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244. (1936) Réflexions sur la littérature « 6. Cristallisations » pp. 60-71

Quand il veut faire travailler à Pauline La logique de Condillac, lui faire apprendre par coeur L’art poétique de Boileau, dont il dira ensuite pis que pendre, ses conseils partent évidemment d’un fonds moins important, moins vraiment stendhalien que lorsqu’il veut lui faire prendre, en 1805, l’habitude d’analyser les personnes qui l’entourent (« l’étude est désagréable, mais c’est en disséquant des malades que le médecin apprend à sauver cette beauté touchante ») ou lorsqu’il contracte dans ses premières relations montaines l’aptitude à traduire par une algèbre psychologique les valeurs les unes dans les autres (" notre regard d’aigle voit, dans un butor de Paris, de combien de degrés il aurait été plus butor en province, et, dans un esprit de province, de combien de degrés il vaudrait mieux à Paris. " ) c’est à cette époque que Stendhal s’accoutume (héritier ici de Montesquieu qui ne paraît point, je crois, dans ses lectures) à rattacher instantanément un trait sentimental à un état social, à mettre en rapport par une vue rapide le système politique d’un pays avec ses façons de sentir. […] La définition de l’œuvre d’art correspond trait pour trait à celle de la cristallisation. […] Si l’œuvre d’art garde les traits de l’œuvre d’amour, la préoccupation de l’art ne va pas sans préoccupation d’amour.

245. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVIII et dernier. Du genre actuel des éloges parmi nous ; si l’éloquence leur convient, et quel genre d’éloquence. »

Mais par la manière dont vous présentez les faits, dont vous les développez, dont vous les rapprochez les uns des autres, par les grandes actions comparées aux grands obstacles, par l’influence d’un homme sur sa nation, par les traits énergiques et mâles avec lesquels vous peignez ses vertus, par les traits touchants sous lesquels vous montrez la reconnaissance ou des particuliers ou des peuples, par le mépris et l’horreur que vous répandez sur ses ennemis, enfin, par les retours que vous faites sur votre siècle, sur ses besoins, sur ses faiblesses, sur les services qu’un grand homme pourrait rendre, et qu’on attend sans espérer, vous excitez les âmes, vous les réveillez de leur léthargie, vous contribuez du moins à entretenir encore dans un petit nombre l’enthousiasme des choses honnêtes et grandes. […] On le lit en silence : chaque homme avec qui il converse est isolé : le sentiment est solitaire, l’orateur lui-même est absent ; ni les inflexions de sa voix, ni les traits de son visage, ne vous attestent la vérité de ce qu’il dit. […] Se contentera-t-il de fonder la statue colossale d’un héros, et d’imiter parfaitement ses traits ?

246. (1803) Littérature et critique pp. 133-288

On doute, en rassemblant les traits qui le composent, qu’il ait paru dans notre siècle. […] Ce trait passe tous les autres cités jusqu’ici. […] « La Bible, dans tous ses genres, n’a ordinairement qu’un seul trait ; mais le trait est frappant et met l’objet sous les yeux. […] Le tableau des persécutions éprouvées par Descartes offre, ce me semble, des traits admirables. […] Necker, quoiqu’elle soit en prose, a des traits plus profonds et plus touchants que celle de Thomas.

247. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XII. Du principal défaut qu’on reproche, en France, à la littérature du Nord » pp. 270-275

Si l’on demande ce qui vaut mieux d’un ouvrage avec de grands défauts et de grandes beautés, ou d’un ouvrage médiocre et correct, je répondrai, sans hésiter, qu’il faut préférer l’ouvrage où il existe, ne fût-ce qu’un seul trait de génie. […] Un beau trait, au milieu de négligences grossières, peut frapper davantage l’esprit ; mais l’ensemble y perd plus que ne peut y gagner l’exception.

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