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754. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Quatre moments religieux au XIXe siècle. »

Je connus l’abbé Lacordaire à l’époque de ses premiers débuts et pendant tout le cours de sa liaison avec l’abbé de Lamennais, et je continuai de le voir encore dans les années qui suivirent, jusqu’à ce que son dernier habit fût venu mettre une sorte de barrière entre les profanes purement respectueux et lui. […] On hésite, quand on marche seul, comme il convient à un esprit indépendant, et qu’on n’a pour soi que le groupe si disséminé des gens sensés, qui ne se connaissent pas entre eux, à venir admirer trop faiblement le chef d’une milice blanche éblouissante et de toute une nombreuse famille spirituelle, l’idole de toute une jeunesse si électrisée. […] À peine eus-je ouvert le livre et laissé mon cœur à sa merci, que les larmes me vinrent aux yeux avec une abondance qui ne m’était pas ordinaire, et, rappelant mes souvenirs sous le charme de cette émotion, je compris que je n’étais plus le même homme et que, loin d’avoir perdu de ma tendresse littéraire, elle avait gagné en profondeur et en vivacité. […] Par exemple, il vous dit sans rire et a l’air de croire, durant tout un livre ad hoc, que Marie-Magdeleine est venue mourir en Provence, à la Sainte-Baume84. […] N’ayant jamais eu aucune diversion d’humaine tendresse, tout avait tourné chez lui à l’ambition spirituelle, mais aussi à une certaine tendresse, également spirituelle, qui se manifestait dans la familiarité avec ceux qu’il appelait ses enfants, tant ceux de son Ordre que les élèves venus du dehors et qu’il tenait dans sa main.

755. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens, par M. Le Play, Conseiller d’État. »

L’hiver à Paris, il faisait son cours, et l’été venu, il partait pour aller vérifier sur les lieux les procédés d’exploitation et d’élaboration en usage dans les divers pays. […] Le pressentiment a des jets sublimes : la science plus lente et plus sûre n’est venue qu’après. […] Le Play, ayant questionné son truchement, sut de lui qu’elle venait se plaindre en termes amers de ce que son mari depuis quelques jours faisait le fainéant, s’amusait à causer, à baguenauder avec un étranger ; de ce que le travail des champs était en souffrance et que les foins ne se faisaient pas. […] Le Play en vint à reconnaître que l’élément conservateur, le principe calmant et consolant, dans tous les cas qu’il avait observés, n’était pas distinct ni séparable de l’élément religieux. […] Puisque l’émulation s’en mêle, elle me gagne à mon tour et je suis tenté de venir payer incidemment ma quote-part.

756. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Frochot, Préfet de la Seine, histoire administrative, par M. Louis Passy. »

Louis Passy, que des affinités de famille rattachent au comte Frochot, vient d’écrire sur lui un très bon livre, puisé aux sources, construit avec des documents originaux. […] » Frochot ne fit jamais comme d’autres qui après coup s’en vantèrent, et qui, en manière de créanciers, vinrent revendiquer ensuite leur part de fourniture dans cette glorieuse éloquence : il ne parla jamais, pour son compte, de ces bons offices de secrétaire bénévole, de ces humbles prêts de copie à fonds perdu, qui lui semblaient une dette naturelle envers le génie, et son biographe qui les recherche avec soin a quelque peine aujourd’hui à en déterminer l’exacte mesure. […] Il est curieux de voir comme à chaque trêve, à chaque intervalle de paix, après la paix d’Amiens, puis en 1807, puis en 1810, cette imagination grandiose et civilisatrice se reprend avec ardeur et précision à ses plans conçus ou ébauchés, comme elle s’y applique en toute hâte et se remet à pousser tous les grands travaux, les projets d’embellissement, toutes les branches de services pacifiques, que la guerre vient toujours trop tôt ralentir et interrompre. […] Voici la lettre de Frochot au comte Regnaud, écrite de Nogent : « Mon ami, mon excellent ami, tu veux, avant que je ne la quitte, venir déjeuner dans la retraite que je me suis faite ! Eh bien, viens-y.

757. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Rodolphe Topffer »

La seconde moitié n’est pas moins heureuse ni moins simple : quand la célébrité fut venue, il resta le même ; rien ne fut changé à ses habitudes, à ses pensées. […] Calame, le sévère paysagiste, qui le premier abordait par son pinceau les hautes conquêtes alpestres tant rêvées par son ami, venait dîner les dimanches d’hiver avec lui ; entre ces deux hommes de franche nature, auxquels se joignait quelquefois M.  […] Topffer venait à peu près de terminer le roman de Rosa et Gertrude, dont la donnée et les situations lui avaient été suggérées par un rêve, et qu’il composa d’abord tout d’une haleine. […] Ce n’était pas des yeux que venait son mal, mais d’un gonflement redoutable de la rate et du foie. […] Calame venait lui donner des conseils, et les petits tableaux assez nombreux qu’il a exécutés durant ces deux mois à peine attestent quelle était sa profonde vocation native.

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