Honte à moi cependant si, durant le cours de deux épouvantables années, si pendant le règne de la terreur en France, j’avais été capable d’un tel travail ; si j’avais pu concevoir un plan, prévoir un résultat à l’effroyable mélange de toutes les atrocités humaines. […] En m’en occupant, je vois qu’il faut longtemps pour réunir toutes les connaissances, pour faire toutes les recherches qui doivent servir de base à ce travail ; mais si les accidents de la vie ou les peines du cœur bornaient le cours de ma destinée, je voudrais qu’un autre accomplit le plan que je me suis proposé. […] Il y a de l’avantage à se proposer pour but de son travail sur soi, la plus parfaite indépendance philosophique ; les essais même inutiles, laissent encore après eux des traces salutaires ; agissant à la fois sur son être tout entier, on ne craint pas, comme dans les expériences sur les nations, de disjoindre, de séparer, d’opposer l’un à l’autre toutes les parties diverses du corps politique.
Ils ne s’y donnèrent d’autre gouvernement que leurs mœurs, une espèce de république d’abeilles humaines, où le travail et la fortune firent les rangs, où l’autorité et le peuple démocratique luttaient quelquefois, s’entendaient le plus souvent, dans des élections turbulentes et où la popularité flottante créait et renversait tour à tour les grands citoyens et leurs partis. […] « La mort de Jean de Médicis, sur lequel Côme avait placé ses principales espérances, et la faible santé de Pierre, qui le rendait incapable de supporter le travail des affaires publiques dans une ville aussi agitée que Florence, faisaient vivement craindre à ce grand homme qu’après son trépas la splendeur de sa famille ne s’éteignît tout à fait. […] On ne sait point ici dire le contraire de ce qu’on pense : dans ces estimables et paisibles retraites, au milieu de l’air pur qui vous environne, on ne voit point le sourire sur la bouche de celui dont le cœur est rongé de chagrins ; le plus heureux parmi vous est celui qui fait le plus de bien, et la sagesse suprême ne consiste pas à savoir déguiser et dissimuler la vérité avec le plus d’artifice. » Cependant le berger ne paraît point convaincu de la supériorité que le poëte accorde à la vie champêtre, et, dans sa réponse, il présente avec beaucoup de force les peines et les nombreux travaux auxquels elle est inévitablement exposée.
L’objet de Vigny n’est pas une étude de caractère, une analyse de sentiments : c’est de manifester une idée philosophique. « J’ai voulu montrer l’homme spiritualiste étouffé par une société matérialiste, où le calculateur avare exploite sans pitié l’intelligence et le travail. » Chatterton est le symbole (le mot est de Vigny) du poète. […] Vigny, Dernière Nuit de travail (Préface de Chatterton) ; Avant-Propos de la Maréchale d’Ancre ; Avant-Propos de l’éd. de 1839 et Lettre à Lord *** (avant le More de Venise). […] Dernière nuit de travail.
A voir le prodigieux travail de ces deux hommes, plus considérables et plus illustres que leur œuvre, mes scrupules se renouvellent sur la rigueur de mon plan, qui me permet à peine une courte mention de deux des noms les plus retentissants du dix-huitième siècle. […] Je pris le feuillet avec émotion, pensant y trouver le secret de ce travail supérieur qui, sous la plume des maîtres, amène les choses à la clarté, à la justesse éloquente, à l’accent. […] Il y avait pourtant des beautés dans ce travail ; je n’en regrettai que plus de voir se dissiper ainsi les restes d’un talent encore puissant, et une œuvre de vieillard à laquelle manquait la gravité.