Ils demeurent gens de théâtre par une innocente exagération de langage et par de petites déformations avantageuses de la réalité. « À vingt ans, dit Marceline, des peines profondes m’obligèrent de renoncer au chant, parce que ma voix me faisait pleurer. » L’explication est charmante ; mais la vérité, c’est qu’elle perdit la voix à la suite de ses couches, et qu’elle avait alors vingt-trois ans, et non pas vingt. […] « Vous avez été vous-même un peu dur et un peu ironique pour cette pauvre Marceline, mais… l’on ne saurait trop vous en vouloir, car vous avez dit ses vérités au Latouche sans le connaître. » Ce n’est pas fini. […] À la vérité, je trouve que les loustics professionnels, les Vivier, les Sapeck, les Lemice-Terrieux, se sont souvent donné beaucoup de mal pour un fort petit effet. […] Bref, il a machiné un mensonge tout à fait indifférent et qui ne pouvait avoir d’autre mérite, à ses yeux, que de n’être pas la vérité.
Mais comme c’est une vérité de l’art littéraire ou poétique observée par Voltaire, que ce qui fait rire au théâtre, ce sont les méprises des personnages, et que c’est une autre vérité recueillie par l’observation, que la méprise la plus risible et la plus ridicule consiste essentiellement dans la prétention manquée, il faut avoir plus d’esprit qu’il ne m’en appartient, pour reconnaître que Molière, ce grand maître de l’art dramatique, cet observateur profond, n’a exprimé ou sous-entendu ces vérités dans la préface des Précieuses que pour masquer un gros et plat mensonge sur ses intentions relativement à l’hôtel de Rambouillet. […] Pour achever d’éclaircir la vérité sur la maison de Rambouillet, et écarter d’elle toute application de la comédie de Molière, il faut revenir à mademoiselle de Scudéry, et montrer que c’est à elle et à ses cercles qu’en voulait Molière, s’il en voulait à quelqu’un.
Il faut s’arrêter encore devant cette figure tracée à l’eau-forte, d’une vérité qui mord et d’une franchise qui entaille. […] Il la plaint, il la console, il voudrait l’arracher à ce climat de feu qui la tue, il lui dit qu’il l’aime depuis longtemps, que sa vie lui appartient et qu’elle ne peut en disposer comme d’une chose à elle ; la scène est poignante de vérité douloureuse. […] Le feu de l’esprit a la vertu du feu terrestre : il purifie tout ce qu’il touche, il épure la fange ardente que traversent, en courant, sans s’y salir, ces vérités nues, toutes frissonnantes de leur nudité. […] J’insiste sur cette figure peinte, par elle-même, dans un cruel monologue, parce qu’elle est d’une vérité poignante, d’une souffrance amère, et que, quoiqu’elle ne fasse que passer dans le drame, elle ne reste pas moins une de ses plus vives impressions.
Ne cherchons pas, et contentons-nous, en dépouillant ces deux définitions hostiles de ce qu’elles ont de niais, d’en faire jaillir deux grandes vérités, savoir : qu’il n’y a réellement pas de romantisme, mais bien une littérature du dix-neuvième siècle ; et en second lieu, qu’il n’existe dans ce siècle, comme dans tous, que de bons et de mauvais ouvrages, et même, si vous le voulez, infiniment plus de mauvais que de bons. […] Racine et Corneille ont exploité magnifiquement ces trois antiquités, en les arrangeant, sans les dénaturer, selon le goût de leur siècle ; car les poètes dramatiques (et c’est ce qui nuit beaucoup à la durée de leurs ouvrages) ne peuvent pas toujours pousser très loin la fidélité des mœurs et la vérité du langage ; ils sont obligés, pour être entendus et goûtés, de prendre, dans leur style et dans leurs caractères, une moyenne proportionnelle entre le siècle qu’ils mettent sur la scène et le siècle dans lequel ils vivent. […] Rossini, celle qui s’opère en ce moment dans la peinture, sont des preuves irrécusables de cette vérité. […] Nous venons à une époque où le besoin de vérité en tout, est universellement senti, et en cela les poètes actuels sont plus heureux que leurs prédécesseurs.