Il se montre toutefois plus tolérant pour les systèmes élevés qu’il n’est ordinaire aux sceptiques et aux empiriques ; dans ces divers systèmes imaginés par les Leibniz, les Malebranche et autres, il n’en est aucun qui n’ait des obscurités et qui n’implique contradiction dans certains endroits : Toutefois, dit Frédéric, il est agréable de connaître et de suivre toutes les routes que l’esprit humain s’est frayées pour parvenir à des vérités qu’il n’a pu découvrir. […] Notez que, la première douleur épanchée, Frédéric n’aimait pas à y revenir en paroles : il remuait le moins qu’il pouvait les tristes souvenirs, et ne rentrait pas volontiers dans les pertes sensibles qu’il avait faites : « Pour moi, j’évite avec soin, disait-il, tous les endroits où j’ai vu des personnes que j’ai aimées : leur souvenir me rend mélancolique, et quoique je sois tout préparé à les suivre dans peu, je souffre cependant de ne plus jouir de leur présence. » C’est que son deuil était un deuil qu’un rayon consolateur n’éclairait pas. — « Le système merveilleux répugne à la sincérité de mon espritag », disait-il encore. […] Frédéric vit le bon côté, le côté sérieux de ce succès de son frère dans l’opinion : Le public en France, lui écrivait-il (13 septembre 1784), suit ce droit bon sens naturel qui voit les objets sans déguisement ; mais les ministres ont bien d’autres réflexions à faire, dont la principale roule sur leur conservation… Mais j’ose me flatter que votre séjour disposera les esprits en notre faveur, et que si la France voit enfin qu’elle est obligée de revirer de système, elle nous choisira comme son pis-aller. […] [1re éd.] « Le système merveilleux répugne à la simplicité de mon esprit »
Il dit son mot sur les affaires actuelles, sur le système de Law, dont il fait la critique. […] La théorie développée dans ce curieux opuscule a laissé des traces dans l’Esprit des Lois, mais des traces éparses et confuses, recouvertes sans cesse par un système différent, dont le fond est cette idée chère à Montesquieu que de la construction de la machine législative dépend la destinée des peuples, et qu’un rouage ôté ou placé à propos sauve ou perd tout : or qu’y a-t-il de plus contraire au fatalisme politique que la superstition sociologique, la foi aux artifices constitutionnels ? […] Il fait abstraction de l’homme, et le traite comme une matière inerte et passive : si bien que, dans son idée, un système de lois bien conçu ne peut manquer de mener n’importe quel peuple, en quelque sorte sans qu’il s’en mêle, à son maximum de puissance et de prospérité. […] Aussi le néglige-t-il tout à fait par la suite, et rien ne donne plus à son ouvrage le caractère d’un système abstrait, qu’aucune réalité vivante ne soutient. […] Enfin, et surtout, la religion — toutes les religions — apparaissait manifestement dans son système comme un rouage politique, créé ou manié comme tous les autres par le législateur.
Mais ce qui est à lire, c’est le Discours préliminaire, où tout M. de Bonald se trouve avec son système. Ce système, que je ne puis qu’indiquer brièvement, est celui-ci : M. de Bonald, homme de foi, d’une religion profonde, orthodoxe, et qui chez lui n’a jamais été ébranlée, croit fermement à la parole des Livres saints et à la création de l’homme telle qu’elle est consignée dans le récit de Moïse. […] En disant les mêmes choses que Bonald, Joseph de Maistre est hardi, impétueux, varié ; il semble presque un génie libéral par la verve et la couleur de l’expression ; il a des poussées et des sorties qui déjouent le système ; tandis que l’autre, vigoureux, subtil, profond, roide et strict, s’y renferme invariablement61. […] Bonald restait ce qu’il avait été dès l’abord, l’homme de la tour et du clocher antique et gothique, tandis que Chateaubriand, livré à ses brillants instincts, se faisait déjà l’homme du torrent : C’est le grand champion du système constitutionnel, écrivait Bonald à Joseph de Maistre en 1821 ; il va le prêcher en Prusse, et n’y dira pas de bien de moi, qu’il regarde comme un homme suranné qui rêve des choses de l’autre siècle… C’est un très grand coloriste, et surtout un très habile homme pour soigner ses succès. […] Barbey d’Aurevilly, que M. de Bonald soit à la veille de trouver beaucoup de disciples ; mais les adversaires, ceux qui pousseront le plus par leurs systèmes vers les formes encore mal définies de la société nouvelle, croiront s’honorer eux-mêmes en le respectant, et en saluant en lui un champion du moins qui a eu jusqu’au bout l’intrépidité de sa croyance et qui n’a jamais fléchi.
Lorsque Charron, l’ami et le disciple de Montaigne, et qui fut en quelque sorte son ordonnateur, voulut ranger et mettre sérieusement en système les pensées et les réflexions de son maître, on lui fit des difficultés malgré sa prudence, et on refusa à la gravité de l’un ce qu’on avait accordé à l’autre pour sa vivacité charmante. […] Si elle était du petit nombre de ces vérités évidentes sur lesquelles il ne saurait ν avoir deux opinions, il ne pourrait en parler avec plus de confiance. » Rousseau lui paraissait dans le même cas pour son système sur l’état sauvage, ce prétendu âge d’or de félicité et de vertu. Tout en s’étonnant de cette confiance qu’ont en leurs systèmes ces talents vigoureux, « qui n’abondent pas en idées », Grimm ne laisse pas de penser quelquefois que cette prévention leur est peut-être nécessaire pour donner à leurs écrits cette chaleur et cette force qu’on y remarque, tandis que « le modeste et humble sceptique est presque toujours en silence ». […] Rousseau n’est point maltraité chez Grimm, comme on pourrait le croire : il y est apprécié constamment pour ses talents, en même temps que réfuté pour ses systèmes. Grimm s’attache dès le principe au Discours sur l’inégalité, où le système de Rousseau est déjà tout entier et d’où le reste découlera.