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275. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome II

Les larmes les plus douces qui coulent au théâtre sont toujours celles qu’arrache l’admiration d’une vertu sublime. […] Sa vertu même était un peu suspecte ; elle avait cette vivacité, cet enjouement, cette liberté dans les manières, qui nuisent à la réputation d’une femme dans l’esprit de ceux qui jugent sur les apparences. […] Digne fils de Mithridate, il semble n’avoir hérité que de ses vertus. […] Le roi de Pont n’est pas colossal comme les Romains de Corneille, il est de grandeur naturelle ; il a des vices et n’a point de vertus ; mais il possède ces qualités brillantes et dangereuses qu’on est convenu de prendre pour des vertus, dans le monde et surtout au théâtre. […] Qu’y a-t-il, par exemple, de plus grossier que cette fable de l’Âne du Jardinier fleuriste, qu’Ésope débite à sa maîtresse pour lui faire sentir le prix de la vertu ?

276. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (2e partie) » pp. 177-248

Conserver la fidélité des caractères, laisser à chacun son vice et sa vertu propre, c’est la loi de l’histoire comme c’est la loi du drame. […] Mais cette idolâtrie, cette vanité sont des faiblesses communes à tout le genre humain, et de l’une et de l’autre on peut faire sortir de grandes vertus. […] L’œuvre du véritable homme d’État n’est pas de caresser les vanités de notre nature, mais de les transformer en vertu publique. […] Le ciel a créé la vertu pour contenir ces audaces dans les limites du devoir, et les hommes ont inventé les lois pour contenir ces ambitions dans les prescriptions de la volonté générale. […] Notre admiration pour les belles parties de ce livre est la garantie de notre impartialité pour ses défaillances de style, de vertu et de sentiment ; mais le cœur souffre autant que la vérité en lisant ces pages.

277. (1860) Cours familier de littérature. X « LXe entretien. Suite de la littérature diplomatique » pp. 401-463

Cette volonté diplomatique du roi Louis-Philippe était sans cesse contrariée et contrainte par les cabales parlementaires, qui reprochaient à ce gouvernement sa seule vertu, et qui lui remettaient sans cesse sous les yeux, comme un contraste, les grandeurs de Napoléon, sans parler jamais des catastrophes et des expiations de ce génie qui avait dépensé deux fois la France pour payer sa gloire personnelle. […] « Il arrivera que les peuples, les vrais peuples, ceux qui ont l’orgueil de leur indépendance, la vertu de leur patriotisme, le zèle sacré de leur famille, de leur propriété, de leur gouvernement, monarchie ou république, commenceront à s’étonner, puis à s’alarmer, puis à s’irriter de cette invasion de la France, et à se demander si la liberté apportée à la pointe des baïonnettes ou des piques étrangères est bien la liberté ou la servitude. […] comme si la moralité ou l’immoralité diplomatique était autre chose que du crime ou de la vertu à plus grandes proportions que le crime ou la vertu à petites proportions du scélérat ou de l’honnête homme ! […] Qui est-ce qui osera dire, le doigt sur l’échelon : Ici finit le crime, là commence la vertu ; ce fourbe, au-dessous du chiffre convenu, est un fourbe ; au-dessus, c’est un Richelieu ou un Mazarin ; ce meurtrier, qui ne tue qu’un de ses semblables, est meurtrier ; ce souverain, qui a cent mille baïonnettes à sa suite et qui égorge une nation, est un honnête homme ? […] La paix et l’équilibre, voilà le principe ; voilà le mot d’ordre ; voilà l’honnêteté, l’honneur, la vertu, la sainteté de la diplomatie.

278. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre sixième. »

Non que les poëtes ne sentissent vaguement la vertu des idées générales, témoin la typographie d’alors qui les enfermait entre guillemets, comme sentences d’oracle ; mais, au lieu de les rencontrer par la méditation aux mêmes profondeurs d’où les a tirées pour la première fois le génie antique, ils y étaient involontairement conduits par la mémoire et l’imitation, et ils s’en paraient à l’extérieur, comme d’une enseigne de savoir, plutôt qu’ils ne s’en aidaient pour s’élever à des pensées supérieures ou égales. […] Montaigne y vit tout ce qui est de l’homme guerres, paix, dissensions civiles et religieuses, assemblées, croyances, renaissance des lettres et des arts, toutes les passions toutes les exagérations, toutes les vertus, l’héroïsme des armes et de la science ; toutes les calamités, la famine, la peste, le pillage, et ce qu’il appelle la ruine publique. […] Quand il parle de ses faiblesses ou de certaines facilités qui, sans être des vices, sont bien moins encore des vertus, nous hésitons d’autant moins à les trouver en nous, que la pensée de les avoir en commun avec un homme supérieur nous en atténue le tort. […] Les sujets de ses chapitres sont tantôt quelque axiome de morale, tantôt une vertu, une passion, une coutume, quelqu’un des mobiles qui font agir les hommes. […] S’il s’agit d’une vertu, d’une passion, il en examine les définitions et en rapporte les exemples tirés de l’histoire générale ou anecdotique ; si c’est une maxime générale, il réfute ou approuve, en les faisant valoir toujours, les contradicteurs qu’elle a rencontrés ; si c’est quelque doctrine rendue orgueilleuse et intolérante par ceux qui s’en autorisent ou qui en profitent, il s’amuse des échecs et des démentis qu’elle a reçus.

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