D’abord l’imagination, qui garde longtemps, peut-être toujours, la fatigue ou la flétrissure de ce boulet des rhétoriques que nous avons traîné dans nos jeunesses, n’a plus de ferveur pour ces esprits avec lesquels elle a vécu dans des conditions souvent ineptes et douloureuses. […] On a versé sur Sainte-Beuve et sur sa mémoire les tombereaux d’articles, de phrases, d’anecdotes et de détails de toute espèce qu’on a l’habitude de verser sur un homme célèbre fraîchement décédé, avant de l’oublier tout à fait… Des journaux, matassins d’enterrement, qui vivent de ces cérémonies, ont envoyé leurs commissionnaires en roulage et en publicité fureter la maison mortuaire, regarder sous le nez du défunt pour le photographier dans leurs feuilles, décrire son appartement et son ameublement, et pouvoir parler en connaissance de cause jusque de ses chattes et de ses oiseaux et plaire ainsi à la Curiosité publique, cette affreuse portière à laquelle nous faisons tous la cour… Nous en avons pour quelques jours encore de ce brocantage, et puis après ? […] Ayant vécu toute sa vie dans la poche de tout le monde, mêlé à toutes les sociétés d’une société qui en est tout à l’heure au galop de Gustave à trois heures après minuit, ce qu’il aurait pu nous donner comme personne, c’étaient des Mémoires.
L’art est fort libre au temps où nous vivons ; l’écrivain fait ce qu’il veut sans avoir à se soucier des formules, ni même des traditions : s’il fut un âge où des conventions de rhétorique l’opprimaient, cet âge est loin, et c’est tout justement à la génération romantique de 1830, — M. […] Ce sont les êtres auxquels leur éducation et leurs loisirs permettent le mieux de se regarder vivre et de s’analyser eux-mêmes qui seront toujours, en thèse générale, les mieux faits pour offrir des sujets d’étude aux romanciers comme aux auteurs dramatiques. […] J’entends bien ce que l’on nous dit : nous vivons dans une démocratie, et la France est une république.
Il en était transporté, il se faisait illusion à lui-même, et vivait ainsi seul à seul avec le sublime, comme un guerrier pontife qui, dans son armure rigide, ou dans sa chape étincelante, se tient debout face à face avec la Vérité. […] Les glorieux chefs de la foi puritaine étaient condamnés, exécutés, détachés vivants de la potence, éventrés parmi les insultes ; d’autres que la mort avait sauvés du bourreau étaient déterrés et exposés au gibet ; d’autres, réfugiés à l’étranger, vivaient sous la menace et les attentats des épées royalistes ; d’autres enfin, plus malheureux que le reste, avaient vendu leur cause pour de l’argent et des titres, et siégeaient parmi les exécuteurs de leurs anciens amis. […] Lui-même avait été contraint de se cacher ; ses livres avaient été brûlés par la main du bourreau ; même après l’acte général de grâce, il fut emprisonné ; relâché, il vivait dans l’attente « de l’assassinat » ; car le fanatisme privé pouvait reprendre l’arme abandonnée par la vindicte publique. […] Un esprit, descendu au milieu des bois sauvages, prononce cette ode : Devant le seuil étoilé du palais de Jupiter — est ma demeure, parmi ces formes immortelles, — esprits éthérés, qui vivent lumineux — dans des sphères sereines d’air paisible et pur, — au-dessus de la fumée et du tumulte de ce coin obscur — que les hommes appellent la terre, étable vile — où, encombrés et confinés dans leurs basses pensées, — ils luttent pour conserver une frêle et fiévreuse vie, — oubliant la couronne que la vertu donne, — après les vicissitudes mortelles, à ses vrais serviteurs, — au milieu des dieux trônant sur leurs siéges sacrés500. […] Les autres créatures, tout le long du jour, vivent oisives, sans emploi, et ont moins besoin de repos.
La chute des cheveux et celle de certaines illusions, même si sceptiques, défigurent bien une tête qui a vécu, — et, intellectuellement aussi, parfois même la dénatureraient. […] Plus tard, on revient des femmes, et vivent alors, quand pas la Femme, épouse ou maîtresse, rara avis ! […] Pendant une quinzaine de jours il vécut chez nous. […] Car Racine vécut en somme régulièrement, paisiblement, sans soucis pécuniaires ni grands efforts pour subsister. […] Et pour être poète, selon moi, il faut vivre beaucoup, dans tous les sens, — et s’en souvenir.