Mais l’essentiel est une théorie fondamentale qui marque l’originalité de Senancour à égale distance de Sand et de Stendhal. […] Rien de plus romanesque, parfois de plus fantastique que ces histoires d’amour, traversées de déclamations philosophiques et d’exposés souvent bien verbeux de théories égalitaires. […] Théories à part, elle est curieuse surtout des âmes et de la vie. […] Mérimée, lui, est purement artiste : son œuvre relève de la théorie de l’art pour l’art. […] C’est ici que l’on voit combien les théories valent par les hommes qui les appliquent.
Remarquez, messieurs, qu’hier encore vous traitiez cette abolition d’utopie, de théorie, de rêve, de folie, de poésie. […] Il ne fut plus question d’abolir le supplice capital ; et une fois qu’on n’eut plus besoin d’elle, l’utopie redevint utopie, la théorie, théorie, la poésie, poésie. […] Reste la troisième et dernière raison, la théorie de l’exemple. — Il faut faire des exemples ! […] Que si, malgré l’expérience, vous tenez à votre théorie routinière de l’exemple, alors rendez-nous le seizième siècle, soyez vraiment formidables, rendez-nous la variété des supplices, rendez-nous Farinacci, rendez-nous les tourmenteurs-jurés, rendez-nous le gibet, la roue, le bûcher, l’estrapade, l’essorillement, l’écartèlement, la fosse à enfouir vif, la cuve à bouillir vif ; rendez-nous, dans tous les carrefours de Paris, comme une boutique de plus ouverte parmi les autres, le hideux étal du bourreau, sans cesse garni de chair fraîche. […] C’est la façon la plus humaine de comprendre la théorie de l’exemple.
Mais cette théorie de la « perception pure » devait être atténuée et complétée tout à la fois sur deux points. […] Sans doute nous établissons contre la théorie de la conscience-épiphénomène qu’aucun état cérébral n’est l’équivalent d’une perception. […] La théorie de la mémoire, qui forme le centre de notre travail, devait être à la fois la conséquence théorique et la vérification expérimentale de notre théorie de la perception pure. […] Il faudra donc, dans cette théorie, que le souvenir naisse de la répétition atténuée du phénomène cérébral qui occasionnait la perception première, et consiste simplement dans une perception affaiblie. […] D’où cette double thèse, inverse de la précédente : La mémoire est autre chose qu’une fonction du cerveau, et il n’y a pas une différence de degré, mais de nature, entre la perception et le souvenir. — L’opposition des deux théories prend alors une forme aiguë, et l’expérience peut cette fois les départager.
Beyle cherche ainsi dans le roman une pièce à l’appui de son ancienne et constante théorie, qui lui avait fait dire : « L’amour est une fleur délicieuse, mais il faut avoir le courage d’aller la cueillir sur les bords d’un précipice affreux. » Ce genre brigand et ce genre romain est bien saisi dans L’Abbesse de Castro ; cependant on sent que, littérairement, cela devient un genre comme un autre, et qu’il n’en faut pas abuser. […] Beyle, dans ses écrits antérieurs, a donné une définition de l’amour passionné qu’il attribue presque en propre à l’Italien et aux natures du Midi : Fabrice est un personnage à l’appui de sa théorie ; il le fait sortir chaque matin à la recherche de cet amour, et ce n’est que tout à la fin qu’il le lui fait éprouver ; celui-ci alors y sacrifie tout, comme du reste il faisait précédemment au plaisir. […] Une de ses grandes théories, et d’après laquelle il a écrit ensuite ses romans, c’est qu’en France l’amour est à peu près inconnu ; l’amour digne de ce nom, comme il l’entend, l’amour-passion et maladie, qui, de sa nature, est quelque chose de tout à fait à part, comme l’est la cristallisation dans le règne minéral (la comparaison est de lui) : mais quand je vois ce que devient sous la plume de Beyle et dans ses récits cet amour-passion chez les êtres qu’il semble nous proposer pour exemple, chez Fabrice quand il est atteint finalement, chez l’abbesse de Castro, chez la princesse Campobasso, chez Mina de Wangel (autre nouvelle de lui), j’en reviens à aimer et à honorer l’amour à la française, mélange d’attrait physique sans doute, mais aussi de goût et d’inclination morale, de galanterie délicate, d’estime, d’enthousiasme, de raison même et d’esprit, un amour où il reste un peu de sens commun, où la société n’est pas oubliée entièrement, où le devoir n’est pas sacrifié à l’aveugle et ignoré. […] Il sentait bien, malgré la théorie qu’il s’était faite, que quelque chose lui manquait. […] Il y a des époques d’artistes, il en est d’autres qui ne produisent que des gens d’esprit, d’infiniment d’esprit si vous voulez. » Beyle répondait à cette théorie désespérante dans une lettre insérée au Globe le 31 mars 1825 : Pour être artiste après les La Harpe, il faut un courage de fer.