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492. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Dargaud »

Je m’empresse de le constater, — car il n’y a pas que de la vérité dans ce livre. […] Car après le jugement sur la philosophie de l’écrivain il y a le jugement sur son œuvre, et c’est une loi de l’esprit humain que les chefs-d’œuvre littéraires diminuent d’autant de beautés qu’il s’y trouve de vérités méconnues. […] Dargaud nous offre le spectacle d’une de ces anomalies vivantes, partagées entre ce qu’elles croient la vérité dans les choses et la sincérité de leurs facultés. […] Il est donc tenu d’être dans la vérité, même avant d’être artiste, avant d’être poète, avant d’avoir le talent qu’il a et de le manifester.

493. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Xavier Aubryet et Albéric Second » pp. 255-270

Je les aime assez pour vouloir les en arracher, afin d’avoir un jour leur talent dans toute la plénitude de sa force et la vérité de sa saveur. […] Ce qui distingue particulièrement et toujours davantage son genre de talent, lequel se développe dans le sens de ses premiers ouvrages et de sa native personnalité, c’est l’éclat à tout prix et l’aperçu à tout prix, et pour les avoir, à tout prix, il met souvent à la vérité des atournements pour lesquels elle n’est point faite, et il va même parfois jusqu’à la renverser la tête en bas, pour la montrer par où on ne l’avait pas vue encore. On dirait qu’il ne l’aime plus, la vérité, quand elle n’est pour lui que ce qu’elle apparaît à tout le monde. Il la veut piquante à toute force, avec un ragoût d’inattendu et de raffiné qu’elle n’a pas toujours, la vérité, et sans lequel il la rejetterait volontiers dans l’eau claire de son puits.

494. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Raymond Brucker » pp. 27-41

Courageux esprit, parce qu’il croit à une vérité absolue, il ne respecte point cette peau de serpent que l’amour-propre empaille encore, quand nos esprits ont fait peau nouvelle. […] Cabet et Marrast, réfugiés à Londres, empêchèrent l’impression anglaise, en déclarant le manuscrit apocryphe ; aimant mieux sacrifier l’œuvre, qui aurait tant servi à l’union de leurs deux partis, que de s’exposer aux vérités qu’elle renfermait. […] Elle l’incendia de vérité. […] Mais qu’importe à cet esprit sincère qui aime la vérité ; toujours prêt à la servir avec la hardiesse insoucieuse d’un homme qui sait que la vie est un passage, — et qui n’a pas peur de mourir, sous la main des Anges, à l’hôpital !

495. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre III. Buffon »

Cette indifférence est un tort peut-être, et toutes les sciences expérimentales ont pour fin les définitions et les classifications : mais au temps de Buffon on n’en était encore qu’au commencement, et il fallait bien se tenir en garde contre les êtres de raison et les systèmes a priori ; c’étaient les obstacles qui depuis longtemps retardaient le progrès de la vérité. […] Il y a bien des erreurs, paraît-il, bien des lacunes, bien des affirmations téméraires dans son essai d’explication : il y a bien des vérités aussi, bien des idées neuves et profondes, bien des pressentiments hardis et féconds. […] J’abandonne ses descriptions : elles sont décidément pompeuses ou coquettes, frelatées surtout, et enveloppant la vérité scientifique de lieux communs littéraires, de formes nobles ou d’idées morales ; les animaux reçoivent des sentiments généreux ou vicieux, tout comme dans les Fables de La Fontaine.

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