieux, Noizay, qui vient lui demander sa voix pour l’Académie. […] La voix est claire et fine, plus jeune que le visage. […] Et cette voix dit : Tue ! […] Mounet-Sully prête à Lother ses héroïques éclats de voix, ses gestes de jeteur de lasso et ses reniflements sublimes.

1113. (1868) Curiosités esthétiques « II. Salon de 1846 » pp. 77-198

Hugo était naturellement académicien avant que de naître, et si nous étions encore au temps des merveilles fabuleuses, je croirais volontiers que les lions verts de l’Institut, quand il passait devant le sanctuaire courroucé, lui ont souvent murmuré d’une voix prophétique : « Tu seras de l’Académie !  […] « Cependant une voix se fit entendre : « Honorez le sublime poëte ; son ombre, qui était partie, nous revient. » « La voix se tut, et je vis venir à nous quatre grandes ombres ; leur aspect n’était ni triste ni joyeux. […] Comme chacun d’eux partage avec moi le nom qu’a fait retentir la voix unanime, ils me font honneur et ils font bien ! […] Chaque individu est une harmonie ; car il vous est maintes fois arrivé de vous retourner à un son de voix connu, et d’être frappé d’étonnement devant une créature inconnue, souvenir vivant d’une autre créature douée de gestes et d’une voix analogues.

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