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941. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

Les esprits très clairvoyants ne sont pas forcément tristes. […] Aiment-ils, ces tristes jeunes gens Alexandre-Hubert et René ? […] C’est pourquoi les romans de Loti se terminent tous de la même manière, uniformément triste. […] Nous nous échappons sans cesse à nous-mêmes ; cela est triste, quand on y songe. […] Celles-ci semblent tristes déjà.

942. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. FAURIEL. —  première partie  » pp. 126-268

Il avait une teinte de pensée douce et triste tout à la fois, qui se gravait au cœur de l’amitié au lieu de s’effacer. […] Je suis bien aise que votre santé soit rétablie ; j’étais inquiète de vous la veille de votre départ, et j’ai été triste de votre silence. […] Si nous avons pu paraître sévère une fois envers lui, il est juste de dire que, dans toute cette relation avec Fauriel, il se montre tout à fait à son avantage, non plus sceptique absolu, mais sceptique regrettant le bien, cœur triste, appréciant le bonheur sans l’espérer, ami affectueux du moins et reconnaissant. […] Elle n’avait point attribué votre silence à des motifs défavorables pour vous, comme vous le dites, mais tristes pour elle. […] J’ai espéré plusieurs fois, d’après ce qu’on me disait, que vous viendriez à Paris, et je comptais au moins vous rencontrer à une triste cérémonie, où j’aurais bien sincèrement mêlé mes regrets aux vôtres.

943. (1925) Feux tournants. Nouveaux portraits contemporains

Cela doit se savoir en province car Maurice Brillant a souvent les yeux tristes et fatigués. […] Alors, il ne cessa plus de mêler aux souvenirs personnels d’inquiétude et de désolation qu’un pion corse lui inspirait, ce visage si triste de son pauvre petit compagnon. […] Aujourd’hui je le retrouve à Neuilly, à la place où, par un matin de décembre, orgueilleux, tendre, triste et soumis, il assistait au départ de son père. […] Ronsard, Chénier, Malherbe, La Fontaine, se disputent les quatre coins d’une pièce triste et basse. […] Amer, hautain et triste, je le vois dans la caste prochaine qui donnera peut-être à l’Europe ses dernières lueurs.

944. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Molière »

Il considérait volontiers cette triste humanité comme une vieille enfant et une incurable, qu’il s’agit de redresser un peu, de soulager surtout en l’amusant. […] En retraçant le Tartufe, et dans la tirade de don Juan sur l’hypocrisie qui s’avance, Molière présageait déjà de son coup d’œil divinateur la triste fin d’un si beau règne, et il se hâtait, quand c’était possible à grand’peine et que ce pouvait être utile, d’en dénoncer du doigt le vice croissant. […] Chaque fois qu’il revenait de la comédie, le jeune Poquelin était plus triste, plus distrait du travail de la boutique, plus dégoûté de la perspective de sa profession. […] Au milieu des passions de sa jeunesse, des entraînements emportés et crédules comme ceux du commun des hommes, Molière avait déjà à un haut degré le don d’observer et de reproduire, la faculté de sonder et de saisir des ressorts qu’il faisait jouer ensuite au grand amusement de tous ; et plus tard, au milieu de son entière et triste connaissance du cœur humain et des mobiles divers, du haut de sa mélancolie de contemplateur philosophe, il avait conservé dans son propre cœur, on le verra, la jeunesse des impressions actives, la faculté des passions, de l’amour et de ses jalousies, le foyer véritablement sacré.

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