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792. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Hégésippe Moreau. (Le Myosotis, nouvelle édition, 1 vol., Masgana.) — Pierre Dupont. (Chants et poésies, 1 vol., Garnier frères.) » pp. 51-75

Ces deux poètes, que je ne prétends point d’ailleurs appareiller ni rapprocher plus étroitement qu’il ne convient, se rattachent tous deux, par leurs origines, à cette jolie ville de Provins, la ville des vieilles ruines et des roses ; et ces roses, c’est un poète, c’est Thibaut, comte de Champagne, qui les a rapportées d’Asie au retour d’une croisade : voilà un bienfait. […] Vieux vagabond qui tends la main,     Enfant pauvre et sans mère, Puissiez-vous trouver en chemin     La ferme et la fermière ! […] Le vent d’hiver pleura sous le parvis sonore, Et soudain je sentis que je gardais encore Dans le fond de mon cœur, de moi-même ignoré, Un peu de vieille foi, parfum évaporé. […] Ayant perdu sa mère à l’âge de quatre ans, le jeune Pierre Dupont fut recueilli par son parrain et cousin, un vieux prêtre qui avait son presbytère à La Roche-Taillée-sur-Saône.

793. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre. (1851, 2 vol. in-8º.) » pp. 192-216

Le soir, il se fait traîner chez quelque dame ou chez quelque ami, cherchant un peu de cette conversation substantielle ou piquante qui lui est comme la tasse de café nécessaire à l’esprit : Ici donc ou là, je tâche, avant de terminer ma journée, de retrouver un peu de cette gaieté native qui m’a conservé jusqu’à présent : je souffle sur ce feu comme une vieille femme souffle, pour rallumer sa lampe, sur le tison de la veille. […] Je recommande, entre autres, la délicieuse lettre à Mme Huber, sa vieille amie genevoise et protestante : on y sent combien, dans la pratique de la vie, M. de Maistre était loin d’être intolérant : Jamais, lui écrit-il avec une adorable bonhomie et que celle·d’un Ducis ne surpasserait pas, jamais je ne me vois en grande parure, au milieu de toute la pompe asiatique, sans songer à mes bas gris de Lausanne et à cette lanterne avec laquelle j’allais vous voir à Cour. […] Mais la lettre est à peine écrite, que cette vieille amie meurt, et M. de Maistre répond au comte Golowkin, leur ami commun, qui lui avait appris cette triste nouvelle : Vous ne sauriez croire à quel point cette pauvre femme m’est présente ; je la vois sans cesse avec sa grande figure droite, son léger apprêt genevois, sa raison calme, sa finesse naturelle et son badinage grave (quel admirable portrait !). […] Quand on a passé le milieu de la vie, les pertes sont irréparables… Séparé sans retour de tout ce qui m’est cher, j’apprends la mort de mes vieux amis ; un jour les jeunes apprendront la mienne.

794. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — II. (Suite.) » pp. 220-241

Le fond du Barbier est bien simple et pouvait sembler presque usé : une pupille ingénue et fine, un vieux tuteur amoureux et jaloux, un bel et noble amoureux au-dehors, un valet rusé, rompu aux stratagèmes, et qui introduit son maître dans la place, quoi de plus ordinaire au théâtre ? […] En mêlant au vieil esprit gaulois les goûts du moment, un peu de Rabelais et du Voltaire, en y jetant un léger déguisement espagnol et quelques rayons du soleil de l’Andalousie, il a su être le plus réjouissant et le plus remuant Parisien de son temps, le Gil Blas de l’époque encyclopédique, à la veille de l’époque révolutionnaire ; il a redonné cours à toutes sortes de vieilles vérités d’expérience ou de vieilles satires, en les rajeunissant. […] En fait d’esprit, il a été un grand rajeunisseur, ce qui est le plus aimable bienfait dont sache gré cette vieille société qui ne craint rien tant que l’ennui, et qui y préfère même les périls et les imprudences.

795. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — II. (Fin.) » pp. 411-433

Il ne se dit jamais avec la douce sagesse que devrait avoir un homme qui a médité sur la montagne et qui a vécu au désert : « Les vieilles religions sont comme les vieux arbres : il y a des milliers de familles innocentes d’oiseaux qui y font leurs nids47. » Au reste, il y a dans tout ceci à faire la part du siècle et du moment ; elle est immense. […] Parlant des auteurs de mémoires personnels, il a un morceau très vif contre Jean-Jacques Rousseau et Les Confessions, qu’il estime un livre dangereux et funeste : S’il existait, s’écrie-t-il, un livre où un homme regardé comme vertueux, et presque érigé en patron de secte, se fût peint comme très malheureux ; si cet homme, confessant sa vie, citait de lui un grand nombre de traits d’avilissement, d’infidélité, d’ingratitude ; s’il nous donnait de lui l’idée d’un caractère chagrin, orgueilleux, jaloux ; si, non content de révéler ses fautes qui lui appartiennent, il révélait celles d’autrui qui ne lui appartiennent pas ; si cet homme, doué d’ailleurs de talent comme orateur et comme écrivain, avait acquis une autorité comme philosophe ; s’il n’avait usé de l’un et de l’autre que pour prêcher l’ignorance et ramener l’homme à l’état de brute, et si une secte renouvelée d’Omar ou du Vieux de la Montagne se fût saisie de son nom pour appuyer son nouveau Coran et jeter un manteau de vertu sur la personne du crime, peut-être serait-il difficile, dans cette trop véridique histoire, de trouver un coin d’utilité… Volney, en parlant de la sorte, obéissait à ses premières impressions contre Rousseau, prises dans le monde de d’Holbach ; il parlait aussi avec la conviction d’un homme qui venait de voir l’abus que des fanatiques avaient fait du nom et des doctrines de Rousseau pendant la Révolution, et tout récemment pendant la Terreur. […] Dureau de La Malle, un jour qu’il allait se rendre à une séance du Sénat, faisant avec le nouveau possesseur le tour du jardin, il aperçut un vieux râteau qui avait été oublié par mégarde ; il le prit sous son bras et l’emporta.

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