L’Avare est peut-être la pièce où l’élément universel est le plus dégagé : Harpagon est le plus abstrait des caractères de Molière : il est l’avare en soi ; l’usurier du xviie siècle n’apparaît qu’à une minutieuse étude. C’est que le vice d’Harpagon se prêtait à cette expression abstraite, et la tradition littéraire depuis des siècles préparait le type classique, universel, de l’avare : l’avare qui enterre son or. […] Mais ici l’observateur internent, et dit que ce respect de la vérité est rare dans le monde que même la société ne saurait subsister, s’il était universel. […] Et d’autre part, ceux qui n’auront pas de si hautes ambitions ne chercheront plus à donner une valeur universelle ni une portée morale à leurs peintures de mœurs ou à leurs folles fantaisies : ils s’amuseront à des pochades et à des bouffonneries sans conséquence.
Je ne veux la juger et je ne la juge que par le trait dominant général, universel, qui la caractérise, c’est-à-dire par la condition du meurtre et de la dévoration d’une créature animée par une autre créature animée, sous peine de mort, pour soutenir et alimenter la vie de l’une par la mort de l’autre. […] L’homme, enfin, le boucher ou le bourreau universel, faisant de ses cités un vaste abattoir, où le sang coule avec la vie dans des égouts trop étroits, pour aller rougir ses fleuves ; l’homme, cet impitoyable consommateur de vies, saignant la colombe qui se penche apprivoisée sur son épaule, l’agneau caressant que ses enfants ont élevé pour jouer avec eux sur l’herbe, la poule qui chante sur son seuil, l’hirondelle qui aime cet hôte ingrat et qui lui confie ses petits, le bœuf qui a aidé le laboureur pendant dix ans à creuser son sillon ! […] Voilà pourtant les conditions universelles de la vie physique. […] « Non ce second chaos qu’un panthéiste adore « Où dans l’immensité Dieu même s’évapore, « D’éléments confondus pêle-mêle brutal « Où le bien n’est plus bien, où le mal n’est plus mal ; « Mais ce tout, centre-Dieu de l’âme universelle, « Subsistant dans son œuvre et subsistant sans elle : « Beauté, puissance, amour, intelligence et loi, « Et n’enfantant de lui que pour jouir de soi !
C’est en ce sens seulement qu’il est d’une vérité universelle. […] Plus grande est l’œuvre et plus profonde la vérité entrevue, plus l’effet pourra s’en faire attendre, mais plus aussi cet effet tendra à devenir universel. […] Il la faudra profonde, pour fournir à la comédie un aliment durable, superficielle cependant, pour rester dans le ton de la comédie, invisible à celui qui la possède puisque le comique est inconscient, visible au reste du monde pour qu’elle provoque un rire universel, pleine d’indulgence pour elle-même afin qu’elle s’étale sans scrupule, gênante pour les autres afin qu’ils la répriment sans pitié, corrigible immédiatement, pour qu’il n’ait pas été inutile d’en rire, sûre de renaître sous de nouveaux aspects, pour que le rire trouve à travailler toujours, inséparable de la vie sociale quoique insupportable à la société, capable enfin, pour prendre la plus grande variété de formes imaginable, de s’additionner à tous les vices et même à quelques vertus. […] Mais le contraste entre ces deux logiques, l’une particulière et l’autre universelle, engendre certains effets comiques d’une nature spéciale, sur lesquels il ne sera pas inutile de s’appesantir plus longuement.
Il en revenait encore de temps en temps à ses regrets et à son projet de ligue philosophique universelle : « Si les véritables gens de lettres étaient unis, ils donneraient des lois à tous les êtres qui veulent penser. » Mais il sentait bien qu’il n’avait pas de prise et qu’il ne l’entraînerait pas. […] C’est que Paris devient la patrie universelle de tous ceux, de quelque pays qu’ils soient, qui y vivent en bonne compagnie.