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1318. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1874 » pp. 106-168

L’eau est claire d’une clarté légèrement savonneuse, et la terre est l’amie des essences rares, des arbustes à fleurs, des arbres au feuillage pourpre, au feuillage panaché, et cette verdure et cette floraison poussent dans l’eau. […] ……………………………………………………………………………………………………… Par ces altitudes sans arbres et sans herbes, par la nuit qui commençait à tomber, par ces ténèbres éclairées de la blancheur de l’écume des gouffres, ce sentier d’abîmes, avec ses ponts du Diable, avec ses tours et ses détours sans fin dans les anfractuosités du rocher plein d’horreur, me donnait la sensation d’une terre finissante, à l’entrée d’un monde inconnu. […] Samedi 10 octobre Tout de mon long sur la terre, la joue sur le bras, c’est pour moi un des plaisirs de la chasse au bois, de somnoler, à demi éveillé par le fourmillement de la terre, le susurrement de l’air ensoleillé, les jappements lointains de la meute, dans les profondeurs de la forêt.

1319. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Conclusions »

Nous avons noté la maîtrise de cet artiste à décrire tous les spectacles presque que peut présenter la terre et l’homme, par des perceptions si vraies et si immédiates qu’elles paraissent neuves. […] Chez Tolstoï, dont la foi religieuse bien que fort vive n’est pas à proprement parler mystique, puisque sa religion est un système rationnel et qu’il croit à un triomphe sur terre, ou peut cependant ramener clairement l’origine des pensées qui le lui ont fait adopter à une prédominance graduelle de la sensibilité sur les facultés de perception, qui pourtant étaient chez lui énormes, et sur les facultés d’idéation qui étaient plus faibles. […] Par métier encore, la déformation qu’il s’accoutume à faire subir au réel, le porte à le mépriser, à concevoir d’abstraction en abstraction quelque chose d’idéal, de plus grand et de plus transportant, à vivre dans nue sphère astrale, loin de ce globe en terre, devenu, par comparaison, imparfait et détesté. […] Toute la vie consciente de l’artiste, cette vie mêlée au monde, en laquelle se concentre et d’où se réfléchissent le ciel et la terre, est comme l’épanouissement, la prise de possession de cette rudimentaire activité intellectuelle qui monte confusément, moins sourde et moins aveugle, de la brute au génie.

1320. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — III. Le Poëme épique, ou l’Épopée. » pp. 275-353

Ils en parlèrent comme on parle des Terres Australes. […] Le morceau fut vendu pour antique au cardinal de Saint-Gregoire ; mais Buonarotti reclama ce Cupidon, &, pour preuve qu’il étoit de lui, produisit un bras qu’il avoit cassé à cette figure avant que de la cacher dans la terre, & qu’il avoit conservé soigneusement. […] Quelle mutilation dans cet endroit où le poëte Grec personifie les prières, où l’on reconnoît ces filles du maître du tonnerre à la tristesse de leur front, à leurs yeux remplis de larmes, à leur marche lente & incertaine, placées derrière l’injure, l’injure arrogante, qui court sur la terre d’un pied léger, levant sa tête audacieuse . […] Elle se moque d’un héros qui s’occupe d’amour, lorsqu’il devroit avoir la tête remplie des grandes vues que les dieux ont sur lui ; qui, dans le temps que la reconnoissance vouloit qu’il s’attachât à Carthage, prétexte leurs ordres pour aller s’établir dans tel coin de la terre plutôt que dans tel autre, & trahit une reine qui s’est livrée à lui, & l’a comblé de biens pour devenir le ravisseur d’une femme promise à un autre prince.

1321. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — I. » pp. 195-212

Cette pièce de terre semble être ainsi taillée pour être le siège du plus heureux et du plus solide empire du monde, si la prudence l’avait pu étendre jusqu’aux limites que la nature lui a posées. […] Elle a eu tant de princes, tant de grands seigneurs et tant de démêlés, soit avec les autres nations de la terre, soit avec ses propres sujets, à raison d’un nombre infini de petites seigneuries qui l’ont divisée cinq cents ans durant, qu’il est impossible à un esprit seul de les pouvoir toutes débrouiller.

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