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1246. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1888 » pp. 231-328

La lumière me fait mal, et me force à passer des journées, couché dans une chambre à demi obscurée… Alors la pensée noire de ne pas pouvoir finir mon travail, pour l’impression, et devoir interrompre la publication de ce Journal, dont je ne puis confier le manuscrit à personne, — et au fond le hantement de l’idée fixe de devenir aveugle, ce que je crains depuis vingt ans, oui, de devenir aveugle, moi, dont tous les bonheurs qui me restent sur la terre, viennent uniquement de la vue. […] Crispin, lui, existe toujours, Crispin chez lequel j’ai acheté un splendide lit, provenant du château de Rambouillet, et qui passait pour le lit, dans lequel couchait la princesse de Lamballe, quand elle habitait chez son beau-père, le duc de Penthièvre ; Crispin, dont le rez-de-chaussée, autrefois tout plein d’une flamboyante rocaille dorée, de marbres, de bustes en terre cuite, d’objets de la plus haute curiosité, laisse apercevoir maintenant des meubles en imitation de l’ancien, des pendules en lyre, des feux aux sphinx du premier Empire. […] De loin en loin, au milieu des gens assis à terre, un couple debout, où repose sur l’homme un geste de caresse de la femme. […] Mardi 24 juillet L’idée, que la planète la Terre peut mourir, peut ne pas durer toujours, est une idée qui me met parfois du noir dans la cervelle. […] Daudet raconte que le premier gros argent, qu’il ait touché, c’est lors de la publication de Fromont et Risler, et que revenant de chez Charpentier, un peu éplafourdi de sa vente, et une poche de son paletot pleine de billets de banque, de louis d’or et de pièces de cent sous, il s’était mis à répandre tout ça à terre, devant sa femme, et à danser autour une danse folle, qu’il baptisait le pas de Fromont.

1247. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIe entretien. Balzac et ses œuvres (2e partie) » pp. 353-431

Trois allées parallèles, sablées et séparées par des carrés dont les terres étaient maintenues au moyen d’une bordure en buis, composait ce jardin que terminait, au bas de la terrasse, un couvert de tilleuls. […] Sa richesse à lui s’élevait alors à une inscription de cent mille livres de rente à Paris, deux millions quatre cent mille francs en or ; la terre de Froidfond et tous ses biens autour de Saumur : le tout approchant de dix-sept millions. […] Au commencement du printemps, Mme des Grassins essaya de troubler le bonheur des Cruchotins en parlant à Eugénie du marquis de Froidfond, dont la maison ruinée pouvait se relever si l’héritière voulait lui rendre sa terre par contrat de mariage. […] Je sais de science certaine que le père Grandet, en réunissant tous ses biens à la terre de Froidfond, avait l’intention de s’enter sur les Froidfond.

1248. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1860 » pp. 303-358

Il ne surgit plus quelque grand toqué de gloire ou de foi, qui brouille un peu la terre et tracasse son temps à coups d’imprévu. […] Il n’y a plus de bras pour les travaux de la terre. […] On nous ferme la bouche avec une poignée de terre glaise, mais est-ce là une réponse ?… — Écoute, Claudin, continue placidement et imperturbablement Gautier, en admettant qu’il y ait des êtres dans le soleil, un homme de cinq pieds dans la terre, aurait 750 lieues de haut dans le soleil, c’est-à-dire que les semelles de tes bottes, pour peu que tu portes des talons, auraient deux lieues, la hauteur de la mer dans sa plus grande profondeur ; écoute toujours bien, Claudin : et avec tes semelles de bottes de deux lieues, tu posséderais 75 lieues de masculinité à l’état naturel… — Tout cela est très gentil, mais… fait Claudin se rebiffant un peu — « Catholicisme et Markowski », voilà ta devise, Claudin », lui lance brutalement Saint-Victor.

1249. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

Nous savons que la terre est sans piliers ni dôme, Que l’infini l’égale au plus chétif atome ; Que l’espace est un vide ouvert de tous côtés, Abime où l’on surgit sans voir par où l’on entre, Dont nous fuit la limite et dont nous suit le centre, Habitacle de tout, sans laideurs ni beautés. […] Mais la terre suffit à soutenir la base D’un triangle où l’algèbre a dépassé l’extase… Voici maintenant la vraie inspiration poétique et philosophique tout ensemble : Car de sa vie à tous léguer l’œuvre et l’exemple, C’est la revivre en eux plus profonde et plus ample, C’est durer dans l’espèce en tout temps, en tout lieu C’est finir d’exister dans l’air où l’heure sonne, Sous le fantôme étroit qui borne la personne, Mais pour commencer d’être à la façon d’un dieu ! […] L’homme, dont le cœur seul, dans l’univers, a conçu la justice, disparaîtra, et la terre disparaîtra à son tour, et le ciel entier, avec ses étoiles, s’abîmera dans l’éternelle nuit. […] J’ai le cerveau plein de terre.

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